Points-clés
Composé de l’Assemblée nationale, chambre élue au suffrage universel direct, et du Sénat, élu au suffrage universel indirect et chargé par la Constitution de représenter les collectivités territoriales de la République, le Parlement français est bicaméral.

En réaction à la pratique des IIIe et IVe Républiques, le constituant de 1958 a entendu limiter les pouvoirs des assemblées en mettant en place des règles dictées par le « parlementarisme rationalisé ».

Les assemblées ont néanmoins affirmé et précisé progressivement leur rôle au sein des institutions de la République. La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a ainsi permis de renforcer ce rôle, tant la fonction législative que celle de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques qui incombent au Parlement.

 

Les caractères généraux du pouvoir législatif en France peuvent se résumer à une double affirmation :

–    le pouvoir législatif est bicaméral et partagé de manière inégale entre deux assemblées parlementaires ;

–    son exercice est encadré par les règles inspirées du parlementarisme rationalisé.

I. – LE BICAMÉRISME

1. – CARACTÈRES GÉNÉRAUX DU BICAMÉRISME FRANÇAIS

Le Parlement français de la Ve République est bicaméral : il se compose de l’Assemblée nationale et du Sénat. Les deux assemblées siègent dans des locaux distincts (le Palais Bourbon est affecté à l’Assemblée nationale et le Palais du Luxembourg au Sénat).

Le bicamérisme a longtemps été considéré dans l’histoire constitutionnelle française soit comme un recours contre les excès des assemblées uniques (ainsi, en 1795, en réaction à la toute-puissance de la Convention, ou sous le Second Empire, après la parenthèse républicaine de 1848-1851), soit comme un facteur d’affermissement de l’exécutif par le fractionnement du pouvoir législatif (le point extrême étant atteint avec les constitutions du Consulat et de l’Empire, mettant en place un Parlement tricaméral).

Le bicamérisme moderne est d’une nature différente. Dans de nombreux pays, en particulier dans les États fédéraux, la seconde assemblée assure la représentation, à côté de celle de la population, des entités territoriales, régionales ou fédérées (Allemagne, Belgique, Espagne, États-Unis, etc.). C’est un choix similaire qui a été fait par la France. La Constitution de la Ve République institue ainsi un bicamérisme dans lequel coexistent une Assemblée nationale, élue au suffrage universel direct et représentant les citoyens, et un Sénat élu au suffrage universel indirect et représentant les collectivités territoriales de la République.

Comme dans la plupart des Parlements composés de deux assemblées (à l’exception notable du Parlement italien), le bicamérisme français est inégalitaire, l’Assemblée nationale disposant de pouvoirs plus étendus que ceux du Sénat :

–    elle seule peut mettre en cause la responsabilité du Gouvernement en lui refusant sa confiance ou en votant une motion de censure (dans la même logique, seule l’Assemblée nationale est susceptible d’être dissoute par le Président de la République) ;

–    en cas de désaccord avec le Sénat, le Gouvernement peut décider de donner à l’Assemblée nationale le « dernier mot » dans la procédure législative (sauf pour les lois constitutionnelles et les lois organiques relatives au Sénat) ;

–    la Constitution attribue à l’Assemblée nationale une place prépondérante dans l’examen du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale se traduisant, d’une part, par une exigence de dépôt en première lecture devant l’Assemblée et, d’autre part, par l’octroi de délais d’examen plus longs.

Dans la quasi-totalité des autres domaines, les deux assemblées disposent des mêmes pouvoirs.

Si les deux assemblées n’ont pas exactement les mêmes attributions, elles n’ont pas non plus la même notoriété. Les citoyens connaissent mieux l’Assemblée nationale et les députés qu’ils ont directement élus ; les médias relatent de manière plus suivie les travaux de l’Assemblée nationale, car ses débats se placent plus au cœur des enjeux de pouvoir et parce que la plupart des grands leaders politiques en sont membres ou en sont issus.

2. – LE SÉNAT DE LA VE RÉPUBLIQUE

La première caractéristique du Sénat est sa permanence : à la différence de l’Assemblée nationale, il ne peut être dissous. C’est cette permanence qui justifie, notamment, que la Constitution de la Ve République confie au Président du Sénat l’exercice provisoire des fonctions du Président de la République si celui-ci est empêché, s’il démissionne ou vient à mourir. Cet intérim est limité au temps nécessaire à l’organisation de l’élection présidentielle (dans les faits, il dure une cinquantaine de jours).

