N° 1989 - Rapport d'information sur les relations entre l'Union européenne et la Russie (MM. René André et Jean-Louis Bianco)




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N° 1989

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 14 décembre 2004.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

sur les relations entre l'Union européenne et la Russie

ET PRÉSENTÉ PAR

MM. RENÉ ANDRÉ ET JEAN-LOUIS BIANCO,

Députés

--

INTRODUCTION 5

I - QUELLE RUSSIE AUX FRONTIÈRES DE L'UNION ? 9

A. - LA RUSSIE DE POUTINE : ENTRE PRAGMATISME ET
        LIGNES DE FORCE TRADITIONNELLES
10

1) Une Russie forte : l'objectif 10

a) Le développement économique : un objectif stratégique 10

b) La politique intérieure : la verticale du pouvoir 14

c) La Russie et l'étranger : objectif « URSS - 3 » 16

2) Une Russie pragmatique : les moyens 20

a) L'économie : réformes et ouverture 20

b) Le champ politique : le raidissement 22

c) La politique étrangère : l'influence plutôt que la domination 24

B. - L'AVENIR : RETOUR VERS LE PASSÉ OU ENGAGEMENT DANS LA MODERNITÉ ? 27

1) Culte de l'exception russe ou virage décisif vers la normalité ? 28

a) Le scénario de l'exceptionnalisme 28

b) Le scénario de la normalisation 30

2) Les certitudes 31

a) Les ressources énergétiques : un atout ambigu 32

b) La contrainte économique : sortir du modèle « rentier-exportateur » 34

c) La démographie, épée de Damoclès 36

II - QUELLE POLITIQUE RUSSE DE L'UNION À 25 ? 41

A. - LE CADRE ACTUEL DES RELATIONS ENTRE L'UNION EUROPÉENNE ET LA RUSSIE :        L'ESSOUFFLEMENT 41

1) Des réalisations limitées 42

a) Le cadre des relations UE-Russie : l'essoufflement 42

b) Les relations de sécurité : de l'activisme à la déception 45

2) Un cadre périmé depuis l'élargissement 46

a) 1994-2004 : une autre Union, une autre Russie 46

b) Les quatre espaces communs : et après ? 51

B. - L'UNION EUROPÉENNE ET LA RUSSIE, UNE RELATION À CONSTRUIRE 54

1) Un préalable indispensable : la construction d'une véritable
             politique russe de l'Union 55

a) La Russie, une chance pour la PESC et, au-delà, pour l'Europe politique 56

b) Un langage commun à construire 60

c) Des difficultés potentielles à identifier en amont 64

d) Une méthode à préciser : un partenariat ou des partenariats ? 70

e) Des mécanismes à clarifier 71

2) Les relations entre l'Union européenne et la Russie dans quinze ans :
              Quatre scénarios pour une relation 72

a) La Russie dans l'Union : le scénario de l'adhésion 73

b) La Russie avec l'Union : le scénario du « Tout sauf les institutions » 75

c) La Russie liée à l'Union : le scénario du partenariat stratégique 76

d) La Russie et l'Union : le scénario du statu quo 80

CONCLUSION 83

EXAMEN EN COMMISSION 85

LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES PAR LA MISSION 93

ANNEXE 97

Mesdames, Messieurs,

Les relations entre l'Union européenne et la Russie ou les relations entre une puissance qui ne l'est pas encore et une puissance qui ne l'est plus : telle est la formule sans doute abrupte, mais néanmoins assez juste, d'un des interlocuteurs rencontrés par la mission à Bruxelles, pour expliquer les tensions récurrentes des rapports entre l'Union européenne et la Russie.

Effectivement, ce qui frappe d'emblée dans les relations entre l'Union et la Russie, c'est leur complexité, leur diversité mais également leur caractère laborieux.

Ce constat ne se veut pas alarmiste : si les relations entre l'Union et la Russie sont difficiles, c'est d'abord parce qu'elles mettent en jeu des sujets cruciaux. Il ne s'agit pas de s'entendre verbalement sur des questions, certes importantes, mais ponctuelles, ni de se réunir de temps à autre devant les caméras de télévision en affichant de grands sourires de circonstance. Il s'agit de négocier au jour le jour sur des questions de certificats vétérinaires, de sûreté nucléaire, de tarifs douaniers, de visas de long terme ou de lanceurs spatiaux. Il s'agit d'aborder des sujets difficiles, qui s'appellent interdépendance énergétique, construction d'une architecture de sécurité européenne efficace, criminalité organisée, Kaliningrad, Tchétchénie... ou Ukraine.

Les difficultés de la relation Union européenne-Russie sont également à chercher dans le caractère a priori très différent des deux entités : sans doute n'est-il pas négligeable de partager 2 200 kilomètres de frontières communes ; mais qu'y a-t-il de véritablement commun entre, d'un côté, un État millénaire, qui s'est toujours conçu comme un Empire et n'a jamais connu la démocratie avant la fin du XXème siècle, et, de l'autre, une entité qui s'est construite en réaction même aux notions qui ont fait l'Europe pendant des siècles - zone d'influence, impérialisme, guerre - et se définit aujourd'hui avant tout par des valeurs qui s'appellent démocratie et droits de l'homme ?

La difficulté supplémentaire vient de ce que ces deux entités sont à la recherche de leur point d'équilibre et que, comme telles, elles ont des difficultés à savoir et à formuler clairement ce qu'elles attendent l'une de l'autre. Cette difficulté, qui n'a d'ailleurs fait que s'accroître avec l'élargissement, est réciproque :

- Qu'est-ce que la Russie aujourd'hui pour l'Europe ? Tout à la fois un voisin (approche géographique), un partenaire (approche commerciale), un concurrent (approche géopolitique), une source de préoccupations (approche politico-éthique), une menace (approche dans certains nouveaux Etats membres), une source d'incertitudes (approche prospective), un contrepoids à la puissance américaine dans la perspective multipolaire (approche politique).

- A l'inverse, qu'attend la Russie de sa relation avec l'Union européenne ? Il n'est pas certain qu'elle l'ait clairement décidé. A dire vrai, il n'y a rien de bien nouveau dans ce constat : la Russie reste tiraillée entre, d'un côté, une forte attirance géopolitique pour l'Europe occidentale, un réel intérêt pour son savoir-faire et sa créativité techniques et, de l'autre, une méfiance vis-à-vis de la culture politique de l'Europe. Ce complexe russe traditionnel se double aujourd'hui de la complexité objective que représente, pour les Etats tiers, le travail avec l'Union européenne. Sans doute la Russie instrumentalise-t-elle l'extraordinaire technicité des mécanismes européens mais il nous faut, sur ce point, faire preuve de réalisme : l'Union européenne n'est pas un partenaire facile pour les Etats tiers, tout au contraire ; c'est une entité peu transparente, à la culture institutionnelle très particulière, et un acteur parfois ambigu, sans même le vouloir d'ailleurs.

*

La complexité de la relation UE-Russie ne saurait toutefois faire oublier ce constat très simple : l'Union européenne et la Russie ont mutuellement besoin l'une de l'autre. Il existe en effet entre les deux entités une indéniable communauté d'intérêts, renforcée par l'élargissement de l'Union le 1er mai dernier : intérêts économiques, diplomatiques, géopolitiques... Les capacités potentielles de coopération sont énormes. Pourront-elles se réaliser ? Tel est tout l'enjeu de l'avenir des relations entre l'Union européenne et la Russie.

Alors que la crise en Ukraine révèle au grand jour les tensions latentes d'une relation qui ne cesse de voir se succéder négociations crispées et grandes déclarations quasi-lyriques, il convient de se pencher sur le contenu et la forme que nous entendons donner à notre relation avec la Russie. Une relation qui n'a d'autre choix que d'être un partenariat, un partenariat qui n'a d'autre choix que d'être stratégique, c'est-à-dire envisageant les relations UE-Russie dans le long terme, en vue d'objectifs précis conjointement agréés.

Il ne s'agit pas là de la vision irénique de parlementaires français qui développeraient une conception romantique de la Russie, selon la perception de la politique russe de la France communément partagée à l'étranger. Il s'agit de la conviction de deux hommes politiques européens, persuadés que l'affermissement de l'intégration européenne et la construction d'une véritable Europe politique passent, notamment, par Moscou. L'irénisme n'a, de toute façon, pas sa place dans les relations internationales, moins encore lorsqu'il s'agit d'une relation qui devra envisager ouvertement et l'ensemble de ses domaines de coopération potentiels, et l'ensemble de ses points de divergence. Les mots « Tchétchénie », « démocratie », mais également ceux d'« égalité » et de « respect mutuel » doivent devenir l'ordinaire de la relation UE-Russie, ainsi que la base d'actions concrètes.

I - QUELLE RUSSIE AUX FRONTIÈRES DE L'UNION ?

L'homme qui, en 2000, reconnaît que la « la Russie est un pays riche mais [que] son peuple est pauvre », l'homme qui évoque, à l'horizon 2020, le spectre d'une Russie dépeuplée, n'est ni un observateur désabusé de la Russie ni un contempteur de la puissance pauvre qu'on a souvent voulu voir dans la Russie post-soviétique mais Vladimir Poutine lui-même. A l'évidence, ce « style Poutine », marqué par une franchise peu habituelle en Russie, est pour beaucoup dans les espoirs qui ont été placés dans une évolution de la Russie « à l'occidentale », au début de son premier mandat. La rupture était effectivement patente avec un Boris Eltsine qui avait contribué à donner l'image d'une Russie qui n'était que l'ombre d'elle-même, capable de faire beaucoup de bruit mais sans que ce qu'elle fît, ou ne fît pas, changeât véritablement beaucoup la face du monde. Le seul pouvoir que l'on reconnaissait à la Russie était, tout au plus, un pouvoir de nuisance.

De fait, Vladimir Poutine est arrivé au pouvoir avec un programme en forme de grille de lecture simple et claire de l'évolution de la Russie : restaurer la puissance russe en s'appuyant, à l'intérieur, sur la « dictature de la loi » et, à l'extérieur, sur l'ancrage à l'Europe. Nous avons voulu voir dans cette politique le signe d'une « normalisation » russe, de la fin de la transition, tout comme certains d'entre nous voulaient voir dans la Russie de Eltsine une Russie dont la faiblesse nous rassurait, d'une certaine manière, alors que nous sortions de la guerre froide. Sous l'ère Eltsine, l'habitude avait été ainsi prise de considérer la Russie comme une ancienne grande puissance, devenue acteur régional, entraînée, quoi qu'il arrive, dans le mouvement historique de globalisation, donc nécessairement en voie de normalisation. Une Russie qui, en dépit de ses protestations, n'avait empêché ni l'élargissement de l'OTAN, ni l'intervention au Kosovo.

Les réformes institutionnelles de Poutine, l'affaire Youkos, la Tchétchénie, l'Ukraine nous rappellent que la Russie reste un pays irréductible aux typologies occidentales. Selon notre grille de lecture, l'histoire de la Russie serait en effet condamnée à de perpétuels allers et retours, à l'encontre du schéma linéaire d'établissement de la démocratie libérale qui aurait prévalu dans le monde occidental. Et si ce que nous appelons « recul » s'appelait « contrastes » ? De fait, l'une des raisons pour laquelle nous éprouvons tant de difficultés à construire la relation UE-Russie est que nous ne faisons pas l'effort d'investissement minimal de nous demander ce qu'est la Russie aujourd'hui, préférant projeter l'image de la Russie que nous voulons voir. Or, comment l'Union européenne peut-elle être en mesure de bâtir le scénario de ses relations avec la Russie à quinze ans si elle ne s'intéresse pas à la Russie réelle ?

Sans doute est-il difficile de penser la dualité russe qui fait coexister dans un même pays les signes extérieurs de la puissance (niveau de recherche scientifique, compétences dans les secteurs de pointe, arsenal nucléaire stratégique, réserves pétrolières et gazières) avec des performances économiques qui placent le PIB de ce pays entre la Belgique et les Pays-Bas. Les rapporteurs n'ont évidemment pas la prétention de résoudre cette « énigme drapée de mystère au cœur d'un secret » que Winston Churchill voyait dans la Russie, mais souhaitent seulement esquisser les réponses aux trois questions suivantes :

- En quoi la Russie de 2004 est-elle différente de celle avec laquelle l'Union européenne a signé, en 1994, l'accord de partenariat et de coopération qui forme encore le socle de leurs relations mutuelles ?

- Le schéma de la transition économique et politique est-il encore pertinent ?

- Au-delà de la personnalité de ceux qui sont appelés à la diriger, quelles sont les contraintes avec lesquelles la Russie devra composer dans les quinze années à venir et, à l'inverse, de quels atouts disposera-t-elle ?

a. - la russie de poutine : entre pragmatisme et lignes de force traditionnelles

Au-delà des considérations de style, jusqu'où va la rupture entre la Russie de Poutine et celle de Eltsine ? En apparence, certes, la rupture est radicale. Qu'en est-il en réalité ? En quoi la Russie de 2004 est-elle l'héritière de la Russie de 1994, voire de ce qu'il est convenu d'appeler la Russie éternelle ?

1) Une Russie forte : l'objectif

L'appellation du principal parti politique aujourd'hui en Russie, entièrement dévoué à Vladimir Poutine, Russie unie, est révélatrice de l'ambition actuelle de la politique développée par le chef du Kremlin : une Russie forte, l'unité n'étant en l'occurrence que l'instrument au service de cette obsession du Président russe. C'est d'ailleurs sur cette image d'homme fort que Vladimir Poutine a construit sa réputation à l'intérieur du pays, image qu'il a doublée de celle de l'homme pragmatique, pour donner à l'Occident les gages d'une Russie en rupture avec son passé autoritaire et dogmatique et faire passer le message d'une Russie enfin efficace, c'est-à-dire mettant ses énormes ressources au service d'un objectif précis.

a) Le développement économique : un objectif stratégique

Le développement économique est aujourd'hui au cœur de la politique visant à redonner à la Russie le statut d'une véritable puissance internationale, tant et si bien que même la politique étrangère lui est subordonnée. Ainsi, selon le concept de politique étrangère, document d'orientation de la politique étrangère russe élaboré en 2000, les initiatives de la Russie sur la scène internationale doivent lui permettre, notamment, de « créer les conditions extérieures nécessaires à un développement progressif de la Russie, au redressement de son économie, à l'augmentation du niveau de vie de [sa] population »(1). Comme l'a, en effet, reconnu le Président Poutine lors de son premier discours à la Nation, le risque dont est porteur la faiblesse économique de la Russie est rien moins que le décrochage par rapport aux grandes puissances : « le fossé croissant entre les pays industrialisés et la Russie nous relègue au rang de pays du tiers monde. »

Le déclin économique russe est effectivement vertigineux : le PNB de la Russie représentait, en 2000 (2), 40 % de celui de 1990, tandis que la BERD estime que 50 % de la population russe vit en dessous du seuil de pauvreté. La Russie ne représente donc plus aujourd'hui que 2,5 % du PNB mondial en parités de pouvoir d'achat, ce qui la place au dixième rang mondial derrière le Brésil. Quant à son PNB nominal, il équivaut à 5 % de celui du Japon. Avec l'Union européenne, le gouffre est énorme, comme le montre le tableau suivant.

les economies russe et européenne en 2003

UE à 25

Russie

Population (en millions)

455

145

Surface (milliers de km²)

3 929

17 075

PNB (milliards d'euros)

9 700

383

PNB par habitant (€)

19 500

2 650

Exportations (milliards €)

2 650

120

Importations (milliards €)

2 610

67

Source : Economist Intelligence Unit, Eurostat and Goskomstat (3)

Vladimir Poutine a évidemment compris qu'à l'ère de la globalisation, une telle faiblesse économique condamnait d'emblée tout effort de restauration de puissance. D'où l'élaboration d'une stratégie économique très volontariste, structurée autour de deux axes : énergie et Europe, avec, en ligne de mire, l'objectif de doubler la richesse nationale russe entre 2003 et 2013.

· La route de la puissance passe par les oléoducs et les gazoducs. Ainsi pourrait-on résumer le postulat de la stratégie économique russe depuis 1999. De fait, le miracle économique russe depuis la sévère crise de 1998 doit avant tout aux exportations réalisées dans le secteur énergétique, pétrolier surtout. Que l'on en juge : la Russie occupe le septième rang mondial en matière de réserves pétrolières, localisées, à 85 %, en Sibérie occidentale - l'Est de la Sibérie recelant également des réserves pétrolières et gazières très largement inexploitées. La Russie était, en 2002, le deuxième exportateur mondial de pétrole derrière l'Arabie Saoudite. Mais c'est surtout le gaz naturel qui fait de la Russie une puissance énergétique de premier ordre : elle possède en effet le tiers des ressources mondiales en gaz, l'essentiel de ces ressources se situant également en Sibérie occidentale (80 %).

La richesse énergétique de la Russie a d'autant plus de poids qu'elle est fortement valorisée dans un contexte international qui fait peser de lourdes incertitudes sur l'avenir de l'approvisionnement énergétique des pays développés. Comme l'a expliqué à la mission M. Dimitri Trenine, directeur du Carnegie Endowment for Peace de Moscou, jamais la Russie n'a joué un rôle aussi important au niveau mondial en matière d'énergie et jamais les ressources énergétiques n'ont joué un rôle aussi important dans la politique étrangère russe. Aux yeux des États-Unis notamment, la Russie est considérée comme un pôle de stabilité en cas de dégradation de la situation et de déstabilisation en Arabie Saoudite. C'est dans ce contexte qu'il faut resituer les efforts déployés par la Russie en vue de s'assurer le contrôle du transit du pétrole et du gaz produit sur son territoire certes, mais également sur celui de la Communauté des Etats indépendants (CEI). En l'occurrence, comme le montrent les développements qui suivent sur la politique étrangère russe, il existe une interaction totale entre objectifs économiques et buts stratégiques.

· Le rang prioritaire qu'occupe le développement économique explique largement l'importance donnée par le Président Vladimir Poutine aux relations avec l'Union européenne, de fait essentiellement abordées sous l'angle des relations économiques. Nous posions en introduction la question des attentes mutuelles de l'Union européenne et de la Russie : à cet égard, il ne fait pas de doute qu'avant toute chose, c'est le rôle de vecteur de modernisation que la Russie attribue à l'Union.

Si le tableau précédent révèle, par contraste avec la prospérité européenne, la grande faiblesse de l'économie russe, il met tout autant en lumière les potentialités énormes que recèle, pour la Russie, le voisinage d'un géant économique de 450 millions de consommateurs. Un géant avec lequel elle réalise plus de 50 % de ses échanges, dans des termes qui lui sont largement favorables comme l'indique le tableau suivant.

échanges entre la russie et l'union européenne à 15

(En milliards d'euros)

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

Exportations UE>Russie

19,1

15,5

21,1

14,8

19,8

27,8

30,3

33,0

Importations Russie>UE

23,4

27

23,2

26

45,3

47,4

47,5

51,6

Balance commerciale

- 4,3

- 11,5

- 2,1

- 11,2

- 25,5

- 19,6

- 17,2

- 18,1

Source : Commission européenne

Cet enjeu explique les très fortes tensions qui ont ponctué la relation UE-Russie au début de l'année 2004, alors que se profilaient des échéances essentielles pour l'avenir de nos relations économiques, telles que l'élargissement d'une part et la finalisation de l'accord entre l'Union européenne et la Russie sur l'entrée de cette dernière dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC) d'autre part.

S'agissant de l'élargissement, la Russie, ayant en mémoire les effets négatifs pour ses échanges de l'intégration de la Finlande en 1995, redoutait cette fois d'être évincée de ses marchés traditionnels dans les pays d'Europe centrale et orientale, avec lesquels elle dégage d'importants surplus commerciaux. A l'issue de négociations difficiles, la Russie a accepté l'extension, aux nouveaux Etats membres, de l'accord de partenariat et de coopération de 1994 qui régit ses relations économiques avec l'Union. Parallèlement, dans une déclaration commune, l'Union et la Russie sont convenues de tenir compte des préoccupations russes concernant l'élargissement s'agissant, en particulier, des droits de douane, de l'acier, de la défense commerciale, des questions agricoles et vétérinaires, de l'énergie et du transit des marchandises en direction de et à partie de Kaliningrad.

Avec l'accord conclu, le 21 mai 2004, avec l'Union européenne sur son accession à l'OMC, la Russie a atteint un objectif prioritaire que s'était fixé le président Poutine, depuis son arrivée au Kremlin en 2000, alors que la Russie est le seul grand pays non membre de l'organisation. L'accès à cette organisation impliquant le consensus de tous les membres de l'OMC, un accord avec Bruxelles était d'autant plus crucial que la Russie réalise quelque 55 % de ses échanges avec l'Union élargie. Les deux principaux compromis acceptés par la Russie dans ce dossier témoignent d'ailleurs de l'importance accordée par la Russie au succès de cette négociation :

- C'est d'abord un verrou qui a sauté avec l'acceptation, par la Russie, d'un relèvement des tarifs internes du gaz, les prix pratiqués par Gazprom sur la marché intérieur russe s'apparentant à une subvention publique de facto à l'ensemble du secteur industriel. Certes, ce faisant, la Russie s'est, en définitive, engagée à respecter un engagement qu'elle s'était assignée à elle-même, dans la mesure où ce point figurait déjà dans sa stratégie énergétique pour 2020. De même, comme l'a reconnu M. Pascal Lamy, ancien commissaire au commerce de l'Union, les Européens n'ont pas obtenu entière satisfaction sur ce point : ainsi, les prix du gaz fourni au secteur industriel devraient progressivement augmenter, d'un niveau actuel de 27-28 dollars par mètre cube, à 37-42 dollars d'ici à 2006 et 49-57 d'ici à 2010. Pour un pays dont l'industrie est hautement consommatrice d'énergie, ce compromis signifie cependant de profondes réformes économiques.

- Il est révélateur, en second lieu, que la Russie ait accepté en contrepartie - quoi qu'en dise Vladimir Poutine - de ratifier le protocole de Kyoto, qui suscitait pourtant les plus vives réticences dans la communauté scientifique russe ainsi qu'à la Douma. En donnant à l'Union satisfaction sur un sujet jugé prioritaire par l'Europe et en permettant l'entrée en vigueur du protocole, elle souligne, là encore, à quel niveau de priorité elle place sa « normalisation » économique, dont Vladimir Poutine a compris qu'elle conditionnait la croissance durable de la Russie.

b) La politique intérieure : la verticale du pouvoir

« L'organisation insuffisante du pouvoir étatique et de la société civile, la polarisation socio-politique de la société russe (...) l'affaiblissement du système de réglementation et de contrôle étatique, une base juridique imparfaite et l'absence d'une véritable politique d'État dans le domaine social » (4) : ce bilan très négatif de dix ans de réformes infructueuses dressé, en 1999, dans le décret portant concept de sécurité nationale de la Fédération russe, dessine, en creux, les priorités politiques de Vladimir Poutine. La priorité politique, serait-il plus juste de dire, puisque le renforcement de l'État est placé au cœur de toutes les réformes, avec, pour instrument majeur, « la dictature du droit », slogan de la campagne électorale de 2000.

Au-delà du souci évident du Président Vladimir Poutine de solder l'ère Eltsine, ce retour de l'État dérive-t-il vers un centralisme autoritaire ? S'il est encore trop tôt pour répondre sur le qualificatif, la restauration de la « verticale du pouvoir » ne fait pas de doute. Pour reprendre le triptyque du pouvoir en Russie identifié par Mme Marie Mendras, chercheur au CNRS et au Centre d'études des relations internationales (CERI), le Président Poutine est en train de remplacer la structure horizontale formé par le politique, le bureaucrate et l'oligarque(5), en verticale du pouvoir au sommet de laquelle se trouve le politique.

· Dans cette perspective, c'est d'abord la figure de l'oligarque qui est dans la ligne de mire du Président Poutine. On a beaucoup glosé sur l'affaire Youkos et les indices d'évolution de la Russie qu'il fallait y voir. La violence de la réaction du Président Poutine dans cette affaire semble avoir été motivée par quatre types de considérations. En premier lieu, la stratégie poursuivie par son dirigeant, Mikhaïl Khodorkovski est apparue menaçante aux yeux des autorités russes, qu'il s'agisse de la tentative d'ouverture de Youkos à des capitaux américains ou de la promotion, non concertée avec le Kremlin, de voies d'évacuation du pétrole concurrentes de celles détenues par le monopole public Transeft, lui permettant d'exercer à terme un monopole dans l'approvisionnement vers l'Extrême-orient. En se donnant les moyens d'une politique étrangère autonome, appuyée sur une puissance financière énorme, Youkos contrevenait à des deux objectifs de la politique de Poutine : à l'intérieur, centralisation des commandes, à l'extérieur, mobilisation du secteur stratégique de l'énergie en faveur de la reprise en main de l'étranger proche. Cette remise en cause de l'autorité présidentielle s'est doublée d'une question politique : les manœuvres de Youkos visant à la constitution d'une minorité de blocage à la Douma, qui aurait permis à l'entreprise de contrecarrer les projets d'augmentation de la fiscalité des produits pétroliers, se sont heurtées de plein fouet au projet de Poutine de faire payer aux oligarques les réformes sociales du pays et de mettre fin à la fuite des capitaux issus de la rente pétrolière. Ce serait près de 40 % des députés de la Douma qui auraient un lien avec les groupes oligarchiques, en particulier avec le secteur pétrolier (Lukoil, Sibneft, TNK) (6) . Enfin, il est évident que l'émergence, avec Khodorkovski, d'une figure d'opposition, - Youkos finançait des partis et des fondations de tendance libérale - est apparue comme difficilement compatible avec la conception que Vladimir Poutine a de sa place sur la scène politique.

Si elle a suscité force critiques à l'étranger, l'affaire Youkos se solde, pour Vladimir Poutine, par un bilan globalement positif : sa popularité s'en est trouvée confortée, le thème de la chasse aux « oligarques prévaricateurs » étant porteur dans l'opinion publique ; les oligarques ont, dans leur ensemble, bien reçu le message que leur tranquillité était conditionnée à un civisme fiscal sans faille, alors que la rente énergétique se traduit par une très forte hausse de leurs revenus, et, surtout, à l'obligation de participer au financement des priorités sociales du Gouvernement. S'agissant de la reconfiguration du secteur énergétique, le démantèlement partiel de Youkos devrait permettre in fine de réaligner celui-ci sur ses concurrents et, surtout, de procéder à des redistributions en faveur de groupes utiles au pouvoir, proches des services de sécurité. Enfin, sur le plan politique, elle pourrait enclencher une dynamique en faveur de la lutte contre la corruption.

Les réformes mises en œuvre par le Président Poutine sur le plan intérieur visent également à redonner le pouvoir au centre sur la périphérie ou, pour reprendre le triptyque politique/bureaucrate/oligarque, à transformer les politiques régionaux en bureaucrates placés sous les ordres du politique.

Dès le début de son mandat, le Président russe a clairement marqué son souhait de restaurer son autorité sur l'ensemble du territoire russe, en élargissant le rôle des représentants du Président instaurés par Boris Eltsine. Ainsi, par décret du 13 mai 2000, ces « super-relais » du pouvoir présidentiel ont été placés à la tête de sept nouvelles entités, les districts fédéraux, ce qui leur a permis de s'affranchir de facto du contrôle des exécutifs régionaux.

Le « 11 septembre » de Vladimir Poutine, ainsi qu'a été surnommée la tragédie de Beslan qui a coûté la vie à plus de 350 personnes, dont la moitié d'enfants, a été le prétexte d'un nouveau renforcement de la verticale du pouvoir. C'est ainsi que, désormais, on peut considérer que le fédéralisme instauré par Boris Eltsine a vécu en Russie : les députés de la Douma ont adopté, le 3 décembre 2004, une loi qui supprime l'élection des 88 gouverneurs des régions de Russie au suffrage universel. Ils seront désormais élus par un vote de l'assemblée locale à partir d'une liste - qui pourra ne comporter qu'un seul nom - sur proposition du Président. Parallèlement, le rôle des représentants plénipotentiaires du Président dans les régions se voit conforté.

c) La Russie et l'étranger : objectif « URSS - 3 »

L'une des grandes réalisations de Vladimir Poutine réside dans l'exploitation à des fins diplomatiques des atouts économiques de la Russie, stratégie à double sens qui sert, comme nous l'avons montré, l'objectif de développement économique de la Russie. Cette diplomatie énergétique ou, si l'on part du primat de l'économique, cette « économisation » de la politique étrangère, est assurément la principale ligne de force de la politique étrangère de la Russie depuis l'arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir. Sans doute cette priorité fut-elle affichée dès 1992 mais elle n'a réellement pris forme qu'avec l'élection de Vladimir Poutine. Un Poutine qui, contrairement à son prédécesseur, maîtrise parfaitement l'art de transformer ce capital économique de premier ordre que sont les réserves pétrolières et gazières russes en gains politiques et stratégiques, et ce à l'égard des trois cercles de la politique étrangère russe que sont, dans l'ordre des priorités de la Russie, l'étranger proche, l'Union européenne et les autres pays - Etats-Unis, pays d'Asie.

· C'est sur ce fondement que la Russie travaille à la préservation de ses positions dans la CEI et dans toute la zone que l'on appelle « l'étranger proche » de la Russie, qui forme le premier cercle, géographique et thématique, de la politique étrangère de la Russie. En la matière, l'objectif est affiché sans ambiguïté par Vladimir Poutine, ainsi qu'il le déclarait dans une adresse à l'Assemblée fédérale de la Fédération de Russie, le 16 mai 2003 : « Le renforcement des relations avec les pays de la Communauté des Etats indépendants demeure la priorité inconditionnelle de notre politique étrangère »(7).

Tel est effectivement le message délivré à Moscou par les interlocuteurs des rapporteurs, lors du déplacement qu'ils ont effectué dans la capitale russe au mois de juin 2004. Ainsi, Dimitri Rogozine, Président du parti politique Rodina et ancien Président de la Commission des affaires étrangères de la Douma, a tenu un discours très ferme : la Russie va poursuivre sa politique étrangère, centrée sur les États de l'ex-URSS. Il s'agit d'une orientation prioritaire dont l'ambition est de construire une grande puissance moderne au niveau régional, ce qui signifie une politique axée sur le développement économique et sur les liens régionaux. A la question de savoir quels pays entraient dans le champ, la réponse de Dimitri Rogozine, particulièrement éclairante, est « Russie + 11 ou URSS - 3 », c'est-à-dire les trois pays baltes.

« URSS - 3 » : cette appellation avait frappé les rapporteurs en juin dernier ; l'actualité ukrainienne lui donne un relief nouveau, confirmant que la Russie n'a certainement pas fait le deuil de sa destinée impériale, ce qui explique d'ailleurs l'activisme de Poutine en matière de politique étrangère depuis son élection.

