N° 3748 - Rapport d'information de M. Jean-Marie Sermier déposé par la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne sur la réforme de l’organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes (COM [2007] 17 final/n° E 3448)




N° 3748

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 20 février 2007

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA DÉLÉGATION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

POUR L'UNION EUROPÉENNE (1),

sur la réforme de l'organisation commune des marchés
dans le secteur des fruits et légumes

(COM [2007] 17 final/n° E 3448),

ET PRÉSENTÉ

par M. JEAN-MARIE SERMIER,

Député.

________________________________________________________________

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Jean-Pierre Abelin, Mme Elisabeth Guigou, M. Christian Philip, vice-présidents ; MM. François Guillaume, Jean-Claude Lefort, secrétaires ; MM. Alfred Almont, François Calvet, Mme Anne-Marie Comparini, MM. Bernard Deflesselles, Michel Delebarre, Bernard Derosier, Nicolas Dupont-Aignan, Jacques Floch, Pierre Forgues, Mme Arlette Franco, MM. Daniel Garrigue, Michel Herbillon, Marc Laffineur, Jérôme Lambert, Robert Lecou, Pierre Lellouche, Guy Lengagne, Louis-Joseph Manscour, Thierry Mariani, Philippe-Armand Martin, Jacques Myard, Christian Paul, Axel Poniatowski, Didier Quentin, André Schneider, Jean-Marie Sermier, Mme Irène Tharin, MM. René-Paul Victoria, Gérard Voisin.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

I. LES FRUITS ET LEGUMES : UN SECTEUR STRATÉGIQUE MAIS FRAGILE 9

A. Un rôle essentiel pour l'économie et la santé publique 9

B. Des facteurs structurels de fragilité 11

C. Un cadre communautaire ayant échoué dans sa mission d'organisation de la production 15

II. UN PROJET DE RÉFORME LAISSANT UN GOÛT D'INACHEVÉ ET COMPORTANT DES DANGERS 19

A. De réelles avancées sur le rôle des organisations de producteurs et l'assouplissement de leurs règles de fonctionnement 19

B. Un volet intéressant relatif à la promotion et à la protection de l'environnement 22

C. Des moyens dévolus à la gestion des crises nettement insuffisants 23

D. Une intégration très problématique du secteur dans le régime de paiement unique 27

E. Une absence de positionnement en ce qui concerne la préférence communautaire 30

III. DIX PROPOSITIONS POUR RENDRE PLUS FORTS LES PRODUCTEURS DE FRUITS ET LEGUMES 33

TRAVAUX DE LA DELEGATION 41

CONCLUSIONS ADOPTEES PAR LA DELEGATION 43

ANNEXE : Liste des personnes entendues par le rapporteur 47

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

L'Assemblée nationale est saisie, en application de
l'article 88-4 de notre Constitution, d'une proposition de règlement visant à réformer l'organisation commune des marchés (OCM) dans le secteur des fruits et légumes(
1).

En termes de calendrier, la présidence allemande de l'Union européenne ambitionne d'obtenir un accord politique sur ce texte au Conseil « Agriculture et Pêche » des 11 et 12 juin 2007.

Les fruits et légumes et le vin sont les deux derniers secteurs agricoles à faire l'objet, sur le plan communautaire, d'une révision depuis que s'est ouvert, en 2003, avec l'introduction du découplage, un grand cycle de réformes qui sera complété cette année : ont été ainsi réformés les grandes cultures (soit les céréales, les oléagineux et les protéagineux), le riz, les fourrages séchés, les cultures énergétiques, la viande bovine, le lait et les produits laitiers, le tabac, l'huile d'olive, le coton, le houblon, le sucre et la banane. A l'exception de celles concernant la banane et le vin, traitées respectivement par nos collègues Alfred Almont et Philippe-Armand Martin, le rapporteur aura couvert l'ensemble de ces réformes, y compris celle de la politique rurale(2).

Ce rappel permet de souligner à quel point la PAC ne cesse de changer de visage et de paradigme depuis les années 1980, et ce même après les grandes réformes de 1992 et de 1999 : ainsi, loin d'être une politique figée, elle est en évolution constante, ce qui lui permet de rester en phase avec les attentes de la société et...les exigences du système commercial multilatéral.

Ce sont d'ailleurs ces dernières qui expliquent une certaine précipitation dans cette réforme « en continu ». Car si l'Europe ne cesse de « bouger », ses mouvements ne lui permettent pas pour autant d'obtenir des gains réels en termes de position de négociation à l'Organisation mondiale du commerce, comme le démontre l'échec de la Conférence de Cancun en septembre 2003 et les péripéties du Cycle de Doha, ballotté entre le coma et la résurrection et entre la vertu européenne et la mauvaise foi des Etats-Unis, celle-ci étant assumée sans complexe.

Pour ce qui est de l'OCM fruits et légumes, elle a été réformée pour la dernière fois en 1996. Elle est actuellement régie par le règlement (CE) n° 2200 du Conseil du 28 octobre 1996 et couvre les fruits et légumes frais, les fruits et légumes transformés et les agrumes.

Elle repose essentiellement sur trois mécanismes :

¬ un soutien à la production organisée, qui passe par le financement d'actions structurelles. Ainsi, des « programmes opérationnels », financés pour moitié par le budget européen et pour moitié par les producteurs eux-mêmes, permettent aux organisations de producteurs, d'améliorer la commercialisation et la qualité de leurs produits.

¬ des aides pour les fruits et légumes destinés à la transformation, versées le plus souvent dans la limite d'un plafond.

Ces aides, qui mobilisent, chaque année, environ 400 millions d'euros, et sont toutes classées dans la « boîte orange » de l'OMC, puisqu'elles sont liées à la production, concernent :

- les tomates pour un montant de 34,5 euros/tonne (soit environ 2 2000 euros/hectare), avec un plafond de 8,7 millions de tonnes ;

- les oranges, les citrons, les clémentines et les raisins pour un montant de 91 euros/tonne (98 euros/tonne pour les oranges), soit environ 1 730 euros/hectare, avec un plafond de 2,4 millions de tonnes ;

- les pêches et les nectarines pour un montant de 47,70 euros/tonne (soit environ 795 euros/hectare), avec un plafond de 542 062 tonnes ;

- les poires pour un montant de 161,7 euros/tonne (soit environ 3 007 euros/hectare), avec un plafond de 105 659 tonnes ;

- les pruneaux pour un montant de 784 ,97 euros/tonne (soit environ 3 000 euros/hectare) ;

- les figues séchées pour un montant de 258,57 euros/hectare ;

- les raisins secs pour un montant de 2603 euros/hectare, l'aide étant conditionnée à un rendement minimum.

Pour les tomates, les agrumes, les pêches, les nectarines et les poires, l'aide est calculée en fonction de la moyenne des produits livrés au cours des trois dernières années.

Pour les pruneaux et les figues séchées, le montant maximum de l'aide versée aux transformateurs est fixé en fonction de la différence entre un prix minimum payé aux producteurs (de respectivement 1 935,23 euros/tonne et 878,86 euros/tonne) et le prix pratiqué par les pays tiers, tandis que pour les raisins secs, ce montant est calculé en fonction de l'évolution de la surface cultivée et du prix pratiqué dans les pays tiers.

¬ un dispositif de retrait, destiné à stabiliser les cours en cas d'excédents de production et couvrant les choux-fleurs, les tomates, les aubergines, les melons, les pastèques, les pêches, les nectarines et les brugnons, les abricots, les citrons, les poires, les raisins de table, les pommes, les mandarines, les satsumas (un type de mandarine), les clémentines et les oranges. La réforme de 1996 a limité progressivement la part des fruits et des légumes pouvant bénéficier de « l'indemnité compensatrice de retrait », ce plafond étant aujourd'hui fixé à 10% de la production de melons et de pastèques, 5 % de la production d'agrumes, 8,5 % de la production de pommes et de poires et 10 % pour les autres produits. Cette réforme a également diminué de manière progressive le montant de l'indemnité de retrait, versée par les organisations de producteurs aux producteurs adhérents. Le montant de cette indemnité varie aujourd'hui entre 3,97 euros/100 kg pour les aubergines et 14,17 euros/100 kg pour les abricots.

Pour mieux comprendre les enjeux du projet de réforme, dans un premier temps, les caractéristiques du secteur seront rappelées, puis les propositions de la Commission seront analysées, avant que ne soient présentées celles du rapporteur.

