N° 2014 - Proposition de loi de Mme Henriette Martinez sur la protection de l'enfance




 

N° 2014

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 21 décembre 2004.

PROPOSITION DE LOI

sur la protection de l'enfance,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration
générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par Mme Henriette MARTINEZ

Additions de signatures :

Mmes et MM. Jean-Claude Abrioux, Manuel Aeschlimann, René André, Jean Auclair, Patrick Beaudouin, Jean-Claude Beaulieu, Pierre Bédier, Jacques-Alain Bénisti, Jean-Louis Bernard, Marc Bernier, Gabriel Biancheri, Jérôme Bignon, Claude Birraux, Roland Blum, Jacques Bobe, Yves Boisseau, Bruno Bourg-Broc, Loïc Bouvard, Michel Bouvard, Françoise Branget, Ghislain Bray, Maryvonne Briot, Chantal Brunel, Yves Bur, François Calvet, Pierre Cardo, Richard Cazenave, Roland  Chassain, Jean-Louis Christ, Philippe Cochet, Alain Cortade, Louis Cosyns, Edouard Courtial, Alain Cousin, Jean-Michel Couve, Charles Cova, Jean-Claude Decagny, Jean-Pierre Decool, Bernard Deflesselles, Lucien Degauchy, Francis Delattre, Richard Dell’Agnola, Patrick Delnatte, Léonce Deprez, Jean-Jacques Descamps, Jean Diébold, Michel Diefenbacher, Jean-Pierre Door, Dominique Dord, Philippe Dubourg, Nicolas Dupont-Aignan, Francis Falala, Yves Favennec, Philippe Feneuil, Jean-Michel Ferrand, Daniel Fidelin, André Flajolet, Jean-Claude Flory, Arlette Franco, Cécile Gallez, René Galy-Dejean, Daniel Gard, Jean-Paul Garraud, Jean-Marie Geveaux, Franck Gilard, Bruno Gilles, Jean-Jacques Guillet, Jean-Pierre Giran, Maurice Giro, Claude Goasguen, François Grosdidier, Pascale Gruny, Christophe Guilloteau, Emmanuel Hamelin, Michel Heinrich, Pierre Hellier, Pierre Hériaud, Jean-Yves Hugon, Sébastien Huyghe, Édouard Jacque, Olivier Jardé, Christian Jeanjean, Maryse Joissains-Masini, Jacques Kossowski, Patrick Labaune, Jacques Lafleur, Marguerite Lamour, Édouard Landrain, Pierre Lasbordes, Jean Lassalle, Thierry Lazaro, Brigitte Le Brethon, Jean-Pierre Le Ridant, Jean-Marc Lefranc, Gérard Léonard, Jean-Louis Léonard, Céleste Lett, Corinne Marchal-Tarnus, Thierry Mariani, Hervé Mariton, Alain Marleix, Hugues Martin, Philippe-Armand Martin, Jean-Claude Mathis, Bernard Mazouaud, Christian Ménard , Alain Merly, Denis Merville, Gilbert Meyer, Pierre Micaux, Nadine Morano, Alain Moyne-Bressand, Jean-Pierre Nicolas, Dominique Paillé, Bernadette Païx, Robert Pandraud, Béatrice Pavy, Jacques Pélissard, Pierre-André Périssol, Bernard Perrut, Christian Philip, Bérengère Poletti, Bernard Pousset, Daniel Prévost, Christophe Priou, Didier Quentin, Eric Raoult, Jean-Luc Reitzer, Jacques Remiller, Marc Reymann, Dominique Richard, Juliana Rimane, Jean Roatta, Jean-Marc Roubaud, Michel Roumegoux, Francis Saint-Léger, André Schneider, Michel Sordi, Daniel Spagnou, Alain Suguenot, Michèle Tabarot, Guy Teissier, Michel Terrot, Dominique Tian, Jean-Claude Thomas, Jean Ueberschlag, Léon Vachet, Christian Vanneste, François Vannson, Alain Venot, Jean-Sébastien Vialatte, Philippe Vitel, Michel Voisin et Gérard Weber

Additions de signatures :
MM. Georges Colombier, Antoine Herth, Georges Mothron et François Scellier

Députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La loi de 1958 sur l'assistante éducative, modifiée en 1970, a été conçue à une époque où les enfants étaient fréquemment placés d'une manière abusive, et abusivement prolongée sans réexamen de leur situation personnelle et familiale. Afin de mettre fin à ces pratiques, la loi a été construite en mettant au cœur de sa logique « l'aide et le conseil à la famille », le service chargé de cette action devant suivre le développement de l'enfant et en rendre compte périodiquement au juge des enfants. Si un retrait de l'enfant de son milieu naturel s'avère nécessaire, une telle mesure doit être réévaluée au minimum tous les deux ans. L'exposé des motifs de la loi de 1958 indique que cette loi « s'inspire d'études préalables très poussées, de l'expérience, des enseignements du droit comparé ».

En 2004, l'accroissement des connaissances, l'expérience, et l'étude du droit comparé montrent que cette loi ne remplit plus les objectifs qu'elle s'était fixés : elle se révèle inadaptée et insuffisamment protectrice pour un nombre important d'enfants. L'introduction des termes « intérêt de l'enfant » le 3-12-2003 n'a pas permis d'obtenir de changements réels dans les pratiques, ces termes ayant été insuffisamment définis. La France n'a pas su suivre l'exemple d'autres démocraties qui ont réécrit leur loi à intervalles réguliers, en la réactualisant.

L'expérience montre que les juges et les professionnels chargés du suivi interprètent la loi essentiellement dans le sens du maintien de l'enfant dans son milieu familial, en négligeant l'évaluation de son développement intellectuel et affectif. Dans de nombreux pays, des guides d'évaluation officiels, régulièrement mis à jour en fonction des connaissances, servent de référence aux acteurs de la protection de l'enfance (à titre d'exemple, le Québec en est, depuis 1995, à la troisième réécriture de son guide d'évaluation, et l'Angleterre dispose de référentiels sans cesse réactualisés). L'absence d'un tel outil en France est dommageable, en particulier en ce qui concerne les enfants petits car il est prouvé que c'est à cette période de sa vie que l'enfant est le plus vulnérable, et que se constituent des troubles d'une fixité redoutable. De plus, un ensemble de travaux scientifiques neurophysiologiques montrent, depuis 1989, que le fait pour un enfant d'être privé de stimulations positives ou d'être soumis à un stress émotionnel chronique durant les premiers mois de sa vie, entraîne un défaut de développement de certaines parties du cerveau qui interviennent dans la maîtrise des émotions et dans la capacité d'être en relation avec autrui (Ministère de la Famille et de l'Enfance du Québec, 1999).

Enfin, un problème majeur est constitué par la non prise en compte des nombreux travaux internationaux consacrés à la théorie et à la clinique de l'attachement. Cette théorie, connue depuis 1969 et qui a fait depuis l'objet de recherches incessantes, indique que pour se développer normalement, un enfant a dès ses premiers mois un besoin vital, au niveau psychique, d'établir un lien sélectif avec une « figure d'attachement » stable, fiable, prévisible, qui lui permette de se sentir en sécurité, c'est-à-dire avec un adulte qui soit capable de comprendre et d'apaiser ses tensions, et de maintenir une préoccupation constante à son égard. Si un tel lien, qui peut être noué avec une autre personne que les parents, n'est pas proposé à l'enfant, le risque est grand qu'il présente des troubles affectifs et intellectuels.

En conséquence, actuellement, au cours de suivis en milieu ouvert prescrits par les magistrats, beaucoup d'enfants se dégradent intellectuellement et deviennent des adultes déficients intellectuels qui n'auront que peu d'autonomie et ne pourront pas participer à la vie sociale du pays. D'autres évoluent vers une violence extrême et passent sans intermédiaire de la justice des enfants à la justice des adultes. D'autres encore, en grand nombre, évoluent vers des troubles psychiques entraînant des hospitalisations répétées à l'âge adulte, ou vers une vie très marginalisée (quatre cinquième des clochards ont passé deux ans de leur enfance en foyer de l'Aide Sociale à l'Enfance), etc. La notion de santé psychique n'est pas incluse dans la loi actuelle, et il n'est effectué aucune évaluation des résultats à moyen et à long terme des décisions prises et des actions effectuées, ni des coûts énormes que les inadéquations actuelles de la loi de 1970 entraînent dans les domaines sanitaires, sociaux et judiciaires.

