N° 3445 - Rapport d'information de M. Michel Herbillon déposé par la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne sur le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation, (COM [2006] 91 final/n° E 3102)




N° 3445

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 novembre 2006

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA DÉLÉGATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

POUR L'UNION EUROPÉENNE (1),

sur le Fonds européen d'ajustement à la mondialisation,
(COM [2006] 091 final/n° E 3102)

ET PRÉSENTÉ

par M. Michel HERBILLON,

Député.

________________________________________________________________

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Jean-Pierre Abelin, Mme Elisabeth Guigou, M. Christian Philip, vice-présidents ; MM. François Guillaume, Jean-Claude Lefort, secrétaires ; MM. Alfred Almont, François Calvet, Mme Anne-Marie Comparini, MM. Bernard Deflesselles, Michel Delebarre, Bernard Derosier, Nicolas Dupont-Aignan, Jacques Floch, Pierre Forgues, Mme Arlette Franco, MM. Daniel Garrigue, Michel Herbillon, Marc Laffineur, Jérôme Lambert, Robert Lecou, Pierre Lellouche, Guy Lengagne, Louis-Joseph Manscour, Thierry Mariani, Philippe-Armand Martin, Jacques Myard, Christian Paul, Axel Poniatowski, Didier Quentin, André Schneider, Jean-Marie Sermier, Mme Irène Tharin, MM. René-Paul Victoria, Gérard Voisin.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 7

I. L'OBJECTIF : UN FONDS « ANTICHOC » POUR UNE EUROPE SOCIALE PLUS SOLIDAIRE, PLUS VISIBLE ET PLUS PRÉSENTE FACE À LA MONDIALISATION 11

A. La mondialisation a sur les économies développées, notamment en Europe, des effets ambivalents, favorables à certains égards mais également défavorables 11

B. Ses effets négatifs, qui se traduisent souvent par des chocs lourds, concernent plus particulièrement le secteur manufacturier et les salariés les plus fragiles 15

1) Une pression qui s'exerce surtout sur l'industrie, mais également sur certains services 15

2) Une grande vulnérabilité des salariés peu qualifiés, qui perdent plus fréquemment leur emploi et subissent une perte de salaire lorsqu'ils en retrouvent un 17

3) Un impact inégal selon les Etats membres 18

4) De grandes opérations de restructuration emblématiques perçues comme autant de chocs 19

C. Le FEM donne à l'Europe les moyens d'une réponse innovante, rapide et lisible 20

1) Une aide directe de l'Europe au salarié touché de plein fouet par les restructurations 20

2) Un traitement « à chaud » complémentaire aux fonds structurels dédiés aux actions de moyen et long termes 21

3) Une initiative essentielle pour couper court aux doutes sur l'efficacité sociale de l'Europe, notamment pour la France où la mondialisation est perçue d'une manière particulièrement négative 22

4) Une application trop stricte du principe de subsidiarité, qui reviendrait au statu quo et à l'immobilisme, doit donc être écartée 24

5) Le TAA, un précédent américain intéressant, qui a constamment évolué 25

II. LES ANALYSES ET LES OPINIONS : UNE INITIATIVE PEU DISCUTÉE DANS SON PRINCIPE, CAR ÉCONOMIQUEMENT PERTINENTE POUR COMPLÉTER LA STRATÉGIE DE LISBONNE 27

A. Le point de vue économique : le FEM est incontestable comme complément, mais non comme substitut, aux réformes de fond qu'exige la mondialisation 27

1) Le principe d'un soutien spécifique aux victimes de la mondialisation est justifié 27

a) Une aide utile 27

b) Une contribution à une meilleure compréhension des effets de la mondialisation à court terme et à moyen terme 29

c) Une incitation à l'amélioration des politiques du marché du travail des Etats membres 30

d) Une contribution à la diffusion de la « flexicurité » 31

2) Un des éléments d'une véritable stratégie économique d'ensemble 31

a) Le FEM ne peut être ni un rempart ni la réponse unique face à la mondialisation, et devra faire l'objet d'une communication adaptée pour éviter tout risque d'incompréhension 31

b) Sa mise en place ne doit pas occulter l'importance de la stratégie de Lisbonne, seule voie d'adaptation pour que l'économie européenne fasse partie des bénéficiaires de la mondialisation 33

c) La question d'une meilleure gouvernance économique de la zone euro reste par ailleurs ouverte 34

d) Il en est de même de celle de la préférence communautaire 36

B. Le débat politique : un accueil dans l'ensemble favorable malgré certaines réserves 36

1) Des partenaires sociaux, notamment les syndicats de salariés, qui soutiennent la création du fonds 36

2) Des Etats membres inégalement convaincus de l'utilité et de la portée du Fonds, selon leur propre expérience et leur vision de la mondialisation, mais qui n'y font pas obstacle 38

3) Des oppositions minoritaires au sein du Parlement européen 40

4) Des avis positifs du Comité économique et social européen comme du Comité des régions 41

III. LE DISPOSITIF CONCRET : UNE ARCHITECTURE FONDÉE SUR LA RIGUEUR, LA SOUPLESSE ET LA RAPIDITÉ QUI N'APPELLE EN L'ÉTAT D'AMENAGEMENT SUBSTANTIEL QUE SUR LES SEULS CRITÈRES D'INTERVENTION 43

A. Le dispositif proposé par la Commission, prévu pour être opérationnel dès le 1er janvier 2007, doit encore être aménagé dans le sens des propositions convergentes du Parlement européen et de la présidence finlandaise 43

1) La Commission a proposé un cadre à la fois opérationnel, précis et souple, qui doit être conservé 43

a) Des critères d'intervention fondés sur un seuil de 1.000 emplois supprimés en raison des mutations du commerce international 43

b) Une procédure simple de dépôt des dossiers par les Etats membres pour un cofinancement rapide par l'Union des dépenses éligibles 45

c) Une enveloppe annuelle de 500 millions d'euros, prévue par les perspectives financières 2007-2013, qui devrait concerner 50.000 salariés par an 47

d) La complémentarité avec les autres instruments communautaires 48

e) Un calendrier exigeant qui doit être respecté 49

2) Les ajustements convergents proposés sur les points en débat par la présidence finlandaise comme par le Parlement européen, portent essentiellement sur les critères d'intervention et doivent être soutenus 50

a) Une simplification et un assouplissement de ces critères dans le respect du seuil de 1.000 salariés licenciés, notamment grâce à l'introduction d'une clause de sauvegarde 50

b) Des améliorations de fond sur les autres points en débat 53

c) L'opportunité d'un maintien du cofinancement communautaire au taux de 50 % 55

B. Pour l'avenir, le réexamen prévu dans le cadre de la clause de rendez-vous devra faire l'objet d'un grand pragmatisme, tout en confirmant la rigueur des conditions et critères d'intervention du FEM 56

1) Une clause de révision qui ouvre la faculté d'une révision à brève échéance 56

2) Des hypothèses de modifications substantielles qui devront être examinées avec une grande rigueur 57

a) L'adaptation des critères d'intervention à la lumière de l'expérience 57

b) La question des délocalisations intracommunautaires pourrait être évoquée 57

c) Le niveau de l'enveloppe budgétaire 58

TRAVAUX DE LA DELEGATION 59

PROPOSITION DE RESOLUTION 63

ANNEXE : Liste des personnes entendues par le rapporteur 65

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La proposition de règlement soumise à l'examen de l'Assemblée nationale, visant à créer un Fonds européen d'ajustement à la mondialisation (FEM), représente un tournant important pour l'Europe sociale.

Elle vient compléter ses actuels instruments par un dispositif opérationnel qui concerne très directement les aspects les plus concrets et les plus immédiats de la mondialisation, à savoir les suppressions d'emplois.

Elle trouve donc toute sa place aux côtés de l'approche stratégique de l'Agenda de Lisbonne, qui vise à faire de l'Europe un espace économique leader dans les nouvelles technologies et dans l'économie de la science et de la connaissance, en tentant de combler l'écart avec les Etats-Unis.

Le FEM parachève également le cadre des actuels fonds structurels européens, lesquels visent à transformer en profondeur, par des efforts programmés de formation et de qualification des personnes, les structures du marché du travail des régions défavorisées des Etats membres.

A côté de la panoplie des politiques et réformes de fond qui visent à développer la compétitivité, grâce au renforcement de l'éducation, de la formation et des qualifications professionnelles, comme de l'innovation par la promotion des nouvelles technologies, l'Europe va, en effet, procéder à des interventions directes pour aider les licenciés économiques à rester sur le marché du travail.

Cette perspective s'appuie sur l'exemple des Etats-Unis où un programme d'ajustement au commerce international, le US Trade Adjustment Assistance (TAA) a été institué en 1962 par le US Trade Expansion Act, à l'occasion de la mise en œuvre des réductions tarifaires multilatérales alors prévues dans le cadre du GATT. Ce dispositif a été remanié plusieurs fois, notamment pour le rendre plus opératoire.

La mise en place, que d'aucuns jugeront très tardive, de ce nouvel instrument communautaire est le fruit d'une réflexion de long terme, à l'origine initiée par M. Jacques Delors. Celle-ci a été assez récemment relancée, d'abord par l'ancienne Commission européenne, présidée par M. Romano Prodi, sous l'égide tant du commissaire européen au commerce d'alors, M. Pascal Lamy, que de celui chargé des affaires sociales, Mme Anna Diamantopoulou.

Ensuite, lors des négociations sur les perspectives financières 2007-2013, l'actuelle Commission, présidée par M. José Manuel Barroso, a esquissé, le 5 avril 2005, un « fonds d'ajustement à la croissance », doté d'environ un milliard d'euros par an, afin d'aider les travailleurs de l'Union et les régions touchées par les changements économiques. « Nous voulons aider les travailleurs à s'adapter aux changements et fournir des nouvelles chances pour ouvrir la voie de la prospérité », a alors expliqué M. Vladimir _pidla, commissaire européen responsable de l'emploi, des affaires sociales et de l'égalité des chances.

L'objectif indiqué était de transposer au domaine social les principes qui avaient présidé à l'édification du Fonds de solidarité, destiné à manifester de façon rapide, efficace et flexible la solidarité européenne envers la population d'un Etat membre victime d'une catastrophe naturelle majeure. Ce Fonds dispose d'un budget annuel d'un milliard d'euros.

A l'époque, cette proposition d'un fonds d'ajustement à la croissance n'a pas été retenue, parce que le débat sur le plafond des dépenses était vif et, également, parce que la question de la correction des effets de la mondialisation sur l'emploi relève plus des Etats membres, et non de l'Union, en application du principe de subsidiarité, bien que la Commission ait fait part de son intérêt appuyé pour les restructurations économiques dans le cadre de la communication du 31 mars 2005, « restructurations et emplois - anticiper et accompagner les restructurations pour développer l'emploi : le rôle de l'Union européenne ».

Néanmoins, l'intérêt d'un tel fonds a été ultérieurement mis en évidence par deux éléments.

Le premier est intervenu au Royaume-Uni, en avril 2005, avec la disparition du constructeur automobile MG Rover, laquelle a entraîné la perte de plus de 6.200  emplois dont, dans l'immédiat, quelque 5.300 emplois directs dans le secteur manufacturier.

Le deuxième a suivi peu après, avec l'annonce au mois de septembre 2005, par Hewlett Packard, de la suppression de quelque 6.000 postes en Europe, dont 1.240 en France, sur le site de Grenoble, pour l'essentiel. Ce plan de réduction de postes concernait 15 % des effectifs européens de l'entreprise et 25 % de ses effectifs français.

Le Président de la République, M. Jacques Chirac, a alors regretté que la Commission se désintéresse de tels dossiers sociaux.

En réponse, le Président de la Commission, M. José Manuel Barroso, a indiqué qu'il n'avait pas reçu de « demandes concrètes », et qu'il existait « une éthique de la responsabilité européenne qui nous oblige à expliquer aux citoyens ce que chacun peut faire ».

Il s'est, en outre, appuyé sur les négociations communautaires les plus récentes, rappelant que « la Commission avait proposé la création d'un fonds pour faire face aux effets de la mondialisation et que ce fonds avait été refusé par certains Etats, dont la France ». Il a ajouté que lorsqu'il avait placé l'emploi « en tête des priorités de son mandat », il avait été « critiqué », certains s'étant demandés « pourquoi la Commission se mêlait d'un problème qui n'est pas de sa responsabilité ».

Ce qui aurait pu devenir une polémique stérile a peu après pris fin lors de la réunion informelle des chefs d'Etat ou de gouvernement, qui s'est tenue le 27 octobre 2005 à Hampton Court, près de Londres. A alors été avalisée la proposition de créer un fonds d'ajustement pour faire face aux conséquences dommageables de la mondialisation, que le Président de la Commission venait de renouveler dans sa lettre du 20 octobre 2005 aux présidents du Conseil de l'Union européenne et du Parlement européen.

