N° 2098 - Rapport de M. Alain Marleix sur les négociations agricoles entre le Brésil et l'Union européenne




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N° 2098

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 février 2005.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 146 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

sur les négociations agricoles entre le Brésil et l'Union européenne

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Alain Marleix,

Député.

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INTRODUCTION 5

I.- LE BRÉSIL, PUISSANCE AGRICOLE DU XXIÈME SIÈCLE 7

A.- UNE AGRICULTURE AUX ATOUTS FORMIDABLES 7

1.- Des richesses naturelles bien mises en valeur 8

a) Des résultats déjà spectaculaires 8

b) Des atouts nombreux 9

2.- D'importants efforts d'infrastructure encore à réaliser 10

a) La promotion de l'agriculture familiale pour plus de justice sociale 10

b) Des goulets d'étranglement à faire sauter 11

c) Des enjeux pour l'avenir 12

B.- DEUX SECTEURS PARMI LES PLUS COMPÉTITIFS 14

1.- La filière de la viande bovine 14

2.- La filière sucre/alcool 16

II.- L'AGRICULTURE BRÉSILIENNE VEUT CONQUÉRIR SA PLACE DANS LE COMMERCE MONDIAL 19

A.- L'INTÉGRATION AU SEIN DU MERCOSUR 20

1.- Une intégration régionale encore inaboutie 20

2.- Un partenariat avec l'Europe plutôt qu'avec l'Amérique du Nord 21

B.- UNE POSITION TRÈS OFFENSIVE DANS LE CADRE DES NÉGOCIATIONS DE L'OMC 22

EXAMEN EN COMMISSION 25

LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES 29

INTRODUCTION

Après la mise en œuvre de la dernière réforme de la PAC, l'avenir des négociations commerciales internationales dans le domaine agricole constitue la première préoccupation, légitime, des agriculteurs européens en général, et français en particulier.

Le Brésil, pays à l'honneur en 2005 dans le cadre d'une année d'échanges culturels avec la France, avec pour point fort l'invitation par le Président de la République de M. Luiz Inacio Lula da Silva, Président du Brésil, au défilé militaire du 14 juillet à Paris, est au cœur des inquiétudes et des craintes pour nos exploitants agricoles. Il convenait pour votre Rapporteur, en tant que Rapporteur spécial des crédits de l'Agriculture, de se rendre compte de la réalité de la puissance agricole et commerciale du Brésil.

Une mission sur place (São Paulo, Rio de Janeiro et Brasilia), effectuée dans le courant du mois de janvier, a permis un échange de vues constructif sur les négociations agricoles au sein de l'OMC et entre le MERCOSUR et l'Union européenne, notamment en ce qui concerne les secteurs de la viande bovine et des biocarburants. Une série d'entretiens (dont la liste figure en annexe) et des visites de terrain ont permis à la fois de prendre la mesure d'une véritable puissance agricole en devenir et de sensibiliser nos partenaires brésiliens sur les contraintes fortes pesant sur l'agriculture européenne, notamment avec l'éco-conditionnalité des aides de la PAC, le respect de normes sanitaires et environnementales de plus en plus strictes et la prise en compte du bien-être animal, ayant un effet direct sur la compétitivité de l'agriculture européenne.

Pour bien appréhender les enjeux des négociations agricoles en cours, entre le MERCOSUR et l'Union européenne d'une part et globalement au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) d'autre part, il faut d'abord rendre compte des grands traits de la réalité agricole brésilienne.

I.- LE BRÉSIL, PUISSANCE AGRICOLE DU XXIÈME SIÈCLE

La République fédérative du Brésil s'étend sur 8,5 millions de km², soit 37 % du territoire de l'Amérique latine. Représentant quinze fois la taille de la France et près de la moitié des terres du continent sud-américain, il est, de par sa superficie, au 5ème rang mondial.

60 millions d'hectares sont cultivés, dont 15 millions pour les cultures pérennes et 45 millions pour les cultures annuelles. Mais 90 millions d'hectares de terres sont encore disponibles, hors forêt amazonienne (soit plus d'une fois et demi la superficie de la France). On constate un accroissement de 3 millions d'hectares par an au cours des deux dernières années.

Le Brésil est le 3ème exportateur mondial de produits agricoles selon la FAO, après les Etats-Unis et l'Union européenne (4ème en 2002 et 5ème en 2001). Une étude de la CNUCED, basée sur les données de 2001 et 2002, estime que le Brésil sera le premier producteur mondial de produits agricoles à l'horizon de dix à douze ans.

Le Brésil se positionne déjà comme une des toutes premières puissances agricoles et occupe le premier rang mondial pour de nombreuses productions. Le pays a dépassé les objectifs d'autosuffisance, malgré une population de plus de 182 millions d'habitants.

A.- UNE AGRICULTURE AUX ATOUTS FORMIDABLES

10,2 % du PIB du Brésil provient du seul secteur agricole (agriculture et élevage). La part est de 37 % si l'on tient compte de l'ensemble de l'agro-négoce, incluant la production agricole primaire, les industries de transformation, de l'agro-fourniture et les services, soit 170 milliards de dollars en 2003. Cette année-là, le PIB de l'agro-négoce a progressé de près de 7 %, alors que l'activité stagnait au niveau national (- 0,2 %). Sur la période 2001-2003, le taux de croissance du PIB de l'agro-négoce a été trois à quatre fois supérieur à celui de l'économie dans son ensemble, ce qui est bien la preuve d'un secteur au dynamisme porteur.

Les emplois agricoles occupent 20,6 % de la population active, soit 15,5 millions de personnes. L'agriculture est devenue en 2002 le premier employeur du pays (si l'on retient le critère des personnes titulaires d'un contrat de travail), devant le bâtiment.

1.- Des richesses naturelles bien mises en valeur

a) Des résultats déjà spectaculaires

L'agriculture brésilienne a enregistré des succès remarquables au cours des trente dernières années, avec une forte augmentation des rendements alors que les surfaces cultivées restaient stables. Pour les productions de graines (céréales, légumineuses et oléagineux), le Brésil a accru ses surfaces cultivées de 25 % entre 1990 et 2004, tandis que la production augmentait de 125 %. Le Brésil est ainsi le producteur le plus compétitif au monde pour de nombreuses productions.

Le Brésil a par exemple les rendements les plus élevés au monde pour les cultures du soja et du coton. Il est le deuxième producteur mondial de soja derrière les Etats-Unis, et en passe de devenir le 1er exportateur en 2003. Il assure à lui seul plus du quart de la production mondiale. L'Argentine vient en 3ème position. Cependant, tandis que les Etats-Unis sont proches de leur capacité limite de production, le Brésil a un potentiel de croissance très important pour les dix à quinze prochaines années.

Les rendements du soja au Brésil sont désormais parmi les plus élevés au monde et supérieurs à ceux obtenus aux Etats-Unis, avec respectivement 2,83 et 2,57 t/ha. Dans le Mato Grosso, principal Etat producteur, ils atteignent même 3 t/ha en moyenne, avec des pics à plus de 4,4 t/ha. Les rendements ont progressé de plus de 70 % au cours de la décennie écoulée.