Le secteur des fruits et légumes revêt une importance stratégique. Le mot peut paraître fort, mais il permet d'apprécier à leur juste valeur les deux apports essentiels de cette production :

¬ Une contribution capitale à l'agriculture européenne et, plus précisément, à l'économie de certains régions

Sur les 9,7 millions d'exploitations que compte l'Union européenne à 25, 1,4 million d'entre elles produisent des fruits et légumes. Si cette production n'occupe que 3 % des superficies cultivées, elle représente aussi 17 % de la valeur totale de la production agricole européenne. De fait, ce secteur agricole est, en valeur, le plus important d'Europe.

Dans certains Etats membres, la place occupée par ce secteur dans l'économie agricole est considérable : il représente plus de 25 % de la production agricole de la Grèce, de l'Espagne, de l'Italie et du Portugal. Au niveau régional, le poids de la production légumière et fruitière est encore plus impressionnant : en 2001-2003, la part de la production de fruits et légumes dans la production agricole totale était de 28,3 % en Andalousie, 36,1 % en Murcie, 42 % en Provence Alpes et Côte d'Azur, 24,2 % en
Emilie-Romagne, 42,4 % dans la Campagne et les Pouilles et 47,8 % en Sicile(
3).

La contribution de ce secteur à l'emploi, en particulier l'emploi peu qualifié, est également considérable. En France, par exemple, selon la Fédération nationale des producteurs de fruits, la production de fruits emploie 300 000 personnes, dont 200 000 travailleurs saisonniers. Si l'on compte en Unités de Travail Annuel (UTA), ce qui correspond à des actifs à temps complet, le secteur comprend 50 000 UTA pour 26 000 entreprises fruitières. Quant au secteur des légumes, il compte 115 000 UTA pour 44 000 entreprises.

¬ Une contribution à la santé publique tout aussi capitale

L'Organisation mondiale de la santé (OMS) fixe à 400 grammes la consommation journalière minimale de fruits et légumes nécessaire à une alimentation saine, un objectif qui n'est atteint que par la Grèce et la Finlande dans l'Union.

Les fruits et légumes sont donc des auxiliaires précieux des politiques de santé publique conduites par les Etats membres. A titre d'illustration, on rappellera ici que leur consommation est indispensable au combat qui doit être mené contre le fléau de l'obésité, qui, loin d'être une « spécialité » nord-américaine, touche, dans l'Union européenne, 3 millions d'enfants. Cette bataille est d'autant plus urgente et souligne d'autant mieux le rôle clef de la consommation de fruits et légumes qu'en Europe, le nombre d'enfants atteints d'obésité ou de surcharge pondérale augmente d'environ 400 000 chaque année. Ainsi, dans le Sud de l'Europe, au Portugal, en Espagne, en Italie et à Malte, le taux d'obésité atteint des proportions alarmantes, soit 30 % des enfants âgés de 7 à 11 ans(4).

Les fruits et légumes sont un secteur essentiel, mais ils sont aussi le plus fragile des secteurs agricoles, pour cinq raisons.

Un premier facteur de fragilité tient à la diversité du secteur, qui se décline à tous les stades de la filière : diversité des produits, des modes de culture, des structures agricoles (production en plein champ ou production en serre), des modes de commercialisation, des condition d'emploi et de travail, etc.

Un deuxième facteur de fragilité est la concurrence exercée par les pays tiers, dans un contexte d'échanges commerciaux facilités par la réduction des temps de transports internationaux et faussés par les disparités sociales entre l'Europe et les pays émergents et en développement, en particulier ceux du pourtour Sud de la Méditerranée, de l'Hémisphère sud (Chili) et ceux d'Asie, avec l'arrivée en force de la Chine.

Si l'on examine, par exemple, les coûts de production, on observe qu'au Maroc, le salaire minimum dans le secteur agricole est, selon certaines estimations, d'environ quatre euros par jour, soit quinze à vingt fois moins qu'en France et environ dix fois moins qu'en Espagne(5).

A la faiblesse des coûts de production de nos concurrents s'ajoute celle de la préférence communautaire, qui, de fait, ne donne plus un avantage de prix aux productions européennes, en raison des accords commerciaux préférentiels liant l'Europe à certain de ses partenaires : pays du Maghreb et du Mashrek, Turquie, Afrique du Sud, Chili et Mexique.

Pour ne prendre que le cas de la tomate, durant la période de production de mai à octobre, le « prix Rungis origine PACA » de ce fruit est de 720 euros la tonne, alors que le « prix préférentiel Rungis » concédé à certains pays méditerranéens, n'est que de 231 euros la tonne. Vis-à-vis des autres pays tiers, la protection de la production européenne est assurée, durant cette période, par un prix d'entrée, consolidé à l'OMC, de 526 euros la tonne, qui est donc lui aussi inférieur aux prix internes européens. En outre, si l'Europe négociait, dans cette enceinte, un accord sur la base de son offre conditionnelle d'octobre 2005, qui est censée protéger ses productions fragiles, le nouveau prix d'entrée de la tomate serait, selon les calculs du ministère de l'agriculture, de 289 euros par tonne, soit 142 euros de moins que le prix concessionnel accordé à nos partenaires du Sud de la Méditerranée...

Il en résulte, pour ce secteur, une balance commerciale lourdement déficitaire : 16 milliards d'euros d'importations en 2005, contre 5 milliards d'euros d'exportations. Pour les légumes frais, le déficit est passé de 200 millions d'euros à la fin des années 1990 à plus de 500 millions d'euros en 2005 ; celui des légumes tempérés a augmenté, au cours de cette période, de 6,5 milliards d'euros à 8,8 milliards d'euros. La part des importations originaires des pays tiers dans les utilisations des fruits tempérés et légumes frais sur le marché communautaire est donc en augmentation régulière ; elle est cinq fois plus importante pour les fruits tempérés que pour les légumes : elle est en effet passée, pour les premiers, de 18 % à la fin des années 1990 à 22 % en 2005 et, pour les seconds, de moins de 4 % à 5 %.

Troisième facteur de fragilité, la très grande sensibilité du secteur aux aléas climatiques et aux variations de l'offre et de la demande, ce qui a pour conséquence que les producteurs de fruits et légumes sont, parmi les agriculteurs, ceux qui souffrent le plus de la volatilité des revenus.

Comme les fruits et légumes sont des produits finis, périssables et non ou très peu stockables et à offre et à consommation très aléatoires, ils sont exposés à des crises conjoncturelles répétées, se traduisant par des périodes de sur-offre temporaire, de sous consommation temporaire, de fermeture des marchés à l'exportation et/ou d'afflux incontrôlés de produits d'importation. Selon la Fédération nationale des producteurs de fruits, un point de pourcentage de production en plus entraîne, pour certaines espèces, une variation des prix de l'ordre de 50 %.

Ces conditions conduisent à ce qu'au Portugal, par exemple, environ 41 % des exploitations spécialisées dans la production de fruits et de citrons (soit 8 600 exploitations sur un total de 21 000) enregistrent, en moyenne, des pertes de revenus supérieures
à - 30 %. En France, dans ces secteurs, le nombre des exploitations affectées par des pertes de revenus de cette ampleur est d'environ 3 000 sur un total de 8 900, soit 33 %(6).

Un facteur supplémentaire de fragilité du secteur est la pression qu'exercent sur lui la grande distribution et les chaînes « discount », dont la forte concentration leur permet de jouer un rôle directeur dans la fixation des prix des fruits et des légumes. La Commission estime ainsi que depuis 2005, environ 20 à 25 enseignes détiennent 80 % des ventes de produits frais en Europe, un nombre en diminution. La présence des chaînes de supermarchés et hypermarchés dans le commerce de détail de fruits et légumes se situe dans la fourchette des 70-90 % en Allemagne, en France, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et dans les pays scandinaves. En Allemagne, depuis 1995, la catégorie des discounters a vu sa part augmenter de 25 % à 40 %. Enfin, en France, le commerce et la distribution des fruits et légumes sont très concentrés, avec trois groupes de grossistes et cinq distributeurs.

Part des différents lieux d'achats de fruits
et légumes frais (en %)

Source : Commission européenne, janvier 2007 (GMS : grandes et moyennes surfaces).

Le dernier facteur de fragilité est la grande faiblesse de l'organisation de la production, qui explique, très largement, le rapport de forces existant en faveur de la grande distribution.