Formellement, la décision de principe de créer le FEM est ensuite intervenue lors du Conseil européen des 15 et 16 décembre 2005.

La proposition qui est soumise à l'examen de la Délégation vise à en fixer les modalités concrètes d'application.

Celles-ci sont largement calquées sur celles en vigueur pour le Fonds de solidarité pour les catastrophes naturelles, et n'appellent en l'état d'importants ajustements que sur les seuls critères d'intervention du FEM.

Tant le caractère incontestable de l'objectif poursuivi, rapprocher l'Europe sociale du salarié grâce à un dispositif concret qui illustre la pertinence du choix d'une Europe des projets, que la pertinence du choix économique sur lequel repose la création du FEM ont largement contribué à réduire le débat à des questions assez techniques.

Il n'appartient pas au présent rapport de faire le bilan de la mondialisation de l'économie et de ses conséquences sur l'emploi. Ce sujet est, en effet, traité par la mission d'information sur les délocalisations créée par la Commission des affaires économiques, mission présidée par M. Jérôme Bignon, député, Mme Chantal Brunel, députée, en étant la rapporteure. Il ne lui revient pas non plus d'identifier les conditions dans lesquelles la mondialisation pourrait être plus harmonieuse dans la répartition de ses bénéfices entre les entreprises, les consommateurs et les salariés, ou entre les Etats, et de distinguer ainsi la part « légitime » du commerce international de celle imputable au « dumping social », à la concurrence fiscale, aux infractions environnementales ou, encore, à l'irrespect des règles de protection de la propriété intellectuelle.

Il lui incombe seulement de rappeler que le rythme du processus de renouvellement du tissu économique, de destruction/création d'activités, tel qu'il a été identifié au début du siècle dernier par l'économiste autrichien Joseph Schumpeter, s'est fortement accéléré sous l'effet du développement sans précédent des échanges internationaux. Au total, la Commission européenne estime que chaque année 10  % des entreprises sont créées et détruites, soit une durée de vie moyenne assez faible.

Les causes en sont fort bien décrites par M. Thomas Friedman dans son ouvrage « La terre est plate : une brève histoire du XXIème siècle » (Saint-Simon). Le développement des moyens de transport et de communication, d'Internet notamment, permet à des entreprises implantées dans différents continents d'avoir des relations commerciales qu'elles n'auraient jamais eues sinon. L'effet sur l'économie mondiale en est bénéfique dès lors qu'il renforce l'un des moteurs de l'expansion continue et sans précédent des cinquante dernières années, à savoir le commerce mondial dont la croissance a toujours été supérieure à celle de la production depuis un demi-siècle, comme le rappelle, pour les biens, le graphique suivant, publié par l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Croissance comparée de la production
et du commerce international des biens

Source : OMC.

Une grande partie de ce développement du commerce mondial est d'ailleurs liée à des stratégies d'entreprises multinationales, qui opèrent des transferts de marchandises ou de services d'un Etat à l'autre entre différentes unités implantées selon des arbitrages entre plusieurs facteurs, parmi lesquels, mais pas uniquement, les coûts salariaux jouent un rôle essentiel.

Si la mondialisation crée des opportunités pour certains secteurs et certaines entreprises, celles qui exportent et celles qui bénéficient des progrès du niveau de vie d'une manière générale, elle est également source de difficultés pour d'autres.

En effet, des entreprises et des salariés qui opéraient dans des conditions économiques très différentes se retrouvent en concurrence. Cette dernière est d'autant plus forte que les transferts de technologies sont devenus plus rapides et plus aisés, et que, comme le rappellent dans le rapport du Conseil d'analyse économique, Désindustrialisation, délocalisations (2005), MM. Lionel Fontagné et Jean-Hervé Lorenzi, les coûts horaires moyens sont très différents d'un Etat à l'autre. Ceux d'une grande entreprise française en 2002 (taux de change 2003) étaient ainsi de 4 euros au Mexique et au Brésil, 1,30 euro en Chine contre 28 euros en France et 24 euros aux Etats-Unis.

De manière concrète, non seulement l'Europe orientale et la Russie, mais également la Chine et l'Inde, notamment, sont entrés dans la compétition mondiale ou y ont renforcé leur rôle depuis maintenant plus de quinze ans. Il en résulte une modification de la division internationale du travail entre les continents et les pays.

Pour les pays les plus anciennement développés d'Europe de l'Ouest, des Etats-Unis ou du Japon, ces effets se mesurent soit à une hausse massive des importations à moindre prix, soit à une diminution de leurs parts de marché au niveau mondial, sans que le mécanisme de création des nouvelles activités grâce à l'innovation et à l'invention des nouveaux produits ne permette de compenser rapidement les diminutions d'emplois correspondantes.

Selon un article de MM. Paul Swaim et Raymond Torres, de la direction de l'emploi, du travail et des affaires sociales de l'OCDE, publié dans l'Observateur de l'OCDE (septembre 2005), de 4 à 17 % des licenciements et délocalisations résulteraient des échanges ou des investissements internationaux.

L'Europe est, pour sa part, particulièrement sensible aux délocalisations d'activités ou au simple accroissement des capacités de sous-traitance dans les pays émergents, en raison de l'ouverture de son économie sur le reste du monde.

Avec plus de 18 % du volume total cumulé des importations et des exportations dans le monde, l'Union européenne est, en effet, la première puissance commerciale de la planète, devant les Etats-Unis, le Japon et la Chine. Elle représente ainsi 20 % des exportations mondiales, contre 13 % pour les Etats-Unis et 8 % pour la Chine, selon les données de l'OCDE. Corrélativement, le commerce extérieur des Vingt-cinq représente près de 10 % de son PNB (9,3 % en 2003).

Corrélativement, les échanges de l'Europe avec les pays émergents, notamment ceux d'Asie, pour les importations de biens à haute intensité de main d'œuvre, se sont fortement accrus, ces dernières années, comme l'a rappelé Eurostat dans un communiqué du 7 septembre dernier : « entre 1999 et 2005, tant les exportations que les importations de biens de l'UE25 avec les 13 pays asiatiques participant au Sommet Asie-Europe (ASEM : Asia-Europe Meeting) ont augmenté de plus de 60 %, les exportations passant de 99 milliards d'euros à 161 milliards et les importations de 206 milliards à 336 milliards. Le déficit de la balance commerciale de l'UE25 avec les partenaires de l'ASEM s'est creusé et est passé de 107 milliards en 1999 à 175 milliards en 2005.

« Les partenaires de l'ASEM ont représenté environ 22 % du total du commerce extérieur de biens de l'UE25 en 2005: 15 % des exportations et 28 % des importations. La part totale des partenaires de l'ASEM n'a toutefois pas changé de façon significative par rapport à 1999, l'importance accrue de la Chine dans le commerce de l'UE25 ayant été contrebalancée par la diminution de la part du commerce avec le Japon. »

Cette substitution de la Chine au Japon dans les fournisseurs de l'Europe n'a pas été neutre en termes d'emplois, traduisant un renforcement notable des importations de marchandises à bas prix.

L'Europe doit donc plus que toute autre entité économique être attentive aux décalages entre les disparitions d'emplois et les créations d'emplois, avec de manière plus précise :

- une différence de calendrier, les suppressions d'activités ou d'emplois intervenant plus vite que les créations ;

- un décalage sectoriel et de qualification, les activités nouvelles étant différentes de celles qui disparaissent ;

- un écart d'ordre territorial, les anciennes et nouvelles activités n'étant pas implantées sur les mêmes territoires.

Les suppressions d'emplois comme la pression à la baisse sur le niveau des salaires, dues à la concurrence croissante des pays émergents, ne concernent pas tous les secteurs d'activités ni tous les salariés des pays européens, ni même tous les pays, de la même manière.

1) Une pression qui s'exerce surtout sur l'industrie, mais également sur certains services

S'agissant des secteurs d'activité, les effets de l'internationalisation de l'économie sont les plus marqués dans le secteur manufacturier, celui-là même où la part des émergents s'accroît.

Pour les Etats membres, la diminution de l'emploi entre le premier trimestre de 2001 et le premier trimestre de 2005, y a été estimée, d'après les données d'Eurostat, par le Trade Union Congress (TUC), dans le cadre d'une étude intitulée Globalisation and the comprehensive spending review, diffusée en août 2006. Les évolutions négatives affectent plus particulièrement le Royaume-Uni (-16,6 %), la Suède (-11 %), la France (-9,4 %) et le Danemark (-8,5 %).

L'ampleur de l'effet global de la mondialisation sur l'emploi industriel est cependant discutée. Dans le rapport précité du Conseil d'analyse économique, MM. Lionel Fontagné et Jean-Hervé Lorenzi l'estiment à 1 % au maximum. Dans un document de travail du CEPII de 2006, MM. H. Bouhol et L. Fontagné (desindustrialisation and the fear of relocations in the industry) jugent que sur la période 1970-2002, les importations provenant de pays en développement expliqueraient, pour les pays de l'OCDE, environ 20 % de la diminution de l'emploi industriel. Ce résultat peut cependant être relativisé par trois éléments. D'une part, certains anciens émergents tels que la Corée du Sud, comprise dans le périmètre de l'étude, ont changé de statut, ce qui fausse les résultats. D'autre part, la part des emplois industriels perdus au titre du commerce avec les pays en développement est supérieure à 30 % pour certains pays, notamment l'Italie (36,8 %). Enfin, il faudrait tenir compte des effets indirects de la pression de la concurrence qui pousse à des gains de productivité permanents dans le secteur et diminue, par ailleurs, les facultés d'exportations.

Pour la période plus récente, les données collectées par l'Observatoire européen des restructurations pour la période allant de 2002 à mi-2004, données reprises par MM. Lionel Fontagné et Jean-Hervé Lorenzi dans le rapport précité du Conseil d'analyse économique, indiquent que 56.000 suppressions d'emplois sont directement imputables à la mondialisation, sur un total de 780.000 emplois détruits, soit 7 % du total.

En ce qui concerne le détail des secteurs touchés, il faut naturellement citer celui des biens de consommation, comme l'observe pour l'Allemagne et la France M. Patrick Artus, dans le Flash Economie de CDC IXIS, du 19 juillet 2006, intitulé « Qui faut-il protéger avec la mondialisation ? ». L'Italie est, quant à elle, affectée pour les biens intermédiaires et les biens d'équipement.

M. Louis de Gimel, du Service des études et statistiques industrielles de la direction générale de l'industrie, des technologies de l'information et des postes, du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, rappelle dans le complément B au rapport précité du Conseil d'analyse économique, qu'au-delà des secteurs de l'habillement cuir et du textile, les importations industrielles directes issues de pays de délocalisation concernent également les technologies de l'information et des communications (TIC), avec les équipements du foyer et les composants électroniques, ainsi que les équipements électriques et électroniques. Les produits concernés proviennent essentiellement d'Asie, Japon exclu. La métallurgie connaît aussi un mouvement semblable, mais de moindre ampleur.

La pression de la mondialisation concerne également certaines prestations de services.

La Commission européenne rappelle, dans son étude d'impact annexée à la présente proposition de règlement, que la saisie de données, les centres d'appels, le développement de programmes ou les fonctions d'aides à la gestion sont délocalisables. L'ouvrage précité de M. Thomas Friedman « La terre est plate » en donne plusieurs illustrations. Les cas les plus emblématiques sont ceux des délocalisations de centres informatiques ou de centres d'appels anglophones en Inde. Par ailleurs, une étude du département de l'industrie et du commerce du Royaume-Uni (Liberalisation and globalisation : Maximising the Benefits of International Trade and Investment, 2004, Department of Trade and Industry Economic Papers) rappelle que la Banque mondiale a évalué entre 12 % et 16 % la part des emplois de services qui pourraient éventuellement disparaître. Pour sa part, le Bureau international du travail a estimé à 5 % la proportion des emplois de services concurrencés par les pays à faible coût de main d'œuvre.

Enfin, point n'est besoin de rappeler que les protections dont bénéficient les marchés agricoles ont été l'un des enjeux majeurs des dernières négociations commerciales internationales multilatérales, et qu'elles sont notamment à l'origine de l'actuel échec du cycle de Doha.

2) Une grande vulnérabilité des salariés peu qualifiés, qui perdent plus fréquemment leur emploi et subissent une perte de salaire lorsqu'ils en retrouvent un

Dans leur article précité de l'Observateur de l'OCDE, MM. Paul Swaim et Raymond Torres, de la direction de l'emploi, du travail et des affaires sociales de l'OCDE, observent que tous les salariés ne sont pas concernés d'une manière égale par la mondialisation, au-delà du risque sectoriel déjà mentionné.

Ce sont, en effet, les travailleurs potentiellement les moins mobiles qui sont les plus touchés : il sont dans l'ensemble moins qualifiés et plus âgés que la moyenne des salariés, ainsi que plus anciens dans leur poste de travail. Ils éprouvent également plus de difficultés à retrouver un emploi et lorsqu'ils y parviennent enfin, ils subissent des pertes de salaires plus importantes.