De fait, c'est une Russie qui n'avait jamais, depuis plusieurs siècles, été autant repliée dans ses frontières que Vladimir Poutine a trouvée à son arrivée au pouvoir, le 31 décembre 1999. Certes, le principe d'une « doctrine Monroe » à la russe est présente dès 1992 mais elle se solde, à l'issue de la présidence de Boris Eltsine, par un échec patent. Notamment, cette politique n'a pas résisté à la défaite militaire en Tchétchénie de 1996. Jusqu'à ce point d'arrêt pourtant, les efforts de la Russie furent couronnés de succès : consolidation de la CEI au sommet de Minsk, en janvier 1993 ; signature d'un accord d'intégration régionale approfondie entre la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan et la Kirghizie, le 29 mars 1996. La conjonction entre le désastre militaire en Tchétchénie et l'élargissement de l'OTAN à ses anciens satellites donne un coup d'arrêt à ce retour de la Russie. Il n'y a plus guère que la Biélorussie pour accepter de signer, à la fin de l'année 1998, un accord d'unification avec la Russie ; les « autres pays, tels l'Ukraine, l'Ouzbékistan, le Turkménistan, l'Azerbaïdjan, la Géorgie ou la Moldavie considèrent avant la Communauté des Etats indépendants comme un « instrument du divorce » des anciennes républiques soviétiques »(8).

Pire encore, les initiatives russes sont concurrencées par des processus d'intégration parallèles entre Etats de la CEI, qui plus est hostiles aux projets intégrationnistes de la Russie. C'est ainsi que le GUAM (9) est créé en octobre 1997, qui unit l'Azerbaïdjan, la Géorgie, l'Ukraine et la Moldavie : association certes informelle, le GUAM est ressenti comme une provocation par Moscou dans la mesure où il promeut la mise en place de réseaux de communication contournant le territoire russe dans l'axe Caspienne-Mer Noire et engage une coopération avec l'OTAN dans le cadre du Partenariat pour la Paix. L'année 1999 marque l'étiage du rôle de la Russie dans son « étranger proche » : elle voit se succéder le refus de l'Azerbaïdjan, de l'Ouzbékistan et de la Géorgie de proroger leur participation au traité de sécurité collective de la CEI, la présence de la plupart des nouveaux Etats indépendants au sommet anniversaire de l'OTAN à Washington, l'intervention au Kosovo, la signature du nouveau traité sur les forces conventionnelles en Europe - prévoyant une réduction de la présence militaire russe en Géorgie et l'évacuation complète des installations situées en Moldavie - et, enfin, la déclaration concomitante de la Turquie, des nouveaux Etats indépendants et des Etats-Unis concernant le projet d'oléoduc Bakou-Ceyhan, c'est-à-dire de contournement du territoire russe.

Depuis son accession à la présidence de la Fédération de Russie, le Président de Poutine s'est attaché à reconstruire petit à petit l'espace perdu par la Russie dans son étranger proche. Officiellement, l'objectif ne change pas : les trois documents, élaborés en 2000, qui fixent les orientations de la Russie en matière de politique étrangère et de défense - concept de politique étrangère, concept de sécurité nationale et doctrine militaire - réaffirment le caractère prioritaire des relations avec les pays de la CEI. Reste que si le développement de structures multilatérales est également repris, dans les faits, Poutine fait le choix des relations bilatérales : l'intégration cesse d'être le vecteur privilégié de la reconquête de l'espace proche.

Sans doute le ministère des affaires étrangères russe continue-t-il, dans la rhétorique, de mettre en avant ces processus d'intégration régionale, en faisant un parallèle entre l'intégration à l'œuvre dans l'Union européenne et celle qui prévaut entre la Russie et ses voisins. Un Rogozine est beaucoup plus abrupt : « Dans cet espace, une intégration formelle serait inefficace et inutile, la Russie jouant d'ores et déjà un rôle économique prépondérant dans cet espace, y compris par son rôle de pays d'accueil de la main d'œuvre des pays concernés. L'influence réelle de la Russie dans cette aire géographique est même supérieure à ce qu'en montrent les statistiques et cette tendance va encore s'accroître. La relation entre la Russie et ces pays est assez comparable à celle qu'entretiennent les Etats-Unis avec les pays d'Amérique latine. »

· Comment s'insère, dans ce contexte, la politique européenne de la Russie, deuxième priorité de la diplomatie russe sous Poutine ? La conjonction d'une Russie qui recentre sa politique étrangère sur son étranger proche et qui proclame son ancrage européen ne va pas de soi : historiquement, ces deux évolutions ont même plutôt été antagoniques.

Là encore, il faut saluer le savoir-faire du Président Poutine, même si la crise qui se déroule actuellement en Ukraine nous incite à poser la question des limites de la capacité russe à concilier ces deux approches. Ces deux tendances découlent, en réalité, d'un même objectif : la protection des intérêts nationaux. Le renforcement de l'étranger proche est, en effet, paradoxalement un moyen pour la Russie de développer des relations qu'elle juge conforme à ses intérêts avec l'Union européenne : pour ce faire, il faut rétablir la balance, ne serait-ce déjà que démographique. Comme l'a déclaré fort justement M. Dimitri Trenine aux rapporteurs, il s'agit en réalité, de « construire deux entités égales entre l'Union européenne et "Russie plus" ».

Il ne faut donc pas s'y tromper : Poutine n'est pas du tout dans la vision gorbatchévienne de la « maison commune européenne ». En accordant une place privilégiée à la relation avec l'Union européenne, il ne fait que s'inscrire dans la tradition russe pour laquelle l'ouverture de la Russie vers l'ouest n'a jamais été le fruit d'une approche sentimentale ou affective. Pour la Russie, l'ancrage à l'Europe s'analyse en termes de « choix, dépourvu d'alternative, du partenariat stratégique ». Les mots mêmes du Président Poutine, prononcés lors du sommet UE-Russie du 11 novembre 2002, disent tout de l'approche russe.

· Le dernier cercle de la politique étrangère russe est constitué par les pays susceptibles de servir également la restauration de la puissance russe, vers lesquels s'exerce une politique « multivectorielle », pour reprendre le terme en vogue à Moscou.

Les Etats-Unis forment le premier élément de ce troisième groupe. En la matière, la diplomatie russe s'appuie avant tout sur l'excellence de la relation personnelle entre les Présidents Bush et Poutine, le 11 septembre 2001 ayant apporté le matériau conceptuel nécessaire pour donner de la substance à cette entente personnelle. La très grande - et heureuse, même si elle n'est qu'apparente - discrétion des Etats-Unis dans la crise ukrainienne donne la mesure du prix attaché par les Etats-Unis à leur relation avec la Russie, qui s'explique largement par la prééminence que tient, dans la vision stratégique du Président Bush, la lutte contre le terrorisme. Qui plus est, la Russie, puissance pétrolière, bénéficie à plein des incertitudes géopolitiques pesant sur le Moyen-Orient, ce à quoi les Etats-Unis ne sauraient être indifférents. A l'inverse, Vladimir Poutine a trouvé dans la relation avec les Etats-Unis une pleine légitimation de sa politique en Tchétchénie : la vision américaine de la guerre contre le terrorisme l'a jusqu'alors exonéré de donner des gages à l'Union européenne quant à la recherche d'une solution durable.

Dans la politique étrangère « multivectorielle » que la Russie souhaite mener, l'Asie occupe une place importante. Souci de rééquilibrage géopolitique, intérêt pour la manne économique chinoise et indienne, etc., des considérations multiples justifient l'activisme russe à l'égard de ces pays. Mais ce sont sans doute également des considérations de politique intérieure qui jouent : les préoccupations relatives à l'avenir du développement de la Sibérie et de l'Extrême-Orient russe occupent une place essentielle dans la politique asiatique de la Russie, ces deux régions étant à la fois vitales pour l'avenir du pays et fragiles du fait de leur situation démographique. Vitales en effet sont les réserves énergétiques que leur sous-sol renferme : d'où le souhait du Président Poutine de faire de la Russie le principal fournisseur en énergie d'Asie. Deux projets concurrents sont d'ailleurs en lice pour l'évacuation du pétrole russe : alors que le Japon soutient la construction d'un oléoduc Angarsk-Nakhoda, la Chine plaide en faveur du tracé Angarsk-Datsin. La décision en la matière recouvre des enjeux de politique intérieure : avant sa mise en cause, Youkos s'apprêtait, dit-on, à signer un accord avec la Chine. Or, si le coût du pipeline (2 400 kilomètres) projeté par Youkos était de loin le moins coûteux (2,2 milliards de dollars), l'autre projet (10 milliards de dollars, dont 7 seraient avancés par le Japon) était soutenu par Transneft, compagnie publique.

2) Une Russie pragmatique : les moyens

C'est essentiellement la carte du pragmatisme qu'a jouée, lors de son premier mandat, le Président Poutine dans la mise en œuvre de son projet de Russie forte. Les réformes récemment mises en œuvre sur le plan intérieur comme l'attitude de la Russie à l'égard de son étranger proche incitent cependant à s'interroger sur la pérennité de ce pragmatisme, il est vrai peu coutumier en Russie. De fait aujourd'hui, le panorama des moyens mis au service de l'objectif de restauration de la puissance russe offre un tableau contrasté : si l'ouverture domine en matière économique, ce sont, dans le domaine politique, le raidissement et, en politique étrangère, l'alternance de la souplesse et de l'intransigeance qui s'imposent. Ces trois tactiques sont-elles compatibles ? Notamment, l'entrée de la Russie dans la modernité économique, qui passe aujourd'hui, à l'ère des nouvelles technologies, par la valorisation de la connaissance et de l'innovation, donc par un mélange entre impulsion politique et projets individuels, est-elle compatible avec l'atonie de la société civile et le rôle omniprésent de l'Etat ?

a) L'économie : réformes et ouverture

En matière économique, la politique russe s'appuie, depuis l'élection de Vladimir Poutine, sur deux piliers : réformes et ouverture.

L'ambitieux programme de réformes adopté à l'été 2000 a débouché sur de réels changements, qui se traduisent indéniablement par un développement de l'économie de marché, statut d'ailleurs reconnu à la Russie par l'Union européenne en 2002 (10) :

- La réforme fiscale, bien avancée, a permis notamment une amélioration de la situation des finances publiques, via la taxation accrue des exportations réalisées par les secteurs rentiers et la réduction de celle des autres secteurs, en particulier celle des industries de transformation et des services. Dans le même esprit, une diminution du taux de base de l'impôt social (charges sociales payées par l'employeur) de 35,6 % à 26 % est prévue à partir de 2005.

- La réforme foncière a franchi une étape importante avec l'adoption, en juillet 2002, d'une loi autorisant les transactions sur les terres agricoles, dont sont, à ce jour, exclus les étrangers.

- La réforme du secteur financier et la « débureaucratisation » de l'économie constituent l'un des axes prioritaires de la politique économique, le but étant de renforcer la transparence des mécanismes économiques en favorisant des pratiques de bonne gouvernance.

Dans cette optique, le secteur bancaire, en partie restructuré depuis la crise, a connu un développement important, avec la mise en place, en décembre 2003, d'un système d'assurance sur les dépôts étendu à toutes les banques et couvrant jusqu'à 100 % des dépôts individuels jusqu'à 100 000 roubles (environ 3 356 dollars). Cependant, dans un premier temps, la portée de cette réforme sera limitée, puisque la Sberbank - première banque russe qui collecte environ 70 % de l'épargne - est maintenue hors de ce dispositif jusqu'en 2007 ; elle est néanmoins tenue de constituer un fonds spécifique d'indemnisation auprès de la Banque centrale de Russie. Malgré cette restriction et même si le secteur demeure étroit, l'introduction d'une assurance sur les dépôts devrait stimuler l'épargne et permettre un développement du crédit.

Le secteur des assurances a également bénéficié d'une avancée importante, avec la récente entrée en vigueur d'une loi relevant la part ouverte aux sociétés étrangères de 15 % à 30 % : c'est une réforme majeure, les sociétés étrangères représentant aujourd'hui seulement 4 % du secteur. Les changements apportés autorisent également l'accès des compagnies étrangères au segment de l'assurance obligatoire et de l'assurance-vie. En revanche, les réformes destinées à limiter les interférences bureaucratiques continuent pour l'heure de piétiner. Malgré la création par le président Poutine d'une commission chargée de relancer la réforme administrative, la réforme se heurte à une forte opposition de la part des administrations chargées de les mettre en œuvre, la corruption étant toujours répandue et très rémunératrice.

Ce mouvement de réformes se double d'une politique d'ouverture, dont l'emblème le plus symptomatique est évidemment l'accord conclu avec l'Union européenne sur l'entrée de la Russie dans l'OMC que nous avons évoqué précédemment. Avec ce compromis, ce sont plus de dix années de discussions qui se sont achevées, le processus de négociation d'accession de la Russie à l'OMC ayant été entamé en 1993. Sans revenir sur le détail de l'accord, il est important de prendre la mesure du potentiel énorme de croissance qu'il recèle et du tournant pour les relations économiques UE-Russie qu'il représente. Ainsi, l'offre tarifaire russe améliore les perspectives d'accès au marché russe pour les entreprises européennes, les droits moyens s'élevant à 7,6 %, contre 11 % aujourd'hui. C'est notamment dans deux secteurs importants pour les industriels européennes que les droits seront notablement abaissés : l'automobile (diminution progressive de 25 % à 15 % pour les véhicules neufs) et l'aéronautique (réduction de 20 à 12,5 % pour les longs courriers). Notons par ailleurs que la Russie a pris des engagements d'ouverture sur un grand nombre de services, notamment financiers, de télécommunications, de transports, de poste, de distribution et de tourisme.

Même le secteur stratégique du pétrole n'échappe pas au mouvement d'ouverture économique : l'affaire Youkos et le gel par le gouvernement russe de 40 % des actions de cette société ne doivent pas faire oublier l'accord conclu en février 2004 entre British Petroleum et la compagnie pétrolière russe TNK. Dans un paysage russe pétrolier en pleine recomposition, il est évidemment difficile de déterminer si cette ouverture est ponctuelle ou, au contraire, durable. Plus symptomatique encore est l'autorisation donnée par le Président russe, le 14 septembre dernier, de libéraliser les actions de cet « État dans l'État » qu'est la compagnie monopolistique Gazprom : certes, dans le même temps, une augmentation de la part de l'État russe dans le capital de cette société, de 38 % à 50 %, a été annoncée ; reste que ce geste touchant à une entreprise qui représente 8 % du PNB russe est un signe supplémentaire qu'en matière économique, l'ouverture prévaut en Russie.

b) Le champ politique : le raidissement

« La Russie a fait son choix il y a dix ans. La Russie veut être et sera un pays démocratique, à économie de marché, à orientation sociale (...) Pour nous, démocratie et stabilité ont la même importance ». Malgré ces déclarations du Président Poutine le 24 septembre dernier, à la suite des événements de Beslan, ce sont pour le moins des signaux ambigus qu'envoie la Russie quant à son évolution politique et sociale, au contraire du message d'ouverture clair qui prévaut dans la sphère économique.

L'indicateur privilégié de mesure du dynamisme de la société civile est pour beaucoup la situation des médias : comment exerce-t-on le métier de journaliste en Russie en période de restauration de la verticale du pouvoir, c'est-à-dire de reprise en main des différents leviers de commandes ?

La situation des médias est contrastée : si la presse écrite a pu accroître son espace d'expression dans les années récentes, la presse audiovisuelle reste, en revanche, largement contrôlée, à de rares exceptions telles que la radio Echo de Moscou, dont la diffusion dans le pays est cependant limitée. Les rapporteurs, qui ont participé à une émission radiophonique sur cette antenne, ont pu en constater le travail extrêmement professionnel et la liberté de ton. Mais à l'évidence, la situation des télévisions est problématique dans un pays où seule la télévision d'État est en mesure de couvrir l'ensemble du territoire. Les journalistes russes dénoncent d'ailleurs ce phénomène : ainsi, le 25 septembre dernier, une trentaine de journalistes et de présentateurs de télévision russes ont signé une déclaration protestant contre la censure en Russie et mettant en avant « une censure de fait, l'autocensure, les licenciements, la fermeture de certaines émissions. On tente de nous imposer une ligne officielle à la place de l'actualité, de la propagande à la place des discussions libres ».

Rédigée au lendemain de Beslan, cette protestation porte évidemment la marque de la censure qui a frappé les images de la débandade après l'assaut contre l'école de Beslan. Elle s'inscrit toutefois dans un mouvement tendanciel, si l'on en croit le sentiment de la plupart des experts. Ainsi, pour Mme Marie Mendras, les restrictions apportées à la liberté d'expression des médias vont de pair avec un resserrement général de l'espace public. Elle estime que « le jeu politique en Russie s'est refermé, l'espace public s'est rétréci sans toutefois voir disparaître la critique et l'expression protestataire »(11). Dans ce contexte, c'est « une situation d'entre-deux, ni tolérante et respectueuse des droits de l'Homme, ni systématiquement répressive » qui caractérise l'exercice de la profession journalistique : « un journaliste indépendant peut travailler à peu près librement - certains sujets d'investigation sont dangereux, notamment sur le risque nucléaire et l'armée - mais en sachant qu'il peut, un jour, être dissuadé de continuer ». La question des médias en Russie ne se pose donc pas tant en termes de censure qu'en termes d'accès à l'information, notamment pour les couches moyennes et modestes : l'« hiatus croissant entre l'information pour le Russe moyen, très dépendant des télévisions gouvernementales, et le Russe plus éduqué ou plus riche qui peut accéder aux satellites et à l'Internet » pose un véritable problème au regard de l'objectif de construction d'une société civile digne de ce nom.

De même, l'organisation Reporters sans frontières dresse un bilan préoccupant de la situation des médias en Russie dans son rapport annuel pour 2004 : « La situation s'est encore dégradée en Russie en 2003. A l'occasion des élections législatives, les autorités ont instrumentalisé les médias publics et entravé une libre couverture de la campagne pour s'assurer la victoire, en particulier dans certaines Républiques du Caucase. Un journaliste a été kidnappé en Tchétchénie et un autre condamné à une peine de prison ferme pour diffamation. (...) Dès le mois d'août, le Kremlin a repris en main l'institut de sondages public VTSIOM. Les chaînes d'Etat RTR et publique ORT ont ouvertement soutenu le parti proKremlin. En juin, le Conseil de la Fédération a adopté des amendements au code électoral qui, faute d'une définition précise de la propagande électorale, empêchaient une libre couverture des élections par les médias. Quelques jours avant le début de la campagne officielle, ces amendements ont été jugés anticonstitutionnels. Dans certaines régions particulièrement peu démocratiques, les autorités ne se sont pas embarrassées de moyens légaux pour faire pression sur les médias d'opposition ou indépendants. En République de Bachkirie, la presse indépendante avait quasiment été réduite à néant en fin d'année ».

La situation des médias en Russie est l'un des éléments récurrents des déclarations de l'Union relatives à ses relations avec la Russie. « Le pluralisme des médias est un élément essentiel d'une société moderne et démocratique » peut-on lire dans le communiqué conjoint publié à l'issue du sommet UE-Russie du 3 octobre 2001. En 2003 encore, la Présidence, au nom de l'Union, s'est émue de la décision des autorités russes d'interrompre les émissions de la chaîne de télévision TVS, mettant l'accent sur « les répercussions négatives sur la pluralité des médias, qui est un élément essentiel des valeurs sur lesquelles s'appuie le partenariat entre l'Union européenne et la Russie »(12).

C'est en filigrane la question récurrente de la « démo-compatibilité » de la Russie qui est posée. Les arguments en sont connus : il serait à la fois injuste et irréaliste d'imposer à la Russie de parvenir en quinze ans au bout du chemin parcouru par les grandes démocraties occidentales en un siècle. En outre, reconnaissons que la « thérapie de choc » prônée au sortir de la période soviétique n'a pas contribué à la promotion de la démocratie, la liberté civile et politique s'étant accompagnée d'une liberté économique qui, faute d'un encadrement réglementaire et législatif, s'est transformée en anarchie. Enfin, il est évident qu'une certaine condescendance occidentale n'est pas faite pour convertir la Russie à l'idéal démocratique. A cet égard, la confusion entre démocratie et standardisation normative que l'Union européenne peut donner l'impression de promouvoir n'est pas heureuse : elle tend en effet à assimiler la démocratie à des règles types, à un « prêt-à-se-comporter », qui n'ont assurément que peu à voir avec l'esprit de la démocratie libérale.

C'est certainement cette conjonction de circonstances qui a rendu l'opinion publique russe circonspecte à l'égard de l'idée démocratique. Qu'il y ait une voie russe vers la modernité était ainsi l'opinion de 60 % des personnes interrogées à l'occasion d'un sondage réalisé à l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, en janvier 2000. « L'idée que la démocratie n'est pas faite pour la Russie se répand » (13) : de fait, selon ce même sondage, « l'attachement aux "droits économiques" (minimum vital, droit à la propriété privée et droit au travail que 80 % des personnes interrogées estiment très importants) et aux droits de la personne (protection contre l'arbitraire pour 60 %), prime sur les droits politiques (liberté de parole, de conscience, de réunion), mis en avant par plus de 20 % des sondés. Interrogés sur leurs craintes, les Russes mentionnent deux fois plus souvent le chaos et l'anarchie que la dictature » (14).

c) La politique étrangère : l'influence plutôt que la domination

Contrairement à son prédécesseur, le Président Poutine ne développe pas de rhétorique sur la puissance de la Russie mais s'attache à l'inscrire dans des actes.

Cette évolution de la doctrine russe apparaît nettement dans la politique menée à l'égard des Etats de l'étranger proche. Le Président Boris Eltsine martelait en permanence à l'Occident que ces pays dépendaient de la sphère des intérêts vitaux de la Russie, sans toutefois conforter ce discours par un travail diplomatique de terrain, au jour le jour. Vladimir Poutine a opté pour une rhétorique beaucoup plus mesurée, des modes d'action beaucoup moins déclamatoires, ne se référant que ponctuellement à la notion de sphère d'influence, tout en affichant une attitude coopérative à l'égard de l'implication de l'Occident dans ces Etats. Jusqu'à la crise ukrainienne du moins.

Discrétion n'est nullement synonyme de faiblesse, tant s'en faut : sur le terrain, de manière aussi discrète qu'efficace, toutes les armes disponibles sont utilisées, y compris la pression, pour renforcer les liens multiples avec ces pays. Le Président Poutine a retenu la leçon de l'échec de Boris Eltsine dont les projets grandioses dans l'étranger proche se sont effondrés avec la défaite militaire en Tchétchénie, qui a rappelé aux voisins de la Russie que celle-ci ne disposait plus des moyens coercitifs du passé. D'où le choix de l'influence plutôt que la domination avec, comme vecteur privilégié, l'instrumentalisation systématique de la situation de dépendance énergétique qui caractérise de facto la relation de ces pays à la Russie.

C'est ainsi que Moscou s'est constitué une véritable « aire d'influence gazière » : toutes les méthodes sont utilisées, qui vont de la coupure de l'approvisionnement (Géorgie, Arménie), aux tentatives pour acculer les compagnies locales à la faillite, pour ensuite les racheter à bas prix. Ce chantage au gaz s'est doublé d'une stratégie d'infiltration économique dans le capital des sociétés des pays concernés, dans le but d'acquérir la majorité des droits de vote. A l'étranger, la Russie est effectivement un ardent défenseur de la privatisation du secteur gazier, alors que, sur son territoire, elle entend conserver le monopole de Gazprom... Cette stratégie se heurte toutefois à de fortes réticences de la Biélorussie qui, tout en ayant in fine cédé aux pressions de Gazprom en acceptant la privatisation du monopole public gazier, multiplie les contretemps et garde-fous. Le dernier épisode en date a vu Minsk introduire des conditions de privatisation telles qu'elle priverait de facto Gazprom du contrôle de la compagnie. Reste que les succès diplomatiques sont là : le principal d'entre eux est constitué par le contrat de 25 ans signé en avril 2003 avec le Turkménistan, principal pays producteur de la région en dehors de la Russie ; de même, des contrats de transit de gaz ont été conclus, pour quinze ans, avec le Kazakhstan, le Kirghizstan et l'Ouzbékistan.

La même stratégie est appliquée en matière pétrolière : dans la CEI, la Russie non seulement est le plus important producteur pétrolier mais détient également le monopole du transport des hydrocarbures, en plus d'être le seul fournisseur de ressources énergétiques de ces pays. Au Turkménistan, en Ouzbékistan, en Azerbaïdjan et au Kazakhstan, la Russie bénéficie par conséquent, en matière énergétique, d'une position exclusive.

Elle est également très présente dans des pays désormais membres de l'Union européenne. Ainsi, en Lituanie, les parts de la raffinerie Mazeikiu Nafta ont été cédées, en 2002, par l'américain Williams à Youkos, de sorte que la filière pétrolière lituanienne, c'est-à-dire la première entreprise du pays, qui réalise un chiffre d'affaires représentant 10 % du PIB de la Lituanie, est désormais sous contrôle russe. A Ventspils, en Lettonie, les tentatives de Transneft pour mettre la main sur ce terminal ayant échoué, la Russie a choisi l'option du blocus, qui coûte des dizaines de millions d'euros au budget letton. On constatera au passage que l'échec complet de la tentative d'autonomie énergétique balte et le lien établi par la Russie entre stratégie énergétique et politique étrangère : la méthode est policée en Lituanie, qui entretient, avec la Russie, une relation de sérénité prudente ; c'est au contraire le rapport de force brutal et le chantage qui prévaut avec la Lettonie, le pays balte où le rapport à la Russie est certainement le plus conflictuel et le plus complexe.

Les relations avec l'Ukraine constituent sans aucun doute le cas d'école le plus parlant de la méthode Poutine(15). Vis-à-vis de ce pays aussi, faisant fi des grandes déclarations, Moscou choisit de jouer sur l'arme la plus efficace dont il dispose : l'arme énergétique, dont l'efficacité est garantie par la dépendance ukrainienne à l'égard du gaz russe (à hauteur de 80 %) et du pétrole (40 %). Sous le premier mandat de Vladimir Poutine, la dette gazière ukrainienne a été systématiquement instrumentalisée : en 1999 et 2000, effacement de 100 millions de dollars de dette par an contre un bail sur 80 % des installations militaires de Sébastopol en faveur de la Russie, 285 millions de dollars de remise contre la rétrocession de bombardiers stratégiques et de 600 missiles de croisière ; tentative - manquée, l'Ukraine ayant opposé ses intérêts de souveraineté - d'effacement de l'intégralité de la dette en échange de prises de participation russes dans plusieurs entreprises ukrainiennes ; menace de construction d'un gazoduc de dérivation via la Pologne et la Slovaquie, Gazprom accusant l'Ukraine de siphonner le gaz transitant sur son territoire à destination de l'Europe - 90 % des exportations gazières russes vers l'Europe transitent par l'Ukraine. L'arme économique est également largement utilisée et l'on observe d'importantes prises de contrôle, par des capitaux russes, d'entreprises ukrainiennes intervenant dans les secteurs de la métallurgie, de la chimie, de l'énergie, de la finance, des médias ou des télécoms. Ainsi, les compagnies pétrolières russes Loukoïl et TNK contrôlent les quatre principales raffineries du pays ainsi que le réseau de distribution d'essence.

Le rapport de forces n'est cependant pas univoque.

D'abord parce que c'est en Ukraine que passent des oléoducs et des gazoducs d'un intérêt stratégique majeur pour la Russie, car desservant l'Union européenne. En effet, aujourd'hui, deux grands oléoducs arrivent en Ukraine : à l'ouest, le tracé sud du pipeline Droujba, en provenance de Russie, contourne Lviv, pour se diriger vers la Slovaquie, la Hongrie et la République tchèque ; à l'est, un oléoduc, également en provenance de Russie, longe le Dniepr, pour arriver à Odessa où le pétrole est évacué par la Mer Caspienne. C'est donc le pétrole russe qui transite par cette voie et, à ce titre, l'Ukraine touche près de 500 millions de dollars par an, que la Russie règle essentiellement en pétrole et gaz.

Par ailleurs, l'Ukraine multiplie les tentatives pour échapper au monopole russe : un contrat a été conclu avec le Turkménistan, ce qui représente toutefois une émancipation relative, le gaz turkmène étant acheminé via des pipelines qui passent par la Russie. Mais c'est essentiellement le projet d'oléoduc lancé par l'Ukraine au début des années 1990 qui pourrait conduire à une - véritable cette fois - émancipation de l'Ukraine : il s'agit d'un pipeline reliant Odessa à Brody, qui permettrait de transporter vers l'Europe le pétrole caspien extrait en Azerbaïdjan, au Kazakhstan, au Turkménistan et en Russie. Ce qui est en jeu, c'est tout simplement le monopole russe de transport du pétrole de la Caspienne, monopole déjà attaqué par le nouveau pipeline Bakou-Tbilissi-Ceyhan. Qui plus est, la Russie est confrontée à des problèmes de sécurisation de ses propres voies d'évacuation : en effet, le pipeline russe Bakou-Novorossisk suit deux tracés passant, pour le premier, par la Tchétchénie, et pour le second, par le Daghestan. La situation en Tchétchénie a contraint les Russes à limiter le transit par la Tchétchénie ; quant à l'autre tracé, il avait subi un plasticage au Daghestan, en 1999. D'où les pressions russes sur l'Ukraine pour que celle-ci inverse le sens du pipeline Odessa-Brody, c'est-à-dire conforte la stratégie monopolistique de la Russie et joue son traditionnel rôle stratégique de débouché sur la mer pour le compte de la Russie.

b. - l'avenir : retour vers le passé ou engagement dans la modernité ?

Pour Zbigniew Brzezinski, la Russie ne peut être à la fois un Empire et une démocratie. Or, elle est nostalgique du premier et largement ignorante, mal à l'aise avec la seconde. La réaction russe dans la crise ukrainienne semble en outre indiquer qu'elle voit dans la démocratisation de son étranger proche un risque de remise en cause de sa capacité d'influence, comme si ces deux éléments étaient imbriqués dans un jeu à somme nulle. Cette conception rejoint en réalité le dilemme permanent de l'histoire moderne de la Russie : la consolidation du statut de grande puissance européenne passe-t-elle par l'ouverture à l'Europe et à ses valeurs, au risque d'une remise en cause de la culture politique et de la dilution de l'identité russes, ou par le repli, au risque de l'isolement international et de l'affaiblissement ?

Ce double visage de la Russie sur lequel l'observateur de la politique russe bute continuellement et dont la crise ukrainienne fournit encore un exemple, invite à s'interroger sur son avenir. La communauté internationale a cru, avec le premier mandat de Poutine, qu'enfin, la Russie était stabilisée, qu'enfin, elle suivait une trajectoire linéaire vers la démocratie et l'économie de marché. Aujourd'hui, le scénario de la transition revient au premier plan, appellation optimiste pour qualifier nos interrogations sur l'avenir de ce pays qui, une fois encore, balance entre exceptionnalisme et normalisation. Interrogations d'autant plus légitimes au vu de l'extrême personnalisation du pouvoir en Russie : la Russie de Poutine n'étant pas celle de Eltsine, il faut se demander ce qu'il en sera de l'après-Poutine, l'actuel Président ne pouvant, selon les termes actuels du droit russe, postuler pour un troisième mandat. Or, nul successeur ne se dessine à ce jour.

