N° 2567 - Rapport d'information de M. Axel Poniatowski déposé en application de l'article 145 du Règlement, par la commission des affaires étrangères, en conclusion des travaux d'une mission d'information sur les relations entre l'Europe et les Etats-Unis




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N° 2567

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 11 octobre 2005.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

sur les relations entre l'Europe et les États-Unis(1)

Président

M. Edouard BALLADUR

Rapporteur

M. Axel PONIATOWSKI

Députés

--

__________________________________________________________________

(1)La composition de la mission d'information figure au verso de la présente page

La mission d'information sur les relations entre l'Europe et les États-Unis est composée de : M. Edouard BALLADUR, Président ; M. Axel PONIATOWSKI, Rapporteur ; MM. Philippe COCHET, Jacques GODFRAIN, Jean-Jacques GUILLET, François LONCLE, Paul QUILÈS, Rudy SALLES.

SYNTHÈSE 5

INTRODUCTION 9

PREMIÈRE PARTIE : LES CONSTATS DE LA MISSION 13

I - LES RELATIONS TRANSATLANTIQUES SONT À UN TOURNANT DE LEUR HISTOIRE 13

A. - LA DÉVALORISATION STRATÉGIQUE DE L'EUROPE AUX YEUX DES ÉtatS-UNIS : UN CONSTAT UNANIMEMENT PARTAGÉ 14

1. - D'une alliance de survie à une alliance de choix 14

2. - La réorientation des préoccupations américaines : la prolifération des armes de destruction massive et la menace terroriste islamiste 16

3. - La question chinoise 17

B. - QUEL PROJET COMMUN POUR L'OCCIDENT ? 18

1. - Ambiguïtés américaines 18

2. - Contradictions européennes 22

3. - L'Alliance atlantique, symbole de ces ambiguïtés et contradictions 25

II - LA COMMUNAUTÉ DE VALEURS ET D'INTÉRÊTS TRANSATLANTIQUE RESTE SANS ÉGAL 31

A. - EUROPÉENS ET AMÉRICAINS PARTAGENT-ILS ENCORE DES VALEURS COMMUNES ? 32

1. - L'existence de valeurs américaines spécifiques 32

2. - Une communauté de vues sur les valeurs fondamentales 36

B. - LE DÉBAT SUR LES INTÉRÊTS : UNE COMMUNAUTÉ DE DESTIN INDÉNIABLE 37

1. - Des défis et menaces communs à affronter 38

2. - Une intégration économique sans équivalent 38

C. - UN PARTENARIAT VITAL POUR LA STABILITÉ INTERNATIONALE 43

1. - Des divisions porteuses d'inefficacité 43

2. - Une coordination gage de succès 46

DEUXIÈME PARTIE : LES PROPOSITIONS DE LA MISSION 49

I. - PROPOSITIONS POUR AMÉLIORER LES RELATIONS BILATÉRALES FRANCO-AMÉRICAINES 50

II. - PROPOSITIONS POUR UN CONTRAT TRANSATLANTIQUE, ADAPTÉ AU NOUVEAU CONTEXTE INTERNATIONAL 56

A. - INTENSIFIER LE DIALOGUE TRANSATLANTIQUE 56

B. - COOPÉRER PLUS EFFICACEMENT 61

CONCLUSION 73

EXAMEN EN COMMISSION 75

LISTE DES PERSONNALITÉS ENTENDUES PAR LA MISSION 81

synthèse

pour un nouveau contrat transatlantique

Les relations transatlantiques ne seront jamais plus ce qu'elles étaient pendant la guerre froide et il serait vain de chercher à recréer la communauté transatlantique telle qu'elle existait à l'époque. Cependant, l'existence d'un lien solide entre l'Europe et les États-Unis reste nécessaire : tout d'abord parce que, sur le plan économique, l'Europe et les États-Unis ont besoin l'un de l'autre, leurs échanges représentant un total de 12 millions d'emplois ; ensuite parce que le maintien d'une relation transatlantique efficace et solide dépasse de loin les seuls intérêts européens et américains. Elle est en effet nécessaire à la stabilité et à la sécurité internationales. Il est donc de l'intérêt de chacun des partenaires de préserver un lien transatlantique solide, sous peine de se condamner à l'inefficacité, voire à la paralysie, dans la recherche de solutions à apporter aux grands problèmes internationaux.

La question n'est donc pas celle de la pérennité du lien transatlantique mais celle de sa restructuration et de son adaptation : comment l'Union européenne et les États-Unis doivent-ils organiser leurs relations pour gérer leurs différends sans les dramatiser et valoriser efficacement leurs approches communes ?

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En réponse à ces interrogations, la mission d'information créée par la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale fait sept propositions, qui dessinent les contours d'un nouveau contrat transatlantique entre deux partenaires de taille comparable, un contrat adapté aux réalités internationales actuelles.

· Deux propositions concernent les relations franco-américaines et visent à les « dépassionner » :

- la proposition n° 1 vise à l'instauration d'une fondation française pour les relations transatlantiques. La France manque en effet de voix et de professionnels pour défendre et diffuser ses positions et ses messages : l'objet de la fondation proposée est donc de renforcer et de compléter l'action des services de l'État, en mettant en œuvre trois types d'actions : faire venir en France des « leaders d'opinion » et des responsables américains, pendant quelques semaines, afin de leur faire connaître le point de vue français sur différents sujets (politique étrangère, organisation institutionnelle, politiques publiques...) ; défendre et promouvoir l'image de la France aux États-Unis, y compris par des campagnes de communication ; promouvoir enfin la création de centres d'études françaises dans les universités américaines, c'est-à-dire une action de « diplomatie intellectuelle ».

- la proposition n° 2 se propose de rénover les symboles de la relation franco-américaine.

La mission propose à cette fin la tenue d'une rencontre annuelle bilatérale au plus haut niveau, qui réunirait, alternativement en France et aux États-Unis, les deux Présidents et le Premier ministre français.

Elle aurait pour objectif de faire le point sur les coopérations bilatérales, leurs succès, permettant ainsi de passer en revue les points d'accord ; elle porterait également sur les sujets de divergence éventuels. Son but est de créer des relations pratiques de travail entre la France et les États-Unis, afin de prévenir un éventuel retour aux querelles qui prennent un tour parfois passionnel.

Le sommet politique de haut niveau contribuerait à lancer et promouvoir des actions concrètes de coopération entre la France et les États-Unis, dans des domaines à forte visibilité : la recherche médicale ; la coopération dans le nucléaire civil et les énergies nouvelles ; alors que les États-Unis viennent d'être frappés par le cyclone Katrina, une initiative conjointe en matière de sécurité civile et de prévention des catastrophes naturelles pourrait être prise sur proposition de la France. De même, la récurrence de ce genre de phénomènes pourrait conduire nos deux pays à un travail commun sur les changements climatiques : le blocage des États-Unis sur le protocole de Kyoto ne doit pas nous conduire à renoncer à évoquer les sujets environnementaux avec les États-Unis.

· Les cinq propositions suivantes sont de niveau européen. Leur philosophie générale est la suivante : substituer au contrat transatlantique de la guerre froide, fondé sur l'échange « sécurité contre solidarité sans faille », un nouveau contrat, formalisé par cinq propositions. Leur objectif est double : un dialogue intensifié (1) et une coopération plus efficace (2).

(1) Les deux premières propositions sont destinées à donner une traduction institutionnelle au nouveau contrat transatlantique et consistent en :

la nomination d'un coordinateur européen aux relations transatlantiques (proposition n° 3).

Le coordinateur européen aurait pour tâche, au sein de l'Union européenne, d'animer le dialogue intra-européen sur les relations transatlantiques, afin de dégager des vues communes, ou au moins d'aplanir les différends entre les États membres. Pour partir d'un point d'ancrage concret, il pourrait proposer aux États membres un dialogue portant : en matière économique et financière, sur la question d'une représentation mieux harmonisée de l'Union dans les institutions de Bretton Woods ; dans le domaine de la défense et de la sécurité, sur la question essentielle de l'effort budgétaire des États membres de l'Union européenne en matière de défense, qui fait d'ailleurs l'objet d'une proposition détaillée.

la création d'un secrétariat bilatéral commun et permanent Union européenne-États-Unis pour les relations transatlantiques (proposition n° 4).

Il est nécessaire de simplifier l'architecture actuelle du dialogue entre l'Union européenne et les États-Unis, trop complexe et ne permettant pas un suivi continu des dossiers. Il est donc proposé que ce dialogue ait lieu dans le cadre d'un organe spécifiquement dédié à cette tâche, le secrétariat permanent bilatéral Union européenne - États-Unis aux relations transatlantiques. Du côté européen, il serait animé par le coordinateur européen pour les relations transatlantiques.

Ce secrétariat aurait quatre missions :

→ préparation des sommets Union européenne - États-Unis, des réunions des institutions financières multilatérales et suivi des négociations transatlantiques dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce ;

→ élaboration de propositions pour approfondir l'intégration économique ;

→ organisation de réunions de réflexion prospective sur les scénarios de crise éventuelles à venir dans le monde (exemple : quid de l'acquisition de la bombe par plusieurs États instables ?) ;

→ rôle d'alerte afin d'identifier le plus en amont possible les sujets porteurs de crises potentielles entre l'Europe et les États-Unis.

(2) Les trois dernières propositions concernent spécifiquement la sphère militaire et stratégique et reposent sur le principe du partage du fardeau contre le partage des décisions.

Le partage du fardeau, c'est évidemment la question des dépenses de défense. Sur cette question difficile, les États de l'Union ont un devoir de cohérence : un contrat transatlantique moderne, c'est un contrat entre les États-Unis et une Europe qui ne compte plus exclusivement sur la puissance américaine pour se protéger d'une menace bien identifiée, mais assume ses responsabilités. A cette fin, la mission propose un plan pluriannuel de coordination et de progression des dépenses de défense de l'Union (proposition n° 5). Coordination, parce que nous devons tous, en Europe, résoudre le problème structurel que représente la sous-représentation, dans les dépenses de défense, des dépenses consacrées à l'achat de matériels nouveaux. C'est une question d'efficacité. Par conséquent, l'objectif est double : d'une part, obtenir de certains de nos partenaires la progression de ces dépenses : la France fait son travail en la matière, nombre de ses partenaires doivent le faire aussi ; d'autre part, mieux coordonner ces dépenses de défense européenne.