Le Brésil est aussi le 1er producteur mondial de café. Il détient 33 % du marché mondial du café, dont il est le premier exportateur. En 2002, l'Allemagne est le 1er importateur de café brésilien (elle reçoit près de 20 % des exportations) et le 1er pays consommateur au monde, le Brésil étant le second. L'Union européenne est la première région consommatrice de la planète, et la France est le 5ème client du café brésilien.

Le Brésil est également le premier exportateur mondial de tabac, devant le Zimbabwe, les Etats-Unis et la Chine, et détient plus de 20 % du marché mondial. Les exportations de tabac constituent un élément important de la balance commerciale agricole du Brésil et contribuent fortement à l'excédent des transactions extérieures.

PLACE DE L'AGRICULTURE BRÉSILIENNE DANS LE MONDE

Production

Exportations

% / monde

Rang

% / monde

Rang

Café

31

29

Jus d'orange

47

82

Sucre

16

29

Soja (graine)

30

38

Soja (huile)

19

28

Volaille

14

29

Viande bovine

16

20

Tabac

9

23

Coton

5

5

b) Des atouts nombreux

Il faut d'abord rappeler l'importance de l'espace disponible : le Brésil dispose d'environ 90 millions d'hectares disponibles pour la mise en culture (sans toucher à la forêt amazonienne). Cela correspond à la totalité des surfaces cultivées en céréales aux Etats-Unis, et pratiquement à la totalité des surfaces cultivées en Chine. La terre, au Brésil, est sensiblement moins chère qu'en France.

Le Brésil présente un climat globalement favorable à l'agriculture. Plusieurs types de climats coexistent : équatorial au Nord, tropical au Centre et tempéré au Sud. Les ressources en eau sont abondantes, au travers des précipitations et des bassins fluviaux, celui de l'Amazone couvrant près de la moitié du territoire national.

Au-delà de cette « bénédiction du ciel », les succès de l'agriculture brésilienne sont la résultante des efforts d'investissement et de l'utilisation de nouvelles technologies. Le pays récolte aujourd'hui près de deux fois plus de grains qu'il y a 10 ans, grâce à la mise au point de nouvelles semences. En outre, avec la modernisation du parc de machines agricoles, les pertes de récoltes sont inférieures à 1 %, alors qu'elles atteignaient 10 % il y a dix ans, soit l'équivalent de la production annuelle de céréales en Italie. Enfin, on constate une utilisation accrue des engrais, dont la consommation a doublé entre 1990 et 2000.

Le semis-direct est aujourd'hui utilisé sur 22 à 25 millions d'hectares, parmi les 45 millions d'hectares cultivés. Le système, introduit dans l'Etat de Paraná dans les années 1970, a permis d'augmenter les rendements tout en préservant l'environnement. Grâce à la sélection de plants de bananes exempts de maladies (et des conditions climatiques et d'irrigation optimales), un producteur du Goiás obtient un rendement de 100 tonnes/ha, contre 42 t/ha au Costa Rica, qui présente les meilleurs rendements mondiaux.

Les salaires et les niveaux de qualification varient beaucoup d'un Etat à l'autre, mais le salaire moyen d'un ouvrier agricole au Brésil est de 76 euros.

Le marché brésilien, qui est resté fermé pendant longtemps, a vu émerger une industrie agro-alimentaire puissante, à l'abri de la concurrence. Votre Rapporteur a pu constater que des partenariats fructueux sont noués entre les entreprises de l'agro-négoce et les universités brésiliennes, sur des projets de recherche cofinancés permettant de trouver des solutions innovantes pour augmenter la productivité ou optimiser les techniques de vente.

2.- D'importants efforts d'infrastructure encore à réaliser

Il y a cependant des ombres au tableau. Les problèmes logistiques conduisent en effet à plafonner la production agricole. Il s'agit pour le Brésil de parvenir à passer à un palier supérieur.

a) La promotion de l'agriculture familiale pour plus de justice sociale

La structure de propriété est particulièrement inégalitaire au Brésil. En 1995 (derniers chiffres disponibles), 1 % des exploitations (celles de plus de 1 000 hectares) couvraient plus de 45 % des surfaces agricoles. Cependant, une part importante des surfaces cadastrées est considérée comme improductive.

Les réformes agraires visent à donner aux populations des zones rurales les moyens de gagner leur vie décemment. Le Gouvernement n'hésite pas à confisquer les terres dont les occupants ne peuvent prouver la légitime propriété, afin de réduire les surfaces improductives dans les grandes fazendas et redistribuer les terres aux petits producteurs familiaux. Par ailleurs, cette politique d'occupation de l'espace rural vise à diminuer l'exode rural qui, bien souvent, ne fait qu'accroître la population des foyers de pauvreté des grandes agglomérations urbaines.

Le Gouvernement Cardoso avait fait de la réforme agraire une de ses priorités. Entre 1994 et 2000, 482 000 familles ont été installées sur un total de 18 millions d'hectares. Le Brésil est ainsi passé du 5ème au 12ème rang des vingt-cinq pays du continent américain selon le critère de la concentration des terres (le Pérou arrivant en tête).

Pour lutter contre ces inégalités, le développement de l'agriculture familiale constitue la priorité du Gouvernement Lula. Les ressources qui lui sont allouées ont augmenté de 30 % en 2004, au travers de programmes d'inclusion sociale, mais aussi de la promotion du biodiesel.

Les objectifs du Programme national de réforme agraire (PNRA) qui doit être mise en œuvre au cours du mandat du Président Lula (2003-2006) sont les suivants :

- installation de 400 000 nouvelles familles,

- régularisation des terres de 500 000 familles déjà installées,

- attribution de crédits fonciers à des taux préférentiels de 2 à 3 %, pour 130 000 familles bénéficiaires de l'agriculture familiale,

- recouvrement de la capacité productive et de la viabilité économique des colonies actuelles,

- création de 2 millions de postes de travail permanents dans le secteur réformé,

- cadastrement par satellite du territoire national et régularisation des 2,2 millions de propriétés rurales, identification,

- démarcation et délivrance de titres de propriété pour les zones occupées par les communautés issues des « quilombos » (communautés créées par les esclaves en fuite),

- relocalisation des occupants non-indiens des réserves indigènes,

- accompagnement technique et développement rural,

- capacitation, accès au crédit et mise en œuvre de politiques de commercialisation,

- universalisation du droit à l'éducation, à la culture et à la sécurité sociale dans les zones réformées.