En 2004, seulement 34 % de la production totale de fruits et légumes européenne a été commercialisée par l'intermédiaire des organisations de producteurs. De manière plus fine, on constate que la valeur totale de la production commercialisée par les organisations de producteurs varie d'un Etat membre à l'autre : elle est inférieure à 10 % en Pologne et supérieure à 80 % en Belgique, en Irlande et aux Pays-Bas. En France, on note un clivage entre le Nord, la Bretagne et la Normandie, qui renferment des organisations de producteurs très performantes, ayant su développer de véritables marques commerciales, et le Sud du pays, où les producteurs sont atomisés et où, parfois, selon le ministère de l'agriculture et de la pêche, les organisations existantes fonctionnent comme des boîtes aux lettres, mises en place pour la « chasse aux primes ».

Part des organisations de producteurs dans la valeur totale de la production commercialisée de fruits et légumes (en %)

Source : Commission européenne, janvier 2007.

Ces chiffres indiquent que l'un des principaux objectifs de l'OCM, la recherche d'une meilleure organisation de la production, n'a pas été atteint.

Afin de favoriser le regroupement de l'offre (ou « concentration), la réforme de l'OCM de 1996 a prévu que l'adhésion à une organisation de producteurs est une condition nécessaire pour pouvoir bénéficier de l'aide communautaire versée au titre des programmes opérationnels.

En 2004, plus de 70 % des quelques 1 500 organisations de producteurs réparties dans les Etats membres disposaient d'un programme opérationnel. Le montant total de l'aide qui leur a été versée par le budget européen s'est élevé à 500 millions d'euros, soit, selon la Cour des comptes européenne, 3 % du chiffre d'affaires des organisations de producteurs et 1 % seulement de la valeur totale de la production européenne de fruits et légumes.

Les programmes opérationnels sont le principal instrument des organisations de producteurs pour aider ces derniers à se moderniser et à s'adapter aux conditions du marché. Il s'agit de programmes de mesures devant viser des objectifs définis dans le règlement du Conseil, au nombre de onze(7). Quant aux organisations de producteurs, pour être reconnues, elles doivent comprendre au minimum cinq membres et avoir un chiffre d'affaires minimal de 100 000 euros.

Ces programmes sont établis par les organisations de producteurs et approuvés par les Etats membres, qui, chaque année, versent l'aide communautaire à hauteur de 50 % des coûts supportés par les organisations pour la mise en œuvre de leurs actions de promotion et d'adaptation de l'offre. L'aide est plafonnée à 4,1 % de la valeur du chiffre d'affaires de ces organisations.

Or force est de constater que, depuis sa mise en place, cette aide n'a pas incité au regroupement des producteurs. Certes, la proportion des producteurs affiliés à une organisation de producteurs varie d'un Etat membre à l'autre, mais la moyenne européenne s'établit à un faible niveau, soit 40 %.

Si la tendance actuelle se poursuit, la Cour des comptes européenne, dans un rapport spécial publié en novembre 2006, estime que « l'objectif de la Commission visant à concentrer 60 % de l'offre au niveau des organisations de producteurs d'ici à 2013 ne sera pas atteint »(8). La Cour constate d'ailleurs que la part des organisations de producteurs dans l'ensemble de la production de fruits et légumes a baissé, puisqu'elle est passée de 40 % en 1999 à 31 % en 2004, tandis qu'au cours de la même période, la valeur de la production commercialisée par les organisations de producteurs n'a augmenté que de 12 %, contre 45 % d'augmentation pour l'ensemble du secteur des fruits et légumes.

Plus grave encore : non seulement la réforme de 1996 a échoué à encourager la concentration des acteurs d'une filière largement atomisée, mais elle a également conduit à financer des programmes qui, parfois, n'avaient « d'opérationnels » que le nom. Dans le rapport précité, la Cour observe en effet que :

- les Etats membres ont approuvé les programmes opérationnels « en fonction de la nature des dépenses prévues, mais sans tenir compte de l'efficacité prévisible des mesures proposées » ;

- la Commission se contente de vérifier l'éligibilité des dépenses liées aux programmes opérationnels sans contrôler si les procédures d'approbation des Etats membres permettent de garantir l'efficacité des dépenses. En outre, elle n'a pas « contrôlé l'efficacité des programmes opérationnels, ni évalué la politique » ;

- sur les 104 actions évaluées par la Cour, plus de la moitié, soit 55 % d'entre elles, ont été classées dans la catégorie « faible efficacité » dans la mesure où elles « n'ont pas abouti à des progrès notables par rapport à la situation de départ des organisations de producteurs ».

Au vu de ces observations, la Cour a recommandé à la Commission d'examiner si l'amélioration du régime d'aide aux programmes opérationnels n'imposait pas de clarifier les critères d'éligibilité, d'aligner les procédures et les règles d'éligibilité des dépenses sur celles relatives aux mesures d'investissement en matière de développement rural et de revoir la règle excluant les producteurs indépendants du mécanisme de cofinancement.

Les propositions de la Commission concernant les organisations de producteurs étaient d'autant plus attendues que plusieurs Etats membres et syndicats agricoles avaient pris position, avant la présentation du projet de réforme, sur le renforcement de l'appui communautaire qui leur est accordé.

Le 20 décembre 2005, sept Etats membres producteurs de fruits et légumes, la France, l'Espagne, l'Italie, la Grèce, le Portugal, la Hongrie et Chypre, ont transmis à la Commission un document de travail sur la réforme de l'OCM demandant d'utiliser les fonds opérationnels pour promouvoir la fusion et l'association des organisations de producteurs (OP).

Selon ce mémorandum, une aide financière supplémentaire devrait être attribuée aux fonds opérationnels mis en œuvre par des OP qui viennent de fusionner ou de lancer des opérations communes entre elles, ainsi qu'aux programmes mis en œuvre dans le cadre d'associations d'OP. Elle pourrait prendre la forme d'un relèvement du plafond limitant la contribution communautaire à la valeur de la production commercialisée de l'OP (actuellement fixé à 4,1 %) ou de celui du cofinancement communautaire des programmes opérationnels (passant ainsi d'un plafond de 50 % à un plafond de 60 %) ou d'une combinaison des deux propositions précédentes.

De leur côté, le Comité des organisations professionnelles agricoles de l'Union européenne (COPA) et la Confédération générale des coopératives agricoles de l'Union européenne (COGECA) ont élaboré des propositions sur la réforme de l'OCM, qui ont été publiées le 15 juin 2006.

Ces deux fédérations demandent d'augmenter le plafond de l'aide communautaire de 4,1 % à 6 %, afin que les OP qui disposent d'un potentiel économique puissent bénéficier des ressources nécessaires pour concentrer l'offre, et d'augmenter le cofinancement communautaire de 50 à 60 % pour les actions menées par les associations d'OP, les collaborations d'OP au sein d'un même Etat membre et les fusions d'OP. Enfin, elles proposent d'accorder d'avantage de subventions à la création et à la gestion des OP pré-reconnues, avec des taux de subvention de respectivement 10 %, 10 %, 8 %, 6 % et 4 % pour les cinq premières années de fonctionnement de l'organisation (contre les 5 %, 5 %, 4 %, 3 % et 2 % appliqués actuellement).

Ces demandes de moyens supplémentaires doivent être mises en relation avec le fait que le secteur des fruits et légumes est peu « budgétivore » et « consommateur d'aides ». En effet, il convient de garder à l'esprit qu'en France, les aides versées aux producteurs de légumes peuvent ne représenter que 2 % des revenus de ces derniers, ce qui est très faible, surtout au regard des taux qui peuvent être observés dans le secteur des céréales. Pour les producteurs de fruits, les aides ne représentent, en moyenne, que 25 % à 30 % de leurs revenus.

En dépit de ces attentes, la Commission a fait des propositions prudentes en ce qui concerne les moyens d'action collective des organisations de producteurs. Elle a choisi en effet de ne pas relever le plafonnement de l'aide par rapport à la valeur de la production commercialisée de chaque organisation de producteurs, qui devrait donc rester limité à 4,1 %.

Aux yeux de la Commission, le relèvement du plafond ne s'impose pas dans la mesure où il n'est que rarement atteint par les organisations de producteurs, un constat partagé par la Fédération nationale des producteurs de légumes. Le ministère de l'agriculture observe à cet égard que la moyenne française, pour l'ensemble du secteur des fruits et légumes, en termes de pourcentage de la valeur de la production commercialisée par les organisations de producteurs, est d'environ 3,4 %.

Cependant, ce constat n'est pas universellement valable, car le plafond actuel restreint singulièrement la capacité d'action d'une catégorie d'acteurs, celle des organisations de producteurs les plus efficaces, qui ne peuvent conduire des politiques de valorisation de leurs produits aussi ambitieuses qu'elles le souhaiteraient.

Par ailleurs, avec la proposition de la Commission, le cofinancement communautaire sera toujours limité à 50 % des dépenses effectuées par les organisations de producteurs.