S'il est difficile de trancher sur le scénario qui primera, certaines données permettent cependant de dresser le tableau des atouts et contraintes qui pèseront sur la Russie dans les quinze années à venir.

1) Culte de l'exception russe ou virage décisif vers la normalité ?

a) Le scénario de l'exceptionnalisme

Si l'on pouvait encore croire, sous le premier mandat de Poutine, que la Russie avait enfin trouvé une synthèse résolvant les dilemmes récurrents de son histoire, un certain nombre de clignotants s'allument depuis la début de l'année 2004, qui conduisent à s'interroger sur l'évolution de la Russie de Poutine, et au-delà. De fait, l'affaire Youkos, dans le domaine économique, les événements en Tchétchénie et ses conséquences dramatiques comme à Beslan, la réforme administrative de Poutine, l'Ukraine enfin constituent autant de points d'interrogation sur l'avenir de la Russie : si en soi, chacun de ces événements n'est pas nécessairement porteur de sens - après tout, l'affaire Youkos pourrait être interprétée comme un signal envoyé aux oligarques -, leur conjonction dessine le visage d'une Russie qui renoue avec le centralisme - économique, politique, impérial. Evolution ô combien en marge des schémas dominants de la globalisation ! D'où le choix de ce terme d'exceptionnalisme que nous avons choisi pour qualifier un scénario qui verrait se multiplier ce type de démarches.

D'ores et déjà, la situation intérieure en Russie présente des caractéristiques tout à fait spécifiques, qui en font un pays assurément « à part » en Europe. Qu'est-ce, en effet, que cette « démocratie contrôlée », « illibérale » (16) qui prévaut aujourd'hui en Russie, sinon un nouveau paradigme ? Tel est également le sens du jugement porté par l'OSCE lors des élections législatives en Russie du 7 décembre 2003, qui évoquait alors des élections « libres mais inéquitables ». Cette spécificité concerne également la sociologie du personnel politique, dominé par la montée en puissance de ceux que l'on appelle les siloviki, ces membres, actuels ou anciens, des services de sécurité et des institutions militaires arrivés au pouvoir sous Eltsine.

En termes de politique étrangère, le scénario de l'exceptionnalisme se caractériserait par une Russie donnant la priorité à une stratégie de puissance, quitte à sacrifier à cette fin ses relations commerciales et financières avec l'extérieur. Telle n'est certainement pas l'orientation suivie aujourd'hui mais cette évolution ne peut être exclue dans la mesure où le positionnement énergétique de la Russie pourrait lui permettre de s'assurer une rente, certes de court et moyen terme, mais néanmoins importante. Dans un tel scénario, la Russie reviendrait à une politique agressive vis-à-vis de l'étranger proche, opportuniste avec l'Union européenne, les Etats-Unis et l'Asie, jouant de ses atouts énergétiques dans une politique étrangère tous azimuts.

Dans ce scénario, le principal point d'interrogation porte sur l'attitude des Etats-Unis, seuls, du fait de leur prédominance, à pouvoir peser sur la Russie. Toute la question est de savoir jusqu'où les Etats-Unis sont prêts à maintenir l'alliance américano-russe autour de la guerre contre le terrorisme.

La crise ukrainienne fournit un début de réponse. La position américaine à cette occasion a plutôt révélé, jusqu'alors du moins, une Amérique soucieuse de ménager son partenaire : en dépit des diatribes d'un Poutine dénonçant les tentatives « extrêmement dangereuses (...) de transformer la civilisation créée par Dieu, à plusieurs visages, plurielle, (...) selon les principes d'un monde unipolaire », le 4 décembre dernier, les Etats-Unis ne sont pas intervenus en première ligne et soutiennent la démarche d'apaisement et de médiation de l'Union. Reste que, en dépit de la réelle qualité de la relation humaine entre les Présidents Bush et Poutine, cette alliance suscite nombre de questions à Washington, notamment depuis Beslan. Les Etats-Unis sont aujourd'hui tiraillés entre le prix qu'ils accordent à l'engagement russe dans la lutte contre le terrorisme et l'incompréhension croissante dont font l'objet les évolutions de la politique intérieure et extérieure de la Russie. Ces doutes n'apparaissent pas encore au grand jour mais jusqu'à quand ? Qu'en sera-t-il après 2008, quand un nouveau président s'installera à la Maison blanche ? Quel sera le poids de l'intérêt américain pour les ressources énergétiques russes ? Quoi qu'il en soit, du côté russe, toutes les tentatives des pays de l'étranger proche pour échapper à la zone d'influence de Moscou sont et seront considérées comme des manœuvres en sous-main de Washington : telle fut la grille de lecture de la « révolution des roses » en Géorgie, telle est celle de la crise ukrainienne. Et le Président Poutine sait bien que le renforcement de la présence militaire en Asie centrale le sert, à court terme, pour contrer les mouvements islamistes, mais peut, à moyen et long terme, se révéler une arme à double tranchant.

Une telle évolution pourrait-elle pousser la Russie à jouer davantage la carte asiatique ? De fait, comme le rappelle le voyage en Inde du Chef du Kremlin, au début de mois de décembre 2004, la Russie mène une diplomatie active en Asie. Faut-il pour autant y voir un éventuel risque de basculement de la Russie vers l'Asie ? Le scénario d'une Russie qui renouerait avec les heures les plus anciennes de son histoire fait partie des « serpents de mer » de la relation entre l'Europe et la Russie. Certains interlocuteurs rencontrés à Moscou par la mission n'ont d'ailleurs pas manqué de s'y référer. Ainsi, M. Konstantin Kossatchev, Président de la Commission des affaires étrangères de la Douma, a esquissé le scénario d'une Russie qui « pourrait à terme se tourner davantage vers l'Asie. Sans doute, aujourd'hui, l'Europe paraît-elle s'imposer comme un partenaire privilégié de la Russie, dans la mesure où elle représente 51 % du commerce extérieur russe. Mais rien n'exclut qu'en 2014, la Chine aura un poids économique tel pour la Russie que son poids politique en sera revalorisé d'autant. Pays certes européen, la Russie ne peut pour autant écarter un tel rapprochement avec la Chine. »

Théoriquement possible, ce scénario d'un exceptionnalisme qui passerait par l'« asiatisation » de la Russie ne paraît guère probable. Partenaire certes important pour Moscou, la Chine est avant tout un partenaire « difficile » (17). Or, cette difficulté ne pourra que s'accroître avec le temps, du fait de la disparité et de la connexité des forces en présence : si, avec la Russie, l'Europe a un grand voisin, la Russie dispose, avec la Chine, d'un très grand, et très gros, voisin. D'ores et déjà, la présence chinoise dans l'Extrême-Orient russe se fait de plus en plus visible et, à l'évidence, elle ne cessera de croître au fur et à mesure que la Chine, puissance régionale, rejoindra le statut de puissance mondiale qui lui est promis. Le scénario d'une Russie, ou du moins d'une Sibérie, sous influence chinoise est-il réellement celui que souhaite une Russie en quête perpétuelle de puissance ?

b) Le scénario de la normalisation

A l'opposé du spectre, il faut évoquer un autre scénario, qui verrait, d'une part, la Russie s'ancrer aux valeurs occidentales et, d'autre part, mener une politique étrangère préférant la stabilité régionale à l'ingérence et appuyée sur une relation privilégiée avec l'Union européenne.

Ce scénario est, tout autant que le précédent, en germe dans la Russie de 2004. Ce « désir d'Europe » de la Russie remonte évidemment très loin dans l'histoire russe. Dans l'histoire récente, il a culminé avec la révolution gorbatchévienne. En 1988, V. Loukine, diplomate du MID et ancien Président de la Commission des affaires étrangères de la Douma, écrivait ainsi : « Par Europe, nous devrions entendre non pas seulement un phénomène politique mais aussi un art précis de vivre, de penser, de communiquer avec les autres peuples [...]. La « maison commune européenne » est la maison d'une civilisation à la périphérie de laquelle nous sommes longtemps restés. Le processus qui se développe aujourd'hui dans notre pays et dans un certain nombre de pays de l'Est, revêt partout la même dimension historique, à savoir la dimension d'un retour vers l'Europe »(18).

Le Président Poutine ne renie pas cet héritage de la mémoire russe, tout au contraire. La profession de foi européenne qu'il prononce en mars 2000, est, à cet égard, particulièrement convaincante : « nous faisons partie de la culture européenne occidentale. C'est en fait là que résident nos valeurs. Quel que soit l'endroit où vivent les nôtres - Extrême-Orient ou sud - nous sommes Européens ».

Paradoxalement, la crise qui se déroule aujourd'hui en Ukraine pourrait aider la Russie à s'engager dans le scénario de la normalisation : l'électrochoc que représente la révolution orange pourrait, en effet, conduire Moscou à considérer ses relations extérieures à travers le prisme du principe de réalité. Derrière une rhétorique très dure, le Président Poutine reste, en effet, un pragmatique, très bon connaisseur qui plus est des réalités ukrainiennes et européennes. Il est parfaitement à même de comprendre que, loin de résulter d'un complot occidental fomenté d'en haut, loin d'exprimer une quelconque hostilité vis-à-vis des Russes, la révolution en cours en Ukraine est « seulement », pourrait-on dire, l'expression d'un choix de société, un choix indépendant du facteur russe, la Russie bénéficiant même, dans l'intelligentsia ukrainienne largement russophone, d'un fort capital de sympathie. Notamment, la mise en cause des oligarques par Vladimir Poutine a été très vivement appréciée en Ukraine. L'absence de nostalgie de l'empire et du centralisme qui en découlait ne signifie donc nullement indifférence à l'égard de Moscou, et encore moins hostilité.

La Russie a donc tout à perdre d'une attitude rigide et par trop intrusive dans la crise ukrainienne - le Président Poutine risquant, pour sa part, son image d'homme intègre et pourfendeur de la corruption. Les déclarations brutales d'un Loujkov au congrès régional de Severo Donetsk ne peuvent que contribuer à nourrir le désarroi des russophones d'Ukraine ainsi que l'opposition des partisans de M. Youtchenko. En bref, ni l'opposition ni le parti au pouvoir ne trouveront profit à une radicalisation de la position russe, chacune des parties espérant au contraire voir la Russie calmer le jeu.

Ce que nous montre la crise ukrainienne, c'est que la Russie ne pourra s'engager dans le scénario de la normalisation qu'au prix d'une révolution mentale. La Russie doit, à cet égard, à départir du schéma de jeu à somme nulle selon lequel ce qui, à ses yeux, serait favorable à l'Ukraine aurait, pour elle, des conséquences négatives : que l'Ukraine dispose d'institutions démocratiques ne signifie pas mécaniquement qu'elle bascule dans un camp ou dans l'autre, de même que, sur le plan intérieur, élargir l'espace démocratique n'implique pas nécessairement affaiblir l'État. Sans doute est-ce là un mode de raisonnement très propre à l'Union européenne mais il existe, de fait, des schémas « gagnant-gagnant », c'est-à-dire des solutions profitables à tous, surtout entre des pays qui ont d'importants intérêts en communs, tels que la Russie et l'Ukraine.

2) Les certitudes

Esquisser le scénario d'évolution de la Russie à dix ou quinze ans n'est pas un exercice aisé : qui, en 1994, était capable de dessiner les contours de la Russie de 2004 ? Il n'en reste pas moins que la Russie s'engage actuellement dans des processus difficilement réversibles, qui l'ancrent dans le système international. Notamment, les efforts entrepris par la Russie en vue de son accession à l'OMC doivent tout autant à sa volonté de donner des signes tangibles de son intégration dans la communauté internationale et de figurer au nombre des pays développés qu'aux retombées économiques positives qu'elle attend de cette intégration. Sans doute n'existe-t-il pas de choix irréversibles ; à tout le moins peut-on parler d'orientations durables.

Ces choix de moyen et long terme s'inscrivent dans un contexte dans lequel coexistent, à cette même échéance, des contraintes et des atouts. Trois éléments nous paraissent à cet égard susceptibles de peser sur les choix que fera la Russie dans les années à venir : un atout ambigu, avec les ressources énergétiques dont la Russie dispose et les contraintes de moyen terme qu'elles font peser sur l'économie ; une contrainte de long terme, avec la situation démographique.

a) Les ressources énergétiques : un atout ambigu

« L'énergie est la seule arme dont dispose la Russie sur les marchés
internationaux
 » (
19). Seule arme, certes mais de choix, ainsi que le montrent les pages qui précèdent. N'est-ce pas, cependant, une arme à double tranchant ?

L'efficacité de cette arme n'est pas donnée. Notamment, le niveau d'investissements requis pour la nécessaire modernisation du secteur est extrêmement élevé et dépasse largement les capacités russes. Selon le document russe relatif à la stratégie énergétique 2001-2020, ce sont 450 à 600 milliards de roubles qui devront être investis dans ce secteur afin de renouveler une infrastructure vieillissante et de soutenir la croissance économique annuelle de 4 à 5 % ; sur ce total, 150 milliards de roubles devront être investis d'ici à 2010, la Russie comptant sur un financement par les investissements étrangers à hauteur de 30 %. Notons qu'aujourd'hui, les investissements dans ce secteur représentent moins de la moitié de leur niveau de 1990.

S'agissant de la production, le secteur pétrolier paie les effets du sous-investissement massif dans la recherche géologique et le forage en profondeur des années 1990. Notamment, les gisements de Sibérie orientale nécessiteraient des investissements colossaux pour être exploités. Sans investissements étrangers, la Russie ne pourra maintenir son niveau de production pétrolière au niveau actuel que pendant une durée maximale de dix ans. Au-delà, la production diminuera massivement.

Pour ce qui concerne le transport des produits pétroliers, il convient de rappeler que les pipelines russes ont été construits dans les années 1960 et 1970. Du temps de l'Union soviétique, Transneft transportait environ 600 millions de tonnes de pétrole par an ; aujourd'hui, on est au tiers. Malgré tout, les pipelines existants, faute d'entretien du réseau, sont surchargés, les capacités d'utilisation avoisinant les 90 % en 2003. Or, la question du transport d'hydrocarbures est essentielle pour la Russie, ainsi que le rappelait le Premier Ministre Kassianov en 2003 : « c'est un sujet stratégique pour l'État, pas un sujet de débat ». D'où les tentatives systématiques de la Russie de faire échouer tous les projets de transit contournant le territoire russe.

L'enjeu des routes de l'exportation du pétrole se résume ainsi pour la Russie : captive d'un marché (Europe et Méditerranée) du fait de la configuration des actuelles voies de sorties (Caspienne et Baltique), la Russie doit diversifier son marché à l'exportation, tout en conservant le contrôle des routes dans les États issus de l'ex-URSS. Au sud, cette diversification passe par un débouché sur l'océan Pacifique ; au nord, par Mourmansk, ce qui implique des spécifications techniques différentes (port en eau profonde, tankers plus gros et plus économiques) et donc de très lourds investissements. Néanmoins, la distance entre Mourmansk et les Etats-Unis étant inférieure à celle entre le Golfe persique et les Etats-Unis, c'est là un enjeu majeur.

En matière gazière, il n'existe pas d'alternative au transport ferroviaire, de sorte que tout le système d'exportation est centré sur l'Europe. Pourtant, du fait de la situation financière difficile de Gazprom, liée à l'existence de prix sous-évalués sur le marché intérieur, qui handicape un effort d'investissement pourtant nécessaire pour le renouvellement de l'outil de production, la Russie doit diversifier ses clients. A cet égard, seul l'aboutissement des projets en matière de liquéfaction devrait permettre d'atteindre ce résultat - projets dont on notera que l'Union européenne n'a que peu d'intérêts à les voir aboutir.

b) La contrainte économique : sortir du modèle « rentier-exportateur »

Sans doute, grâce au secteur pétrolier et gazier, la croissance élevée se diffuse à l'ensemble de l'économie et permet une reprise de l'investissement. Ainsi, depuis fin 1998, le PIB a augmenté de près de 40 % et le niveau de la production industrielle de 45 % Selon les résultats préliminaires, en 2003, le PIB a progressé de 7,3 % et la production industrielle de 7 % ; l'excédent commercial (biens et services) a atteint 49 milliards de dollars, soit 11 % du PIB, en hausse de 36 %. Le gouvernement russe prévoit une croissance de 6,3 % par an sur les trois prochaines années.

Au-delà de ces bons résultats conjoncturels, l'économie russe souffre toutefois de faiblesses à moyen et long terme, notamment d'une forte dépendance à l'égard du secteur énergétique. Sous peine de connaître une croissance sans développement dans un premier temps, voire de ne plus bénéficier à terme ni de l'une ni de l'autre, la Russie doit restreindre la dépendance de son économie aux ressources énergétiques. De fait, la diversification de l'économie russe figure également au rang des priorités du Président Poutine : pour l'heure, cependant, les résultats insuffisants obtenus en la matière n'ont pas permis à la Russie de sortir du modèle de rentier-exportateur. L'évolution économique de l'année 2003 - année pour laquelle on estime qu'un cinquième de la croissance serait exclusivement due au renforcement des cours du pétrole - fournit un exemple type du fonctionnement de ce modèle :

- une demande tirée par les exportations nettes ;

- des entrées de devises élevées qui favorisent une appréciation réelle du rouble (+18,6 % en 2003 par rapport au dollar) ;

- une hausse soutenue de la consommation (+8 % en 2003), satisfaite en grande partie par une augmentation rapide des importations (+13,6 % en 2002 et +20 % en 2003), en raison de l'appréciation réelle du rouble.

Dans son rapport annuel sur l'économie russe publié en février 2004, la Banque mondiale, sur la base d'un nouveau calcul du PIB de la Russie, estime que l'économie russe est trois fois plus dépendante du pétrole et du gaz que les chiffres officiels ne le laissent penser. Ce serait ainsi la moitié de la production industrielle et 25 % du PIB, voire 30 % selon certains analystes, qui dépendraient de ce secteur. Les exportations pétrolières et gazières représenteraient 47 % du produit total des exportations de biens et services, les secteurs pétrolier et gazier (hors services para pétroliers) contribuant à environ 12 % du PIB et une fluctuation de un dollar du prix du baril entraînant automatiquement une variation de 0,3 point de pourcentage de la croissance réelle.

Le tableau suivant, retraçant la structure des échanges UE-Russie, donne la mesure de la dépendance commerciale de la Russie à l'égard du secteur énergétique.

répartition des échanges russie - union européenne en 2003

(en milliards d'euros)

Exportations UE>Russie

Importations Russie>UE

Produits industriels

11,5

0,4

Transport et équipement

3,9

0,2

Produits chimiques

4,4

2,1

Produits agricoles

3,4

1,9

Energie

0,2

29,3

Textile et habillement

1,7

0,2

Pour diminuer la dépendance énergétique des recettes budgétaires, un fonds de stabilisation a été créé en 2004, qui sera alimenté par les excédents budgétaires et le surplus de recettes pétrolières collecté, dès lors que le cours du baril excèdera 20 dollars. Il sera actionné pour faire face à une baisse prolongée des ressources budgétaires liée à la chute des cours du pétrole mais seulement à partir du moment où son montant dépassera 500 milliards de roubles, soit environ 17 milliards de dollars au cours actuel.

Pour prudente qu'elle soit, cette mesure pourrait être socialement délicate au regard du sous-financement des besoins sociaux. Au nombre des réformes de fond engagées par le Président Vladimir Poutine, figurent en effet d'importantes restructurations de la législation sociale. Certes, en forte baisse en 1998-1999, les revenus réels ont augmenté depuis à la faveur de la croissance. Mais ceux du capital ont crû bien plus vite que les salaires réels. D'où un creusement des inégalités : officiellement, les 20 % des Russes les plus pauvres disposent de 6 % des revenus nationaux, et leurs revenus sont quinze fois moins élevés que ceux des 20 % les plus riches. Un Russe sur cinq (22 % de la population) vit avec moins que ce qui est officiellement défini comme le minimum vital (environ 70 dollars), parmi lesquels, plus particulièrement, les retraités et les employés du secteur public. Si le Président Poutine s'est attaqué au non-paiement des salaires, la dette salariale croissait de nouveau en 2003, le remboursement de la dette extérieure et la baisse des impôts s'opérant au détriment des salaires des travailleurs d'Etat et des dépenses sociales. Ces dernières n'ont pas augmenté entre 2000 et 2003, où elles représentaient 2, 7 % du PIB. La retraite moyenne atteint à peine 20 % du minimum vital, ce qui a légitimé, à l'été 2001, l'introduction de la retraite par capitalisation. Quant aux dépenses de santé de l'État, elles ne représentent que 0,2 % du PIB, alors que les hôpitaux n'ont pas de quoi acheter les médicaments nécessaires. Le mécontentement populaire qui s'est exprimé, à l'été 2004, lors de la discussion du projet de loi visant à mettre fin à de nombreux avantages sociaux hérités de l'époque soviétique a révélé l'ampleur du malaise social en Russie : cette réforme sociale du Kremlin vise à mettre fin à toute une série d'avantages dont bénéficient des millions de Russes (héros du travail, héros de la Russie, vétérans, invalides à différents degrés...), telle la gratuité des transports, de certains médicaments, ou encore des tarifs subventionnés pour les communications téléphoniques. L'objectif est de les remplacer par des aides financières versées chaque mois, en vue d'aider, au final, les plus nécessiteux, et non d'assister les deux tiers de la population. Selon un sondage publié en juillet 2004 par l'institut Romir, 58 % des Russes étaient contre la suppression des avantages et 25 % pour leur suppression partielle. Seuls 14% étaient d'accord avec les propositions du gouvernement. 66% des personnes interrogées étaient prêtes à soutenir les syndicats dans leur lutte contre cette réforme, selon ce sondage réalisé en juin auprès de plus de 2000 Russes.

S'il est certain que, comme l'ont souligné de nombreux experts, le système social russe était inefficace et aurait dû être restructuré depuis longtemps, il n'en reste pas moins que, dans un tel contexte, l'excédent budgétaire de 1,7 % du PIB dégagé en 2003 ne va pas de soi et conduit à s'interroger sur la priorité réellement accordées aux réformes sociales.

Au total, l'objectif, fixé en 2003 par le Président Poutine, de doublement de la richesse nationale sur dix ans, ne pourra être atteint qu'au prix d'une accélération de la mise en oeuvre des réformes structurelles. Dans ce cadre, la réduction de la dépendance à la conjoncture internationale repose sur la progression de l'investissement permettant une diversification de la production nationale et une meilleure adaptation à la concurrence des produits importés. Autant d'hypothèses qui ne rendent guère soutenable le scénario d'une Russie qui, cultivant son exceptionnalisme, se marginaliserait sur la scène internationale.

Au-delà des réformes strictement économiques, favoriser la diversification, donc assurer à la Russie un essor économique durable via l'investissement, passe également par la réduction drastique de la corruption. Nul ne peut dénier à Vladimir Poutine le mérite de s'attaquer à ce cancer de l'économie russe, en proclamant en 2000 l'instauration d'une « dictature de la loi ». Pour autant, le phénomène non seulement ne régresse pas mais progresserait même, à en croire certaines organisations non gouvernementales (ONG).

Dans son rapport pour 2004 publié le 20 octobre 2004, l'ONG Transparency International classe la Russie parmi les soixante pays considérés comme ayant une corruption endémique, au même niveau que l'Inde, le Mozambique et la Gambie. L'actualité récente fournit d'ailleurs un exemple saisissant du caractère systématique de la corruption : l'enquête sur l'explosion simultanée des deux avions de ligne russes, le 24 août dernier, a révélé que les deux femmes kamikazes avaient contourné les contrôles de sécurité aéroportuaire moyennant quelques dizaines de dollars de bakchich. Le procureur général de Russie estimait lui-même, en 2003, à 16 milliards de dollars le montant global des pots-de-vin versés dans le pays en un an ; les ONG parlent au moins du double, soit l'équivalent d'un tiers du budget fédéral. Par exemple, l'ONG russe « Union contre la corruption » chiffre à un milliard de dollars le montant des pots de vin versés dans le seul domaine de l'enseignement (pour l'admission à l'université ou les résultats d'examen).

Le centralisme et la verticalité du pouvoir constituent-elles des réponses adaptées à la corruption qui gangrène la Russie ? La mise en œuvre des réformes institutionnelles et politiques est encore trop récente pour qu'il puisse être répondu à cette question. Reste que, à ce jour, jamais le centralisme n'a été synonyme d'efficacité de l'État en Russie, même si les réformes de Vladimir Poutine étaient indispensables au regard du risque de délitement de la Russie au sortir de l'ère Eltsine. De même, l'expérience des démocraties occidentales enseigne que la meilleure réponse à ce fléau s'appelle société civile et débat politique.

c) La démographie, épée de Damoclès

« Pour différentes raisons, notre population décroît aujourd'hui de 750 000 personnes en moyenne par an. Si l'on en croit les prévisions - fondées sur le travail d'experts qui dédient leur vie à cette recherche -, la population de la Russie pourrait perdre 22 millions de ressortissants d'ici quinze ans. Réfléchissez-y. Le septième de la population nationale. Si cette tendance persiste, c'est la survie même de la nation qui est en jeu. Nous courons le danger de voir notre nation vieillir. » C'est en ces termes dramatiques que le Président Vladimir Poutine s'est adressé à ses compatriotes lors de son premier discours à la Nation.

De fait, la situation démographique de la Russie constitue le principal handicap de se croissance future et, par là même, de sa puissance future. La faiblesse russe est, en l'occurrence, double.

En premier lieu, la Russie est confrontée à un phénomène de décroissance de sa population. Selon un récent rapport du National Bureau of Asian Research, organisation non gouvernementale située à Seattle, aux Etats-Unis, ce serait environ 3 % de la population russe qui aurait disparu depuis la chute de l'URSS, du fait d'un taux de fécondité extrêmement bas et d'un taux de mortalité dramatiquement élevé. Le pic de population de la Russie aurait ainsi été atteint en 1991, avec 148,689 millions d'habitants. Cette évolution est d'autant plus préoccupante que la Russie a bénéficié, au début des années 1990, d'un important mouvement d'immigration.

Sans doute, comme le montrent les travaux du Conseil de l'Europe, la Russie n'est pas le seul État européen à enregistrer un nombre supérieur de décès par rapport aux naissances : en Italie, par exemple, l'écart reste étroit, avec 103 décès pour 100 naissances vivantes ; en Russie, toutefois, l'écart est considérable, puisque l'on compte 170 décès pour 100 naissances vivantes. En termes de fécondité, alors que le seuil de renouvellement de la population est estimé à 2,33 enfants par femme, le taux de fécondité s'établissait en 2001 à 1,17, ne cessant de décroître depuis 1986, où il atteignait 2,19 enfants par femme. Ce sont surtout les chiffres de la mortalité qui retiennent l'attention, tant ils révèlent un état sanitaire global catastrophique de la population russe. On estime qu'un Russe âgé de 20 ans en 2000 n'a que 46 % de chances de parvenir à l'âge de 65 ans, contre 79 % de chances pour un Américain du même âge. C'est ainsi que, de 1962 à 2002, l'espérance de vie à la naissance des hommes russes a baissé de trois ans.

Rien d'étonnant, au vu d'un tel constat, que les projections démographiques de la Russie soient extrêmement préoccupantes : le bureau américain de recensement estime à 19 millions la population que perdra la Russie entre 2000 et 2025, le chiffre retenu par les Nations Unies étant de 21 millions.

Certes, ces évolutions démographiques trouvent leurs sources dans des facteurs bien identifiés et ne doivent donc rien à la fatalité. Moindre importance, par rapport aux pays d'Europe occidentale, du baby boom postérieur à la deuxième guerre mondiale, fortes nuisances environnementales (industrielles, militaires agricoles) du temps de l'URSS, guerres et purges multiples tout au long du XXè siècle, appauvrissement massif de la population dans les années 1990, faible confiance dans l'avenir... de nombreuses raisons peuvent contribuer à expliquer la catastrophe démographique russe. Beaucoup d'entre elles, on le voit, ont aujourd'hui disparu. Reste que l'inertie des mouvements et comportements démographiques est telle que seules des politiques inscrites dans la durée et la stabilité pourront, dans un premier temps, enrayer la tendance, puis l'inverser : la Russie du XXIè siècle saura-t-elle, contrairement à celle du XXème siècle, reconnaître à sa juste valeur le prix de la vie humaine et valoriser ses ressources humaines au même titre que ses autres ressources naturelles ?

L'enjeu en la matière est certes économique, cette dépopulation posant la question du caractère soutenable de la croissance russe à long terme. Il est également stratégique. D'abord parce que les conséquences de la décroissance démographique russe s'analysent également en termes de sécurité : notamment, qui va défendre les frontières de ce pays immense ? A cet égard, c'est essentiellement la surmortalité masculine qui est porteuse des conséquences les plus graves. De 1975 à 2000, le nombre de jeunes gens de 15 à 24 ans est passé de 10 à 13 millions ; selon les Nations unies, il atteindrait à peine 6 millions en 2025. Ensuite et surtout, si la question démographique russe est au cœur du premier discours du Président Poutine à la nation, c'est parce que ce dernier la considère sous l'angle géopolitique. A cet égard, aussi préoccupante que la dépopulation de la Russie en valeur absolue est la dépopulation régionale du pays.

C'est là le second aspect de la faiblesse démographique de la Russie : sans doute, du point de vue de sa population, la Russie a-t-elle toujours été un pays européen, la très grande majorité de sa population vivant à l'Ouest de l'Oural. Reste que ce déséquilibre entre la petite partie occidentale et l'énorme étendue orientale de la Russie ne fait que s'accroître : 78 % de la population russe vivait dans la partie européenne de la Russie selon des données remontant à 1995 ; si la densité globale de la Russie s'élevait à 8,7 habitants/km2, elle varie de 200 habitants/km2 dans certaines parties occidentales du pays à 0,03 dans la région autonome de Sibérie de Evenk. C'est d'ailleurs dans certaines républiques de Sibérie que l'espérance de vie est la plus faible. Notamment, l'alcoolisme fait des ravages équivalents à ceux d'une épidémie dans l'Extrême-Orient russe : entre 1991 et 1995, près de la moitié des décès enregistrés dans le territoire de Khabarovsk (autour de Bikin) étaient dus à l'alcool. La dépopulation de l'Extrême-Orient russe est également due à des départs massifs vers la Russie d'Europe.

Dans ces conditions, nul ne peut manquer de s'interroger sur l'avenir de la partie orientale de la Russie : quelles seront les conséquences de la pression exercée, au-delà de la frontière russe, par une Chine surpeuplée ? Le problème n'est pas celui de la coexistence entre un pays très peuplé et un autre qui l'est moins mais entre un espace extrêmement dense et un espace vide. Pour solide que soit une frontière politique, surtout quand elle délimite deux pays puissants, anciens et dotés des moyens militaires de la défendre, la question du rééquilibrage, à terme, entre ces deux territoires doit être posée. D'ores et déjà, comme nous l'avons dit, la présence chinoise est de plus en plus visible dans cette région. Dans quelle mesure la dynamique économique locale que la Chine ne manquera pas d'insuffler ne se heurtera-t-elle pas au principe juridique du contrôle politique de Moscou sur cette portion du territoire russe ? Entre une réalité économique chinoise et une virtualité politique russe, comment évolueront les territoires extrême-orientaux de la Russie ?