Dans notre pays, un enfant encourt donc trois sortes de danger. Tout d'abord, celui d'être soumis de la part de ses parents à des actes éducatifs dangereux pour son développement, négligence, maltraitance, incohérence, etc. Ensuite, le danger de ne se voir proposer aucun lien d'attachement stable et sécurisant s'il doit être placé hors du domicile familial. De nombreux enfants vivent en institution pendant des années depuis leur plus jeune âge, sans qu'un seul lien fixe leur soit proposé, en « stand-by », dans l'attente délétère, interminable, et incompréhensible pour eux que leur père et mère deviennent éventuellement capables d'exercer leurs responsabilités parentales. Certains nourrissons restent six cents jours en pouponnière départementale avant qu'une décision les concernant soit prise. Ils perdent ainsi la capacité de s'attacher à qui que ce soit, ce qui souligne la nécessité que la loi se mette à l'heure de l'horloge psychique de l'enfant, dans un souci continuel de célérité.

Enfin, le troisième danger est le risque de perdre une relation d'attachement sécurisante. La remise en question tous les deux ans du lien qu'un enfant a pu nouer avec une famille d'accueil ou un lieu de vie adaptés et chaleureux, dans les situations de défaillances parentales graves et prolongées qui concernent certains parents très négligents, violents, en errance, ou souffrant de troubles mentaux, maintient l'enfant dans un climat d'insécurité préjudiciable à son développement affectif. Dans ces situations, la loi de 1970 empêche la construction d'un projet de vie continu ou fait peser une menace permanente sur cette continuité. Les constatations actuelles montrent que pour un certain nombre de magistrats, si un enfant va mieux parce qu'il est séparé de ses parents, le « danger apparent » semble dissipé, et l'intérêt de l'enfant est donc nécessairement un retour dans sa famille, même si cette dernière n'a pas évolué. Ces décisions ne prennent pas en compte l'histoire de l'enfant dans son milieu de vie organisée par l'assistance éducative, les affections qu'il a construites, les modèles identificatoires qu'il a rencontrés, son besoin de sécurité affective, de continuité dans l'organisation de sa vie. La mesure de placement peut alors être suspendue, sans que la différence ne soit faite entre les difficultés passagères ou compensables d'une famille et les défaillances parentales graves.

En ne prenant pas en compte la nécessité absolue de la continuité relationnelle dans la vie de l'enfant, la loi peut être à l'origine de graves troubles du comportement, conséquence d'itinéraires de vie incohérents. Cette constatation a amené plusieurs pays à introduire, pour les situations de difficultés parentales éducatives lourdes, le concept de « projet de vie permanent », permettant à l'enfant de bénéficier d'une décision de placement stable jusqu'à sa majorité, non remise en cause à intervalles rapprochés, décision ne touchant pas à la filiation ni au maintien des liens avec les parents biologiques. L'enfant demeure en relation avec sa famille, sans vivre en permanence dans sa famille.

Une autre conséquence de la non prise en compte des travaux sur l'attachement est la diminution constante du nombre d'enfants déclarés abandonnés puis confiés en adoption dans le cadre de l'article 350, en cas de désintéressement manifeste des parents pendant au moins un an. Ce chiffre a baissé de moitié entre 1991 et 2001, pour se situer autour de 40 par an, alors qu'il est de 3 500 en Angleterre, 273 (2 300 à population équivalente à celle de la France) au Québec, 1 600 en Italie où tout désintérêt parental supérieur à six mois doit être signalé aux magistrats. Ainsi, pour des raisons idéologiques, des centaines d'enfants ne bénéficient-ils d'aucune filiation concrète et affective dans notre pays. Et quand l'article 350 est utilisé, le délai pour qu'un enfant devienne ensuite effectivement adoptable peut atteindre plusieurs années.