Ce cofinancement sera toutefois porté à 60 %, mais seulement dans quelques cas, car le programme bénéficiaire devra répondre au moins à l'une des conditions suivantes :

- le programme est présenté par plusieurs organisations de producteurs opérant dans des Etats membres distincts ;

- le programme est présenté par une ou plusieurs organisations de producteurs pour des actions menées par une filière interprofessionnelle ;

- le programme couvre exclusivement l'aide à la production biologique ;

- le programme est présenté par une organisation de producteurs de l'un des nouveaux Etats membres ;

- le programme est présenté par deux organisations de producteurs ayant fusionné ou par une association d'organisations de producteurs pour autant qu'aucune des structures associées n'ait bénéficié d'un soutien communautaire ;

- le programme est présenté par des organisations de producteurs dans des Etats membres où moins de 20 % de la production des fruits et légumes sont commercialisés par de tels organismes ;

- le programme est présenté par une organisation de producteurs opérant dans l'une des régions ultrapériphériques (RUP) de l'Union européenne.

Par ailleurs, la Commission prévoit d'autoriser, après une demande dûment justifiée, les Etats membres à verser une contribution financière nationale égale au maximum à la contribution des producteurs mais au bénéfice des seules régions où le degré d'organisation des producteurs est particulièrement faible.

Enfin, avec le nouveau cadre réglementaire, les Etats membres seraient autorisés à étendre aux producteurs d'une même région non membres d'une organisation de producteurs certaines règles, notamment en matière de production, de mise sur le marché et de protection de l'environnement. Seraient ainsi considérés comme représentatives pour l'extension des règles les organisations regroupant au moins 50 % des producteurs de la « circonscription économique » dans laquelle elles opèrent et couvrant au moins 60 % de la production de fruits et légumes de la zone considérée.

Au total, ces propositions, avec celles décrites immédiatement ci-après, constituent le volet le plus satisfaisant de la réforme.

Le projet de réforme maintient l'autorisation actuelle donnée aux organisations de producteurs de fruits et légumes d'inclure des actions de promotion dans leurs programmes opérationnels, en conservant, comme cela a déjà été dit, le cofinancement communautaire à hauteur de 50 %.

La proposition de règlement comporte toutefois deux nouveautés dans le domaine de la promotion, qui reposent sur l'attribution de moyens supplémentaires :

- le taux de cofinancement communautaire des actions de promotion menées par les organisations de producteurs sera porté de 50 % à 60 % pour celles qui sont destinées aux jeunes de moins de 18 ans. Un budget spécifique de 36 millions d'euros sur six ans sera consacré à cet objectif ;

- le financement communautaire sera de 100 % pour les retraits de fruits et légumes au profit de la distribution gratuite auprès de certaines institutions comme les établissement scolaires et les colonies de vacances. La Commission prévoit d'affecter 48 millions d'euros sur six ans à ces activités.

En ce qui concerne la protection de l'environnement, la proposition de la Commission comporte trois dispositions, qui visent à mieux intégrer cette préoccupation dans l'OCM.

Premièrement, la conditionnalité sera appliquée au secteur des fruits et légumes du fait de l'extension du régime du paiement unique.

Deuxièmement, la Commission introduit un seuil minimum de 20 % de fonds consacrés aux activités et aux investissements en faveur de l'environnement au sein des programmes opérationnels.

Enfin, comme on l'a déjà vu, le cofinancement communautaire des programmes opérationnels est porté à 60 % pour la production biologique.

La très grande vulnérabilité du secteur des fruits et légumes, résultant des caractéristiques structurelles de cette production, telles que la diversité des espèces, les fortes oscillations du climat, de l'offre et de la demande et la concurrence exacerbée des pays tiers, impose de doter l'OCM de mécanismes efficaces de régulation de l'offre en cas de crise.

Il convient de rappeler à cet égard que le compromis final actant la réforme fondamentale de la PAC de juin 2003 est accompagné d'une déclaration de la Commission dans laquelle celle-ci s'engage à examiner des mesures spécifiques pour gérer les crises du secteur agricole et, en particulier, le financement de ces mesures par un point de pourcentage du produit de la modulation, qui serait redistribué aux Etats membres, et par l'inclusion, dans chaque OCM, d'une disposition permettant à la Commission, en cas de crise agricole à l'échelle communautaire, d'agir en conséquence, sur la base d'un mécanisme similaire à celui qui existe dans le secteur de la viande bovine.

Au moment de l'accord sur la réforme de la PAC de 2003, finalisé au Luxembourg, plusieurs Etats membres, dont la France, ont considéré que cet engagement se traduirait, au premier chef, par des mesures concrètes concernant les OCM dites « légères », à savoir celles qui couvrent les secteurs des fruits et légumes, de la volaille et du porc.

C'est d'ailleurs sur cette base que le mémorandum sur la réforme de l'OCM fruits et légumes transmis en décembre 2005 à la Commission propose :

- de mettre en place des dispositifs de gestion de crise, comme les retraits ou l'abondement des fonds opérationnels, financés sur une enveloppe nationale, à partir du point de modulation prévu par le compromis de Luxembourg pour gérer les crises ou d'un pourcentage équivalent du budget de la politique de développement rural et des crédits actuellement consacrés aux retraits de fruits et légumes ;

- d'améliorer les conditions de distribution gratuite de fruits et légumes ;

- de financer, par les programmes opérationnels, des actions telles que les destructions dans les champs et les récoltes en vert.

Pour sa part, le COPA-COGECA a demandé, en juin 2006, l'institution d'un fonds communautaire spécifique pour la gestion des grises, adossé à l'OCM, distinct des programmes opérationnels. Tous les producteurs, y compris ceux qui n'appartiennent pas à des organisations de producteurs, devraient participer et bénéficier de ce fonds, une liste d'actions éligibles devant être définie au niveau communautaire.

Il est incontestable que les propositions de la Commission sur ce sujet se situent très en deçà des attentes des Etats membres producteurs et de la filière.

Elles prévoient la suppression de l'indemnité communautaire pour les retraits, pour mettre en place, au sein des programmes opérationnels, des outils de gestion des crises pour les organisations de producteurs, avec le financement communautaire existant, à hauteur de 50 %. Les instruments prévus sont la récolte en vert, la non-récolte, la promotion et la communication, la formation, l'assurance récolte et la participation aux coûts administratifs de la création des fonds de mutualisation.

D'après la Commission, ces outils devraient être classés dans la boîte orange de l'OMC, mais cela ne devrait pas pour autant ôter des marges de manœuvre à l'Europe lorsqu'elle devra réduire, en cas de succès du Cycle de Doha, ses plafonds de soutien. En effet, les sommes concernées ne représentent que quelques millions d'euros...

Par ailleurs, la Commission prévoit de porter le financement communautaire à 100 % pour les actions de distribution gratuite aux organisations caritatives, aux fondations, aux établissements scolaires, aux institutions d'enseignement public et aux colonies de vacances.

A la lecture du texte de la Commission, on s'aperçoit que, à l'exception des mesures améliorant la distribution gratuite de fruits et légumes, le volet « gestion de crises » relève d'avantage de l'apparence que d'une démarche cohérente, se traduisant par des dispositifs efficaces.

En effet, si le projet de réforme prévoit d'inclure les outils de gestion des crises au sein des programmes opérationnels, le plafond qui limite le volume financier de ces mêmes programmes n'est pas augmenté. Il en résulte qu'une gestion des crises pourra être organisée dans le cadre de la nouvelle OCM, mais elle devra se faire au détriment des actions structurelles aujourd'hui financées par les programmes opérationnels.

Ainsi la mise en place d'un volet relatif à la gestion de crises se fait au prix d'un affaiblissement du seul outil aidant les producteurs à promouvoir la qualité des produits qu'ils vendent et à s'adapter à un marché soumis à de constantes oscillations.

La France a fait part de sa déception à la Commission lors du Conseil « Agriculture » du 29 janvier 2007, en soulignant le manque de moyens dévolus à la gestion des crises, une position partagée par l'Italie, l'Espagne et la Grèce.

En outre, la proposition de la Commission fait reposer la gestion des crises sur les seules organisations de producteurs, sans prévoir d'y associer les producteurs indépendants. Faut-il y voir un moyen d'inciter, par une carotte financière, ces derniers à se regrouper au sein des organisations de producteurs ? Quoiqu'il en soit, cette démarche d'exclusion des « indépendants » n'est pas acceptable, car elle revient à laisser « sur le carreau » un nombre important de producteurs : quand bien même la Commission parviendrait à atteindre son objectif consistant à regrouper d'ici 2013, au sein de ces organisations, 60 % des producteurs, 40 % de la profession resterait encore à l'écart du filet de sécurité apporté par les mesures de gestion des crises. Or, par définition, la protection offerte par un filet de sécurité ne peut qu'être universelle, ce qui d'entrée de jeu impose d'écarter des dispositifs fondés sur des privilèges.