En contrepartie, les principaux acteurs européens dans le domaine de la défense doivent pouvoir mieux se coordonner dans l'OTAN, au sein d'un « quad » de type nouveau, à six membres (France, Royaume-Uni, Allemagne, Espagne, Italie, Pologne) et uniquement européen. L'objectif de cette proposition n° 6 est de rééquilibrer le poids des Européens et des États-Unis dans l'Alliance. Cela implique un gros travail de concertation préalable entre Européens, qui manque aujourd'hui. Il sera certes très difficile à mener mais il est, à terme, nécessaire. Cette nouvelle répartition des responsabilités politiques dans l'Alliance doit avoir pour conséquence une nouvelle répartition des responsabilités militaires : la mission se prononce pour un rééquilibrage des commandements dans l'Alliance

Enfin, la proposition n° 7 vise à répondre au constat de la confusion actuelle du rôle de l'Alliance. Celle-ci n'est pas sortie indemne du refus américain, en 2001, de mettre en œuvre la clause d'assistance mutuelle qui forme pourtant historiquement la raison d'être de l'Alliance. Dans cette perspective, une remise à plat du concept stratégique de l'OTAN s'impose, autour de trois thèmes majeurs :

. la réaffirmation de la mission de défense collective de l'Alliance, sa mission première ;

. la clarification des conditions d'intervention de l'Alliance ;

. la définition d'une doctrine fixant dans quelles circonstances et à quelles conditions l'OTAN intervient dans le « hors-zone », c'est-à-dire en dehors de la zone euro-américaine.

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Telles sont les sept propositions très pragmatiques contenues dans ce rapport. L'objectif du nouveau contrat transatlantique qu'elles dessinent est clair : lever les ambiguïtés pesant sur les relations transatlantiques, dangereuses à terme pour l'efficacité de notre action commune face aux défis internationaux contemporains et resserrer, en les organisant mieux, les liens entre l'Europe et les États-Unis.

Mesdames, Messieurs,

Alors que, durant la guerre froide, les relations transatlantiques entre l'Europe et les États-Unis se résumaient en un principe, l'unité, et s'incarnaient dans une structure, l'Alliance atlantique, l'évolution du contexte international depuis la chute du mur de Berlin a considérablement compliqué ces relations. Aujourd'hui, c'est leur solidité, voire leur pérennité, qui sont mises en question de façon récurrente des deux côtés de l'Atlantique, notamment depuis la guerre en Irak.

Que ne lit-on, depuis la crise irakienne, sur le sujet ! Des centaines d'articles et de papiers lui ont été consacrées, soulignant, soit pour s'en réjouir, soit pour les déplorer, l'ampleur et la profondeur de la crise, les premiers appelant à une prise de distance entre les deux partenaires de la guerre froide, les seconds rappelant que les relations transatlantiques ont toujours survécu aux crises, somme toute nombreuses, qui en avaient ponctué l'histoire.

Pourquoi, dès lors, le Parlement s'intéresserait-il à un sujet apparemment rebattu, sur lequel on peut avoir le sentiment que « tout a été dit », dans un sens ou dans l'autre ? Pourquoi la commission des affaires étrangères a-t-elle, à l'initiative de son Président, décidé de créer une mission d'information qui a consacré une vingtaine d'auditions et neuf mois de travail à cette question ?

*

Alors que le souvenir de la crise bilatérale entre la France et les États-Unis, reste vivace, il nous a semblé important qu'au-delà des universitaires et experts, des hommes politiques français se prononcent sur l'avenir et les modalités des relations que nous entretenons avec un pays qui fascine ou agace, mais reste, en tout état de cause, notre principal allié en dehors de l'Union européenne. Il s'agit donc, dans le présent rapport, de présenter une vision française des relations entre l'Europe et les États-Unis - une vision qui ne prétend pas être un modèle que la France impose à ses partenaires européens, mais qui doit être considérée comme la contribution de parlementaires français au débat, qui existe chez nombre de nos partenaires, sur l'avenir des relations entre l'Europe et les États-Unis. La mission est tout à fait consciente des spécificités de la relation franco-américaine, qu'il ne s'agit pas de confondre avec celle qu'entretient chacun de nos partenaires européens avec les États-Unis.

Reste que les membres de la mission ont le sentiment que les relations avec les États-Unis sont, en France mais également chez un certain nombre de nos partenaires européens, vécues, soit comme étant « naturelles », soit comme le fruit d'un héritage historique dont il faudrait s'accommoder. Or les relations transatlantiques ne vont pas de soi, pas plus qu'elles n'ont de justification qu'historique. C'est donc à la question fondamentale de la légitimité actuelle de ces relations que la mission souhaite répondre : si les relations transatlantiques sont un choix, un choix politique délibéré que font la France et tous ses partenaires dans l'Union européenne, quelles sont les raisons de fond qui motivent, chez chacun d'eux, un tel choix ? Pourquoi la France, comme ses partenaires européens, veut-elle conserver un lien spécifique avec les États-Unis ?

A l'inverse, du côté américain, si vraiment les États-Unis sont la puissance unilatéraliste et impériale que d'aucuns décrivent, quels intérêts ont-ils à préserver des relations spécifiques avec l'Europe, volonté pourtant réaffirmée sans ambiguïté par le Président américain depuis le début de son second mandat ? Du côté américain aussi, en effet, ces relations traditionnelles font débat, le thème le plus récurrent étant celui de la supposée faiblesse européenne, la martiale Amérique s'opposant à la vénusienne Europe. Certes, il ne s'agit là que du point de vue de certains et on se gardera d'avoir une conception monolithique de la politique étrangère américaine, fruit de compromis permanents entre la Maison Blanche, le Département d'État, le Pentagone et le Congrès. Le débat est pourtant réel et il serait malvenu de l'ignorer comme étant le fruit de personnalités et intellectuels isolés.

*

Poser la question, simple et claire, de la légitimité et du fondement des relations transatlantiques après la fin de la guerre froide, c'est aussi faire justice des clichés et des fantasmes que suscitent les États-Unis en France, comme chez certains de ses voisins européens : la perception d'une Amérique impériale, militariste et expansionniste est tout aussi caricaturale que la description d'une Europe systématiquement pacifiste et inconsciente des risques pesant sur sa sécurité. Le soutien et la participation de pays européens à la guerre en Afghanistan comme l'appui américain à la stratégie européenne sur le dossier nucléaire iranien incitent à s'éloigner de tels clichés et des raisonnements de Cassandres idéologues et peu responsables.

De même, à l'inverse, il est temps de cesser d'envisager la relation que la France et ses partenaires européens entretiennent avec les États-Unis sur le mode du sentimentalisme et de la nostalgie, pour regarder la situation avec réalisme. La relation transatlantique a changé avec la fin de la guerre froide ; à moins de l'émergence d'une nouvelle menace structurante qui rassemblerait Européens et Américains, la relation transatlantique telle que nous la connaissions ne renaîtra pas.

Il n'y a là rien de dramatique. Une nouvelle relation se dessine en effet, par encore stabilisée, qui hésite entre deux « modèles », situés aux deux extrémités du spectre : le regroupement des Européens derrière le leadership des États-Unis ou une relation d'égal à égal entre deux entités qui, tout en appartenant au monde occidental, poursuivent néanmoins des intérêts qui peuvent être différents, voire divergents, ou bien poursuivent les mêmes objectifs mais avec des méthodes très différentes.

Chacun reconnaîtra dans cette alternative le débat sur l'identité de l'Union européenne. De fait, la mission a pu mesurer, au cours de ses travaux, combien les débats transatlantiques rejoignaient bien souvent les débats sur la nature de la construction européenne et sur la capacité des pays européens à s'entendre sur une organisation commune. Ce constat vaut particulièrement lorsque sont abordées les questions de défense, les États-Unis étant, via l'Alliance atlantique, une puissance européenne à part entière. C'est dire toute la complexité du sujet.

*

Il paraît donc nécessaire de tenter de préciser les fondements, l'ampleur et les enjeux des relations transatlantiques après la guerre froide, afin de proposer des solutions concrètes susceptibles de les adapter aux réalités du XXIème siècle. Quels constats pour quels progrès ? Telle est, à notre sens, la seule question qui vaille aujourd'hui et tel se veut l'apport principal du présent rapport.

PREMIÈRE PARTIE : LES CONSTATS DE LA MISSION

Les relations transatlantiques ne seront jamais plus ce qu'elles étaient pendant la guerre froide et il serait vain de chercher à recréer la communauté transatlantique telle qu'elle existait à l'époque. Tel est le constat qui s'impose aux membres de la mission à l'issue de leurs travaux.

Pour autant, l'existence d'un lien solide entre l'Europe et les États-Unis reste nécessaire, dans un contexte de multiplication et d'imprévisibilité des menaces. Tel est le second constat majeur qui ressort de l'analyse des relations entre l'Europe et les États-Unis : il est de l'intérêt de chacun des partenaires de préserver un lien transatlantique solide, sous peine de se condamner à l'inefficacité, voire à la paralysie, dans la recherche de solutions à apporter aux grands problèmes internationaux.

I - LES RELATIONS TRANSATLANTIQUES SONT
À UN TOURNANT DE LEUR HISTOIRE

Si les relations franco-américaines sont avant tout placées sous le signe d'une longue amitié, leur histoire est également émaillée de tensions récurrentes, plus ou moins importantes. Le même constat vaut pour la plupart de nos voisins européens, à telle enseigne que l'on peut dire que les tensions transatlantiques font partie intégrante des relations entre la plupart des pays européens et les États-Unis. Faut-il même le rappeler, dès le début de leur histoire, les États-Unis se sont pensés et construits, non pas comme un prolongement de l'Europe, mais comme une alternative à celle-ci. Jusqu'à leur intervention dans la deuxième guerre mondiale, en 1941, les États-Unis se vivaient comme une nation non européenne, conformément d'ailleurs à l'origine même du pays, peuplé de personnes qui ne voulaient, ou ne pouvaient, plus vivre en Europe.

La menace soviétique, sans faire taire les tensions, a cependant forgé une unité et une solidarité transatlantiques inédites entre les pays d'Europe de l'Ouest et les États-Unis. Les premiers avaient besoin des États-Unis comme protecteurs, de même que les seconds avaient besoin de l'Europe comme rempart contre le communisme.

Cette période, tout à fait particulière dans l'histoire des relations entre l'Europe et les États-Unis, a pris fin avec la chute du mur de Berlin. La question est aujourd'hui posée : qu'est-ce qui définit aujourd'hui la relation transatlantique sans la menace soviétique, dans la mesure où le terrorisme international ne joue pas le rôle unificateur qu'avait l'arsenal nucléaire de l'URSS ? Va-t-on revenir au schéma traditionnel, qui prévalait avant 1941, d'une Amérique ne s'impliquant dans les affaires internationales que pour autant qu'elles relèvent de son strict intérêt national ?

a. - la dévalorisation stratégique de l'europe aux yeux des États-unis : un constat unanimement partagé

1. - D'une alliance de survie à une alliance de choix

La relation transatlantique franco-américaine a traversé en 2003 l'une des crises les plus aiguës de leur histoire. Même si les échanges furent plus feutrés, l'Allemagne et les États-Unis connurent également une période de tension mutuelle, tandis que, dans la très grande majorité des autres pays européens, c'est seulement au sein d'une partie de l'opinion publique que s'exprimèrent des désaccords sur la relation transatlantique. Apparue au grand jour à l'occasion de l'intervention militaire des États-Unis en Irak, cette crise, qui s'exprima différemment selon le pays concerné, était en réalité inscrite dans la disparition même de la menace soviétique, menace qui a façonné et défini les formes et modalités des relations entre l'Europe et les États-Unis pendant la guerre froide.