Telles sont les interrogations qui conduisent vos rapporteurs à mettre en doute la crédibilité du scénario asiatique de l'avenir de la Russie. La disproportion entre la Russie et la Chine à cet égard est, potentiellement et à long terme, une source de conflits dans un pays si attaché à son unité. En termes démographiques - c'est-à-dire tant par la géographie de sa population que par ses comportements en la matière, tels que le vieillissement notamment -, la Russie est une puissance européenne.

II - QUELLE POLITIQUE RUSSE DE L'UNION À 25 ?

La Russie et l'Union européenne décrivent leur partenariat comme stratégique. Ni l'une ni l'autre cependant n'ont fait l'effort de poser la question de l'évolution de ce partenariat à long terme, la question étant toujours remise à l'issue de la négociation du dossier difficile du moment, avant-hier le transit des personnes à Kaliningrad, hier, les certificats vétérinaires (20), aujourd'hui la question des visas et, surtout, de l'Ukraine. Les plus pessimistes concluront que, loin des déclarations et des accords, les relations entre l'Union européenne et la Russie ne sont ni de partenariat ni stratégiques.

Avant même que n'éclate la crise ukrainienne, l'élargissement de l'Union européenne du 1er mai 2004 a fait apparaître l'impérieuse nécessité d'un dialogue stratégique avec la Russie et d'une réflexion sur les formes qu'il doit prendre, au-delà du cadre désormais étriqué que représente l'accord de 1994. L'élargissement, en effet, a parfois été salué comme le symbole du retour des pays baltes et d'Europe centrale dans l'Europe, manière de dire qu'il soldait les comptes de l'histoire du XXème siècle. Ces comptes sont cependant complexes, à l'instar de l'histoire européenne, et la Russie a toute sa place dans l'apurement du passif. La sécurité et la stabilité du continent européen ne sauraient être autre chose qu'une coproduction entre l'Union européenne et la Russie.

a. - le cadre actuel des relations entre l'union européenne et la russie : l'essoufflement

L'ensemble des interlocuteurs rencontrés par la mission à Moscou a fait part de son insatisfaction quant à l'état des relations entre l'Union européenne et la Russie. Les rapporteurs ont perçu un réel inconfort de la partie russe, qui s'exprime notamment par le reproche de condescendance fait à l'Union européenne. Même s'il convient de ne pas être dupe de l'instrumentalisation d'un grief récurrent, cette manière d'appréhender la relation avec l'Union européenne est assez largement partagée par toutes les institutions politiques russes, y compris de cultures différentes - Parlement, Ministère des affaires étrangères, administration présidentielle - ainsi que par les experts.

Le discours tenu aux rapporteurs par M. Konstantin Kossatchev, Président de la Commission des affaires étrangères de la Douma, résume assez bien l'état d'esprit de Moscou. A ses yeux, les relations UE-Russie « se sont dégradées par rapport à 1994, année qui vit la signature de l'accord de partenariat et de coopération entre les deux partenaires égaux qu'étaient l'Union européenne à 12 membres et une Fédération de Russie qui « bénéficiait » encore de l'image de l'URSS en termes de puissance. En 2004, la relation a évolué : c'est une Union européenne élargie qui conçoit ses relations avec une Russie de moindre poids comme celles entre un frère aîné et son cadet. La préférence - non dite - bruxelloise est celle d'un rapprochement maximal, avec des domaines d'intégration, entre une Union grande et forte et une petite Russie. Il existe donc un véritable inconfort de la Russie dans sa relation avec l'Union, inconfort qui prendra la forme de tensions toujours plus aiguës si rien n'est fait : la Russie, de plus en plus, arguera de sa souveraineté et de ses intérêts nationaux. »

A Bruxelles également, c'est une relation âpre et difficile qui a été décrite aux rapporteurs, au mois de juin dernier. Si le postulat selon lequel « les relations UE-Russie sont les plus importantes des relations extérieures de l'Union » est partagé par tous, les termes de « complexité », « malentendu » et de « méfiance » reviennent constamment pour caractériser ces relations.

1) Des réalisations limitées

a) Le cadre des relations UE-Russie : l'essoufflement

Un fondement, une stratégie, un instrument : avec l'accord de partenariat et de coopération de 1997, la stratégie communautaire de 1999 et le programme TACIS, l'Union bénéficie, en apparence au moins, d'une palette d'outils complète dans sa relation avec la Russie.

· En 1994, l'Union européenne et la Russie ont signé un accord de partenariat et de coopération entré en vigueur le 1er décembre 1997. Si l'instauration d'un État de droit et le respect des droits de l'homme sont inscrits dans le préambule de l'accord, tandis que le dialogue politique est mis en exergue dès l'article premier, c'est essentiellement l'approche économique de la relation UE-Russie qui est visée dans cet accord. Ainsi, en matière commerciale, la Russie bénéficie de la clause de la nation la plus favorisée et de la suppression de la plupart des restrictions quantitatives, hormis pour l'acier (5 % des exportations russes vers l'Union) et les matières nucléaires. Depuis 1998, la communauté offre un accès libre de tout contingent pour les textiles. L'une des priorités de cet accord est de contribuer à créer les conditions nécessaires à l'établissement, à terme, d'une zone de libre échange, l'accession de la Russie à l'OMC étant toutefois considérée comme un préalable. Au-delà de la sphère commerciale, les axes principaux du partenariat sont les suivants : transports, énergie télécommunications, environnement, lutte contre la criminalité, éducation et formation, science et technologie.

En dépit de sa très grande technicité, cet accord fixe par ailleurs le cadre institutionnel des relations entre l'Union européenne et la Russie, en prévoyant plusieurs niveaux de dialogue :

- le sommet des Chefs d'État et de Gouvernement est chargé, deux fois par an, de définir les directions stratégiques du partenariat ;

- les ministres se réunissent annuellement au sein d'un conseil de coopération, rebaptisé en conseil de partenariat permanent au sommet de Saint-Pétersbourg, en mai 2003. Ce changement de dénomination est censé refléter une efficacité et une transparence accrues, ainsi qu'une plus grande flexibilité puisque les réunions peuvent, d'une part, se tenir aussi souvent que nécessaire, d'autre part réunir les ministres compétents sur les sujets traités, et non les seuls ministres chargés des affaires étrangères ;

- les parlementaires sont également présents dans ce dialogue, via l'institution d'une commission de coopération parlementaire réunissant des représentants du Parlements européen et de la Douma ;

- enfin, des rencontres sont prévues entre les directeurs politiques des pays de la troïka, du ministère des affaires étrangère russe et du secrétariat du Haut représentant pour la PESC, M. Javier Solana.

Avec la signature de cet accord, c'est un nouvel outil qui apparaît dans la typologie des accords de l'Union, outil qui se situe cependant, dans la hiérarchie des accords extérieurs, non seulement en deçà des accords d'association, mais également en deçà des accords d'association partenariale signés avec les pays tiers méditerranéens. C'est donc, d'emblée, sur un paradoxe étonnant qu'est fondée la relation entre l'Union européenne et la Russie : prééminente, d'importance stratégique, elle a pour acte fondateur un accord à la fois hybride et minimal - d'ailleurs ressenti comme tel par la Russie -, en dépit de ses quelques 112 articles, dix annexes, deux protocoles et de sa déclaration conjointe, soit au total pas moins de 178 pages. Les débuts difficiles de cet accord disent d'ailleurs tout de la complexité des relations entre l'Union européenne et la Russie : cet accord technique, qui définit néanmoins les structures de la relation politique entre les deux entités, voit d'emblée son entrée en vigueur retardée par la guerre en Tchétchénie, à la suite d'une décision de l'Union. Il porte ainsi, dès l'origine, la marque de la relation UE-Russie : une relation essentiellement politique qui se retranche derrière des sujets techniques et des méthodes bureaucratiques.

· La mise en œuvre de cet accord a immédiatement fait ressortir cette contradiction et c'est essentiellement pour cette raison que fut élaborée, sous présidence allemande, la stratégie commune de l'Union à l'égard de la Russie, adoptée lors du conseil de Cologne, en juin 1999.

Cette stratégie - la première de l'Union, alors que la toute nouvelle PESC se met en place à Bruxelles - représente un effort intéressant pour développer une vision stratégique de la relation UE-Russie. Elle souffre toutefois de trois contradictions, magistralement mises en avant par Dov Lynch, expert de la Russie à l'Institut d'études de sécurité placé auprès de M. Javier Solana (21) :

- la première contradiction réside dans le choix d'inscrire cette stratégie dans le cadre de l'accord de 1994, malgré les limites et les ambiguïtés de ce dernier. Dans cette logique, la relation avec la Russie ne se voit dotée d'aucune ressource supplémentaire ;

- la deuxième contradiction réside dans l'accent mis à la fois sur la nécessité d'un dialogue politique plus efficace et plus opérationnel d'une part et l'objectif assigné à cette stratégie, de transformation de la Russie en pseudo État membre, d'autre part. Ainsi, « tout en reconnaissant que la Russie ne sera pas candidate à l'adhésion, l'Union adopte le style interventionniste et conditionnel utilisé pour les candidats » ;

- enfin, la dernière contradiction réside dans la tension, permanente, de la relation UE-Russie entre l'affirmation, par l'Europe, de ses intérêts stratégiques en Russie par l'Union européenne et l'exigence qu'elle pose d'une relation fondée « sur des valeurs démocratiques communes ».

· Le partenariat avec la Russie s'appuie enfin sur le programme TACIS, instrument destiné à soutenir la transition vers la démocratie et l'économie de marché. Depuis 1991, la Russie a bénéficié de l'aide TACIS pour 1 500 projets dans les domaines administratifs, institutionnels, juridiques et social. Ce sont au total 2 milliards d'euros qui auront été dépensés, 94 millions d'euros étant inscrits par exemple en 2004.

En dépit de leur caractère en apparence très exhaustif, ces différents instruments n'ont pas abouti aux résultats espérés. D'une part, la stratégie commune n'a pas apporté d'inflexions majeures aux relations entre l'Union européenne et la Russie ; d'autre part, la Russie a toujours souhaité s'affranchir du cadre de l'accord de 1994 pour privilégier le dialogue politique. Sans doute, optiquement, les relations commerciales de l'Union européenne avec la Russie se caractérisent par des échanges de très grande ampleur, comme nous l'avons vu précédemment. Les négociations qu'appellent nécessairement les échanges entre deux entités aux normes et aux règles de fonctionnement si différentes n'en restent pas moins laborieuses.

Des tentatives ont été faites pour redynamiser l'accord de 1994. Ainsi, les prémisses d'une nouvelle architecture des relations économiques entre l'Union européenne et la Russie ont été mises en place lors du sommet UE-Russie de mai 2001, avec le lancement du concept d'espace économique européen commun (EEEC), dont l'objectif est de contribuer à arrimer la Russie à l'Europe et à lui permettre de tirer pleinement avantage de l'élargissement et des opportunités commerciales. L'objectif de cette initiative, qui s'est traduite par l'instauration d'un groupe d'experts de haut niveau, était de dépasser le cadre des négociations d'adhésion à l'OMC et de donner une nouvelle impulsion au dialogue bilatéral affaibli dans le cadre de l'accord de 1994. Force est de constater toutefois le caractère, à nouveau, très laborieux de cette initiative, dont témoigne l'absence de résultats à ce jour : ainsi, il aura fallu pas moins de deux ans et demi pour aboutir à une définition commune officielle du concept d'EEEC, qui devrait être le premier des quatre espaces communs que l'Union et la Russie ont décidé de mettre en place au sommet de Saint-Pétersbourg. Aujourd'hui, plus de trois ans après son lancement, ce projet n'a pas abouti.

b) Les relations de sécurité : de l'activisme à la déception

Les relations entre l'Union européenne et la Russie se sont enrichies d'une dimension supplémentaire depuis 1999 : le dialogue de sécurité. Concomitant avec la stratégie commune de 1999 et avec l'émergence progressive de la politique européenne de sécurité et de défense, ce dialogue a toutefois connu des phases contrastées pour buter sur les mêmes contradictions que les autres dimensions de la relation UE-Russie.

Dans un premier temps, il a bénéficié de l'intérêt actif d'une Russie soucieuse de contrebalancer ce qu'elle perçut comme un « otano-centrisme » au lendemain de la crise du Kosovo. C'est ainsi qu'en octobre 2000, l'Union et la Russie s'engagèrent sur des consultations régulières concernant les questions de politique et de défense. Petit à petit, ce dialogue se traduisit par des mesures concrètes, telles qu'en novembre 2002, la nomination par Moscou d'un officier chargé d'assurer contact permanent avec l'état-major de l'Union. Très allante sur ce dossier, la Russie fit même des propositions très ambitieuses dans les domaines de la formation de contingents conjoints, de la planification conjointe d'opérations militaires et des coopérations militaro-industrielles.

L'ambiguïté des motivations russes n'a jamais échappé à son interlocuteur européen qui se montre d'emblée très circonspect devant cet enthousiasme interprété comme une instrumentalisation pure et simple de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD). Qui plus est, Moscou fait les frais des divergences internes à l'Union quant au rythme de développement et au rôle futur de la PESD, ainsi que du souci de l'Union de garder les mains libres dans l'élaboration d'une politique cruciale pour son avenir. De fait, comme le souligne Isabelle Facon(22), les arrangements relatifs aux modalités de consultation et de participation des Etats tiers aux opérations de l'UE dans le cadre de la PESD élaborés à Nice puis précisés à Séville en juin 2002 sont très flous et peu contraignants pour l'Union.

Considérant dès lors qu'elle n'avait que peu à attendre de la PESD et dans la foulée du rapprochement avec les Etats-Unis après le 11 septembre 2001, la Russie s'est alors tournée vers l'OTAN, dont les modalités de fonctionnement éprouvées lui semblaient mieux à même de lui garantir la place qu'elle estimait mériter dans le dialogue de sécurité en Europe. Le Conseil OTAN-Russie (COR) établi en mai 2002 est ainsi perçu à Moscou comme un cadre interactif et dynamique, bien loin du dialogue laborieux avec l'Union européenne.

De fait, les interlocuteurs des rapporteurs à Moscou ne tarissent pas d'éloges à l'égard de l'OTAN. Ainsi, au MID, on insiste, s'agissant de la politique étrangère et de défense, sur le sentiment d'« insatisfaction » de la Russie quant à sa participation à certaines opérations menées par l'Union européenne : elle est confinée dans un rôle d'exécutant, sans avoir la possibilité de participer à la prise de décision. « Au contraire, le partenariat pour la paix garantit à la Russie un véritable rôle au sein de l'OTAN, à tous les stades du processus : en cas de gestion de crise par exemple, selon un fonctionnement interactif, la Russie participe aussi bien aux négociations relatives à l'identification du problème ou à la recherche de solutions qu'à la prise de décision elle-même. L'Union européenne se contente aujourd'hui de transmettre un projet d'accord qui fait référence à des documents auxquels la Russie n'a pas accès et sur lequel n'existe aucune marge de négociation. »

2) Un cadre périmé depuis l'élargissement

L'élargissement de l'Union européenne le 1er mai dernier a révélé au grand jour l'essoufflement des modalités de fonctionnement de la relation UE-Russie et mis à nu l'étroitesse et la rigidité des structures actuelles. « Archaïque » est à cet égard, le mot qui revient le plus souvent dans la bouche des autorités russes.

a) 1994-2004 : une autre Union, une autre Russie

A l'évidence, le contexte dans lequel l'Union européenne et la Russie ont établi ce partenariat a totalement changé. Au-delà des bouleversements stratégiques globaux (Kosovo, élargissement de l'OTAN, 11 septembre 2001), la Russie et l'Union ont profondément évolué. Politiquement et économiquement, la Russie était encore dans une situation extrêmement confuse et instable en 1994 ; en 2004, pour fragile que soit l'équilibre institutionnel, la situation économique et politique du pays est très différente. De son côté, l'Union s'est, depuis cette date, élargie à treize nouveaux Etats, a adopté une monnaie commune et mis en place une politique étrangère et de sécurité commune ainsi qu'une politique européenne de sécurité et de défense.

Dès lors, comment un accord qui se propose « d'établir le partenariat et la coopération » ne serait-il pas frappé d'obsolescence, quand la question pertinente aujourd'hui est celle du renforcement et de l'approfondissement de ce partenariat ? De même, l'absence de mention de la coopération politique et de sécurité dans l'accord censé former l'acte fondateur de la relation UE-Russie est, au mieux, un anachronisme. Qui plus est, cet accord, dans les champs de coopération qu'il envisage, adopte une approche dont l'expérience a clairement montré les limites : ainsi, en matière économique, il identifie 140 champs de coopération, sans établir quelque hiérarchie que ce soit entre eux. Le travail sur l'espace économique commun n'est-il pas de facto une reconnaissance implicite des limites de cet accord ?

Le dernier élargissement de l'Union, par les nouvelles problématiques qu'il met en avant, place l'Union européenne et la Russie devant leurs responsabilités : leurs relations déjà complexes sont encore alourdies par l'introduction de questions nouvelles, pour certaines particulièrement difficiles et délicates, pour d'autres, résultant davantage d'une stratégie d'instrumentalisation. L'année 2004 restera d'ailleurs à ce titre comme un moment paradoxal des relations UE-Russie, marquée tour à tour par la conclusion d'un accord essentiel pour l'avenir de la Russie, puisqu'il lui ouvre les portes de l'OMC, et par une succession de négociations et de discussions difficiles, qui culminent actuellement avec la crise ukrainienne.

Après le sommet en demi-teinte de novembre 2003, la présentation, par la Russie, au mois de janvier 2004, d'une liste de quatorze points faisant état de ses préoccupations et de ses revendications concernant l'élargissement a donné le ton. La Russie a ainsi chiffré entre 150 et 300 millions d'euros le montant des pertes économiques et commerciales qu'elle subirait du fait de l'élargissement. Au nombre de ces revendications, figuraient aussi bien le régime des préférences commerciales, des visas et la question des barrières tarifaires que la protection des minorités russophones dans les Etats baltes. Aux menaces de la Russie de ne pas signer le protocole d'extension de l'accord de partenariat de 1994 aux nouveaux membres, l'Union européenne rétorqua que l'élargissement était un problème interne à l'Union et menaça la Russie de sanctions économiques. La négociation s'engagea néanmoins et aboutit, le 27 avril dernier, à la signature d'un accord sur le protocole, l'Union s'étant engagée à prendre en considération les préoccupations russes liées à l'élargissement.

S'il a largement réglé les questions de nature exclusivement économiques, les points durs mentionnés par la Russie, relevant du champ politique ou de sécurité intérieure et extérieure vont très certainement persister comme des « irritants » de la relation UE-Russie, systématiquement et méthodiquement utilisés par la Russie. Des contacts qu'ils ont eus au cours de leurs différents entretiens, les rapporteurs souhaitent mettre l'accent sur deux d'entre eux, qui risquent de devenir des questions récurrentes du dialogue UE-Russie.

· Ainsi en est-il de Kaliningrad, enclave russe dans l'Union, qui en a fait une zone d'assistance technique prioritaire à laquelle elle envisage de consacrer 50 millions d'euros dans les trois années qui viennent. La question de l'enclave de Kaliningrad a donné lieu à de difficiles négociations qui ont abouti à un accord au sommet UE-Russie de novembre 2002. Les dispositions de ce qu'il est convenu d'appeler le « Paquet Kaliningrad » se mettent progressivement en place, notamment en ce qui concerne le transit facilité des personnes.

Kaliningrad : état de la question sur le transit des ressortissants russes

La reprise de « l'acquis Schengen » par la Lituanie, originellement prévue pour le 1er janvier 2003, a engendré un important différend entre la Russie et l'UE : elle mettait un terme au régime qui permettait le transit des citoyens russes entre la Fédération de Russie et l'enclave de Kaliningrad, à travers le territoire lituanien, sans autres formalités que la présentation d'un document d'identité. Si, pour Moscou, la future obligation de visas portait atteinte au principe constitutionnel de libre circulation des personnes sur le territoire de la Fédération et donnait l'impression que l'UE s'élargissait à son détriment, Bruxelles considérait que des dérogations à l'acquis Schengen n'étaient pas envisageables.

Les difficiles négociations de l'automne 2002 ont abouti lors du sommet UE-Russie du 11 novembre à un accord en trois volets, auquel la France a beaucoup contribué : un délai supplémentaire de 6 mois pour la reprise de l'acquis, une étude de faisabilité au cours de 2003 d'un TGV sans arrêt et sécurisé à travers la Lituanie et la mise en place entre le 1er juillet 2003 et le début 2005 d'un régime de "transit facilité" pour les citoyens russes.

Les négociations ont aussi permis la signature de l'accord russo-lituanien de réadmission le 11 mai 2003 et ratifié peu après par les deux pays. Quant au traité de délimitation des frontières, signé en 1997, il a été ratifié par la Douma le 21 mai et le Président en a signé le décret de ratification le 10 juin. Les négociations, plus complexes, sur l'accord de réadmission entre l'UE et la Russie progressent lentement.

La question de Kaliningrad est désormais considérée comme réglée en ce qui concerne le transit des passagers. D'ici le 1er janvier 2005 (23), l'ensemble du dossier "Kaliningrad/transit", devra aussi être réglé, selon les termes de l'accord de novembre 2002, notamment dans la perspective de l'éventuelle adhésion lituanienne à la Convention Schengen et l'introduction de l'obligation de passeports internationaux pour les citoyens russes à cette date.

Le sommet de Rome entre l'Union européenne et la Russie, le 6 novembre 2003, a mis en lumière les problèmes non résolus dans la relation UE-Russie parmi lesquels la question du transit des marchandises entre l'enclave de Kaliningrad et le reste de la Fédération de Russie et en particulier le fret. La partie russe demandait alors l'instauration d'un corridor extra territorial.

La question du transit des marchandises a été l'un des points difficiles des négociations UE-Russie sur l'extension de l'accord de partenariat et de coopération aux dix nouveaux Etats membres au 1er mai 2004 et sur la déclaration conjointe évoquant les quatorze préoccupations russes liées à l'élargissement et les solutions envisagées. In fine, les deux parties ont confirmé dans leur déclaration l'application des principes de liberté de circulation des marchandises entre Kaliningrad et le reste de la Russie. L'ancien commissaire aux relations extérieures, M. Chris Patten, a invité les deux parties à renforcer leur coopération douanière, non seulement par rapport à Kaliningrad, mais également pour l'ensemble des échanges commerciaux UE-Russie.

· De même, la question des minorités russophones d'Estonie et de Lettonie fait désormais partie des problèmes systématiquement mis en avant par la Russie.

En Lettonie particulièrement, c'est une question complexe, dont la compréhension impose de rappeler, au préalable, certains faits historiques. La Lettonie a été annexée par l'URSS à deux reprises, en 1940 et 1944, en violation du droit international ; ces annexions ont donné lieu à des vagues de déportation massives en Sibérie, tandis que l'occupation soviétique de la Lettonie s'est traduite après 1945 par un afflux d'immigrants venus de toute l'URSS et dans les années 1970 par un programme accéléré de russification. Si, indéniablement la venue d'une main d'œuvre et d'une élite scientifique soviétiques qualifiées en Lettonie ont contribué, dans une certaine mesure, au « développement » du pays, il n'en reste par moins que le coût humain de cette occupation (déportations, prises de propriété, dépossession de la nation lettone) est aujourd'hui passée sous silence en Russie qui n'a jamais envisagé de réparations.

La Lettonie de 2004 porte encore la marque de cette histoire très lourde. Elle comprend ainsi, sur une population totale de 2,3 millions d'individus, près de 700 000 individus qui ont le russe pour langue maternelle. Cette population se répartit sur le plan juridique en trois groupes : les uns ont la citoyenneté lettone, soit parce que leurs ascendants étaient établis dans ce pays avant son annexion par l'URSS en 1940, soit parce qu'ils ont obtenu la naturalisation lettone après 1995 (pour près de 70 000 d'entre eux), les autres sont aux termes de la loi lettone des « non-citoyens » - leur nombre est actuellement d'un peu plus de 340 000, à rapporter aux quelque 320 000 citoyens lettons russophones -, enfin le troisième groupe est constitué par des citoyens russes (20 000 environ, mais ce chiffre pourrait sous-estimer leur nombre réel).

Au-delà des chiffres et du droit, ce qu'il est convenu dans l'usage courant, y compris chez les officiels lettons, de nommer les minorités russophones recouvre une réalité sociale hétérogène. Ce qui lie les 36,4 % de la population de ce pays qui n'est pas « ethniquement » lettone est l'appartenance à une communauté linguistique russophone, vécue plus que conçue (Russes nés en Russie ou en Lettonie, Biélorusses, Ukrainiens) ainsi qu'une identification nostalgique à la patrie disparue, l'URSS, notamment pour les vétérans, les retraités et les ouvriers. Il ne s'agit ni d'une diaspora ni d'une minorité nationale - aucun désir de retour en Russie, d'autant que 55 % des Russes de ce pays sont nés en Lettonie - qui serait consciente d'elle-même. Elle est faiblement organisée, ce qui explique que la Fédération de Russie entende parler en son nom et créer des faits accomplis pour la structurer. Il s'agit d'une minorité en puissance. Il n'y a pas de définition légale des minorités en Lettonie même si, héritage de la politique des nationalités du passé, le terme est répandu, en concurrence avec celui de « populations russophones ».

Il ne s'agit donc pas d'une minorité historique, au sens commun de l'Europe centrale ou balkanique, mais d'un ensemble social divers : près de la moitié des « Russes » sont citoyens de Lettonie (317 500), 343 700 n'ayant pas encore franchi le pas de la naturalisation et 19 000, au moins, disposent d'un passeport russe (ils ont voté en priorité pour Rodina, en décembre 2003). Géographiquement, il s'agit de populations urbaines (Riga, Daugavpils), relevant de toutes les catégories sociales et donc aux intérêts non convergents. Les uns sont les grands bénéficiaires de l'économie de marché (une vingtaine de banques, l'immobilier, les agences de voyage, l'industrie, l'import-export et le transit), les autres sont les laissés pour compte de la transition, victimes de la fermeture des usines soviétiques avec son cortège de chômeurs et de retraités pauvres et de la liquidation du rôle stratégique de la Lettonie où sont demeurés nombre de vétérans et de retraités militaires. Ils sont présents dans tous les secteurs de la vie sociale, y compris la police, les services marchands, dans les partis de gauche et du centre, pour les citoyens, mais sont absents des fonctions de direction dans les ministères régaliens.

Ajoutons que la réalité quotidienne est multiculturelle (autant que multireligieuse et multilingue), que le cinquième des familles lettones est issu de couples mixtes, ce qui est le cas pour 60 % des Russes et 90 % des autres minorités. Il y a donc un décalage entre la réalité vécue et les postures politiques. En outre, une partie de la population lettone n'échappe pas elle-même à la pauvreté, dans un pays dont le PNB représente 35 % de la moyenne du revenu national brut (RNB) communautaire.

Reste que près de 490 000 résidents permanents n'ont pas la citoyenneté lettone au début 2004. Même si les autorités font valoir que le rythme des naturalisations augmente rapidement depuis le succès du référendum d'adhésion de septembre 2003 et se confirmera à partir du 1er mai 2004, il y a une réelle spécificité lettone au regard du droit commun européen, même si ce concept singulier de non-citoyens a été agréé par les plus grands juristes européens.

En 2004, cette question est revenue sur le devant de la scène, avec la mise en œuvre de la loi sur la réforme de l'éducation, qui dispose qu'à partir de la rentrée 2004, une partie des élèves des écoles minoritaires (24) devront étudier cinq matières en letton, les écoles gardant la liberté de choix des matières - il peut s'agir du sport, de l'informatique ou de matières scientifiques. Au regard du rôle attribué à la langue lettone comme marqueur d'identité dans un pays qui a besoin de ce ciment pour conforter le sentiment national, il s'agit évidemment d'une réforme essentielle.

Autant que deux Etats, ce sont deux mémoires qui s'affrontent sur cette question. D'où, sans doute, la virulence des propos entendus par les rapporteurs à Moscou, qui distingue d'ailleurs entre la situation estonienne et l'état des lieux en Lettonie. Ainsi, les minorités russophones d'Estonie, qui représentent 160 000 non citoyens, ont été décrites comme ayant « vu leur situation s'améliorer » ; notamment, les interlocuteurs russes mettent en avant le droit de vote qui leur est reconnu aux élections locales. En revanche, la Lettonie est décrite à Moscou comme « un cauchemar pour les 400 000 non citoyens russophones », même s'il est important de noter, en vue du travail de mémoire que Russes et Lettons devront mener, que les responsables russes disent « comprendre le complexe des élites nationales lettones (complexe de la petite nation), dans un pays qui a connu des décennies difficiles et est marqué par une mémoire historique très lourde ». Néanmoins, le discours letton consistant à présenter leurs compatriotes russophones comme des occupants - qui existe effectivement en Lettonie, mais dans les franges les plus nationalistes et ne constitue certainement pas l'ordinaire de la vision lettone comme cela a été suggéré à Moscou - est considéré comme « ni compréhensible ni acceptable : au nom de ce qu'elles seraient responsables des actes de Staline ou de Molotov, ces personnes sont victimes d'une discrimination totale ; la Russie a identifié 45 points de discrimination en matière sociale, économique, etc. » A l'évidence, cette question est appelée à revenir de manière récurrente dans le discours russe, Moscou considérant que l'état d'esprit de l'actuelle élite lettone ne permet d'envisager aucune perspective positive.

b) Les quatre espaces communs : et après ?

Le sommet UE-Russie qui s'est déroulé à Moscou, le 21 mai 2004, a permis de mettre à profit le climat de dialogue et de confiance retrouvés qui a immédiatement suivi l'extension de l'accord de partenariat UE-Russie, réglée lors de la première réunion du Conseil de Partenariat permanent, le 27 avril 2004, et la conclusion des négociations bilatérales relatives à l'accession de la Russie à l'OMC.

Les questions techniques largement résolues, l'Union européenne et la Russie en sont revenues à la question essentielle de l'avenir de leurs relations. Elles ont ainsi convenu d'un renforcement de leur coopération « en vue de créer, à long terme, un espace économique commun, un espace commun de liberté, de sécurité et de justice, un espace de coopération dans le domaine de la sécurité extérieure, ainsi qu'un espace pour la recherche et l'éducation, y compris les aspects culturels ». L'accord de 1994 reste le cadre de la relation UE-Russie, la mise en place de ces espaces devant se faire dans ce cadre, sous la forme de feuilles de route.

Sur le fond, cette initiative n'apporte rien de bien nouveau en matière économique, comme nous l'avons vu précédemment. Le deuxième espace regroupe des questions essentielles mais extrêmement complexes, telles que la coopération judiciaire en matière pénale, la gestion des frontières et des migrations, la question de l'exemption de visa et des accords de réadmission. Le troisième permet d'aborder l'importante question de la gestion des crises et de la coopération en matière de non-prolifération des armes de destruction massive.