Le ministère du Développement agraire, chargé de la mise en œuvre de cette politique, participe désormais aux discussions au sein de la chambre du commerce extérieure (CAMEX), laquelle élabore les positions de négociation brésilienne au niveau international. Il défend une position assez protectionniste pour la plupart des filières, afin de protéger le secteur de l'agriculture familiale, mais cette position n'est pas déterminante par rapport à la ligne dominante de souhait d'ouverture des marchés extérieurs.

b) Des goulets d'étranglement à faire sauter

La compétitivité de l'agriculture brésilienne est étroitement liée à la disponibilité des moyens logistiques, compte tenu de l'étendue du territoire et de la faible valeur ajoutée de la plupart des productions (coût de transport et pertes de marchandises). Les ministères de l'Agriculture et des Transports travaillent conjointement afin d'atteindre ces objectifs. En visitant le port de Santos, qui est le port de la ville et de l'Etat de São Paulo et le premier port d'exportation pour le Brésil, ainsi qu'un port principal d'Amérique latine (second pour les containers derrière Panama, qui est, pour sa part, un port de transit), votre Rapporteur a pu mesurer l'importance des projets d'infrastructure planifiés pour désengorger la liaison routière avec le port, complètement saturée aujourd'hui et rendant impossible l'absorption d'échanges supplémentaires.

Pour soutenir le développement de son agriculture, le Brésil doit développer des capacités de stockage, des réseaux de transport fluviaux, routiers et ferroviaires, ainsi que des infrastructures portuaires et aéroportuaires.

L'explosion de la production de grains (+ 24 % entre 2001/02 et 2002/03) pose de sérieux problèmes logistiques dans de nombreuses régions pour l'écoulement de la production. Les infrastructures portuaires deviennent également insuffisantes : moins de 5 % des capacités de stockage sont localisées dans les exploitations rurales, contre 25 % en Argentine et 40 % à 45 % aux Etats-Unis.

L'agriculture brésilienne dispose de trois sources de financement, d'importance égale : les ressources propres (pour les producteurs les plus capitalisés), les ressources disponibles aux taux du marché ou de manière informelle (fournisseurs, clients) et le crédit rural. Le crédit rural bonifié permet aux producteurs d'obtenir des moyens de financement à court terme au taux de 8,75 % (le taux du marché s'établissant actuellement à plus de 20 %). Il ne permet cependant d'assurer qu'un tiers des besoins de financement des agriculteurs. Le Brésil a besoin d'une véritable réforme du système de crédit rural qui s'oriente de plus en plus vers un soutien aux petits producteurs.

Le Gouvernement Lula travaille ainsi à la création d'un système d'assurance agricole privé. L'assurance officielle (Proagro) ne bénéficie aujourd'hui qu'à 5 % de l'agriculture.

Pour la récolte 2003/04, qui devait permettre de produire 120 millions de tonnes de grains, les besoins de financement ont été estimés à 30 milliards d'euros. Les ressources propres devaient assurer 50 % du financement, les ressources mises en place par le ministère de l'Agriculture 30 %, les 20 % restants provenant des coopératives et grandes agro-industries, en particulier les triturateurs et exportateurs de soja.

Le poids de la bureaucratie est aussi un frein au développement des exportations agricoles du Brésil. Certaines lois ont également un rôle néfaste au niveau de l'agro-négoce national (exonération des exportations de produits de base ayant favorisé l'exportation de produits à moindre valeur ajoutée).

c) Des enjeux pour l'avenir

Le Brésil exporte encore essentiellement des matières premières agricoles ou des produits ayant subi une première transformation. Il est, de ce fait, très vulnérable aux variations des cours des matières premières.

Les exportations du Brésil ne représentent que 0,9 % des exportations mondiales, alors que le pays dispose d'un potentiel bien supérieur. Sa participation dans les exportations agricoles mondiales est cependant plus significative, avec près de 4 % du total. Le Brésil est encore assez peu présent en Asie qui représente un gisement de consommation considérable à moyen terme et constitue de ce fait une priorité pour les exportateurs brésiliens qui souhaitent y prendre place dès à présent. A partir de 2001, les exportations agricoles du Brésil ont manifesté une plus grande diversification géographique.

Le développement des exportations ne passe pas tant par une augmentation de la production que par l'intégration de valeur ajoutée dans les produits nationaux. Au cours des dernières années, le Brésil a souffert de la baisse mondiale des cours des matières premières alors que ses exportations en volume progressaient. En revanche, il est aussi idéalement positionné alors que s'établit un consensus vers une hausse des prix des produits agricoles au cours de la décennie qui commence. Le Brésil est aussi bien positionné pour devenir un fournisseur majeur de produits agricoles biologiques, qui obtiennent des prix de vente bien plus rémunérateurs que les produits de l'agriculture traditionnelle et dont les produits progressent actuellement de 20 % par an en moyenne au niveau mondial.

Le modèle que souhaite suivre le Brésil est en fait celui de l'Allemagne, premier transformateur de grains de cafés au monde et troisième exportateur alors qu'il ne possède pas un seul caféier sur son territoire, ou celui de la Suisse et de la Belgique, qui se sont approprié la production de chocolat alors que toutes les fèves de cacao doivent être importées. Ces pays, sans être producteurs, sont ceux qui savent tirer le meilleur profit des matières premières agricoles produites par des pays tiers. Les producteurs de café brésiliens sont engagés dans des programmes de valorisation de leur production : les cafés « gourmet » se vendent ainsi cinq fois plus cher que le café de base. Mais le Brésil détient moins de 0,5 % du marché mondial du café torréfié et moulu. Sur un autre créneau, certaines cachaças sont vendues en Europe à 15 euros la bouteille, soit le prix de whiskies de 12 ans d'âge.

Le Brésil ne réussit cependant pas encore à mettre en avant sa spécificité afin de créer une demande mondiale pour ses productions, ce qu'ont réussi les Colombiens avec le café ou la Floride avec le jus d'orange. Le Brésil peut développer sa « marque » sur de nombreuses productions : viande, jus d'orange, café,... C'est dans ce sens que travaillent les principales organisations professionnelles sectorielles. Il veut aussi obtenir la reconnaissance de l'identité traditionnelle brésilienne de la cachaça, à l'image de la tequila mexicaine, et prévoit de faire figurer sa reconnaissance dans toutes ses négociations bilatérales.

Le ministère du Commerce extérieur a défini comme priorité le renforcement de l'image des produits brésiliens au travers des marques et des appellations d'origine. L'objectif est d'augmenter le nombre de certificats d'origine et de qualité délivrés par l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) et l'Institut national de métrologie (INMETRO).

Le Brésil a vu jusqu'à présent s'implanter sur son territoire la plupart des grands négociants et producteurs du secteur agricole. Cependant, les entreprises brésiliennes n'ont pas encore pris des positions à l'extérieur, afin de bénéficier des avantages comparatifs que peuvent offrir d'autres pays. Comme contre-exemple, on peut cependant citer les producteurs brésiliens de jus d'orange concentré qui contrôlent aujourd'hui 25 % de la production en Floride, afin de contourner les barrières douanières américaines qui taxent lourdement les importations de concentré brésilien. De même, la Coopérative des producteurs de café de la région de Pinhal (Coopinhal) a constitué, en Russie, une entreprise conjointe avec des investisseurs locaux, destinée à la production de café torréfié et moulu. Tout le café traité par la nouvelle usine provient du Brésil.