Les guerres balkaniques des années 1990 ont pu donner l'illusion que les intérêts de sécurité américains restaient d'abord européens, que la ligne de front de la sécurité et la stabilité internationales passait encore en Europe. Les attentats du 11 septembre 2001 ont enterré cette illusion d'une relation transatlantique inchangée depuis la guerre froide. Le statu quo qui avait pu prévaloir dans les relations transatlantiques après la chute du mur de Berlin a volé en éclat ; l'existence d'une menace directe pesant sur les États-Unis a réveillé les tentations unilatéralistes qui ont toujours été à l'œuvre aux États-Unis et qui avaient d'ailleurs historiquement dominé la politique étrangère américaine avant 1941. Le 11 septembre 2001 a également enterré la primauté stratégique du continent européen. Pour une Amérique qui a déclaré la guerre contre le terrorisme international en Asie centrale et au Moyen-Orient aujourd'hui, peut-être sur d'autres territoires demain, l'Europe devient une ligne de front parmi d'autres.

La crise irakienne représente l'illustration la plus probante de ce constat. Elle a en effet montré que certains des alliés indéfectibles de la guerre froide pouvaient avoir des vues radicalement différentes sur les solutions à apporter aux problèmes internationaux contemporains, et les afficher. Ce faisant, elle a mis au grand jour l'éclatement de l'équation entre l'intérêt national américain et l'intérêt de certains Européens, les premiers ayant considéré, dans l'affaire irakienne, que l'intervention en Irak ressortait de leur droit de légitime défense et de la protection de leurs intérêts vitaux, les seconds ayant, pour la plupart d'entre eux, estimé au contraire que leur intérêt commandait de régler la crise par des voies diplomatiques et qu'en tout état de cause, l'alignement automatique sur la position américaine ne s'imposait pas.

C'est, au total, une double déconnexion à laquelle on assiste depuis la fin de la guerre froide :

- En premier lieu, il n'existe plus de connexion automatique entre la sécurité européenne et l'intervention des États-Unis : pendant la guerre froide, une crise en Europe était porteuse de conséquences internationales et concernait directement les intérêts américains. Désormais, les crises européennes, à l'instar des conflits qui ont agité les Balkans au cours de la décennie précédente, s'inscrivent dans une problématique régionale, sans concerner systématiquement les États-Unis. Certes, ces derniers sont intervenus, tardivement en Bosnie, dès le début au Kosovo : le réalisme impose cependant de rappeler que l'incapacité des Européens à traiter seuls ces crises, plus que l'intérêt des États-Unis, expliquent l'intervention de ces derniers.

- En second lieu, de même, les crises affectant l'intérêt national américain n'impliquent plus automatiquement le soutien et la participation des États européens via l'OTAN. Quand, le 11 septembre 2001, les États européens de l'OTAN sont unanimes à proposer d'actionner la clause d'assistance mutuelle contenue dans le traité fondateur de l'Alliance atlantique, les États-Unis déclinent l'offre. Que les États-Unis, touchés au cœur, se considérant en guerre qui plus est, refusent la mise en œuvre de l'article V du traité fondateur de l'Alliance atlantique (1), c'est-à-dire la mise en œuvre de la défense collective qui justifie historiquement la création de l'Alliance et n'avait, jusqu'alors, jamais été invoquée, est éminemment symbolique de l'évolution des relations transatlantiques depuis la fin de la guerre froide.

De fait, l'OTAN n'occupe plus une place centrale dans l'organisation des forces américaines : c'est désormais « la mission [qui] fait la coalition », selon les termes du secrétaire à la défense Donald Rumsfeld, manière élégante d'indiquer aux alliés européens que le recours à l'OTAN, central dans le dispositif de sécurité européen, est désormais une option parmi d'autres pour les États-Unis. A travers cette redéfinition du rôle de l'Alliance atlantique dans l'échiquier stratégique américain, c'est l'ensemble du contrat transatlantique qui est remis en cause.

Durant la guerre froide, le contrat qui fondait la relation transatlantique était clair : face au danger soviétique, les États européens acceptèrent de se placer, unis, sous la protection américaine. D'où le double processus de constitution d'une alliance militaire, destinée à assurer la sécurité collective de ce qui était alors le « monde libre », et d'union de l'Europe dans les domaines économiques et commerciaux, le militaire relevant exclusivement du champ transatlantique. En bref, c'est une alliance de survie qui se constitua face à la menace soviétique, fondée sur le principe de la solidarité à tout prix. Non qu'il n'y eût pas de crises transatlantiques - chacun se souvient de celle qui opposa la France aux États-Unis après que le Général de Gaulle avait décidé que la France sortirait de l'organisation militaire intégrée -, mais elles n'ont jamais remis en cause la nécessité d'une alliance aussi étroite que possible. Qui plus est, l'OTAN restait, pour les États-Unis comme pour la majorité de nos partenaires européens, l'élément central de référence en matière de sécurité, de même que le seul moule opérationnel et culturel pertinent sur le plan militaire.

Désormais, l'alliance entre les États européens, les États-Unis et le Canada est une alliance choisie, évolution symbolisée par l'usage « à la carte » de l'OTAN revendiqué par les États-Unis. Cette approche se justifie, à leurs yeux, par la nature des menaces nouvelles qu'ils doivent affronter : à la menace unique, structurante qu'était l'URSS, ont succédé des menaces multiples, pour certaines non étatiques, qui se prêtent mal à l'approche classique d'alliances permanentes, géographiquement bornées. Ainsi, de même qu'il n'existe plus ni une menace particulière, ni un enjeu stratégique mettant en péril la domination et la sécurité américaines, il n'existe plus de cadre d'action unique. Pour le dire autrement, face à des enjeux de sécurité largement extra-européens - terrorisme international, prolifération des armes de destruction massive, conflit du Proche-Orient, sécurité énergétique, émergence de la Chine. -, l'unité de l'alliance atlantique et de l'Europe ne revêt plus un intérêt stratégique permanent pour les États-Unis. Au contraire, la nature et le contenu des relations transatlantiques vont être de plus en plus déterminés par ces problèmes pour la plupart extra-européens.

2. - La réorientation des préoccupations américaines : la prolifération des armes de destruction massive et la menace terroriste islamiste

Les deux événements stratégiques majeurs de l'après-guerre froide que sont les guerres du Golfe et les attentats du 11 septembre 2001 ont conduit les États-Unis à réorienter leur stratégie. Aujourd'hui, les menaces qui déterminent l'organisation et les options stratégiques américaines sont la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs d'une part, le terrorisme international islamiste d'autre part. Dans cette optique, l'Europe n'est plus une priorité et c'est bien davantage le Moyen-Orient ainsi que l'Asie centrale et du Sud qui occupent une place stratégique.

Comme le rappelle M. Bruno Tertrais, maître de recherches à la Fondation pour la recherche stratégique, le Moyen-Orient concentre la plupart des problèmes stratégiques identifiés comme prééminents au regard des intérêts de sécurité américains. C'est en outre là que se situent trois des quatre États identifiés comme névralgiques par les États-Unis : Irak, Iran, Syrie, le cinquième étant la Corée du Nord.

Plus largement, aux yeux des États-Unis, c'est en Asie que se joue désormais la stabilité internationale. De fait, le continent asiatique concentre nombre des priorités de sécurité des États-Unis :

- La prolifération des armes de destruction massive, tout d'abord.

En matière nucléaire, le continent asiatique offre effectivement une configuration inédite, avec la coexistence entre un État nucléaire officiel de jure - reconnu par le traité de non-prolifération (TNP) -, la Chine, engagé dans une montée en puissance de son arsenal, deux États nucléaires de facto, l'Inde et le Pakistan, non signataires du TNP, un État qui se déclare nucléaire et se dit sorti du TNP, la Corée du Nord, et un État dont nombre d'indices laissent penser qu'il cherche à se procurer l'arme atomique, l'Iran. C'est un véritable arc nucléaire qui se dessine, rassemblant qui plus est des États qu'opposent des conflits frontaliers (Inde-Pakistan, Inde-Chine).

- Le terrorisme international ensuite.

C'est en Asie, faut-il le rappeler, qu'est né le réseau Al Qaida. Si les opérations d'Afghanistan d'octobre 2001 ont mis fin à la protection de ce réseau terroriste par le régime taliban, le continent asiatique continue toutefois d'abriter nombre de groupes terroristes reliés à Al Qaida, à commencer par son fondateur d'ailleurs. Les Philippines, l'Indonésie et le Pakistan sont ainsi particulièrement concernés.

- La question de Taiwan.

Taiwan reste un sujet essentiel pour les États-Unis, notamment pour le Congrès américain où les intérêts taiwanais sont très bien relayés. Le récent débat transatlantique sur le projet de levée de l'embargo des ventes d'armes à la Chine par l'Union européenne a rappelé, s'il en était besoin, le poids de la question taiwanaise aux États-Unis.

3. - La question chinoise

Plus fondamentalement, l'intérêt des États-Unis pour l'Asie réside dans la présence, sur le continent, du seul pays susceptible de se poser en rival des États-Unis à long terme - rival stratégique, voire anti-américain, ou puissance économique transformée en Hong-Kong géant par les capitaux internationaux, toute la question est là.

Disparu à la fin des années 1950, le thème de la menace chinoise a resurgi au milieu des années 1990, puis est repassé au second plan à la suite du 11 septembre 2001. Pour l'heure, on assiste à une diversification des liens entre les États-Unis et la Chine :

- ainsi, en matière stratégique, la Chine s'impose comme le partenaire clé en Asie dans les dossiers considérés comme prioritaires par les États-Unis, à commencer par les négociations visant à mettre fin au programme nucléaire de la Corée du Nord. En outre, les attentats du 11 septembre 2001 ont conduit à un rapprochement sino-américain dans la lutte contre le terrorisme : un dialogue sur le contre-terrorisme a été engagé et la Chine ne ménage pas ses efforts pour aider à la reconstruction de l'Afghanistan ;

- dans le domaine économique, si les échanges sino-américains sont encore bien inférieurs aux échanges transatlantiques (2), ils se densifient et s'accroissent néanmoins, notamment du fait de l'accession de la Chine à l'organisation mondiale du commerce en 2001. La Chine est aujourd'hui le principal partenaire des États-Unis s'agissant du commerce des produits manufacturés et est à l'origine de 25 % du déficit commercial américain (chiffres 2003). C'est d'ailleurs ce constat qui est à l'origine des demandes américaines de réévaluation du yuan, qui ont abouti en juillet 2005 à une hausse, modeste, de 2 % de la monnaie chinoise.

b. - quel projet commun pour l'occident ?