En Europe, selon l'OCDE, 52 % seulement des salariés ayant perdu un emploi dans les secteurs industriels à forte concurrence internationale avaient retrouvé un emploi dans les deux ans, contre 57 % pour l'ensemble des salariés licenciés, en moyenne.

La perte de salaire lors du retour à l'emploi a pour sa part été estimée par plusieurs travaux cités par l'étude d'impact de la Commission européenne. Les estimations des écarts sont très variables allant de 1 % à 30 % pour les extrêmes, mais se situant entre 10 % et 15 % pour l'essentiel.

Selon l'étude précitée du Trade Union Congress (TUC), publiée en août 2006 et intitulé Globalisation, la perte de salaire consécutive à une période chômage pouvait atteindre plus de 10 %, notamment en France et au Royaume-Uni. Pour les salariés du groupe MG Rover qui ont perdu leur emploi en avril 2005, l'étude des syndicats britanniques corrobore largement ces conclusions : la perte de salaire représentait en moyenne 3.523 livres par an, soit près de 5.000 euros. La moitié des personnes concernées estimait en outre que le nouvel emploi était de moindre intérêt.

3) Un impact inégal selon les Etats membres

Les effets de la mondialisation affectent différemment les Etats membres. La sensibilité des Quinze anciens Etats membres est naturellement plus forte que celle des pays d'Europe orientale.

Les huit nouveaux Etats membres d'Europe centrale et orientale bénéficient actuellement de transferts d'établissement, notamment des usines de production, avec des secteurs emblématiques comme l'automobile ou l'électroménager. Néanmoins, les économies de ces huit Etats ne sont pas à l'abri des effets de la mondialisation. Le récent débat sur les aides aux chantiers navals, historiques, de Gdansk en Pologne, qui doivent faire face à la concurrence asiatique, notamment chinoise, et les perspectives de développement rapide qu'offre leur croissance montrent qu'à terme aucun pays n'est à l'abri des chocs du développement du commerce mondial. Lors de son déplacement sur place, il a été indiqué au rapporteur que la Pologne était en situation de faiblesse sur le textile et la chaussure.

Une contribution intéressante sur la vulnérabilité des différents pays a été fournie par l'étude précitée du TUC, intitulée Globalisation, qui indique, s'agissant du Royaume-Uni que les salariés de ce pays sont plus vulnérables que ceux d'Europe continentale vis-à-vis de la mondialisation, pour trois raisons : la structure du commerce extérieur (le Royaume-Uni est importateur net de produits et services sur le marché mondial. Il importe un quart de plus qu'il n'exporte) ; la part des entreprises multinationales, lesquelles sont susceptibles d'avoir des stratégies de délocalisations, y est plus importante ; la stratégie managériale de réduction des coûts qui augmente les risques de délocalisation, très répandue.

4) De grandes opérations de restructuration emblématiques perçues comme autant de chocs

Dans la perception de la mondialisation, comme dans sa réalité, les opérations de restructurations lourdes jouent un rôle majeur. De manière simplifiée, la mondialisation est largement ressentie par l'opinion comme un véritable catalogue de fermetures de sites et par conséquent de chocs et de traumatismes. Ce sont elles qui marquent l'opinion, comme celle de MG Rover au Royaume-Uni, ou bien, en France, de Moulinex en 2001, Métaleurop en 2003, ou encore SEB en 2006.

Dans le rapport précité du Conseil d'analyse économique, M. François Benaroya, dans la contribution intitulée Le point sur...les délocalisations, à propos des motivations des opérations de délocalisations, cite également :

- la fermeture de l'usine Valeo d'Arbrera, en Espagne, en partie en raison du transfert en Slovaquie de la production de la SEAT Ibiza par Volkswagen ;

- le licenciement de 500 ouvriers au Royaume-Uni, par le fabricant d'aspirateurs sans sac Dyson, la production étant sous-traitée en Malaisie pour ne conserver au Royaume-Uni que le siège et le centre de R&D, dans le cadre d'une stratégie présentée comme offensive ;

- la délocalisation de France en Tunisie, après un dépôt de bilan, d'une partie de la production du groupe d'articles de sport et de loisir Lafuma, dans le cadre d'une stratégie défensive ;

- la suppression de 434 emplois sur les 446 emplois directs dans le cadre de la délocalisation en Chine (assemblage de téléphones mobiles) et en Slovaquie (équipements de télévision) des activités de l'usine Samsung de Palau-Solità (Catalogne).

1) Une aide directe de l'Europe au salarié touché de plein fouet par les restructurations

Le FEM vise à rapprocher l'Europe sociale du salarié, en cas de choc brutal dû à la mondialisation.

Ainsi que l'a décidé le Conseil européen des 15 et 16 décembre 20005, il a pour objet de venir en aide non aux entreprises, mais aux salariés.

Son objectif est, en effet, de fournir une aide partielle, mais directe, par un cofinancement des mesures spécifiques prévues au niveau des Etats membres en faveur des salariés qui subissent un préjudice particulièrement sévère puisqu'ils perdent leur emploi, « afin de les aider dans leur reconversion professionnelle et dans les efforts qu'ils déploient pour chercher un emploi. »

Deux conditions majeures préalables à cette intervention communautaire ont cependant été prévues par la Commission dans la proposition de règlement.

D'une part, seules les opérations de restructuration dues au commerce international et d'une certaine ampleur, de dimension européenne, seraient concernées. La taille européenne serait réputée acquise avec 1.000 licenciements économiques.

En pratique, il s'agirait d'emplois perdus soit au titre de la défaillance d'une entreprise (plus 1.000 emplois sont supprimés dans une entreprise ainsi qu'en amont chez ses sous-traitants et en aval chez ses clients), soit en raison de la disparition de plusieurs entreprises d'un même secteur dans une région donnée (1.000 emplois au moins supprimés dans un même secteur).

D'autre part, les prestations éligibles à ce cofinancement communautaire seraient uniquement des mesures de politique active d'intervention sur le marché du travail. Il s'agit d'actions ponctuelles et personnalisées d'aide à la reconversion telles que le recyclage, l'aide à la recherche d'emploi, ou encore de valorisation de l'esprit d'entreprise.

En outre, il est également prévu que le FEM finance des compléments de revenus tels que les allocations de recherches d'emploi, les allocations de mobilité et même les compléments salariaux en faveur de ceux qui retrouvent un emploi avec un salaire moindre que celui dont ils bénéficiaient antérieurement.

Cette dernière mesure, que le projet de la Commission vise à circonscrire aux seuls travailleurs âgés de plus de 50 ans, prend acte de la baisse de revenu statistiquement constaté lorsque les personnes retrouvent un emploi. L'objectif est d'aider à leur maintien sur le marché du travail.

Cette intervention européenne dans le traitement des suppressions d'emplois apportera indéniablement une plus-value communautaire au traitement national des restructurations.

2) Un traitement « à chaud » complémentaire aux fonds structurels dédiés aux actions de moyen et long termes

L'opportunité de créer un nouvel instrument a été étudiée par la Commission, qui a examiné l'hypothèse d'une éventuelle mobilisation des fonds structurels, et plus particulièrement du Fonds social européen (FSE).

C'est à juste titre qu'il en a été conclu que ces fonds, fondés sur les principes de prévention et de programmation pluriannuelle sur sept ans, et dont les actions s'inscrivent par conséquent dans la durée, ne pouvaient être mobilisés pour des chocs par nature imprévisibles et qui exigent une réaction curative et ponctuelle. Celle-ci est en outre d'autant plus efficace qu'elle est rapide.

En d'autres termes, les fonds structurels n'ont pas été conçus pour le traitement « à chaud » des chocs économiques, mais le traitement « à froid » des inadaptations.

C'est notamment le cas pour le FSE qui a vocation à changer la structure de l'emploi, à améliorer l'employabilité et la participation au marché du travail, en agissant sur la qualification de certaines catégories de travailleurs, ainsi que du Programme d'éducation et de formation tout au long de la vie (2007-2013), à travers son volet Leonardo da Vinci, sur les formations innovantes permettant de répondre à des besoins de qualifications spécifiques.

En outre, on observera que le FSE intervient conjointement avec les Etats membres et leurs collectivités dans des conditions peu visibles pour le citoyen européen.

Lui donner une nouvelle mission n'aurait donc pas réglé l'un des problèmes de fond de l'Europe, celui de son image vis-à-vis de la mondialisation.

Par ailleurs, le poids budgétaire relatif de chacune des deux masses financières est éloquent, et interdit de fait toute création d'une section spécifique au sein du FSE. L'enveloppe prévue pour les fonds structurels pour les 27 Etats membres est de 44 milliards d'euros par an, soit 90 fois celle du FEM. Pour le seul FSE, 70 milliards d'euros ont été distribués aux Etats membres pour la période 2000-2006 couverte par les actuelles perspectives financières.

3) Une initiative essentielle pour couper court aux doutes sur l'efficacité sociale de l'Europe, notamment pour la France où la mondialisation est perçue d'une manière particulièrement négative

Sans prétendre à l'exhaustivité dans un domaine aussi complexe, il est indéniable que l'euroscepticisme est en partie imputable au sentiment d'un déficit de l'Europe en matière sociale, et même d'une passivité et d'un immobilisme de l'Europe sociale.

Ce malaise face à l'Europe concerne de manière variable l'ensemble des pays européens, selon d'ailleurs, d'une manière fort pragmatique, la répartition entre les gagnants et les perdants de l'ouverture de marchés.

Mais il frappe surtout la France. Y est largement partagée l'opinion selon laquelle la globalisation, qui met en concurrence de manière croissante les entreprises et les salariés de l'ensemble de l'économie mondiale, au sein de laquelle de nouveaux acteurs apparaissent sans cesse, menace à plus ou moins longue échéance la pérennité du modèle social européen, en laminant progressivement le niveau de la protection sociale.

Selon une enquête réalisée par l'institut de sondage international GlobalScan, citée par la Figaro, en mars 2006, les Français seraient, en effet, parmi les plus réfractaires à l'économie de marché et à la mondialisation : seuls 36 % d'entre eux souscrivent à l'idée suivant laquelle l'économie de marché et l'ouverture à la mondialisation, sont le meilleur système pour l'avenir. La France est même le seul pays à avoir une proportion de « non » supérieure aux « oui ». En revanche, 65 % des Allemands, 67 % des Britanniques, 63 % des Espagnols et des Polonais, 59 % des Italiens, 71 % des Américains, sans évoquer les 74 % de Chinois, 70 % d'Indiens et de Sud-coréens, partagent cette affirmation.

Selon un autre sondage, antérieur, du German Marshall Fund, les Français craignent massivement l'ouverture des frontières, puisque près des trois quarts (74 %) d'entre eux reprochent à la mondialisation de « réduire le nombre d'emplois ».

Il est d'ailleurs significatif qu'avant le référendum du 29 mai 2005 à l'occasion duquel les électeurs ont rejeté le projet de traité instituant une Constitution pour l'Europe, l'essentiel du débat européen se soit focalisé dans notre pays sur la proposition de la Commission relative aux services et, d'une manière irrationnelle, sur la peur du « plombier polonais » qui portait sur lui tous les méfaits possibles de la globalisation économique.

Une telle situation appelle une réponse de la part de l'Union elle-même. Si tel n'était pas le cas, il ne resterait de l'Europe que l'image diffuse d'une structure passive qui n'est pas en mesure d'accompagner les mutations nécessaires face à une mondialisation dont elle a même amplifié les conséquences à l'occasion du dernier élargissement, celui du 1er mai 2004, en faisant entrer dans le marché intérieur des économies ayant un niveau salarial bien moindre que celui des quinze anciens Etats membres.

4) Une application trop stricte du principe de subsidiarité, qui reviendrait au statu quo et à l'immobilisme, doit donc être écartée

Comme pour toute initiative communautaire, il appartient aux parlements nationaux, notamment, de s'assurer du respect du principe de subsidiarité. La question, largement abordée dans la phase préparatoire à la proposition de règlement, est d'ailleurs en partie à l'origine de l'ampleur du délai, rappelée en introduction, entre les premières suggestions de la Commission et la décision de principe du Conseil européen de créer le FEM.

Pourquoi l'Europe devrait-elle, en effet, intervenir dans un domaine jusque-là exclusif aux Etats membres, celui de l'assistance aux salariés et de l'aide rapide au retour à l'emploi ou sur le marché du travail à la suite d'un choc conjoncturel ?

La réponse est donnée par la Commission, qui rappelle dans l'exposé des motifs de la proposition de règlement que seule une telle intervention communautaire permet d'exprimer la solidarité européenne face aux chocs les plus violents de la mondialisation.

On observera également que le nombre de licenciements retenus pour le déclenchement du fonds, à savoir 1.000 licenciements, va dans le sens de cette argumentation. Un seuil trop faible ferait entrer dans le champ du FEM les chocs de moindre ampleur qui n'atteignent pas, par essence, une dimension européenne.