Au-delà de la problématique de la production, l'enjeu principal de l'agriculture brésilienne est celui de la commercialisation de ses produits. A cet égard, le Brésil souhaite ardemment, au sein des instances commerciales multinationales, l'ouverture de tous les marchés. Il a ainsi négocié avec les autorités américaines une ouverture du marché brésilien pour le blé américain en échange de l'accès au marché américain pour les viandes brésiliennes. De même, les professionnels de l'agriculture brésilienne montrent un grand opportunisme afin de saisir tous les marchés qui s'offrent à eux : c'est le cas de la viande (bovine et volaille) et des oléo-protéagineux lors de la crise de la vache folle en Europe. Les efforts en matière de marketing portent aussi sur la cachaça, pour laquelle les Brésiliens veulent rééditer le succès obtenu par les Mexicains avec la tequila.

B.- DEUX SECTEURS PARMI LES PLUS COMPÉTITIFS

Selon M. Mauro de Resende Lopez, ancien négociateur pour le Brésil à Genève et aujourd'hui économiste à la Fondation de recherche Getulio Vargas, les secteurs de la viande bovine et de la transformation de la canne à sucre en alcool sont ceux où le Brésil est le plus compétitif et où le commerce mondial pourrait le plus profiter de cet avantage comparatif brésilien.

1.- La filière de la viande bovine

La production animale a enregistré un fort dynamisme durant ces dernières années, ce qui a généré une croissance de la production de viandes, dont le Brésil assure plus de 8 % du marché, avec 18,5 millions de tonnes en 2004. Cette croissance du segment des viandes a permis au pays de se classer 2ème producteur mondial de viande bovine, 3ème de viande de volaille, et 5ème de viande de porc.

Les exportations de viandes brésiliennes ont battu de nouveaux records en 2003, avec un montant de 3 milliards d'euros, soit une croissance de 31 % par rapport aux résultats de 2002. L'Union européenne, premier importateur de produits alimentaires brésiliens, a importé pour 900 millions d'euros de viande brésilienne en 2003, soit 10 % du montant global de ses achats en provenance du Brésil. Grâce aux récents accords commerciaux entre la Chine et le Brésil, les exportations, à partir de 2005, devraient augmenter de 150 millions d'euros par an en viande de volaille, et de 450 millions d'euros par an en viande bovine.

Le Brésil, deuxième producteur mondial de viande bovine, se situe encore derrière les Etats-Unis. De 1990 à 2003, la production de viande bovine est passée de 4,1 millions de tonne équivalent carcasse (TEC) à 7,7 millions de TEC, soit une croissance de 85 %, avec une moyenne de 6 % par an.

En 2003, la consommation locale moyenne de viande de bœuf a été de 36,2 kg par habitant et de 6,4 millions de TEC par an, supérieure à celle observée en France (25,6 kg/hab/an), mais inférieure à la consommation argentine (62 kg/hab/an) et uruguayenne (56 kg/hab/an).

Les exportations de viande de bœuf transformée et non transformée ont atteint 1,15 milliard de dollars en 2003 (soit 40 % de plus qu'en 2002), et un volume de 1,4 million de TEC, plaçant le Brésil comme premier exportateur mondial de viande bovine, devant l'Australie. Le Brésil exporte ses viandes dans 104 pays, contre 44 seulement en 1999. Il a réalisé, en 2003, des conquêtes importantes, devenant successivement le premier exportateur mondial de viande bovine (en volume) devant l'Australie, et de volaille (en valeur) devant les Etats-Unis.

PRODUCTION ET EXPORTATIONS DE VIANDE BOVINE BRÉSILIENNE

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Avec 193 millions de têtes, soit plus d'une par habitant, il possède le plus grand cheptel bovin commercial au monde. Ce cheptel représente le double de celui de l'Union européenne (avec 79 millions de têtes), et plus du triple de celui de l'Argentine (51 millions). Le Brésil est un des seuls pays à élever la grande majorité de son cheptel selon des méthodes extensives, à l'air libre, sans que des bâtiments d'élevage soient nécessaires.

Le Zébu domine largement (80 %) pour les races à viande, avec le Nélore. Les 20 % restants sont composés par les races Brahman, Cangaiam, Gir, Gir Mocho, Guzera, Indu-brasil, Sindi et Tabapuã. Le Zébu a été introduit au Brésil au XIXème siècle et reste largement utilisé en croisement avec les races européennes. Il est très bien adapté au climat, mais moins rentable en viande, à l'inverse des races européennes qui donnent de très bons résultats en viande en Europe, mais moins sous les tropiques, d'où la nécessité de réaliser des croisements pour l'amélioration des races bovines.

Les principales races laitières sont : Hollandaise, Gir leiteiro, Jérsei, Pardo-suíça, Girolando, Guzerá leiteiro, Holandês vermelho, Gir leiteiro mocho. On trouve des races françaises au Brésil : Limousine, Blonde d'Aquitaine, Charolaise, Montbéliarde, Normande, Tarentaise, Gascogne, Salers, Aubrac. La race limousine a été principalement utilisée en croisement industriel avec le Nelore à partir de 1975. Aujourd'hui, on compte plus de 11 000 mâles et 26 000 femelles enregistrées. La blonde d'Aquitaine est bien introduite sur le marché brésilien, et concurrente de la Limousine (2 600 vaches pur-sang français). Pour l'anecdote, le vice-ministre de l'Agriculture et le « roi Pelé » élèvent des Blondes. La Charolaise est présente depuis plus d'un siècle, notamment dans le sud du pays et aujourd'hui principalement dans l'Etat de Paraná. Le cheptel charolais est estimé à plus d'1,5 million de têtes.

Les questions sanitaires constituent la priorité du Brésil en ce qui concerne le secteur de la viande bovine, avec pour objectif l'éradication de la fièvre aphteuse d'ici 2007, ce qui facilitera l'accès à de nouveaux marchés d'exportation, notamment américains du Nord.

Il existe au Brésil 18 abattoirs certifiés pour l'exportation de la viande, avec des contrôles sanitaires très stricts. Votre Rapporteur a pu se rendre compte, en visitant l'abattoir Minerva à Barretos, que l'abattage et la transformation de produits dérivés destinés à l'exportation obéissent à des normes sanitaires et d'hygiène très strictes, sous contrôle permanent des services d'inspection vétérinaire du ministère de l'Agriculture. Cependant, la filière en amont est loin d'être contrôlée à 100 %. Selon différentes sources, environ 40 % des 218 abattoirs ne seraient pas contrôlés par les autorités sanitaires. Les viandes en provenance des abattoirs « clandestins » sont généralement destinées aux petites villes.

2.- La filière sucre/alcool

La production de canne à sucre occupe plus de 5 millions d'hectares au Brésil, soit près de 10 % des surfaces cultivées. Elle est concentrée dans les régions du Sud-Est et du Nordeste (qui représentent 80 % des surfaces). La culture de la canne à sucre est le fait de 60 000 producteurs, et elle emploie 1 million de personnes.

Le Brésil est le premier producteur de canne au monde, est aussi le plus efficace. Il a beaucoup investi dans la recherche agronomique sur la canne à sucre, afin de développer des variétés plus productives et présentant une meilleure longévité.