1. - Ambiguïtés américaines

Dans le cadre du pacte atlantique de la guerre froide, les États-Unis ont apporté un soutien actif à la construction européenne. Dans une certaine mesure, la mise en place de la communauté économique européenne est même fille de l'alliance transatlantique ; elle traduisit, dans les champs commerciaux et économiques, le soutien américain à l'émergence d'une Europe forte et unie face au danger soviétique. Motivations économiques et stratégiques se confortèrent ainsi mutuellement pour forger une politique bienveillante des États-Unis à l'égard de la construction européenne, d'autant plus que les Européens, en remettant leur défense à l'OTAN, acceptaient cette relation asymétrique.

La disparition de l'ennemi commun au tournant des années 1990 a fait glisser l'attitude américaine de la bienveillance à l'ambivalence à l'égard du processus d'unification européenne. La chute du mur de Berlin et la réunification de l'Allemagne ont, en effet, donné un nouvel élan à la construction européenne, aussi bien dans le sens de l'approfondissement que de l'élargissement. Le chancelier Kohl se rallia ainsi à la proposition française d'ouverture d'une Conférence intergouvernementale (CIG) sur l'Union économique et monétaire, qui aboutit à la création d'une monnaie unique, à laquelle il obtint l'ajout d'une union politique pour créer une véritable Union européenne. Celle-ci ouvrit la voie à l'extension de la construction européenne à des champs longtemps tabous : la politique étrangère et la défense, domaines marqués par l'échec de la communauté européenne de défense en 1954 puis du plan Fouchet en 1963. C'est dans ces conditions que naquit notamment, en 1992, la politique européenne de sécurité commune (PESC), instaurée par le traité de Maastricht. Les crises balkaniques des années 1990 la mirent durement à l'épreuve et contribuèrent à une prise de conscience collective des Européens de l'inanité d'une politique étrangère commune en l'absence de toute démarche commune en matière de défense. Fruit de ce constat, le sommet franco-britannique de Saint-Malo, en 1998, marqua le lancement d'une politique européenne de sécurité et de défense assise sur de véritables moyens opérationnels.

Le projet de traité constitutionnel européen représentait la dernière étape en date de cette montée en puissance d'une Europe politique unie ; les refus français et néerlandais vont sans doute freiner pour un temps la construction européenne. De même, l'accélération du processus d'élargissement fait peser une lourde incertitude sur les perspectives d'émergence d'une Europe politique. Celle-ci reste cependant l'objectif de certains pays européens, dont la France.

S'il est indéniable que les États-Unis n'ont jamais pratiqué de politique active de division de l'Europe, il est tout aussi vrai que le point de vue américain sur la construction européenne a changé sous l'effet des évolutions qui viennent d'être décrites. Autant, pendant la guerre froide, les Américains avaient intérêt à ce que l'Europe s'intègre de plus en plus, autant, aujourd'hui, cet intérêt n'apparaît plus aussi clairement affirmé. A dire vrai, les États-Unis hésitent aujourd'hui entre deux attitudes vis-à-vis de l'Europe : soutenir la division et la mésentente européennes (1) ou favoriser une Europe plus forte, donc mieux organisée (2).

(1) Les États-Unis ont besoin d'une Europe unie, facteur de stabilité, mais n'accepteront pas pour autant une Europe qui fasse contrepoids à leur pouvoir. Telle est la conception traditionnelle des relations transatlantiques, aujourd'hui partagée par la majorité de la classe politique américaine. On ne manquera pas d'être frappé par le paradoxe suivant : ce sont les mêmes qui, aujourd'hui, à Washington, appellent à rompre avec les schémas traditionnels de la guerre froide au profit de concepts nouveaux - guerre préventive, coalitions ad hoc -, et qui, dans le même temps, s'en tiennent à un modèle de relations transatlantiques directement issu de la période de l'affrontement Est-Ouest, à savoir l'alliance avec une Europe forte en matière économique, faible et divisée politiquement, dépendante sur la plan militaire. Dans cette optique, la puissance économique européenne ne saurait, en aucun cas, conduire à l'émergence d'un contrepoids politique qui viendrait concurrencer les États-Unis, tandis que l'acquisition de capacités militaires autonomes lui permettrait d'acquérir une indépendance stratégique.

Au nom de cette conception, la notion de pôle européen est rejetée comme étant inacceptable, car incompatible par essence avec l'objectif américain de leadership - terme difficilement traduisible, qu'on se gardera néanmoins de confondre avec ceux d'empire ou de domination. L'opposition à cette notion est irréductible ; l'idée d'un partenaire qui fixerait ses propres priorités stratégiques et agirait en conséquence n'est pas acceptable dans cette optique traditionnelle.

Dès lors, les développements européens en matière de défense sont considérés, sinon avec hostilité, du moins avec méfiance : seuls sont acceptés les progrès qui s'inscrivent dans le cadre du renforcement de l'Alliance atlantique, tout ce qui ne sert que la politique européenne de sécurité et de défense étant marqué du sceau de l'ingratitude ou de l'inutilité. L'Alliance atlantique est en effet considérée comme l'enceinte « naturelle » du dialogue politique transatlantique. De fait, c'est encore au nom de cette conception que les États-Unis sont beaucoup plus enclins à aborder les questions de sécurité internationales avec les États européens dans l'enceinte de l'OTAN que dans celle des institutions européennes. L'attitude américaine à l'égard de l'Alliance atlantique est, en effet, traversée par cette notion de leadership : si les États-Unis se sentent tellement à l'aise dans cette enceinte, c'est parce qu'elle incarne cette notion par excellence. Dans une optique de préservation de la supériorité américaine et de priorité donnée aux intérêts nationaux américains, l'OTAN fonctionne comme une enceinte de légitimation et d'influence privilégiée de la politique américaine : la puissance américaine y négocie en effet en position de force, dans un tête-à-tête bilatéral, donc asymétrique, avec chacun des pays européens.

(2) Cette vision traditionnelle des relations transatlantiques n'est pas exclusive. Il existe également aux États-Unis une approche pragmatique des relations entre l'Europe et les États-Unis, qui considère que, dans le contexte stratégique du XXIè siècle, l'allié fort que les États-Unis veulent avoir en Europe ne saurait être qu'un géant économique, mais doit également être un ensemble politique organisé. Les tenants de cette ligne, bien minoritaires, avouons-le, comprennent bien qu'au degré d'intégration économique auquel les pays européens sont parvenus, les seuls progrès en matière de construction européenne seront dorénavant d'ordre politique. Ils sont suffisamment réalistes pour concevoir qu'il y a quelque archaïsme à faire assurer la défense de 483 millions d'Européens (3)par 298 millions d'Américains. Ils savent que, dans la logique d'une intégration européenne accrue, l'Union européenne est appelée à devenir le lieu privilégié du dialogue transatlantique, au détriment de l'OTAN : cela signifie un dialogue tout à fait nouveau entre deux entités de taille et de puissance comparables, en matière démographique et économique du moins, bien loin des têtes à têtes asymétriques au sein de l'OTAN, où les États-Unis sont de facto placés en situation de primi inter pares.

D'une certaine manière, les néo-conservateurs tant stigmatisés en Europe entrent dans cette catégorie : que reprochent-ils à la vénusienne Europe, sinon de ne pas être suffisamment organisée ni forte, en bref insuffisamment puissante pour aider les États-Unis à mener à bien leurs objectifs de politique étrangère ? Selon eux, grâce à la protection américaine pendant la guerre froide, la construction européenne a pu s'épanouir en donnant la priorité au développement économique et à la mise en place d'un modèle social très protecteur ; aujourd'hui, ils stigmatisent une Europe qui continuerait de se référer à ce schéma, faisant du maintien de son modèle social la priorité de son action,sans se donner les moyens de prendre la relève des États-Unis s'agissant de sa propre sécurité ni, a fortiori, d'épauler les États-Unis pour faire face aux désordres du monde.

L'administration américaine est aujourd'hui traversée par ces deux approches, comme en témoigne chaque visite du président des États-Unis en Europe. Il se rend désormais systématiquement et à l'OTAN et auprès des institutions de l'Union. Sur le fond cependant, c'est l'OTAN qui doit rester, pour les États-Unis, l'enceinte de débat transatlantique. Sans doute le fait que l'architecture actuelle du dialogue entre l'Union européenne et les États-Unis soit trop complexe explique-t-elle cette réticence américaine à traiter avec l'Union. Elle se compose en effet de trois niveaux :

- un sommet annuel réunissant le Président des États-Unis, le Président de l'Union européenne et le Président de la Commission (auquel sont associés les responsables du commerce des États-Unis, de la Présidence et de la Commission) ;

- des consultations biannuelles entre la Commission et l'administration américaine, complétées par de nombreux contacts informels, notamment en marge des grandes réunions internationales (G 7, OMC, FMI, Banque mondiale) ;

- divers groupes de travail progressivement mis en place dans le cadre du nouvel agenda transatlantique élaboré en 1995.

Cependant, le choix délibéré des États-Unis de privilégier les relations bilatérales avec les États membres de l'Union n'est pas cohérent avec les objectifs de la politique étrangère américaine. Les États-Unis ne sauraient, dans le même temps, insister sur la nécessité d'une réponse coordonnée aux défis majeurs de notre temps et privilégier un schéma de relation avec l'Europe aussi archaïque que lourd, potentiellement inefficace de surcroît. Si l'objectif des États-Unis reste la coordination avec leurs alliés, et non la division des Européens au nom de la logique de coalition « à la carte », une Europe forte vaut mieux que 25 États. A l'évidence, la question de la construction d'un dialogue politique entre l'Union européenne et les États-Unis est aujourd'hui posée.

2. - Contradictions européennes

L'Europe doit-elle être un allié efficace, c'est-à-dire mieux organisé donc, éventuellement en désaccord avec les États-Unis, ou un allié inconditionnel, qui privilégierait un soutien systématique aux États-Unis, au détriment même de ses intérêts propres ? Les États-Unis, on l'a vu, hésitent encore sur la réponse à donner à cette question. Les Européens aussi, ce qui explique d'ailleurs pour partie la crise européenne actuelle : le débat européen sur les relations transatlantiques est intimement lié au débat sur l'identité de l'Europe que nous construisons. En effet, le partenariat transatlantique a été le ciment de la construction européenne pendant la guerre froide. Désormais, dans une alliance qui n'est plus de nécessité mais de choix, quel lien entretiennent construction européenne et lien transatlantique ? Celui-ci doit-il rester l'un des piliers de la construction européenne, ce qui implique une certaine construction européenne, notamment un rôle prééminent de l'OTAN et donc une autonomie de décision politique limitée pour l'Europe ? En est-il déjà le diviseur, comme on l'a vu dans le cas irakien, où certains membres de l'Union ont privilégié le partenariat transatlantique à la solidarité européenne ? Peut-on construire une Union efficace sans autonomie politique ou stratégique ? Poser cette question revient de fait à s'interroger sur la relation que nous voulons établir avec l'allié qui, pendant la guerre froide, avait répondu par l'affirmative à cette question, en plein accord avec les Européens.