Enfin, un tel fonds s'impose dès lors que c'est de l'Union européenne que relèvent pour l'essentiel les négociations commerciales internationales et que c'est donc à son niveau que sont décidés certains des termes dans lesquels se poursuit progressivement une large part de la mondialisation. Tel est notamment le cas pour les échanges de biens, c'est-à-dire pour l'industrie. Par conséquent, ne pas créer le FEM donnerait aux salariés l'impression que l'Europe n'assume pas ses responsabilités et que l'Europe sociale n'existe pas, puisque l'Union les laisse choir lorsqu'ils subissent personnellement les conséquences des évolutions commerciales qu'elle a négociées.

5) Le TAA, un précédent américain intéressant, qui a constamment évolué

L'approche comparative confirme que l'Europe comble une lacune en instituant le FEM.

Les Etats-Unis ont, en effet, prévu un tel instrument dès 1962, dans le cadre du US Trade Expansion Act, qui a créé un programme spécifique, le Trade Adjustment Assistance (TAA), à l'occasion de la mise en application de la réduction tarifaire douanière décidée dans le cadre du premier round des négociations multilatérales du GATT. Celui-ci s'est notamment traduit par une diminution de moitié des droits appliqués aux produits provenant du Marché commun d'alors. Son objectif est d'aider les salariés des secteurs en déclin à s'adapter, en rendant plus aisée leur reconversion dans d'autres secteurs.

Depuis sa création, 2 des 3 millions de salariés déclarés éligibles à ses actions, ont concrètement bénéficié du TAA, la plupart d'entre eux venant des secteurs de l'automobile, du textile habillement et de la sidérurgie.

Le dispositif du TAA a évolué en fonction des grandes négociations commerciales auxquelles les Etats-Unis ont pris part. Un ajustement important est ainsi intervenu dans le cadre du Trade Act de 1974, qui a assoupli les critères d'ouverture du dispositif de manière à ce qu'il ne concerne plus seulement un très faible nombre de salariés, anticipant ainsi les négociations du Tokyo Round du GATT. Pendant ses sept premières années d'existence, aucun salarié n'avait en effet été éligible au TAA. Le budget nécessaire au dispositif était en revanche de 1,6 milliard de dollars en 1980, grâce aux nouveaux critères. Par la suite, un resserrement budgétaire est intervenu en application de l'Omnibus Budget Reconciliation Act de 1981. L'aide a été recentrée sur les aides au revenu pendant les périodes de formation.

En 1993, ensuite, pour favoriser l'adoption de l'Accord de libre échange nord américain (ALENA, ou NAFTA en anglais), le Congrès a créé un programme jumeau, le NAFTA-TAA.

Les deux instruments ont été fusionnés en 2002, par le Trade Adjustment Assistance Reform Act, qui a aligné le régime commun sur celui, le plus favorable, antérieurement réservé aux salariés affectés par les échanges commerciaux avec le Mexique et le Canada. Le nouveau programme accorde une place plus importante aux aides au revenu. La durée maximum d'accès à ses prestations est d'un an et demi au total, 26 semaines supplémentaires pouvant s'ajouter aux 52 du régime de base. Son coût est annuel est d'environ 1,2 milliard de dollars.

Le FEM est économiquement justifiable car il répond à plusieurs critères d'efficacité et d'utilité économique. Son objet concerne l'essentiel, à savoir la formation et la requalification, dans le cadre d'actions spécifiques, des salariés dont l'emploi disparaît, notamment car il peut être exercé ailleurs à moindre coût, et qui pourront retrouver un emploi uniquement s'ils s'adaptent.

C'est même la mesure la plus efficace, comme l'indique M. Patrick Artus, directeur des études économiques de CDC IXIS, membre du Conseil d'analyse économique, dans le Flash Economie précité, du 19 juillet 2006, intitulé « Qui faut-il protéger avec la mondialisation ? ». Sa conclusion est que les politiques adaptées sont celles qui accordent un soutien aux « perdants » de la mondialisation, à savoir les jeunes, les personnes peu qualifiées et les salariés des secteurs industriels en perte de vitesse ou touchés par l'externalisation des métiers autrefois exercés en interne (outsourcing). Au-delà des transferts assurant un revenu, ce soutien doit prendre la forme de dépenses dites actives visant à la requalification des personnes concernées en vue de leur réinsertion sur le marché du travail, de manière à ce qu'elles n'en soient pas définitivement exclues.

Cette conclusion est également partagée par MM. Paul Swaim et Raymond Torres, qui, dans l'article précité de l'Observateur de l'OCDE de septembre 2005, défendent la pertinence de programmes actifs visant à la réinsertion sur le marché du travail, avec en complément, le cas échéant, des dispositifs d'assurance salaire tels que ceux existant en Allemagne et aux Etats-Unis notamment, pour combler une partie de la différence entre le nouveau et l'ancien revenu d'activité.

Selon un autre point de vue, plus réservé, exposé dans un article de l'Observateur de l'OCDE d'octobre 2006, par M. John Martin, directeur de l'emploi, du travail et des affaires sociales de l'OCDE, des politiques spécifiques ne sont pas strictement indispensables, dès lors que les Etats ont mis en place des politiques de l'emploi efficaces. Les « perdants » de la mondialisation peuvent alors tout à fait bénéficier des dispositifs de droit commun. Néanmoins, de tels programmes sont justifiés s'ils sont indispensables pour que le mouvement de libéralisation des échanges bénéficie d'une certaine légitimité. En leur absence, les réticences face à la libéralisation des échanges peuvent être trop fortes et les opportunités de croissance risquent d'être amoindries.

Enfin, dans le cadre de l'instruction de la présente proposition de règlement, une étude sur la faisabilité du FEM a été réalisée par l'Université de Leeds, du Royaume-Uni. Elle en conclut notamment que le maintien en situation d'emploi est d'autant plus fréquent que les interventions en faveur des salariés sont anticipées et qu'elles se font en amont du licenciement plutôt qu'après. En prévoyant dans la proposition de règlement que l'Etat membre concerné puisse demander une contribution du FEM dès que le nombre de licenciements économiques notifiés est atteint, avant que le licenciement effectif n'intervienne, la Commission s'est indéniablement inscrite dans cette logique d'efficacité.

b) Une contribution à une meilleure compréhension des effets de la mondialisation à court terme et à moyen terme

Ainsi que l'a indiqué au rapporteur M. Christian de Boissieu, président délégué du Conseil d'analyse économique, la mondialisation relève pour l'Europe, notamment pour la France, de la même problématique que les réformes qui doivent dans certaines circonstances être entreprises par les Gouvernements. Le mécanisme en est décrit dans le chapitre sur l'économie de la réforme de la dernière édition de l'ouvrage Economie contemporaine (Collection Thémis, PUF), de Mme Denise Flouzat et M. Christian de Boissieu.

Selon ce schéma, la difficulté d'une réforme, ou d'une évolution telle que la mondialisation, tient au décalage temporel de ses effets : les effets négatifs l'emportent à court terme ; les gains sont à plus long terme. En outre, l'opinion est plus sensible au présent ou au futur proche, où l'emportent les désavantages, qu'au moyen ou long terme. Les effets positifs, qui prévalent pourtant à long terme, sont donc occultés par rapport aux effets négatifs.

Pour la mondialisation, la sensibilité aux désavantages immédiats, les licenciements, prime sur toute autre considération, notamment les gains à court terme pour les consommateurs, par les baisses de prix, et pour les entreprises exportatrices, et par ailleurs ceux à plus long terme pour les salariés employés dans les nouveaux créneaux au fur et à mesure que le développement économique se poursuit.

Dans de telles circonstances, la création du FEM offre deux avantages, qui aident à lever les blocages :

- d'une part, le FEM diminue le préjudice des « perdants », et rectifie à court terme le bilan de la mondialisation ;

- d'autre part, dès lors que les mesures financées sont pleinement efficaces, il renforce l'employabilité des personnes licenciées, corrige ainsi la perception globale de l'ouverture de l'économie sur le monde et réduit par conséquent la défiance de l'opinion vis-à-vis du futur.

Vis-à-vis des Etats membres, le FEM devrait jouer un grand rôle pédagogique, en les incitant à orienter leurs dépenses publiques relative au marché du travail vers des dépenses actives, puisque seules celles-ci seront cofinancées.

L'hétérogénéité de la situation actuelle n'est pas, en effet, satisfaisante :

- d'une part, l'effort global en faveur du marché du travail varie fortement d'un pays à l'autre, allant de 0,81 % du PIB au Royaume-Uni à 4,49 % au Danemark, la France se situant dans une position intermédiaire avec 2,69 %,

- d'autre part, la répartition des dépenses relatives au marché du travail, telle que la récapitule le tableau suivant, entre les dépenses actives, les plus efficaces, et les dépenses passives est extrêmement variable. La part des premières est beaucoup plus importante dans les deux Etats qui ont les marchés du travail les plus mobiles, la Suède et le Danemark.

Depenses publiques affectees aux programmes du marche du travail
(en % du PIB)

Source : CDC Ixis, d'après OCDE « Perspectives de l'emploi 2006 ».

d) Une contribution à la diffusion de la « flexicurité »

La diffusion des principes de la « flexicurité », qui a fait l'objet de débats consensuels lors du dernier sommet social informel associant notamment les partenaires sociaux, à Lahti, en Finlande, sera indéniablement favorisée par la mise en place du FEM.

Celui-ci vise, en effet, à renforcer l'employabilité des personnes licenciées et à sécuriser ainsi leurs parcours professionnels. Il développe donc le volet sécurité, ce qui permet par voie de conséquence aux salariés d'aborder avec moins d'appréhension la question de la flexibilité, qui concerne l'ajustement de l'emploi par les entreprises.

2) Un des éléments d'une véritable stratégie économique d'ensemble

a) Le FEM ne peut être ni un rempart ni la réponse unique face à la mondialisation, et devra faire l'objet d'une communication adaptée pour éviter tout risque d'incompréhension

Comme l'ont notamment indiqué au rapporteur tant le président délégué du Conseil d'analyse économique, M. Christian de Boissieu, que le président de l'OFCE, M. Jean-Paul Fitoussi, lors de leur audition, le FEM n'atteindrait pas son objectif et aurait même un effet contre-productif s'il était conçu, mis en œuvre ou encore perçu comme un rempart contre la mondialisation, selon une approche négative de ce phénomène.

Ainsi que le rappelle le Cercle des économistes dans son ouvrage de collectif récemment publié, Politique économique de droite, politique économique de gauche (Perrin), la mondialisation est inéluctable dans son principe et « aucun pays européen pris individuellement ne peut rien changer à l'ouverture des échanges ». Les mesures qui relèvent d'une approche défensive sont « impraticables ». Seules des mesures dites offensives d'accompagnement des mutations économiques sont adaptées.

Dès lors, la mise en place effective du FEM doit éviter trois écueils.

Le premier est celui d'une inadaptation de ses critères d'intervention. Ceux-ci doivent être définis d'une manière rigoureuse, de telle sorte qu'ils soient parfaitement adaptés à l'objectif poursuivi. Ils ne doivent concerner que les chocs économiques résultant de la mondialisation, même si tous les cas de licenciements économiques, y compris ceux qui ne sont pas liés à l'évolution du commerce international, sont dignes d'intérêt. Les licenciements économiques dus au progrès technique ou au changement des modes de production ou de consommation doivent être exclus.

Le deuxième écueil est celui d'une mauvaise compréhension par les salariés, ainsi que par les partenaires sociaux et les autres intervenants dans la politique de l'emploi, de l'objectif du fonds. La mondialisation est pour les salariés extrêmement exigeante, puisqu'elle repose sur une amélioration constante de leur qualification. Toute idée d'une protection, d'un rempart ou d'un barrage serait illusoire. Par ailleurs, si l'objectif ou le dispositif du FEM étaient mal compris, les événements pour lesquels le fonds n'interviendra pas seraient perçus par l'opinion comme des injustices, et la légitimité tant de l'Europe que de l'instrument mis en place, serait atteinte.

Ces deux risques majeurs ne pourront être évités que par une politique de communication adaptée de la part tant de la Commission que de celle des Etats membres. Dans la perspective déjà ouverte par le rapporteur dans le cadre de son rapport au Premier ministre « La fracture européenne - Après le référendum du 29 mai : 40 propositions concrètes pour mieux informer les Français sur l'Europe » (La Documentation française), un effort particulier devra intervenir en France pour que le FEM véhicule le message suivant : « L'Europe vous aide à vous adapter à la mondialisation », et non « L'Europe vous aide pour vous éviter d'avoir à vous adapter ».

Ce danger a d'ailleurs été bien perçu par la Commission qui a toujours précisé que le Fonds n'a pas pour objet de financer les entreprises en difficulté ni de maintenir des activités trop fortement concurrencées, mais de favoriser les transitions professionnelles des salariés.

