N° 1746 - Proposition de loi de M. Bernard Carayon tendant à sécuriser l'accès au capital des entreprises ayant leur siège social en France




N° 1746

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 21 juillet 2004.

PROPOSITION DE LOI

tendant à sécuriser l'accès au capital des entreprises
ayant leur
siège social en France,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration
générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par M. Bernard CARAYON

Additions de signatures :
MM. Jean-Claude Abrioux, René André, Marc Bernier, Jean-Marie Binetruy, Loïc Bouvard, Michel Bouvard, Christian Cabal, Pierre Cardo, Roland Chassain, Édouard Courtial, Alain Cousin, Charles Cova, Olivier Dassault, Michel Diefenbacher, Philippe Dubourg, Nicolas Dupont-Aignan, Georges Fenech, Jean-Michel Ferrand, Jean- Claude Flory, Mme Arlette Franco, MM. Jean-Paul Garraud, Claude Gatignol, Jean de Gaulle, Guy Geoffroy, Jean-Marie Geveaux, Claude Goasguen, Jacques Godfrain, François Grosdidier, Gérard Hamel, Pierre Hériaud, Mansour Kamardine, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, MM. Édouard Landrain, Pierre Lasbordes, Jean-Marc Lefranc, Marc Le Fur, Michel Lejeune, Jean-Louis Léonard, Gérard Lorgeoux, Lionnel Luca, Daniel Prévost, Daniel Mach, Thierry Mariani, Mme Henriette Martinez, MM. Christian Ménard, Gilbert Meyer, Étienne Mourrut, Alain Moyne-Bressand, Jacques Pélissard, Axel Poniatowski, Christophe Priou, Didier Quentin, Francis Saint-Léger, Léon Vachet, Christian Vanneste, Philippe Vitel et Michel Voisin
MM. Patrick Beaudouin, Roland Blum,  Jacques Bobe, Mme Josiane Boyce, M. Jacques Briat,  Mme Chantal Brunel, MM. Richard Cazenave, Louis Cosyns,  Jean-Pierre Decool, Jean-Jacques Descamps, Dominique  Dord, Christian Estrosi, Philippe Folliot, Jean-Michel  Fourgous, Marc Francina, René Galy-Dejean, Franck Gilard,  Louis Guédon, Jean-Claude Guibal, Jean-Jacques Guillet,  Mme Pascale Gruny, M. Aimé Kergueris, Mme Geneviève  Levy, M. Richard Mallié, Mme Corinne Marchal-Tarnus,  MM. Alain Marleix, Jean-Claude Mathis, Jacques Myard,  Bernadette Paix, Mme Josette Pons, M. Frédéric Soulier,  Mme Juliana Rimane
et M. Guy Teissier
MM. Pierre-Christophe Baguet, Bernard Brochand, Yves Deniaud, Christian Jeanjean, André Santini, Mme Irène Tharin et M. Dominique Tian

Députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis la disparition des régimes à économie planifiée, les relations économiques internationales ont pris une dimension de plus en plus conflictuelle. Or notre pays n'a pas suffisamment pris la mesure des menaces que fait peser sur l'emploi et la cohésion sociale le jeu de véritables prédateurs financiers.

Parallèlement, pour répondre au défi de la globalisation de l'économie mondiale et pour conquérir de nouveaux marchés, bien des Etats, et parmi eux les plus libéraux de la planète, ont non seulement créé des institutions offensives et des procédures de mutualisation d'expertises publiques et privées, mais ont su aussi mettre en réseaux leurs universités, leurs laboratoires et leurs fonds d'investissements.

Ces derniers constituent souvent l'outil optimal pour prendre le contrôle de sociétés, et notamment de celles qui assurent notre indépendance technologique. Les cas de Saft, Eutelsat ou Gemplus, entreprises qui ont fait l'objet de tentatives ou de prises de contrôle par des fonds d'investissement, en l'espèce américains, illustrent la vulnérabilité du capital des entreprises stratégiques, françaises ou européennes.