La crise irakienne a joué le rôle de révélateur de cette question d'identité : faut-il donner le primat à la solidarité entre États européens ou à la relation bilatérale de chacun d'eux avec les États-Unis ? Elle a fait apparaître des lignes de fracture que d'aucuns n'ont pas manqué de simplifier à l'extrême - songeons par exemple au slogan si porteur de M. Rumsfeld, sur la « vieille » et la « nouvelle Europe » -, mais qui, à l'analyse, sont bien plus complexes qu'il n'y paraît.

· S'agissant, tout d'abord, des nouveaux États membres issus de l'ancien bloc soviétique, il est courant, en France, d'en stigmatiser l'atlantisme, à mots plus ou moins couverts. Indéniablement, ces États ont, dans le discours, leurs positions diplomatiques, comme dans leurs choix d'équipements militaires, donné la priorité à leurs relations avec les États-Unis. Il serait cependant tout aussi faux qu'improductif d'analyser leur choix atlantiste comme le fruit d'un positionnement idéologique a priori et non négociable, en bref de le caricaturer : trop longtemps condamnés aux rigueurs du régime soviétique, ils se jetteraient dans les bras du capitalisme et de l'ultralibéralisme, donc des États-Unis.

S'en tenir à une analyse aussi simpliste revient à dénier à ces pays la rationalité politique qui les conduit, comme tout autre, à fixer leurs options de politique étrangère en fonction de leurs intérêts propres. Le prix qu'ils donnent à leurs relations avec les États-Unis, que l'on mesure par exemple à travers leur attachement à l'OTAN, est le fruit d'une double analyse :

- historique d'abord : nul ne contestera que leur expérience du XXème siècle n'aura pu que les rendre très méfiants à l'égard des alliances et des tête-à-tête exclusivement européens. Avec leurs voisins de l'Est, comme avec ceux de l'Ouest d'ailleurs, ils y ont perdu et leur indépendance et leur identité et leur droit de s'exprimer ;

- leur choix se fonde également sur une analyse géostratégique contemporaine : en l'état, l'Union européenne, et notamment la politique européenne de sécurité et de défense (PESD), ne sont nullement en mesure de leur apporter les garanties de sécurité qu'ils sont en droit de demander.

Leur attachement aux États-Unis, c'est-à-dire concrètement à la protection américaine, est légitime compte tenu de leur mémoire historique ; pour autant, il n'est pas nécessairement une donnée permanente de leur politique future. La mission a pu le constater lors de son déplacement à l'OTAN, à Bruxelles, l'expérience irakienne de ces pays, comme leurs premiers pas dans l'Union Européenne, les conduisent à remettre en cause un certain nombre d'espoirs et d'idées reçues qu'ils pouvaient avoir sur l'une et l'autre entité. Ils y découvrent tout le poids de la fidélité, en même temps qu'ils prennent la mesure du rôle de démultiplicateur d'influence que revêt l'appartenance à l'Union européenne : la Pologne notamment, à la fois engagée en Irak et très active lors de la crise ukrainienne de décembre 2004, fait l'expérience concrète des solidarités « otanienne » et européenne. Le représentant de ce pays à l'OTAN n'a pas caché à la mission que la Pologne en découvrait et les limites dans le premier cas et l'intérêt dans le second.

On le voit, même s'il reste du chemin à faire, l'opposition entre la « vieille » et la « nouvelle » Europe ne doit pas être exagérée : l'acclimatation des nouveaux membres aux institutions européennes devrait brouiller les clivages et les a priori, à condition évidemment que nous, anciens États membres, mais aussi, nous Français, nous départissions également de nos préjugés.

· Plus encore, les contradictions européennes sur l'attitude à suivre à l'égard des États-Unis, loin de se résumer à un clivage bipolaire au sein de l'Union, traversent la plupart des pays européens :

- C'est en Grande-Bretagne, fidèle allié des États-Unis, qu'ont eu lieu les manifestations les plus importantes contre l'intervention américaine en Irak, portée par une opinion publique très largement hostile à la politique étrangère des États-Unis. Rappelons par ailleurs que la Grande-Bretagne est également l'un des instigateurs et des piliers de la politique européenne de sécurité et de défense.

- Plus symptomatique encore de ces contradictions, l'Allemagne a engagé depuis quelques années un travail peu visible mais néanmoins majeur de redéfinition de sa politique transatlantique. Le discours du chancelier Schröder à la réunion annuelle qui réunit responsables et experts européens et américains sur les questions stratégiques à Munich, en février 2005, a révélé l'ampleur et le caractère radical des interrogations allemandes. Entendre un responsable allemand affirmer que l'OTAN n'est plus le lieu privilégié du débat transatlantique était une première : sans doute, par la suite, les autorités allemandes se sont-elles mises en retrait et n'ont-elles pas décliné ces propos en propositions, le tropisme atlantique de nombreux responsables de l'administration, notamment aux affaires étrangères et à la défense, restant très fort en Allemagne.

Dans les faits, l'Allemagne reste ce qu'elle a toujours été dans le schéma des relations transatlantiques : un pilier de l'OTAN, très présent sur le plan matériel et logistique, longtemps discret dans les débats politiques. Reste que, même si le discours du chancelier en février 2005 était un ballon d'essai sans suite concrète, les interrogations allemandes sont profondes : la conviction « discrètement anti-américaine » du chancelier Schröder dont faisait état le Spiegel à l'occasion de la visite du Président Bush en février 2005, est le reflet de la méfiance croissante de l'opinion publique allemande envers les États-Unis, mouvement de fond difficilement réversible. Les évolutions politiques en Allemagne, quelles qu'elles soient, ne remettront pas en cause ce lent repositionnement de l'Allemagne, conséquence de la chute du mur de Berlin et de la réunification, qui l'a conduite de l'atlantisme le plus traditionnel à l'affirmation croissante de son engagement européen.

- Les exemples de l'Espagne ou de l'Italie sont également intéressants car ils montrent bien que l'attitude vis-à-vis des États-Unis y est étroitement liée aux évolutions de politique intérieure. L'Espagne de José Maria Aznar plaçait sa relation avec les États-Unis à un très haut niveau dans l'échelle des priorités de sa politique étrangère ; avec les attentats du 11 mars 2004 et l'élection d'une nouvelle majorité, une forte inflexion a été donnée en la matière. Le même constat peut être fait s'agissant de l'Italie, qui suit actuellement une politique très atlantiste.

Au total, s'il existe indéniablement une unité de vues européenne sur bien des sujets - lutte contre le terrorisme, tribunal pénal international, non-prolifération, émergence de la Chine, conflit israélo-palestinien, sans compter l'existence de ce « monde de Kyoto », qui réunit Européens et Russes -, il est tout aussi vrai que la relation que chacun des États membres de l'Union européenne entretient avec les États-Unis est loin d'être neutre. Il n'existe pas d'automatisme de la solidarité européenne : sur les questions qui représentent une source de divergence potentielle avec les États-Unis, le rassemblement des Européens autour d'une position commune est quasi-impossible. La controverse récente sur la levée de l'embargo des ventes d'armes à la Chine par l'Union européenne, sur laquelle s'entendaient spontanément la France et la Grande-Bretagne, a rappelé le poids qu'a encore la menace de représailles brandie par les États-Unis. La présidence britannique a ainsi renoncé à ce projet.

Pour l'heure, les contradictions européennes l'emportent donc sur la coordination, ce qui est problématique pour la relation transatlantique elle-même. Toutes les personnalités qui ont été entendues par la mission l'ont souligné : il n'y aura pas d'amélioration des relations entre l'Union européenne et les États-Unis sans un rapprochement de vues européen. Autant, lorsque le seul mot d'ordre est la solidarité sans failles, le modèle de la guerre froide était efficace, autant lorsqu'on parle défense, économie, relations commerciales, problèmes monétaires, environnementaux, etc., une politique, c'est-à-dire la détermination d'objectifs divers au sein d'un discours articulé et cohérent, doit être élaborée.

La nécessité d'une telle articulation s'impose d'autant plus que, au nom de leur vision de la politique internationale, les États-Unis posent aujourd'hui de vraies questions. Par exemple, lorsque les États-Unis lancent un débat sur la démocratisation du monde arabo-musulman, il ne saurait être écarté du revers de la main, sous prétexte d'aventurisme. Certes, la puissance des États-Unis les rend d'autant moins prêts à accepter les situations acquises et plus enclins à jouer le Pygmalion des relations internationales, qu'elle s'appuie sur une tradition messianique fondatrice de l'identité américaine. Ce constat ne justifie cependant pas l'inertie ni l'absence de réponse européenne. D'autant moins, à dire vrai, que nombre de pays européens, à commencer par la France qui compte le plus grand nombre de citoyens français et résidents de confession musulmane en Europe, a lancé un débat similaire au plan national, en s'interrogeant sur l'articulation entre l'islam et son modèle démocratique, en l'occurrence le modèle républicain. On le voit, sur un sujet aussi sensible et important pour l'avenir de nombreux pays, dont certains comptent parmi nos proches alliés, l'Union européenne ne peut s'en tenir à des bribes de réponse, encore moins laisser à l'Alliance atlantique, outil militaire, le monopole du débat.

Nombre des sujets d'intérêt commun à l'Europe et aux États-Unis dépassent largement le cadre de l'Alliance atlantique et sont d'une importance telle qu'ils requièrent, côté européen, une unité de vues, c'est-à-dire l'intervention de l'Union européenne. Tel est tout le sens du débat lancé par le chancelier allemand en février 2005 sur la nature du forum politique le plus adapté aux discussions transatlantiques. Les tentatives actuelles du secrétaire général de l'OTAN s'efforçant, dans la foulée du constat allemand, de réformer le processus de dialogue au sein de l'OTAN, viennent conforter a contrario le constat allemand.

3. - L'Alliance atlantique, symbole de ces ambiguïtés et contradictions

Les relations de sécurité transatlantiques sont caractérisées par trois facteurs :

- la déconnexion entre défense des intérêts vitaux américains et intervention de l'OTAN ;

- la montée en puissance des risques et menaces extra-européens ;

- la démonstration, par les Européens, de leur capacité à faire fonctionner la PESD sur des théâtres européens et non européens, avec les moyens de l'OTAN dans certains cas.

Symbole et pilier du contrat transatlantique de la guerre froide, l'Alliance atlantique est concernée au premier chef par cette nouvelle donne et subit évidemment de plein fouet les mouvements tectoniques - c'est-à-dire inéluctables et lents, même si ponctués de crises et d'accélérations - à l'œuvre dans la redéfinition de ce contrat. Elle concentre de fait toutes les ambiguïtés et contradictions américaines et européennes, au point qu'il est pour le moins difficile aujourd'hui de définir précisément la nature comme le rôle de cette alliance. Ce constat n'a rien de bien nouveau : si l'histoire de l'Alliance est largement celle de ses crises (4), elle est aussi celle des contradictions et ambiguïtés. Celles-ci sont d'ailleurs inscrites au cœur même de son identité, du fait de l'asymétrie et du déséquilibre qui l'ont d'emblée définie.