Le troisième écueil est celui de l'inertie politique, en véhiculant le sentiment que tout effort est inutile, car les problèmes provoqués par la mondialisation sont réglés. Il appelle des développements particuliers.

b) Sa mise en place ne doit pas occulter l'importance de la stratégie de Lisbonne, seule voie d'adaptation pour que l'économie européenne fasse partie des bénéficiaires de la mondialisation

Le principal risque politique, si le FEM est mal conçu, mal compris ou mal utilisé est celui de l'inertie qui résulterait de l'idée fausse que ce seul instrument représente une réponse suffisante face à la mondialisation. En d'autres termes, le FEM ne doit pas servir de prétexte à un abandon plus ou moins conscient de la stratégie de Lisbonne, dont la révision à mi-parcours en mars 2005 a montré qu'elle faisait l'objet d'une mise en œuvre parfaitement insuffisante.

Certes, d'après un communiqué du 26 octobre dernier, la Commission a estimé en bonne voie le Programme communautaire de Lisbonne et les rapports intérimaires nationaux, selon une première évaluation de l'action au niveau européen dans le cadre du partenariat pour la croissance et l'emploi. Certes, le premier rapport intérimaire sur la mise en œuvre du Programme communautaire de Lisbonne montre que la Commission européenne, au 31 juillet 2006, avait pour sa part adopté 75 des 102 mesures politiques couvertes par le Programme communautaire de Lisbonne jusqu'en 2007.

Néanmoins, compte tenu du retard accumulé au cours des cinq premières années de cette stratégie décennale dont l'horizon est 2010, l'effort actuel doit encore être amplifié.

La stratégie de Lisbonne est la seule issue économiquement acceptable pour l'Union européenne, car c'est uniquement en se spécialisant sur les nouveaux produits issus de l'économie de la technique, de la connaissance et du brevet, que l'Europe pourra conserver une richesse relative permettant de préserver son niveau de vie, ses acquis sociaux et, même, ses capacités de défense.

En l'absence de démographie dynamique, la croissance économique de l'Europe repose pour le futur essentiellement sur l'augmentation du niveau d'emploi, mais surtout de la productivité, laquelle exige un important progrès technique qui nécessite à son tour un grand effort de recherche et d'innovation. C'est d'ailleurs la voie montrée par les économies de l'Europe du Nord, Suède et Finlande, dont le redressement spectaculaire à la suite de la grave crise économique consécutive à l'effondrement du régime soviétique, s'est fondé sur les nouvelles technologies.

S'agissant de la France, ainsi que l'a indiqué au rapporteur le président délégué du Conseil d'analyse économique, M. Christian de Boissieu, l'effort engagé sur la formation initiale et la formation professionnelle, à la suite notamment des mesures législatives récemment adoptées, doit être poursuivi.

Si les progrès nécessaires n'étaient pas atteints, alors ce serait la spirale de l'appauvrissement relatif et la menace à terme des aspects les plus positifs de son modèle social. Le FEM risquerait alors d'apparaître comme un voile jeté sur un naufrage.

c) La question d'une meilleure gouvernance économique de la zone euro reste par ailleurs ouverte

Ainsi que l'a fait observer au rapporteur le président de l'OFCE, M. Jean-Paul Fitoussi, la faible croissance de la zone euro provient en partie d'une inadaptation de ses institutions, laquelle lui interdit l'usage des instruments de la grande politique économique, celle qui porte sur le taux de change, la politique commerciale ou la politique industrielle. La zone euro est ainsi dans une situation très différente des Etats-Unis, qui ont la maîtrise de leur taux de change, peuvent mener une stratégie budgétaire et monétaire et peuvent user du protectionnisme, comme l'a montré l'exemple de l'acier. Elle se trouve, notamment vis-à-vis de la forte appréciation de l'euro ces dernières années, de près de 50%, dans une situation passive alors que son industrie est gravement pénalisée, comme le montre, entre autres, l'exemple d'Airbus face à Boeing. Sa politique monétaire est également contrainte, de manière institutionnelle, et l'écart entre l'impulsion monétaire du FED aux Etats-Unis et celle de la BCE en Europe ces dernières années est considérable, avec respectivement des suppléments de croissance de l'ordre de 4 points de PIB pour les Etats-Unis et ½ point de PIB pour la zone euro.

Dans ce contexte, seuls les instruments de la « petite » politique économique sont à la portée des Etats membres. Au-delà des politiques qui concernent la recherche ou l'université, en cohérence avec la stratégie de Lisbonne, il s'agit des mesures de maîtrise des coûts par la concurrence fiscale, autodestructrice, ou encore par la compression salariale, c'est-à-dire par la concurrence sociale, tout autant problématique. Ces ajustements sont difficiles car ils impliquent une adaptation permanente des salaires et du système de protection sociale et ont un effet dépressif sur la consommation, comme le montre l'exemple de l'Allemagne.

Au-delà de ces éléments, cette politique de compétitivité-prix pose problème à deux titres, d'un strict point de vue communautaire.

D'une part, elle est plus favorable aux petits pays qu'aux grands pays.

Pour les premiers, dont la part des échanges dans le PIB est proportionnellement plus importante, les possibilités d'expansion sont comparativement plus élevées dès lors que leur compétitivité s'accroît, puisque le marché intérieur est comparativement très vaste.

Pour les seconds, les gains relatifs ne peuvent être proportionnellement que plus réduits, puisque les facultés d'expansion sont comparativement moindres.

Cet élément explique en partie le moindre dynamisme des principales économies de la zone euro, Italie, France et Allemagne. En outre, la concurrence fiscale et sociale bénéficie plus facilement aux petits pays, qui peuvent compenser la diminution des taux de prélèvements par une augmentation de la base fiscale délocalisée des grands pays, qu'ils récupèrent. Les grands pays ne peuvent pas par définition user de telles stratégies.

D'autre part, une telle situation incite les grands pays à adopter une stratégie économique non coopérative, ce qui n'est pas le moindre des paradoxes compte tenu de l'objectif de l'Europe. Comme l'a rappelé au rapporteur M. Jean-Paul Fitoussi et comme l'indiquent dans leur ouvrage récemment publié « Comment avons-nous ruiné nos enfants ? » (La Découverte), Mme Marie-Paule Virard et M. Patrick Artus, la politique de désinflation compétitive de l'Allemagne se fait actuellement aux dépens de ses principaux partenaires, France et Italie. Le déficit commercial de la France vis-à-vis de son principal partenaire est ainsi passé de 3,2 milliards d'euros en 1999 à 15,2 milliards d'euros en 2005. Par ailleurs, le flux des investissements directs de la France vers l'économie de l'Allemagne a augmenté.

Selon un autre point de vue économique, rappelé au rapporteur par le président délégué du Conseil d'analyse économique, M. Christian de Boissieu, celui de la théorie des zones monétaires optimales, de Robert Mundell, la zone euro manque actuellement de deux éléments pour atteindre un tel statut : d'une part, un marché du travail unifié, alors que les actuels marchés sont nationaux et cloisonnés, notamment à cause de la barrière linguistique ; d'autre part, un budget de transfert, rôle auquel ne peut prétendre l'actuel budget communautaire, d'un niveau encore modeste.

d) Il en est de même de celle de la préférence communautaire

Au cœur des débats sur la mondialisation, se trouve également la question des modalités d'application du principe de la préférence communautaire. La création du FEM ne la règle naturellement pas.

1) Des partenaires sociaux, notamment les syndicats de salariés, qui soutiennent la création du fonds

Au niveau communautaire, le FEM a fait l'objet d'un accueil favorable de la part des syndicats de salariés.

La Confédération européenne des syndicats (CES) a cependant souhaité trois améliorations :

- d'une part, un renforcement du rôle des partenaires sociaux dans le processus d'aide et de réinsertion des travailleurs, et plus généralement pour ce qui concerne les relations industrielles ;

- d'autre part, la CES souligne que, sur base du rapport de l'Observatoire européen des restructurations de 2005, le nombre des travailleurs ayant perdu leur emploi à la suite des restructurations, a dépassé le chiffre de 570.000, ce qui pose le problème des moyens financiers, et insiste sur la nécessité d'assurer une meilleure coordination entre les différents instruments complémentaires, notamment les Fonds structurels ;

- enfin, elle regrette la limitation des interventions du FEM aux seuls travailleurs touchés par les délocalisations ou restructurations mettant en cause les relations avec les pays tiers. Elle est favorable à l'extension de ses interventions aux restructurations ou délocalisations imputables aux relations commerciales à l'intérieur de l'Union européenne.

Les différentes composantes nationales de la CES ont également émis des opinions globalement favorables sur le FEM, même si certains syndicats peuvent être déçus. Comme l'a exprimé devant la Délégation M. Marcel Grignard, secrétaire national de la CFDT, chargé des affaires européennes, sur la politique sociale de l'Union, « cette initiative ne porte pas sur le problème réel. » Le Trade Union Congress britannique a pour sa part une opinion positive sur le FEM, mais pense que son enveloppe financière devrait s'accroître dans le futur. Il estime également qu'il permet de corriger les effets de la culture de la plupart des entrepreneurs, trop tournée vers le court terme et insuffisamment soucieuse de la formation des personnels. En Pologne, les deux principales organisations, Solidarnosc et OPZZ, sont d'autant plus favorables à la mise en place du fonds qu'elles anticipent pour certains secteurs soumis à la concurrence des pays à très bas salaires (textile et chaussure notamment, mais pas seulement), des mutations similaires à celles qu'avaient provoqué les adaptations industrielles drastiques des années qui ont suivi la chute du communisme.

S'agissant des représentants des employeurs, l'UNICE estime que dès lors que la décision de créer le fonds est prise, il importe de fixer les critères d'intervention appropriés pour qu'il puisse être efficace. On ne peut se désintéresser de la question de fond, celle des conséquences sociales de la mondialisation. Une telle initiative communautaire n'est donc justifiée que si elle apporte « un plus » par rapport à la situation actuelle. La question de l'enveloppe du Fonds est à cet égard cruciale, celle-ci pouvant être considérée comme trop importante ou, au contraire, trop faible, selon les points de vue.

2) Des Etats membres inégalement convaincus de l'utilité et de la portée du Fonds, selon leur propre expérience et leur vision de la mondialisation, mais qui n'y font pas obstacle

Avant de rappeler les principaux éléments sur la position des différents Etats membres, il convient de rendre hommage à la loyauté de la présidence finlandaise qui n'a cessé d'œuvrer pour que sa proposition de compromis puisse faire l'objet d'un accord politique au prochain Conseil Emploi, Politique sociale, Consommateurs (EPSCO) des 30 novembre et 1er décembre prochains, en dépit des réserves de fond qu'elle a pu nourrir sur le texte. Celle-ci considère qu'il est de son devoir d'appliquer la décision de principe prise par le Conseil européen de décembre dernier. Un tel accord entre les Etats membres serait naturellement à mettre à l'actif de la présidence finlandaise.

Ainsi que plusieurs de ses interlocuteurs l'ont indiqué au rapporteur lors de son déplacement sur place, à Helsinki, le pays n'est pas hostile à la mondialisation, qui est un facteur de prospérité, pourvu que l'on en saisisse les opportunités. Les délocalisations sont le résultat d'une évolution naturelle et le développement de la sous-traitance à l'étranger peut même être un facteur favorable aux entreprises, comme le montre l'exemple de Nokia.

Au-delà de l'expérience du pays, qui a dû faire face à une très grave crise économique et à une reconversion rapide à la suite de l'effondrement du rideau de fer, lequel a remis en cause son économie d'alors fondée sur des relations commerciales privilégiées avec l'URSS, le Gouvernement s'appuie sur les 100 propositions du rapport sur « la Finlande et l'économie mondiale », de 2004, pour développer sa compétitivité sur la base de quatre impératifs : la compétence ; la connaissance ; la capacité à se réformer ; l'ouverture sur l'extérieur. Des programmes de reconversion et de formation, centrés sur les secteurs et les régions touchés par les mutations économiques, mettent l'accent sur l'innovation et la recherche-développement, en phase avec la stratégie de Lisbonne. La création d'environ 80 à 90.000 emplois au cours de la législature, qui prend fin en mars prochain, sur les 100.000 initialement envisagés, est à mettre à l'actif du Gouvernement.

Deux craintes sont exprimées vis-à-vis du FEM : le risque d'une démobilisation des entreprises, qui les dissuaderait d'investir dans l'innovation ; celui d'une diminution de l'effort des Etats pour renforcer la compétitivité économique d'ensemble.

Au Royaume-Uni, sous la présidence duquel la décision de créer le FEM est intervenue, la globalisation est considérée comme inévitable et le nouveau fonds est jugé acceptable dès lors qu'il n'est pas conçu comme une protection contre la mondialisation. On peut cependant observer un certain scepticisme sur la pertinence d'une intervention de l'Europe sur cette question, mais on constate que la décision de principe, favorable, du Gouvernement de l'actuel Premier ministre, M. Tony Blair, n'est pas remise en cause.

