N° 2981 - Proposition de résolution de M. Roger-Gérard Schwartzenberg visant à la création d'une commission d'enquête sur l'action des forces de l'ordre lors de la manifestation étudiante du 23 mars 2006 à Paris




 

N° 2981

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 27 mars 2006.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à la création d'une commission d'enquête
sur l'
action des forces de l'ordre
lors de la
manifestation étudiante
du
23 mars 2006 à Paris,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration
générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par M. Roger-Gérard SCHWARTZENBERG

Député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 23 mars 2006 à Paris, les organisations étudiantes ont organisé une manifestation pour demander le retrait du projet de loi créant le CPE (contrat de première embauche).

Ces manifestants pacifiques, ainsi que plusieurs journalistes et photographes de presse, ont été violemment agressés par des « casseurs » - dont le nombre aurait été estimé à 2 000 par les Renseignements généraux -, qui ont aussi dégradé des véhicules en stationnement, des magasins et provoqué un incendie dans un immeuble de la rue Saint-Dominique.

Les 3 000 CRS et gendarmes mobiles, déployés pour cette manifestation ne sont intervenus que tardivement. Le bilan de cet après-midi de violences extrêmes, génératrices de nombreux dommages corporels et matériels, est le suivant : 262 personnes ont été appréhendées dont 87 ont été placées en garde à vue.

Le déroulement des faits

Les services de renseignement avait informé les autorités du risque d'intrusions de bandes organisées de « casseurs ». Cette information avait, d'ailleurs, provoqué, dès 15 h 30 l'évacuation de l'immeuble Jacques-Chaban-Delmas, abritant les bureaux des députés et situé 101 rue de l'Université, à quelques dizaines de mètres de l'esplanade des Invalides.

En accord avec la préfecture de police, la manifestation a emprunté un itinéraire allant de la place d'Italie à cette esplanade, en passant par le boulevard du Montparnasse et le boulevard de La Tour-Maubourg.

Dès le départ de la manifestation place d'Italie, vers 14 heures, des bandes de casseurs, facilement identifiables à leur tenue (survêtement et capuche) et louvoyant entre les manifestants, se livrent aux premières agressions contre ceux-ci.

Boulevard du Montparnasse, le service d'ordre, composé d'étudiants et de syndicalistes, se trouve débordé par des groupes très mobiles de casseurs qui agressent des étudiants et leur volent téléphones portables et appareils de photo numériques.

Place Montparnasse, aux avant-postes du cortège, une centaine de casseurs lancent des pierres et projectiles sur les forces de l'ordre, qui gardent leurs distances, tandis que les interpellations par les policiers en civil - sans doute trop peu nombreux - restent rares.

Boulevard des Invalides, ces agressions se poursuivent, accompagnées de bris de pare-brise et de vitres d'une trentaine de véhicules en stationnement.

Vers 16 h 15, le cortège arrive aux Invalides, qui est le terme de la manifestation, dont la dispersion est ordonnée. La très vaste esplanade se trouve encerclée par les barrages de CRS et de gendarmes mobiles.

Avant même l'arrivée du cortège, de nombreux casseurs se trouvent sur l'esplanade. À l'arrivée de la manifestation, ceux-ci harcèlent les forces de l'ordre par des jets de cailloux et de bouteilles, mais aucun affrontement direct n'a alors lieu entre celles-ci et les « JV » (Jeunes violents, selon le vocabulaire des RG), qui évoluent librement sur l'esplanade et multiplient agressions et vols d'étudiantes et étudiants. Les CRS et gendarmes n'interviennent toujours pas, malgré les demandes réitérées des manifestants qui restent sans suite.

Bien que les organisateurs ait donné l'ordre de dispersion de la manifestation dès son arrivée sur l'esplanade, les manifestants ont la plus grande difficulté à la quitter, celle-ci étant bouclée par les forces de l'ordre, et une seule rue étant ouverte aux manifestants pour leur permettre d'évacuer l'esplanade.

Les casseurs agressent brutalement de nombreux étudiants et étudiantes, leur volant téléphones portables ou appareils de photo et multipliant les destructions de véhicules.

Ils s'introduisent même dans les rues adjacentes, en particulier rue Saint-Dominique - où se trouve l'ancien Hôtel Sofitel, qui sert de résidence aux députés. À l'angle de cette rue et de l'esplanade, trois voitures et un magasin sont enflammés vers 17 h 30. Des pompiers sont caillassés. Les CRS commencent alors à charger vers 18 h. À 18 h 30, ils prennent le contrôle de la place.

À l'examen de ces faits relatés notamment par les journalistes présents sur place (cf. Le Figaro, « Sur le champ de bataille des Invalides », et Le Parisien du 25 mars 2006), on constate que de 16 h 30 à 18 h, environ, pendant une heure et demie, CRS et gendarmes mobiles ne sont pas intervenus pour mettre fin aux violences se déroulant en leur présence, malgré les appels à l'aide des manifestants, agressés et dévalisés par les casseurs, et que les forces de l'ordre n'ont repris le contrôle de l'esplanade que vers 18 h 30.

Faire toute la lumière
sur les causes de l'intervention tardive
des forces de l'ordre

Ces circonstances, d'une particulière gravité, conduisent à s'interroger sur l'intervention tardive des forces de l'ordre et surtout sur ses causes. En posant les questions suivantes :

- Dès le départ de la manifestation, place d'Italie, des casseurs, facilement identifiables par les policiers en civil présents dans le cortège, molestent et dévalisent les étudiants. Certains de ces casseurs sont extraits du cortège par le service d'ordre de la manifestation : pourquoi ne sont-ils pas interpellés, dès ce moment, par les policiers ?