En remplissant le contrat qui lui avait été fixé, l'Alliance atlantique s'est trouvée confrontée, au sortir de la guerre froide, à la question de sa raison d'être. L'adoption d'un nouveau concept stratégique en 1999, au sommet de Washington, et la réforme en cours de son organisation et de ses modes d'intervention sont censées avoir donné une réponse à la question du rôle de l'Alliance.

le concept stratégique de l'OTAN

Le Concept stratégique de l'OTAN est l'énoncé officiel des objectifs de l'Alliance et fournit, au plus haut niveau, des orientations concernant les moyens politiques et militaires devant permettre d'y parvenir. Quatre concepts ont été adoptés depuis la fondation de l'Alliance : en 1949-1950, en 1967, en 1991 puis en 1999.

Lors du Sommet de Washington, en 1999, les pays de l'OTAN ont en effet approuvé un nouveau Concept stratégique destiné à mettre l'Alliance en mesure de répondre aux problèmes de sécurité et aux possibilités qui se présenteront au XXIe siècle ainsi qu'à guider son évolution politique et militaire future.

Le Concept stratégique actualisé apporte des directives générales pour l'élaboration de politiques et de plans militaires détaillés. Il décrit l'objectif et les tâches de l'Alliance et examine ses perspectives stratégiques compte tenu de l'environnement stratégique en évolution ainsi que des défis et des risques pour la sécurité. Présentant l'approche de la sécurité au XXIe siècle adoptée par l'Alliance, le Concept réaffirme l'importance du lien transatlantique et du maintien des capacités militaires de l'Alliance et examine le rôle d'autres éléments essentiels de son approche globale de la stabilité et de la sécurité, à savoir l'identité européenne de sécurité et de défense, la prévention des conflits et la gestion des crises, le Partenariat, la coopération et le dialogue, l'élargissement, la maîtrise des armements, le désarmement et la non-prolifération. Enfin, le concept donne des orientations pour les forces de l'Alliance fondées sur les principes de la stratégie de l'Alliance et les caractéristiques de son dispositif de forces. Cette dernière partie traite des missions des forces militaires de l'Alliance et des orientations pour son dispositif de forces ainsi que des caractéristiques des forces conventionnelles et nucléaires.

Tel n'est pas du tout le sentiment de la mission qui, après l'audition des principaux responsables français sur le sujet et un déplacement au siège de l'OTAN, à Bruxelles, est frappée par la confusion totale qui règne à cet égard.

Aucune réponse satisfaisante ne lui a été apportée concernant la seule question qui vaille : quelle est la nature de l'OTAN aujourd'hui ? Ainsi, l'OTAN est-elle vouée à faire en Afghanistan, au Kosovo, en Bosnie, ce que l'ONU faisait en Namibie, au Cambodge ou au Mozambique, c'est-à-dire un appui militaire intervenant après le conflit ? Est-elle un réservoir d'hommes et de matériels dans lequel puiseront les coalitions ad hoc constituées par les États-Unis ? Un outil de soutien et de légitimation politiques en faveur des États-Unis ? Un vecteur de modernisation des forces de défense européennes ? Comment concilier l'efficacité de l'OTAN sur les théâtres du « Sud », si elle doit y intervenir, et préservation de son rôle de pacte de défense de l'Europe ?

En bref, depuis la fin de la guerre froide, le débat de fond sur la raison d'être de l'OTAN a été remplacé par de multiples débats sur la réforme de ses structures ou encore ses limites géographiques. La question reste pourtant posée, dans un contexte où, aux deux extrémités du spectre, deux visions du rôle de l'OTAN s'opposent :

- une vision traditionnelle, qui fait de l'Alliance un outil militaire de défense de l'Europe contre des menaces externes ou contre les risques de déstabilisation interne au continent européen ;

- une vision novatrice, qui voit dans l'OTAN un organe de sécurité au service du monde occidental démocratique, doté de compétences militaires, politiques et diplomatiques et intervenant dans le monde entier, au gré des priorités de politique étrangère de ses membres.

Il est aujourd'hui bien difficile de déterminer laquelle de ces conceptions prévaut, tant les différents acteurs de l'OTAN ont des visions différentes de l'Alliance. Sans exagération, l'OTAN est, en 2005, un instrument stratégique non identifié.

· La position américaine sur l'OTAN n'enlève rien, avouons-le, à la confusion actuelle. L'expression de « position américaine » est d'ailleurs largement fausse, puisqu'il existe aujourd'hui non pas une, mais trois politiques de l'OTAN aux États-Unis : celle du département d'État, qui envisage pour sa part l'Alliance atlantique dans sa dimension politique, l'OTAN fonctionnant comme une instance de légitimation des actions extérieures des États-Unis ; celle de la structure militaire intégrée américaine, qui vise à préserver le lien opérationnel entre les forces américaines et européenne, et se concentre sur les réformes destinées à faire de l'OTAN un outil militaire fonctionnel, quelles que soient ses missions ; celle du Pentagone enfin, qui conçoit l'OTAN comme un instrument parmi d'autres au service de la politique américaine.

D'une certaine manière, la position du Pentagone apparaît comme la plus claire, résumée par la phrase déjà évoquée du secrétaire américain à la défense, selon laquelle « la mission fait la coalition ».

Selon cette conception, la mission de défense collective de l'OTAN est obsolète : lorsqu'il s'est agi de réagir aux attentats du 11 septembre préparés depuis l'Afghanistan, le Pentagone n'a, à aucun moment, étudié sérieusement l'option d'une intervention de l'OTAN, fondée sur la mise en œuvre de l'article V proposée par les alliés européens. L'OTAN est, dès lors, surtout utilisée dans les missions de maintien de la paix pour lesquelles le Pentagone ne souhaite pas mobiliser un nombre trop important de forces américaines. C'est d'ailleurs ce département ministériel qui presse les responsables américains d'accélérer le mouvement de désengagement des troupes américaines en Europe et la réduction du format des troupes présentes dans les Balkans.

Dans cette optique, l'objectif n'est même plus l'interopérabilité, mais, au mieux, la complémentarité entre les forces américaines et européennes, celles-ci étant vues comme étant de toute façon, insuffisantes. C'est pourquoi seules 8 % des forces américaines peuvent être affectées à des missions OTAN, chiffre qui, à l'issue des restructurations actuelles, pourrait être de 3 %. L'Alliance a, dans cette optique, un simple rôle de « Windows » des armées, c'est-à-dire de logiciel commun de fonctionnement des armées américaine et européennes, pour les cas, limités, où elles auraient à intervenir ensemble.

En tout état de cause, l'OTAN est aux yeux des États-Unis un outil utile mais marginal. Aujourd'hui, militairement, l'OTAN a moins d'importance pour les États-Unis qu'elle n'en a pour la France - alors que c'est l'inverse politiquement : les premiers agissent militairement très peu par ce canal, à telle enseigne que, même en Afghanistan où l'OTAN est présente, ils maintiennent l'opération ad hoc Enduring Freedom - qu'ils souhaitent, il est vrai, voir fusionner avec celle de l'OTAN ; la France, pour sa part, a de nombreuses troupes sous commandement OTAN, que ce soit au Kosovo ou en Afghanistan. Les autorités militaires de l'OTAN rencontrées par la mission à Bruxelles ont admis que l'interopérabilité (5) des forces américaines avec les forces européennes de l'Alliance était en recul et que la complémentarité de celles-ci, terme plus adapté à la situation actuelle, était également réduite. Etonnante affirmation, qui en dit long sur la profondeur de la divergence entre des Européens dont le grand sujet d'interrogation concerne le moyen de préserver l'engagement des États-Unis en Europe et des Américains qui concentrent leurs efforts sur des dossiers largement extra-européens...

· A l'instar des États-Unis, il est difficile de cerner l'unité de la politique de l'Allemagne à l'égard de l'OTAN. Comme on l'a souligné précédemment, deux tendances existent en Allemagne, même si la seule politique officielle reste la ligne atlantiste traditionnelle. Représentée, par exemple, par le coordinateur aux relations transatlantiques et la représentation permanente à l'OTAN, cette politique héritée de la guerre froide conçoit le déséquilibre entre Européens et Américains à l'intérieur de l'OTAN comme permanent et inhérent à la nature même de l'Alliance. Dès lors, faute d'alternative sérieuse capable de remplir la fonction de défense collective de l'Alliance, le lien transatlantique traditionnel doit être conservé à tout prix, fût-ce au prix de la dépendance des Européens.

· Le Royaume-Uni est sans doute, avec les nouveaux États membres de l'Union, celui de nos partenaires qui a la vision la plus claire à l'égard de l'OTAN. Celle-ci est d'un pragmatisme tout britannique : l'Alliance atlantique étant le moyen le plus solide de maintenir le lien entre l'Europe et les États-Unis, elle doit être maintenue, voire renforcée, quelle que soit sa mission. Les Britanniques considèrent d'ailleurs la question des missions de l'OTAN comme secondaire, se concentrant sur la fonction politique de l'Alliance : ils en soulignent le caractère de lieu de dialogue et de consultation politiques transatlantiques permanent, au contraire du dialogue entre l'Union européenne et les États-Unis, qui ne se matérialise qu'à l'occasion des sommets entre les deux entités. Dans cette logique, le soutien britannique incontestable à la PESD ne doit pas être lu comme un élément d'ambiguïté de la position britannique, même si, pour faire accepter la PESD à leurs alliés américains, les Britanniques ont très subtilement pesé leurs mots et leurs arguments auprès des Français d'une part, des Américains d'autre part. Dans la vision britannique, la PESD n'a pour seul objet que de renforcer l'OTAN, de façon à satisfaire le souhait des Américains d'avoir à disposition un outil militaire fonctionnel et efficace.

· Quant aux nouveaux États membres, loin des réflexions sur l'intérêt des opérations militaires hors du champ de l'Alliance 6, que l'on appelle le « hors-zone », et sur la politisation de l'Alliance, ils veulent voir dans celle-ci l'outil traditionnel d'alliance de défense collective. S'ils participent aux autres missions de l'Alliance et soutiennent même les États-Unis dans des coalitions ad hoc qui marginalisent l'Alliance, c'est uniquement pour donner des gages de leur caractère d'allié modèle, dans l'espoir qu'en cas de menace pesant sur leur sécurité, voire leur existence, les leçons du passé ne se répèteront pas.

