EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Les compagnies pétrolières ont dégagé des bénéfices record en 2005. Le bénéfice cumulé des six plus grandes d'entre elles (ExxonMobil, Shell, BP, Chevron Phillips et Total) s'est élevé à 121 milliards de dollars, soit deux fois le PIB d'un pays comme la Bulgarie.
La forte progression des bénéfices
des compagnies pétrolières
Ainsi, ExxonMobil a vu en 2005 son bénéfice s'élever à 36 milliards de dollars - soit 4 500 fois le budget du Libéria - et Total, quatrième groupe pétrolier mondial, à près de 15 milliards de dollars.
Depuis trois ans, le bénéfice net après impôt réalisé par Total est en forte augmentation, atteignant 7 milliards d'euros en 2003, 9 milliards d'euros en 2004 et 12 milliards d'euros en 2005. Le bénéfice dégagé en 2005 a donc progressé de 31 % par rapport à 2004.
En réalité, ces profits qui atteignent un niveau historique ont pour cause principale la flambée des prix du pétrole brut. Quand les prix du pétrole s'envolent, les profits des pétroliers suivent. La très forte progression des bénéfices des groupes pétroliers a suivi la hausse du cours du brut.
L'envolée du prix du baril de pétrole - qui a atteint 74,97 dollars à New York le 2 mai 2006 - représente un effet d'aubaine pour les groupes pétroliers, au détriment d'autres catégories professionnelles et sociales qui en pâtissent.
La répartition actuelle des bénéfices
des groupes pétroliers
Que font les groupes pétroliers de ces bénéfices record et comment les répartissent-ils entre investissement, dividendes et salaires ?
Dans le cas de Total, les investissements ont stagné entre 2000 et 2004 (- 1,2 % par an), puis ont représenté 11,2 milliards d'euros en 2005. Ceux-ci ont été réalisés dans l'exploration et la production de nouveaux champs pétrolifères bien plus que dans l'accroissement et la remise à niveau des moyens de production de carburants.
Les investissements du groupe ont augmenté de 3,5 milliards d'euros en 2005 par rapport à 2004. En revanche, Total ne prévoit pas d'augmenter ses investissements en 2006, son budget prévoyant le même montant qu'en 2005.
Surtout, comme la plupart des compagnies pétrolières, Total investit relativement peu dans ses capacités de production et, en particulier, dans ses capacités de raffinage, ce qui a accentué la hausse des prix des produits pétroliers. Selon un expert, Nicolas Sarkis, l'insuffisance des capacités de raffinage expliquerait environ le tiers de la hausse du prix des produits pétroliers.
En tout, le décalage profit-investissement reste manifeste.
Alors que l'investissement reste stable, l'essentiel des nouveaux profits va à la valorisation de l'actionnaire. Les dividendes versés par Total à ses actionnaires - dont seulement 35 % sont Français - ont augmenté de 6,9 milliards d'euros en 2005, soit 20 %, et de 100 % entre 2000 et 2005.
Par ailleurs, Total a consacré 3,5 milliards d'euros en 2005 au rachat de ses propres actions en Bourse pour les annuler, ce qui dope le cours de l'action et augmente le bénéfice net par action (BNPA), c'est-à-dire le dividende à laquelle chaque action donne droit.
Enfin, les bénéfices réalisés par Total ont contribué à améliorer la situation des salariés du groupe : prime exceptionnelle, distribution d'actions gratuites, bonus de la participation-intéressement.
L'impact de l'augmentation du coût des carburants
sur les professions et les ménages
L'envolée du prix du baril de pétrole - 41,44 dollars en 2004, 56,49 dollars en 2005 et 72,17 dollars à la Bourse de New York le 19 avril 2006 - représente un effet d'aubaine pour les groupes pétroliers et une rente de situation pour leurs actionnaires. À quoi s'ajoute l'impact de la spéculation des marchés pétroliers sur le prix du baril, dont Christian Balmes, président de l'Ufip (Union française des industries pétrolières) et PDG de Shell France, reconnaissait, le 18 avril 2006, qu'il est « non commercial et à 100 % spéculatif ».
Alors que la consommation énergétique de la France a pratiquement stagné (+ 0,3 %) en 2005, sa facture énergétique a augmenté de 34,7 % en raison de la forte hausse du prix des énergies fossiles. Cette facture représente 2,26 % du PIB, soit l'équivalent d'une semaine de travail pour les Français.
Surtout, ce renchérissement de l'énergie pèse lourdement - et sans compensation - sur certaines professions et sur les ménages.
Parmi celles-ci, les agriculteurs, les transporteurs routiers et les marins-pêcheurs, qui subissent, sans pouvoir la répercuter, la hausse du prix des carburants.
Par ailleurs, 24 millions de ménages français supportent la hausse des prix de l'essence et du fioul. Les consommateurs voient leur budget grevé et leur pouvoir d'achat amputé. Selon une note de l'Insee, publiée en décembre 2005, la flambée du baril et ses effets sur le prix de l'énergie (carburants, fioul, etc.) ont amputé le budget annuel des ménages de 100 euros en moyenne en 2004 et de 200 euros en 2005.