Le Brésil est le producteur de sucre le plus compétitif au monde, avec un coût de production de l'ordre de 115 à 138 euros par tonne (la moyenne dans l'Etat de São Paulo est de 127 €/t). D'autres grands exportateurs comme l'Australie et la Thaïlande ont un coût de revient de 260 euros la tonne ; il est même de plus de 346 euros aux Etats-Unis et de plus de 540 euros la tonne dans l'Union européenne.

La production de sucre est en progression quasi constante depuis dix ans. Elle a cependant fortement baissé en 2001 en raison des mauvaises conditions climatiques qui ont affecté la production, et de la priorité accordée à la production d'alcool, activité ponctuellement plus rémunératrice.

Autre produit dérivé de la canne à sucre, l'alcool produit au Brésil est également très compétitif. Le coût de production moyen de l'éthanol au Brésil est de 15 centimes d'euros par litre, contre 25 c/l aux Etats-Unis et 42 c/l dans l'Union européenne. Le Brésil cherche à créer un marché international de l'éthanol afin de libérer de l'espace sur les marchés internationaux pour ses exportations de sucre.

Après des expériences pionnières dans les années 1930, le Brésil a lancé, au moment du premier choc pétrolier en 1974, un programme national d'utilisation d'alcool comme carburant (Proalcool). Aujourd'hui encore, la production d'alcool est quasi-exclusivement destinée à ce débouché : soit de l'alcool pur pour des véhicules spécialement conçus à cet effet, notamment pour les transports en commun, soit de l'alcool utilisé en mélange à 20-25 % à l'essence pour des véhicules à essence plus classiques. Cette dernière voie d'utilisation se développe (56 %). Elle est aujourd'hui complétée par la promotion de voiture « flex fuel » qui peuvent mélanger essence et alcool dans n'importe quelle proportion.

En revanche, la promotion récente, par le Gouvernement Lula, de la filière biodiesel relève plus d'une politique sociale de soutien à l'agriculture familiale, car elle n'apparaît absolument pas rentable économiquement.

Il semble que le Brésil soit en partie responsable des déséquilibres commerciaux du marché du sucre au niveau mondial. Le pays a en effet considérablement augmenté sa production de sucre au cours des dix dernières années, ainsi que ses exportations. Cette augmentation est supérieure à la demande et responsable en grande partie de la baisse des prix. Le Brésil, qui cherche avec d'autres à obtenir une libéralisation forcée du marché du sucre de l'Union européenne, devrait être plus critique vis-à-vis de sa propre politique d'encouragement de la production, qui dépasse l'augmentation de la demande, pèse sur les cours mondiaux et accroît les déséquilibres.

II.- L'AGRICULTURE BRÉSILIENNE VEUT CONQUÉRIR SA PLACE DANS LE COMMERCE MONDIAL

Le Brésil est le 1er producteur et exportateur mondial de café, sucre et jus d'orange concentré, le 2ème producteur et 1er exportateur mondial de viande de bœuf, viande de poulet et soja, le 3ème producteur et exportateur mondial de fruits et le 4ème brasseur mondial. Il dispose également d'un marché interne de 184 millions d'habitants. Le Brésil importe essentiellement du blé, des graisses et huiles animales ou végétales (huile d'olive), quelques dérivés du lait et des fruits de climat tempéré. Il exporte du café, du sucre, des viandes, du soja, du jus d'orange concentré et des fruits tropicaux.

Les exportations agro-alimentaires du Brésil ont enregistré en 2003 une progression de 23 % en valeur et de 14 % en volume. Ces exportations reposent essentiellement sur des produits agricoles de base, ou ayant subi une première transformation (graines et tourteau de soja, sucre, viandes). Le Brésil exporte relativement peu de produits issus des industries agro-alimentaires en raison de la faible disposition exportatrice de celles-ci, davantage tournées vers un marché intérieur important.

EXPORTATIONS AGRICOLES DU BRÉSIL

(en milliards de dollars)

2000

2001

2002

2003

2004

Complexe soja

4,2

5,2

6,0

8,1

8,7

Sucre

1,2

2,3

2,1

2,1

n.c.

Viandes

1,9

2,8

3,1

4,1

4,1

Café

1,8

1,4

1,4

1,5

n.c.

Tabac

0,8

0,9

1,0

1,1

1,0

Jus d'orange concentré

1,0

0,8

1,0

1,2

n.c.

TOTAL

20,7

23,9

24,8

30,6

29,9

L'Union européenne reste, de loin, le premier débouché pour les exportations agro-alimentaires du Brésil, dont elle absorbe 36 % en 2003, en léger retrait par rapport à 2000 où près de 40 % des exportations brésiliennes lui étaient destinées. Les Etats-Unis absorbent 16 % des exportations brésiliennes.

Le Brésil est parvenu à diversifier ses marchés d'exportation en 2003, ce qui a assuré la croissance des ventes. Des régions comme l'Europe orientale, l'Afrique, le Moyen-Orient ainsi que dans une moindre mesure une partie de l'Asie, voient leur importance croître. La Russie, la Chine, l'Egypte et l'Arabie saoudite gagnent plusieurs rangs dans le classement des clients du Brésil.

Malgré une légère hausse en 2003 (+ 7 %), les importations agricoles du Brésil baissent régulièrement et contribuent à l'augmentation de l'excédent de sa balance commerciale. Le Brésil réduit progressivement sa dépendance vis-à-vis des principaux produits qu'il importe. Seules les importations de blé restent à un niveau élevé, en raison des conditions peu favorables existant pour cette culture dans le pays.

Tout en cherchant un partenariat privilégié, au sein du MECOSUR, avec l'Union européenne, le Brésil semble aujourd'hui considérer les négociations à l'OMC comme prioritaires, afin de lui permettre de trouver de nouveaux débouchés pour son agriculture.

A.- L'INTÉGRATION AU SEIN DU MERCOSUR

1.- Une intégration régionale encore inaboutie

Le MERCOSUR (MERCOSUL en portugais), dont les membres sont l'Argentine, le Brésil, le Paraguay et l'Uruguay, a été institué par le traité d'Asunción du 26 mars 1991, le Chili y étant associé.

Marché potentiel de 221 millions d'habitants, le MERCOSUR suscite naturellement l'intérêt en vue d'investissements à vocation régionale. Mais cet intérêt a souvent été déçu face à la réalité de l'achèvement de l'intégration économique qui, devant surmonter des défis structurels, a pris du retard et souffre de nombreux ratés. L'espoir suscité par l'arrivée au pouvoir de présidents qui ont affiché leur volonté d'approfondir l'intégration n'a pas porté ses fruits avec la reprise en 2004 de tensions commerciales entre le Brésil et l'Argentine, qui ne s'est toujours pas remise de la crise économique et cherche à protéger son marché intérieur. Pour autant, le MERCOSUR a entamé une phase d'expansion au point de regrouper aujourd'hui, sous des statuts divers, la totalité du continent sud-américain.

