N° 2618 - Proposition de résolution de M. Jean-Marc Ayrault tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conditions dans lesquelles le Gouvernement est intervenu dans la crise de Côte-d'Ivoire depuis le 19 septembre 2002




N° 2618

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 26 octobre 2005.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d'une commission d'enquête
sur les conditions dans lesquelles le Gouvernement
est
intervenu dans la crise de Côte d'Ivoire
depuis le 19 septembre 2002,

(Renvoyée à la commission des affaires étrangères,
à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par MM. Jean-Marc AYRAULT, Paul QUILÈS, François LONCLE, Henri SICRE, Serge JANQUIN, Jean-Paul BACQUET, Jean MICHEL, Mme Paulette GUINCHARD

et les membres du groupe socialiste (1) et apparentés (2)

Députés.

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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le Gouvernement français a pris depuis le mois de septembre 2002 diverses initiatives politiques et militaires en Côte d'Ivoire. Dès le déclenchement des conflits consécutifs à la tentative de coup d'Etat du 19 septembre 2002 contre le Président Gbagbo, il a envoyé dans ce pays une force dénommée « Licorne », dont la mission était initialement, selon les déclarations officielles, d'« assurer la sécurité » de nos compatriotes. Dans un deuxième temps il a chargé la force Licorne de s'interposer entre les parties, autorités gouvernementales et forces nouvelles.

Ces efforts ont été au fil des mois « mutualisés ». L'ONU, l'Union africaine, la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest) ont participé avec la France, à une démarche collective visant à rétablir la sécurité et la confiance entre autorités et rebelles, conditions indispensables à la recherche d'un compromis ouvrant la voie à une paix durable, à la réconciliation et à l'établissement d'une démocratie pérenne. Plusieurs résolutions ont été adoptées par le Conseil de sécurité de l'ONU pour donner un cadre minimal commun aux différentes interventions, en particulier les résolutions 1464 (2003), 1479 (2003), 1528 (2004), 1572 (2004), 1584 (2005) et 1609, 1632, 1633 (2005).

Les différentes étapes diplomatiques de cet engagement français et international ont accompagné le cheminement décidé par les parties, celui de l'accord du 24 janvier 2003 négocié sous parrainage français à Linas-Marcoussis et Kléber, celui des Accords d'Accra III conclus le 30 juillet 2004, avec le soutien de 14 chefs d'Etat et de gouvernement africains, du secrétaire exécutif de la CEDEAO et du Président de l'Union africaine, l'Accord de Pretoria parrainé par l'Afrique du sud le 6 avril 2005 et enfin la décision adoptée par l'Union africaine à Addis Abeba le 6 octobre 2005. Ces accords engageaient les autorités gouvernementales ivoiriennes et les rebelles, rebaptisés « Forces nouvelles », à entrer dans un processus de désarmement. Ils prévoyaient une réforme de la Constitution et de la législation mettant fin aux litiges relatifs à la nationalité. Ils devaient ainsi préparer les conditions de la consultation électorale du 30 octobre 2005, terme du mandat présidentiel, afin de rétablir une légitimité nationale acceptée au nord et au sud du pays.

Les garants extérieurs de ces accords se sont engagés à apporter les moyens, en particulier militaires, garantissant le respect des compromis négociés par les parties. Le dispositif militaire français compte aujourd'hui près de 4 000 hommes. Initialement déployé sur la ligne de cessez-le-feu, il a été « rapatrié » sur Abidjan au mois de novembre 2004, avant de reprendre ses positions initiales. Le contingent des Nations Unies, l'ONUCI, compte également plus de 6 640 hommes.

Force est de constater le grippage diplomatique et militaire de ce dispositif. Si, répondant aux demandes du médiateur sud-africain, la Constitution a été amendée par le président Gbagbo, les « Forces nouvelles » et les milices « loyalistes » n'ont pas désarmé à la date prévue par les accords. Le DDR (Désarmement, Démobilisation, Réintégration), est au point mort. Les autorités gouvernementales ont pu lancer en toute impunité le 4 novembre 2004 une offensive violant l'esprit et les termes des engagements pris.

La présence de conseillers israéliens et de mercenaires biélorusses, ukrainiens, ou salariés de sociétés privées de défense nord-américaines a mis en évidence des formes préoccupantes d'internationalisation de la crise ivoirienne.

