N° 715 - Proposition de résolution de M. Didier Quentin sur la coopération judiciaire entre l'Union européenne et les Etats-Unis d'Amérique (15748/02/E-2210)


Document

mis en distribution

le 24 mars 2003

   

N° 715

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 mars 2003

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

sur la coopération judiciaire entre l'Union européenne
et les Etats-Unis d'Amérique

(15748/02 / E 2210)

(Renvoyée à la commission des affaires étrangères, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement)

PRÉSENTÉE,

en application de l'article 151-1 du Règlement,

par M. Didier quentin

Rapporteur de la Délégation

pour l'Union européenne,

Député.

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Voir le numéro : 716.

Justice.

EXPOSE DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le Conseil européen a décidé, à la suite des attentats terroristes du 11 septembre 2001, d'engager des négociations avec les Etats-Unis afin d'améliorer la coopération judiciaire entre l'Union européenne et les Etats-Unis. Ces négociations ont débuté en juin 2002, sous présidence danoise, et se sont poursuivies sous présidence grecque. Elles ont été suspendues par le Conseil « Justice et affaires intérieures » du 28 février 2003, afin de procéder à un examen approfondi des projets d'accords et de consulter les Parlements nationaux.

Les deux projets d'accords d'extradition et d'entraide judiciaire qui ont été transmis au Parlement soulèvent deux séries de difficultés, concernant, d'une part, la procédure de conclusion suivie, et, d'autre part, le contenu des accords eux-mêmes.

*

Les projets d'accords ont été négociés et seront conclus sur le fondement de l'article 24 du traité sur l'Union européenne. Cet article, introduit par le traité d'Amsterdam et légèrement modifié par le traité de Nice, permet au Conseil de l'Union d'autoriser la présidence à négocier des accords avec les pays tiers, ces accords étant ensuite « conclus par le Conseil sur recommandation de la présidence ». La rédaction de cet article est très ambiguë. Elle ne précise pas au nom de qui ces accords seront conclus par le Conseil de l'Union : des Etats membres ou de l'Union européenne ? Les deux interprétations ont été défendues par la doctrine. Le service juridique du Conseil de l'Union a adopté la seconde, selon laquelle les accords conclus sur ce fondement le sont au nom de l'Union européenne. L'Union serait donc la seule partie contractante à ces accords, avec le pays tiers concerné. Le service juridique s'est appuyé, notamment, sur deux précédents accords conclus au nom de l'Union européenne en matière de politique étrangère et de sécurité commune (PESC).

Cette interprétation de l'article 24 est contestable, aussi bien au regard du droit international et européen que du droit interne français.

En premier lieu, permettre à l'Union européenne d'être partie à ces accords revient à lui reconnaître la personnalité juridique internationale. Cette question demeure pourtant débattue. Certes, la Convention européenne semble s'orienter, à partir des propositions du groupe de travail présidé par M. Giuliano Amato, vers une formule dotant explicitement l'Union de la personnalité juridique internationale (article 4 du projet de traité constitutionnel). Mais, en l'état actuel des traités, aucune disposition ne confère à l'Union cette personnalité, et si certains éléments plaident en ce sens, la question n'est toujours pas tranchée.

La lettre même de l'article 24 du traité sur l'Union européenne fournit, en second lieu, de solides arguments contre la compétence de l'Union. Cet article a en effet été accompagné, lors de la signature du traité d'Amsterdam, par une déclaration annexée au traité, selon laquelle « les dispositions [de cet article] ainsi que tout accord qui en résulte n'impliquent aucun transfert de compétence des Etats membres ». L'article 12 énonçant les actes de l'Union dans le cadre de la PESC ne mentionne pas les accords fondés sur l'article 24 ; il ne s'agirait donc pas d'actes de l'Union. Le cinquième alinéa de l'article 24 permet à un Etat membre de ne pas être lié par l'accord conclu par le Conseil de l'Union, s'il invoque la nécessité de « se conformer à ses propres règles constitutionnelles », ce qui peut être interprété comme lui permettant de procéder à une ratification du traité. Comment pourrait-il en être ainsi si cet Etat n'est pas partie audit traité ?