De plus, une gestion de crise qui ne couvrirait que 50 % de la production est vouée à l'échec : en effet, il n'est pas possible d'assainir un marché lorsque la majorité ou presque des acteurs sont libres de continuer à vendre leur production. Au Conseil agriculture de fin janvier 2007, la France, l'Italie, la Lituanie et la Roumanie ont d'ailleurs insisté sur la nécessité d'ouvrir le dispositif à tous les producteurs, y compris non organisés.

Au total, les propositions de la Commission sur la gestion de crise sont à la fois injustes et inefficaces.

Actuellement, trois règles différentes de découplage, lequel est régi par le règlement (CE) n° 1782/2003 du Conseil du 29 septembre 2003 et est appelé régime de paiement unique ou régime de paiement unique à la surface (dans le cas des nouveaux Etats membres), sont appliquées au secteur des fruits et légumes.

- Le modèle historique du découplage, appliqué en France, en Autriche, en Belgique, en Grèce, au Portugal et en Espagne, prévoit que les superficies affectées à la culture de fruits et légumes ne sont pas éligibles au régime de paiement unique.

- Les modèles dits de découplage hybride et de découplage régional prévoient l'éligibilité des surfaces consacrées aux fruits et légumes, mais seulement dans des limites historiques. Six Etats membres appliquent ce modèle : le Danemark, la Finlande, l'Allemagne, le Luxembourg, la Suède et une partie du Royaume-Uni.

- Le régime de paiement unique à surface, appliqué par huit des dix Etats membres entrés en 2004 dans l'Union, ainsi que par la Bulgarie et la Roumanie, rend les superficies consacrées aux fruits et légumes, ainsi qu'aux vergers, admissibles au bénéfice de l'aide découplée.

Jugeant qu'il est nécessaire d'harmoniser les règles applicables au secteur, la Commission propose, d'une part, de rendre les surfaces cultivées en fruits et légumes éligibles aux paiements versés au titre de l'aide découplée, en modifiant l'article 51 du règlement (CE) n° 1782/2003 qui exclut les fruits et légumes des droits à paiement unique, et, d'autre part, de découpler l'aide aux fruits et légumes transformés. Sur ce deuxième point, c'est aux Etats membres qu'il appartiendra de déterminer les montants de référence et les hectares admissibles au bénéfice de l'aide découplée sur la base, selon l'exposé des motifs de la proposition, « d'une période représentative appropriée pour le marché de chacun des fruits et légumes et de critères objectifs non discriminatoires adéquats ».

D'après la Commission, l'intégration des fruits et légumes dans le régime de paiement unique et le découplage des aides aux produits transformés à partir des fruits et légumes, outre qu'ils constituent des mesures de simplification, présentent deux grands avantages.

En premier lieu, la première mesure étendra les règles de conditionnalité, introduites avec la réforme de 2003, aux fruits et aux légumes, c'est-à-dire que les producteurs de ce secteur seront obligés, sous peine de voir leurs primes réduites, de respecter les normes environnementales qui conditionnent le versement de l'aide découplée.

En second lieu, les aides au secteur des fruits et légumes destinés à la transformation sont aujourd'hui classées dans la « boîte orange » de l'OMC, c'est-à-dire dans la catégorie des aides qui sont considérées comme étant celles qui faussent le plus les échanges commerciaux et qui, par conséquent, sont soumises à des engagements de réduction. A l'inverse, l'extension du découplage au secteur des fruits et légumes va permettre de classer les aides aux producteurs dans la « boîte verte » de l'OMC, qui est exemptée de tout effort de réduction, dans la mesure où cette catégorie regroupe les soutiens qui n'ont pas de lien avec les prix et la production. Une telle évolution offrirait aux négociateurs européens une marge de manœuvre supplémentaire au sein de l'Organisation pour préserver les aides au revenu des agriculteurs et conforter ainsi la position de l'Europe dans cette enceinte internationale.

Sur le plan budgétaire, le projet de la Commission prévoit d'augmenter de 769,1 millions d'euros en 2008, puis de 831,86 millions d'euros en 2009 et de 783,46 millions d'euros à partir de 2010 les plafonds actuels du régime de paiement unique, pour y intégrer le secteur des fruits et légumes.

Cette nouvelle enveloppe profiterait essentiellement à l'Italie (315,6 millions d'euros, soit 40 % du montant total), à la Grèce (186,4 millions d'euros, soit 25 % du montant total) et à l'Espagne (166,8 millions d'euros, soit 22 % du montant total). Viendraient ensuite la France, avec 52 millions d'euros, et le Portugal, avec 35,7 millions d'euros, les douze nouveaux Etats membres se partageant un total de 26,6 millions d'euros.

Les propositions de la Commission sur ce volet de la réforme soulèvent trois objections.

¬ La première objection est de nature politique : l'intégration du secteur des fruits et légumes dans le régime du paiement unique remet en cause le compromis de Luxembourg du 26 juin 2003.

En effet, celui-ci a explicitement prévu d'exclure les fruits et légumes de l'éligibilité aux droits à paiement unique. Ce point a été obtenu notamment à la demande de la France pour éviter que les producteurs du secteur des grandes cultures ne puissent utiliser leurs droits à paiement pour se lancer dans la production légumière et fruitière, dans le but d'augmenter leurs marges, et venir concurrencer ainsi les producteurs « historiques » de fruits et légumes qui, eux, ne bénéficient pas de primes, en raison des références historiques utilisés pour l'attribution des droits à paiement. Donner une telle autorisation aux producteurs de grandes cultures reviendrait à créer une distorsion de concurrence entre ceux-ci et les petits maraîchers, qui, dans de telles conditions, ne pourraient pas survivre.

On observera toutefois que pour la Fédération nationale des producteurs de légumes l'intégration du secteur des fruits et légumes au régime de paiement unique peut être envisagée à condition d'activer des droits à paiement unique sur les surfaces concernées, afin d'établir des conditions de concurrence plus équitables entre les agriculteurs pouvant mobiliser d'importants droits à primes et les autres.

Cependant, de son côté, la Fédération nationale des producteurs de fruits considère que le montant des droits activés ne suffira pas à couvrir certains coûts de production : d'après elle, un hectare de production pérenne impose d'engager, dès la première année, 30 000 euros de dépenses pour les plantations, les piquets, les filets, etc...

¬ En outre, et c'est la deuxième objection, non seulement la proposition de la Commission ne respecte pas un accord conclu entre elle-même et le Conseil, mais elle constitue une aberration en termes de politique de gestion : comme le découplage n'a été introduit qu'à partir de 2005 ou, dans certains Etats membres, en 2006, comme en France, voire en 2007, personne ne dispose, aujourd'hui en Europe, du recul nécessaire pour juger de la « bonne marche » du système de paiement unique. Ainsi, la proposition de la Commission fait fi de toute considération élémentaire de prudence, en étendant le régime de paiement unique à un nouveau secteur agricole, avant même que le découplage ne soit définitivement mis en œuvre au niveau européen.

¬ Troisième objection : la proposition de découplage des aides aux produits transformés à base de fruits et légumes va susciter des difficultés de nature agricole et industrielle.

En premier lieu, le système actuel d'aide aux transformateurs garantit, pour certaines productions, le paiement d'un prix minimum aux organisations de producteurs. Il joue donc un rôle essentiel sur le plan industriel et agricole : il cimente le tissu interprofessionnel de la filière. Par conséquent, le découplage de l'aide, pour certains produits, à savoir la tomate d'industrie, la prune de pruneau, les poires et les pêches transformées, ne peut qu'entraîner une rupture du lien qui unit les acteurs de l'interprofession, ce qui ne manquera pas d'avoir des répercussions économiques. Par exemple, comme les unités de séchage de pruneaux, au nombre de huit dans le Lot-et-Garonne et dans le Tarn-et-Garonne, seront de moins en moins approvisionnées du fait de la réduction de la production de pruneaux consécutive au découplage, elles risquent de disparaître.

En deuxième lieu, le découplage incitera certains producteurs, comme ceux du pruneau, qui perçoivent une aide pouvant aller jusqu'à 2 900 euros par hectare, à consacrer le « chèque » que constitue la prime découplée au développement de la production de légumes, ce qui aura pour effet de concurrencer durement les producteurs historiques de légumes. Si un tel scénario se vérifiait, toute la filière française des légumes risquerait d'être mise à mal par la concurrence « artificielle » créée par ces nouveaux venus.