En réaction à un passé de placements abusifs, le code civil a donc gardé une caractéristique qui se révèle inadaptée aux connaissances psychologiques et médicales actuelles ; la France est une des rares démocraties, peut-être la seule, à n'avoir aucune loi spécifique consacrée à la protection de l'enfance, qui prenne en compte précisément les besoins des enfants particulièrement lorsqu'ils sont petits, et qui reconnaisse clairement que dans certains cas, ces besoins peuvent être contradictoires avec les désirs des parents. Cette constatation ne vise pas à « punir » des parents, lesquels sont souvent eux-mêmes victimes de leur enfance désastreuse. La qualité de parents est exigeante et nécessite une implication certaine et de tous les instants. Etre parent n'est pas qu'un droit, c'est être porteur d'obligations envers un être inachevé dont les besoins physiques et émotifs sont en totale dépendance de l'adulte.

Ainsi une loi centrée sur la protection de l'enfance est d'autant plus nécessaire que l'enfant est un être en développement, particulièrement vulnérable, et qui a peu de moyens d'exprimer ce qu'il ressent et ce qu'il souhaite. L'expérience montre que le domaine de l'enfance en difficulté est un terreau fertile aux idéologies de toutes sortes, et qu'il ne suffit pas de déclarer que l'enfant est notre bien le plus précieux. Tout en maintenant l'aide et le conseil aux pères et mères quand c'est adapté et en se fixant des délais raisonnables pour évaluer l'efficacité de cette action, la loi doit inciter clairement et même contraindre à une prise en compte des besoins réels de l'enfant, dont elle est la raison ultime. Peu de juridictions exigent autant de qualité humaine, et un travail aussi difficile ne peut être accompli qu'avec l'aide d'une loi qui propose des principes cohérents fondés sur les connaissances les plus récentes.

Les grands principes de la loi présentée sont donc :

- la préséance de l'intérêt de l'enfant sur tous les autres principes, cet intérêt étant défini comme la protection de la sécurité et du développement intellectuel et affectif de l'enfant (comme dans la loi anglaise, italienne, vaudoise, canadienne, etc.) ;

- par conséquent, la nécessité d'une évaluation précise de l'état de l'enfant et des capacités éducatives de ses parents pour étayer toute décision ;

- la cessation de la situation qui compromet le développement de l'enfant, comme finalité de toute intervention judiciaire et éducative ;

- la nécessité d'éviter que cette situation ne se reproduise ;

- la nécessité de faire la distinction entre les difficultés parentales passagères susceptibles de changements dans un délai compatible avec le développement de l'enfant, et les difficultés parentales lourdes non susceptibles d'évolution positive rapide ;

- en cas de difficultés parentales passagères et de coopération du milieu familial, la priorité donnée au maintien de l'enfant dans sa famille avec si besoin un placement relais de courte durée ;

- en cas de difficultés parentales lourdes et rapidement nocives pour l'enfant, la mise en place d'un projet de vie permanent jusqu'à majorité, permettant à l'enfant de bénéficier d'un environnement stable, fiable et sécurisant ;

- une attention particulière accordée au désintérêt parental prolongé, avec le prononcé possible d'une décision d'abandon dès six mois d'absence parentale.

Afin de souligner son recentrage sur les droits de l'enfant, la protection de l'enfance ne doit plus être incluse dans les lois sur l'autorité parentale, mais faire l'objet d'une loi spécifique.

Enfin, afin d'éviter qu'un tel décalage entre loi, connaissance, et expérience ne se reproduise dans le futur, l'adéquation au savoir, les effets, et les éventuelles difficultés d'application de cette loi devraient être évalués tous les cinq ans.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Le droit et la responsabilité d'assumer le soin, l'entretien, l'éducation et la surveillance d'un enfant incombent en premier lieu à ses parents ou à son tuteur. Si les parents ou le tuteur ne parviennent pas à assumer ces fonctions, le juge des enfants peut être saisi, à la requête des père et mère conjointement ou de l'un d'eux, du gardien ou du tuteur, du mineur lui-même, des services de la protection sociale du conseil général, ou du ministère Public. Le juge peut se saisir d'office.

Article 2

L'intérêt de l'enfant est le principe premier qui doit sous-tendre les décisions et les interventions effectuées. Ce principe a préséance sur tous les autres, en particulier sur les droits des parents.