Il est certainement prématuré de ranger l'initiative des quatre espaces parmi les multiples tentatives avortées de relance de la relation UE-Russie. La seule certitude à ce jour concerne le retard pris dans l'élaboration des feuilles de route. En effet, contrairement au calendrier initialement fixé, aucune des quatre feuilles de route n'a été adoptée au sommet de La Haye du 26 novembre 2004. Si les travaux sont relativement avancés s'agissant des espaces économique et, surtout, « recherche, éducation et culture », il en va différemment des travaux en matière de liberté, de sécurité et de justice d'une part, de sécurité extérieure d'autre part. Dans ces domaines, les négociations butent, non seulement sur des questions de forme - l'Union européenne refuse de dissocier les « paquets » - mais aussi sur des problèmes de fond :

- S'agissant de l'espace « justice », la divergence majeure tient au caractère radicalement distinct des objectifs assignés par chacune des parties à cette négociation. Quand l'Union entend, via cette négociation, parler crime organisé et immigration illégale, la Russie répond suppression des visas et droits de transit spécifiques pour l'enclave de Kaliningrad. La négociation n'est certainement pas facilitée par la conclusion d'accords bilatéraux en matière de visas de la part de l'Allemagne et de la France, s'agissant du régime des hommes d'affaires et des étudiants - d'autres sont en cours de négociation avec l'Italie et certains nouveaux Etats membres.

- En matière de gestion de crises, la Russie demande une procédure de co-décision, inenvisageable dans la mécanique européenne ; quant à la perspective d'une coopération particulière chez les nouveaux voisins, elle est d'emblée écartée par les Russes. Ces messages, vos rapporteurs les ont entendus à Moscou en juin 2004 ; l'absence de conclusions du sommet de La Haye montre qu'aucun progrès n'a été réalisé en la matière.

Au-delà de ces difficultés de fond, il faut admettre que l'initiative des quatre espaces apparaît comme une réponse sans doute trop faible au regard de la maladresse commise par l'Union, en intégrant la Russie à son initiative de nouveau voisinage. A l'évidence, présenter aux Russes un plan « Wider Europe » dont ils seraient parties est plus que maladroit, la Russie étant elle-même dans une démarche de « Wider Russia ». C'est d'ailleurs comme un affront que cette offre a été ressentie par la Russie. Tant par son antériorité que par ses caractéristiques, la relation UE-Russie ne saurait être réduite à l'initiative « nouveaux voisins ».

Telle est la position défendue par la France qui estime qu'en ce qui concerne la Russie, l'initiative ne doit pas se substituer au cadre existant, à savoir le partenariat stratégique UE-Russie et l'élaboration d'espaces communs. En dépit des assurances européennes sur la différenciation des approches selon les pays, la Russie n'entend de toute façon pas se contenter d'un cadre qui la place sur le même plan que les autres pays d'Europe orientale. L'ampleur des problèmes à traiter et le caractère extrêmement politique de certains d'entre eux plaident à l'évidence pour une telle approche.

l'initiative européenne de nouveau voisinage

Les pays situés à la périphérie de l'Union souhaitent resserrer leurs liens avec l'Union européenne, et aller au-delà de ce qui est prévu par les accords de partenariat et d'association déjà en vigueur. L'Union doit en outre, pour sa propre sécurité comme pour la leur, offrir une perspective de stabilité à ses voisins : quelle peut-elle être, si l'on considère que l'adhésion, même à terme, n'est ni réaliste ni souhaitable ? C'est véritablement une nouvelle construction qui est à concevoir, tâche certes ardue mais qui permettrait de résoudre la question des limites géographiques de l'Union, tout en ouvrant des perspectives ambitieuses. Elle permettrait aussi d'échapper à une difficulté déjà trop présente à l'esprit lorsque l'on considère l'Europe à vingt-cinq : celle de réunir tous les États membres dans un processus d'intégration plus poussée concernant des domaines de souveraineté : économie, politique étrangère, défense.

Dans cette perspective, la Commission européenne a proposé, en mars 2003, un processus visant à développer de nouvelles relations de voisinage. Approuvé par les Ministres des Affaires étrangères des Quinze, il a été validé par le Conseil européen de Thessalonique des 19 et 20 juin 2003. L'initiative de la Commission concerne les pays qui se trouveront aux frontières maritimes et terrestres de l'Union après son élargissement. Il s'agit des voisins de l'est, c'est-à-dire la Russie, l'Ukraine, la Moldavie et la Biélorussie (mais ne sont pas concernés la Bulgarie, la Roumanie et la Turquie, dans une relation de pré-adhésion, ni les Balkans occidentaux qui bénéficient d'une perspective d'adhésion).

La notion de « nouveaux voisins » a été élargie, essentiellement à la demande de la France, aux pays du sud de la Méditerranée : Algérie, Maroc, Tunisie, Libye, Égypte, Syrie, Jordanie, Israël, Autorité palestinienne et Liban. Restée en suspens lors de l'élaboration de ce processus, la question de l'opportunité d'englober les trois pays de la Transcaucasie dans ce processus a été soulevée lors de la présentation du document de stratégie présenté le 12 mai dernier par la Commission : l'Arménie, l'Azerbaïdjan et la Géorgie devraient être intégrés à la politique européenne de voisinage selon la recommandation de la Commission.

La politique européenne de voisinage est aujourd'hui présentée comme un moyen de partager avec les pays limitrophes les avantages de l'élargissement de l'UE de 2004, dans des conditions distinctes d'une adhésion à l'UE. Elle vise à renforcer les relations avec les nouveaux voisins de l'Est et du Sud et à prévenir l'apparition de nouvelles fractures entre l'Union élargie et ses voisins, et à offrir aux pays concernés l'occasion de prendre part aux quatre libertés du Marché intérieur (libre circulation des personnes, des capitaux, des biens et des services). Comme l'a précisé le commissaire européen Günter Verheugen, le 12 mai dernier, il pourra s'agir d'une zone de libre-échange voire, dans certains cas, d'une totale intégration économique. A terme, une Europe de droit commun pourrait être créée, dont les politiques et les compétences s'imposeraient à tous sans échappatoire.

Outre l'institution d'une grande zone économique et commerciale, avec aspects de sécurité intérieure, la garantie des droits de l'Homme et l'adoption de la charte des droits fondamentaux, la garantie des droits des minorités et le respect des principes de base de la démocratie politique, il faut y ajouter des dispositions dans le domaine de la sécurité intérieure, du contrôle des frontières, de la justice. Un mécanisme d'alliance défensive et de garantie des frontières pourrait être prévu. À terme, ce processus pourrait aller jusqu'à « tout sauf la participation aux institutions de l'Union », ainsi que l'ont écrit le Président de la Commission européenne Romano Prodi et le Commissaire Chris Patten.

Cette politique se fondera sur le cadre institutionnel existant (accords de partenariat et de coopération avec les pays de l'Est, accords d'association avec les pays du Sud). Un nouvel instrument financier, dit « de voisinage », est envisagé, et inscrit dans les perspectives financières de l'Union pour l'après 2006, prenant en quelque sorte la place des actuels instruments de pré-adhésion au sein du budget. Il serait doté d'une enveloppe comprise entre 500 millions et un milliard d'euros. Selon les informations fournies par la commission, le 12 mai dernier, à l'occasion de la présentation de son document de stratégie, les premiers plans d'action devraient être prêts à la fin du mois de juillet.

Par ailleurs, l'initiative de nouveau voisinage pose la question de l'articulation entre cette politique et les dialogues bilatéraux entre États membres et Russie : les nouveaux États membres - notamment les pays baltes et la Pologne - voient d'un très bon œil une politique qui peut leur permettre d'acquérir d'emblée une influence certaine au sein du Conseil. La Pologne, notamment, entend se faire l'avocat actif de ses voisins (Ukraine essentiellement) et faire valoir son expertise en la matière. En revanche, certains États membres, tels que la France et l'Allemagne, tiennent à la relation spécifique qu'ils entretiennent, pour certains d'entre eux, avec la Russie et ne sont certainement pas prêts à vider celle-ci de sa substance, même au profit d'une Union dont l'expertise sur les problématiques de l'Europe orientale s'est très certainement accrue avec l'élargissement.

Quoi qu'il en soit, la qualité du partenariat avec la Russie sera déterminante pour l'avenir de la politique « nouveaux voisins ». Avec la Russie comme alliée, elle peut réussir ; sans la Russie, elle devient sans objet. Tel est tout l'enjeu de la crise ukrainienne qui nous rappelle, s'il en était besoin, que la Russie n'est pas un voisin parmi d'autres et qu'il est temps d'établir avec elle une relation qui reflète cette évidence.

b. - l'union européenne et la russie, une relation à construire

Pour refonder une relation UE-Russie qui était à bout de souffle dès avant l'éclatement de la crise en Ukraine, il faut partir des deux points d'accroche suivants, des deux postulats qui peuvent être considérés comme le terrain de consensus minimal entre l'Union européenne et la Russie.

Premier postulat : la Russie est un partenaire spécifique.

Il est évident pour chacun des deux partenaires que les relations toujours plus proches entre les deux entités ne sont en rien le prélude à une intégration de la Russie dans l'Union européenne. Sans doute le scénario de l'intégration de la Russie doit-il être envisagé dans une approche prospective, à vingt ans, ne serait-ce que pour nous permettre, a contrario, de mieux cerner ce que nous attendons de notre relation avec elle ; c'est d'ailleurs pourquoi les rapporteurs se livrent à cet exercice dans les pages qui suivent. Cependant, un tel scénario ne relève pas des perspectives politiques et diplomatiques dans lesquelles sont aujourd'hui envisagées les relations entre l'Union européenne et la Russie.

Cette proximité sans perspective d'adhésion fait de la Russie un partenaire spécifique. Or, ce partenariat « pas comme les autres » n'est pas considéré et traité comme tel par l'Union européenne, qui peine à élaborer des schémas de relations extérieures sur mesure. Pourtant, les rapporteurs reviennent de Russie avec la conviction que la relation privilégiée avec l'Union européenne que la Russie souhaite et demande ne relève pas seulement de la tactique diplomatique traditionnelle russe consistant à présenter des doléances et des revendications de fond sans jamais accepter le cadre de négociations qui lui est proposé. La Russie ne supporte plus le renvoi constant au cadre formé par l'accord de 1994, qui est un traité similaire à celui que l'Union passe avec l'Ukraine, la Biélorussie, la Mongolie ou le Turkménistan. Il y a fort à craindre que, comme les rapporteurs l'ont entendu même à Bruxelles, « le malentendu entre Russie et Union européenne restera donc complet tant que l'Union ne sera pas en mesure de proposer un autre cadre. » A cet égard, répétons-le, le programme de nouveau voisinage est perçu par les Russes comme une provocation, sans doute pour des raisons que l'on perçoit clairement à travers la crise ukrainienne, mais également parce que, spontanément, la Russie ne conçoit pas d'être traité comme un voisin parmi d'autres.

Second postulat : la Russie est un partenaire obligé de l'Union et l'Union un partenaire obligé pour la Russie.

Chacune des parties est très consciente de la relation de dépendance mutuelle qui l'unit à l'autre, dépendance qui rend inéluctable une relation constante et constructive. Rappelons brièvement les termes de cette interdépendance : l'Union européenne compte désormais pour plus de 50 % des exportations commerciales russes ; côté européen, la Russie représente un fournisseur important de produits énergétiques : 16 % de la consommation européenne de pétrole dépend des exportations russes et 20 % de sa consommation de gaz du gaz naturel russe.

Dans ces conditions, le dialogue de sourds sur le thème « soyez démocratiques, ouverts et libéraux » d'un côté, « respectez notre puissance et cessez de vous ingérer dans nos affaires intérieures » de l'autre côté, est un luxe que ni l'Union ni la Russie ne peuvent continuer à s'offrir. Sans doute ces deux entités ont-elles des attentes différentes l'une à l'égard de l'autre - stabilité et fiabilité d'une part, développement et prospérité de l'autre. Mais, précisément parce que ce qu'elles peuvent s'apporter mutuellement est essentiel pour l'une comme pour l'autre, il importe de définir les mécanismes permettant de travailler sur ce qui rapproche et de fixer le cadre du dialogue sur ce qui sépare.

1) Un préalable indispensable : la construction d'une véritable politique russe de l'UE

En dépit de l'apaisement qui suivit la conclusion des accords sur l'extension de l'accord de 1994 aux nouveaux Etats membres et sur l'accession de la Russie à l'OMC, les interlocuteurs rencontrés par vos rapporteurs, à Moscou comme à Bruxelles, ont appelé à une remise à plat de la relation UE-Russie. Comme l'a souligné M. Dimitri Trenine, « l'ambiguïté sur la qualification de la relation Russie-Union européenne n'est pas levée. Certains Russes attendent un signal de l'Union européenne. Le débat sérieux sur « quelles relations en 2020 ? » doit commencer : l'actuelle situation ne peut perdurer ».

S'il est aisé de définir en creux les relations UE - Russie, en disant ce qu'elles ne sont pas, à savoir des relations de pré-adhésion, il est beaucoup plus difficile de cerner le contour précis et la substance de ces relations. Cette difficulté est essentiellement liée aux interrogations sur l'évolution de chacune des parties : définir la nature et le cadre du partenariat entre l'Union européenne et la Russie revient à définir le lien entre deux ensembles en métamorphose.

a) La Russie, une chance pour la PESC et, au-delà, pour l'Europe politique

L'Union européenne a toujours été réticente à s'engager dans le débat de fond sur la nature de son partenariat avec la Russie. Disposait-elle de toute façon des moyens de le faire ? Par construction, l'Union européenne s'est développée comme une structure d'intégration économique, pas comme une entité politique. Tout ce qui se joue aujourd'hui autour du débat constitutionnel est précisément la mue de l'Union européenne : va-t-elle enfin accepter de se percevoir elle-même de la même manière dont les autres, et notamment la Russie, la perçoivent ? La crise politique qui se déroule en Ukraine devrait permettre d'accélérer une évolution déjà inscrite dans l'élargissement : en effet, contrairement à l'analyse couramment répandue, celui-ci, loin de diluer l'Europe politique, peut la renforcer, l'Union étant de fait confrontée à des problématiques politiques. Ainsi, une Union qui inclut l'enclave russe de Kaliningrad en son sein n'a tout simplement pas les moyens de rester la « myope géopolitique » évoquée par Philippe Moreau-Desfarges.

La comparaison entre l'attitude de l'Union lors de la « révolution des roses » en Géorgie, à la fin de l'année 2003 et celle qu'elle affiche à l'occasion de la présente crise en Ukraine, après l'élargissement, témoigne de cette mue progressive. Sans doute les deux crises sont-elles fort différentes : l'Ukraine de 2004 n'est pas la Géorgie de 2003 et la question n'est pas de soutenir un dirigeant porté par tout un peuple, mais d'établir les conditions d'un scrutin démocratique afin qu'un peuple divisé à part quasi-égales entre deux candidats puisse se faire entendre. De même, en Géorgie, les enjeux pétroliers autour de la Caspienne expliquent l'implication d'autres acteurs, notamment des Etats-Unis. Reste qu'au-delà de ces différents facteurs, l'Union européenne a gagné en maturité avec l'élargissement. A cet égard, la crise ukrainienne est non seulement un test pour la Russie, en ce qu'elle pose la question de savoir si la Russie est encore dans un schéma impérial ou dans une logique de stratégie d'influence, mais également un test pour l'Union. Celle-ci va pouvoir évaluer la capacité de fonctionnement de la PESC à 25 membres. Force est de reconnaître qu'à la mi-décembre 2004, l'Union européenne a brillamment réussi l'épreuve : notamment, la maîtrise et la sagesse dont fait preuve un État que son histoire et sa géographie rendent particulièrement préoccupé par les événements en Ukraine, à savoir la Pologne, témoigne d'une maturité qui mérite d'être saluée.

Avant même que n'éclate cette crise, vos rapporteurs ont toujours eu le sentiment que, mieux que la relation transatlantique, qui représente une difficulté majeure pour l'Union, la relation avec la Russie pourrait jouer le rôle de politique pilote de la PESC. Rappelons à ce propos que c'est au soutien au processus démocratique en Russie que fut consacrée la première action commune de la PESC mise en œuvre fin 1993 et que c'est également la Russie qui, comme nous l'avons souligné, fut l'objet de sa première stratégie commune.

Non seulement essentiel pour conforter l'Europe politique, le succès d'une politique étrangère commune à l'égard de la Russie l'est aussi pour relancer la relation UE-Russie sur de nouvelles bases. Comme l'a justement fait remarquer aux rapporteurs le Président de la commission des affaires étrangères de la Douma, M. Konstantin Kossatchev, « l'Union européenne a développé deux modèles de relations extérieures : - le premier, fondé sur des rapports de pré-adhésion (Turquie, Bulgarie, Ukraine) ; - le second, qui repose sur des relations extérieures classiques, avec des pays sans intention d'adhésion (Chine, Japon, Etats-Unis...). Or, la relation entre l'Union européenne et la Russie n'entre dans aucune de ces catégories : la Russie n'a pas encore décidé dans quel groupe elle se situait ; quant à l'Union européenne, elle traite simultanément la Russie comme un membre du premier ensemble, en lui demandant de se conformer à un certain nombre de standards européens, sous peine de critiques, et comme un élément du second, en lui refusant toute perspective d'intégration. » Sans doute cette analyse conforte-t-elle la volonté russe de contourner les institutions communautaires au profit des structures intergouvernementales, la Commission étant vue à Moscou comme un interlocuteur particulièrement difficile. Elle n'est cependant pas dépourvue de pertinence : ainsi, à condition d'une bonne coordination entre le pilier intergouvernemental (PESC) et la Commission, la constitution d'une véritable politique commune à l'égard de la Russie permettrait de donner à la relation UE-Russie l'espace politique qui lui fait défaut.

En filigrane, la question clé qui est posée concerne le poids respectif des relations bilatérales des Etats membres avec la Russie et de la relation UE-Russie. Se félicitant de la qualité de la relation bilatérale franco-russe, le même Kossatchev soulignait la nécessité, pour faire progresser les dossiers en négociation, de « passer au-dessus la tête des bureaucrates européens ».

Ce faisant, la Russie met l'accent sur ce qui représente aujourd'hui l'un des points faibles de la relation UE-Russie. Ainsi, d'un côté, l'Union, en plein débat institutionnel, est tiraillée entre des pays désireux d'établir une relation soutenue avec la Russie (France, Allemagne) et des nouveaux venus très méfiants vis-à-vis d'une Russie qui les inquiète encore et donc favorables à un large rôle de l'Union européenne au détriment des approches bilatérales. Inquiétude qui est proportionnelle à la proximité des pays concernés par rapport à la Russie et inversement proportionnelle à leur taille et qui explique ce « syndrome du grand frère » qui caractérise leur relation à la Russie (on appelle à la rescousse la puissante Europe pour rétablir le rapport des forces). C'est ainsi, par exemple, qu'autant la France et l'Allemagne, soucieuses de la qualité de la relation avec celle qu'elles considèrent comme une grande puissance humiliée, sont prêtes à évoquer la politique de nouveau voisinage avec la Russie, y compris dans les aspects qui concernent des pays tiers, autant la Pologne ne conçoit pas que, s'agissant par exemple de l'Ukraine, cette politique soit évoquée en dehors d'un cadre bilatéral UE - Ukraine. D'où son attitude exemplaire de membre de l'Union dans la crise ukrainienne.

A ce jour, l'absence de clarification sert avant tout la Russie, qui joue parfaitement de cette dualité. L'épisode, encore présent dans les mémoires, de la conférence de presse des Présidents Berlusconi et Poutine, lors du sommet UE-Russie organisé à Rome sous la présidence italienne, en novembre 2003, représente l'exemple type de ce qui ne doit plus se passer : contre la position de l'Union européenne, le Président italien défendit le bilan de la Russie en matière de droits de l'homme, s'agissant des questions de la Tchétchénie et de l'affaire Youkos. Bien d'autres exemples pourraient d'ailleurs être mis en avant : c'est, en 2003, l'accord entre le Royaume-Uni et la Russie sur un dialogue énergétique spécifique, en plus (ou en parallèle) du dialogue sur l'énergie UE-Russie ; c'est encore, cette même année, l'engagement du chancelier allemand d'accélérer l'entrée de la Russie dans l'OMC, alors même que c'est la Commission qui est compétente pour les négociations commerciales internationales.

L'actuelle crise ukrainienne semble donner raison au diplomate qui disait que « Berlusconi avait rendu service à tout le monde » en épargnant au Président Poutine le soin de se justifier sur sa politique tchétchène et sur sa conduite de l'affaire Youkos : « Il a démontré que les capitales des Etats membres ne pouvaient plus continuer ainsi »(25). Dans la foulée de cet incident, la Commission élabora d'ailleurs une communication au Conseil et au parlement européen sur les relations avec la Russie. A l'occasion du Conseil des ministres des affaires étrangères de l'Union qui s'ensuivit, ces derniers s'engagèrent à « une cohérence accrue dans l'ensemble des domaines de la coopération » (26) entre l'Union et la Russie. Notons au passage que la Commission serait bien inspirée de s'imposer à elle-même cette discipline, les directions générales impliquées dans les affaires russes étant loin d'afficher un front uni.

La France est évidemment concernée au premier chef au regard de l'excellence de sa relation bilatérale avec la Russie, à laquelle elle attache un très grand prix. Posons pourtant, sans doute brutalement, la question des conséquences d'une telle relation : avons-nous plus à gagner à la poursuite de cette relation dont il faut être conscient qu'elle peut, ponctuellement, nuire à l'unité de l'Union ou à faire progresser l'Europe politique en considérant que la politique russe est l'un des seuls grands sujets susceptibles de conduire à la construction d'une PESC sur le long terme ?

En réalité, la question ne se pose pas dans des termes aussi tranchés.

En premier lieu, l'implication des Etats membres dans la relation UE-Russie résulte très naturellement de l'extension des domaines de coopération avec la Russie. Dès lors que l'on aborde le champ de l'intergouvernemental, les termes de la problématique du rôle des États nations sont profondément renouvelés : les Etats nations ne sauraient être laissés à l'écart.

En second lieu, l'excellence des relations actuelles de la France avec la Russie est très certainement un atout, y compris pour l'Union. Il ne s'agit pas ici de revenir sur les multiples facteurs qui nourrissent l'amitié franco-russe : tout a été dit de l'histoire, de la vision du monde et de l'équation personnelle - Poutine considère le général de Gaulle comme un « modèle » de Chef d'État qui a fait du redressement de son pays la clé de son action politique, à l'intérieur comme à l'extérieur - qui rapprochaient la France et la Russie. A l'évidence, la très grande qualité de la relation franco-russe a permis de développer un véritable climat de confiance avec la Russie, qui représente un capital précieux dans les moments de crise. Le cas de l'Ukraine montre que, même quand l'Union est en première ligne, ce capital peut se révéler fort utile : ce sont, aux moments clés de la crise, un appel téléphonique entre politiques, des rencontres entre diplomates, dont la discrétion n'enlève rien à l'efficacité. Sans doute, juridiquement, est-ce l'Union qui agit ; mais quand les hommes se parlent, ce n'est pas un Européen et un Russe qui sont en face l'un de l'autre, c'est un Polonais, un Français ou un Allemand d'un côté, et un Russe de l'autre. Et il est évident que si c'est un Français qui explique à son interlocuteur russe que l'Union européenne n'a aucune ambition impériale sur ses marges mais simplement la volonté d'être entourés d'Etats stables et sûrs, le message ne sera pas reçu de la même façon que si c'est un Polonais qui parle.

Au total néanmoins, l'élargissement a très certainement rendu périlleux l'exercice compliqué que représente la coexistence de relations bilatérales Etat membre-Russie et d'une relation spécifique UE-Russie. En effet, si l'entrée de dix nouveaux Etats membres issus de l'ancienne sphère soviétique a permis un notable développement de l'expertise de l'Union sur la Russie, elle signifie aussi davantage de méfiance. Un diplomate rencontré à Bruxelles par la mission ne confiait-il pas qu'une des fonctionnaires placées sous son autorité, issue de l'un des nouveaux Etats membres, avait refusé d'être affectée à un poste relatif aux relations avec la Russie, craignant d'agir davantage en tant que ressortissante de l'État dont elle avait la nationalité que comme fonctionnaire de la Commission ? Dans ce nouveau contexte, l'affirmation de stratégies nationales heurtant de front les orientations ou les décisions de l'Union fait peser sur la PESC plus qu'un risque de cacophonie : c'est sa capacité de fonctionnement même qui pourrait être mise en péril.

A cet égard, la crise ukrainienne est plutôt rassurante en ce qu'elle a permis de monter qu'un équilibre entre la PESC et les politiques étrangères des Etats membres était possible. La vigilance est cependant de mise, l'équilibre acquis étant fragile. Il doit être approfondi : les 25 gagneraient à partir de la crise ukrainienne pour consolider la PESC, en faisant de ce pays un « laboratoire » de la politique étrangère de l'Union.

Il convient également de profiter des multiples contacts qui se nouent lors de ce genre de crises pour renforcer l'expertise de l'Union européenne sur la Russie. Celle-ci est d'ores et déjà considérable et a gagné en diversité avec l'élargissement. A leur niveau, les diplomates des Etats membres effectuent, au jour le jour, ce travail de confrontation de leurs connaissances et de leur vision de la Russie. Un tel travail gagnerait à s'intensifier au niveau parlementaire. La mission a pu constater, lors de son déplacement en Finlande, l'importance des ressources d'expertise existant dans ce pays qui a, pendant cinquante ans, développé une relation très particulière avec son grand voisin. Connue sous le vocable désormais négativement connoté de « finlandisation », cette relation a permis à la Finlande d'acquérir une compétence unique dans l'Union ; les pays baltes et les Polonais sont également de très bons connaisseurs de la Russie. Les caractéristiques de l'histoire finlandaise rendent cependant la relation de ce pays à la Russie moins passionnelle et plus sereine. Dans cette optique, vos rapporteurs ont proposé à leurs homologues du Parlement finlandais la mise en place d'un dialogue qui réunirait les pays engagés dans la dimension septentrionale (27) et, par exemple, l'Italie, l'Allemagne et la France. L'objectif d'un tel dialogue serait de permettre aux uns et aux autres de progresser vers une vision commune de ce que doit être la politique russe de l'Union.

b) Un langage commun à construire

Pour Moscou, l'Union européenne demeure un partenaire avec lequel il est difficile d'engager un véritable dialogue : la méfiance russe reste réelle face à l'Union et découle notamment des difficultés russes à cerner le caractère original de l'Union, cette structure de 25 Etats membres, dotée d'une dimension supranationale. La Russie, comme les Etats-Unis d'ailleurs, a beaucoup de difficultés à comprendre le dépassement des souverainetés qu'implique l'intégration à l'Union, elle qui est au contraire engagée dans une politique de réaffirmation de la souveraineté nationale.

De son côté, l'Union peine à comprendre ce qu'elle perçoit comme des réflexes d'un autre âge s'agissant des évolutions internes en cours en Russie et de sa réaffirmation dans son étranger proche. Il ne serait pas inutile, cependant, de se souvenir que l'Union européenne est la seule aire géographique dans le monde où les Etats se définissent autant par leur appartenance à une entité supranationale que par leurs prérogatives de souveraineté.

Le reproche de l'ambiguïté fait par la Russie à l'Union européenne n'est pas totalement infondé : en effet, l'Union ne cesse de balancer entre les triptyques stabilité/prévisibilité/fiabilité et ouverture/réformes/démocratisation.

Que la Russie adopte à terme les valeurs occidentales est éminemment souhaitable. L'Union européenne se doit cependant de faire une utilisation plus judicieuse de la thématique des valeurs dans ses relations avec la Russie : le contraste entre l'omniprésence de cette notion dans les textes et le discours presque inaudible de l'Union sur les violations des droits de l'homme en Russie est frappant. Il accrédite l'image d'une Union plus à l'aise dans les grandes déclarations que dans l'action concrète. De deux choses l'une : soit nous considérons le développement de valeurs communes comme l'objectif de notre relation avec la Russie tout en acceptant que les moyens visant à atteindre cet objectif de long terme puissent ne pas être totalement satisfaisants et impliquer, notamment, de coopérer avec une Russie autoritaire ; soit nous faisons des valeurs communes à la fois l'objectif de long terme et la condition de notre partenariat avec la Russie, auquel cas nous acceptons le risque d'un partenariat extrêmement limité, en contradiction avec les intérêts de l'Union identifiés dans de nombreux documents communautaires.

Une telle clarification du positionnement de l'Union serait souhaitable, ne serait-ce que parce que celui de la Russie est, quant à lui, tout à fait clair : à aucun moment, la stratégie à moyen terme pour le développement des relations avec l'Union (2000-2010), qui forme le fondement de la politique européenne de la Russie, ne fait référence à ces valeurs communes. Qui plus est, lever cette ambiguïté priverait la Russie de l'un de ses réflexes favoris consistant à mettre son partenaire de négociation devant ses faiblesses pour éviter d'entamer la discussion sur le fond, puis à lui reprocher de ne pas vouloir négocier.

Ce même effort de clarification du discours européen doit être fait s'agissant de ce que nous avons appelé les « irritants » de la relation UE-Russie, dont les Russes se servent à merveille pour bloquer les débats de fond. Non que ces dossiers soient purement et simplement instrumentalisés par la Russie et qu'il faille minimiser ses préoccupations sans doute partiellement réelles. Mais il importe de remettre ces questions à leur juste place pour pouvoir avancer sur les dossiers qui intéressent les deux parties.

· S'agissant de Kaliningrad, la proposition faite, au sommet de la Haye du 26 novembre 2004, par le Président Barroso de mettre en place une structure ad hoc, au sein des organes de l'accord de 1994, pour évoquer les questions de transit et de coopération transfrontalière, va dans le bon sens. Il faut, en effet, circonscrire cette question spécifique, d'autant que les sujets de coopération ne manquent pas. Plus largement, sur Kaliningrad, les Européens doivent, tout aussi inlassablement que les Russes, répéter le message selon lequel il ne saurait être question de remettre en cause l'appartenance de Kaliningrad à la Russie, ni directement, ni indirectement. Kaliningrad est russe et le restera. Il s'agit, par là même, de faire comprendre à la Russie qu'elle serait la seule perdante au jeu consistant à choisir la politique du pire à Kaliningrad pour éviter les tentations sécessionnistes - l'idée étant d'accuser l'Union européenne de la dégradation de la situation afin d'en faire un perpétuel socle de revendications et un instrument de négociations.

A ce jour, le discours de Moscou est ambigu. Certes, a-t-il été dit aux rapporteurs lors de leur déplacement à Moscou, la Russie, ne serait-ce que pour écarter toute menace séparatiste, est prête à en faire, avec l'Europe, une région prospère, « à condition toutefois que le postulat selon lequel Kaliningrad est une partie du territoire russe et le restera soit accepté par l'Union européenne ».