Le projet de réforme ne comprend aucune référence au maintien nécessaire de la préférence communautaire pour le secteur des fruits et légumes, alors même que la concurrence étrangère constitue l'un de ses plus importants facteurs de fragilité.

En effet, l'exposé des motifs du texte proposé se contente d'indiquer qu'en raison du caractère inconnu du résultat des négociations multilatérales, toujours en cours, « la proposition de réforme ne modifie pas le cadre juridique actuel relatif au commerce extérieur (système des prix d'entrée, contingents tarifaires, volumes de déclenchement,...) ».

La prudence de la Commission peut se comprendre s'agissant du contenu des articles définissant les éléments constitutifs du « volet externe » de l'OCM : ceux-ci n'ont pas à être modifiés tant que les discussions se poursuivent à Genève.

Cependant, rien n'empêche l'Europe de réaffirmer, par exemple dans les considérants du futur règlement ou par une déclaration, de la Commission et du Conseil, son attachement au maintien de la préférence communautaire qui, pour le secteur des fruits et légumes, repose sur les prix d'entrée et les quotas.

Ainsi que le souligne le mémorandum sur la réforme des fruits et légumes de décembre 2005, lors des négociations à l'OMC, « il conviendra d'être particulièrement vigilant sur le maintien du dispositif du prix d'entrée et sur le régime d'accès au marché qui sera retenu pour les productions européennes d'importance majeure, par exemple, la pomme, le citron, la tomate ou l'ail ».

C'est cette vigilance que l'Europe doit rappeler, d'une manière ou d'une autre, par une trace écrite, au moment de l'adoption de la réforme.

Ce rappel est d'autant plus nécessaire que, par ailleurs, la Commission propose, pour en faire un symbole de la détermination européenne de respecter l'accord conclu à Hong Kong en décembre 2005 par les membres de l'OMC sur le retrait, d'ici 2013, de toutes les formes de subventions aux exportations, de supprimer les restitutions accordées aux exportations de fruits et légumes vers les pays tiers.

La Commission estime en effet que ce geste sera à la fois fort, car il sera le signe que l'Europe entend respecter la parole donnée aux pays en développement lors de la dernière Conférence ministérielle de l'OMC, et peu exigeant en termes d'efforts pour le secteur. Sur ce dernier point, elle fait valoir qu'en 2004/2005, la restitution ne représentait qu'entre 0,8 % et 8,9 % du prix des exportations des fruits et légumes, selon les produits concernés. En outre, durant cette période, la part, en volume, des exportations de fruits et légumes avec restitution n'était qu'à peine supérieure à 10 %.

Mais puisque la Commission propose ce sacrifice, même s'il n'est pas exorbitant, il est d'autant plus légitime de lui demander de rappeler le caractère indispensable d'une protection tarifaire adaptée pour les fruits et légumes.

Dans le même esprit, il serait opportun de préciser que cette protection passe aussi par la mise en œuvre, le cas échéant, d'une clause de sauvegarde visant à limiter, lorsque la situation de marché l'exige, les importations de fruits et légumes.

A cet égard, l'article 5 de l'Accord sur l'agriculture de l'OMC, prévoit une clause de sauvegarde spéciale (CSS) pour les produits bénéficiant d'un mécanisme de protection tarifaire avec prix d'entrée.

Dans le secteur des fruits et légumes, elle revêt toute son importance pour la pomme. Deux critères de déclenchement sont utilisables : un critère de volume et un de critère prix. En 2005, une crise très grave s'est produite sur le marché de la pomme, notamment du fait d'importations importantes en provenance de pays de l'hémisphère sud. Cette année-là, ces importations ont atteint le seuil du volume de déclenchement. La Commission aurait pu mettre en oeuvre le droit additionnel, mais elle ne l'a pas fait, en invoquant une erreur dans la collecte des statistiques qui n'a pas permis de déceler assez tôt le dépassement du seuil !

Surtout, l'article 33, alinéa 1, du règlement de 1996 encadrant l'OCM dispose que le déclenchement de la clause est conditionné à la démonstration d'une perturbation du marché communautaire en plus des critères prix et volume. Cela signifie qu'avec le système actuel, la charge de la preuve revient à l'Etat membre, ce qui ne permet pas une activation efficace de la clause. Dans le projet de réforme de l'OCM, cet article n'est pas modifié. Le ministère de l'agriculture demande donc, ce qu'approuve le apporteur, un réexamen de ces dispositions, afin d'aboutir à une automaticité du déclenchement de la CSS dès que les volumes sont dépassés ou les prix tombent en deçà du prix de déclenchement.

Compte tenu des observations qui précèdent, le rapporteur défend dix propositions visant à améliorer ou à corriger le projet de réforme de la Commission, dans le but de rendre plus forts les producteurs de fruits et légumes.

Proposition n° 1 : Relever le plafond de la contribution communautaire à la valeur de la production commercialisée des organisations de producteurs de 4,1 % à 6 %

Même si plafond en vigueur n'est pas toujours atteint, il convient de donner davantage de moyens aux organisations de producteurs les plus performantes, qui, aujourd'hui, sont handicapées par le respect de la « règle des 4,1 % ». On ne peut vouloir, d'un côté, développer une politique de qualité ambitieuse pour le secteur des fruits et légumes, ce qui suppose de créer des marques et des techniques de promotion efficaces, et brider, de l'autre, la capacité d'action des organisations de producteurs que la Commission souhaite par ailleurs maintenir au centre de la future OCM.

Proposition n° 2 : Rendre l'aide accordée au titre des programmes opérationnels plus efficace

Dans la lignée des recommandations de la Cour des comptes européenne formulées dans le rapport spécial n° 8/2006, la Commission devrait simplifier le régime d'aide aux programmes opérationnels en clarifiant les critères d'éligibilité et en reconsidérant les objectifs de ces programmes, afin d'inciter les Etats membres à les approuver en fonction de critères d'efficacité.

Il est logique de demander ces améliorations dans la mesure où la future OCM maintiendra le rôle prédominant des organisations de producteurs et attribuera à celles-ci plus de moyens pour les programmes opérationnels qu'elles mettent en oeuvre.

Proposition n° 3 : Créer un fonds dédié à la gestion des crises, financé sur des enveloppes nationales alimentées par le point de modulation prévu par l'accord de Luxembourg

L'Europe doit respecter sa parole. Elle doit donc faire usage d'une flexibilité financière prévue depuis juin 2003, mais jamais utilisée, pour financer, en dehors des programmes opérationnels, des dispositifs de gestion de crise dans le secteur des fruits et légumes.

Ceux-ci constituent en effet un filet de sécurité indispensable à la bonne marche d'une filière soumise au double choc de la concurrence accrue des pays tiers et des aléas de marché les plus prononcés de tout le secteur agricole.

A l'inverse, la solution préconisée par la Commission pour doter l'OCM d'un volet de gestion des crise et qui consiste à prélever des crédits sur les programmes opérationnels pour financer un tel dispositif n'est pas acceptable, car elle a pour effet direct de diminuer les capacités d'action des organisations de producteurs.

Quant aux instruments à mettre en œuvre pour gérer les crises de marché, ils doivent être variés et définis au niveau communautaire : retraits, récoltes en vert (pour les fruits) ou des petits calibres (pour les légumes), contribution aux primes d'assurance contre les crises résultant de causes naturelles, publi-promotion et soutien aux frais administratifs entraînés par la mise en place de fonds de mutualisation.

Proposition n° 4 : Rendre l'application des dispositifs de gestion de crise obligatoire afin de couvrir les producteurs indépendants

La proposition de la Commission tendant à réserver le bénéfice des outils de gestion de crise aux seules organisations de producteurs est injuste et inefficace. La gestion de crise doit englober tous les producteurs, pour éviter qu'une partie de la production contribue à l'effort d'assainissement, tandis que l'autre se sent les mains libres pour continuer d'alimenter la sur-offre.

C'est pourquoi, la gestion de crise doit être rendue obligatoire et être organisée au niveau des bassins de production, dirigés par des comités regroupant les associations d'organisations de producteurs et les producteurs indépendants ayant le statut d'agriculteurs.

D'une manière générale, il serait souhaitable que l'OCM fruits et légumes soit adossée à des comités de bassin regroupant l'ensemble des producteurs pour que soit mise en œuvre une politique de marché cohérente et globale, allant au-delà de la gestion des crises pour englober la connaissance du marché et l'anticipation des évolutions de l'offre et de la demande.