L'aviation gouvernementale a bombardé un camp militaire français le 6 novembre 2004 et tué neuf de nos soldats. La communauté française a été la cible d'agressions et de violences les 7 et 8 novembre 2004. L'armée française a été à ce moment là entraînée dans une logique combattante contre les forces ivoiriennes, et des opérations de maintien de l'ordre dans les rues d'Abidjan se sont soldées par la mort de nombreux manifestants. La presse française a publié le 20 octobre 2005 des documents émanant du ministère de la défense mettant explicitement en cause les autorités ivoiriennes dans le bombardement du camp français de Bouaké à un moment où la Côte d'Ivoire avec le soutien d'organisations internationales et officiellement de la France aborde un cap délicat et périlleux pour le maintien du dialogue entre les parties.

Ce grippage du dispositif mis en place pour favoriser le règlement du conflit ivoirien révèle des dysfonctionnements diplomatiques et militaires porteurs d'une incertitude accrue exposant dangereusement les forces françaises. Il fait craindre la perpétuation d'une crise aux conséquences imprévisibles, locales comme régionales.

Il convient d'en analyser les causes et d'y porter remède afin d'écarter tout risque de renouvellement des dérives tragiques auxquelles ont conduit d'autres situations africaines dans le passé.

Mais pour comprendre les raisons de l'inefficacité du dispositif politique et militaire mis en place pour résoudre la crise ivoirienne, il est indispensable au préalable de répondre aux interrogations multiples que suscite la présence des forces françaises en Côte d'Ivoire.

Ces interrogations portent d'abord sur le contenu et la cohérence des missions respectivement assignées d'une part à la force Licorne, qualifiées d'impartiales par les résolutions de l'ONU, et d'autre part aux forces internationales [d'abord MICECI (Mission de la CEDEAO en Côte d'Ivoire) puis ONUCI (Forces de l'ONU en Côte d'Ivoire) à partir du 5 avril 2004]. Les communiqués des autorités françaises ont, au fil des mois, signalé, alternativement ou de façon concomitante, que la mission de Licorne était de veiller, de façon unilatérale, à la sécurité de nos ressortissants et d'assurer, avec les soldats de la CEDEAO puis de l'ONU, le contrôle du cessez-le-feu et la surveillance de la ligne de non-franchissement. Mais ces déclarations ne permettent de comprendre clairement ni la raison d'être fondamentale de la présence française ni la cohérence entre les actions unilatérales du Gouvernement et la contribution qu'il affirme vouloir apporter aux processus politiques et militaires multilatéraux.

Les interrogations concernent également le cadre juridique de la présence militaire française. Dans quelle mesure cette

présence résulte-t-elle de l'application des accords bilatéraux de défense, d'assistance et de coopération militaires passés avec la Côte d'Ivoire ? Dans quelle mesure la mission impartie aux forces françaises découle-t-elle des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies ?

D'autres interrogations portent sur le manque d'efficacité globale du dispositif politique et militaire du maintien de la paix : pourquoi les forces internationales ont-elles été impuissantes à assurer la sécurité de manière satisfaisante et à établir la confiance entre les parties ? Comment les initiatives diplomatiques prises par la France, la CEDEAO, l'Union africaine, les Nations Unies pour réunir les conditions du retour à la paix se sont-elles articulées ? Y a-t-il eu cohérence dans les objectifs poursuivis, le discours tenu et la méthode ? Les différents facilitateurs ont-ils pris la mesure des interférences extérieures, de leurs conséquences sur la perpétuation de la crise et des risques de catastrophe politique et humanitaire qu'elles ont fait naître ?

Il est de ce point de vue préoccupant que le Conseil de sécurité ait été contraint de voter une résolution (1572/2004) pour imposer un embargo sur les armes et menacer de sanctions personnelles les responsables qui ne respecteraient pas les résolutions des Nations Unies. Ce recours tardif à la contrainte est cependant en dépit des réalités resté virtuel. Le Conseil de sécurité vient encore de dépêcher le 20 octobre 2005 en Côte d'Ivoire le président de son comité des sanctions pour évaluer l'opportunité de mettre en œuvre des sanctions contre ceux qui entravent le processus de paix. Cette initiative est révélatrice d'une impasse perpétuant les données de blocages perpétués depuis le 19 septembre 2002. Elle prétend geler une situation de conflit, afin d'éviter une catastrophe probable, sans apporter de réponse aux blocages qui sont toujours aujourd'hui d'actualité.