· Que dire, enfin, de la position de la France vis-à-vis de l'Alliance ? Il faut bien reconnaître que la France n'est pas nécessairement disposée à lever les ambiguïtés pesant sur l'Alliance. Du moins peut-on dire, à sa décharge, que cette ambiguïté est volontaire et pleinement assumée. Il existe en effet un remarquable écart entre la doctrine française vis-à-vis de l'Alliance et la réalité de son action :

- La position de la France reste celle qu'elle a prise en 1966, lorsque le Général de Gaulle a décidé que la France sortirait de la structure militaire intégrée. Farouche défenseur et activiste de la PESD, la France cultive son particularisme dans l'Alliance, en passant tous les sujets qui sont abordés dans cette enceinte au crible pointilleux des priorités de notre politique étrangère en général, européenne en particulier : méfiance vis-à-vis du « hors-zone », refus d'instaurer, à moyen et long terme, l'Alliance comme enceinte privilégiée de dialogue transatlantique sur les grands dossiers de sécurité, refus de toute décision risquant de limiter a priori les marges de manœuvre actuelles et futures de la PESD.

- En pratique cependant, la France est très active et très présente dans l'Alliance, sur tous les plans : politique, opérationnel, militaire et administratif.

Avec plus de 4 000 hommes sous le drapeau de l'OTAN, que ce soit en Bosnie - où l'Union européenne a pris la relève quasi-totale de l'OTAN depuis décembre 2004 -, au Kosovo, en Afghanistan, ou au sein de la force de réaction rapide, la France est le deuxième contributeur en forces de l'OTAN.

En termes financiers, la France fournit 14,78 % du budget civil et 13,85 % du budget militaire, ce qui en fait le quatrième contributeur de l'Alliance. Plus encore, via sa participation très active à la constitution de la force de réaction rapide (NRF), la France participe désormais au budget de fonctionnement de certains états majors et entités de la structure militaire intégrée.

En outre, la France est présente dans la structure de commandement de l'Alliance, à la réforme de laquelle elle participe très activement. L'ancienne structure de commandement de l'OTAN reposait sur une répartition géographique des responsabilités : un commandement des forces alliées en Europe (SACEUR, situé à Mons en Belgique) et un commandement Atlantique (SACLANT, situé à Norfolk aux États-Unis). La nouvelle structure, approuvée lors du sommet de Prague des 21 et 22 novembre 2002, repose sur une répartition fonctionnelle : un commandement opérationnel (SACO, situé à Mons), responsable de toutes les opérations de l'Alliance ; et un commandement fonctionnel (SACT, situé à Norfolk) chargé de la transformation de l'OTAN.

Stricto sensu, la France ne participe pas à la structure intégrée. Jusqu'en 2004, cependant, elle disposait de 50 militaires environ « insérés » dans cette structure au titre de sa participation aux opérations de l'Alliance. Dans la foulée et en application du sommet de Prague, la France entend participer à la transformation de l'OTAN et a décidé de renforcer sa participation en affectant à la nouvelle structure une cinquantaine de militaires supplémentaires :

▫ au commandement des opérations (ACO), tout d'abord, pour des postes liés à la NRF (7;

▫ au commandement pour la transformation (ACT), pour des postes liés à la réforme des doctrines et de l'entraînement des forces alliées.

En outre, en mai 2004, la France a affecté un officier général à chacun de ces deux commandements.

Ce sont donc, au total, une centaine de militaires français qui seront ainsi insérés dans la structure de commandement. À titre de comparaison, la structure de commandement regroupe près de 12 000 militaires, dont 2 800 pour les États-Unis, 2 500 pour l'Allemagne et 1 200 pour l'Italie.

Dès lors, s'il est vrai qu'officiellement la France n'a pas modifié sa position spécifique, au sens où elle conserve le contrôle de l'engagement de ses forces, y compris sur celles de la force de réaction rapide, et où sa participation à ce qui était, avant la réforme des commandements, la structure militaire intégrée n'est pas générale, on ne peut que constater qu'elle est néanmoins bel et bien présente dans la structure militaire de l'OTAN, à des postes importants qui plus est - postes de commandement liés à la NRF. La création, en octobre 2005, du quartier général Corps de réaction rapide-France (QG CRR-FR) témoigne d'ailleurs de l'engagement de la France dans la NRF, donc plus largement de son rôle dans l'Alliance, la NRF étant destinée à devenir l'outil principal d'intervention des alliés. Aujourd'hui, la seule spécificité française reste d'être absente des organes de planification - comité des plans de défense et du groupe des plans nucléaires.

II - LA COMMUNAUTÉ DE VALEURS ET D'INTÉRÊTS TRANSATLANTIQUE RESTE SANS ÉGAL

Si les crises sont récurrentes dans l'histoire des relations transatlantiques, c'est la première fois cependant que la tension entre une partie de l'Europe et les États-Unis, à l'occasion du débat sur l'intervention en Irak, a conduit à une interrogation sur la validité de la communauté de valeurs entre les deux partenaires. De part et d'autre de l'Atlantique, l'idée s'est répandue d'un divorce entre les peuples, au-delà même des divergences personnelles entre le Président américain et certains de ses partenaires européens.

Il convient là encore de quitter le terrain des clichés et de la polémique pour en revenir aux réalités. Celles-ci conduisent à dresser un constat beaucoup plus nuancé, révélant certes d'importantes différences de sensibilité entre Européens et Américains, mais également, dans la pratique quotidienne de ces relations, un partenariat qui n'a jamais été aussi solide dans l'histoire des relations transatlantiques, constitué d'une trame de liens multiples. Un partenariat qui, en tout état de cause, ne présente aucun équivalent dans le monde et reste, même dans un contexte de menaces diverses et multiples, nécessaire à la sécurité et à la stabilité internationales.

a. - européens et américains partagent-ils encore des valeurs communes ?

États-Unis et Europe appartiennent-ils désormais à deux mondes différents ? Le débat sur le lien transatlantique dérive souvent sur un débat relatif à la pérennité de la communauté de valeurs entre les deux continents : l'histoire, la géographie, la culture, l'économie sont convoquées pour dresser le tableau pessimiste de deux sociétés aux préoccupations et aux visions radicalement différentes.

1. - L'existence de valeurs américaines spécifiques

Si ces discours excessifs masquent mal soit une méconnaissance réciproque profonde soit un parti pris idéologique à usage de politique intérieure, leur succès s'explique cependant aisément. Ils se fondent en effet sur une vérité que l'union sacrée contre l'ennemi commun de la guerre froide, sous la bannière unificatrice du « monde occidental », avait fait oublier : les États-Unis ne sont pas une prolongation américaine de l'Europe mais bien une nation à l'identité spécifique. Il n'y a là rien de nouveau : l'histoire des États-Unis comme leur géographie ont forgé un corpus de valeurs qui leur sont propres. Exaltation de l'individu, très forte méfiance à l'égard de toute intervention de l'État fédéral mais attachement viscéral à la nation, absence de diabolisation de l'usage de la force, messianisme d'une nation qui se perçoit comme une nouvelle terre promise, pratique religieuse élevée, etc. : nul besoin de souligner combien, dans une Europe qui valorise la cohésion sociale et le rôle de l'État, qui a développé une véritable phobie du nationalisme, et qui est allergique à tout recours à la violence armée, les valeurs américaines sont perçues comme radicalement étrangères. On redécouvre de même aujourd'hui que la position géostratégique des États-Unis, plus insulaire, plus distante favorise une culture d'intervention à distance et un style plus unilatéral - notons d'ailleurs que cette cause géographique est insuffisante en elle-même pour expliquer l'attitude des États-Unis, comme le montre a contrario l'exemple du Canada ; en négatif, les pays de l'Union européenne ont, au contraire, développé une culture d'engagement, liée à la proximité des problèmes qu'ils ont à traiter, et un style multilatéral. D'où le retour de stéréotypes du type « appeasement » européen contre force américaine.

Ces différences ne sont évidemment pas nouvelles, fondatrices même de l'identité américaine. Ce qui est nouveau, en revanche, c'est l'acuité de la perception de ces différences, qu'avait en quelque sorte anesthésiée la période de la guerre froide. Indéniablement, au-delà des différences identitaires entre Européens et Américains, le fait est qu'elles sont exacerbées par les évolutions récentes de part et d'autre de l'Atlantique.

Au risque de rappeler une première évidence, les États-Unis ont changé. Le phénomène est structurel : les États-Unis s'intéressent moins à l'Europe parce que l'Europe est de moins en moins présente dans les représentations mentales des Américains.

Le facteur démographique

L'évolution démographique des États-Unis joue un rôle fondamental à cet égard. La population américaine d'origine européenne est, en effet, en constante diminution. Il s'agit là d'un changement profond de la société américaine, qui suscite d'ailleurs de nombreuses interrogations aux États-Unis mêmes. Qui sommes-nous (8), s'interroge ainsi le professeur Samuel Huntington dans un ouvrage récent, qui diagnostique, non sans provocation, la fin de la prééminence des valeurs traditionnelles « anglo-protestantes » aux États-Unis. De fait, si l'Europe n'est - et ne sera - plus l'objet de l'attention particulière qui lui était portée aux États-Unis, c'est aussi parce que la part de la population d'origine non européenne ne cesse de s'accroître dans ce pays.

Terre d'immigration depuis l'origine, les États-Unis continuent aujourd'hui encore d'accueillir plus d'immigrants que n'importe quel autre pays ; depuis les années 1970, les États-Unis connaissent ainsi une vague d'immigration sans précédent, dont l'ampleur dépasse même celle du début du vingtième siècle. En 2002, 32,5 millions des résidents américains étaient nés à l'étranger, soit 11,5 % de la population totale. Or cette immigration n'est que très minoritairement européenne, la population des États-Unis frappant plus que jamais par la diversité de sa physionomie. Ces dernières années, les Latino-américains et les groupes raciaux minoritaires (c'est-à-dire, les groupes raciaux et ethniques qui constituent moins de 50 % de la population et qui réunissent les Noirs d'origine non latino-américaine, les Asiatiques et les Amérindiens) ont enregistré une croissance démographique supérieure à celle de l'ensemble de la population. En 1970, ces groupes représentaient à eux tous 16 % seulement de la population. En 1998, leur part atteignait 27 %. Dans l'hypothèse de la poursuite des tendances actuelles, le Bureau fédéral du recensement prévoit qu'ils constitueront près de la moitié de la population des États-Unis d'ici à 2050 : la population hispanique atteindrait 103 millions de personnes en 2050, soit le quart de la population américaine, la population noire, 61 millions, et le population asiatique, 33 millions de personnes. Bien que par définition imprécises, ces projections indiquent que les États-Unis connaîtront une expansion considérable de la diversité raciale et ethnique au cours du présent siècle.

En 2004, les dix pays les plus représentés parmi les immigrants officiels (946 142 au total) étaient les suivants : Mexique (175 364), Inde (70 116), Philippines (57 827), Chine (51 156), Viêtnam (31 514), République dominicaine (30 492), Salvador (29 795), Cuba (20 488), Corée (19 766) et Colombie (18 678). Chiffres éloquents, à comparer aux 127 669 immigrants européens entrés sur le sol américain au cours de cette même année.