Proposition n° 5 : Etudier la faisabilité d'une dérogation aux règles de concurrence pour permettre aux producteurs de fruits et légumes d'anticiper l'inadéquation entre l'offre et la demande et de planifier ainsi les volumes mis sur le marché

Il ne s'agit pas d'autoriser les ententes illicites entre producteurs pour fixer les prix, mais d'organiser, afin de réguler l'offre et de prévenir les crises sur un marché très volatile, l'échange d'informations entre producteurs.

Cette dérogation aux règles de la concurrence se justifie donc par :

- le caractère limité de « l'entente » : encore une fois, l'objectif n'est pas de fausser la concurrence par la conclusion d'un accord interprofessionnel sur les prix, mais d'informer les producteurs sur l'évolution du marché et d'adapter leur offre en conséquence. C'est ainsi qu'en France, les producteurs de tomates, dont 60 % sont regroupés dans les organisations de producteurs, effectuent des analyses de marché semaine par semaine et disposent des informations leur permettant, lorsqu'il devient nécessaire de « soulager » le marché, de décider des opérations de promotion ou de dégagement de la production excédentaire sur les marchés des pays tiers ;

- le fait que cette capacité d'analyse et d'anticipation permettrait d'éviter le recours à la gestion de crise. Il est beaucoup plus sage d'éviter la crise que de devoir en essuyer le prix, qui se traduit par des pertes économiques pour les producteurs et de la dépense publique - en l'espèce communautaire.

Proposition n° 6 : Respecter l'accord de Luxembourg en n'intégrant pas le secteur des fruits et légumes dans le régime de paiement unique

Le compromis de Luxembourg du 26 juin 2003 définit un pacte pour l'agriculture qui ne peut être remis en question qu'après l'examen de la PAC prévu au cours de l'année 2008.

Anticiper cette prochaine révision à mi-parcours, en incluant, dès 2007, le secteur des fruits et légumes dans le régime de paiement unique, constituerait une erreur économique, politique et intellectuelle : cette évolution créerait des distorsions de concurrence préjudiciables aux petits producteurs, remettrait en cause un accord entre le Conseil et la Commission qui a reçu une traduction juridique dans le règlement de 2003 définissant le régime des droits à paiement unique et créerait une difficulté supplémentaire pour la mise en œuvre du découplage qui n'est toujours pas achevée et au sujet duquel on ne dispose d'aucune évaluation secteur par secteur, pays par pays.

Si la Commission devait persister, les Etats membres producteurs seraient alors fondés d'exiger l'activation des droits à paiement unique sur les surfaces de fruits et légumes éligibles au régime de paiement unique.

Proposition n° 7 : Prévoir un dispositif de « découplage-recouplage » de l'aide aux produits destinés à la transformation pour les plus fragiles d'entre eux, comme le pruneau

Pour éviter un arrêt de la production dans certains secteurs fragiles, à savoir ceux qui perdraient leur rentabilité en cas de découplage intégral de l'aide destinée aux produits transformés à partir de fruits et légumes, comme ce serait le cas pour la tomate d'industrie, le pruneau, les poires et les pêches en sirop, le soutien communautaire devrait prendre la forme d'une aide à la surface, avec un élément de couplage, reposant sur l'obligation, pour le producteur, de négocier un contrat avec le transformateur.

Proposition n° 8 : « Professionnaliser » le secteur des fruits et légumes par la création de registres des producteurs et d'un cahier des charges européen

Actuellement, le secteur des fruits et légumes ne possède qu'une information limitée sur le nombre exact de producteurs, étant entendu qu'il n'est fait référence, ici, qu'aux producteurs ayant le statut d'agriculteurs. Ce manque d'information empêche la mise en place d'une gestion de marché digne de ce nom. C'est pourquoi un registre professionnel doit être créé dans chaque Etat membre, afin de recenser le nombre exact d'acteurs dont les décisions influencent les volumes produits.

Par ailleurs, il serait opportun d'aller jusqu'au bout de la logique consistant à mieux prendre en compte la qualité et l'environnement dans l'acte de production, en fixant, à l'échelle de la Communauté, un cahier de charges « type » que les producteurs devront respecter. Ce cahier des charges devrait permettre, sans créer de nouvelles normes, d'harmoniser les obligations que les Etats membres font peser sur leurs producteurs et d'éviter ainsi les disparités qui pénalisent aujourd'hui les producteurs menant leur activité dans les Etats les plus soucieux de protéger l'environnement et la qualité.

Proposition n° 9 : Faire référence au maintien de la préférence communautaire et prévoir un déclenchement automatique de la clause de sauvegarde spéciale

Les produits agricoles européens bénéficient d'une préférence communautaire non pas parce que celle-ci est le reflet d'une volonté de nuire aux concurrents des pays tiers, mais pour rétablir une certaine égalité entre des producteurs qui respectent des normes sanitaires, sociales et environnementales élevées, lesquelles ont un coût, et ceux qui produisent dans des conditions pouvant porter atteinte au droit des travailleurs à mener une vie décente et à l'intégrité du milieu naturel.

Par conséquent, le futur règlement ou au minimum une déclaration des institutions européennes devrait faire référence à la pérennité du dispositif du prix d'entrée et du contingentement des importations, ainsi qu'à la mise en œuvre, le cas échéant, d'une clause de sauvegarde visant à limiter, lorsque la situation de marché l'exige, les importations.

Sur ce dernier point, les conditions de déclenchement de la clause de sauvegarde spéciale, laquelle est prévue par l'Accord sur l'agriculture de l'OMC, doivent être revues au niveau communautaire, afin d'abandonner le système de la charge de la preuve de la perturbation du marché, qui incombe à l'Etat membre, et d'aboutir ainsi à une automaticité du déclenchement de la clause dès que les volumes sont dépassés ou que les prix tombent en deçà du prix de déclenchement.

Proposition n° 10 : Maintenir l'obligation d'indiquer l'origine du produit

Prévue par l'actuelle OCM, cette obligation, utile pour l'information des consommateurs et indissociable de la politique de qualité mise en œuvre par la filière, doit être maintenue. Or l'actuelle proposition de la Commission ne dit rien sur le sujet, ce qui impose de réparer cet « oubli ».

La proposition de règlement présentée par la Commission le 24 janvier dernier constitue une base de départ satisfaisante pour les négociations sur la réforme de l'OCM fruits et légumes. Elle reprend d'ailleurs certaines suggestions des principaux Etats membres producteurs, formulées à la fin de l'année 2005.

Sur certains points toutefois, elle ne peut recevoir un blanc seing de la Délégation : elle manque singulièrement d'ambition en ce qui concerne l'anticipation et la gestion des crises de marché et le renforcement des moyens attribués aux organisations de producteurs. Par ailleurs, les propositions relatives à l'intégration du secteur dans le régime de paiement unique et au découplage des aides à la transformation remettent en cause un accord conclu entre le Conseil et la Commission et comportent des risques pour la survie de certaines filières. Enfin, l'absence de toute référence à la préférence communautaire ne manque pas d'inquiéter les producteurs soumis à de constantes oscillations provoquées par le marché international.

C'est pourquoi la Commission doit amender son projet, afin de ne pas pénaliser les producteurs de fruits et légumes qui, tous secteurs agricoles confondus, sont ceux qui tirent le plus leur revenu du marché et non des aides communautaires. Ces derniers méritent de bénéficier des garanties nécessaires pour continuer une production intensive en main d'œuvre et contribuant fortement à l'amélioration de la santé publique.

Bref, cette OCM axée sur le marché et peu coûteuse, qui incarne les racines méditerranéennes de notre civilisation agricole, mérite toutes les attentions de l'Europe.

{texte de la conclusion...}

TRAVAUX DE LA DELEGATION

La Délégation s'est réunie le mardi 20 février 2007, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner le présent rapport d'information.

L'exposé du rapporteur a été suivi d'un débat.

M. Jérôme Lambert a souscrit aux propositions du rapporteur et souligné que, selon lui, les règles de la concurrence ne pouvaient pas être intégralement appliquées dans le domaine agricole, compte tenu de son caractère vital pour l'humanité. Des organisations de marché peuvent et doivent donc être mises en place, d'autant que l'indépendance alimentaire de nos sociétés constitue l'un des éléments de notre indépendance politique.

