Points-clés
L’article 40 de la Constitution limite le pouvoir d’initiative des parlementaires en matière financière. Il interdit toute création ou aggravation d’une charge publique et n’autorise la diminution d’une ressource publique que dans la mesure où celle-ci est compensée par l’augmentation d’une autre ressource. S’agissant des crédits ouverts par les projets de loi de finances, la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) a atténué la sévérité de cette restriction en autorisant les parlementaires à opérer des mouvements entre les programmes d’une même mission sans augmenter le montant total des crédits de celle-ci.

Au-delà de l’article 40 de la Constitution, le respect par les amendements, quel que soit leur auteur, des dispositions organiques relatives aux lois de finances (LOLF) et aux lois de financement de la sécurité sociale (dispositions organiques du code de la sécurité sociale) est également contrôlé.

 

L’article 40 de la Constitution, inchangé depuis 1958, dispose que « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ». Cette restriction à l’initiative financière des parlementaires est l’un des éléments constitutifs du « parlementarisme rationalisé » qui caractérise les institutions de la Ve République.

En complément de ce contrôle de la recevabilité financière des initiatives parlementaires, il résulte de l’article 47 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) et du IV de l’article L.O. 111-7-1 du code de la sécurité sociale que les amendements non conformes aux dispositions organiques relatives aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale sont irrecevables.

Depuis 1971 et à intervalles irréguliers, plusieurs présidents de la commission des finances ont publié un rapport d’information présentant les conditions dans lesquelles ils ont mis en œuvre le contrôle de la recevabilité financière des initiatives parlementaires. Le neuvième et dernier rapport en date est celui de M. Éric Woerth (XVe législature, n° 5107) (1) . Il sera possible, pour plus de précisions sur chacun des éléments mentionnés dans la présente fiche, de se référer à ce rapport.

I. –    LA PROCÉDURE

Les modalités du contrôle de la recevabilité financière sont fixées par l’article 89 du Règlement de l’Assemblée nationale.

En application de l’alinéa 5 de cet article, la procédure détaillée ci-après est applicable dans les mêmes conditions au contrôle du respect par les amendements, quel que soit leur auteur, des dispositions organiques (LOLF et LOLFSS).

1. –    PRÉALABLEMENT AU DÉPÔT

Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, « le respect de l’article 40 de la Constitution exige qu’il soit procédé à un examen systématique de la recevabilité […] des propositions et amendements formulés par les députés et cela antérieurement à l’annonce de leur dépôt » et « avant qu’ils ne puissent être publiés, distribués et mis en discussion » (décision n° 2009-581 DC du 25 juin 2009).

a)    Les propositions de loi

En application de l’article 89, alinéa 1, du Règlement de l’Assemblée nationale, l’appréciation de leur recevabilité est confiée à une délégation du Bureau de l’Assemblée, qui refuse le dépôt des propositions de loi « lorsqu’il apparaît que leur adoption aurait les conséquences prévues par l’article 40 de la Constitution ». Conformément à une tradition établie, le Bureau veille néanmoins à ne pas restreindre excessivement l’initiative parlementaire. À ce titre, il admet par exemple qu’une charge puisse être compensée. 

Postérieurement au dépôt, l’article 89, alinéa 4, du Règlement prévoit que le Gouvernement ou tout député peut opposer « à tout moment » les dispositions de l’article 40 de la Constitution. C’est ainsi que l’inscription d’une proposition de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée donne souvent lieu, lorsque celle-ci comporte une ou plusieurs dispositions susceptibles de méconnaître l’article 40, à une saisine du président de la commission des finances par le président de la commission saisie au fond pour éliminer tout motif d’irrecevabilité avant son examen en commission.