Article 3

L'intérêt de l'enfant se définit comme la protection de sa sécurité et de son développement, en particulier affectif et intellectuel. Cet intérêt risque d'être compromis ou est considéré comme compromis lorsque l'enfant ne reçoit pas ce qui est essentiel pour répondre à ses besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux, et affectifs, incluant les besoins de sécurité émotionnelle et la possibilité de s'attacher de manière stable à un adulte attentif.

Article 4

Toute intervention auprès d'un enfant et de ses parents doit viser à mettre fin à la situation qui compromet la sécurité ou le développement de l'enfant et à éviter qu'elle ne se reproduise.

Article 5

Le besoin de liens personnalisés et sécurisants, et de continuité dans les conditions de vie de l'enfant doivent guider les décisions prises, avec une attention particulière accordée aux enfants de moins de six ans, sous peine de voir apparaître des troubles intellectuels et affectifs sévères. Ce principe concerne la vie de l'enfant dans sa famille ou en dehors d'elle.

Article 6

Si les parents acceptent les mesures d'accompagnement proposées et si les capacités parentales peuvent être restaurées dans un délai raisonnable, les décisions prises doivent tendre à maintenir l'enfant dans son milieu familial en amenant les parents à assumer différemment la responsabilité de leur enfant. Le juge désigne alors soit une personne qualifiée, soit un service d'observation, d'éducation, ou d'éducation en milieu ouvert en lui donnant mission d'apporter aide et conseil à la famille, afin de surmonter les difficultés matérielles, éducatives, ou psychologiques qu'elle rencontre. Cette personne ou ce service est aussi chargé de suivre le développement de l'enfant, de déterminer ses besoins non comblés qui sont à l'origine des problèmes, et d'en faire rapport au juge périodiquement, au moins une fois par an.

Le juge peut aussi subordonner le maintien de l'enfant dans son milieu à des obligations particulières, telles que celle de fréquenter régulièrement un établissement sanitaire ou d'enseignement, ordinaire ou spécialisé.

Article 7

Si un placement est décidé du fait de difficultés passagères ou compensables d'une famille, l'enfant, devra pouvoir réintégrer au plus vite son milieu familial, au nom du besoin de continuité des soins et de stabilité.

Article 8

Si au contraire la possibilité de la part des parents d'établir des liens affectifs structurants est très aléatoire, ou si le type de liens que les parents proposent s'avère nocif pour l'enfant, il est nécessaire de retirer ce dernier de son milieu actuel. Le juge peut décider de le confier :

1) à celui des pères et mères qui n'en avait pas la garde ;

2) à un autre membre de la famille ou à un tiers digne de confiance ;

3) à un service ou à un établissement approprié, sanitaire, éducatif ou d'enseignement, ordinaire ou spécialisé ;

4) au service départemental de l'aide sociale à l'enfance.

Dans ces cas spécifiés au 1, 2 et 3, le juge peut charger soit une personne qualifiée, soit un service d'observation ou d'éducation en milieu ouvert, d'apporter au gardien aide et conseil, de suivre le développement de l'enfant, et de lui rendre compte périodiquement de la situation de ce dernier, au moins une fois par an.

Article 9

A titre provisoire, mais à charge d'appel, le juge peut pendant l'instance, soit ordonner la remise provisoire du mineur à un centre d'accueil ou d'observation, soit prendre l'une des mesures prévues à l'article 8.

En cas d'urgence, le procureur de la République du lieu où le mineur se trouve, a le même pouvoir, à charge de saisir dans les huit jours le juge compétent, qui maintiendra, modifiera ou rapportera la mesure.

Article 10

Si un placement est décidé suivant les modalités décrites aux articles 7 et 8, tous les moyens doivent être pris pour déterminer, les possibilités de retour de l'enfant dans son milieu familial ou son maintien dans un milieu de vie substitut. Il est nécessaire d'évaluer avec diligence pendant combien de temps des mesures peuvent être prises pour amener les parents à exercer leurs responsabilités sans compromettre la sécurité et le développement de leur enfant, en étant attentif aux conséquences qu'entraînent les délais, en particulier pour les enfants très jeunes qui doivent être séparés de leurs parents.