La spécificité du Sénat réside ensuite dans le rôle de représentation des collectivités territoriales que lui attribue l’article 24 de la Constitution. De ce rôle, découle le mode de désignation des sénateurs.

Le Sénat compte 348 sénateurs élus pour six ans au suffrage universel indirect. Il se renouvelle par moitié tous les trois ans.
Les sénateurs sont élus par un collège d’environ cent soixante mille grands électeurs (qui sont obligés de participer au vote). Ce collège est composé :

–    des députés, sénateurs, conseillers régionaux élus dans le département ou conseillers élus dans des collectivités similaires à statut particulier, conseillers départementaux ;

–    des délégués des conseils municipaux dont le nombre est fonction de la population de la commune :

   * 1 à 15 délégués pour les communes de moins de neuf mille habitants ;

   * l’ensemble des conseillers municipaux pour les communes ayant une population comprise entre neuf mille et trente mille habitants ;

   * tout le conseil municipal auquel s’ajoute un délégué supplémentaire (élu au scrutin proportionnel par le conseil municipal lui-même) par tranche de huit cents habitants pour les communes au-dessus de trente mille habitants.

Ce système aboutit à une très forte représentation des petites communes rurales au sein du collège des grands électeurs, puisqu’on compte environ trente mille communes de cette nature en France.

Le mode de scrutin diffère selon les circonscriptions :

–    dans les circonscriptions élisant un ou deux sénateurs, le scrutin est majoritaire à deux tours ;

–    dans celles élisant trois sénateurs ou plus, le scrutin a lieu à la représentation proportionnelle avec application de la règle de la plus forte moyenne pour la répartition des restes.

Tout candidat à la fonction de sénateur doit être âgé d’au moins vingt-quatre ans.

De ce rôle de représentation des collectivités territoriales découle également la priorité d’examen, reconnue par l’article 39 de la Constitution, des projets de loi ayant pour objet principal l’organisation desdites collectivités.

Avant la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, seul le Sénat représentait les Français établis à l’étranger, lesquels élisent au scrutin indirect 12 sénateurs. C’est pourquoi le Sénat examinait avant l’Assemblée les projets de loi relatifs aux instances représentatives des Français établis hors de France. Désormais, les Français établis hors de France sont représentés aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, ce qui s’est traduit par la suppression de la priorité d’examen accordée au Sénat pour ces projets de loi.

II. – LE PARLEMENTARISME RATIONALISÉ

1. – APPLICATION DES PRINCIPES DU PARLEMENTARISME RATIONALISÉ

Un des principaux objectifs des constituants de 1958 était de mettre fin à l’instabilité gouvernementale qui avait prévalu pendant les IIIe et IVe Républiques.

Selon Michel Debré, « la stabilité gouvernementale ne peut résulter d’abord de la loi électorale ; il faut qu’elle résulte de la réglementation constitutionnelle ». Celle-ci devait comprendre « quatre séries de mesures : un strict régime des sessions ; un effort pour définir le domaine de la loi ; une réorganisation profonde de la procédure législative ; une mise au point des mécanismes juridiques indispensables à l’équilibre et à la bonne marche des fonctions politiques ».

La transposition de ces mesures dans la Constitution a pris, en 1958, des formes diverses :

–    deux sessions d’à peu près trois mois chacune par an ;

–    maîtrise de l’ordre du jour des assemblées par le Gouvernement ;

–    limitation de l’initiative législative des parlementaires et de leur droit d’amendement au regard du domaine de la loi défini par la Constitution et des règles de recevabilité financière ;

–    examen préalable par le Conseil constitutionnel des règlements des assemblées ;

–    limitation à six du nombre des commissions permanentes ;

–    large maîtrise par le Gouvernement de la procédure législative (déclaration d’urgence, convocation d’une commission mixte paritaire, recours au vote bloqué, etc.) ;

–    strict encadrement de la procédure budgétaire ;

–    possibilité de faire adopter une loi sans vote sauf à renverser le Gouvernement (article 49, alinéa 3, de la Constitution) ;

–    stricte définition des conditions de mise en cause de la responsabilité gouvernementale.