Pour que des réponses soient apportées à des interrogations auxquelles il n'a pas été répondu depuis le début de cette crise, et que notre Assemblée soit pleinement informée des causes pour lesquelles le Gouvernement n'est pas parvenu à proposer une issue diplomatique et militaire crédible au drame ivoirien, afin de connaître les conditions d'exercice du commandement de nos

forces rendues difficiles par une indéfinition politique prolongée, afin de pouvoir exercer le devoir de vérité exigé par la mort de neufs soldats français à Bouaké, nous renouvelons de façon solennelle, Mesdames et Messieurs, la demande que nous avions présentée le 1er décembre 2004, de bien vouloir voter la proposition de résolution suivante.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

Il est créé en application de l'article 140 du Règlement de l'Assemblée nationale une commission d'enquête de 30 membres sur les conditions politiques et militaires dans lesquelles le Gouvernement français et la communauté internationale sont intervenus dans la crise de Côte d'Ivoire depuis le 19 septembre 2002.

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-119493-X
ISSN : 1240 - 8468

En vente à la Boutique de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

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N° 2618 - Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conditions dans lesquelles le Gouvernement est intervenu dans la crise de Côte d'Ivoire depuis le 19 septembre 2002 (M. Jean-Marc Ayrault)

1 () Ce groupe est composé de : Mmes Patricia Adam, Sylvie Andrieux, MM. Jean-Marie Aubron, Jean-Marc Ayrault, Jean-Paul Bacquet, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, Claude Bartolone, Jacques Bascou, Christian Bataille, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Eric Besson, Jean-Louis Bianco, Jean-Pierre Blazy, Serge Blisko, Patrick Bloche, Jean-Claude Bois, Daniel Boisserie, Maxime Bono, Augustin Bonrepaux, Jean-Michel Boucheron, Pierre Bourguignon, Mme Danielle Bousquet, MM. François Brottes, Jean-Christophe Cambadélis, Thierry Carcenac, Christophe Caresche, Mme Martine Carrillon-Couvreur, MM. Laurent Cathala, Jean-Paul Chanteguet, Michel Charzat, Alain Claeys, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Gilles Cocquempot, Pierre Cohen, Mme Claude Darciaux, M. Michel Dasseux, Mme Martine David, MM. Marcel Dehoux, Michel Delebarre, Jean Delobel, Bernard Derosier, Michel Destot, Marc Dolez, François Dosé, René Dosière, Julien Dray, Tony Dreyfus, Pierre Ducout, Jean-Pierre Dufau, William Dumas, Jean-Louis Dumont, Jean-Paul Dupré, Yves Durand, Mme Odette Duriez, MM. Henri Emmanuelli, Claude Evin, Laurent Fabius, Albert Facon, Jacques Floch, Pierre Forgues, Michel Françaix, Mme Geneviève Gaillard, M. Jean Gaubert, Mmes Nathalie Gautier, Catherine Génisson, MM. Jean Glavany, Gaëtan Gorce, Alain Gouriou, Mmes Elisabeth Guigou, Paulette Guinchard, M. David Habib, Mme Danièle Hoffman-Rispal, MM. François Hollande, Jean-Louis Idiart, Mme Françoise Imbert, MM. Eric Jalton, Serge Janquin, Armand Jung, Jean-Pierre Kucheida, Mme Conchita Lacuey, MM. Jérôme Lambert, François Lamy, Jack Lang, Jean Launay, Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Marylise Lebranchu, MM. Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Jean-Yves Le Drian, Michel Lefait, Jean Le Garrec, Jean-Marie Le Guen, Patrick Lemasle, Guy Lengagne, Mme Annick Lepetit, MM. Bruno Le Roux, Jean-Claude Leroy, Michel Liebgott, Mme Martine Lignières-Cassou, MM. François Loncle, Victorin Lurel, Bernard Madrelle, Louis-Joseph Manscour, Philippe Martin (Gers), Christophe Masse, Didier Mathus, Kléber Mesquida, Jean Michel, Didier Migaud, Mme Hélène Mignon, MM. Arnaud Montebourg, Henri Nayrou, Alain Néri, Mme Marie-Renée Oget, MM. Michel Pajon, Christian Paul, Christophe Payet, Germinal Peiro, Jean-Claude Perez, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, MM. Jean-Jack Queyranne, Paul Quilès, Alain Rodet, Bernard Roman, René Rouquet, Patrick Roy, Mme Ségolène Royal, M. Michel Sainte-Marie, Mme Odile Saugues, MM.  Henri Sicre, Dominique Strauss-Kahn, Pascal Terrasse, Philippe Tourtelier, Daniel Vaillant, André Vallini, Manuel Valls, Michel Vergnier, Alain Vidalies, Jean-Claude Viollet, Philippe Vuilque.

2 () MM. Jean-Pierre Defontaine, Paul Giacobbi, Joël Giraud, François Huwart, Simon Renucci, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, Mme Christiane Taubira.


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