N° 3571 - Proposition de loi de M. Roger-Gérard Schwartzenberg instituant un droit à l'hébergement et au logement des personnes sans domicile fixe



Document

mis en distribution

le 19 janvier 2007


N° 3571

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 janvier 2007.

PROPOSITION DE LOI

instituant un droit à l’hébergement et au logement
des
personnes sans domicile fixe,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire,
à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

PAR MM. Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, Jean-Pierre DEFONTAINE, Paul GIACOBBI, Joël GIRAUD, François HUWART, Mmes Chantal ROBIN-RODRIGO, Christiane TAUBIRA,

Additions de signatures :
MM. Gérard Charasse et Émile Zuccarelli

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Un demi-siècle après l’hiver 1954, la France connaît une grave crise du logement. D’un côté, l’on constate l’ampleur du chômage, la montée de la précarité et de la pauvreté. En janvier 2006, l’Insee estimait qu’il y avait en France 6,3 millions de pauvres(1), dont environ un million de « travailleurs pauvres » avec le développement des bas ou très bas salaires (temps partiel subi, intérim ou CDD à répétition).

De l’autre côté, l’on constate la cherté croissante des loyers des appartements privés et l’insuffisance de l’offre de logements sociaux à loyers modérés (HLM).

D’où la difficulté accrue de se loger et le nombre croissant de personnes sans domicile fixe (SDF), qui sont environ 100 000, dont un dixième (10 000) sont obligées de vivre et de dormir dans la rue en risquant d’y perdre leur santé et parfois leur vie. Les autres vivent dans des foyers ou des centres d’hébergement où elles sont accueillies dans des conditions qui ne sont souvent ni dignes ni durables.

Cette situation inhumaine est inacceptable dans un pays qui est la sixième puissance économique du monde.

De plus, elle est contraire à notre ordre juridique qui reconnaît le caractère constitutionnel du droit à un logement décent et de la sauvegarde de la dignité de la personne humaine.

En effet, notre Constitution se réfère aux droits de l’homme « tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 », et celui-ci dispose à ses dixième et onzième alinéas :

« La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement.

« Elle garantit à tous... la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. »

En se fondant sur ce préambule de la Constitution de 1946, le Conseil constitutionnel a reconnu, dans une décision du 19 janvier 1995, confirmée par une décision du 29 juillet 1998, que « la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle », que « la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle » et qu’ « il incombe tant au législateur qu’au gouvernement de déterminer, conformément à leurs compétences respectives, les modalités de mise en œuvre de cet objectif à valeur constitutionnelle ».

Tel est précisément l’objet de la présente proposition de loi : instituer au profit des SDF un droit à l’hébergement dans des conditions dignes et durables et constituer les SDF en catégorie prioritaire dans la mise en œuvre d’un droit au logement opposable.

Le droit à l’hébergement
dans des conditions dignes et durables

Actuellement, le dispositif d’hébergement des sans-logis est insatisfaisant au plan tant quantitatif que qualitatif. Il présente trois défauts majeurs : offrir un nombre de places globalement insuffisant ou localement mal réparties ; proposer des conditions d’accueil peu convenables ; limiter l’hébergement à de très courtes périodes.

D’abord, l’hébergement d’urgence reste globalement insuffisant. Cette pénurie de l’offre d’hébergement concerne la plupart des régions.

Ainsi en Île-de-France, bien que le nombre de places dans les structures d’accueil et d’hébergement d’urgence soit passé, de 1999 à juillet 2006, de 4 476 à 7 327, progressant ainsi de 52 %, ce dispositif est « constamment saturé », comme le note la présidente de l’Observatoire national de la pauvreté, Agnès de Fleurieu, dans un rapport remis au gouvernement le 9 août 2006. Ce qui oblige l’État et les collectivités locales à recourir aux hôtels, dont certains sont à la limite de l’insalubrité, voire de l’insécurité, comme le montrent les incendies survenus à Paris, au quartier de l’Opéra, à l’été 2005.

Ces nuitées à l’hôtel représentent une part importante du dispositif d’hébergement d’urgence francilien et génèrent un coût élevé : de 50 à 60 millions d’euros par an pour l’État et 12 millions d’euros en 2006 pour la ville de Paris.

Cette saturation du dispositif d’hébergement caractérise beaucoup d’autres régions.

Ensuite, certains centres d’hébergement, comme celui de Nanterre, offrent des condition d’accueil peu décentes et peu sûres (dortoirs collectifs, promiscuité, manque d’hygiène, insécurité, etc), alors qu’il faudrait des structures à dimension humaine et comportant des chambres individuelles ou doubles pour les couples.

Enfin, la durée d’accueil est particulièrement brève. Cette brièveté est extrême dans les centres d’hébergement de nuit ; jusqu’à décembre 2006, ces centres étaient ouverts seulement de 18 heures à 7 heures du matin ; désormais, ils sont ouverts trois heures de plus, c’est-à-dire de 17 heures à 9 heures du matin, ce qui reste évidemment insuffisant.