Ces projets d'accords ne pourront être soumis au Parlement français au titre de l'article 53 de la Constitution. Cet article prévoit que sept catégories de traités ou accords internationaux, parmi les plus importants, ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu'après l'intervention d'une loi habilitant le président de la République ou le gouvernement à cette fin, mais il ne peut être appliqué qu'à l'égard des traités ou accords auxquels la France est partie. Or tel n'est pas le cas en l'espèce, seule l'Union étant considérée partie à l'accord. Il ne sera donc pas possible à la France, selon le gouvernement français, de faire jouer « ses propres règles constitutionnelles ».

Il s'agit là d'une remise en cause d'une prérogative essentielle du Parlement, datant de plusieurs siècles et à l'importance politique considérable, puisqu'elle permet au Parlement de s'opposer à un traité ou accord qu'il jugerait inacceptable. La conformité à la Constitution de la procédure de conclusion envisagée est dès lors douteuse. Le Conseil constitutionnel, lorsqu'il a examiné la constitutionnalité du traité d'Amsterdam dans sa décision du 31 décembre 1997, n'a soulevé aucun grief à l'encontre de l'article 24 du traité. Mais, si l'on en croit le secrétaire général du Conseil constitutionnel, il est parvenu à cette solution, parce que cet article laissait à la France la possibilité de « recourir à la procédure constitutionnelle de ratification parlementaire ». Or tel n'est plus le cas, en raison de l'interprétation actuellement faite de cet article.

Compte tenu de ces observations, il est indispensable de clarifier le cadre juridique applicable. La situation actuelle est confuse. La consultation du Conseil d'Etat sur la régularité de cette procédure, aussi bien au regard du droit international et européen que de la Constitution française, semble nécessaire. L'intervention du Parlement au titre de l'article 53 de la Constitution, si elle est juridiquement possible, devra naturellement être privilégiée. Mais si l'avis du Conseil d'Etat fait apparaître que l'article 53 ne peut s'appliquer, de nouvelles modalités d'association du Parlement français devraient être définies, notamment au titre de l'article 88-4 de la Constitution. Cet article ne permet en effet pas au Parlement, contrairement à l'article 53, d'empêcher l'adoption d'un texte.

*

Le contenu des projets d'accords a été examiné au regard de deux objectifs : renforcer l'efficacité de la coopération judiciaire entre les Etats membres de l'Union européenne et les Etats-Unis et assurer le respect des droits fondamentaux.

Les projets comportent des avancées importantes pour l'efficacité de la coopération judiciaire. Le projet d'accord d'entraide judiciaire prévoit, par exemple, que le secret bancaire ne pourra plus constituer un motif de refus d'assistance. Il permet la création d'équipes d'enquêtes communes et prend en compte les nouvelles technologies de l'information. Le projet d'accord d'extradition simplifie la transmission et l'authentification des demandes d'extradition et des demandes d'arrestation provisoire. Il prévoit enfin des procédures d'extradition simplifiées, en cas de consentement de la personne recherchée.

Les accords projetés offrent également des garanties satisfaisantes en ce qui concerne l'application de la peine de mort aux Etats-Unis. L'article 13 du projet d'accord d'extradition, par exemple, ne permet l'extradition, lorsque l'infraction est punissable de la peine de mort, que si l'Etat requérant prend l'engagement que la peine de mort ne sera pas prononcée ou si, cette condition ne peut être respectée pour des raisons de procédure, qu'elle ne sera pas exécutée.

Ces projet d'accords soulèvent cependant de sérieuses inter-rogations.

Ils ne prévoient aucune disposition spécifique en ce qui concerne les juridictions militaires d'exception créées par les Etats-Unis au lendemain du 11 septembre 2001.