· S'agissant de la situation des russophones en Estonie et Lettonie, l'existence d'un « problème russe » dans ces pays est une évidence et pourtant il est difficile de le définir avec précision : nulle part ne trouvera-t-on dans ces pays des violences entre les personnes ou les groupes. En Lettonie notamment, la perpétuation des non-citoyens révèle à elle seule l'étendue de l'impasse actuelle, qui peut se résumer ainsi : comment faire en sorte qu'un nombre croissant de russophones prennent la citoyenneté lettone et manifestent par là même leur loyauté à l'égard de la Lettonie indépendante ? Autrement dit, comment concilier le projet national letton - projet largement à la française, avec une Lettonie une et indivisible, une langue d'État et des fonctionnaires citoyens - et le « fait russe », qui souhaiterait s'incarner dans un État binational, à tout le moins bilingue ?

Au regard de cette situation, il n'est pas acceptable que, lorsque l'Union européenne dit « Grozny », la Russie réponde « Lettonie ». C'est pourtant le message aujourd'hui martelé par Moscou, qui instrumentalise ce dossier à tous les niveaux - politiques, diplomatiques, techniques : Présidence, MID, Douma, la ligne est la même. Fait d'ailleurs très révélateur, une petite brochure sur les minorités russophones a été éditée en français, en novembre 2004, par les autorités russes. Même les réactions officielles russes à la signature de la Constitution européenne ont été l'occasion de revenir sur ce dossier. Le communiqué du MID précise ainsi : « nous attendons qu'avec l'entrée en vigueur du traité une impulsion soit donnée à la résolution des problèmes de respect des droits des minorités nationales à travers tout l'espace européen, sur la base des règles et standards internationalement reconnus ».

La question des russophones relève de la souveraineté de la Lettonie et de l'Estonie : l'Union européenne ne doit pas manquer de rappeler que chaque État est libre de s'organiser selon les modèles démocratiques de son choix. C'est pourquoi elle ne doit pas se laisser enfermer dans les revendications russes.

Essentiellement parce qu'elles ne sont pas fondées : vos rapporteurs, qui se sont rendus en Lettonie, ont pu constater qu'un long chemin restait à parcourir pour que ce pays regarde son histoire contemporaine avec sérénité et construise une relation normale avec la Russie ; mais ils n'ont vu nulle part que les droits des minorités y fussent bafoués et, en tant que Français, peuvent comprendre parfaitement que la Lettonie ne puisse accepter le bilinguisme officiel demandé par la Russie, quand le letton est précisément le seul ciment viable de l'unité nationale. Certes, l'expression de « non citoyens » est extrêmement déplaisante, même si, aux dires des Lettons, elle correspond, dans la langue lettone, à une forme linguistique sémantiquement neutre (préfixe privatif). Reste que leur nombre se réduit et qu'ils bénéficient de papiers leur permettant de se rendre à l'étranger, n'étant nullement assimilables à des apatrides. On observera par ailleurs qu'aucun de ces non-citoyens n'aspire à quitter la Lettonie pour vivre dans un autre pays, en Russie notamment.

En outre, il est dans l'intérêt même de l'Union, au titre du caractère essentiel qu'elle attribue à sa relation avec la Russie, de couper rapidement court aux demandes russes en la matière. La Russie et l'Union ont des sujets importants à traiter, qui relèvent de leur compétence : or, tel n'est pas le cas du sujet en cause. Lorsque M. Sergueï Iastrembjski déclare que « la question des minorités russophones des pays baltes représente aujourd'hui plus un problème pour l'Union européenne que pour la Russie », il a raison s'il reconnaît que la Russie n'a pas compétence pour s'ingérer dans les affaires intérieures d'un État, les russophones en cause n'ayant pas, rappelons-le, la nationalité russe. Mais il a tort en déclarant qu'il s'agit un problème de l'Union : celle-ci veille au respect des droits de l'homme, certes, et n'aurait jamais accepté d'intégrer en son sein un pays qui ne s'y conformerait pas, mais les questions de nationalité et de statut des minorités ne sont pas de sa compétence. C'est le Conseil de l'Europe qui est compétent et, à ce titre, a donné quitus à ces deux pays. En l'occurrence, le rôle de la Commission et des Etats partenaires de l'Union ne peut que se limiter à inviter ces pays à réfléchir au déficit démocratique que représente assurément la non existence politique des non-citoyens.

Enfin, si l'Union doit couper court aux demandes russes, c'est parce que les incessantes pressions de la Russie peuvent faire peser un risque sur les relations entre les Etats membres. L'unité de l'Union à 25 est sans doute une donnée juridique ; elle reste cependant fragile à construire au quotidien. Or, c'est précisément sur des dossiers de ce genre qu'elle entrera dans les faits. Il existe une réelle préoccupation de la Lettonie et l'Estonie sur la manière dont la Russie présente aux autres Etats membres de l'Union la problématique des populations russophones dans ces pays : il serait totalement contre-productif d'ignorer des préoccupations, attitude qui pourrait être interprétée comme relevant de l'arrogance d'un « grand pays » à l'égard d'un « petit ». Vos rapporteurs l'ont répété à Riga, à Helsinki : il n'existe pas de « petit » ou de « grand » pays, il n'y a que des Etats membres. Si nous voulons construire une politique commune de l'Union à l'égard de la Russie qui prenne en compte nos préoccupations, nous devons tenir compte de celles autres Etats.

A l'inverse d'ailleurs, les nouveaux Etats membres tels que la Lettonie et l'Estonie doivent travailler à dépasser leur crispation sur la question russe et se comporter, non pas en territoires victimes de l'occupation soviétique, mais en Etats membres : le jeu de la Russie consiste précisément à les enfermer dans l'identité soviétique qui leur fut imposée pendant presque cinq décennies. A cet égard, les tentatives pour créer un journal commun à tous les habitants de Lettonie, disponible en letton et en russe, doivent être encouragées : à ce jour, en effet, il existe deux presses presque totalement étanches l'une à l'autre, l'une en russe, l'autre en letton, qui enferment chacun dans son identité, au lieu de créer un espace public d'expression non partisan. Dans cette même perspective, la création d'un portail bilingue sur Internet, à travers le site Dialogii-LV, représente le genre d'initiatives qu'il faut encourager, afin que les termes du débat lettophones/russophones ne se perpétuent pas de génération en génération. Ce travail de terrain est d'autant plus souhaitable que, comme le révèle une étude menée par l'Institut balte de sciences sociales auprès de 1 189 élèves russophones (28), même si beaucoup d'entre eux ont le sentiment qu'il existe deux comunautés distinctes et autonomes, possédant chacune leur langue, leur espace public propre et leur réseau de relations, les relations entre communautés sont perçues comme bonnes et le sentiment national envers la Lettonie reste très fort. 41 % de ces élèves qualifient leur sentiment d'appartenance à la Russie comme n'étant « pas très fort », 46 % qualifiant au contraire celui qui les unit à la Lettonie comme « fort ». A l'évidence, toutes les initiatives visant notamment la génération des moins de trente ans contribueront à diminuer les tensions entre lettophones et russophones.

Assurément, la Russie aussi a un travail de mémoire à faire pour accepter la séparation des Baltes et cesser de les voir, comme certains des interlocuteurs de la mission à Moscou, comme des « pays qui, reliés en 1991 par des millions de fils à la Russie, se sont, par leur décision stratégique de rejoindre l'UE, fermés à la Russie, même lorsque cela allait à l'encontre de leurs intérêts. »

Sans doute les célébrations du soixantième anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale qui devraient faire, à Moscou, l'objet de cérémonies d'importance, pourraient-elles être l'occasion d'un travail approfondi, dans chacun de ces pays, sur la mémoire historique. En Lettonie, notamment, vos rapporteurs sont convaincus de l'utilité qu'il y aurait à mener ce travail de fond : la France a, à cet égard, une expérience très riche à proposer, sur le fondement de l'ensemble des travaux historiques effectués et sur sa propre histoire et sur la relation franco-allemande. Des séminaires communs d'historiens français, allemands, lettons et russes pourraient, petit à petit, permettre d'apaiser cette mémoire douloureuse. Des gestes politiques permettraient, en outre, d'accélérer ce travail : à cet égard, la question qui se pose est celle de la participation de la Lettonie aux cérémonies organisées à Moscou le 8 mai 2005, auxquelles elle a été invitée par la Russie. Vos rapporteurs sont convaincus que la présence de Mme Vike Vaira-Friedberga, Présidente de Lettonie, représenterait un geste symbolique majeur, même s'ils sont pleinement conscients de la difficulté que représente un tel geste pour la Lettonie, qui voit dans cette date le début de 46 ans d'occupation, et non la fin du cauchemar que fut pour elle la seconde guerre mondiale.

c) Des difficultés potentielles à identifier en amont

Construire une politique commune à l'égard de la Russie implique également de clarifier en amont la ligne que l'Union européenne doit adopter sur les difficultés connues et potentielles susceptibles de créer des tensions récurrentes dans la relation euro-russe. Jusqu'alors, force est de constater qu'entre la diplomatie déclaratoire de la PESC, la diplomatie coercitive mise en œuvre dans le cadre communautaire (quoique décidée par la PESC) et la diplomatie incitative et préventive mise en œuvre au travers des actions et stratégies communes de la PESC, l'Union européenne a pu louvoyer pour éviter de montrer au grand jour ses hésitations et ses faiblesses. Non que cette souplesse soit en elle-même condamnable : que l'Union ait développé une gamme d'instruments diversifiés témoigne de la vitalité de son action ; encore faut-il toutefois que la ligne politique ne soit pas de facto remise en cause par la dynamique institutionnelle propre au cadre communautaire - dynamique qui s'apparente quelquefois davantage à une certaine inertie administrative.

Deux types de difficultés doivent, à notre sens, faire l'objet d'un dialogue nourri au sein même de l'Union, afin de ne pas se transformer, lorsque la crise est là, en sujets de dissension intra-européens.

Une première série concerne l'ensemble des questions relatives au traitement des droits de l'homme en Russie, et notamment le problème de la Tchétchénie.

C'est, sur ce dossier, une approche très mesurée qui a jusqu'alors prévalu de la part de l'Union. En cause, « the awful dilemma » (« le terrible dilemme ») évoqué par M. Chris Patten, lors du discours qu'il prononça, le 17 novembre 1999, au Parlement européen, qui résume parfaitement les termes de l'alternative : pour l'Union, le choix est entre, d'une part, l'évocation discrète du sujet, dans l'espoir que le partenariat UE-Russie conduira petit à petit la Russie à évoluer sur le sujet et, d'autre part, les protestations vigoureuses pour dénoncer ces atteintes répétées aux droits de l'homme, au risque de mettre un frein brutal au dialogue avec la Russie. D'ores et déjà, on observe que, pour très modérée qu'elle soit, la position de l'Union sur ce dossier n'en suscite pas moins immédiatement le raidissement de Moscou. En la matière, comme ils le font d'ailleurs en Ukraine, les Russes sont très prompts à crier au complot : c'est Vladimir Poutine lui-même qui, le 5 novembre 2003, évoque ces forces en Europe qui « exploite[nt] le thème de la Tchétchénie pour exercer des pressions sur la Russie ». La Russie dénie en effet tout droit de regard à l'Union européenne sur le problème tchétchène, considérant qu'il s'agit d'un problème de politique intérieure, même s'il relève du terrorisme international.

L'Union européenne n'a certainement pas intérêt à focaliser ses relations avec la Russie sur la question tchétchène, ne serait-ce que parce qu'elle n'a, en l'occurrence, qu'une politique déclaratoire. Elle gagnerait à aborder ce sujet à travers le thème plus large de la question des droits de l'homme : la Russie dit vouloir aborder cette problématique concernant les minorités russophones ? Soit. Engageons la Russie dans une série de consultations régulières, y compris politiques, sur le sujet des droits de l'homme et des libertés fondamentales, comme l'Union l'a proposé au sommet de La Haye. Le Président Poutine a paru réceptif à cette idée : l'Union a la chance d'avoir au Kremlin un homme fort, qui contrôle réellement la situation en Russie et qui veut plaire à l'Europe. Elle se doit d'exploiter cette chance.

Ce raisonnement vaut tout autant pour la seconde série de difficultés que représente, pour la relation UE-Russie, la question de l'étranger proche désormais commun aux deux pays : Ukraine, Biélorussie, Géorgie, Moldavie.

· Pour l'heure, la question de la « concurrence » russo-européenne en Biélorussie ne se pose pas. Les relations entre l'Union européenne et la Biélorussie sont en effet, depuis l'accession au pouvoir du Président Loukachenko, réduites à leur plus strict minimum : les conclusions du Conseil Affaires générales de 1997 restent en effet toujours valides tant le régime politique de ce pays demeure contraire aux principes démocratiques élémentaires. C'est ainsi qu'avec le Turkménistan, la Biélorussie est le seul État successeur de l'URSS avec lequel l'Union n'ait pas d'accord de partenariat, celui dont la négociation avait abouti en 1995 ayant été gelé en 1996 et sa ratification suspendue jusqu'à ce que la Biélorussie satisfasse aux critères démocratiques de l'OSCE. Pourtant, l'Union européenne est allée aussi loin que possible dans ses efforts pour rétablir le contact avec la Biélorussie : ainsi, au début de l'année 2002, elle a proposé la mise en place d'un processus graduel liant la reprise du dialogue avec la mise en œuvre, étape par étape, d'un agenda de démocratisation par la Biélorussie. Cette tentative s'est heurtée à de nouvelles atteintes à la liberté des médias et à une politique continuelle de la Biélorussie pour saper, au quotidien le travail de l'OSCE. En novembre 2002, des mesures de restriction à l'accès sur leur territoire ont été prises par 14 des 15 membres d'alors à l'encontre des principaux dirigeants biélorusses. Cette mesure a été levée en avril 2003 après l'établissement d'une nouvelle antenne de l'OSCE à Minsk.

Dans ce contexte, la politique de nouveau voisinage à l'égard de la Biélorussie ne saurait être que tronquée. Tandis que le Conseil a réaffirmé, le 13 septembre 2004, ses préoccupations à l'égard de la situation politique en Biélorussie, 10 millions d'euros ont été inscrits dans le cadre de la mise en œuvre du programme TACIS pour 2005-2006, consacrés au soutien à la société civile et à la démocratie, à l'éducation et aux conséquences de Tchernobyl.

· S'agissant de la Géorgie et de la Moldavie, leur intégration à l'initiative de nouveau voisinage a fait débat : si la France n'y était pas très favorable, l'Union a finalement suivi la proposition de la Commission de les intégrer à ce nouvel instrument.

Sur les problèmes de cette zone, la dialogue est relativement figé avec Moscou qui, dans le cadre de l'espace de sécurité et de gestion commune des crises, refuse de reconnaître à l'Union un droit de regard sur les « conflits gelés ». Au total, si l'Union est présente via TACIS ainsi qu'à travers les programmes INOGATE et TRACECA (29) relatifs aux grandes infrastructures de transport pour relier l'Europe occidentale à la Caspienne, sa présence est néanmoins discrète. En Géorgie, l'Union doit également tenir compte du double intérêt russo-américain dans cette zone « pétroléo-stratégique ». Au grand dam d'ailleurs de la Géorgie qui veut s'ancrer dans l'Europe, notamment en devenant membre de l'Union.

La mission considère pour sa part que, via les programmes et instruments existants, l'Union européenne doit mettre en avant, en Géorgie et en Moldavie, sa « valeur ajoutée » en vue de l'intérêt majeur qu'elle a à la stabilisation de cette région. En Géorgie, cela signifie à la fois l'intensification de son action en faveur du renforcement de la démocratie, de l'État de droit et du respect des droits de l'homme. En Géorgie, les coopérations en matière d'énergie doivent également être poursuivies, voire accentuées.

· Test pour la Russie, test pour l'Union européenne, la crise ukrainienne est également un test pour la relation UE-Russie. Elle met à nu les ambiguïtés d'une relation, dont étaient porteurs aussi bien que l'élargissement de l'Union (voisinage commun) que l'approfondissement de l'intégration (développement de la PESC et de la PESD). D'une certaine manière, elle permet à l'Union d'élaborer la doctrine politique de nouveau voisinage, dimension qui manquait dans la définition de ce nouvel instrument communautaire.

Aux yeux des rapporteurs, la doctrine de l'Union à l'égard de son nouveau voisinage doit s'articuler autour des deux principes de fermeté et de respect.

«  Ce qui irrite les Russes dans l'Union européenne, c'est sa faiblesse ». Cette boutade de Sergueï Karaganov, membre du Conseil russe de politique étrangère et de défense(30), n'est pas dénuée de toute pertinence. Dans sa relation avec l'Union européenne, la Russie est réellement déstabilisée par l'imperméabilité de l'Union à l'approche traditionnelle des relations internationales en termes de puissance. Le même poursuivait d'ailleurs en remarquant que « aujourd'hui, l'Union européenne est fondée sur les principes de bureaucratie, de collectivisme et du politiquement correct (political correctness) ».

A l'évidence, l'Union, en développant une identité politique sur la scène internationale, est appelée à s'affirmer comme puissance et à raisonner en termes de rapports de force. Tel est ce qu'il faut entendre par fermeté. Il n'est donc nullement question ici de zone d'influence ou de visées impérialistes : l'Union européenne n'a pas d'ambitions impériales sur le continent européen. Conçue comme un projet visant à ancrer définitivement l'Europe dans la paix et la stabilité, elle n'a d'autre objet que de promouvoir ces valeurs à ses frontières. Ne serait-ce que parce que c'est dans son intérêt.

Ce serait donc un contresens historique complet, de la part de la Russie, que d'interpréter le rôle de médiation que l'Union européenne joue en Ukraine comme une tentative d'ingérence dans l'espace ex-soviétique. Réduire l'épisode ukrainien à une concurrence entre l'Union européenne et la Russie est, en outre, contre-productif : la Russie, comme l'Union, sont deux entités confrontées à des problèmes d'intégration, la première luttant à la fois contre sa désintégration et oeuvrant en même temps à une réintégration régionale selon des modalités nouvelles, la seconde étant lancée dans un processus d'intégration historique de type totalement inédit. Ce sont donc deux ensembles fragiles (certes inégalement) qui ont des « responsabilités communes sur un continent partagé ».

A l'inverse, l'Union européenne aurait tort de ne voir dans l'attitude russe à l'égard de l'Ukraine que le spectre de l'Union soviétique. Lorsqu'ils se sont rendus à Moscou en juin dernier, vos rapporteurs ont entendu des politologues et chercheurs modérés leur expliquer combien il était « choquant que des responsables européens interviennent dans la relation bilatérale russo-ukrainienne en recommandant à l'Ukraine de ne pas intégrer l'espace économique commun que lui propose la Russie : que dirait la France si la Russie se mêlait de sa relation bilatérale avec l'Allemagne ? » Telle était d'ailleurs la tonalité du message envoyé par tous les interlocuteurs de la mission.

L'Union européenne se doit donc, tout en étant ferme sur le principe de souveraineté de l'Ukraine, de faire preuve de respect à l'égard des préoccupations russes.

Les relations entre la Russie et l'Ukraine ne sauraient être lues à l'aune de la seule période soviétique et du seul souvenir de la répression stalinienne en Galicie orientale, par exemple. Il n'est pas anormal que la Russie se sente très concernée par l'évolution d'un pays dans lequel se situe la « mère de toutes les villes russes », depuis la création au IXème siècle de l'État kiévien, dont Moscou reprit l'héritage au XIVème siècle lorsque Kiev rejoignit l'empire polono-lithuanien. Kiev occupe une place particulière dans l'imaginaire de son grand voisin, qui qualifiait la partie orientale du pays, aux marches de l'Empire tsariste, de « petite Russie ». N'oublions pas, à ce propos, que le rôle stratégique joué par l'Ukraine aux yeux de la Russie est inscrit dans le nom même du pays, Ukraina signifiant « marche », au sens des marches d'un Empire... Pour choquante que paraisse la nostalgie impériale de la Russie aux yeux d'une Europe qui se construit précisément en rupture avec ce type de notions, il n'en reste pas moins que conjurer les dérives du passé ne saurait nous conduire à une lecture anhistorique des événements contemporains.

A l'inverse, la Russie doit accepter toutes les conséquences de l'élargissement, ce qui signifie notamment accepter que l'Union européenne ait à cœur de consolider l'espace qui l'entoure. Il y aurait quelque contradiction pour la Russie à s'émouvoir de l'élargissement en faisant état de ses craintes quant à l'érection d'un nouveau mur et à l'apparition de nouvelles lignes de fracture en Europe - ce qui fut son discours jusqu'à la conclusion de l'accord sur l'extension de l'accord de 1994, en avril 2004 - et, d'un autre côté, à prétendre empêcher l'Union européenne de regarder au-delà de ses frontières. Cette politique du « deux poids, deux mesures », qui reconnaîtrait le droit de l'Union à faire profiter ses voisins de sa prospérité mais lui dénierait tout droit de regard sur la stabilité de ses régions frontalières, est assurément irrecevable. Sans doute ne va-t-il pas de soi pour la Russie de voir l'Europe occidentale s'intéresser de près à la situation d'un espace qu'elle considère comme relevant de sa zone d'influence. A l'instar de la nouveauté radicale du projet européen, cette nouveauté géopolitique s'inscrit cependant pleinement dans la logique de l'intégration européenne.

A l'évidence donc, l'enjeu de la crise ukrainienne dépasse largement les frontières de ce pays : elle révèle au grand jour les ambiguïtés de la relation UE-Russie, l'une développant des stratégies communautaires ambitieuses à l'égard de ses nouveaux voisins de l'Est, en se refusant à en envisager même les conséquences politiques, voire symboliques, l'autre jouant à fond la carte économique avec cette entité de 450 millions de consommateurs qu'est l'Union, tout en fronçant les sourcils devant la politique communautaire de nouveau voisinage ; l'une espérant avoir le moins possible à évoquer la question de la Tchétchénie, des droits de l'homme, de la liberté d'expression pour ne pas hypothéquer le dialogue énergétique vital qu'elle entretient avec la Russie, l'autre saisissant le moindre dossier économique ponctuel - pensons par exemple à l'épisode des certificats vétérinaires - et instrumentalisant la question des russophones de pays baltes pour mettre dos à dos la Tchétchénie et la Lettonie et reporter sans arrêt les discussions de fond sur des sujets politiques.

Aujourd'hui, cette politique d'évitements successifs a atteint ses limites, la Russie et l'Union européenne se révélant telles qu'elles sont : d'un côté, une nation qui ne veut pas faire le deuil de sa domination dans son étranger proche et a des difficultés à comprendre que la démocratie soit une aspiration populaire spontanée ; de l'autre, une entité qui doit apprendre à assumer son identité politique, à développer des relations de partenariat qui soient autre chose que des relations de coopération économique d'un côté et un programme de pré-adhésion de l'autre et, in fine, à parler d'égal à égal avec un grand voisin qu'elle regarde de haut quand elle se conçoit comme zone de prospérité économique et devant lequel elle se fait toute petite dès lors que sont abordés les sujets de sécurité et de politique intérieure.

A cette heure, nul ne peut dire quelle sera l'issue de la crise ukrainienne et quelles en seront les conséquences pour la relation UE-Russie. Notamment, faut-il penser que si, par exemple, la Biélorussie souhaitait renouer avec la démocratie, on se heurterait à une « crise à l'ukrainienne » ? Là encore, les deux scénarios de l'exceptionnalisme et de la normalité sont envisageables. Soit Moscou tirera comme conséquence de la crise ukrainienne que la progression des standards démocratiques dans son étranger proche signifie de facto rapprochement avec l'Union et « banalisation » de la relation avec la Russie, auquel cas elle serait tentée de favoriser les évolutions à la biélorusse - tête-à-tête avec un régime paria, forcément à son avantage au vu des rapports de force. Soit, au-delà de ce calcul perdant à long terme, la Russie laissera cette zone médiane frontalière de l'Union tirer tous les bénéfices de sa proximité géographique, notamment en termes économiques, fût-ce au prix d'une démocratisation des régimes concernés. Dans cette hypothèse, elle considérerait qu'elle serait également bénéficiaire de cette stabilité et de cette croissance et mettrait à profit ses liens historiques pour en tirer tout le bénéfice, économique notamment, dont elle a besoin pour son développement de long terme.

d) Une méthode à préciser : un partenariat ou des partenariats ?

Comme le montrent les pages qui précèdent, l'Union européenne souffre, dans sa relation avec la Russie, d'un tiraillement perpétuel entre la poursuite de ses intérêts, notamment économiques, et la volonté de privilégier des principes politiques et éthiques. En termes pratiques, ce perpétuel balancement pose la question de la dissociation entre les différents sujets qu'abordent l'Union européenne et la Russie dans le cadre de leur coopération : faut-il faire jouer des mécanismes globaux, qui relient les questions économiques, énergétiques, politiques, scientifiques, militaires, etc ? Ou bien, au vu de l'importance de la Russie dans le domaine énergétique, faut-il dissocier ce sujet des questions liées au respect des droits de l'homme, de l'État de droit et de la démocratie ? Le partenariat énergétique approfondi objectivement conforme aux intérêts de long terme de l'Europe est-il possible sans véritable dialogue politique ? Autrement dit, jusqu'où peut-on sérier, cloisonner les sujets ?

Jusqu'alors, c'est plutôt le choix de la globalisation qui a été fait, dont l'accord hybride de 1994 porte la marque. Ce choix est également à relier à la culture de la conditionnalité, qui représente l'un des principes de base des relations extérieures de l'Union. Est-elle adaptée aux relations avec les pays dont l'adhésion n'est pas envisagée ? Toute la question tourne en réalité autour de la distinction entre relations extérieures et politique étrangère : dans le cadre de sa politique de relations extérieures, l'Union européenne a développé un modèle original de relations, jusqu'alors le plus souvent en vue de l'adhésion, avec, pour contrepartie, une forte conditionnalité des accords conclus. Ce principe pose problème à l'égard d'un pays dont l'adhésion n'est pas envisagée et qui est loin d'être, tant s'en faut, un partenaire comme les autres. De fait, pour l'Union européenne, tous les pays sont égaux, discours proprement inaudible pour un pays qui se considère comme unique.

Il semble à la mission que cette approche globale ne devrait pas systématiquement être mise en œuvre. Notamment, les sujets sur lesquels des intérêts communs clairement identifiés devraient faire l'objet d'un traitement à part, déconnecté des autres questions en débat. Sans doute, avec ce rude négociateur qu'est la Russie, les techniques classiques de marchandage sont-elles indispensables et il importe de « garder des munitions ».

Toutefois, un cloisonnement devrait être établi s'agissant tout d'abord des questions énergétiques, qui suivent une logique et une dynamique propres. Elles sont certes indissociables du dialogue politique global, du fait de leur caractère stratégique. Il convient cependant de les inscrire dans un cadre institutionnel qui leur permette la plus grande autonomie possible, notamment à l'égard des « irritants » identifiés. Ceux-ci aussi d'ailleurs doivent être traités dans des structures ad hoc, comme cela a d'ailleurs été proposé par l'Union lors du dernier sommet UE-Russie.

e) Des mécanismes à clarifier

La question du cloisonnement conduit à poser celle des structures. En deçà même des divergences de fond entre l'Union européenne et la Russie, force est de reconnaître que les structures de négociation elles-mêmes n'aident pas à l'émergence de solutions.

Celles-ci sont d'abord confuses : deux sommets au niveau des Chefs d'État et de Gouvernement par an, des réunions ministérielles chaque année et une pléthore de groupes de travail, commissions et comités divers forment le cadre de ces négociations. Comme le souligne un diplomate britannique, « les problèmes passent de main en main à travers l'ensemble des structures, sans être résolus » (31)in fine.

Ces structures sont ensuite d'un format inadapté. C'est notamment la rencontre bisannuelle des chefs d'État et de Gouvernement qui pose question : si la dimension symbolique d'un sommet au plus haut niveau est importante, l'exercice est par trop cadré pour déboucher sur des résultats importants. L'un des diplomates rencontrés par vos rapporteurs à Bruxelles faisait remarquer que l'existence d'un sommet tous les six mois créait « des automatismes négatifs. La volonté de "produire quelque chose" à chaque sommet crée une pression et des tensions inutiles. » L'expérience des derniers sommets montre que cette analyse est justifiée : le caractère très peu concluant du sommet de la Haye, le 26 novembre dernier, après la réussite du sommet de Moscou en mai dernier, qui lui-même succédait au sommet mitigé de Rome en novembre dernier incite à s'interroger.

Car il ne faut pas s'y tromper : ce n'est pas à cause de la crise ukrainienne que les quatre feuilles de route du sommet de Saint-Pétersbourg n'ont pas abouti à la Haye mais pour des raisons tenant aux sujets traités eux-mêmes et à l'incapacité de transformer le volontarisme politique, lorsqu'il existe réellement des deux côtés, en technique de négociation diplomatique. Il n'est donc pas certain que ces sommets créent une dynamique. On pourra certes objecter que, si ce sommet n'avait pas été prévu de longue date, il n'y aurait pas eu de dialogue euro-russe sur l'Ukraine. Ne serait-il cependant pas plus judicieux de distinguer entre deux, voire trois, sommets annuels consacrés aux questions d'actualité et un sommet destiné à faire le point sur les négociations de long cours entre la Russie et l'Union ? Cela permettrait de prendre en compte les conséquences de l'élargissement et la multiplication de fait des liens entre l'Union et la Russie, tout en accroissant l'efficacité des rencontres, l'intensification des contacts facilitant l'émergence d'une relation moins formelle.

Au-delà de cet aspect le plus visible des négociations UE-Russie, les structures institutionnelles prévues par l'accord de 1994 sont soit en état de déréliction soit caractérisées par un très mauvais fonctionnement. A cet égard, la tentative de redynamiser le système qu'a constitué le remplacement, en mai 2003, du conseil de coopération en conseil de partenariat permanent, au sein duquel l'ensemble des ministres concernés, et pas seulement les ministres des affaires étrangères, se rencontreraient, n'est pas concluante. En effet, cet outil ne fut pas réuni une seule fois en un an, faute pour les parties de s'entendre sur sa composition : ministres compétents sur le dossier représentant la troïka de l'Union, avec leur homologue russe, selon la proposition de l'Union ; format 25 + 1, souhaité par la Russie. En l'occurrence, c'est surtout la question de la prise de décision dans l'Europe à 25 qui est en question...

A l'évidence, c'est un niveau politique intermédiaire qui manque dans la relation UE-Russie. Presque tous les interlocuteurs russes des rapporteurs ont mis l'accent sur ce point. Ainsi, il existe, aux yeux de la partie russe, une réelle difficulté d'identification, côté européen, d'un interlocuteur de bon niveau, alors que la Russie a, pour sa part, d'abord nommé un représentant spécial auprès de l'Union européenne de rang ministériel (d'ailleurs devenu Premier ministre), puis le conseiller spécial du Président Poutine pour les questions européennes ; rien de tel n'a été fait du côté européen. Le seul niveau opérationnel est extrêmement technique.

Il est donc urgent de reconsidérer la question de l'identification des interlocuteurs compétents dans les institutions européennes. Si vraiment nous considérons notre relation avec la Russie comme stratégique, alors l'anonymat des bureaux bruxellois n'est pas satisfaisant. Sans aller jusqu'à proposer la nomination d'un commissaire spécifique pour la Russie, il serait nécessaire de nommer, dans chacun des domaines correspondant aux quatre espaces, un diplomate de haut rang, qui rendrait compte au Président de la Commission pour les sujets communautaires et au Conseil s'agissant des sujets de compétence intergouvernementale.