Quant aux centres d’hébergements ouverts toute la journée, la durée d’accueil s’y limite le plus souvent à quelques jours, alors qu’elle devrait être de quelques semaines ou de quelques mois. Ce qui contraint les SDF à des allers-retours incessants entre la rue et les structures d’hébergement, alors que ceux-ci auraient besoin d’une certaine stabilité pour pouvoir se reconstruire, rechercher un travail s’ils le peuvent et accéder à une vie plus autonome.

Les « places de stabilisation », permettant aux sans-abri d’effectuer des séjours de plus de trois mois, sont en nombre très limité : 800 seulement aujourd’hui sur l’ensemble du territoire et 4 000 d’ici à la fin mars 2007.

L’hébergement en hôtel ou le maintien en foyer au-delà de la durée nécessaire étant inadaptés, il importe de mettre des logements à la disposition des SDF de manière temporaire par l’application des dispositions législatives relatives à la réquisition, par la location de logements dans le parc locatif privé et par la mobilisation des logements sociaux vacants, notamment ceux destinés à la démolition dans le cadre des opérations de rénovation urbaine.

Le programme de rénovation urbaine, qui prévoit de raser 200 000 logements (et d’en reconstruire autant), entraîne, en effet, la disparition d’une offre locative à bon marché et renforce les difficultés des plus pauvres pour trouver un toit.

Le droit à l’hébergement sera opposable à l’État dès la promulgation de la présente loi.

Mais il est évident qu’au-delà de l’hébergement ou du logement temporaire, la principale solution est la création de davantage de logements sociaux.

Les SDF catégorie prioritaire pour la mise en œuvre
d’un droit au logement opposable

Le logement étant un besoin vital, il faut instituer un droit au logement opposable, comme sont opposables le droit à la scolarité ou le droit à la protection de la santé.

Mais pour que cette opposabilité soit effective et puisse se matérialiser véritablement, il faut augmenter fortement l’offre de logements sociaux et très sociaux, construits avec des prêts accordés par l’État : PLUS (prêts locatifs à usage social) et PLAI (prêts locatifs aidés d’intégration).

Pour y parvenir, il faut réellement obtenir que des logements sociaux soient construits dans les villes qui en sont aujourd’hui non pourvues ou très peu pourvues.

L’article 55 de la loi SRU (Solidarité et renouvellement urbains) du 13 décembre 2000 oblige environ 750 communes à atteindre le pourcentage de 20 % de logements sociaux sur leur territoire.

Le 26 janvier 2006, la majorité de l’Assemblée nationale avait voté un amendement qui modifiait en profondeur cet article de loi en assimilant à du logement social, pendant une durée de cinq ans, les habitations vendues ou construites « dans le cadre d’opérations d’accession sociale à la propriété ». En revanche, le 7 avril 2006, le Sénat avait rejeté cet amendement, contraire à l’objectif de la mixité sociale de l’habitat.

Au lieu de vider de sa substance cet article 55 de la loi SRU, il faut, au contraire, veiller à son application renforcée en triplant les sanctions financières contre les communes qui refusent la construction de logements sociaux sur leur territoire.

Par ailleurs, toujours pour faciliter la construction de nouveaux logements sociaux, il faudra mobiliser le foncier disponible de l’État et généraliser, avec les régions, les agences foncières régionales pour dégager suffisamment de terrains à construire.

Dans ce cadre, un droit au logement opposable à l’État pourra véritablement exister, des voies de recours devant les juridictions administratives seront créées en faveur des personnes et ménages dont la demande de logement sera restée infructueuse après un délai anormalement long.

À terme l’opposabilité du droit au logement vaudra pour toute personne dont les ressources sont inférieures à un plafond fixé par décret. D’ici là, pour pouvoir s’adapter à l’augmentation progressive du nombre de logements sociaux disponibles, cette opposabilité sera mise en œuvre par étapes, selon un calendrier d’application qui sera fixé par un décret en Conseil d’État.

Pendant la première étape devront être logées en priorité les catégories de demandeurs les plus défavorisés ou les plus vulnérables, à commencer par les SDF qui seront donc constitués en catégorie prioritaire pour la mise en œuvre de ce droit au logement opposable.

PROPOSITION DE LOI

TITRE Ier

LE DROIT À L’HÉBERGEMENT
DES PERSONNES SANS DOMICILE FIXE

Article 1er

Les personnes sans domicile fixe ont un droit à l’hébergement dans des conditions dignes et durables, conduisant à l’accès à un véritable logement.

L’État assure la mise en œuvre de ce droit par son action et par la coordination de l’action des collectivités territoriales, des structures et des associations concernées.

Ce droit à l’hébergement sera opposable à l’État dès la promulgation de la présente loi.

Article 2

Sauf exception dûment justifiée, les structures d’hébergement restent ouvertes toute la journée, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et fonctionnent durant toute l’année.