Le Brésil s'est toujours présenté comme un ardent défenseur du Marché commun du Cône Sud, que l'ancien Président Cardoso considérait comme étant « son destin » et non pas une simple option à l'instar d'autres accords. Le Président Lula dit avoir, dès sa prise de fonction, accordé la priorité absolue au MERCOSUR et souhaité « renforcer les dimensions sociales, politique et culturelle de ce projet, sans oublier que la base de cette construction doit être une authentique intégration économique ».

Cette priorité du Gouvernement Lula s'inscrit dans le cadre plus large de l'intégration du continent sud américain et de la constitution d'une « Communauté sud-américaine des Nations ». Le Brésil promeut cette intégration via la négociation d'accords préférentiels entre le MERCOSUR et ses voisins (Chili, Bolivie, Pérou, Mexique et Communauté andine des nations), mais également en défendant une intégration physique du continent (à travers notamment de l'initiative pour l'intégration des infrastructures régionales en Amérique du Sud).

Le Brésil souhaite renforcer le MERCOSUR pour en faire l'ancre d'une Amérique du sud plus forte et plus unie. Dans la perspective d'achever l'union douanière en 2006 et d'engager une réelle coordination des politiques macro-économiques, les institutions du MERCOSUR ont ainsi été renforcées récemment, avec la mise en place d'un secrétariat exécutif, la création d'un Comité des Représentants permanents et l'installation d'un Tribunal des différends à Asunción le 13 août 2004, ainsi que la perspective de la mise en place d'un Fonds pour la convergence structurelle et d'une Assemblée régionale élue au suffrage universel d'ici 2006.

2.- Un partenariat avec l'Europe plutôt qu'avec l'Amérique du Nord

Pour le Centre brésilien de relations internationales, la recherche d'un accord avec l'Union européenne est à privilégier par rapport à un accord avec l'Amérique du Nord. De même, l'Asie (notamment la Chine et l'Inde) est plus considérée comme un concurrent potentiel que comme un partenaire fiable à long terme.

Les négociations entre l'Union européenne et le MERCOSUR ont beaucoup progressé, permettant d'aboutir à un accord sur 60 % des dossiers, malgré la persistance de divergences fortes sur certains secteurs, avec notamment les demandes du MERCOSUR portant sur l'accès de ses produits agricoles au marché européen et demandes de l'Union européenne portant sur les biens industriels, les services et les marchés publics. L'absence de concessions du Brésil sur ces volets lors des derniers tours de négociations a empêché d'aboutir à un accord, initialement prévu à la date du 30 octobre 2004. Le ministère des Relations extérieures du Brésil semble en effet continuer de faire preuve d'un certain dogmatisme vis-à-vis de l'Union européenne, alors qu'il s'agit d'ores et déjà du premier partenaire commercial de ce pays. Dans ces conditions, un accord technique semble être trouvé, de la part des deux parties, pour renvoyer les questions les plus dures (subventions agricoles pour l'Union européenne, droits de propriété intellectuelle pour le Brésil) dans le cadre de l'OMC. Un accord régional sera alors plus facile à trouver, après le succès escompté du cycle de Doha, donc pas avant la fin de l'année 2006.

En revanche, les négociations pour la zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) marquent le pas depuis la réunion ministérielle de Miami (novembre 2003), qui s'est conclue sur un accord modifiant l'architecture de la future ZLEA. Désormais, les futurs membres privilégient une ZLEA à la carte, avec un ensemble commun et équilibré de droits et obligations applicables à tous les pays comme socle, et des accords bilatéraux plus poussés pour les pays souhaitant aller plus loin dans l'intégration. Les pays participants divergent sur la portée de l'accord sur un certain nombre de thèmes (services, investissement, propriété intellectuelle). Le Brésil souhaite limiter la portée de cette zone.

B.- UNE POSITION TRÈS OFFENSIVE DANS LE CADRE DES NÉGOCIATIONS DE L'OMC

Le Brésil joue également un rôle très actif sur la scène internationale et appelle fermement à développer les formes de consultation et de coopération Sud-Sud, afin de faire prévaloir les intérêts des pays en développement dans les instances multilatérales. Le Gouvernement Lula a ainsi créé le forum IBSA (Inde, Brésil et Afrique du Sud) et le conseil entrepreneurial Brésil/Chine (CEBC). Il appuie fortement la négociation d'accords de préférences tarifaires avec l'Union douanière d'Afrique australe (Afrique du Sud, Botswana, Lesotho, Namibie, Swaziland) et l'Inde.

Au sein des instances internationales, le Brésil fait entendre la voix des pays en développement, en s'en présentant comme un des chefs de file alors qu'il n'a plus du tout objectivement ce statut économique, afin d'obtenir une plus grande ouverture des marchés protégés des pays développés, au bénéfice essentiellement de son agriculture. Le Brésil milite ainsi en faveur d'une libéralisation du commerce mondial des produits agricoles et d'une plus grande ouverture des grands marchés consommateurs. Il défend l'adoption de règles plus justes pour les échanges internationaux, tout à fait conscient de pouvoir en sortir facilement gagnant.

Après avoir fait partie du groupe de CAIRNS (1), le Brésil a lancé le G20 (regroupant les pays en développement, notamment l'Inde, la Chine et l'Egypte) lors de la réunion ministérielle de Cancun, en novembre 2003, au cours des négociations de l'OMC. Le G20 défend aujourd'hui l'élimination des subventions agricoles à l'exportation), tout en réactivant les négociations autour du système de préférences commerciales (SPGC).

Le Brésil souhaite également un approfondissement des relations commerciales avec ses deux principaux partenaires, l'Union européenne et les Etats-Unis (en 2003, les échanges avec ces deux régions totalisaient 47 % des flux commerciaux du Brésil), et est engagé dans des négociations visant la libéralisation des échanges.

Le Brésil bénéficie d'un avantage comparatif pour de nombreuses productions agricoles. Il est le producteur de sucre le plus compétitif au monde. Les rendements des cultures du soja et du coton sont parmi les plus élevés. Le Brésil est également le pays le plus compétitif pour la production de viande de porc, et figure parmi les trois premiers pour la production de viande de volaille. C'est pourquoi le Brésil réclame une libéralisation complète de l'agriculture mondiale et une plus grande ouverture des marchés extérieurs pour ses produits, en s'appuyant sur des pays beaucoup moins avancés que lui et dont les intérêts sont, à terme, très divergents.

Le Brésil souhaite ardemment conclure le cycle de Doha, et aboutir à un accord substantiel lors de la conférence de Hongkong en décembre 2005. On peut cependant regretter un certain manque de flexibilité du Brésil dans les négociations en cours : les autorités brésiliennes, notamment le ministère des Relations extérieures, continuent d'exiger de nouvelles concessions sur le volet agricole, sans ouvrir de réelles perspectives sur les secteurs des services, des investissements et des marchés publics.

