N° 1446 - Proposition de loi de M. Yves Cochet instituant le droit de mourir dans la dignité et garantissant aux médecins le droit de conscience




 

N° 1446

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 24 février 2004.

PROPOSITION DE LOI

instituant le droit de mourir dans la dignité
et garantissant aux médecins le droit de conscience,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales,
à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par M. Yves COCHET, Mme Martine BILLARD
et M. Noël MAMÈRE

Députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs

La Hollande, la Suisse romande et alémanique, la Belgique, l'Etat d'Oregon, la Colombie et bien d'autres pays démocratiques ont légiféré et encadré ce droit à mourir dans la dignité qui se confond avec une liberté individuelle fondamentale.

En France, le débat est ouvert depuis quelques années.

Il n'appartient certes pas au législateur de répondre aux questions ultimes que se posent nos contemporains sur la mort. Mais il est de sa responsabilité de légiférer pour aller de la pénalisation au droit.

Actuellement, la législation actuelle fait de l'euthanasie un crime. On observe déjà des pratiques qui quoique non condamnées ne sont pas éloignées de l'euthanasie. En réalité, l'euthanasie est pratiquée par les médecins : en réanimation, 50 % des patients décèdent après décision médicale (Le Monde du 8 mai 2002 se référant à une enquête de The Lancet). C'est le médecin qui décide d'arrêter un appareil ou de ne pas en ajouter un. En néonatologie, l'euthanasie est un geste fréquent - évalué, discuté, accepté.

Contrairement à d'autres législations comme celui de l'Espagne ou celui de la Suisse, notre code pénal ne fait aucune distinction entre la mort donnée à autrui par compassion et celle préparée et infligée dans la plus noire intention, celle qui est qualifiée d'assassinat, et punie de réclusion criminelle à perpétuité. A la législation répressive s'ajoutent les règles de déontologie, qui sont aussi dissuasives. Le code de déontologie dans son article 38 stipule que le médecin « n'a pas le droit de provoquer délibérément la mort » de son malade.

Cependant il arrive au corps médical de pratiquer ce que l'on peut qualifier de « lente euthanasie ». Il s'agit alors d'administrer à un malade des antalgiques de plus en plus puissants destinés à alléger sa souffrance, même s'ils risquent d'abréger sa vie. Cette façon de procéder est, en principe, non répréhensible, puisque l'intention du médecin n'est pas de provoquer la mort de son patient, mais de soulager sa douleur. Le critère réside donc dans l'intention de l'auteur de l'acte et l'excuse, de ce que l'on dénomme « la loi double effet », permet de pratiquer une lente euthanasie pour les malades en phase terminale, éprouvant d'intenses douleurs physiques. Cette façon de procéder a certes des avantages, mais apparaît aussi comme une profonde hypocrisie, montrant la situation de malaise dans lequel se trouve un médecin confronté à la phase ultime et douloureuse de la maladie de son patient.

S'il est accusé d'avoir agi avec l'intention de provoquer la mort de ce malade, il risque outre une condamnation pénale d'être suspendu ou interdit de l'exercice de sa profession.

Toutefois en janvier 2004, la France reste l'un d'entre les pays développés dont la loi et même la pratique sont le moins favorables à l'exercice du droit fondamental de chaque être humain sur sa propre vie.

Le Comité Consultatif National d'Ethique a admis le principe d'une exception euthanasique.

Cette législation est en contradiction totale avec les souhaits plusieurs fois exprimés, à l'occasion de sondages, par les citoyens de notre pays. Ceux-ci estiment, avec une remarquable constance, que sur ce point la loi, comme la déontologie médicale, sont devenues inadéquates, anachroniques, injustes. Pour ne répondre qu'à la question aujourd'hui posée, la dépénalisation de l'aide apportée à mourir, sur la demande expresse de la personne concernée, est souhaitée par 88 % des sondés en 2001 (sondage IFOP 2002). Ce sondage a été réalisé alors qu'était intervenue la loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs. Cette loi, ainsi que celle du 4 mars 2002 sur les droits des malades constitue une avancée importante sur la voie, ouverte en France à la fin seulement des années 80, de la prise en considération des besoins de la personne gravement malade, qui souffre physiquement et psychiquement.

Entre les soins palliatifs voire l'accompagnement des mourants et la possibilité donnée de fixer le terme d'une vie devenue insupportable, il y a non pas contradiction, mais souvent complémentarité. Vouloir opposer, comme le font souvent les acteurs des soins palliatifs, ceux-ci et l'assistance au suicide ou le geste euthanasique, est une erreur inspirée par certains préjugés ; tel qui accepte avec reconnaissance des soins palliatifs peut bien, à partir d'un certain moment, souhaiter hâter une fin que sa conscience réclame et qu'il ne peut se procurer seul. Le moment est venu de venir en aide à celles et ceux qui sont dans une situation telle que leur volonté de quitter la vie soit devenue plus forte que leur désir d'y demeurer encore quelques jours ou quelques semaines.

