N° 1276 - Proposition de résolution de Mme Muguette Jacquaint tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'utilisation des fonds publics et les choix économiques et sociaux du groupe Alstom




 

N° 1276

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 5 décembre 2003.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d'une commission d'enquête sur
l'
utilisation des fonds publics et les choix économiques
et sociaux
du groupe Alstom.

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire,
à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par Mme Muguette JACQUAINT, MM. Alain BOCQUET, François ASENSI, Gilbert BIESSY, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Jacques BRUNHES, Mme Marie-George BUFFET, MM. André CHASSAIGNE, Jacques DESALLANGRE, Frédéric DUTOIT, Mme Jacqueline FRAYSSE, MM. André GERIN, Pierre GOLDBERG, Maxime GREMETZ, Georges HAGE, Mme Janine JAMBU, MM. Jean-Claude LEFORT, François LIBERTI, Daniel PAUL, Jean-Claude SANDRIER et Michel VAXÈS (1)

Députés.

(1) Constituant le groupe des député-e-s communistes et républicains.

Economie - Finances publiques.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La présente proposition de résolution a pour objet de nous donner les moyens de tirer un diagnostic de l'état de santé, économique et social, de l'un des fleurons de l'industrie nationale : le groupe Alstom.

Faut-il le rappeler, Alstom est présent dans la production, la transmission et la distribution d'énergie, ainsi qu'en matière de conversion d'énergie. Son activité porte aussi sur différents secteurs du transport, prioritairement ferroviaire et maritime. Son chiffre d'affaires est de plus de 23 milliards d'euros, avec un effectif de 118 000 personnes dans plus de 70 pays dont 6 533 en France. En cela, Alstom est un symbole : celui de l'industrie, de la haute technologie françaises dans le monde.

Pour cette raison, il est de la responsabilité du gouvernement de porter une attention toute particulière aux signes de faiblesse du groupe, aux appels de ses salariés et de leurs représentants syndicaux.

Le groupe Alstom s'est engagé dans un vaste plan de restructuration annoncé le 12 mars 2003. En ce qui concerne le volet économique et financier de cette restructuration, un plan de cessions de plus de 3 milliards d'euros a été mis en place, se traduisant notamment par la vente de son activité turbines à Siemens, et par la cession de sa branche distribution et transmission à Areva. Malgré ces sacrifices contestés par les salariés, la Commission européenne entend imposer de nouvelles restructurations et ventes d'actifs du groupe.

Dans le même temps, cette restructuration revêt une facette sociale particulièrement sombre. Le groupe prépare en effet, un plan de licenciement dans sa branche « production d'énergie ». Plan encore alourdi le 19 mai dernier, par rapport aux prévisions initiales, et qui aboutira à la suppression de 9 500 emplois en Europe, dont 1 153 en France. C'est en fait, la première étape d'un démantèlement du secteur énergie d'Alstom en France et en Europe ; et ces orientations inacceptables mettent en cause la cohérence industrielle du groupe.

Les organisations syndicales et les élus nationaux et locaux ont manifesté leur opposition au projet de suppression d'emplois chez Alstom, car ni les salariés, ni les petits porteurs ne devraient subir les conséquences de la mauvaise gestion des dirigeants du groupe.

L'Etat s'est engagé dans un plan de refinancement en abondant de façon décisive le capital d'Alstom par des aides s'élevant à 2 milliards d'euros sur un total de 8,2 milliards incluant les garanties. Il en est devenu du coup, le principal actionnaire.

Aujourd'hui, fort de sa position d'actionnaire principal, l'Etat ne peut rester inactif face à la stratégie uniquement financière d'Alstom, face aux conséquences sociales et aux répercussions qu'elle menace d'avoir sur l'avenir de notre industrie énergétique.

Parallèlement à l'intervention qui doit être celle des Pouvoirs publics pour préserver l'intérêt général de l'entreprise, les moyens de son développement et l'emploi, il faut qu'une commission d'enquête parlementaire soit créée, afin de faire toute la lumière sur la gestion du groupe.

La question est d'autant plus cruciale que tout porte à craindre que l'argent injecté par l'Etat se traduise finalement par un gâchis social, si le gouvernement devait d'une part, se plier aux exigences de la Commission européenne, d'autre part, laisser la direction du groupe agir sans aucun contrôle de ses choix économiques et sociaux.

A la logique du profit à tout prix, doit se substituer une logique de l'emploi et de la formation. Il faut que l'Etat exige du groupe que l'argent des contribuables soit utilisé en contrepartie d'engagements sociaux et industriels garantissant la pérennité des sites, le développement de l'effort de recherche pour la mise en œuvre de nouvelles productions et la conquête de marchés.

Par ailleurs, il est nécessaire de rappeler au groupe sa responsabilité en matière sociale, et ne pas l'exonérer de sa responsabilité fondamentale envers les territoires où il est installé.