2) Les relations entre l'Union européenne et la Russie dans quinze ans : quatre scénarios

Par définition, il est toujours difficile de bâtir des scénarios de long terme sur les questions de géopolitique. Quand l'exercice concerne les relations entre deux entités en pleine évolution, qui plus est au cœur d'une crise qui va certainement modifier le contour de leurs relations à venir, cet exercice de prospective devient une véritable gageure.

Et pourtant, parce que ce partenariat est, pour reprendre les mots de M. Javier Solana lors de son entrée en fonction, le 13 octobre 1999, « le plus important, le plus urgent et le plus lourd de défis » pour l'Union européenne, nous nous devons d'en examiner les possibles et les limites. Sans compter que, dans une Europe qui bute sans arrêt sur la question de ses frontières, la réflexion n'est certainement pas inutile pour l'Union européenne elle-même.

En théorie, quatre schémas sont envisageables, qui sont, en partant du plus intégrationniste :

- l'adhésion de la Russie à l'Union européenne ;

- un partenariat qui se définirait comme « tout sauf les institutions », pour reprendre la formule de l'ancien Président de la Commission européenne ;

- le partenariat stratégique ;

- le statu quo.

a) La Russie dans l'Union : le scénario de l'adhésion

Au début de leurs travaux, les rapporteurs n'auraient certainement pas même songé à évoquer le scénario de l'adhésion de la Russie à l'Union, tant cette hypothèse paraît éloignée, voire incongrue. La principale raison pour laquelle ce scénario n'est pas envisageable tient à la signification même de l'adhésion. Arrêtons-nous à cet égard sur le vocabulaire, en l'occurrence le mot « élargissement », qui caractérise les nouvelles adhésions à l'Union. Ce terme montre bien qu'adhérer à l'Union est un moyen, pour la périphérie, de s'intégrer au centre. Or, la Russie ne se considère pas comme une périphérie, un appendice européen, mais comme un pôle à part entière. Les déclarations de Vladimir Poutine à New Delhi le 4 décembre 2004 l'ont clairement rappelé, s'il en était besoin.

En dépit de son caractère hautement improbable et à la grande surprise de vos rapporteurs, ce scénario a été évoqué à Moscou par certains interlocuteurs de la mission. Ainsi, le Président de la Commission des affaires étrangères de la Douma s'est livré devant vos rapporteurs à un véritable exercice de prospective, témoignant d'un esprit d'ouverture tout à fait remarquable. Dans l'esprit de M. Konstantin Kossatchev, la Russie est en effet traitée de manière inéquitable par l'Union européenne : ainsi, à ses yeux, « La situation de la Russie contraste singulièrement avec celle de la Turquie, qui a le choix entre, d'une part, refuser les adaptations demandées et se voir, de ce fait, fermer toute perspective d'adhésion et, d'autre part, s'y conformer et se voir ouvrir de telles perspectives ». Or, « tout en restant dans l'ambiguïté, l'Union ne laisse aucun choix à la Russie, alors même que le rapprochement avec l'Union européenne implique des sacrifices de souveraineté qui justifient pleinement que soient explicités les buts dans lesquels ils sont demandés. (...) Ces ambiguïtés expliquent l'inconfort actuel de la partie russe dans sa relation avec l'Union, inconfort qui prendra la forme de tensions toujours plus aiguës si rien n'est fait. »

Il est frappant de constater que, tout en reconnaissant en définitive que cela ne serait de l'intérêt ni de l'Union - « ni en 2014 ni en 2054, la Russie, n'intégrera l'Union : les problèmes de la Russie sont trop grands pour les capacités de digestion de l'Union » -, ni de la Russie, un parlementaire russe envisage l'hypothèse de l'adhésion de la Russie à l'Union. Même si ce scénario servait surtout, dans son discours, de support à la démonstration des limites du partenariat actuel, le fait même qu'il soit évoqué témoigne de l'attitude globalement ouverte à l'Europe de la Russie de 2004.

A cet égard, la mission a eu connaissance, à Moscou, d'un sondage particulièrement riche d'enseignements, réalisé par l'institut moscovite VTSIOM et relatif à l'état d'esprit de l'opinion russe à l'égard de l'Union européenne. Selon les résultats de cette enquête, il apparaît que :

- A la question « Faut-il que la Russie adhère ou se rapproche de l'Union européenne ?» : 33 % des Russes sont intégrationnistes c'est-à-dire favorables à l'adhésion à l'Union européenne ; 33 % sont favorables à un rapprochement sans adhésion ; 10 % sont contre le rapprochement ; 20 % sont indécis.

- A la question « Si demain, un référendum d'adhésion à l'Union européenne était organisé, voteriez-vous en faveur de cette adhésion ? », une majorité, soit 45 %, répond favorablement même si, sur le long terme, cette tendance diminue puisqu'en 2001, ce chiffre était de 55 %. C'est notamment le nombre des indécis qui augmente.

En termes sociologiques, la bienveillance à l'égard de l'Union européenne est d'autant plus forte que les personnes interrogées sont jeunes et formées : 66 % des 18-25 ans sont favorables à l'adhésion à l'Union européenne. En termes politiques, seuls les adhérents au parti communiste sont opposés à l'Union européenne, les autres partis, y compris Rodina, étant globalement proeuropéens.

Parmi les motifs invoqués par les opposants au rapprochement avec l'Union européenne, figurent deux éléments contradictoires : d'un côté, la Russie est considérée comme trop grande pour l'Union européenne et ayant parfaitement les moyens de se développer seule ; de l'autre, la crainte existe, face à une Union toujours plus forte, de voir la Russie marginalisée. Même les opposants voient cependant des éléments positifs dans le rapprochement avec l'Union européenne : avantages économiques, contrepoids à un isolement sur la scène internationale, proximité culturelle, notamment par contraste avec les Etats-Unis ou la Chine. Qui plus est, l'Europe est perçue comme un espace démocratique et de primauté des droits de l'homme, donc comme telle susceptible de favoriser l'amélioration de l'état général de la Russie.

Un dernier enseignement peut être tiré de ce sondage, particulièrement éclairant dans le contexte de la crise en Ukraine. Interrogés sur la question « Dans quels pays ou union d'États souhaiteriez-vous vivre ? » et se voyant proposer quatre réponses - Union européenne, Russie « plus » (Union Russie-Biélorussie-autre pays), votre pays, CEI - : 50 % des Russes répondent leur pays (10 à 15 % se prononçant en faveur d'une union à trois ou quatre) ; 48 % des Biélorusses répondent en faveur de l'Union européenne, une union à trois ou quatre étant la deuxième réponse fournie ; toutes les réponses existent à part à peu près égales en Ukraine.

b) La Russie avec l'Union : le scénario du « Tout sauf les institutions »

Lors d'un discours sur les relations extérieures de l'Union prononcé au mois de décembre 2002, M. Romano Prodi, ancien Président de la Commission européenne, avait esquissé les contours d'un nouveau schéma de partenariat extrêmement intégré, mais s'arrêtant néanmoins à la porte des institutions bruxelloises.

« tout sauf les institutions » :
le modèle de partenariat de l'union avec ses voisins vu par romano prodi

« J'ai déjà mentionné ce concept en d'autres occasions, en indiquant qu'il s'agissait « de tout partager avec l'Union, excepté ses institutions ». L'objectif est de communiquer à cette région voisine une série de principes, de valeurs et de normes qui sont l'essence même de l'Union européenne.

La pierre angulaire de cette proposition est un marché commun regroupant l'Union européenne et ses partenaires, et reposant sur un marché unique, un espace de libre-échange, un régime d'investissements ouvert, le rapprochement des législations, une interconnexion des réseaux et l'utilisation de l'euro en tant que monnaie de réserve et de référence dans nos opérations bilatérales.

L'Union n'étant pas seulement un marché commun, il convient de prendre en compte également d'autres aspects:

· si nous avons des objectifs communs, nous devons aussi être prêts à répondre aux menaces communes que sont la criminalité, le terrorisme, les migrations clandestines et les défis environnementaux;

· nous devons agir ensemble afin de mettre un terme aux conflits régionaux sur notre continent;

· nous devons faire en sorte que notre frontière commune ne fasse pas obstacle aux échanges culturels ou à la coopération régionale pendant la période au cours de laquelle la circulation des personnes et des travailleurs ne pourra pas être complètement libre.

L'idée de « tout partager sauf les institutions » s'applique aux institutions existantes de l'Union européenne, mais n'exclut pas la possibilité de créer ultérieurement de nouvelles structures avec nos voisins s'il y a lieu. »

Liberté de mouvement et d'établissement, donc d'emploi, accès aux fonds structurels, élaboration de politiques économiques communes, tout serait envisagé dans ce partenariat, tout donc sauf le vote à Bruxelles.

L'une des principales doléances russes à l'égard de l'Union européenne, maintes fois répétée aux rapporteurs lors de leur déplacement à Moscou, concerne l'impossibilité systématique pour la Russie d'être associée à la décision dans le cadre des processus européens. C'est notamment s'agissant de la politique étrangère et de défense que ce grief a été formulé. La Russie éprouve à cet égard un sentiment d'insatisfaction quant à sa participation à certaines opérations menées par l'Union européenne : elle s'estime confinée dans un rôle d'exécutant, sans avoir la possibilité de participer à la prise de décision. Au contraire, considère-t-on à Moscou, « le partenariat pour la paix garantit à la Russie un véritable rôle au sein de l'OTAN, à tous les stades du processus : en cas de gestion de crise par exemple, selon un fonctionnement interactif, la Russie participe aussi bien aux négociations relatives à l'identification du problème ou à la recherche de solutions qu'à la prise de décision elle-même. L'Union européenne se contente aujourd'hui de transmettre un projet d'accord qui fait référence à des documents auxquels la Russie n'a pas accès et sur lequel n'existe aucune marge de négociation. »

Par conséquent, dans la mesure où l'objectif permanent de la Russie vise à être partie au processus de décision européen - sans nécessairement être, d'ailleurs, partie aux instances de mise en œuvre -, le scénario du « tout sauf les institutions » paraît également très peu probable, dans la mesure où il propose exactement l'inverse de ce que recherche la Russie dans sa relation avec l'Union européenne.

c) La Russie liée à l'Union : le scénario du partenariat stratégique

Jamais sans doute n'a-t-il été autant question de partenariats dans le débat européen en France. Pour autant, qu'il soit « privilégié » ou « stratégique », il est très difficile de donner une signification concrète à ce terme. Sans doute parce que ce débat technique est, en réalité, un substitut au débat quasi philosophique sur les frontières de l'Union et de l'Europe.

A dire vrai, le terme de partenariat stratégique ne saurait avoir un sens absolu, ne serait-ce que parce qu'il représente avant tout une tentative de trouver des alternatives aux deux seuls modes de relations extérieures que l'Union sait pratiquer : la pré-adhésion et les relations extérieures classiques, semblables aux relations bilatérales étatiques. Par partenariat stratégique, il faut donc entendre un mode de relation qui soit autre chose qu'un agenda de négociations qui s'analyserait en autant de contraintes (élargissement, Kyoto, OMC). Autre chose mais quoi ?

Dans le cas de la Russie, il semble aux rapporteurs que ce partenariat stratégique pourrait s'incarner dans deux domaines structurants de la relation UE-Russie : les questions énergétiques et la recherche scientifique.

· C'est en matière énergétique que les intérêts communs de la Russie et de l'Union apparaissent le plus clairement. D'ores et déjà, d'ailleurs, dans le domaine énergétique, il existe une intégration de fait entre l'Union européenne et la Russie, que l'élargissement n'a fait que renforcer. Les pays d'Europe centrale sont, en effet, techniquement dépendants de la Russie en matière de gaz naturel, ne disposant pas de connexions en dehors du réseau contrôlé par Gazprom. En outre, ils bénéficient de tarifs inférieurs à ceux des autres fournisseurs de l'Union, tels que la Norvège, et de contrats de long terme qui garantissent à la Russie un monopole durable. Sans compter que les lobbies liés à Gazprom sont extrêmement actifs pour faire échouer tous les projets susceptibles à terme de remettre ce monopole en cause.

L'intégration énergétique de l'Union et de la Russie n'en est qu'à ses débuts. Notamment, l'Union européenne prévoit le doublement de ses exportations de gaz naturel d'ici à 2020, année pour laquelle elle évalue la part de ses importations dans ce domaine par rapport à sa consommation totale à 70 % (40 % en 2002). Au total, le rapport de la Commission sur les perspectives énergétiques à 2030 estimait, en 2003, sur la base d'une Union à 15 membres, que la demande de l'Union en énergie augmenterait de 18 % entre 2000 et 2030.

Les questions énergétiques font depuis longtemps l'objet d'un traitement spécifique dans les relations entre l'Europe et la Russie. Sans aller jusqu'à rappeler que, même pendant la guerre froide, il existait une coopération commerciale dans ce domaine, l'idée d'une communauté énergétique paneuropéenne apparaît dès la chute de l'URSS. Dès 1991, une Charte européenne de l'énergie est signée, visant à créer une « communauté de l'énergie de part et d'autre de l'ancien rideau de fer, fondée sur la complémentarité entre les marchés occidentaux, leurs capitaux et technologies et les ressources naturelles de l'Est » (32). Elle prend la forme, trois ans plus tard, d'un traité sur la Charte de l'énergie, entré en vigueur en 1998, qui n'a cependant toujours pas été ratifié par la Russie. Cet échec doit largement, selon les spécialistes du secteur, à l'absence d'approche politique de l'Union européenne sur ce dossier. Or, comme dans bien d'autres domaines, les Russes ne veulent pas d'un ersatz du type charte de l'énergie, qui les mettrait sur le même plan que d'autres pays.

Pour pallier ce manque, l'idée a été lancée, en 2003, par Romano Prodi d'une communauté de l'énergie, à l'instar de ce qui avait été réalisé avec le traité sur la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) de 1950, qui impliquerait, comme son illustre ancêtre, un contrôle des mécanismes de production, des garanties d'investissement et des mécanismes de prises de décision en commun. En dépit du soutien d'un certain nombre de pays (France, Allemagne, pays du Benelux et Royaume-Uni), l'Union n'a pas concrétisé ce projet. Néanmoins, au niveau bilatéral, le Premier ministre a, au cours de son déplacement à Moscou en septembre 2003, repris le thème du dialogue énergétique fonctionnant depuis 2000, qui inclut aujourd'hui la sécurité maritime, Galiléo et ITER. Cette relance a permis d'éviter que les Russes ne perçoivent le marché intérieur de l'énergie comme une démarche à leur encontre et de leur faire comprendre qu'ils y étaient parties.

Aujourd'hui, le seul outil qui fonctionne est donc le dialogue énergétique mis en place lors du sommet de Paris, en octobre 2000. Il vise au développement d'un partenariat de long terme en matière d'énergie au sein du cadre plus général de l'accord de partenariat et de coopération. Centré sur le pétrole, le gaz, la coopération en matière d'interconnexion entre les réseaux électriques européen et russe et le commerce des matériaux nucléaires, ce dialogue, qui s'inscrit dans le cadre de l'accord de 1994, prend aujourd'hui la forme de quatre groupes d'experts thématiques :

- stratégies et équilibres énergétiques ;

- investissements ;

- transferts de technologie et infrastructures ;

- capacité énergétique et environnement.

Ce dialogue est difficile. Les propositions de l'Union en matière de refonte des « monopoles naturels » et d'ouverture du marché énergétique domestique à une concurrence accrue suscitent l'opposition de Gazprom qui entend maintenir et développer le concept de contrats d'approvisionnement à long terme, au nom de la sécurité énergétique.

La pertinence du partenariat énergétique est d'autant plus forte depuis la ratification par la Russie du protocole de Kyoto, obtenue dans le cadre des négociations sur l'accession de la Russie à l'OMC. Sans doute cette conversion de la Russie au protocole est-elle éminemment opportuniste - on se rappellera les propos du Président Poutine à propos du réchauffement climatique : « la Russie est un pays du Nord : s'il fait deux ou trois degrés de plus, on dépensera moins d'argent pour acheter des manteaux de fourrure » - et uniquement le fruit d'une négociation diplomatique dont le succès était considéré comme essentiel pour la Russie.

Qui plus est, le partenariat énergétique est structurant du fait de ses conséquences monétaires. L'euro est, en effet, appelé à devenir la monnaie de référence en matière énergétique. Actuellement, 23 % des échanges mondiaux se font en euros, contre 50 % pour le dollar. Toutefois, la moitié du gaz russe exporté en Europe est payée en euro ; pour le pétrole, coté sur les marchés boursiers, la situation est un peu différente. La solution pourrait être de recourir au dollar pour fixer le prix d'achat en fonction du cours et à l'euro pour le paiement de la transaction.

Enfin, au regard de la sécurité environnementale et stratégique de l'Union, un tel partenariat revêt un caractère crucial du fait de la composante nucléaire qu'il implique. Au fil des années, la Commission européenne a mis au point et sur pied, dans le cadre du traité Euratom de 1957, un système internationalement reconnu de garanties nucléaires reposant sur la vérification de la compatibilité des matières nucléaires par plus de 200 inspecteurs. Eu égard à la difficulté de garantir la non-prolifération et de prévenir le terrorisme nucléaire, il est crucial de renforcer la coopération entre la Russie et l'Union dans ce domaine. De longue date, le programme TACIS finance de nombreuses activités dans ce domaine : depuis 1991, ce sont ainsi plus de 431 millions d'euros qui ont financé aussi bien des activités d'assistance sur sites (formation du personnel à la sûreté nucléaire, fourniture de technologies, installations de gestion et de traitement des déchets radioactifs), que des études de sûreté en matière d'ingénierie nucléaire, des mesures de renforcement du rôle des autorités de régulation nucléaire ou des mesures de contrôle des matières fissiles et de gestion des déchets radioactifs.

· Le domaine nucléaire intéresse également le deuxième champ de partenariat qui pourrait structurer le partenariat stratégique UE-Russie, celui de la recherche, de l'éducation et de la culture.

A cet égard, l'Union doit renforcer l'effort qu'elle consacre depuis 1992 à la reconversion des scientifiques et ingénieurs russes issus des organisations soviétiques à vocation militaire vers des activités de recherche et de développement civils. Le Centre international des sciences et de la technologie (CIST) de Moscou, une organisation intergouvernementale de non-prolifération fondée par le Japon, la Norvège, les États-Unis et l'Union européenne en 1992, représente en effet un véritable succès de la lutte contre la prolifération en Russie. Le CIST vise notamment à donner aux chercheurs en armement de la CEI la chance de consacrer leurs talents à des fins pacifiques, particulièrement en ce qui concerne les chercheurs possédant des connaissances et des compétences relatives aux armes de destruction massive et à leurs vecteurs; à contribuer à la résolution de problèmes techniques nationaux et internationaux; à soutenir la transition vers des économies de marché ; à appuyer la recherche fondamentale et appliquée; et à encourager l'intégration des chercheurs en armement de la CEI à la communauté scientifique internationale. Le budget total de l'ensemble des parties au CIST a atteint 441 millions de dollars environ entre 1994 et mars 2003, ce qui a permis de financer quelque 1 628 projets et 51 000 scientifiques spécialisés dans les armes de destruction massive dans des activités civiles. Il est intéressant de préciser que cette assistance a notamment concerné 4 000 spécialistes des armes de destruction massive vivant dans des cités nucléaires fermées, comme Sarov et Schnezinsk, en Russie. Ces résultats ont pu être atteints grâce à l'appui fourni à des projets civils couvrant un large éventail de secteurs comme la production énergétique, la fusion contrôlée, la recherche fondamentale, la sûreté nucléaire, l'environnement, les biotechnologies, l'espace, l'aéronautique, les matériaux, les technologies médicales, l'électronique et l'informatique.. La contribution de l'Union européenne, par le biais du programme TACIS, a atteint 77 millions d'euros, soit 26 % du total des financements versés depuis 1994. Il serait souhaitable qu'elle s'accroisse pour être équivalente, voire supérieure, à celle des Etats-Unis (35 %).

Au-delà des questions nucléaires, il est important de développer en Russie une meilleure expertise sur les questions européennes : l'Union européenne est certes une entité complexe à comprendre et à aborder, les Russes gagneraient néanmoins à en avoir une connaissance plus pointue. A cet égard, le projet de création, à Moscou, d'un Institut de recherches européennes doit être activement soutenu.

Par ailleurs, la coopération universitaire entre l'Union européenne et la Russie est largement sous-dimensionnée. Sans doute la Russie bénéficie-t-elle du programme Tempus, dont l'objectif est d'appuyer le processus de réforme de l'enseignement supérieur dans les anciens pays du bloc soviétique et in fine l'intégration du système universitaire russe dans le système dénommé « processus de Bologne », dont le but est la convergence des systèmes d'enseignement supérieur européens vers une architecture plus transparente qui placerait les systèmes nationaux encore trop différenciés dans un cadre commun reposant sur trois cycles : licence, maîtrise et doctorat. Mais, au regard du potentiel russe, la participation de 150 établissements d'enseignement supérieur sur les 1 200 que comptent la Russie est faible. A n'en pas douter, l'existence d'un outil de partenariat spécifique en matière d'éducation et de recherche permettrait d'enclencher une dynamique dans ce domaine. De même, la multiplication des échanges d'étudiants bénéficierait et à la Russie et à l'Union européenne, du fait de l'excellence du niveau universitaire et scientifique russe. Un programme d'ampleur dans ce domaine permettrait en outre de limiter les risques de fuite des cerveaux russes à l'étranger, qui met en danger non seulement la capacité d'innovation et de recherche du pays mais également, quand sont concernés des domaines sensibles et de haute technologie, la sécurité internationale. Les échanges scientifiques et universitaires complèteraient ainsi l'action des outils de lutte contre la prolifération, tels l'ISTC.

d) La Russie et l'Union : le scénario du statu quo

Un dernier scénario de la relation UE-Russie doit être envisagé : celui du statu quo. Ce scénario impliquerait la poursuite d'une coopération multiforme, sans prise en compte de sa dimension stratégique. En termes de relations extérieures, un tel scénario verrait se poursuivre une relation de concurrence dans l'étranger proche. En quelque sorte, c'est une certaine « indifférence, perturbée par des frictions ponctuelles et masquée par la routine des sommets UE-Russie » (33) qui prévaudrait.

Un tel scénario a cependant d'autant plus de chances de survenir que l'Union européenne comme la Russie sont engagées dans des réformes qui les incitent avant tout à se concentrer sur elles-mêmes et qui mobilisent l'ensemble de leurs capacités d'innovation institutionnelles. Dans les sept à dix ans à venir, l'Union européenne comme la Russie seront donc en priorité concentrées sur leurs problèmes internes : réforme et/ou consolidation des institutions, intégration des nouveaux membres, construction d'un équilibre intérieur pour la première ; transfert des principes libéraux d'ores et déjà mis en œuvre en matière économique vers la sphère politique pour la seconde. Ce sont ces deux mouvements parallèles qui détermineront l'allure et la tonalité des relations UE-Russie.

La principale victime de se scénario de statu quo devrait être l'espace de sécurité et de justice envisagé à Saint-Pétersbourg. En la matière, en effet, l'Union européenne et la Russie ont des intérêts largement, et durablement, divergents : notamment, lorsque l'Union européenne parle de contrôle des frontières et de lutte contre la criminalité organisée, la Russie répond suppression des visas et libre circulation. Au regard des enjeux en cause, même si les perspectives de mise en place d'un partenariat stratégique en ce domaine sont lointaines, il importe cependant, y compris dans le cadre d'un scénario de statu quo, de travailler autant que possible avec la Russie dans ce domaine. A cette fin, il importe :

- d'intensifier la coopération en matière de lutte contre le crime organisé et le trafic de drogue. Sur la base du plan d'action contre la criminalité organisée adopté conjointement en avril 2000 et de l'accord de novembre 2003 entre la Russie et Europol, l'Union européenne et la Russie doivent accentuer leurs actions de formation, notamment en matière de lutte contre le blanchiment d'argent ou contre l'immigration illégale et de traite des êtres humaines ;

- de faciliter la circulation des personnes sans pour autant perdre le contrôle des flux migratoires. Il est vrai, s'agissant des flux de circulation des personnes, que l'élargissement représente un changement important pour les citoyens russes habitués à circuler sans visa dans l'ancien espace soviétique. Si la demande russe de suppression totale des visas est, en l'état actuel de la situation, excessive, l'Union gagnerait cependant à mettre en place un régime spécifique de visas pour certaines catégories de voyageurs - hommes d'affaires, étudiants, chercheurs et personnalités de la culture notamment -, à l'instar de ce que prévoient certains accords bilatéraux conclus entre des Etats membres, dont la France, et la Russie. Fondés sur la réciprocité, ces accords prévoient notamment une extension des cas de délivrance de visas à entrées multiples et de longue durée, un traitement plus rapide de plusieurs catégories de visas, l'harmonisation des tarifs, l'abandon par la Russie de la procédure d'invitation, remplacée par une simple demande de l'organisme invitant et enfin la suppression de l'obligation de visa de sortie. Quant à la volonté réaffirmée à plusieurs reprises par l'Union européenne et la Russie de supprimer à terme les visas, elle est subordonnée à la conclusion d'un accord sur la réadmission des migrants illégaux et à l'amélioration des contrôles aux frontières très étendues de la Russie, en Asie centrale notamment.

CONCLUSION

« Intégration impossible, confrontation improbable, coopération nécessaire » (34) : ce triptyque résume de manière lapidaire les déterminants des relations entre l'Union européenne et la Russie.

Le cadre posé, la question reste entière de savoir comment s'organiseront les différents éléments du tableau. Les quatre scénarios que nous avons esquissés permettent toutefois de cerner ce que pourraient être les grandes lignes de l'évolution des relations entre l'Union européenne et la Russie. Ils mettent notamment en avant le caractère illusoire de toute tentative pour penser et chercher à mettre en place un modèle uniforme, un cadre unique pour l'ensemble du champ des relations UE-Russie... Les voies sont multiples, de l'intégration au partenariat, et doivent être adaptées aux différents domaines en cause.

A l'horizon de dix ans, le schéma d'évolution le plus probable devrait ressembler à un mixte entre, d'une part, un partenariat stratégique limité à des domaines ciblés, notamment en matière énergétique et dans les domaines de la recherche et de l'éducation, et, d'autre part, une relation de coopération dans les autres dossiers. Et ce dans un contexte d'approfondissement de l'intégration économique du fait de l'accession de la Russie à l'OMC, prévue pour 2006-2007.

Seule la mise en œuvre d'un certain nombre de réformes, dont nous avons esquissé le contour, permettront cependant de progresser en ce sens, que ce soit en matière économique, énergétique, institutionnelle ou scientifique. Reste cependant à souligner que ce n'est cependant pas seulement sur des questions de fond que se joue l'avenir des relations entre l'Union européenne et la Russie. A bien des égards, la symbolique et les questions de style y jouent un rôle tout aussi fondamental.

Ce que demande, fondamentalement, la Russie à l'Europe, c'est une relation d'égalité. Ce syndrome de la grande puissance humiliée est parfaitement compréhensible : rappelons-nous que la Russie est brusquement passée du statut de modèle idéologique à l'égard duquel l'Europe se déterminait à celui de repoussoir et de puissance pauvre.

La Russie doit cependant comprendre que cette égalité, l'Union européenne la revendique tout autant dans le voisinage proche qu'elle partage désormais avec la Russie et qu'elle ne saurait concevoir comme une zone grise. En soutenant le principe d'élections démocratiques libres en Ukraine, elle n'est pas dans une stratégie de concurrence et encore moins de conquête, mais simplement dans son droit, le droit d'avoir, à ses frontières des voisins stables et en paix.

Ni complaisance ni provocation : tel est sans doute là que réside le point d'équilibre des relations entre une future puissance qui n'est pas certaine de vouloir le devenir et une ancienne puissance qui veut le redevenir de toutes ses forces. Cet équilibre est fragile et il serait, pour cette raison, irénique d'envisager sereinement l'avenir de la relation entre l'Union européenne et la Russie : jamais les rapports entre l'Union européenne et la Russie ne seront faciles, d'abord parce que des intérêts majeurs sont en jeu entre les deux entités, ensuite parce que les valeurs qui les rapprochent sont encore très peu nombreuses.

EXAMEN EN COMMISSION

MM. René André et Jean-Louis Bianco, rapporteurs de la Mission d'information sur l'avenir des relations entre l'Union européenne et la Russie, ont présenté les conclusions de leurs travaux au cours de la réunion de la Commission des Affaires étrangères du mardi 14 décembre 2004.

Après avoir remercié l'ensemble des interlocuteurs de la mission, ainsi que les ambassadeurs de France en Russie, en Lettonie, en Finlande et auprès de l'Union européenne pour leur active collaboration, M. René André, Rapporteur, a estimé que les relations entre l'Union européenne et la Russie ressortaient des relations entre une puissance qui ne l'est pas encore et une puissance qui ne l'est plus mais aspire à le redevenir. Il a jugé ces relations complexes, diverses et laborieuses.

Si les relations entre l'Union et la Russie sont difficiles, c'est d'abord parce qu'elles mettent en jeu des sujets cruciaux, aussi divers que la sécurité sanitaire, les questions de sûreté nucléaire, de tarifs douaniers, de visas de long terme, de lanceurs spatiaux, les problèmes d'interdépendance énergétique, de criminalité organisée mais aussi des questions touchant à la construction d'une architecture de sécurité européenne efficace, à la Tchétchénie ou à l'Ukraine. Les difficultés de la relation Union européenne-Russie sont également à chercher dans le caractère a priori très différent des deux entités : sans doute n'est-il pas négligeable de partager 2 200 kilomètres de frontières communes ; mais qu'y a-t-il de véritablement commun entre, d'un côté, un État millénaire, qui s'est toujours conçu comme un Empire et n'a jamais connu la démocratie avant la fin du XXème siècle, et, de l'autre, une entité qui s'est construite en réaction même aux notions qui ont fait l'Europe pendant des siècles - zone d'influence, diplomatie secrète, impérialisme, guerre - et se définit aujourd'hui avant tout par des valeurs qui s'appellent démocratie et droits de l'homme ? La difficulté supplémentaire vient de ce que ces deux entités sont à la recherche de leur point d'équilibre et que, comme telles, elles ont des difficultés à savoir et à formuler clairement ce qu'elles attendent l'une de l'autre. Cette difficulté, qui n'a d'ailleurs fait que s'accroître avec l'élargissement, est réciproque :

- Qu'est-ce que la Russie aujourd'hui pour l'Europe ? Tout à la fois un voisin (approche géographique), un partenaire (approche commerciale), un concurrent (approche géopolitique), une source de préoccupations (approche politico-éthique), une menace (approche dans certains nouveaux Etats membres), une source d'incertitudes (approche prospective), un contrepoids à la puissance américaine dans la perspective multipolaire (approche politique).

