N° 3216 - Proposition de loi de M. François Grosdidier visant à intégrer le culte musulman dans le droit concordataire d'Alsace et de Moselle



 

N° 3216

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 juin 2006.

PROPOSITION DE LOI

visant à intégrer le culte musulman
dans le
droit concordataire d’Alsace et de Moselle,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration
générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par M. François GROSDIDIER

Député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La Constitution du 4 octobre 1958 proclame, dans son article 2, que la France est une République laïque et qu’elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion.

Ainsi, le principe de laïcité d’une part et, d’autre part, le principe d’égalité de tous sans distinction de religion sont des principes de valeur constitutionnelle. L’article 1er de la Constitution rappelle également que la République respecte toutes les croyances. Il s’agit donc également d’un principe de valeur constitutionnelle.

Sur le plan législatif, la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, rappelle dans son article 1er que la République assure la liberté de conscience et qu’elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées dans l’intérêt de l’ordre public.

Mais en pérennisant l’entretien sur fonds publics des édifices cultuels construits avant 1905 et en refusant le financement public pour ceux bâtis après, la non-actualisation de la loi a progressivement institué une inégalité de fait, notamment à l’égard des musulmans appelés massivement en France à partir des années 50.

Cette inégalité est plus flagrante encore en Alsace-Moselle

En effet, les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle bénéficient d’un droit spécifique local pour des raisons historiques. Au moment de l’adoption de la loi de 1905, ils étaient annexés à l’Empire allemand depuis 1871, à la suite de sa victoire contre le Second Empire français. Revenus dans le giron français après la guerre de 1914-18, ils parviennent en 1924 à conserver leur droit local, considéré comme plus avantageux, après s’être massivement soulevés contre un projet d’abrogation.

Ce régime spécifique, qui couvre notamment le droit du travail et la législation sociale, s’applique aux cultes religieux qui restent régis par la loi du 18 germinal an X (8 avril 1802), comprenant le Concordat de 1801 conclu entre Napoléon Bonaparte et le Pape Pie VII, puis étendu par la loi de 1802 aux autorités protestantes et juives.

De nos jours en Alsace-Moselle, les cultes catholique, israélite, protestant luthérien et protestant réformé sont toujours officiellement reconnus et financés :

–les ministres du culte (évêques, prêtres, pasteurs et rabbins) sont salariés par l’État ;

–les collectivités territoriales participent au financement du culte paroissial ;

–l’enseignement religieux est obligatoire (sauf dérogation demandée par les parents et accordée de droit) dans les écoles primaires, selon la loi Falloux de 1850, ainsi que dans les établissements scolaires secondaires et techniques ;

–dans le secondaire, c’est une ordonnance allemande de 1873 qui a fait rentrer le cours de religion dans l’emploi du temps mais la multiplication des dispenses a érodé leur fréquentation ces dernières années ;

–l’Université de Strasbourg accueille deux chaires de théologie, l’une catholique, l’autre protestante.

Le décret n° 2001-31 du 10 janvier 2001 relatif au régime des cultes catholique, protestants et israélite dans les trois départements concordataires, fondé sur les préconisations du rapport rédigé en 1998 par le préfet Bonnelle, simplifie le régime juridique des cultes reconnus en Alsace et en Moselle, issu du Concordat de 1801. Ce dernier a été réformé à plusieurs reprises tant avant 1871 par des lois ou ordonnances royales ou impériales, décrets ou règlements, qu’entre 1871 et 1918 par des textes intervenus à l’époque de l’administration allemande, ou après 1918. Ce droit, qui reconnaît quatre cultes (Église Catholique Romaine, Église de la Confession d’Augsbourg d’Alsace-Moselle, Église Réformée d’Alsace-Moselle et Judaïsme) résulte de l’accumulation de textes nombreux pris sous des régimes différents et par deux États distincts. Il est d’une grande complexité. Le décret n° 2001-31 du 10 janvier 2001 simplifie les formalités administratives applicables à l’exercice des cultes reconnus ; il instaure ainsi, dans différentes hypothèses, un régime d’approbation tacite. Le décret déconcentre, par ailleurs, la plupart des décisions intervenant en cette matière du premier ministre au ministre de l’intérieur, aux préfets, voire aux autorités cultuelles elles-mêmes. Enfin, il comporte différentes mesures d’adaptation et de modernisation en matière de fonctionnement des établissements cultuels, de gestion des biens cultuels et de recrutement des ministres du culte. Mais le décret en question n’a fait qu’actualiser les textes postérieurs. Il n’a pas apporté de réponse prenant en compte les besoins nouveaux de notre société. Il ne s’est pas occupé des conditions dans lesquelles ce régime particulier a évolué.

Par ailleurs, la Constitution attribue au pouvoir réglementaire une compétence de principe pour tous ce qui ne relève pas de la loi. Mais « les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques » relèvent de la loi selon l’article 34 de la Constitution.

La liberté religieuse implique, certes, la liberté de conscience, mais, également, que la pratique de la religion puisse s’exprimer sans entrave, dans un espace déterminé, sous les seules réserves édictées dans l’intérêt de l’ordre public. Mais, l’effectivité de la liberté religieuse est également conditionnée par le respect du principe d’égalité et de non-discrimination entre les religions, puisque la Constitution traite du respect de « toutes les croyances ». Ce principe ne concerne donc pas les seuls cultes concordataires (catholique, protestant et israélite), mais aussi les « nouveaux cultes », notamment la religion musulmane.

Seule la confession catholique est concernée par le Concordat avec le Saint-Siège. Mais les cultes luthérien, réformé et juif ont bénéficié de statuts semblables quelques années plus tard, à travers le vote d’« articles concordataires » par le Parlement français. Il n’y avait pas de musulmans en France à l’époque. L’Islam est aujourd’hui la deuxième religion de France. On estime à 109 000 le nombre des musulmans en Alsace-Moselle, soit davantage que les membres de l’Église réformée ou que les israélites.

Est-il acceptable qu’en 2006, les musulmans, également citoyens et contribuables, soient exclus du droit applicable en Alsace-Moselle au seul motif qu’ils n’étaient pas présents sur le territoire en 1801 ?

Peut-on exiger des mêmes devoirs de la part des citoyens qui ne bénéficient pas des mêmes droits ?

Il faut donc poursuivre, en direction de l’Islam, le processus d’actualisation constante du droit concordataire.

Le régime concordataire n’est pas moins respectueux de la laïcité que le régime réglant les relations entre l’Église et l’État dans le reste du pays. C’est une manière possible et positive de mettre en œuvre la laïcité qui en vaut bien une autre.

De fait, le Concordat a permis, et permet encore, qu’en Alsace pouvoirs publics et autorités religieuses œuvrent harmonieusement dans le respect des croyances de chacun.

En outre, la création d’une chaire de théologie islamique à l’université de Strasbourg ou de Metz serait bénéfique à l’Islam de France.

Pour que l’Islam ne succombe pas aux tentations de l’intégrisme et de l’intolérance et parce que l’équité impose de l’inclure dans le régime concordataire, il est proposé le texte suivant :

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Au même titre que les cultes catholique, israélite, protestant luthérien et protestant réformé, officiellement reconnus par le droit local spécifique en Alsace-Moselle, le culte musulman se voit reconnaître un traitement identique. Les conditions de mise en œuvre de la présente loi sont fixées par décret.

Article 2

Les charges éventuelles qui résulteraient pour l’État de l’application de la présente loi sont compensées par l’augmentation à due concurrence des tarifs visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Composé et imprimé pour l’Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-121329-2
ISSN : 1240 – 8468

En vente à la Boutique de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

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