L'actualité économique et financière montre que ces fonds d'investissement affichent souvent leur préférence pour des sociétés non cotées, comme le sont généralement les entreprises de technologie en phase de maturation. En outre, en choisissant ce type de cible, ces fonds s'exonèrent de donner à l'Autorité des Marchés Financiers ou aux salariés de ces sociétés, des informations ou des explications relatives à leur stratégie réelle, même dans le cas où ils parviennent à prendre le contrôle de 100 % de la holding.

Dès lors, ces sociétés non cotées courent le risque de passer sous le contrôle de fonds d'investissements étrangers lorsque leurs actionnaires concluent des pactes dont certaines clauses prévoient, soit des modifications de l'actionnariat, soit des modalités d'accès au capital reposant sur des indicateurs de performance aux contours flous et non définis par les normes comptables en vigueur.

Ces « pactes d'actionnaires piégés » peuvent ainsi aboutir à la révocation de la direction en cas de résultats insuffisants, avec, dans ce cas, transfert du pouvoir au fonds. La subtilité de l'opération repose sur ces indicateurs non normés qui agissent en véritable bombe à retardement (ou poison pill comme disent les anglo-saxons). En effet, en cas de conflit dans l'appréciation de la situation, le pacte d'actionnaires prévoit qu'il fera l'objet d'un règlement arbitral sans appel, échappant ainsi à la justice nationale.

Tel est, entre autres exemples, le cas de l'Ebitda, indicateur de performance économique, souvent utilisé dans les travaux d'évaluation, mais ne répondant à aucune définition normative. En effet, ni les normes comptables américaines (US GAAP) ni les normes internationales d'information comptable et financière (IAS/IFRS) ne reconnaissent un quelconque statut à l'Ebitda. La situation est identique en France où cet indicateur n'est visé ni par les règlements relatifs aux comptes consolidés ni par le Plan Comptable Général. L'absence d'utilisation homogène de cet indicateur a amené les autorités de régulation et de contrôle, l'AMF en France et la SEC aux Etats-Unis, à émettre des recommandations sur l'utilisation d'indicateurs à caractère non strictement comptable, comme l'Ebitda.

Ainsi, l'AMF précise, dans sa recommandation n° 2001-01 : « le lien entre ces données financières et les comptes certifiés n'est pas toujours aisé à établir même pour les professionnels, analystes, gestionnaires ou intermédiaires. Les modalités des calculs ne sont pas toujours explicitées, et les définitions sont parfois absentes ou imprécises. Le même émetteur peut présenter ses performances avec des indicateurs changeant d'un exercice sur l'autre afin de faire apparaître, à chaque fois, les données les plus favorables ». Au sujet de l'Ebitda, l'AMF précise par ailleurs : « les retraitements du résultat d'exploitation... doivent être présentés, si possible à partir d'un tableau de passage ; le calcul de l'Ebitda doit être décomposé ».

A la suite de ces recommandations, certaines sociétés françaises et américaines ont appelé l'attention des utilisateurs de leur information financière sur :

- le mode de calcul de cet indicateur ainsi que sa décomposition en vue d'un rapprochement avec des agrégats normalisés du compte de résultat (résultat d'exploitation ou résultat net),

- l'absence de normalisation de cet indicateur,

- l'hétérogénéité enfin de son utilisation d'une entreprise à l'autre.

Aussi, la préservation des intérêts économiques et du patrimoine de nos entreprises, qu'elles fassent ou non appel public à l'épargne, passe nécessairement par la sécurisation des modalités d'accès à leur capital, c'est-à-dire de toutes les opérations susceptibles de conduire, directement ou indirectement, à leur prise de contrôle, immédiate ou à terme, par un actionnaire minoritaire ou par tout nouvel actionnaire.

La Loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière a eu notamment pour objet d'améliorer l'environnement des entreprises et de conforter la confiance dans les acteurs et les mécanismes du marché.