- A l'inverse, qu'attend la Russie de sa relation avec l'Union européenne ? Il n'est pas certain qu'elle l'ait clairement décidé. A dire vrai, il n'y a rien de bien nouveau dans ce constat : la Russie reste tiraillée entre, d'un côté, une forte attirance géopolitique pour l'Europe occidentale, un réel intérêt pour son savoir-faire et sa créativité techniques et, de l'autre, une méfiance vis-à-vis de la culture politique de l'Europe. Ce complexe russe traditionnel se double aujourd'hui de la complexité objective que représente, pour les Etats tiers, le travail avec l'Union européenne. Sans doute la Russie instrumentalise-t-elle l'extraordinaire technicité des mécanismes européens mais il nous faut, sur ce point, faire preuve de réalisme : l'Union européenne n'est pas un partenaire facile pour les Etats tiers, tout au contraire ; c'est une entité peu transparente, à la culture institutionnelle très particulière, et un acteur parfois ambigu, sans même le vouloir d'ailleurs.

M. René André a néanmoins rappelé que la complexité de la relation UE-Russie ne saurait toutefois faire oublier ce constat très simple : l'Union européenne et la Russie ont mutuellement besoin l'une de l'autre. Il existe en effet entre les deux entités une indéniable communauté d'intérêts, renforcée par l'élargissement de l'Union le 1er mai dernier : intérêts économiques, diplomatiques, géopolitiques... Les capacités potentielles de coopération sont énormes. Alors que la crise en Ukraine révèle au grand jour les tensions latentes d'une relation qui ne cesse de voir se succéder négociations crispées et grandes déclarations quasi-lyriques, il convient de se pencher sur le contenu et la forme que l'Union européenne entend donner à sa relation avec la Russie. Une relation qui n'a d'autre choix que d'être un partenariat, un partenariat qui n'a d'autre choix que d'être stratégique, c'est-à-dire envisageant les relations UE-Russie dans le long terme, en vue d'objectifs précis conjointement agréés.

M. René André a fait valoir qu'il ne s'agissait pas là de la vision irénique de parlementaires français qui développeraient une conception romantique de la Russie, selon la perception de la politique russe de la France communément partagée à l'étranger, mais qu'il s'agissait de la conviction de deux hommes politiques européens, persuadés que l'affermissement de l'intégration européenne et la construction d'une véritable Europe politique passaient, notamment, par Moscou. Il a expliqué que l'Union européenne se devait de développer avec la Russie une relation sans complaisance ni peur, ni provocation : les mots « Tchétchénie », « démocratie », « justice sociale » et « partenariat privilégié, y compris dans les pays qui appartenaient à l'ex-URSS » doivent devenir l'ordinaire de la relation UE-Russie, ainsi que la base d'actions concrètes.

Abordant la question de la construction d'une politique russe de l'Union, M. René André a expliqué que, partenaire spécifique, la Russie était aussi un partenaire obligatoire pour l'Union. Il a rappelé à cet égard que l'Union européenne comptait désormais pour plus de 50 % des exportations commerciales russes et que la Russie représentait, pour l'Union européenne, un fournisseur important de produits énergétiques : 16 % de la consommation européenne de pétrole dépend des exportations russes, de même que 20 % de sa consommation de gaz naturel, chiffres qui devraient très fortement progresser dans les vingt années à venir. Il a jugé que tel était le fondement sur lequel devait être construite la relation de long terme entre l'Union européenne et la Russie, en rupture avec le dialogue de sourds qui consiste à dire d'un côté : « soyez démocratiques, ouverts et libéraux » et à répondre de l'autre côté : « respectez notre puissance et cessez de vous ingérer dans nos affaires intérieures », auquel on assiste encore trop souvent. Il a expliqué que, au-delà des attentes différentes qu'elles avaient l'une à l'égard de l'autre - stabilité et fiabilité d'un côté, développement et prospérité de l'autre - il importait de travailler désormais sur cette obligation que représentait la construction d'un véritable partenariat entre la Russie et l'Union européenne.

M. René André a jugé qu'à cette fin, l'Union européenne devait s'atteler à la construction d'une véritable politique russe, une Union qui inclut l'enclave russe de Kaliningrad en son sein n'ayant tout simplement pas les moyens de rester la « myope géopolitique » qu'elle a été jusqu'alors. A cet égard, la crise ukrainienne est non seulement un test pour la Russie, en ce qu'elle pose la question de savoir si la Russie est encore dans un schéma impérial ou dans une logique de stratégie d'influence, mais également un test pour l'Union. Celle-ci va pouvoir évaluer la capacité de fonctionnement de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) à 25 membres. Force est de reconnaître qu'à la mi-décembre 2004, l'Union européenne a brillamment réussi le test. Il a fait valoir que la relation avec la Russie pourrait jouer le rôle de politique pilote de la PESC, de même que les 25 gagneraient à partir de la crise ukrainienne pour consolider la PESC, en faisant de ce pays un « laboratoire » de la politique étrangère de l'Union.

Il a reconnu que la politique étrangère à 25 n'était pas sans susciter de nombreux problèmes et admis que certains pays, tels que la France, l'Allemagne, l'Italie ou le Royaume-Uni, étaient attachés à conserver une relation forte avec la Russie et étaient tout à fait en mesure de faire abstraction de l'Union européenne, tout au contraire des anciens « pays frères » de l'URSS, ainsi que de la Finlande, qui souhaitaient passer par l'Union pour dialoguer avec Moscou. Il a cependant estimé que la crise ukrainienne avait permis de montrer qu'un équilibre était possible entre la PESC et les politiques étrangères des Etats membres. Il a ajouté qu'à l'instar des diplomates des Etats membres, qui profitaient des multiples contacts qui se nouent lors de ce genre de crises pour renforcer l'expertise de l'Union européenne sur la Russie, les parlementaires auraient également intérêt à intensifier leurs contacts avec leurs collègues de l'Union sur ce sujet. Il a mentionné l'importance du dialogue avec les nouveaux Etats membres de l'Union, notamment les pays Baltes et la Finlande, excellent connaisseur de la Russie.

Il a estimé que la construction d'une politique commune européenne de la Russie supposait également de s'entendre, au sein de l'Union, sur un langage commun, notamment sur les sujets difficiles, appelés à intervenir de manière récurrente dans la relation UE-Russie. Il a, à cet égard, cité le cas de Kaliningrad ainsi que la question des minorités russophones de Lettonie et d'Estonie. Il a jugé que l'amalgame fait par la Russie entre la situation des droits de l'homme en Lettonie et celle qui prévalait en Tchétchénie n'était pas acceptable et que l'Union européenne ne saurait se laisser entraîner sur ce terrain. Il a cependant fait remarquer que les Lettons gagneraient à ne plus recourir à la notion de « non-citoyens », selon la terminologie officielle lettone, et devaient faire plus pour intégrer les personnes d'origine russe, pour certaines présentes de longue date en Lettonie.

Il a estimé que la construction d'un langage commun de l'Union impliquait également d'identifier en amont les sujets difficiles de la relation UE-Russie : Tchétchénie mais également, comme nous le voyions en ce moment, « étranger proche ». Evoquant la crise actuelle en Ukraine, il a jugé qu'elle révélait au grand jour les ambiguïtés de la relation UE-Russie, l'une développant des stratégies communautaires ambitieuses à l'égard de ses nouveaux voisins de l'Est, en se refusant à en envisager même les conséquences politiques, voire symboliques, tout en allant jusqu'à évoquer une possible intégration dans l'Union ; l'autre jouant à fond la carte économique avec cette entité de 450 millions de consommateurs qu'était l'Union, tout en fronçant les sourcils devant la politique communautaire de nouveau voisinage. Il a fait valoir que l'Union européenne aurait tort de ne voir dans l'attitude russe à l'égard de l'Ukraine que le spectre de l'Union soviétique et qu'il n'était pas anormal que la Russie se sente très concernée par l'évolution d'un pays dans lequel se situait la « mère de toutes les villes russes », depuis la création au IXème siècle de l'État kiévien. A l'inverse, il a affirmé que la Russie devait accepter toutes les conséquences de l'élargissement, ce qui signifiait notamment accepter que l'Union européenne ait à cœur de consolider l'espace qui l'entoure, ce qui ne passait pas nécessairement par une politique de pré-adhésion ou par l'intégration future de l'Ukraine. Il a résumé son propos en expliquant que, dans cet espace potentiellement concurrent que l'Union appelle son « nouveau voisinage » et que la Russie voit toujours comme son étranger proche, deux principes devaient guider la politique russe de l'Union : fermeté et respect.

S'agissant des structures de négociation entre la Russie et l'Union, il a estimé que, pour faire vivre les quatre espaces de négociation avec la Russie dont la création avait été décidée au sommet de Saint-Pétersbourg, en 2003 - économique, justice et affaires intérieures, sécurité et gestion des crises, éducation et recherche -, l'Union devait être représentée par un diplomate de haut rang, qui rendrait compte au Président de la Commission pour les sujets communautaires et au Conseil s'agissant des sujets de compétence intergouvernementale.

En conclusion, il a jugé que la crise ukrainienne révélait les limites de la relation UE-Russie, telle qu'elle était actuellement conçue, ainsi que le vrai visage de chacun :

- D'un côté, une Russie qui, d'un côté, ne veut pas faire le deuil de sa domination dans son étranger proche et a des difficultés à comprendre que la démocratie soit une aspiration populaire spontanée, mais qui, de l'autre, a besoin de l'Europe pour assurer son indispensable développement économique.

- De l'autre, une Union européenne qui doit apprendre à assumer son identité politique, à développer des relations de partenariat qui soient autre chose que des relations de coopération économique ou de pré-adhésion de l'autre. Une Europe qui doit apprendre à parler d'égal à égal, avec fermeté mais sans provocation, avec un grand voisin qu'elle regarde de haut quand elle se conçoit comme zone de prospérité économique et devant lequel elle se fait toute petite dès lors que sont abordés les sujets de sécurité et de politique intérieure.

Après avoir fait part de son accord sur l'ensemble des analyses présentées par M. René André, M. Jean-Louis Bianco, Rapporteur, a souhaité insister sur les points qui avaient particulièrement frappé la Mission au cours de ses travaux.

En premier lieu, il a fait le constat, certes banal, mais néanmoins profondément vrai, du poids de l'histoire dans la relation entre l'Union européenne et la Russie. Il a mentionné sur ce point le cas de la Lettonie, dont il faut avoir conscience qu'elle avait vécue la fin de la deuxième guerre mondiale, non comme la libération du nazisme, mais comme le début de l'occupation soviétique. Il a également souligné le poids du passé qu'exerçait sur la Russie d'aujourd'hui aussi bien la Russie tsariste que l'Union soviétique ; il avait pour conséquence pratique les conflits d'influence politiques et stratégiques entre la Russie et l'Union européenne, aussi bien dans les Etats ayant récemment intégré l'Union européenne, notamment les pays baltes, que la Russie cherchait à instrumentaliser, que dans l'étranger aujourd'hui proche et de la Russie et de l'Union européenne. Il a fait part sur ce point des réflexions qu'avait faites à la Mission M. Dimitri Rogozine, ancien président de la commission des affaires étrangères de la Douma d'État et aujourd'hui dirigeant du parti Rodina, selon lesquelles le champ prioritaire de la Russie était la « Russie + 11 » ou « l'URSS - 3 » (les trois pays baltes).

En second lieu, il a également souligné la spécificité de la Russie, expliquant que les difficultés du partenariat UE-Russie résidaient également dans ce caractère de partenaire « à part » qu'a la Russie. L'Union européenne peine à s'y adapter, ne connaissant d'autre mode de relations extérieures que les négociations d'adhésion et le partenariat à dominante économique. Le cas de la Russie est illustratif de cette difficulté de l'Union européenne, du fait du poids, historique et géographique, de ce pays, dont les seules données économiques ne permettent pas de prendre la mesure, le PIB de la Russie se situant entre celui de la Belgique et des Pays-Bas. M. Jean-Louis Bianco a jugé qu'il justifiait un traitement spécifique qui, au-delà des formules (partenariat stratégique, espaces de coopération), devait s'incarner dans des modalités concrètes qui soient différentes de celles qui sont appliquées au Maghreb ou à l'Ukraine. Citant les propos de M. Javier Solana, qui avait déclaré, lors de son entrée en fonction, le 13 octobre 1999, que la partenariat UE-Russie était « le plus important, le plus urgent et le plus lourd de défis » pour l'Union européenne, il a estimé nécessaire que l'Union clarifie ses positions.

A cette fin, il a présenté les quatre scénarios de relations possibles entre l'Union européenne et la Russie.

Le premier est celui de l'adhésion de la Russie à l'Union. Expliquant que la Mission n'envisageait nullement un tel scénario au début de ses travaux et qu'elle ne la recommandait toujours pas à leur issue, ni à moyen ni à long terme, il a fait observer que ce scénario avait été évoqué par certains interlocuteurs de la Mission à Moscou. Même si ces derniers avaient rejeté cette hypothèse, il l'a jugé intéressant par le « désir d'Europe » qu'il révélait en Russie, désir d'ailleurs conforté par les résultats d'un sondage présenté aux rapporteurs lors de leur déplacement à Moscou, en juin dernier. Ainsi, à la question « Faut-il que la Russie adhère ou se rapproche de l'Union européenne ?», 33 % des Russes se prononcent en faveur de l'adhésion à l'Union européenne, 33 % sont favorables à un rapprochement sans adhésion, 10 % sont contre le rapprochement et 20 % sont indécis. A la question « Si demain, un référendum d'adhésion à l'Union européenne était organisé, voteriez-vous en faveur de cette adhésion ? », une majorité, soit 45 %, répond favorablement.

Le deuxième scénario est celui qui conduirait à un partenariat très intégré, excluant seulement la participation russe au processus de décision de l'Union : ce scénario du « Tout sauf les institutions », pour reprendre la formule employée dans un autre cadre par M. Romano Prodi, ancien Président de la Commission européenne, n'est guère crédible dans la mesure où, du côté russe, il ne correspond pas à son souhait d'être un partenaire politique de l'Union.

Le troisième scénario est celui du partenariat stratégique, tout la question consistant à donner du contenu à ce terme très flou. M. Jean-Louis Bianco a considéré que les questions énergétiques représentaient l'un des domaines dans lequel les relations UE-Russie devaient absolument dépasser la dimension rhétorique, dans l'intérêt mutuel de la Russie et de l'Union. Ajoutant que certains des interlocuteurs de la Mission avaient évoqué le modèle de la Communauté européenne du charbon et de l'acier pour construire ce partenariat, il a fait observer que la Russie mentionnait l'arme énergétique en des termes ambigus, évoquant les alternatives américaine ou chinoise au partenariat avec l'Europe. Au nombre des domaines susceptibles de mener à un partenariat stratégique, M. Jean-Louis Bianco a également évoqué les domaines de la recherche, de l'éducation et de la culture, soulignant le potentiel russe considérable à cet égard et insistant sur la nécessité de développer les contacts en la matière.

Le dernier scénario est celui du statu quo. Il verrait se poursuivre le traitement pratique et modeste des questions pendantes.

En conclusion, il a estimé que c'est dans le cadre du triptyque « Intégration impossible, confrontation improbable, coopération nécessaire » que s'inscriraient les relations UE-Russie dans l'avenir.

Evoquant la « nostalgie impériale » de la Russie, le Président Edouard Balladur a dit sa conviction que la Biélorussie ne suscitait pas, de ce point de vue, l'inquiétude de la Russie. Il a estimé qu'il n'en allait pas de même de l'Ukraine et interrogé les rapporteurs sur le niveau d'inquiétude relative de la Russie quant au devenir de ses relations avec l'Ukraine et les pays d'Asie centrale.

M. Jean-Louis Bianco a expliqué que, face à des parlementaires membres d'un pays de l'Union européenne, les interlocuteurs de la Mission à Moscou avaient surtout évoqué la question de l'Ukraine. Il a ajouté, s'agissant de la Biélorussie, que ce pays n'était pas absent des préoccupations russes, au regard notamment d'un risque d'évolution politique « à l'ukrainienne ».

M. René André a estimé que les Russes étaient inquiets de la présence américaine en Asie centrale et qu'ils essayaient par tous les moyens de la contourner, notamment via des contrats pétroliers et gaziers de long terme. Il a insisté sur le caractère déterminant des pipelines pour comprendre la politique étrangère russe. Il a jugé pour sa part qu'il n'existait pas d'inquiétude de la Russie de voir sortir la Biélorussie de son orbite. Evoquant les réactions initialement très vives du Président Vladimir Poutine au début de la crise ukrainienne, il s'est demandé si ce dernier, ne pouvant, constitutionnellement, se présenter en vue d'un troisième mandat à la tête de la Fédération de Russie, ne visait pas à prendre la Présidence d'une structure qui rassemblerait la Russie, la Biélorussie, l'Ukraine et le Kazakhstan.

Le Président Edouard Balladur a fait part de sa surprise concernant le fait que le scénario de l'adhésion de la Russie à l'Union européenne ait été évoqué à Moscou, dont il avait pourtant compris que la Russie le considérait comme incompatible avec l'idée qu'elle se faisait de sa puissance. Il a souhaité savoir si la Russie avait évolué sur ce point ou s'il ne s'agissait que d'un jeu intellectuel. Il a également interrogé les rapporteurs sur le fait de savoir s'il pouvait être considéré que la Russie contrôlait la Communauté des Etats indépendants.

M. Jean-Louis Bianco a confirmé qu'effectivement, les interlocuteurs russes de la Mission avaient évoqué le scénario de l'adhésion, pour l'écarter ensuite, et a fait observer que ce jeu n'avait rien d'innocent : il s'agissait d'évoquer le schéma d'une Russie dont l'adhésion pourrait être envisagée dès lors qu'elle serait à nouveau à la tête des pays de son étranger proche et qu'elle formerait un duopole avec l'Union, à égalité de forces. Quant à son pouvoir de contrôle sur l'espace de la CEI, elle le considère comme acquis.

M. François Loncle a demandé comment la vision de M. Dimitri Rogozine concernant le rôle de la Russie à l'égard de ses « étrangers proches » pouvait être compatible avec les trois premiers scénarios.

M. Jean-Louis Bianco a répondu qu'elle n'était pas incompatible avec le troisième scénario : même chez un responsable politique tel que M. Dimitri Rogozine, l'idée de partenariat énergétique est présente.

Tout en se félicitant des propositions faites par les rapporteurs, M. Jacques Myard a toutefois regretté que ceux-ci soient restés prisonniers du schéma institutionnel prévalant actuellement dans les relations entre l'Union européenne et la Russie. Il a estimé que le poids de l'histoire évoqué par l'un des rapporteurs n'était autre que le poids des réalités humaines, sociologiques, culturelles et géographiques, dont il fallait absolument tenir compte. Rappelant que la Russie était notre allié en 1914, à nouveau en 1941, il a considéré que l'entente avec la Russie allait dans le sens de la marche du monde et que l'organisation du continent européen se devait de prendre cet élément en compte, d'autant que la Russie évoluait vers la démocratie. Il s'est élevé contre la subordination de la relation entre l'Europe et la Russie à ce qu'il a considéré comme des broutilles, à savoir les questions des minorités russophones des pays baltes et de l'Ukraine. Faisant valoir que l'Union européenne comme la PESC n'existaient pas, que la politique étrangère à 25 n'était qu'illusion et que jamais l'Union européenne ne serait une puissance, il a estimé que l'échec annoncé du traité constitutionnel impliquerait de définir une autre organisation du continent européen, dont la Russie ferait partie, comme nation. Il a plaidé en faveur de la création d'un conseil de sécurité européen, qui inclurait le libre échange des biens et des services, mais non des personnes et jugé que, dans une organisation qui ne serait pas une chimère européenne, mais prendrait en compte le poids des réalités héritées de l'histoire, la Russie entrerait certainement.

M. René André a objecté que la question des russophones de Lettonie et d'Estonie n'était certes pas une broutille, même s'il fallait éviter d'en faire l'alpha et l'oméga des relations UE-Russie. Il a plaidé pour une approche mesurée de la question, soulignant les exagérations russes et appelant les Lettons à des efforts d'intégration accrus. S'agissant de l'Union européenne, il a estimé qu'il fallait se réjouir que la Pologne soit entrée dans l'Union, sans quoi sa réaction lors de la crise ukrainienne eût probablement été très forte et très intempestive.

Le Président Edouard Balladur a fait remarquer que la question du rôle et du fonctionnement de l'Union européenne était posée à l'occasion de nombre de débats, parce qu'elle n'était autre que celle du sens que conservait l'indépendance de l'action de la France.

La Commission a ensuite autorisé la publication du rapport d'information présenté par MM. René André et Jean-Louis Bianco.

LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES PAR LA MISSION

Moscou
(16-18 juin 2004)

M. Sergueï Iastrjembski, Conseiller spécial du Président Poutine pour les relations avec l'Union européenne

M. Konstantin Kossatchev, Président de la Commission des affaires étrangères de la Douma d'Etat de la Fédération de Russie

M. Grouchko, Directeur de la coopération européenne au Ministère des affaires étrangères

M. Dimitri Rogozine, Président de la fraction Rodina à la Douma d'Etat de la Fédération du Russie

Mme Olga Boutorina, Directrice de la chaire d'intégration européenne au MGIMO

M. Evgueni Kojoukine, Directeur de l'institut russe pour les études stratégiques

M. Sergueï markov, Directeur de l'institut russe pour les études politiques

M. Viktor Kalioujni, Vice-Ministre des Affaires étrangères en charge des problèmes énergétiques

M. Dimitri Trenine, Directeur adjoint du Carnegie Endowment for Peace de Moscou

M. Richard Wright, Chef de la délégation de la Commission européenne en Russie

M. Valeri Fiodorov, Directeur de l'Institut de sondage VTSIOM

Bruxelles
(22 juin 2004)

M. Cornelius Van Rij, Conseiller de M. Javier Solana, Haut représentant de l'Union pour la PESC

M. Hugues Mingarelli, Directeur Europe orientale, Direction générale « Relations extérieures » de la Commission européenne

M. Marc Franco, Directeur général adjoint de l'Office de Coopération Europaid

M. François Lamoureux, Directeur, Direction générale « transports-énergie » de la Commission européenne

M. Nicolas Thery, Chef de cabinet de M. Pascal Lamy, Commissaire chargé du Commerce extérieur

Lettonie
(7-9 novembre 2004)

Mme Vaira Vike-Freiberga, Présidente de la République

M. Artis Pabriks, Ministre des Affaires étrangères

M. Andris Razans, Conseiller diplomatique, Premier ministre

M. Ilgvars Klava, Directeur politique, Ministère des Affaires étrangères

M. Andris Liepins, Secrétaire d'Etat adjoint à l'Economie, Ministère de l'Economie

M. Andrejvs Pantelejevs, Conseiller de sécurité, Premier ministre

M. Alexandrs Kirsteins, Président de la Commission des Affaires étrangères, Saeima

M. Oskars Kastens, Président de la Commission des Affaires européennes, Saeima

M. Boris Cilevics, Député du Parti de la Concorde, Saeima

Mme Anna Stroja, Directrice, Portail bilingue « Dialogii LV »

Mme Zaneta Ozolina, Directrice, Commission d'analyse stratégique

Mme Ilze Brands-Kehris, Directrice, Centre des droits de l'Homme et des études ethniques

M. Igors Pimenovs, Directeur, Association lettonne des écoles russes

M. Vasilijs Melniks, Président des chantiers navals lettons, Vice-Président de la Confédération patronale de Lettonie

Finlande
(9-10 novembre 2004)

Mme Pilvi-Sisko Vierros Villeneuve, Directrice politique, Ministère des Affaires étrangères

M. Pekka Sutela, Expert des questions russes, Banque de Finlande

M. Raimo Vayrinen, Président de l'Académie de Finlande

M. Kari Ketola, industriel, Société UPL KYMMENE

Mme Kirsti Eskelinen, Directrice générale Russie, Europe de l'Est, Asie centrale, et M. Olli Perheentupa, Expert des relations UE-Russie, Ministère des Affaires étrangères

Mme Liisa Jaakonsari, Présidente de la Commission des Affaires étrangères, Eduskunta

M. Jari Vilén, Président de la « Grande Commission » (Affaires européennes) et M. Eero Lankia, secrétaire général du parti centriste

Paris
(6 juillet, 15 septembre, 3 novembre, 7 et 8 décembre 2004)

Mme Natalia Macherova, Députée biélorusse

Son Exc. M. Rolands Lappuke, Ambassadeur de Lettonie en France

M. Nils Muiznieks, Ministre letton en charge de l'intégration sociale

M. Pierre Vimont, Directeur du Cabinet du Ministre des Affaires étrangères

M. Gilles Briatta, Directeur de la Coopération européenne, Ministère des affaires étrangères

M. Jean-Louis Falconi, Sous-directeur des relations extérieures de la communauté, Direction de la coopération européenne, Ministère des Affaires étrangères

M. Frédérik Million, Rédacteur Russie-nouveaux voisins, sous-direction des relations extérieures de la communauté, Direction de la coopération européenne, Ministère des affaires étrangères

M. Alix Everard, Rédacteur Russie, Direction de l'Europe continentale, Ministère des Affaires étrangères

ANNEXE

- Carte de la Fédération de Russie

- Carte de l'Ukraine

- Carte de la Lettonie

- Carte des gazoducs

- Carte des oléoducs

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N° 1989 - Rapport d'information sur les relations entre l'Union européenne et la Russie (MM. René André et Jean-Louis Bianco)

1 () Cité par Isabelle Facon, Les relations politiques et de sécurité entre la Russie et l'Union européenne, Recherches et documents de la FRS, n° 28, septembre 2002.

2 () Il a augmenté de 14 % environ entre 2000 et 2003.

3 () Tableau tiré de Katinka Barysch, The EU and Russia, strategic partners or squabbling neighbours, Centre for European Reform, 2004.

4 () Décret n° 1300 du 17 décembre 1999. Cité par Dov Lynch, La Russie face à l'Europe, Cahiers de Chaillot, n° 60, mai 2003.

5 () Marie Mendras, Le politique, le bureaucrate et l'oligarque, Paris, Autrement, 2003.

6 () Cette statistique est tirée de Laurent Rucker, Gilles Walter « Russie 2003 : sous contrôle, mais pour quoi faire ? », Courrier des pays de l'Est, n° 1041, janvier-février 2004.

7 () Cité par Arnaud Dubien, « De la domination à l'influence ? La Russie de Poutine et les nouveaux Etats indépendants », in Tanguy de Wilde, Laetitia Spetschinsky (dir), La politique étrangère de la Russie et l'Europe, Bruxelles, 2004.

8 () Arnaud Dubien, art. cit.

9 () Le GUAM est l'acronyme de l'Union de la Géorgie, de l'Ukraine, de l'Azerbaïdjan et de la Moldavie. Entre 1999 et 2002, il est devenu le GOUAM, du fait de l'adhésion de l'Ouzbékistan.

10 () : Source des données économiques : DREE, Mission économique de Moscou.

11 () Marie Mendras, Russie. La réélection de Vladimir Poutine, CERI, mars 2004.

12 () Déclaration de la Présidence de l'Union européenne, 7 juillet 2003.

13 () Myriam Désert, « La société russe - Entre murmures du passé et balbutiements du futur », Courrier des pays de l'Est, n° 1038, septembre 2003.

14 () Ibid.

15 () Les exemples qui suivent sont repris de l'excellente analyse d'Arnaud Dubien, op. cit., pp. 106-108.

16 () L'expression est de Laurent Rucker et Gilles Walter, op. cit.

17 () M. Mikhaïl Marguelov, Président de la commission des affaires étrangères de la Fédération, conférence à l'International Institute for Strategic Studies de Londres, juillet 2004.

18 () Cité par Marie-Pierre Rey, « La Russie et l'Europe occidentale, une histoire heurtée, une mémoire pluriséculaire », in Tanguy de Wilde d'Estmael et Laetitia Spetschinsky (dir.), op. cit.

19 () Vladimir Shemiatenkov, ancien ambassadeur auprès de l'Union européenne. Cité par Isabelle Facon, op. cit.

20 () La Russie exigeait que l'ensemble des importations de viande en provenance de l'Union européenne fasse l'objet d'un certificat unique. Or, ce n'est pas une compétence communautaire.

21 () Dov Lynch, « La Russie face à l'Europe », Cahiers de Chaillot, n° 60, mai 2003.

22 () Isabelle Facon, « Les relations de sécurité entre l'UE et la Russie », in Tanguy de Wilde, op. cit.

23 () Jusqu'à cette date, les autorités lituaniennes accepteront les documents de voyage intérieurs russes.

24 () Dans la présente année scolaire, la Lettonie compte 1046 écoles (327 000 élèves) et quatre types d'écoles : 741 écoles en letton (plus des langues étrangères, 8  % d'élèves minoritaires, en hausse), 159 écoles (95 841 élèves) ayant le russe comme langue principale et à qui il est demandé de porter de 52  à 60 % le temps consacré à des études en letton à partir de la 10ème classe (seconde française) en septembre 2004, 8 écoles pour les autres minorités (polonaise, ukrainienne, biélorusse, lituanienne, estonienne), 138 pratiquent déjà l'éducation bilingue.

25 () Ces paroles, attribuées à un diplomate européen en poste à Moscou, sont citées par Katinka Barysch, in The EU and Russia, strategic partners or squabbling neighbours, Centre for European Reform, 2004.

26 () Communication de la Commission du 9 février 2004. Conclusions du Conseil du 23 février 2004.

27 () La dimension septentrionale de l'Union européenne est une initiative finlandaise lancée en 1997. Elle a pour objectif de resserrer les liens entre l'UE et ses voisins nordiques : elle inclut les trois pays baltes, la Pologne, la Norvège, l'Islande, le Groenland et la Finlande. Ce n'est pas une nouvelle politique de l'Union mais un projet de coordination des instruments existants. Elle a jusqu'alors été active en matière d'environnement.

28 () Baltic Institute of Social Sciences, Integration of minority youth in the society of Latvia in the context of the education reform, Riga, 2004.

29 () INOGATE est un programme de la Commission européenne visant à améliorer la sécurité de l'approvisionnement de l'Europe de l'Ouest en gaz et en pétrole, par l'amélioration des réseaux de transport venant de la région Caspienne. TRACECA est également un programme de la Commission, destiné à contribuer au développement d'un corridor de transport partant de l'axe Est-Ouest de l'Europe, traversant la mer noire, le Caucase et la mer Caspienne jusqu'en Asie centrale.

30 () Ces paroles ont été prononcées en février 2004 et sont citées par Katinka Barysch, The EU and Russia, strategic partners or squabbling neighbours, Centre for European Reform, 2004.

31 () David Gowan, cité par Katinka Barysch, op. cit.

32 () Cité par Andreï V. Belyï, « Aspects stratégiques et limites du partenariat énergétique euro-russe », in Tanguy de Wilde, Laurence Spetschinsky, op. cit.

33 () Thomas Gomart, Le Figaro, 24 novembre 2004.

34 () Tanguy de Wilde, Laetitia Spetschinsky (dir), op. cit.