Pour l'évaluation de la situation :

- Il devra être tenu compte du fait que la notion de temps est différente pour l'adulte et pour l'enfant, et que ce dernier ne peut rester sans dommage s'il ne bénéficie pas d'un lien d'attachement stable avec un adulte fiable, capable de comprendre ses besoins et d'y répondre.

- Il sera tenu compte de la nature, la gravité, la chronicité et la fréquence des faits signalés ; de l'âge et des caractéristiques personnelles de l'enfant ; de la capacité et la volonté des parents de modifier la situation.

- Il pourra être nécessaire de s'appuyer sur un manuel de référence d'évaluation de l'état de l'enfant et des capacités parentales, régulièrement réactualisé en fonction des connaissances.

Article 11

Six motifs d'intervention peuvent être considérés comme compromettant gravement l'intérêt de l'enfant : l'abandon, la négligence, les mauvais traitements psychologiques, l'abus sexuel, la maltraitance physique, les troubles du comportement de l'enfant.

1) L'abandon

La sécurité et le développement d'un enfant sont considérés comme compromis si ses parents n'en assument pas de fait le soin, l'entretien, l'éducation, ou si ses parents, alors qu'il est confié à un établissement ou à une famille d'accueil, ne maintiennent pas avec lui des liens significativement suffisants, ou lui fournissent des contacts sans qualité.

2) La négligence

Est considéré comme négligé un enfant qui ne reçoit pas de réponses adéquates à ses besoins de base d'alimentation, d'habillement, de logement, de soins de santé, de protection, d'éducation, ainsi qu'à des besoins affectifs ou psychologiques, de la part de ses parents ou des personnes qui en assument sa garde.

3) Les mauvais traitements psychologiques

Sont considérés ici des comportements qui ne portent pas directement atteinte à l'intégrité physique de l'enfant : indifférence, rejet, isolement, agression verbale, dénigrement, menace, excitation excessive, implication massive de l'enfant dans un délire parental ou dans les problèmes personnels du parent, exposition à la violence ou à la sexualité conjugale. Les mauvais traitements psychologiques constituent la forme la plus répandue de maltraitance envers les enfants, ils peuvent les atteindre sur tous les plans de leur développement, social, affectif, intellectuel, et physique, avec une intensité qui peut surpasser celle des autres formes de violence, d'abus et de négligence. Ils peuvent concerner des parents ou tuteurs impulsifs, irresponsables, alcooliques, toxicomanes, ou présentant des problèmes d'ordre psychiatrique, si leur comportement a un impact sur l'enfant dont ils assument la garde.

4) L'abus sexuel

Sont considérés ici les d'actes sexuels commis sur l'enfant ou l'impliquant, mais la notion de risque comprend aussi un climat de grande promiscuité sexuelle, ou encore la non-protection d'un enfant qui risque d'être victime d'un abus sexuel commis par une autre personne que ses parents.

5) L'abus physique

Il s'agit de gestes qui dépassent la mesure raisonnable, provoquent des sévices corporels et des traumatismes qui peuvent avoir des conséquences graves sur la santé, le développement ou la vie de l'enfant.

6) Les troubles du comportement

La sécurité ou le développement d'un enfant sont considérés comme compromis si ce dernier manifeste des troubles du comportement sérieux et que ses parents ne parviennent pas à y mettre fin ou ne prennent pas les moyens nécessaires pour cela. Ces comportements peuvent présenter un danger pour l'enfant lui-même (fugue, absentéisme scolaire) ; ou pour autrui (attitude violente, abus sexuels sur un autre jeune, recours à l'intimidation et au racket). Ils peuvent aussi concerner une situation de conflit important entre parents et enfant.