Article 3

Afin que nul ne reste sans hébergement, le nombre des places d’hébergement d’urgence est accru de 50 %, pour parvenir à un total de 150 000 places d’ici au 31 décembre 2008.

Les locaux utilisés aux fins d’hébergement doivent être décents et à dimension humaine.

Ils doivent comporter des chambres individuelles ainsi que des chambres doubles pour les couples.De nouveaux locaux, répondant à ces exigences, seront construits. Ceux des locaux actuels n’y répondant pas seront fermés ou réaménagés.

Article 4

Les personnes accueillies dans des structures d’hébergement bénéficient d’un accompagnement social par des travailleurs sociaux.

Article 5

L’accueil en structure d’hébergement doit avoir une durée suffisante pour assurer la stabilité nécessaire aux personnes accueillies.

Cette durée doit être personnalisée et librement choisie.

TITRE II

LES PERSONNES SANS DOMICILE FIXE,
CATÉGORIE PRIORITAIRE DANS LA MISE EN
œUVRE D’UN DROIT AU LOGEMENT OPPOSABLE

Article 6

Dans l’attente de la pleine application des articles ci-dessous, des logements temporaires sont mis à la disposition des personnes sans domicile fixe.

Dans ce but, les logements sociaux vacants seront mobilisés, notamment ceux destinés à la démolition dans le cadre des programmes de rénovation urbaine.

L’État et les collectivités territoriales pourront louer des logements dans le parc locatif privé pour les mettre à la disposition des personnes concernées.

Le droit de réquisition des locaux vacants sera exercé par l’État et les collectivités territoriales conformément aux dispositions de la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions.

Article 7

La possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent et indépendant constitue un droit.

Ce droit au logement est opposable à l’État, qui doit en assumer la mise en œuvre.

Article 8

L’État s’engage à coordonner et à mettre en œuvre un programme national de construction de logements locatifs sociaux en apportant son concours financier à son financement.

Ce programme national donne lieu dans chaque département, à la définition par l’État, après avis du conseil général et des autres collectivités territoriales concernées, d’un schéma départemental du logement locatif social.

Article 9

Conformément à l’article L. 302-5 du code de la construction et de l’habitation, les communes concernées par cet article doivent avoir un nombre de logements sociaux représentant au moins 20 % des résidences principales de la commune.

Si ces communes ne respectent pas cette obligation, un prélèvement est effectué chaque année sur leurs ressources fiscales conformément à l’article L. 302-7 du même code.

Ce prélèvement est porté à 450 € multipliés par la différence entre 20 % des résidences principales et le nombre de logements sociaux existant dans la commune l’année précédente.

Chaque commune de plus de 15 000 habitants devra mettre en place un service de l’habitat.

Article 10

Pour contribuer à dégager suffisamment de terrains à construire, l’État mobilisera les terrains fonciers publics disponibles.

Dans le même but, seront généralisées avec les régions les agences foncières régionales.

Article 11

L’accès au logement locatif social est ouvert à toute personne résidant régulièrement sur le territoire national dont les ressources sont inférieures à un plafond fixé par décret.

Article 12

Toute personne ne parvenant pas à disposer d’un logement décent par ses propres moyens peut saisir d’une demande de logement le service de l’habitat de sa commune de résidence, qui transmet cette demande à la préfecture du département ou à la préfecture de région en Île-de-France.

Le demandeur ne peut exiger d’être logé dans sa commune de résidence, mais sa demande doit être satisfaite dans le cadre de son bassin d’habitation, c’est-à-dire dans le cadre géographique de la communauté d’agglomération en zone urbaine ou de la communauté de communes en zone rurale et dans celui de la région en Île-de-France.

Si cette demande de logement reste infructueuse après un délai anormalement long, le demandeur peut former un recours contre l’État, garant de la solidarité nationale, devant la juridiction administrative et obtenir sa condamnation, éventuellement assortie d’une astreinte.

Article 13

L’opposabilité du droit au logement vaudra à terme pour tous les demandeurs de logement remplissant les conditions prévues à l’article 11.

D’ici là, pour pouvoir s’adapter à l’augmentation progressive du nombre de logements sociaux disponibles, cette opposabilité sera mise en œuvre par étapes, selon un calendrier d’application qui sera fixé par décret en Conseil d’État.

Devront être logées en priorité, pendant la première étape 2007-2008, les catégories de demandeurs les plus défavorisés ou vulnérables dont en particulier les personnes sans domicile fixe qui seront donc constituées en catégorie prioritaire.

Article 14

La charge éventuelle qui pourrait résulter pour les collectivités territoriales de l’application de la présente loi est compensée, à due concurrence, par le relévement de la dotation globale de fonctionnement.

Les charges et les pertes de recettes éventuelles qui résulteraient pour l’État de l’application de la présente loi sont compensées par l’augmentation à due concurrence des tarifs visées aux articles 575 et 575A du code général des impôts.

1 () La pauvreté est définie en France par le fait de percevoir moins de 50 % du revenu médian.


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