Les fonds publics injectés dans l'entreprise ne doivent pas la déresponsabiliser socialement. Bien au contraire. Doit-on rappeler qu'il s'agit ici, de l'argent des contribuables ? A l'heure actuelle, ces fonds sont injectés dans le groupe Alstom sans contrôle, sans aucune obligation de résultats en emplois et en formation. Ils ne font donc qu'accompagner les conséquences d'une gestion strictement au service de la rentabilité financière d'Alstom.

Par ailleurs, concernant le dispositif de contrat de site, celui-ci apparaît comme une arme pour baisser le coût du travail par emploi, en accordant des avantages fiscaux, en accroissant les baisses de cotisations sociales patronales, en multipliant les dérogations au droit du travail.

On le vérifie dans de très nombreux dossiers, ces politiques ont conduit à déresponsabiliser les entreprises et à encourager leurs placements financiers. La recherche de gains de compétitivité par la baisse des coûts salariaux est devenue une obsession pour satisfaire aux exigences de rendement des actionnaires.

Alstom est un cas emblématique de ce type de gestion qui place les groupes industriels dans la dépendance et sous la coupe des marchés financiers. Cela a conduit à ce que, depuis 1999, la dette d'Alstom soit multipliée par 5 et que ses charges financières progressent de 20 %.

Dans ce contexte, l'emploi est plus que jamais la variable d'ajustement face aux à-coups boursiers, aux variations de la conjoncture, ou aux problèmes éventuels de surcapacité et d'endettement.

Comment une telle gestion pourrait-elle par conséquent prendre en compte l'exigence primordiale des salariés : celle d'une sécurisation de l'emploi avec la formation et la réduction du temps de travail ; et d'une pérennisation des activités d'Alstom en les modernisant ou en les diversifiant ?

Pour aboutir à ce résultat, il faudrait une toute autre utilisation de l'argent public par Alstom. Sur ce point, force est de constater que la reconnaissance d'un droit de contrôle et d'intervention des salariés et de leurs représentants, dans la gestion du groupe, aurait permis d'éviter certaines dérives et conduirait à l'avenir, à en éviter le renouvellement.

L'unité et l'importance d'une transparence de l'usage des fonds publics accordés aux entreprises n'est plus à démontrer.

Sous la précédente législature, la commission d'enquête parlementaire sur les pratiques des grands groupes et leurs conséquences sur l'emploi et l'aménagement du territoire, avait d'ailleurs montré dans son rapport, l'opacité et le cloisonnement du système actuel et son inefficacité pour l'emploi.

Elle établissait par exemple le constat que les dix groupes industriels et financiers de notre pays qui collectaient la majorité des aides publiques avaient singulièrement réduit leurs effectifs ces dernières années, et développé la précarité.

A l'heure où la récession menace l'économie et où le chômage s'accroît, nous pensons qu'il est urgent d'examiner les perspectives qu'ouvrirait une autre utilisation de l'argent, des fonds publics et du crédit bancaire, favorisant la production de richesses réelles, la création d'emplois, le développement des qualifications.

Nous pensons également qu'il est prioritaire de mobiliser de manière différente les leviers de l'action publique, en élargissant la démocratie notamment dans l'entreprise, et en se donnant les moyens, d'établir la transparence et la lisibilité des fonds publics octroyés aveuglément aux entreprises.

Ces fonds, ni les salariés, ni les contribuables, ni les élus qu'ils soient locaux, nationaux ou européens ne sont aujourd'hui en mesure d'en connaître précisément la réalité, ni les flux financiers qu'ils génèrent.

Nous souhaitons avec ce texte assurer le suivi détaillé et concret de l'utilisation des aides dans l'entreprise et mesurer leur impact sur l'emploi, tant à l'intérieur de l'entreprise qu'en direction des PMI-PME de la sous-traitance, et au bénéfice des bassins d'emploi.

Au terme de cet argumentaire, les enjeux liés au groupe Alstom ne sont plus à démontrer, car celui-ci se trouve au cœur de la politique économique et sociale nationale ; au centre de la recherche française. Il est un outil de la politique internationale de la France, dans la mesure où sa présence et son activité internationales témoignent de la conception que la France défend, de la coopération entre les peuples et les Etats.

Pour toutes ces raisons, nous vous demandons de bien vouloir adopter la présente proposition de résolution.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application des articles 140 et suivants du règlement de l'Assemblée nationale, est créée une commission d'enquête de trente membres sur l'utilisation des fonds publics et les choix économiques et sociaux du groupe Alstom.

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0.75 €
ISBN : 2-11-118141-2
ISSN : 1240 - 8468
En vente au Kiosque de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

N° 1276-Proposition de résolution de Mme Muguette JACQUAINT tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'utilisation des fonds publics et les choix économiques et sociaux du groupe Alstom.


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