Par ailleurs, les propositions de loi soumises au référendum sont systématiquement déférées au Conseil constitutionnel en vertu de la loi organique portant application de l’article 11 de la Constitution. Dans sa décision n° 2013 681 DC du 5 décembre 2013, le Conseil a précisé que l’examen de la conformité de ces propositions de loi à l’article 40 de la Constitution est systématique, y compris lorsque la question de la recevabilité financière n’a pas été soulevée au préalable lors de la discussion parlementaire.

b)    Les amendements

-    En commission

L’article 89, alinéa 2, du Règlement de l’Assemblée nationale prévoit que l’irrecevabilité est appréciée, pour les amendements déposés en commission, par le président de la commission concernée et, en cas de doute, par son bureau.
Le président de la commission saisie au fond peut consulter, s’il l’estime nécessaire, son homologue de la commission des finances, le rapporteur général de celle-ci ou un membre de son bureau désigné à cet effet. En pratique, le président de la commission des finances est consulté de façon très régulière par les présidents des commissions saisies au fond sur tous les amendements pour lesquels un doute existe, et ses avis sont suivis.

-    En séance

Aux termes de l’article 89, alinéa 3, du Règlement de l’Assemblée nationale, le Président de l’Assemblée est tenu de refuser le dépôt d’un amendement en séance s’il apparaît que son adoption aurait pour effet de diminuer les ressources publiques ou de créer ou augmenter une charge publique. En cas de doute, il prend sa décision après avoir consulté le président de la commission des finances, le rapporteur général de celle ci ou un membre de son bureau désigné à cet effet.

En pratique, de la même manière que pour l’examen au stade de la commission, le président de la commission des finances est consulté par le Président de l’Assemblée sur tous les amendements pour lesquels un doute existe et ses avis sont suivis.

2. –    POSTÉRIEUREMENT AU DÉPÔT

Aux termes de l’article 89, alinéa 4, du Règlement de l’Assemblée nationale, les dispositions de l’article 40 de la Constitution peuvent être opposées « à tout moment » au cours de la procédure législative, par le Gouvernement ou par tout député, aux propositions de loi, y compris celles qui auraient été préalablement déclarées recevables par le Bureau de l’Assemblée, et aux amendements, ainsi qu’aux modifications apportées par les commissions aux textes dont elles sont saisies.

C’est sur ce fondement qu’est réexaminée la recevabilité financière des propositions de loi inscrites à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, préalablement à leur examen en commission, généralement à l’initiative du président de la commission saisie au fond. 

En pareil cas, il appartient au président de la commission des finances de se prononcer sur leur recevabilité (article 89, alinéa 4, du Règlement de l’Assemblée nationale).  

II. –    LES PRINCIPES GÉNÉRAUX : CHAMP D’APPLICATION ET BASE DE RÉFÉRENCE

1. –    LE CHAMP D’APPLICATION

L’article 40 de la Constitution, qui vise les ressources et les charges publiques, s’applique à titre principal :

- à l’État et aux organismes qualifiés d’« organismes divers d’administration centrale » (ODAC) ;

- aux administrations publiques locales, comprenant les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics de coopération, ainsi qu’aux « organismes divers d’administration locale » (ODAL) ;

- aux administrations de sécurité sociale (régimes obligatoires de base, régime d’assurance chômage, établissements hospitaliers…).

Par extension, l’article 40 est applicable à diverses structures bénéficiant de financements publics qui assurent des missions d’intérêt public : les établissements publics à caractère administratif, la plupart des établissements publics industriels et commerciaux, les organismes de formation professionnelle ou encore les fédérations sportives (2)

2. –    LA BASE DE RÉFÉRENCE

La base de référence est le terme de comparaison choisi pour apprécier le caractère coûteux d’une initiative parlementaire, c’est-à-dire soit la perte de recettes qu’elle entraîne, soit la création ou l’aggravation de charge à laquelle elle procède.

Les bases de référence possibles sont les suivantes :

– le droit existant (en particulier les textes législatifs et réglementaires en vigueur) ;

– le droit proposé (texte en discussion) ;

– les différentes versions du texte en discussion précédemment adoptées par l’une des deux chambres.

Le choix entre ces bases se fait toujours, par principe, dans le sens le plus favorable à l’initiative parlementaire.