De ce fait, certains automobilistes, surtout ceux résidant en banlieue qui utilisent leur voiture pour se rendre à leur travail - du fait des insuffisances des transports collectifs de proximité - connaissent de plus en plus de difficultés à faire face à leurs dépenses, certains devenant même des « exclus de l'essence ».
De même, les ménages et personnes se chauffant au fioul - notamment les personnes âgées - ont de plus en plus de mal à faire face à leurs charges de chauffage en forte augmentation.
Pour une contribution exceptionnelle
sur les surprofits des groupes pétroliers
Cette situation n'est donc ni légitime, ni conforme à l'intérêt général. Il serait normal que l'industrie pétrolière contribue à l'effort national, comme le fait l'industrie pharmaceutique depuis 1997. La loi des finances pour 1997 a, en effet, institué une taxe de 1,7 % sur le chiffre d'affaires de ce secteur pour contribuer à réduire le déficit de la Sécurité sociale.
La présente proposition de loi a pour objet d'instituer une contribution exceptionnelle sur les bénéfices réalisés par les diverses compagnies pétrolières quand ceux-ci atteignent un niveau exceptionnel, bref d'instaurer un prélèvement exceptionnel sur les entreprises du secteur pétrolier quand elles réalisent des surprofits.
Afin de prélever seulement le bénéfice exceptionnel induit par l'augmentation du prix du baril de pétrole - et non pas toute la croissance du résultat opérationnel des groupes pétroliers, qui, lui, prend en compte tous les facteurs ayant contribué à augmenter leur rentabilité - il sera institué une contribution additionnelle de 40 % de l'impôt sur les sociétés dû. Le taux effectif d'imposition des bénéfices passera donc de 33,33 % à 46,6 %. Dans le cas de Total, cette contribution exceptionnelle sur les surprofits réalisés en 2005 devrait représenter un montant de 3,4 milliards d'euros.
Une telle taxe a déjà été instituée dans le passé en France. Ainsi, pour tenir compte de l'augmentation du prix du baril (35 dollars alors, contre 60 en 2005 et 70 en 2006), la loi de finances pour 2001 a institué, à l'initiative du gouvernement Jospin, une contribution exceptionnelle d'un taux de 25 % sur les bénéfices des compagnies pétrolières, qui a rapporté environ 5,4 milliards de francs.
Un tel prélèvement existe aussi au Royaume-Uni et a été récemment augmenté. Le 5 décembre 2005, Gordon Brown, chancelier de l'échiquier du gouvernement Blair, a annoncé que la taxe supplémentaire, déjà acquittée par les compagnies pétrolières opérant en mer du Nord, passera de 10 à 20 % des bénéfices réalisés dans cette zone. En soulignant que « la balance doit être rééquilibrée entre les consommateurs qui payent pour l'essence ou le chauffage et les producteurs pétroliers », afin de restituer à ceux-là une partie de ce qu'ils doivent dépenser en plus pour circuler et se chauffer.
Le 16 septembre 2005, M. Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, a réuni une table ronde à Bercy et envisagé la création d'une « taxe exceptionnelle », mais y a renoncé très vite devant l'opposition des opérateurs pétroliers.
L'affectation du produit
de la contribution exceptionnelle
Le produit de cette contribution exceptionnelle devra contribuer à réduire notre dépendance pétrolière et à préparer notre économie et notre société à « sortir du pétrole » pour aller vers « l'après-pétrole ».
Il conviendra de l'affecter à deux objectifs principaux.
D'une part, le développement qualitatif des transports collectifs de proximité, qui pâtissent d'un sous-investissement chronique et qui doivent bénéficier d'investissements supplémentaires, notamment en Île-de-France, pour améliorer la qualité du service rendu à l'usager.
D'autre part, l'intensification des recherches publiques sur les énergies alternatives au pétrole, sur les énergies renouvelables et respectueuses de l'environnement (énergies solaire, éolienne, hydroélectrique, géothermie, biocarburants), et sur les économies d'énergies fossiles, dans une logique de développement durable.
Ces recherches devraient porter en particulier sur la promotion des véhicules à traction électrique ou hybride, ainsi que sur celle du ferroutage.
Elles pourraient porter aussi sur l'amélioration de l'isolation thermique du parc de logements sociaux et sur le recours aux énergies alternatives pour assurer leur chauffage.
Dans ce but, l'État pourrait augmenter les crédits accordés aux organismes publics menant de telles recherches, comme l'INRETS (Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité) et l'ADEME (Agence de l'environnement et de la maîtrise d'énergie), qui a pour missions « la maîtrise de l'énergie et l'économie des matières premières, la promotion des énergies renouvelables, la promotion des technologies propres et économes », ainsi que « l'amélioration des performances des transports ».
PROPOSITION DE LOI
Article 1er