Le Royaume-Uni se prévaut de la réussite de sa politique de l'emploi, qui permet à 20% des salariés de trouver un nouvel emploi chaque année (soit 6 à 7 millions de personnes) et du traitement du cas de la fermeture de MG Rover, qui a entraîné la perte immédiate de 5.300 emplois à la fermeture de l'usine de Longbridge et de quelque 6 200 emplois au total. Une Task Force a été mise en place dès le 8 avril, associant notamment les collectivités locales, les partenaires sociaux et les parlementaires. Une enveloppe de 175 millions de livres (environ 260 millions d'euros) a été débloquée notamment pour le développement technologique, les mesures de soutien individuels, les aides aux collectivités et d'autres dispositions ciblées et temporaires. Sur le plan pratique, le Gouvernement a décidé l'extension des horaires d'ouverture des Job centers, une ligne dédiée pour les offres d'emplois et un dispositif de reclassement des personnes qualifiées dans le même secteur d'activité, ce qui a notamment permis à 960 employés de rester dans le secteur automobile. Un programme de formation a été établi pour les salariés qui devaient faire l'objet d'une requalification.

En juillet 2006, selon le bilan écrit communiqué au rapporteur, 70 % des personnes licenciées avaient retrouvés un emploi. Sur les 3.000 qui avaient suivi une formation, 2.400 avaient trouvé un emploi et sur 860 personnes encore en formation, les deux tiers l'étaient dans le cadre de l'exercice de leur emploi.

Pour sa part, la Pologne, qui est entrée dans l'Union le 1er mai 2004, a une vision plus nuancée de la mondialisation, avec un examen pragmatique de ses avantages (les créations d'emplois induites par les investissements étrangers, la bonne tenue de l'économie, la diversification de l'offre et la croissance de la consommation et du niveau de vie), sans méconnaître pour autant certaines ombres au tableau comme la restructuration prévisible de certaines industries lourdes telles que les chantiers navals, les mines, la sidérurgie ou la chimie, ou la concurrence des pays à moindre salaire sur des industries de main d'œuvre, textile ou chaussure.

Lors des discussions préparatoires au Conseil EPSCO, au sein du groupe des questions sociales, les débats sont principalement venus de cinq Etats membres, l'Allemagne, le Royaume-Uni, le Danemark, les Pays-Bas, la Suède, qui ont notamment souhaité que le critère des emplois supprimés soit interprété de manière très stricte (le Royaume-Uni a même évoqué un seuil de 2.000 salariés licenciés), que les mesures éligibles soient très rigoureusement définies, que la part du cofinancement communautaire soit limitée et que le FEM ne soit créé qu'à titre temporaire et non pérenne, jusqu'à l'échéance des actuelles perspectives financières, soit le 31 décembre 2013.

3) Des oppositions minoritaires au sein du Parlement européen

Au Parlement européen, le FEM fait presque l'unanimité.

Des « sentiments mitigés », selon l'expression de l'agence d'information EIS, se sont en effet exprimés lors de la réunion de la Commission emploi affaires sociales du 12 septembre dernier, notamment au sein du PPE, M. Thomas Mann (Allemagne) mettant en doute qu'un instrument bureaucratique puisse servir à corriger les erreurs des entreprises, et de l'ADLE, Mme Ona Juknevičiené (Lituanie), craignant que le dispositif ne soit pas d'une grande utilité.

Ces différentes réserves sur le FEM reflètent une vision plutôt libérale de l'économie, plus partagée au niveau communautaire qu'en France.

Néanmoins, elles n'ont pas fait obstacle à l'adoption, le 23 octobre, à une très large majorité, sans appel (37 voix pour, 3 voix contre et 2 abstentions), du compromis prévu par le rapport de la rapporteure, Mme Roselyne Bachelot (PPE, France), à qui il convient de rendre hommage pour la qualité de son travail, qui a permis de faire évoluer la proposition de la Commission dans un sens favorable.

4) Des avis positifs du Comité économique et social européen comme du Comité des régions

D'un point de vue institutionnel, le FEM a fait l'objet d'une consultation tant du comité économique et social européen que du comité des régions.

Pour sa part, le premier a émis un avis positif, sous réserve de quelques précisions et ajustements, notamment sur les critères d'intervention, tout en souhaitant une réévaluation de l'enveloppe.

Dans son avis du 31 octobre dernier, le second a rendu un avis favorable, souhaitant cependant plusieurs aménagements, notamment une réduction de 1.000 à 500 des emplois supprimés, un doublement de l'enveloppe du FEM et demandant l'association des collectivités locales aux demandes d'intervention du Fonds, dont la proposition de règlement prévoit qu'elle relève des Etats membres.

1) La Commission a proposé un cadre à la fois opérationnel, précis et souple, qui doit être conservé

a) Des critères d'intervention fondés sur un seuil de 1.000 emplois supprimés en raison des mutations du commerce international

Sur le plan technique, la Commission prévoit deux ordres d'exigence pour l'accès au FEM.

La première d'entre elles est d'ordre général : les disparitions d'emplois éligibles doivent être imputables à des modifications de la structure du commerce mondial. Celles-ci consistent en trois éléments alternatifs : une hausse massive des importations ; un recul de la part de marché de l'Union européenne, au niveau mondial, dans le secteur concerné ; une délocalisation d'activités vers un pays tiers.

Selon l'interprétation de la Commission, toutes les délocalisations d'activités au sein de l'Union européenne ne sont cependant pas exclues du dispositif. Celles liées à des stratégies d'entreprises motivées par la nécessité d'implanter en Europe centrale orientale notamment, leurs unités de production pour conserver la compétitivité de leurs produits sur les marchés internationaux, seraient éligibles.

Le lien entre les suppressions d'emplois et le commerce international exclut les autres licenciements économiques, notamment ceux issus du progrès technique ou des changements des modes de production ou des goûts des consommateurs.

Outre cette condition, la proposition de règlement prévoit une intervention du fonds lorsque le seuil de 1.000 licenciements est atteint, selon deux critères alternatifs :

- d'une part, un critère « grande entreprise », assorti d'une dimension territoriale : 1.000 emplois supprimés dans une entreprise ou à cause d'elle, en amont chez les sous-traitants et en aval chez les clients, dans une région NUTS III (département français) où le chômage est supérieur à la moyenne nationale ou bien à la moyenne communautaire ;

- d'autre part, un critère « sectoriel » : 1.000 emplois supprimés, sur une période de six mois, dans un secteur (une ou plusieurs entreprises du niveau 2 de la nomenclature d'activité NACE) dans une région NUTS II (région française) où le secteur représente au moins 1% de l'emploi régional.

Le seuil de 1.000 licenciements correspond au niveau d'impact auquel, d'une manière générale, une intervention communautaire est justifiée, la solidarité entre Etats membres n'étant mise à contribution que pour les affaires ayant une dimension européenne certaine.

On observera que les licenciements concernés sont les licenciements collectifs, licenciements économiques dont les projets doivent obligatoirement être notifiés à l'administration compétente en application de l'article 3 de la directive 98/59 du 20 juillet 1998 (qui codifie la directive 75/129 du 17 février 1975). Les licenciements notifiés seront donc ceux comptabilisés. Le nombre projeté, et annoncé, de licenciements est en général plus élevé que celui des suppressions d'emplois effectives.

La directive assimile aux licenciements, pour le calcul de leur nombre, les départs négociés dans le cadre de projets de licenciements collectifs.

b) Une procédure simple de dépôt des dossiers par les Etats membres pour un cofinancement rapide par l'Union des dépenses éligibles

La proposition de règlement n'a pas été fondée sur le principe d'une intervention spontanée du FEM, mais sur celui d'une demande de l'Etat membre concerné.

Comme l'a indiqué la Commission, c'est ainsi à celui-ci qu'incombera la charge de la preuve, par le dépôt d'un dossier justifiant l'intervention du FEM et mentionnant notamment :

- une analyse du lien entre les licenciements économiques et les mouvements commerciaux internationaux ;

- l'identification des entreprises qui licencient et les catégories de travailleurs concernés (de manière surprenante le texte prévoit la mention d'une explication sur le caractère imprévisible des licenciements. Cet élément ne va pas de soi pour certains secteurs, dont le transfert vers les pays à bas salaires peut être généralement prévu, de même que les licenciements qui en découlent...) ;

- les effets attendus sur l'emploi local, régional ou national ;

- les mesures à financer, leur coût et leur éventuelle complémentarité avec les fonds structurels ;

- les procédures suivies pour la consultation des partenaires sociaux.

Un délai maximum de 10 semaines serait exigé pour l'envoi des dossiers à la Commission. L'objectif est de donner au fonds toute la rapidité d'intervention nécessaire. Le cas du Fonds de solidarité mis en œuvre pour les catastrophes naturelles est toujours cité, avec un paiement dans les 9 mois qui suit la demande par l'Etat membre.

L'objectif du dossier est de permettre à la Commission d'établir non seulement le bien fondé mais également le montant de la participation du FEM.

Le principe retenu par la proposition de règlement est celui d'un cofinancement à parts égales, soit 50 %, par l'Union européenne et par l'Etat membre concerné, des actions éligibles, également appelées « admissibles ».

Comme précédemment indiqué, celles-ci sont strictement définies, de manière à exclure les mesures passives de protection sociale qui incitent les salariés à se retirer du marché du travail, telles que les préretraites, ou les autres dépenses passives comme les allocations de chômage ou les pensions d'invalidité.

Il s'agit donc des mesures personnalisées de réinsertion professionnelle destinées à favoriser le maintien ou la réintégration rapide sur le marché du travail.

Ce sont avant tout les mesures dites « actives » comme l'aide au reclassement, à la formation ou à l'orientation (aides à la recherche d'emploi, conseil professionnel, orientation), qui répondent au profil et aux besoins du salarié concerné, ainsi que les mesures favorisant la création d'entreprises. Ces dépenses sont financées par les différents organismes intervenant dans la politique de l'emploi. Tel est notamment le cas de l'UNEDIC en France.

Sont également concernées les incitations financières temporaires telles que les aides à la mobilité ou les compléments salariaux à durée limitée destinés à inciter les personnes de plus de 50 ans à rester actives, en compensant l'écart entre l'ancien salaire et le nouveau.

Les dépenses du fonds ne faisant pas l'objet d'une programmation, une décision au cas par cas de l'autorité budgétaire sera nécessaire, selon des modalités identiques à celles déjà prévues pour le Fonds de solidarité, après instruction du dossier par la Commission.

La dépense relative à chaque dossier devra donc être autorisée et son montant fixé, sur proposition de la Commission, par l'autorité budgétaire, à savoir le Parlement européen et le Conseil. Au Parlement européen a été proposé, ce qui est en pratique intéressant, une présentation par lots, de manière groupée. Les fonds ainsi débloqués devront être utilisés dans un délai de 18 mois. Concrètement cependant, l'Etat membre concerné fera donc l'avance des fonds et sera remboursé.

La proposition de règlement indique que chaque Etat membre devra adresser à la Commission un rapport sur l'utilisation de la contribution financière du FEM, portant notamment sur la nature des actions menées et les principaux résultats obtenus.

Elle prévoit également un rapport annuel de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur l'activité du FEM et donne également mandat à la Commission pour faire, en collaboration avec les Etats concernés, une évaluation à mi-parcours de l'efficacité et de la viabilité des résultats obtenus.

Des procédures de remboursement sont enfin prévues pour le cas où les charges constatées seraient inférieures à celles prévues lors de la demande de l'Etat membre et en cas de manquement d'un Etat membre aux obligations indiquées dans la décision d'octroi.

c) Une enveloppe annuelle de 500 millions d'euros, prévue par les perspectives financières 2007-2013, qui devrait concerner 50.000 salariés par an

Sur le plan budgétaire, quatre éléments relatifs au FEM doivent être mentionnés.

D'une part, le plafond des dépenses au titre du FEM représente 3,5 milliards d'euros sur la période couverte par les perspectives financières 2007-2013. Le plafond annuel ainsi prévu est de 500 millions d'euros.

D'autre part, le FEM a vocation à intervenir tout au long de l'année. La Commission a souhaité ainsi que le 1er juillet de chaque année, un quart au moins du montant annuel restera disponible pour couvrir les besoins qui se manifesteraient pendant la deuxième partie de l'année. Au Parlement européen, il a été suggéré à juste titre que ce quart reste disponible au début de l'automne.

En outre, le FEM n'entraîne pas de dépense supplémentaire, puisqu'il est financé soit par des crédits d'engagement annulés au titre des exercices précédents, soit par l'utilisation des marges existantes entre les dépenses prévues et le plafond global de dépenses fixé par les perspectives financières.

Enfin, les dépenses relatives FEM sont d'ores et déjà inscrites au budget pour 2007, comme l'a prévu l'une des lettres rectificatives déjà adoptée par le Conseil et le Parlement. La dépense a donc été votée avant que la décision de principe sur la création du fonds ne soit intervenue...