Le droit proposé peut également résulter d’une intention du Gouvernement entendue comme un engagement sans équivoque et clairement exprimée en commission ou en séance publique. Cette expression doit intervenir préalablement à l’examen de la recevabilité. L’exposé des motifs ou l’étude d’impact de tout projet de loi déposé ou inscrit à l’ordre du jour par le Gouvernement peuvent également être retenus comme une intention du Gouvernement, de même qu’une déclaration non équivoque faite par un membre du Gouvernement, au nom de ce dernier, en séance publique ou en commission.

III. –    L’INTERDICTION RELATIVE DE DIMINUER DES RESSOURCES PUBLIQUES

L’article 40 de la Constitution prohibe la diminution des ressources publiques par une initiative parlementaire. L’emploi du pluriel a pour effet d’autoriser la compensation d’une perte de recettes par l’augmentation d’une autre recette.

Cette compensation, communément désignée sous le terme de « gage », conditionne la recevabilité d’un amendement ou d’une proposition de loi entraînant une perte de recettes. La compensation doit bénéficier à la collectivité ou à l’organisme qui subit la perte de recettes. En conséquence, il n’est, par exemple, pas possible de compenser une perte de ressources subie par l’État par une majoration des impôts perçus par les collectivités territoriales.

Le gage doit être crédible et réel et la recette qui en résulte doit pouvoir être effectivement perçue. Il est cependant admis que le gage puisse consister en la création d’un impôt nouveau ou en la majoration du taux d’un impôt existant, « à due concurrence » de la perte de recettes. Cette pratique facilite la rédaction des amendements et des propositions de loi. 

Lors de la discussion en commission ou en séance publique, le Gouvernement peut être amené à « lever le gage », ce qui conduit à considérer que l’amendement, s’il est adopté, l’est dans une rédaction ne comportant plus de gage.

IV. –    L’INTERDICTION ABSOLUE D’AUGMENTER UNE CHARGE PUBLIQUE

L’article 40 de la Constitution est opposable à une initiative parlementaire qui crée ou aggrave une charge publique. L’emploi du singulier a pour effet, à la différence du pluriel employé pour « les ressources », d’interdire toute compensation : la création ou l’aggravation d’une charge ne peut être gagée, que ce soit par la création ou l’augmentation d’une recette ou par la suppression ou la diminution d’une charge. Ainsi, le fait que la création d’une charge nouvelle génère par ailleurs des économies plus que proportionnelles est sans effet au regard de l’article 40 : l’amendement ou la proposition de loi est irrecevable.

Sont regardées comme des charges les dépenses directes et certaines, mais également les dépenses éventuelles ou facultatives ; ainsi, un amendement est irrecevable dès l’instant où il ouvre une possibilité juridique de dépenser.

En revanche, sont recevables les amendements dont le dispositif institue une simple « charge de gestion », c’est-à-dire une charge qui peut être assumée par la mobilisation de moyens administratifs déjà existants, sans extension des missions des organismes concernés. Sont également recevables les amendements dont l’effet sur les charges publiques est trop indirect ou indiscernable. 

Depuis l’entrée en vigueur de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), les conditions d’application de l’article 40 aux amendements de crédits portant sur les projets de loi de finances ont été précisées et assouplies.

L’article 47 de la LOLF dispose que, pour l’application de l’article 40, « la charge s’entend, s’agissant des amendements s’appliquant aux crédits, de la mission ». Les parlementaires peuvent donc proposer des mouvements de crédits entre les programmes d’une même mission tant qu’ils n’augmentent pas le montant global de cette dernière. 

Les amendements de crédits doivent être précisément motivés : tant l’augmentation des crédits d’un programme que la diminution des crédits d’un ou plusieurs autres programmes doivent être justifiées et faire l’objet d’une imputation précise (par exemple en précisant l’action visée). Les crédits qu’il est proposé de modifier doivent être disponibles, y compris le cas échéant en distinguant les crédits de titre 2 (dépenses de personnel) et les autres crédits.