M. Daniel Garrigue a interrogé le rapporteur sur les possibilités de structurer une organisation de l'offre, trop souvent encore atomisée et reposant sur des appellations compartimentées. A côté de l'aspect production, il ne faut d'ailleurs pas oublier la transformation et le secteur agroalimentaire, qui constituent un débouché important. Ce secteur doit aussi être organisé pour éviter des situations telles que celle constatée en Espagne où l'investissement dans la transformation des tomates a provoqué un déséquilibre sur le marché européen et même sur le marché espagnol.

M. Didier Quentin s'est demandé s'il était possible de mieux prendre en compte le phénomène des travailleurs saisonniers.

En réponse à ces différents intervenants, le rapporteur a apporté les éléments suivants :

- la sécurité alimentaire est une préoccupation essentielle et les producteurs européens veillent à appliquer des normes strictes, notamment les producteurs de pommes, qui ne sont pas forcément respectées chez nos concurrents extracommunautaires ;

- les organisations de producteurs ne regroupent que 40 à 50 % de la production totale, ce qui peut poser problème lors de la survenance de crise, puisque les mesures structurelles ne sont alors financées que par la moitié des agents concernés. Il faudrait donc mettre en place un dispositif plus contraignant qui pourrait consister dans l'établissement d'une carte professionnelle et d'un fichier des producteurs, ce qui autoriserait une meilleure répartition des charges ;

- l'exemple des pruneaux d'Agen était une illustration de la nécessité de prendre en compte le secteur agroalimentaire. Il faut faire attention néanmoins car - comme le montre l'exemple des tomates - la transformation peut être découplée de la production ;

- le dernier élargissement favorise le recrutement de travailleurs saisonniers issus des nouveaux Etats membres, ce qui résoudra une partie des difficultés rencontrées en ce domaine. Il faut s'attacher toutefois à utiliser cette activité pour aider à l'insertion d'une partie de notre population peu qualifiée.

A l'issue de ce débat, la Délégation a approuvé les conclusions dont le texte figure ci-après.

CONCLUSIONS ADOPTEES PAR LA DELEGATION

La Délégation pour l'Union européenne,

Vu la proposition de règlement du Conseil établissant des règles spécifiques pour le secteur des fruits et légumes et modifiant certains règlements (COM [2007] 17 du 24 janvier 2007/n° E 3448)

1. Rappelle que l'organisation commune des marchés (OCM) dans le secteur des fruits et légumes encadre une production qui occupe une place importante dans l'économie de plusieurs régions de l'Union européenne et joue un rôle essentiel dans l'amélioration de la santé des citoyens ;

2. Se félicite que les organisations de producteurs figurent au centre du projet de réforme et que certaines souplesses de fonctionnement soient prévues, notamment l'augmentation du cofinancement communautaire en cas de fusion ou d'association d'organisations de producteurs et la possibilité d'étendre aux producteurs indépendants certaines règles de mise sur le marché et de protection de l'environnement ;

3. Estime toutefois nécessaire de relever le plafonnement du soutien communautaire apporté aux organisations de producteurs de 4,1 % à 6 % de leur chiffre d'affaires pour ne pas limiter la capacité d'action des groupements les plus performants. En contrepartie, conformément aux recommandations contenues dans le rapport spécial n° 8/2006 de la Cour des comptes européenne, l'aide accordée au titre des programmes opérationnels devrait être rendue plus simple et plus efficace, en clarifiant les critères d'éligibilité et en reconsidérant les nombreux objectifs poursuivis par ces mêmes programmes ;

4. Juge que les propositions relatives à la gestion des crises de marché sont doublement injustes : d'une part, les crédits affectés à ce volet de l'OCM seront prélevés sur les programmes mis en œuvre par les organisations de producteurs, ce qui va réduire leur capacité à mener des actions structurelles ; d'autre part, il n'est pas prévu d'en faire bénéficier les producteurs indépendants. Par conséquent, il est préconisé :

- de créer un fonds dédié à la gestion des crises, financé sur des enveloppes nationales alimentées par le point de modulation que l'accord de Luxembourg de juin 2003 prévoit d'affecter à ce type de politique ;

- de mettre en œuvre, dans ces enveloppes, des instruments variés comme les retraits, la récolte en vert, la promotion et la contribution aux primes d'assurance et aux frais administratifs de la création de caisses de péréquation ;

- de rendre obligatoires les dispositifs de crise, qui doivent être gérés par des comités de bassin de production, associant la partie organisée et la partie indépendante de la production, afin de couvrir l'ensemble des producteurs ;

- d'étudier la faisabilité d'une dérogation aux règles de la concurrence pour permettre aux producteurs d'échanger des informations sur l'adéquation entre l'offre et la demande et de planifier ainsi les volumes mis sur le marché ;

5. S'oppose à l'intégration des fruits et légumes dans le régime de paiement unique, car, outre qu'elle induit une distorsion de concurrence entre les producteurs touchant des droits à prime et les autres, elle est contraire à l'accord de Luxembourg ; soutient, en ce qui concerne le découplage de l'aide aux produits destinés à la transformation, la possibilité de mettre en place, pour éviter, dans certaines zones, les abandons de production et la fermeture des industries de transformation, une aide à la surface, comportant l'obligation, pour le producteur, de négocier un contrat avec le transformateur ;
6. Soutient le principe d'une professionnalisation du secteur des fruits et légumes, ce qui implique de créer des registres recensant le nombre exact le producteurs ayant le statut d'agriculteurs et de définir, au niveau européen, un cahier des charges dans les domaines de la qualité et de l'environnement, afin d'harmoniser, sans créer de nouvelles normes, des obligations qui, aujourd'hui, varient d'un Etat membre à l'autre ;

7. Demande l'inclusion, dans le règlement, d'une référence à la préférence communautaire, qui, pour les fruits et légumes, repose sur le maintien du système du prix d'entrée et du contingentement des importations et la mise en œuvre, le cas échéant, de la clause de sauvegarde spéciale, dont les critères doivent être revus pour être déclenchée de façon automatique en cas d'augmentation des volumes importés ou de baisse des prix européens.

ANNEXE :
Annexe-1
Liste des personnes entendues par le rapporteur

Ministère de l'agriculture et de la pêche

- M. Alexandre Martinez, chef du bureau des fruits et légumes, de l'horticulture et des productions végétales spéciales.

Fédération nationale des producteurs de légumes (FNPL)

- Mme Angélique Delahaye, présidente ;

- M. Bruno Scherrer, directeur.

Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF)

- M. Yvon Sarraute, vice-président ;

- Mme Sandrine Morard, directrice.

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1 () Proposition de règlement du Conseil établissant des règles spécifiques pour le secteur des fruits et légumes et modifiant certains règlements (COM [2007] 17 du 24 janvier 2007/n° E 3448).

2 () Rapport d'information n° 889, « Une PAC forte pour l'Europe élargie », déposé le 28 mai 2003 ; rapport d'information n° 1430 « Maîtriser le découplage pour le tabac, le coton, l'huile d'olive et le houblon », déposé le 11 février 2004 ; rapport d'information n° 2286 « Vers un nouveau dessein pour les campagnes européennes », déposé le 3 mai 2005 et rapport d'information n° 2602 « OCM sucre : réformer pour durer », déposé le 19 octobre 2005.

3 () Ces données régionales sont extraites du document de travail des services de la Commission européenne intitulé « Analysis of the common market organisation in fruit and vegetables », SEC (2004) 1120 du 3 septembre 2004.

4 () Document de travail des services de la Commission accompagnant la proposition de règlement établissant des règles spécifiques pour le secteur des fruits et légumes et modifiant certains règlements, SEC (2007) 74 du 24 janvier 2007.

5 ()« Concurrence et adaptation au sein de la filière fruits et légumes. L'exemple Maroc/France/Europe », Chambres d'agriculture, mai 2005, n° 943.

6 () Chiffres extraits du document de travail des services de la Commission précité.

7 () Assurer la programmation de la production et son adaptation à la demande, notamment en quantité et en qualité ; promouvoir la concentration de l'offre et la mise sur le marché de la production des membres d'organisations de producteurs ; réduire les coûts de production ; régulariser les prix à la production ; promouvoir les pratiques culturales et des techniques de production et de gestion des déchets respectueuses de l'environnement ; améliorer la qualité des produits ; développer leur mise en valeur commerciale ; promouvoir les produis auprès des consommateurs ; créer des lignes de produits biologiques ; promouvoir la production intégrée ou autres méthodes de production respectueuses de l'environnement ; réduire les retraits.

8 () « Cultiver le succès ? L'efficacité du soutien apporté par l'Union européenne aux programmes opérationnels en faveur des fruits et légumes », rapport spécial n° 8/2006, Cour des comptes européenne, JO de l'Union européenne du 20 novembre 2006.