La présente proposition de loi, ne vise en aucun cas à banaliser un acte qui engagera toujours l'éthique et la responsabilité de ses acteurs. Elle comporte quatre premiers articles destinés à définir et circonscrire les cas dans lesquels une aide active à mourir dans la dignité, peut être apportée à une personne qui le demande.

Les articles 5 et 6 concernent l'aspect médical du geste d'euthanasie, l'article 6 préservant le droit d'opposer la clause de conscience. Les articles 7 et 8 tirent les conséquences de la dépénalisation de l'euthanasie sur les articles 222-1 et 221-5 du code pénal.

Tel est l'objet de la présente proposition de loi que nous vous demandons, Mesdames, Messieurs, d'adopter.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Une personne peut demander qu'il soit mis fin à sa vie par un moyen indolore lorsqu'elle juge que son état de santé, que la qualité et la dignité de sa vie l'y conduisent.

Lorsque la personne n'est pas majeure, sa demande est soumise à un conseil de famille.

Article 2

Lorsque la personne refuse un acharnement thérapeutique, le médecin doit s'y conformer, sous réserve d'invoquer la clause de conscience dans les conditions prévues par l'article 6.

Article 3

La personne peut obtenir une aide à mourir lorsqu'elle estime que l'altération effective ou imminente de cette dignité ou de cette qualité de vie place dans une situation telle qu'elle ne désire pas poursuivre son existence.

Article 4

Cette demande peut être prise en considération si elle a été consignée par la personne concernée dans un « testament de fin de vie », déclaration écrite et signée confirmée verbalement ou par signe par elle-même auprès de deux témoins (ou confirmée par écrit si la personne est dans l'incapacité de le faire verbalement) ou, si elle n'est plus en état de s'exprimer, par une autre personne, âgée de 25 ans au moins, qu'elle aura auparavant chargée de la représenter.

Article 5

La personne concernée peut également exprimer sa volonté d'être aidée à mourir avant l'échéance naturelle, si la condition prévue à l'article 1er est remplie, par une déclaration verbale réitérée à 48 heures d'intervalle devant deux témoins dont un seulement peut être le conjoint, un ascendant, un descendant ou un collatéral au premier degré.

Article 6

L'état de santé exigé par l'article 1er est établi par un certificat médical dressé par deux médecins dont un seulement exerce ses fonctions dans le service hospitalier où, le cas échéant, la personne concernée est traitée.

Article 7

L'acte d'aide à mourir ne peut être accompli que par un médecin ou sous sa responsabilité. Celui-ci rédigera un procès-verbal relatant les circonstances de l'intervention et auquel seront jointes les pièces l'ayant justifiée. Le procès-verbal et ses annexes seront conservés par un médecin et pourront être produits, nonobstant le secret professionnel, au cas où une procédure judiciaire le rendrait nécessaire pour la défense du médecin.

Article 8

Un médecin n'est jamais tenu de pratiquer un acte d'aide à mourir mais il doit informer de son refus la personne concernée ou le représentant qu'elle a désigné et autoriser, s'il est demandé, le transfert de la personne dans un autre service ou établissement si aucun médecin dans l'établissement ne souhaite accéder à la demande du patient.

Tout autre membre de l'équipe soignante peut refuser de concourir à une aide à mourir mais ne doit pas, par son comportement, l'entraver.

Article 9

L'article 221-1 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Toutefois, l'aide active à mourir, pratiquée sur la demande de la personne concernée, par un médecin ou sous sa responsabilité, dans les conditions prévues par la loi, n'est pas considérée comme un meurtre ».

Article 10

L'article 221-5 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Toutefois, l'aide active à mourir, pratiquée sur la demande de la personne concernée, par un médecin ou sous sa responsabilité, dans les conditions prévues par la loi, n'est pas considérée comme un empoisonnement ».

Article 11

Le gouvernement prendra toute initiative pour rappeler aux patients dans les établissements hospitaliers leurs droits, notamment en complétant la Charte du patient hospitalisé annexée à la circulaire ministérielle no 95-22 du 6 mai 1995 relative aux droits des patients hospitalisés dont l'affichage dans les établissements de santé est obligatoire.

Une journée d'information annuelle sera instaurée.

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-118253-2
ISSN : 1240 - 8468

En vente au Kiosque de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

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