Les demandes brésiliennes portent encore sur les dates envisagées par ses partenaires pour l'élimination des subventions à l'exportation et sur la déliaison entre les soutiens internes et les cours de marché d'une part, et sur les quotas d'importation (notamment pour le Hilton beef) et les barrières non tarifaires comme les contrôles sanitaires d'un autre côté. Sur le premier point, il a fallu rappeler aux interlocuteurs brésiliens sur place, notamment aux négociateurs à Genève, les efforts considérables faits par les agriculteurs européens avec la réforme de la PAC. Il ne s'agit pas pour l'agriculture européenne de payer deux fois. Le Brésil doit bien avoir conscience des avancées réelles qui ont déjà été mises en œuvre en ce qui concerne le découplement des aides du volume et des prix de production. En revanche, on peut regretter que la réforme de la PAC ait été mise en œuvre avant la conclusion du cycle de négociations, avec les mêmes risques que lors de la conclusion du cycle précédent, à Blair House en 1993 et à Marrakech en 1994.

Il ne semble pas souhaitable aujourd'hui d'ouvrir exagérément les quotas d'importation, pour la viande de bœuf ou l'éthanol, sans contrepartie réelle sur les secteurs des investissements et des services, d'autant plus que l'Union européenne est déjà le premier client du Brésil en matière agricole. Il n'est pas question de risquer de déstabiliser le marché européen de la viande, encore très fragile après la crise de la vache folle, ni de déstabiliser la production naissante de biocarburants, nécessaire pour garantir l'autonomie énergétique de l'Europe.

Dans cette négociation, l'Union européenne ne doit pas se sentir seule face aux demandes brésiliennes. D'abord, les États-unis sont aussi en première ligne, car leurs exportations agricoles sont similaires à celles du Brésil, alors que la compétitivité brésilienne devrait assez rapidement lui permettre de conquérir des marchés actuellement chasse gardée des Américains. Ensuite, les intérêts des pays les moins avancés, à la recherche d'une agriculture de subsistance, sont en totale contradiction avec ceux du Brésil. Leur alliance tactique actuelle, qui n'est pas objectivement fondée en termes d'échanges commerciaux, ne doit donc pas inquiéter l'Europe, qui a une position de négociation beaucoup plus saine avec ces pays. Il s'agit donc de ne pas baisser la garde et de défendre des intérêts légitimes.

EXAMEN EN COMMISSION

Votre commission des Finances a procédé à l'examen du présent rapport d'information au cours de sa séance du mardi 15 février 2005.

Votre Rapporteur a indiqué qu'après la mise en œuvre de la dernière réforme de la PAC, l'avenir des négociations commerciales internationales dans le domaine agricole constitue la première préoccupation, légitime, des agriculteurs européens, et notamment français.

Le Brésil, pays à l'honneur en 2005 dans le cadre d'une année d'échanges culturels avec la France avec pour point fort l'invitation par le Président de la République de M. Lula da Silva, Président du Brésil, au défilé militaire du 14 juillet, est au cœur des craintes et des inquiétudes des exploitants agricoles. Il a été possible de se rendre compte de la réalité de la puissance agricole et commerciale du Brésil, au travers d'échanges de vues constructifs sur les négociations agricoles au sein de l'OMC et entre le MERCOSUR et l'Union européenne, notamment en ce qui concerne les secteurs de la viande bovine et des biocarburants.

Une série d'entretiens et des visites de terrain ont permis à la fois de prendre la mesure d'une véritable puissance agricole en devenir et de sensibiliser nos partenaires brésiliens sur les contraintes fortes pesant sur l'agriculture européenne, notamment avec l'éco-conditionnalité des aides de la PAC.

Le Brésil s'étend sur 8,5 millions de km², soit quinze fois la taille de la France et près de la moitié des terres du continent sud-américain. Il est, de par sa superficie, au 5ème rang mondial. 60 millions d'hectares sont cultivés, mais 90 millions d'hectares de terres sont encore disponibles, hors forêt amazonienne (soit plus d'une fois et demi la superficie de la France).

Le Brésil est le 3ème exportateur mondial de produits agricoles, après les Etats-Unis et l'Union européenne. Il sera sans aucun doute le premier producteur mondial de produits agricoles à l'horizon de dix ou douze ans.

Le Brésil se positionne déjà comme une des toutes premières puissances agricoles et occupe le premier rang mondial pour de nombreuses productions. Le pays a dépassé les objectifs d'autosuffisance, malgré une population de plus de 184 millions d'habitants.

Cela est vrai pour la viande bovine. Le Brésil est ainsi le deuxième producteur mondial de viande bovine, derrière les États-Unis. Le cheptel, estimé à 193 millions de têtes, représente le double de l'Union européenne et plus du triple de l'Argentine. Le Zébu domine largement pour les races à viande, mais de par les croisements réalisés par les éleveurs brésiliens avec des races européennes, le segment du Hilton Beef, viandes de qualité, est de plus en plus développé, notamment à l'exportation, ce qui concurrence directement les éleveurs français et européens.

Cela est aussi vrai pour la filière sucre/éthanol. La production de canne à sucre occupe plus de 5 millions d'hectares au Brésil, soit près de 10 % des surfaces cultivées. Le Brésil, premier producteur de canne au monde, est aussi le plus efficace, car il a beaucoup investi dans la recherche agronomique sur la canne à sucre, afin de développer des variétés plus productives. Ainsi, le coût de production est de l'ordre de 115 à 138 euros par tonne, alors que d'autres grands exportateurs comme l'Australie et la Thaïlande ont un coût de revient de 260 euros la tonne et que ce coût dépasse 540 euros la tonne dans l'Union européenne.

Produit dérivé de la canne à sucre, l'alcool est également très compétitif. Le coût de production moyen de l'éthanol au Brésil est de 14 centimes d'euro par litre, contre 42 c/l en Europe. Le Brésil cherche à créer un marché international de l'éthanol, afin de libérer de l'espace sur les marchés internationaux pour ses exportations de sucre. Il a été aidé par une politique énergétique intérieure ambitieuse, dès le début de la crise pétrolière dans les années 1970, avec l'obligation d'intégrer de l'éthanol dans les carburants des automobiles, à hauteur aujourd'hui de 25 %. Toute la filière agro-industrielle a été aidée à l'origine, et elle est aujourd'hui imbattable au niveau mondial, cherchant des débouchés nouveaux.

Pour autant des goulets d'étranglement certains existent, les problèmes logistiques conduisant en effet à plafonner la production agricole. La structure de la propriété est particulièrement inégalitaire au Brésil, ce qui nécessite de mettre en œuvre des plans de soutien à l'agriculture familiale, par exemple en soutenant le biodiesel, qui n'est pourtant pas très rentable économiquement.

La compétitivité de l'agriculture brésilienne est aussi étroitement liée à la disponibilité des moyens logistiques, compte tenu de l'étendue du territoire et de la faible valeur ajoutée de la plupart des productions. La visite du port de Santos a permis de mesurer l'importance des projets d'infrastructure nécessaires pour désengorger la liaison routière, complètement saturée et rendant impossible l'absorption d'échanges supplémentaires.

Pour soutenir le développement de son agriculture, le Brésil doit donc développer des capacités de stockage, des réseaux de transport fluviaux, routiers et ferroviaires, ainsi que des infrastructures portuaires et aéroportuaires.