2. – LA MODERNISATION DU RÔLE DU PARLEMENT

L’ensemble de ces mesures avait pour objectif prioritaire d’encadrer le rôle du Parlement. De fait, le Parlement vit son rôle devenir plus marginal dans les années qui suivirent la mise en place du nouveau régime. La personnalité du Général de Gaulle, premier Président de la Ve République, associée au fait que les pratiques parlementaires de la IVe République étaient encore dans tous les esprits, explique ce recul temporaire.

Mais le Parlement, en cherchant les voies de sa modernisation, a progressivement reconquis une partie de son influence.

Plusieurs réformes intervenues au cours des dernières décennies ont accompagné cette évolution :

–    la progression constante des activités de contrôle du Parlement (multiplication des commissions d’enquête, institution des missions d’information auprès des commissions permanentes, apparition et développement de la procédure des questions au Gouvernement, création d’offices et de délégations parlementaires, etc.) ;

–    l’institution, depuis 1995, de la session ordinaire unique de neuf mois succédant au système des deux sessions de trois mois chacune ;

–    l’intervention du Parlement depuis 1996 sur la question du financement de la sécurité sociale par l’adoption d’un nouveau type de loi ;

–    la mise en œuvre à partir de 2005 d’une nouvelle procédure d’adoption des lois de finances, renforçant sensiblement le rôle du Parlement dans le domaine budgétaire.

La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 s’est traduite par plusieurs nouvelles évolutions importantes, prolongeant ce mouvement de renforcement du rôle et des pouvoirs du Parlement :

–    si, depuis 1995, une séance par mois avait été réservée prioritairement à l’ordre du jour fixé par chaque assemblée, la Constitution prévoit désormais le partage de la maîtrise de l’ordre du jour entre chaque assemblée et le Gouvernement. Deux semaines sur quatre sont réservées par priorité à l’examen des textes et débats demandés par le Gouvernement, mais les deux autres semaines sont consacrées à un ordre du jour défini par chaque assemblée ; néanmoins, le Gouvernement peut toujours faire inscrire par priorité à l’ordre du jour plusieurs catégories de textes, dont les projets de loi de finances et les projets de loi de financement de la sécurité sociale ;

–    l’accroissement des pouvoirs du Parlement dans la procédure législative. La discussion en séance, en première lecture, d’un projet ou d’une proposition de loi ne peut désormais intervenir qu’à l’expiration d’un délai de six semaines après son dépôt ou de quatre semaines entre sa transmission par la première assemblée saisie et la discussion, sauf lorsque le Gouvernement a engagé la procédure accélérée à laquelle les Conférences des présidents des assemblées peuvent, de façon conjointe, s’opposer ; les projets de loi doivent être accompagnés d’études d’impact ; la discussion des projets et propositions de loi en séance – à l’exception des projets de loi de finances, de financement de la sécurité sociale et constitutionnels – porte désormais sur le texte adopté par la commission ; les Présidents des deux assemblées peuvent, en agissant conjointement, provoquer la réunion d’une commission mixte paritaire sur une proposition de loi ;

–    la limitation de la possibilité pour le Gouvernement de recourir aux dispositions de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution (adoption d’une loi sans vote) à un seul texte au cours d’une même session, en dehors des projets de loi de finances et des projets de loi de financement de la sécurité sociale, sur lesquels il peut toujours engager sa responsabilité ;

–    le passage de six à huit du nombre de commissions permanentes ;

–    la possibilité pour les assemblées de voter des résolutions, celles qui sont de nature à mettre en cause la responsabilité du Gouvernement ou qui contiennent des injonctions à son égard étant cependant irrecevables ;

–    le développement des moyens de contrôle et d’évaluation, par l’augmentation du nombre maximal des commissions permanentes, passé de six à huit, la création, à l’Assemblée nationale, d’un comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques et l’introduction du principe de l’assistance du Parlement par la Cour des comptes dans le contrôle de l’action du Gouvernement et l’évaluation des politiques publiques ;

–    la soumission de certaines nominations relevant du Président de la République à l’avis des commissions permanentes compétentes de chaque assemblée ;

–    l’information du Parlement par le Gouvernement de sa décision de faire intervenir des forces armées à l’étranger et, lorsque cette intervention excède quatre mois, l’obligation pour le Gouvernement de soumettre sa prolongation à l’autorisation du Parlement.


Septembre 2023