Le projet d'accord d'extradition ne comporte également aucune disposition permettant de s'opposer à une demande d'extradition en cas de décisions rendues par défaut, ni en ce qui concerne l'application d'une peine d'emprisonnement perpétuel incompressible, contrairement à la décision-cadre relative au mandat d'arrêt européen.

Enfin, ce projet place sur le même plan le mandat d'arrêt européen et une demande d'extradition émanant d'un pays tiers. En procédant ainsi, il empêche, à l'avenir, de conférer au mandat d'arrêt européen une priorité sur les demandes d'extradition émanant des Etats-Unis. L'établissement d'une telle priorité en faveur du mandat d'arrêt européen serait pourtant conforme au développement d'un véritable espace judiciaire européen.

Telles sont les raisons pour lesquelles la Délégation pour l'Union européenne vous demande d'adopter la proposition de résolution ci-après.

PROPOSITION DE RESOLUTION

L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu les projets d'accords entre l'Union européenne et les Etats-Unis d'Amérique en matière d'extradition et d'entraide judiciaire (15748/02 / E 2210),

1. Réaffirme sa volonté de renforcer la coopération judiciaire entre l'Union européenne et les Etats-Unis d'Amérique dans la lutte contre la criminalité et, en particulier, contre le terrorisme.

I. En ce qui concerne la procédure de conclusion des accords :

2. Souhaite que le gouvernement français saisisse le Conseil d'Etat d'une demande d'avis concernant la régularité juridique de la procédure de conclusion envisagée, tant au regard du droit international et européen applicable que de la Constitution française, et en communique le contenu au Parlement ;

3. Estime que la France devrait invoquer la nécessité de se conformer « à ses propres règles constitutionnelles » prévue à l'article 24 du traité sur l'Union européenne, et soumettre ces projets d'accords au Parlement au titre de l'article 53 de la Constitution, si cette procédure est juridiquement envisageable ;

4. Demande qu'à défaut, une réflexion soit engagée afin de définir de nouvelles modalités d'intervention du Parlement français à l'adoption de ces accords, notamment au titre de l'article 88-4 de la Constitution ;

5. Recommande qu'au niveau européen, un droit « d'alerte précoce » soit conféré aux parlements nationaux, lorsqu'une proposition porte atteinte aux droits fondamentaux ou aux aspects fondamentaux de leur droit pénal national.

II. En ce qui concerne le contenu des accords :

6. Souhaite que le gouvernement français saisisse le Conseil d'Etat d'une demande d'avis sur la conformité de ces projets d'accords à la Constitution et aux engagements internationaux de la France en matière de protection des droits de l'homme ;

7. Demande qu'une disposition spécifique soit introduite dans les projets d'accords en ce qui concerne les juridictions militaires spécialisées existant aux Etats-Unis ou, à défaut, que soit inscrite une référence expresse aux droits fondamentaux tels qu'ils sont garantis par l'article 6 du traité sur l'Union européenne ;

8. Suggère qu'une disposition spécifique soit introduite dans le projet d'accord d'extradition, en ce qui concerne les décisions rendues par défaut ou, qu'à tout le moins y soit inscrite une référence expresse aux droits fondamentaux tels qu'ils sont garantis par l'article 6 du traité sur l'Union européenne ;

9. Emet le vœu ardent qu'une disposition spécifique soit introduite dans le projet d'accord d'extradition en ce qui concerne les peines perpétuelles incompressibles ou, qu'à défaut, y soit inscrite une référence expresse aux droits fondamentaux tels qu'ils sont garantis par l'article 6 du traité sur l'Union européenne ;

10. Demande que la référence au mandat d'arrêt européen mentionnée dans le projet d'accord d'extradition soit supprimée, afin de préserver la possibilité d'établir une priorité en faveur de l'espace judiciaire européen.