Au-delà de la problématique de la production, l'enjeu principal de l'agriculture brésilienne est celui de la commercialisation de ses produits. A cet égard, le Brésil a accompli des progrès remarquables. Il fait bruyamment entendre la voix des pays en développement  -dont il se présente comme un des chefs de file - au sein des instances multinationales, afin d'obtenir une plus grande ouverture des marchés protégés des pays développés. De même, les professionnels de l'agriculture brésilienne montrent un grand opportunisme afin de saisir tous les marchés qui s'offrent à eux : c'est le cas de la viande et des oléo-protéagineux. Les efforts en matière de marketing portent aussi sur la cachaça, pour laquelle les Brésiliens veulent rééditer le succès obtenu par les Mexicains avec la tequila.

Le Brésil milite en faveur d'une libéralisation du commerce mondial des produits agricoles et d'une plus grande ouverture des grands marchés consommateurs.

L'Union européenne reste, de loin, le premier débouché pour les exportations agro-alimentaires du Brésil, dont elle absorbe 36 %. Pour des raisons historiques mais aussi commerciales, le Brésil et les pays du Cône Sud avec lesquels il est associé au sein du MERCOSUR privilégient plutôt le partenariat avec l'Europe qu'avec l'Amérique du Nord. Les négociations entre l'Union européenne et le MERCOSUR ont beaucoup progressé en 2004, un accord étant en voie d'être trouvé sur 60 %, malgré des divergences sur certains secteurs. En revanche, les négociations pour mettre en place une zone de libre-échange des Amériques marquent le pas.

Surtout, l'enjeu pour l'année 2005 est la conclusion du cycle de Doha au sein de l'OMC, avec une réunion ministérielle décisive prévue à Hongkong en décembre prochain. A Cancun, en 2003, le Brésil a lancé le G20, fédérant les pays en développement défendant l'élimination des subventions agricoles à l'exportation.

Le Brésil bénéficie d'un avantage comparatif pour de nombreuses productions agricoles. C'est pourquoi il réclame une libéralisation complète de l'agriculture mondiale et une plus grande ouverture des marchés extérieurs pour ses produits, en s'appuyant sur des pays beaucoup moins avancés que lui et dont les intérêts sont, à terme, très divergents. On peut regretter un certain manque de flexibilité du Brésil dans les négociations en cours. Il a fallu rappeler aux interlocuteurs brésiliens, notamment aux négociateurs à Genève, les efforts considérables faits par les agriculteurs européens avec la réforme de la PAC. Il ne s'agit pas pour nos agriculteurs de payer deux fois. Le Brésil doit bien avoir conscience des avancées qui ont déjà été réalisées en ce qui concerne le découplement des aides du volume et des prix de production.

Il ne semble pas souhaitable d'ouvrir exagérément les quotas d'importation, pour la viande de bœuf ou l'éthanol, sans contrepartie réelle sur les secteurs des investissements et des services. Il n'est pas question de risquer de déstabiliser le marché européen de la viande, encore très fragile après la crise de la vache folle, ni de déstabiliser la production naissante de biocarburants, nécessaire pour garantir notre autonomie énergétique. On peut donc se demander s'il fallait vraiment faire la réforme de la PAC avant la conclusion des négociations commerciales internationales, afin de ne pas répéter ce qui s'était passé avec les accords de Blair House et de Marrakech en 1993 et 1994.

Le Président Pierre Méhaignerie a estimé ce rapport très instructif vis-à-vis des inquiétudes légitimes des représentants des agriculteurs français et européens à plus ou moins long terme. Il est clair que les pays en développement, ou déjà en passe de l'être comme le Brésil, ne sont pas près de laisser l'Europe se reposer sur ses lauriers. Le Brésil a un potentiel agricole illimité et des prix de revient très compétitifs. On a ainsi pu constater en Bretagne, avec l'ouverture du marché des poulets, une diminution de 20 % des emplois industriels en deux ans. Il risque de se poser pour l'agriculture le même problème que pour le textile. Il ne faut donc pas que l'ouverture des frontières ne déséquilibre trop brutalement les régions dépendant beaucoup de l'agriculture. Il faut ménager des étapes suffisamment lentes pour permettre une reconversion adaptée des secteurs concernés par la concurrence internationale.

M. Charles de Courson a rappelé que les prix relatifs comparés entre le Brésil et l'Europe risquent d'aboutir à une disparition de certains secteurs de production si les tarifs douaniers ne sont pas préservés, et ce malgré les coûts de fret. Une rationalisation de l'outil de production peut cependant permettre de rester compétitifs dans certains secteurs, comme le sucre. Il ne faut pas prendre le risque de « tuer dans l'œuf » le développement de la filière des biocarburants en France.

M. Jean-Louis Dumont a estimé nécessaire que la Commission soit très attentive à l'impact économique des négociations commerciales en cours sur certaines filières. En ce qui concerne l'éthanol en particulier, il faut encourager les producteurs à se regrouper, pour réduire les coûts et passer à une échelle de production compétitive. Il s'agit d'un véritable défi à relever, avec le soutien d'organisations agricoles responsables comme COOP de France.

*

* *

La Commission a autorisé, en application de l'article 146 du Règlement, la publication du présent rapport d'information.

LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES  (2)

- M. Mauro de Rezende Lopes (Institut brésilien d'économie) ;

- M. Antonio Claudio Pereira Do Couto Ferraz (compagnie pétrolière Pétrobras) ;

- Mme Adriana de Queiroz (Centre brésilien de relations internationales) ;

- M. Ivan Wedekin (Secrétaire de politique agricole au ministère de l'Agriculture, de l'élevage et de l'approvisionnement) ;

- M. Jorge Peydro Aznar (Délégation de la Commission européenne au Brésil) ;

- M. Antenor de Amorim Nogueira (Président de la Confédération de l'agriculture et de l'élevage) ;

- Mme Anna Luiza Pijnappel (Ministère du Développement agraire) ;

- MM. Flavio Damico et Ronaldo Costa Filho (négociateurs au Ministère des Relations extérieures) ;

- M. Antonio Vilela de Queiroz (Directeur général de l'abattoir Minerva) ;

- M. Marcus Vinicius Pratini de Moraes (Président de l'Association brésilienne des industries exportatrices de viandes, ancien ministre de l'Agriculture) ;

- M. Samuel Ribeiro Giordano et Mme Silvia Faes (Université de São Paulo) ;

- table ronde avec des industriels et professionnels de l'agroalimentaire (MM. Dominique Bigard, Pierre Deram, Jean-Louis Ducoroy, Guy Dupire, Eric Reiss et Adriano Rubio) ;

- MM. Fernando Moreira Ribeiro, Jean-Cluade Religieux et Alexis Duval (Union de l'industrie de la canne à sucre de l'Etat de São Paulo) ;

- M. Wagner Moreira Gonçalves (Directeur au Port de Santos).

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N° 2098 - Rapport de M. Alain Marleix sur les négociations agricoles entre le Brésil et l'Union européenne

1 () Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chili, Colombie, Iles Fidji, Hongrie, Indonésie, Malaisie, Nouvelle-Zélande, Philippines, Thaïlande et Uruguay.

2 () dans l'ordre des rendez-vous.