N° 3214 - Proposition de loi de M. Marc Le Fur visant à lutter contre l'action des fonds financiers dits "fonds vautours"



 

N° 3214

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 juin 2006.

PROPOSITION DE LOI

visant à lutter contre l’action des fonds financiers
dits
« fonds vautours »,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du plan,
à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par MM. Marc Le Fur, Bernard CARAYON, Patrick BEAUDOUIN, Jacques BOBE, Pierre CARDO, Richard CAZENAVE, Philippe COCHET, Michel DIEFENBACHER, Jean-Michel FERRAND, Marc FRANCINA, Alain GEST, Charles-Ange GINESY, Jean-Claude GUIBAL, Michel HERBILLON, Pierre HÉRIAUD, Christian JEANJEAN, Mmes Marguerite LAMOUR, Geneviève LEVY, Muriel MARLAND-MILITELLO, MM. Christian MÉNARD, Alain MERLY, Pierre MICAUX, Jacques MYARD, Pierre-André PÉRISSOL, Daniel PRÉVOST, Didier QUENTIN, Éric RAOULT, Jean-Marc ROUBAUD, Jean-Marie SERMIER, Guy TEISSIER et Michel VOISIN

Députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’absence de procédure collective pour les États endettés entraîne des problèmes d’autant plus graves que la dette des pays en voie de développement, jadis détenue par un petit nombre de grands acteurs institutionnels, s’est aujourd’hui disséminée entre des porteurs nombreux et anonymes. Les accords de réduction intervenant dans le cadre des Clubs de Londres ou de Paris sont donc frappés d’inefficacité partielle par l’existence des spéculateurs refusant de s’y associer (holdout creditors). De la sorte, les abandons consentis par les créanciers publics ou privés profitent de facto aux récalcitrants.

Des fonds d’investissement, connus des spécialistes sous la désignation générique de Fonds Vautours, sont ainsi parvenus à réaliser des plus-values considérables. Le fonds Kensington (qui maintient l’opacité sur ses actionnaires) a ainsi acquis une créance sur la République du Congo pour 1,8 M. de USD dont il prétend aujourd’hui tirer près de 300 MUSD.

On sait aussi que Kensington, par des mesures de blocage des circuits bancaires de transmission des fonds en Belgique, a réussi à contraindre le Pérou à lui payer à 100 % une dette que, dans le cadre du plan de restructuration, les autres détenteurs n’avaient vocation à recouvrer qu’à concurrence de 20 %. Cette affaire a du reste amené le législateur belge à modifier ses textes. Le fonds FG Hémisphères espère quant à lui faire payer à 100 % aux banques finançant le Congo ou aux compagnies pétrolières exploitant son sous-sol, les créances qu’il a acquises à un prix qu’il tient soigneusement dissimulé. D’une manière générale le métier des fonds vautours consiste, non à parier, comme tout opérateur économique, sur l’évolution macroéconomique du pays débiteur, mais à investir massivement en frais de justice pour obtenir par la pression ou l’artifice ce qui est refusé à la collectivité des créanciers.

Le FMI s’est ému des pratiques des fonds vautours et des tentatives ont eu lieu pour dégager une solution. Celles-ci, qui ont tourné autour de la création d’une procédure collective internationale (Sovereign Debt Restructuring Mechanism) voire de l’attribution d’une compétence aux tribunaux américains, ont fait long feu et il paraît illusoire de penser qu’une solution internationale voie le jour. Même si des hommes politiques de premier plan l’ont appelée de leurs vœux (ainsi le chancelier de l’Échiquier Gordon Brown), la complexité juridique du système est trop grande pour qu’on parvienne à une solution.

L’inefficacité de l’arsenal législatif laisse donc toute liberté aux Fonds Vautours pour s’approprier les marges de manœuvre dégagées par les abandons de créances consentis par les contribuables nationaux ou la communauté financière internationale. Il n’en est que plus souhaitable, faute de réelle perspective internationale à court terme, que la France prenne une initiative, et ce d’autant plus que les centres naturels de gravité des marchés font qu’en pratique la décision appartient aujourd’hui aux juridictions britanniques ou américaines.

Le texte proposé s’inspire tant du mécanisme français du retrait de droits litigieux (article 1699 du code civil) que de la notion anglo-saxonne de champarty (trafic usuraire d’actions en justice). Il comporte un régime de base inspiré du premier et un régime renforcé qui est l’écho de la seconde.

–Sans qu’il soit besoin que la créance cédée soit, comme l’exige l’article 1699, litigieuse, c’est-à-dire contestée par le débiteur, toute juridiction française (y compris celle de l’Exécution) se verrait confier un pouvoir d’équité lui permettant de n’ordonner le paiement qu’en fonction notamment de l’aide consentie par la collectivité publique, des efforts des autres créanciers, et de la situation économique du pays débiteur. Ce serait de facto permettre au juge français, lorsqu’il sera saisi, de faire comme si la discipline collective de la faillite existait.

–En outre, s’il apparaissait au vu des circonstances que la cession n’est pas pour le cessionnaire une véritable opération financière consistant à faire un pari raisonné sur l’évolution économique du débiteur et les perspectives du marché, mais a eu pour objet réel la perspective d’engager des actions en justice afin de contraindre le débiteur cédé à payer, aucune action ou voie d’exécution ne pourrait être exercée.

Les pratiques des fonds vautours nuisent au premier chef aux pays les plus pauvres. Elles constituent en second lieu un détournement de l’effort consenti par le contribuable, notamment français, lorsque la France consent des abandons ou des rééchelonnements. Quand bien même le texte proposé, édicté dans un cadre purement interne, aura par là même une efficacité limitée, il constituera malgré tout un obstacle aux entreprises des fonds vautours et constituera en outre, avec valeur d’exemple, un premier pas dans une voie que la plupart des institutions financières internationales et des grands pays industrialisés savent devoir emprunter. Il s’agit enfin d’une mesure de morale et de cohérence dans l’aide aux pays amis, notamment en Afrique, tant il serait absurde que l’Exécutif efface d’une main nos créances pour que le pouvoir judiciaire accorde de l’autre les sommes rendues disponibles aux usuriers.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

Après l’article 1701 du code civil, il est inséré un article 1701-1 ainsi rédigé :

« Art. 1701-1. – Lorsque le cessionnaire d’une créance née à raison d’une activité autre qu’industrielle et commerciale sur un État souverain ou l’un de ses établissements publics bénéficiant, sous quelque forme que ce soit, y compris d’abandon ou de différé de paiement, d’une aide financière consentie par l’État, l’un de ses établissements publics, ou toute institution internationale à laquelle appartient la France, en poursuit le recouvrement devant un tribunal français, le juge ne fait droit à la demande que dans la limite qu’il estime satisfaisante compte tenu de l’aide consentie par la collectivité publique, des efforts des autres créanciers, et des facultés du débiteur. Les dispositions ci-dessus sont applicables devant toute juridiction.

« Il ne peut être prononcé aucune condamnation ni donné aucun effet en France à un jugement étranger prononcé contre un débiteur visé à l’alinéa précédent ni procédé à aucune voie d’exécution lorsqu’il apparaît au vu des circonstances que l’acquisition de la créance procède d’une spéculation sur les procédures susceptibles d’être intentées contre le cédé et les tiers et non sur la valeur de marché de la créance et son évolution. »

Composé et imprimé pour l’Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 978-2-11-121325-8
ISSN : 1240 – 8468

En vente à la Boutique de l'Assemblée nationale
7, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 00 33


© Assemblée nationale