- Place Montparnasse, aux avant-postes du défilé et alors non mêlés à celui-ci, des casseurs lancent pierres et projectiles divers sur les forces de l'ordre, qui gardent leurs distances : pourquoi ne sont-ils pas appréhendés dès ce moment ?

- Sur l'esplanade des Invalides, alors que le défilé s'était dispersé, les casseurs multiplient les agressions contre des étudiants isolés. Le cortège s'étant dispersé sur cette esplanade - qui est particulièrement vaste -, pourquoi les forces de l'ordre -, ne sont pas intervenues, pendant une heure et demie, pour appréhender les casseurs et mettre fin à leurs violences contre les personnes et les biens ? En effet, les forces de l'ordre étaient alors en capacité matérielle de le faire : le cortège s'était dispersé, les casseurs n'y étaient plus mêlés et évoluaient sur l'esplanade des Invalides, particulièrement vaste et dégagée.

La présente résolution ne vise nullement à imputer la responsabilité de cette intervention tardive aux 3 000 CRS, gendarmes mobiles et policiers en civil présents. Au demeurant, parmi eux, de nombreux fonctionnaires ont déploré de n'avoir pas été autorisés à intervenir plus tôt, pour mettre fin plus rapidement aux violences des casseurs.

Beaucoup regrettent, en effet, d'avoir été contraints à une certaine passivité forcée, comme ils l'avaient déjà été, dans des circonstances analogues, et sur ce même itinéraire, le 8 mars 2005 face aux casseurs qui avaient agressé les lycées manifestant alors contre la réforme du baccalauréat projetée par M. Fillon, ministre de l'éducation nationale, le ministre de l'intérieur étant alors M. de Villepin.

Questions

Il importe donc d'élucider les causes de cette nouvelle intervention tardive des forces de l'ordre. En posant les questions suivantes :

- Quelles instructions avaient été données aux forces de l'ordre et à quel niveau ? Émanaient-elles principalement de la préfecture de police ou du ministère de l'intérieur ? Au sein de celui-ci, provenaient-elles de la direction générale de la police nationale, du cabinet du ministre ou du ministre lui-même ?

- Au cours de la manifestation, la hiérarchie policière présente sur place a-t-elle alerté en temps réel le ministère de l'intérieur - situé place Beauvau, donc à très faible distance de l'esplanade des Invalides - des agressions qui se commettaient contre les étudiants pendant environ une heure et demie ?

- Si tel est le cas - ce qui est probable -, pourquoi le ministère n'a-t-il pas alors modifié ses consignes et autorisé policiers, CRS et gendarmes à interpeller sans délai les casseurs, pour rétablir l'ordre et protéger les étudiants, ainsi que les riverains ?

- Ce maintien des consignes initiales, devenues très inadaptées à la situation et entraînant la poursuite des violences et des dégradations, résulte-t-il d'une carence du ministère de l'intérieur ou d'un calcul ?

Dans cette seconde hypothèse - difficile à concevoir -, quel aurait été l'objectif visé : tenter de discréditer le mouvement étudiant en l'assimilant aux violences et dégradations commises ou/et dissuader les étudiants, agressés par les casseurs, de participer à de nouvelles manifestations contre le CPE ?

Chacune de ces deux hypothèses - carence ou calcul - est préoccupante. En tout cas, quelles qu'aient été ses intentions réelles, pourquoi le ministère de l'intérieur a-t-il laissé faire et renoncé à faire maintenir l'ordre ou à le faire rétablir plus rapidement, laissant l'esplanade des Invalides se transformer en champ de bataille, de surcroît à 100 mètres du Palais Bourbon ?

- Au vu des interpellations effectuées, que sait-on de l'origine des casseurs ? S'agit-il principalement de jeunes des banlieues ou aussi de militants extrémistes ? Étaient-ils déjà connus des services de police ?

Certes, la mission des forces de l'ordre est toujours difficile en cas de manifestations de grande ampleur, surtout si y participent des étudiants et lycéens, particulièrement vulnérables. Toutefois, d'autres ministres de l'intérieur et préfets de police ont su faire face dans le passé à ce type de situation, tels le préfet Maurice Grimaud, en mai-juin 1968, ou Gaston Defferre, en mai-juin 1984, lors des manifestations de masse des partisans de l'enseignement privé.

L'un comme l'autre ont assuré leur mission avec efficacité, réussissant à la fois à maintenir ou à rétablir l'ordre et à éviter qu'on ait à déplorer des blessés graves, comme c'est malheureusement le cas aujourd'hui avec un syndicaliste de Sud-PTT, qui est dans le coma depuis le 18 mars, et un étudiant en première année de sociologie, grièvement blessé à la tête place des Invalides, à proximité des forces de l'ordre.

Pour éviter la répétition de tels faits - déjà constatés à la manifestation du 8 mars 2005 -, il importe que l'Assemblée nationale constitue une commission d'enquête chargée d'établir la vérité et de déterminer les responsabilités, pour que les conséquences nécessaires puissent en être tirées à l'avenir.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

Il est créé une commission d'enquête de trente membres sur l'action des forces de l'ordre lors de la manifestation étudiante contre le CPE qui s'est déroulée le 23 mars 2006 à Paris.

Cette commission procédera aux investigations nécessaires pour enquêter en particulier sur les raisons du caractère tardif de l'intervention des forces de l'ordre, malgré les agressions commises, en leur présence, contre les personnes et les biens.

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-121073-0
ISSN : 1240 - 8468

En vente à la Boutique de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

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N° 2981 - Proposition de résolution visant à la création d'une commission d'enquête sur l'action des forces de l'ordre lors de la manifestation étudiante du 23 mars 2006 à Paris (M. Roger-Gérard Schwartzenberg)


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