La portée de cette enveloppe peut être évaluée à partir de l'étude de l'Observatoire européen des restructurations, relative à 2005, portant sur 1.729 opérations de restructuration économique dans des entreprises de plus de 100 salariés et concernant 575.221 licenciements économiques et 384.044 créations d'emplois.

Sur cette base, la Commission a estimé que le fonds serait en 2005 intervenu pour environ 50 cas concernant 47.037 salariés. Chaque licenciement économique direct s'accompagne de deux suppressions d'emplois dans son environnement économique.

Selon cette simulation, les 500 millions d'euros annuels devraient ainsi concerner en moyenne 50.000 salariés, soit une aide communautaire de l'ordre de 10.000 euros par salarié aidé.

d) La complémentarité avec les autres instruments communautaires

Dès l'origine, la création du FEM a été conçue comme un complément des actions prévues par les différentes actions déjà existantes, tant au niveau national qu'au niveau communautaire.

Au niveau communautaire, la principale question est celle de l'articulation avec les fonds structurels, principalement le Fonds social européen (FSE).

Cette complémentarité est explicitement prévue par la proposition de règlement, qui dispose que les actions spécifiques bénéficiant d'une contribution du FEM ne reçoivent pas, également, une aide financière d'autres instruments financiers communautaires. Plusieurs éléments doivent être rappelés.

En premier lieu, le FSE intervient en amont dans une logique préventive d'une adaptation au marché du travail grâce à des actions structurelles faisant l'objet d'une programmation pluriannuelle et par conséquent prévues par avance. La logique du FEM est au contraire curative et les opérations éligibles relèvent par nature d'éléments difficilement prévisibles.

En deuxième lieu, l'horizon n'est pas le même. Le FSE a pour vocation de changer la structure de l'emploi, sur une base territoriale ou pour certaines catégories de travailleurs, de manière à l'adapter aux besoins. Il opère donc sur les mouvements de grande ampleur et ses interventions s'inscrivent dans la durée. Le FEM a pour mission d'éviter que des salariés qui ont un emploi ne sortent du marché du travail. Il est destiné à aider des individus pour des actions ponctuelles.

Si en pratique une même personne ne pourra bénéficier simultanément d'une aide du FEM et du FSE, elle pourra cependant, en revanche, si sa situation l'exige, bénéficier successivement des prestations correspondantes.

e) Un calendrier exigeant qui doit être respecté

La Commission a prévu, selon les orientations du Conseil, que la mise en œuvre du FEM interviendrait dès le 1er janvier 2007. L'inscription budgétaire correspondante est déjà intervenue.

Ce calendrier est passablement contraignant puisqu'il exige un accord politique au Conseil EPSCO du 30 novembre, et que cet accord politique ne soit pas différent du texte qui sera adopté par le Parlement européen, réuni en session plénière, en première lecture, dans les jours qui précèdent, selon la procédure de codécision.

A la date de la rédaction du présent rapport, cette perspective n'était pas hors de portée, notamment après la décision du Parlement européen, intervenue le 13 novembre, de reporter la date de l'examen en plénière de la proposition de règlement, ce qui laisse le temps de définir un compromis global.

Si une telle hypothèse ne se réalisait pas, alors la mise en place du Fonds serait retardée de plusieurs mois.

Il appartient par conséquent à la Délégation de rappeler, dans le cadre de sa proposition de résolution, l'urgence de la mise en place du FEM : la mondialisation n'attend pas que l'Europe veuille bien être prête.

2) Les ajustements convergents proposés sur les points en débat par la présidence finlandaise comme par le Parlement européen, portent essentiellement sur les critères d'intervention et doivent être soutenus

a) Une simplification et un assouplissement de ces critères dans le respect du seuil de 1.000 salariés licenciés, notamment grâce à l'introduction d'une clause de sauvegarde

Le Parlement européen et la présidence finlandaise sont arrivés de manière convergente à la conclusion que l'élément central du futur règlement, les critères d'ouverture du fonds, qui commandent l'accès à ses ressources, devait faire l'objet d'une simplification et d'un assouplissement, le seuil de 1.000 salariés étant cependant maintenu.

La simplification a concerné les deux critères initiaux prévus par la Commission.

S'agissant du critère « grande entreprise », il est apparu indispensable de supprimer ses éléments annexes, à savoir la référence territoriale et celle au niveau du chômage sur le territoire considéré.

Cette clarification, qui rend éligible au FEM la disparition de 1.000 emplois en raison de la défaillance d'une entreprise, compte tenu de ses effets en amont chez ses fournisseurs et sous-traitants, comme en aval, sans critère annexe a d'abord le mérite de la simplicité. Elle permet également de traiter de manière équitable le cas d'entreprises de même dimension, mais ayant un nombre d'implantations différent. En revanche, le compromis finlandais prévoit un délai de 4 mois pour la comptabilisation des licenciements concernés. Un tel délai n'est pas adapté. Il est trop bref. D'ailleurs, la proposition initiale de la Commission n'a pas prévu de délai dans ce cas. Il doit être clair que si un délai devait être prévu, dans le cadre d'un compromis, il devrait être suffisamment long pour prendre en compte tous les effets du choc à l'origine de la défaillance de l'entreprise concernée, en amont comme en aval.

S'agissant du critère « sectoriel », les propositions visent à supprimer toute référence à un niveau d'emploi ou de chômage dans la région NUTS II (Région française) considérée. Le seul point qui est en discussion est celui du délai de comptage des emplois supprimés pour savoir si le seuil de 1.000 licenciements économiques est ou non atteint. La Commission a initialement proposé 6 mois, le Parlement européen propose 12 mois et le Conseil serait tenté par 9 mois. Là encore, un délai suffisant doit être fixé. Celui de 12 mois est le plus adapté.

Pour sa part, l'assouplissement, envisagé très tôt par la rapporteure du Parlement européen, Mme Roselyne Bachelot (PPE, France), prend la forme d'une clause de sauvegarde.

Celle-ci permettrait l'intervention du fonds pour les opérations de restructurations lourdes ayant une incidence grave sur l'économie locale, en cas de circonstances exceptionnelles ou lorsque le marché du travail concerné a une taille assez réduite.

Le premier élément vise à créer un lissage de manière à éviter tout effet « couperet », et à permettre ainsi le traitement des cas dignes d'intérêt qui n'atteindraient pas le seuil de 1.000 emplois supprimés. Il convient également d'éviter le caractère pervers d'un effet de seuil, qui pourrait inciter à augmenter les suppressions d'emplois prévues.

Le deuxième élément tend à rendre effectivement éligibles au FEM les petits Etats membres, pour lesquels le seuil de 1.000 salariés n'est en pratique fort heureusement jamais atteint. Il prend également en compte la préoccupation de pays comme la Pologne où la quasi-totalité des entreprises sont des PME.

Deux aspects de la clause de sauvegarde sont cependant en débat : d'une part, la part des ressources du FEM qui pourraient lui être affectée, puisque le Parlement européen envisage un plafond de 20 %, quand certains membres du Conseil, les cinq Etats les plus réticents (Royaume-Uni, Allemagne, Pays-Bas, Danemark, Suède) sont favorables à 10 % et le compromis finlandais prévoit 15 % ; d'autre part, la mention ou non d'un minimum absolu, de 500 emplois.

Sur le fond, ces aménagements doivent être soutenus, au-delà des points encore en débat.

D'une part, ils confirment la validité du seuil de 1.000 licenciements économiques.

Celui-ci est effectivement justifié. Un niveau plus élevé, comme celui de 2.000 à un moment avancé par le Royaume-Uni, aurait ôté tout caractère opératoire au FEM. L'étude d'impact de la Commission à partir des données de l'Observatoire européen des restructurations, rappelle que, pour le secteur textile, un seul Etat aurait rempli ce critère en 2005. Six autres cas ont dépassé le seuil de 1.000.

D'autre part, la simplification du critère relatif à une entreprise et du critère sectoriel rendent le FEM plus opérationnel et plus lisible. Ils permettent également d'éviter tout risque de « catastrophe médiatique ». Il aurait été en pratique désastreux pour l'image de l'Europe qu'en raison d'éléments accessoires, celle-ci ne puisse intervenir dans des opérations lourdes dignes d'intérêt, surtout s'il s'agit de cas emblématiques et fortement médiatisés, faute de remplir exactement les critères prévus, alors même que l'esprit qui a présidé à la création du FEM serait en tous points respecté...

Enfin, la clause de sauvegarde donne au dispositif un gage d'équité envers les Etats les moins peuplés, au-delà du principe du traitement équitable par la Commission des dossiers qui lui sont adressés, et la flexibilité nécessaire.

S'agissant de la France, on observe sur la période 2003-2005 7 restructurations de grandes entreprises impliquant au moins 1.000 salariés, selon les éléments communiqués au rapporteur.

A l'inverse, la mention d'un seuil minimum de 500 licenciements dans la clause de sauvegarde peut se justifier, car comme l'observe la Commission, c'est le niveau au dessous duquel, pour le secteur textile par exemple, le nombre de cas éligibles croît sensiblement. Le fonds risquerait alors d'être trop fortement mis à contribution.

Le seul point sur lequel la clause de sauvegarde doit être notablement amélioré est celui de la proportion de l'enveloppe qui lui sera affectée. Le taux de 15 % envisagé par la présidence finlandaise n'est pas suffisant. Il apparaît préférable de retenir en définitive un taux d'au moins 20 %, de manière à ce que le fonds puisse être géré, grâce à la clause de sauvegarde, avec toute la flexibilité nécessaire.

b) Des améliorations de fond sur les autres points en débat

Les actions au financement desquelles le FEM peut prendre part ont fait l'objet d'importants débats, notamment sur la mention des dispositifs d'aide à la création d'entreprise et sur le financement ou non des compléments de revenus à certaines catégories de personnes qui subissent une perte de revenu par rapport à leur emploi antérieur.

La Commission de l'emploi et des affaires sociales du Parlement européen a opté pour une rédaction large intégrant notamment la certification de l'expérience acquise par les salariés ainsi que les aides à la reprise d'entreprises et aux projets de coopératives, et les micro-crédits. Ces éléments sont indéniablement compatibles avec la philosophie qui a présidé à la création du FEM.

De même, elle propose d'étendre à tous les travailleurs défavorisés les compléments salariaux, désormais qualifiés d'incitations pour rester sur le marché du travail, et de ne pas les réserver à ceux âgés de plus de 50 ans.

La présidence finlandaise a proposé une rédaction différente, plus restrictive dans sa forme, plutôt que sur le fond.

Le refus d'une intégration de ces compléments salariaux est en général fondé soit sur la subsidiarité (l'Europe n'a pas compétence en la matière), soit sur la mise en cause du bien fondé économique de ces compléments (ils faussent la réalité du marché et des coûts de production).

Tant la Commission de l'emploi et des affaires sociales du Parlement européen que le Conseil suggèrent de mentionner que le dispositif relatif au FEM s'applique pour la durée relative aux perspectives financières 2007-2013.

Cet élément, qui tend à éviter que le FEM ne soit pérenne, est un élément du compromis global, même si on doit le regretter.

c) L'opportunité d'un maintien du cofinancement communautaire au taux de 50 %

La part du cofinancement communautaire est l'un des éléments du débat entre le Parlement européen et le Conseil.

Le Conseil pourrait retenir, s'il suit la présidence finlandaise, un taux plus réduit, de l'ordre de 45 %, pour satisfaire notamment la demande des cinq Etats membres précités (Royaume-Uni, Allemagne, Pays-Bas, Suède et Danemark), les plus réservés sur le FEM, qui suggèrent 25 %.

Pour sa part, le rapporteur estime qu'un taux réduit n'a que peu de sens. La lisibilité du FEM comme sa légitimité dans l'opinion seront plus fortes si le principe d'un financement à parité est en définitive retenu.

En outre, l'hypothèse de la réduction de la part du FEM pose un problème de principe sur la nature du fonds. Comment raisonnablement considérer qu'un fonds qui ne finance pas la moitié des dépenses auxquelles il contribue est un fonds européen, dans un domaine aussi sensible ?

Il faut, en effet, éviter de donner le sentiment que l'Europe sociale fuit l'exercice effectif de la mission qu'elle vient d'accepter de se donner.

1) Une clause de révision qui ouvre la faculté d'une révision à brève échéance

La clause de rendez-vous, ou de révision, permet d'envisager des ajustements et des aménagements au fonctionnement du FEM, à brève échéance.

Elle permet, en effet, au Parlement européen et au Conseil de procéder à une révision de son dispositif au regard de l'expérience d'une année de fonctionnement, sur la base du premier rapport annuel, lequel devra être remis avant le 1er juillet 2008.

Cette clause est indispensable compte tenu des difficultés à saisir concrètement comment le FEM fonctionnera, pour quels types de situations et au bénéfice de quels Etats.

L'objectif de cette éventuelle révision est non seulement technique, faire en sorte que l'objectif de solidarité du FEM soit atteint, mais également politique, s'assurer que ses dispositions tiennent dûment compte des caractéristiques économiques, sociales et territoriales de tous ses Etats membres.