Les dispositions organiques relatives aux lois de financement de la sécurité sociale prévoient un régime similaire de recevabilité financière. L’article L.O. 111-7-1 du code de la sécurité sociale dispose notamment que « la charge s’entend, s’agissant des amendements aux projets de loi de financement de la sécurité sociale s’appliquant aux objectifs de dépenses, de chaque objectif de dépenses par branche ou de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie ». Les parlementaires peuvent donc présenter des amendements majorant le montant d’un ou plusieurs sous-objectifs inclus dans un objectif de dépenses, à condition de ne pas augmenter le montant de ce dernier, c’est à dire en minorant à due concurrence un ou plusieurs autres sous-objectifs.

V. –    L’APPLICATION DES DISPOSITIONS ORGANIQUES AUX AMENDEMENTS

1. –    LA LOI ORGANIQUE RELATIVE AUX LOIS DE FINANCES

Les amendements, quel que soit leur auteur (3)  et le texte auquel ils s’appliquent, doivent être conformes aux dispositions de la loi organique relative aux lois de finances, en application du dernier alinéa de son article 47. Cette disposition a notamment pour effet de :

– préserver la spécificité des lois de finances en prévenant toute insertion, au sein de celles-ci, de dispositions étrangères à leur domaine ; ces dispositions, qualifiées de « cavaliers budgétaires », ne peuvent figurer en loi de finances. Sur ce fondement, ont par exemple été déclarés irrecevables des amendements relatifs aux relations entre une banque et ses clients ou modifiant une incrimination pénale ;

– protéger le domaine exclusif des lois de finances ; une loi « ordinaire » ne peut comporter aucune des dispositions que la LOLF réserve au domaine exclusif des lois de finances (par exemple, affectation au profit d’un tiers d’une recette établie au profit de l’État, octroi de la garantie de l’État, création d’un prélèvement sur recettes…).

La récente réforme de la LOLF, résultant de la loi organique du 28 décembre 2021 , a réaffirmé la bipartition des lois de finances, tout en faisant évoluer la répartition des dispositions devant figurer en première ou en deuxième partie : toutes les dispositions relatives aux recettes doivent désormais figurer en première partie, quelle que soit leur année d’application ; les dispositions relatives aux dépenses, ou encore à l’information du Parlement sur les finances publiques, doivent figurer en seconde partie. En conséquence, sous peine d’irrecevabilité, les amendements doivent être déposés sur la partie idoine.

2. –    LES DISPOSITIONS ORGANIQUES RELATIVES AUX LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Interdisant les « cavaliers sociaux », c’est-à-dire toutes les dispositions étrangères au domaine des lois de financement de la sécurité sociale, les articles L.O. 111-3-3 à L.O. 111-3-16 du code de la sécurité sociale, tels qu’ils résultent de la loi organique du 14 mars 2022  (LOLFSS), prévoient également la protection du domaine de ces lois spécifiques, notamment de leur domaine exclusif (par exemple, l’affectation à un tiers d’une recette exclusive des régimes sociaux, ou encore la création ou la modification d’une exonération de prélèvements sociaux non compensée ou instaurée pour une durée d’au moins trois ans).

 

(1) Rapport d’information de M. Eric Woerth, président de la commission des finances, sur la recevabilité financière des initiatives parlementaires et la recevabilité organique des amendements à l’Assemblée nationale, n° 5107, février 2022.

(2) Pour une présentation exhaustive du champ d’application de l’article 40, voir le rapport précité sur l’application de l’article 40, pp. 35 à 52.

(3) Y compris, donc, ceux présentés par le Gouvernement, le Conseil constitutionnel ayant relevé, dans sa décision n° 2001-448 DC du 25 juillet 2001 sur la loi organique relative aux lois de finances, que le législateur organique a expressément défini « les conditions de recevabilité des amendements aux projets de lois de finances présentés par le Gouvernement et les membres du Parlement » (cons. 95).


Septembre 2023