Dans ce contexte, il devient nécessaire et urgent de la renforcer d'un dispositif permettant de mettre les entreprises-cibles, ayant leur siège social en France, à l'abri des raids de véritables prédateurs, utilisant des accords se référant à des agrégats comptables ou financiers flous ou mal définis, qui conduiront à des litiges déstabilisateurs pour les anciens actionnaires, susceptibles de leur faire perdre le contrôle capitalistique de leur entreprise.

Aussi, la proposition de loi qui est soumise à votre appréciation prévoit de rendre systématique l'intervention d'un commissaire aux comptes ou d'un expert-comptable en amont de l'accord contractuel. Ce dernier s'assurera notamment :

- que les modalités de calcul sont définies contractuellement ;

- que les définitions retenues reposent sur des agrégats habituellement utilisés dans les comptes individuels ou consolidés (bilan, compte de résultat, tableau des flux de trésorerie et notes annexes) de l'entreprise ;

- que les comptes individuels ou consolidés donnent lieu à publication et sont certifiés, de manière pure et simple, par le ou les commissaires aux comptes habituels de l'entreprise ;

- que les définitions retenues sont sous-tendues par des principes généraux qui ne contredisent pas les modalités de calcul éventuellement prévues par les exemples ou les illustrations fournis à l'appui de ces définitions ;

- en cas de manquement à cette nouvelle mission, la définition des sanctions applicables est renvoyée à un décret en Conseil d'Etat. Ce décret précisera également, au-delà de la liste qui précède, le champ complet des termes faisant l'objet d'une certification.

Pour toutes ces raisons, et notamment parce qu'il en va de la sécurité du capital de nos entreprises les plus innovantes, et donc aussi de notre indépendance technologique, je vous demande, Mesdames et Messieurs les députés, de voter la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

Après le chapitre II du Titre III de la Loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière, est inséré un chapitre II bis intitulé : « De l'encadrement de certaines modalités de prise de contrôle des entreprises ayant leur siège social en France », comprenant 3 articles 126-1 à 126-3 ainsi rédigés :

« Art. 126-1. - Lorsque des accords contractuels, notamment les statuts, les pactes d'actionnaires, les lettres d'intention ou les protocoles d'acquisition comportant des engagements fermes ou optionnels d'achat ou de vente d'actions, des clauses de garantie de passif ou des émissions d'instruments financiers, donnent accès, immédiatement ou à terme, au capital d'entreprises ayant leur siège social en France, sont susceptibles de conduire à la modification de l'actionnariat de ces entreprises ou de leur mode de contrôle, et comportent des clauses se référant à l'utilisation de notions juridiques, d'indicateurs financiers ou de combinaisons de données comptables, ces accords sont soumis à un examen préalable spécifique d'un expert-comptable ou d'un commissaire aux comptes sous peine de nullité de la transaction.

« Cet expert-comptable ou ce commissaire aux comptes doit différer de celui ou de ceux mandatés par l'entreprise dans l'exercice de ses activités courantes, ou pour satisfaire aux autres exigences légales et réglementaires qui s'imposent à elle.

« Art. 126-2. - La mission de l'expert-comptable ou du commissaire aux comptes mentionnée à l'article 126-1 donne lieu à l'établissement d'une attestation ou d'une lettre d'opinion certifiant que les termes utilisés dans le cadre de l'accord prévu au même article répondent à des définitions prévues par les normes françaises ou internationales, applicables en matière d'information comptable et financière.

« Dans le cas contraire, l'expert-comptable ou le commissaire aux comptes certifie que les modalités de calcul et de mise en œuvre des termes contractuels reposent sur des définitions contractuelles claires et explicites.

« Art. 126-3. - Les modalités de mise en œuvre des articles 126-1 et 126-2 sont définies par décret en Conseil d'Etat. »

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE

11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-118455-1
ISSN : 1240 - 8468

En vente au Kiosque de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

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N° 1746 - Proposition de loi tendant à sécuriser l'accès au capital des entreprises ayant leur siège social en France (M. Bernard Carayon)


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