2) Des hypothèses de modifications substantielles qui devront être examinées avec une grande rigueur

a) L'adaptation des critères d'intervention à la lumière de l'expérience

Les cas dans lesquels le FEM sera conduit à intervenir sont par nature peu prévisibles, et risquent fort d'être très divers et changeants.

Compte tenu de la difficulté à faire des simulations sur l'impact effectif des critères d'ouverture, il est fort probable que ceux-ci fassent très rapidement l'objet de propositions de révisions, même si la manière dont le FEM sera mis en œuvre à ses débuts est très pragmatique. La portée de ce pragmatisme sera, en effet, elle-même examinée de manière très souple.

Il conviendra alors, dans le cadre des négociations qui s'ouvriront, de faire preuve du même équilibre entre la rigueur et la souplesse, de manière à conserver au fonds les conditions de sa réussite.

b) La question des délocalisations intracommunautaires pourrait être évoquée

Parmi les questions évoquées lors de l'instruction de la présente proposition de résolution, figure au premier plan celle de l'inclusion ou non des délocalisations intracommunautaires dans le champ d'intervention du FEM.

Elle est particulièrement délicate à trois titres :

- elle vise à créer implicitement un frein à la fluidité du marché intérieur, et notamment au marché du travail, laquelle est déjà suffisamment limitée en Europe en raison de la segmentation nationale ;

- elle met à mal la solidarité européenne ;

- elle crée un mécanisme a priori séduisant de rééquilibrage entre les pays, mais risque d'occulter le fond du problème, qui est celui de l'absence d'harmonisation fiscale et sociale en Europe.

A ce stade, la question ne peut être définitivement tranchée, mais l'opinion du rapporteur est plutôt réservée.

c) Le niveau de l'enveloppe budgétaire

Les craintes, qui se sont déjà exprimées, sur l'insuffisance du niveau de l'enveloppe budgétaire prévue ne manqueront pas de ressurgir à l'occasion de la mise en œuvre de la clause de réexamen.

Le désaccord entre le Conseil et le Parlement européen, tel qu'il peut être anticipé au moment de la rédaction du présent rapport, a une importante dimension financière, qui ne porte pas seulement sur la question de l'imputation des dépenses du FEM, mais également sur la révision du montant global.

Le Parlement européen est, en effet, enclin à permettre à la Commission de déposer dans les prochaines années, en 2009 au plus tard, une proposition pour modifier, sur le FEM seulement, les dispositions de l'actuel accord interinstitutionnel de 2006 sur les perspectives financières 2007-2013.

TRAVAUX DE LA DELEGATION

La Délégation s'est réunie, le mercredi 15 novembre 2006, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner le présent rapport d'information.

L'exposé du rapporteur a été suivi d'un débat.

Le Président Pierre Lequiller a souligné l'importance du travail effectué par le rapporteur sur une proposition en phase cruciale de discussion, tant au Conseil des ministres qu'au Parlement européen. Il a estimé que c'est par ce type de démarche en profondeur, qui repose notamment sur des contacts de travail étroits avec les autorités et partenaires concernés, en particulier avec le Gouvernement, le rapporteur du Parlement européen sur le texte et la Commission, que les parlements nationaux peuvent utilement influer sur la construction européenne.

Il a également considéré que la proposition en discussion marquait l'engagement de l'Europe dans le domaine social, au-delà d'une lecture étroite des compétences fixées par les traités. Il s'agit d'une évolution politique importante, et très positive.

M. Jérôme Lambert a évoqué la forte sensibilité des Français à la mondialisation, en soulignant qu'ils en constatent les effets négatifs mais n'en voient pas, si elles existent, les conséquences positives. Il a regretté que la proposition ne vise qu'à créer un Fonds européen d'« ajustement » alors qu'il faudrait aborder le problème en amont, à savoir la mondialisation elle-même. Ses effets politiques, économiques et sociaux sont de plus en plus préoccupants et peuvent dorénavant concerner tous les secteurs de l'économie, entraînant à la fois une concentration industrielle dans quelques pays à faible coût de main d'œuvre et une concentration des profits.

Evoquant le texte de la proposition de résolution proposée, il a estimé qu'il n'était pas souhaitable de parler de « gagnants » de la mondialisation, ce qui laisse entendre que l'on tient pour acquis qu'il y ait des « perdants ». Il serait préférable d'évoquer une démarche « gagnants/gagnants ». Il a également considéré qu'il fallait réexaminer la question de la préférence communautaire. En tout état de cause, il ne pourra pas approuver ce texte.

M. Axel Poniatowski a demandé des précisions sur les destinataires des financements qui seront versés par le FEM.

M. Jean-Claude Lefort a regretté que la mondialisation soit traitée par la proposition d'un Fonds d'ajustement comme une fatalité, conséquence d'une « main invisible ». La mondialisation est, au contraire, la résultante de décisions politiques des Etats, ou groupes d'Etats, et des entreprises. La priorité devrait être, par conséquent, pour l'Europe d'œuvrer pour une autre mondialisation, plutôt que de prendre acte de la mondialisation libérale. Le Fonds proposé pourra, par ailleurs, provoquer un « effet d'aubaine » auprès des entreprises, car il n'est pas prévu qu'elles doivent participer aux efforts de réparation des conséquences négatives de leurs choix économiques.

Le Président Pierre Lequiller a souligné que la discussion sur le projet de FEM ne constituait pas un débat sur la mondialisation, ses avantages et ses inconvénients. L'audition de M. Henri Proglio, président-directeur général de Veolia-Environnement, par la Délégation, intervenue la veille, a par ailleurs montré que la mondialisation offrait aussi des opportunités très importantes pour les entreprises françaises.

M. Alfred Almont a déclaré partager les préoccupations exprimées par M. Jérôme Lambert et M. Jean-Claude Lefort quant à certains effets de la mondialisation, notamment sur le plan de l'énergie, mais a souligné qu'il fallait considérer celle-ci comme un fait acquis auquel il était nécessaire de s'adapter, tout en en corrigeant les conséquences négatives.

En réponse, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

- les conséquences sociales dommageables de la mondialisation sont très préoccupantes, mais la proposition de règlement n'a pas pour objet de débattre sur le fond de la mondialisation, ou d'une autre mondialisation. Les visions qu'ont d'ailleurs les pays européens de ce phénomène sont diverses. La globalisation a des conséquences positives, en particulier sur le plan économique, pour beaucoup de pays et d'entreprises. Sur le plan humain, elle favorise les échanges culturels. Il est indéniable qu'elle a aussi des conséquences dommageables, non seulement en terme d'emploi, mais aussi de risque terroriste ou sanitaire. Le FEM vient utilement contribuer à corriger les conséquences négatives de la globalisation sur le plan de l'emploi. Il est effectivement plus approprié de parler de bénéficiaires de la mondialisation que de « gagnants » ;

- les destinataires des financements prévus par le FEM seront, dans chaque Etat membre, les organismes qui financent la politique de l'emploi.

A l'issue de ce débat, la Délégation a adopté la proposition de résolution dont le texte figure ci-après :

PROPOSITION DE RESOLUTION

L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant création du Fonds européen d'ajustement à la mondialisation (COM [2006] 91 final/n° E 3102),

Considérant que l'Europe doit répondre aux défis de la mondialisation par une stratégie commune adaptée, qui soit conforme à ses valeurs et aux fondements de son modèle social, de manière à faire partie des bénéficiaires de la mondialisation ;

Considérant que l'Agenda de Lisbonne constitue l'essentiel de cette stratégie et que ses objectifs doivent impérativement être atteints ;

Considérant également qu'une réflexion doit être, en complément, menée tant sur l'amélioration de la gouvernance économique de l'Europe, notamment de la zone euro, que sur une meilleure application du principe de la préférence communautaire ;

1. Approuve la création du Fonds européen d'ajustement à la mondialisation (FEM), de manière à faciliter la requalification et la réinsertion professionnelles, ainsi que le retour à l'emploi des salariés licenciés à l'occasion d'opérations de restructurations d'ampleur européenne, grâce à des procédures efficaces et d'application immédiate reposant sur le principe d'un traitement rapide, « à chaud », complémentaire aux actions de plus long terme prévues dans le cadre des autres instruments communautaires, notamment du Fonds social européen (FSE) ;

2. Demande cependant que son dispositif soit amélioré par une simplification des critères d'intervention initiaux, ainsi que par l'adjonction d'une clause de sauvegarde, à laquelle au moins 20 % des dotations du FEM doivent être affectées, permettant tant d'éviter les effets de seuil autour du niveau prévu de 1.000 licenciements que de prendre en compte les spécificités des marchés du travail des petits Etats membres, selon les orientations convergentes dégagées par la commission de l'emploi et des affaires sociales du Parlement européen comme par la présidence finlandaise ;

3. Estime que la question des délais de prise en compte des licenciements doit être réglée, d'une part, par l'allongement à douze mois de celui prévu en cas de licenciements dans plusieurs entreprises d'un même secteur et, d'autre part, par l'introduction d'une durée suffisamment longue en cas de licenciements dus à la défaillance d'une grande entreprise ;

4. Considère que les actions éligibles à son financement doivent également comprendre des incitations financières pour le maintien en activité des travailleurs âgés ou défavorisés ;

5. Souligne la nécessité de prévoir un renforcement de la communication sur le FEM, notamment par la création d'un site internet dédié et par une meilleure coordination avec les collectivités territoriales ;

6. Insiste sur la nécessité d'un maintien à 50 % du taux de cofinancement des dépenses éligibles, de manière à préserver le caractère européen du FEM ;

7. Rappelle que l'urgence d'une action concrète de l'Europe sociale et lisible par les citoyens exige l'entrée en application du FEM au 1er janvier 2007, comme prévu.

ANNEXE :
Liste des personnes entendues par le rapporteur

I. A Paris

- M. Gérard LARCHER, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes ;

- Mme Roselyne BACHELOT-NARQUIN, députée européenne, rapporteure de la commission de l'emploi et des affaires sociales du Parlement européen sur la proposition de règlement créant le Fonds européen d'ajustement à la mondialisation ;

- M. Christian de BOISSIEU, président délégué du Conseil d'analyse économique, professeur à l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) ;

- M. Jean-Paul FITOUSSI, membre du Conseil d'analyse économique, professeur à l'Institut d'études politiques de Paris, président de l'Office français de conjoncture économique (OFCE) ;

- M. Jean GAEREMYNCK, délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle.

II. A Bruxelles

- M. Vladimir _PIDLA, commissaire européen à l'emploi, aux affaires sociales et à l'égalité des chances ;

- M. Ernest-Antoine SEILLIÈRE, président de l'UNICE, et M. Philippe de BUCK, secrétaire général ;

- M. Xavier PRATS-MONNE, directeur, direction A, direction générale de l'emploi, des affaires sociales et de l'égalité des chances ;

- Mme Claude DENAGTERGAL, conseillère à la Confédération européenne des syndicats.

III. A Helsinki

- M. Mikko ALKIO, conseiller du Premier ministre pour les affaires économiques ;

- M. Antti KAIKONEN, député, vice-président de la Grande Commission ;

- M. Markku KOSKI, président de la Commission des finances ;

- M. Markku KOTILAINEN, chef du département de la recherche à ETLA, Institut de recherche sur l'économie finlandaise ;

- M. Kimmo SASI, président de la Commission de la Constitution, membre de la Grande Commission ;

- M. Pertti TOIVONEN, chef du service de la politique structurelle au département politique du ministère du travail ;

- ainsi que S. Exc. M. Gérard CROS, ambassadeur de la République française.

IV. A Londres

- M. Denis MACSHANE, député, Privy Councillor, ancien ministre des affaires européennes ;

- Lord GRENFELL, président de la Commission de l'Union européenne de la Chambre des Lords ;

- M. Patrick DIAMOND, directeur de Policy Network ;

- Mme Win HARRIS, directrice de la Joint International Unit, Department for Work ands Pensions/Department for Education and Skills

- M. Neil MACMILLAN, vice chef du European secretariat et adjoint du conseiller du Premier ministre, M. Tony Blair, aux affaires européennes

- M. Tim PAGE, Economic and Social Affairs Department, Trade Union Congress ;

- Mme Aurore WANLIN, Center for European research.

V. A Varsovie

- M. Franciszek BOBROWSKI, Vice-président du syndicat OPZZ ;

- M. Andrzej GALAZEWSKI, député, vice-président de la Commission des affaires européennes de la Diète (Sejm) ;

- M. Tadeusz KOZEK, sous-secrétaire d'Etat de l'Office de l'intégration européenne ;

- Mme Zuzana MUSKAT-GORSKA, adjointe au directeur des relations internationales du syndicat Solidarnosc ;

- M. Pawel WILCZEK, directeur des relations internationales du ministère du travail, et Mme Karolina LAGIEWKA ;

- ainsi que S. Exc. M. Pierre MENAT, ambassadeur de la République française.