Article 12

Lorsque les parents ne paraissent pas susceptibles de modifier leur attitude et d'assurer la responsabilité des besoins de leur enfant, ou lorsque le délai pour obtenir ces changements apparaît comme trop long et trop aléatoire, il est nécessaire de définir un projet de vie permanent pour tout enfant placé, afin qu'il puisse développer un lien d'attachement sécurisant, facteur décisif du développement normal de certaines fonctions cérébrales, de la confiance en soi, de la capacité d'établir une relation saine avec autrui, de la socialisation. Si l'intégrité de la famille est une valeur fondamentale à préserver, le besoin d'un enfant de faire partie d'un environnement stable est encore plus fondamental. Plus un enfant est jeune, plus les risques qu'il développe des troubles de l'attachement et des problèmes de personnalité sont élevés, et plus il importe de lui assurer rapidement un milieu de vie stable. Il peut donc être décidé qu'un enfant sera placé jusqu'à majorité dans un milieu qui se rapprochera le plus possible d'un milieu familial afin de respecter son besoin de continuité relationnelle. Un bilan de la situation sera adressé toutes les années au juge des enfants.

Article 13

La durée d'un placement provisoire en collectivité ne devrait pas excéder six mois lorsqu'un enfant a moins de quatre ans, et un an s'il est plus âgé, durées au-delà desquelles doit être déterminé un projet stable le concernant. Cette durée prend en compte le temps de placement antérieur à l'audience judiciaire.

Article 14

Les père et mère dont l'enfant a donné lieu à une mesure d'assistance éducative ou à un placement, conservent sur lui leur autorité parentale et en exercent tous les attributs qui ne sont pas inconciliables avec l'application de la mesure. Cependant, si besoin, une délégation totale de l'autorité parentale ou partielle peut être décidé par le juge des enfants concernant l'éducation, les soins de santé, ou d'autres domaines.

Les parents ne peuvent émanciper l'enfant sans autorisation du juge des enfants tant que la mesure d'assistance éducative reçoit application.

Article 15

S'il a été nécessaire de placer l'enfant hors du foyer familial, le juge peut accorder aux parents un droit de correspondance et de visites. Le rythme et la durée de ces droits dépendront essentiellement de l'intérêt de l'enfant. Cet intérêt peut justifier une suspension de leur exercice ou de l'un d'eux. Leur exercice ne sera rétabli qu'en fonction de l'intérêt de l'enfant.

Article 16

Les décisions prises en matière de protection de l'enfance peuvent être, à tout moment, modifiées ou rapportées par le juge qui les a rendues soit d'office, soit à la requête des père et mère conjointement, ou de l'un d'eux, du gardien ou du tuteur, du mineur lui-même, du service de protection de l'enfance du conseil général, ou du ministère public, sauf celles qui concernent un placement impliquant un projet de vie permanent. Les modifications ou le report des décisions d'assistance éducative seront nécessairement fondées sur le respect de l'intérêt de l'enfant, notamment au regard de la continuité relationnelle et affective et de la stabilité du milieu habituel de vie de l'enfant dès lors qu'il est adapté à ses besoins immédiats et à venir.

Article 17

Les frais d'entretien et d'éducation de l'enfant qui a fait l'objet d'une mesure d'assistance éducative continuent d'incomber à ses père et mère ainsi qu'aux ascendants auxquels des subsides peuvent être réclamés. S'ils n'en peuvent supporter entièrement la charge, le juge détermine le montant de leur participation.

Article 18

Si des parents se sont manifestement désintéressés pendant six mois de leur enfant, ou s'ils n'ont entretenu avec lui que des contacts non significatifs, alors que cet enfant est recueilli par un particulier, une œuvre privée ou un service de l'aide sociale à l'enfance, ces institutions doivent signaler cet état au juge des enfants. Une démarche d'introduction de demande en déclaration d'abandon, suivie d'une possibilité d'adoption doit alors être envisagée avec diligence.

Article 19

L'enfant a le droit d'être entendu seul par le juge des enfants ou par la cour d'appel, à sa demande, à celle de ses parents, de son tuteur, ou des services responsables de son suivi. Son opinion et ses préoccupations doivent être pris en considération, et s'il n'est pas possible d'apporter une solution adaptée à ses préoccupations, les raisons doivent lui en être expliquées.

Article 20

L'article 375 du code civil est abrogé.

Article 21

Dans la première phrase du premier alinéa de l'article 350 du code civil, les mots « sauf le cas de grande détresse des parents » sont supprimés.

Article 22

Les résultats de l'application de la présente loi feront l'objet d'une évaluation tous les cinq ans.

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N° 2014 - Proposition de loi sur la protection de l'enfance (Henriette Martinez)

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