La Troisième république et le suffrage des femmes : l'inefficacité du législateur

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Sous la IIIème République, les initiatives se multiplient pour que le législateur reconnaisse la citoyenneté des Françaises ; il s'agit là d'une évolution des idées et des mentalités présente sous toutes les latitudes : des pays, des territoires neufs accordent des droits civiques aux femmes (le Wyoming dès 1869, la Nouvelle-Zélande en 1893, la Finlande en 1906) ; des organisations féministes sont créées dans les pays n'ayant pas encore évolué sur la question, et les partis politiques les plus libéraux ou progressistes reprennent cette revendication. En France, malgré toutes les initiatives, l'échec est flagrant.

Contenu de l'article

Les écrits des chercheurs et des penseurs politiques en faveur du suffrage des femmes

  • Joseph-Barthélemy, universitaire et député - Le vote des femmes, Paris, Félix Alcan, 1920.

Avec une infinie circonspection, Joseph-Barthélemy pèse et soupèse, au long de six cents pages, les avantages et les inconvénients de l'octroi aux femmes du droit de suffrage. Finalement, c'est oui. Espérons cependant que « l'électrice restera femme, avec tous les privilèges que lui ont acquis et sa grâce et son charme et la puissance de sa faiblesse. Les lois sociales ne transforment pas les lois de la nature » (p. 613).
Le parlementaire avait montré plus d'audace que l'universitaire. Joseph-Barthelemy rapporta d'une manière très favorable en 1919 une proposition de loi accordant le droit de vote aux femmes.

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  • Raymond Poincaré - Pour le suffrage des femmes, discours prononcé au Palais du Trocadéro le 3 décembre 1921.

A l'invitation de Maria Vérone, Poincaré, « ancien Président de la République », rend hommage au rôle joué par les femmes de 1914 à 1918, qui aurait dû leur valoir la conquête du « droit de cité dans la République ». Mais la réforme proposée est modeste. « Pourquoi ne pas commencer à leur ouvrir, à titre d'épreuve, l'accès des conseils municipaux ? ».

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Paris, Ligue française pour le droit des femmes, 1921
  • Paul Valéry - Le suffrage des femmes

"La formule actuelle de la France, en ce qui concerne le droit des femmes, doit nettement s'écrire ainsi :
Au regard de la loi constitutionnelle, la première des femmes est un être inférieur au dernier des hommes.
Et, de plus :
Toute Française est un être inférieur à n'importe quelle femme des pays où la femme vote."

Paul Valéry - Le suffrage des femmes


Revue de Paris, 15 février 1931, p. 721-726
  • André Tardieu - La réforme de l'État

Ce livre reprend sous une forme abrégée les propositions de réforme constitutionnelle présentées par André Tardieu dans « L'heure de la décision » (1934). Il comporte un chapitre sur « le vote des femmes ». « Une démocratie n'est qu'un mot, quand la moitié de la nation est privée du droit de suffrage et de représentation ». Tardieu attaque avec vivacité le Sénat accusé de « jouer à cache-cache avec le vote des femmes ».

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La proposition Dussaussoy, exemple d'un échec

En 1906, Paul Dussaussoy, député appartenant au groupe de l' action libérale dépose une proposition de loi "tendant à accorder aux femmes le droit de  vote dans les élections aux conseils municipaux, aux conseils d'arrondissement et aux conseils généraux". il conçoit la limitation aux élections locales du droit de vote des femmes comme la possibilité d'acquérir « l'expérience civique nécessaire à tous les membres d'une démocratie ». Ferdinand Buisson, au nom de la commission du suffrage universel dépose le 16 juillet 1909 un rapport favorable, qui présente un historique du suffrage féminin en France et à l'étranger et reconnaît le principe du droit de vote des femmes tout en préconisant une solution progressive séparant le vote municipal du vote politique et proposant l'électorat et l'éligibilité des femmes aux conseils municipal, d'arrondissement et général ainsi que la possibilité d'être déléguées sénatoriales. Paul Dussaussoy décède en 1909, l'examen du texte est reporté sine die.

Redéposée à chaque législature, la proposition est enfin examinée par la séance publique en mai 1919. En ouvrant la session de 1918, Jules Siegfried, doyen d'âge de la Chambre, déclara que la nation devrait accorder le droit de vote aux femmes en reconnaissance de leur « admirable conduite pendant la guerre ».

Le débat s'ouvre au Palais Bourbon le 8 mai 1919, sur le rapport favorable de Pierre-Étienne Flandin. Il propose que le droit de vote soit accordé aux femmes, mais, seulement dans les élections aux conseils municipaux, aux conseils d'arrondissement et aux conseils généraux, et à condition qu'elles aient atteint trente ans. Soutenu par le socialiste Bracke, qui demande que le droit de vote fût accordé aux femmes pour toutes les élections, le rapport Flandin est combattu, sur le terrain de l'opportunité, par Victor Augagneur, socialiste indépendant. Le 20 mai, après une intervention d'Aristide Briand (« Je vote pour l'égalité des droits des hommes et des femmes »), la proposition de loi est votée par 329 voix contre 95.

Au Sénat, le texte n'est examiné qu'en 1922 -et sur un rapport défavorable d'Alexandre Bérard.

Les sénateurs refusent de passer à la discussion des articles par 156 voix contre 134 mettant un coup d'arrêt au processus de reconnaissance de l'égalité politique entre les hommes et les femmes.

Suivent quinze ans d'un « jeu de cache-cache ». Les députés, à chaque législature, adoptent des propositions instituant le suffrage féminin, selon des modalités diverses (âge des électrices, type d'élections...), parfois compliquées par l'introduction du vote familial. La Chambre vote des résolutions invitant le Gouvernement à « user de son influence » pour faire inscrire ces textes à l'ordre du jour du Sénat. Les sénateurs n'en ont cure et enlisent ou repoussent les propositions des députés.

La dernière, et toujours vaine, étape a lieu en 1936. La Chambre du Front populaire adopte le 30 juillet la proposition de loi de Louis Marin donnant aux femmes électorat et éligibilité à toutes les élections. Ce texte est adopté à l'unanimité des 495 votants.

La seconde guerre mondiale surviendra avant que le Sénat se soit saisi de ce texte.