L'accroissement du nombre d'immigrants asiatiques et latino-américains observé au cours des décennies récentes tient essentiellement à la modification de la politique d'immigration. En particulier, la loi de 1965 mit fin au système des quotas liés à l'origine nationale, dont l'existence restreignait l'immigration en provenance de pays non européens. De même, la loi de 1986 relative à la réforme et à la maîtrise de l'immigration contribua à l'accroissement du nombre d'immigrants asiatiques et latino-américains, dans la mesure où beaucoup de clandestins profitèrent des nouvelles dispositions pour régulariser leur situation. Signalons d'ailleurs que les illégaux, estimés à 3,5 millions de personnes en 1990, seraient désormais 9,3 millions, aux deux tiers d'origine mexicaine. La montée en puissance de ces groupes ethniques est renforcée par la baisse du taux de fécondité de la population, noire comme blanche, d'origine non latino-américaine. Dès lors, la part des Blancs non originaires d'Amérique latine diminue depuis 1970, et celle des Noirs n'a que légèrement augmenté9.

Si la variable démographique risque de peser lourdement dans l'évolution des relations transatlantiques - en l'occurrence dans le sens de la distanciation -, c'est aussi du fait du déplacement du centre de gravité de l'Amérique vers le Sud et l'Ouest. Les États situés dans ces parties des États-Unis vont être, en effet, les grands gagnants de l'accroissement démographique : ils représenteront 65 % de la population américaine en 2030, au lieu de 59 % aujourd'hui. Le parcours du Président George W. Bush lui-même, un Texan d'adoption issu d'une famille de la Nouvelle-Angleterre, est symptomatique de cette évolution.

Le 11 septembre 2001, révélateur des évolutions américaines

Ce changement n'est pas apparu dans l'immédiat après-guerre froide, du fait de la persistance de problèmes de sécurité en Europe. La réalité de ces constats d'évidence s'impose aujourd'hui. Le révélateur en aura été les attentats du 11 septembre 2001, qui ont donné une vigueur nouvelle aux valeurs traditionnelles américaines, sur un terrain d'autant plus propice qu'il avait été politiquement occupé par le camp républicain, depuis sa victoire aux élections législatives de 1994.

Il ne faut à cet égard pas se tromper sur la chronologie : l'évolution était en cours avant même le 11 septembre puisque c'est dès l'ère Clinton que les traités multilatéraux sont remis en cause (rejet du traité d'interdiction des essais nucléaires par le Sénat américain, attaques incessantes contre le traité ABM...), et que la priorité est donnée à la poursuite des intérêts nationaux américains, y compris parfois par la remise en cause des principes de base du droit international. C'est également dès avant les attentats du 11 septembre 2001 que les idées portées par les néo-conservateurs, dont les racines sont à chercher dans la réaction à la culture contestataire et égalitariste de l'Amérique des années 1960, acquièrent une influence très importante dans le monde politique américain. Le manifeste du courant néo-conservateur, qui contient un certain nombre des grands thèmes à l'honneur depuis 2000 - refus du déclin de la puissance américaine, revalorisation de l'outil militaire, promotion d'une hégémonie américaine bienveillante - est d'ailleurs publié en 1996.

De ce point de vue, les événements tragiques du 11 septembre auront eu pour principale conséquence, non de ressusciter ces valeurs, mais de les mobiliser, jouant un rôle de catalyseur (10). Le 11 septembre n'a pas inventé le patriotisme américain : une réserve importante de patriotisme et de nationalisme a toujours existé aux États-Unis, qui a été intensément mobilisée après le 11 septembre et la marche vers l'intervention en Irak. Mobilisation qui a donné lieu à de curieuses alliances dans le paysage politique américain, le 11 septembre ayant eu pour seconde conséquence d'unir des courants politiques très divers autour de ces valeurs traditionnelles. Pour prendre l'exemple le plus révélateur, l'alliance entre les néoconservateurs - pour la plupart des intellectuels venus de l'extrême-gauche, très favorables à une alliance sans conditions avec Israël - et les fondamentalistes chrétiens - situés à la droite du parti républicain, aux accents parfois antisémites -n'avait absolument rien de naturel, loin s'en faut.

Ce rassemblement autour des valeurs traditionnelles américaines s'analyse, en réalité, non comme une évolution, mais comme un retour aux sources. L'unilatéralisme représente en effet la tradition historique américaine, la période allant de Roosevelt à la fin de la guerre froide s'analysant, sur le long terme, comme une parenthèse dans l'histoire américaine. Dans une certaine mesure, l'Europe ne fait en ce moment que redécouvrir l'Amérique telle qu'en elle-même. Ce constat est fort important dans la mesure où il doit nous garder de toute velléité de poursuivre l'objectif inatteignable d'une reconstitution de l'ambiance des années cinquante. « You are dealing with the last generation of Americans who have a sentimental approach of Europe », disait Kissinger aux Européens dans les années 1970. Les années récentes auront souligné tout le caractère prémonitoire de cette boutade.

La spécificité de l'identité américaine ressort d'autant plus que, dans le même temps où les États-Unis changeaient, l'Europe, elle aussi, a changé. Ainsi, alors que la décennie 1990 marqua le grand retour de l'idéologie aux États-Unis, elle restera, du côté européen, comme celle du grand recul des débats idéologiques et de l'acquisition progressive, même laborieuse, d'une conscience politique européenne propre. De même, au moment même où les États-Unis, attaqués sur leur sol, reviennent à l'affirmation de leur souveraineté, dût-elle entrer en contradiction avec les règles du droit international, l'Europe est, depuis le traité de Maastricht, entrée dans une ère « post-souveraine ». Nul doute que ces évolutions divergentes favorisent, du côté européen, une perception plus aiguë des changements à l'œuvre aux États-Unis.

2. - Une communauté de vues sur les valeurs fondamentales

Pour importantes et constantes qu'elles soient, les différences de sensibilité entre Européens et Américains ne remettent pas en cause la communauté de vues, sans égale dans le monde, qui les rassemble sur les sujets fondamentaux. On omet trop souvent de le rappeler : l'Amérique du Nord - États-Unis et Canada - et l'Europe sont les seules parties du monde où l'on partage une approche commune sur les valeurs universelles que sont les droits fondamentaux de la personne et le principe d'une organisation sociale fondé sur un droit démocratique, et non d'essence divine ou autocratique. Sans doute existe-t-il une culture juridique tout à fait particulière aux États-Unis ; nul ne contestera cependant qu'Européens et Américains partagent la conviction que la seule source légitime du droit réside dans le peuple ou ses représentants - conviction et pratique encore très peu répandues dans le monde. Les enseignements du dernier sondage en date réalisé par le German Marshall Fund sont d'ailleurs édifiants : 74 % des Européens estiment que l'Union européenne devrait aider à instaurer la démocratie dans d'autres pays ; 51 % d'Américains ont la même opinion s'agissant de leur pays, chiffre qui atteint 76 % dans le camp républicain. De même, sur les droits fondamentaux de la personne humaine, notre communauté de pensée est profonde.

Les débats récents sur la communauté de valeurs transatlantiques se sont également portés sur le terrain de la religion, en écho à la rhétorique biblique souvent utilisée par le Président des États-Unis. Faisons, là encore, un sort aux analyses souvent très partielles, sur la place de la religion aux États-Unis. Incontestablement, le peuple américain est très religieux et la religion occupe une place importante aux États-Unis, y compris dans la vie publique. Nous, Français, devons cependant prendre garde de nous souvenir que notre approche du rôle de la religion dans la société, structurée par le principe de laïcité, nous est tout à fait spécifique. Nous apparaissons, en la matière, comme des exceptions, y compris par rapport à nos voisins européens. Plus encore, le rapport des Américains à la religion est beaucoup plus complexe qu'il n'est souvent décrit. Ainsi, qui sait que, quand la loi française sur l'interdiction des signes religieux à l'école, les tolère dès lors qu'ils ne soutiennent pas une démarche prosélyte, la jurisprudence de la cour suprême des États-Unis interdit rigoureusement toutes les manifestations de croyance dans l'armée ? (11)

De même, nonobstant les débats franco-français sur l' « ultralibéralisme », la France, comme ses partenaires européens, partage avec les États-Unis le même modèle économique, l'économie de marché, fondée sur la liberté des échanges et du commerce. Dans le champ international, les attaques répétées contre l'organisation des Nations unies dans une partie de la classe politique américaine ne sauraient faire oublier qu'en Europe, comme aux États-Unis, on estime nécessaire d'organiser la vie internationale autour de principes et d'organisations assurant la stabilité et la sécurité internationales.

Loin des constats catastrophistes sur le divorce euro-américain en matière de valeurs, le constat d'une profonde communauté de vues s'impose donc, vérifié sondage après sondage. Faut-il le rappeler, c'est d'ailleurs comme un tout que l'Europe et les États-Unis sont perçus dans le reste du monde : de fait, la démocratie et l'économie de marché sont des valeurs communes qui différencient l'Europe et l'Amérique du Nord du reste du monde puisque, sur les 6,5 milliards d'êtres humains peuplant la planète, moins de deux milliards en bénéficient. Même si l'on sait, au Caire ou à Buenos Aires, que la politique américaine sur le conflit du Proche-orient ou en matière d'aide au développement diffère de celle suivie par l'Union européenne, la communauté de vues euro-américaines sur les valeurs fondamentales est perçue comme relevant d'une civilisation commune. Ce sont d'ailleurs ces valeurs qui sont attaquées par les auteurs d'attentats terroristes se réclamant du réseau Al-Qaida, pour qui frapper à New York, Madrid ou Londres signifie s'attaquer au même ennemi.

b. - le débat sur les intérêts : une communauté de destin indéniable

Unis par des valeurs fondamentales communes, Européens et Américains partagent également des intérêts aussi durables que divers, qui forgent une véritable communauté de destin transatlantique.

1. - Des défis et menaces communs à affronter

Menaces pour la sécurité - terrorisme international, prolifération des armes de destruction massive, désintégration de l'État dans certaines régions, criminalité organisée - menaces pour la santé et l'environnement - changements climatiques, pandémies -, nouveaux défis - réforme des Nations unies, démocratisation, émergence de la Chine : la liste est longue des sujets qui figurent aujourd'hui dans l'agenda international.

A l'évidence, Européens et Américains ont besoin l'un de l'autre pour résoudre ces grands problèmes internationaux. Certains objecteront que la « « super-super-puissance » américaine, pour reprendre l'expression d'un ancien ambassadeur américain à Londres, pourrait s'atteler, seule, à la tâche. A cet égard, l'intervention en Irak, dans laquelle les États-Unis n'étaient certes pas seuls, mais en tout cas pas entourés de nombre de leurs alliés de longue date, aura montré quelle était la valeur de cette objection. Elle a montré aussi que, pour immense qu'elle soit, la puissance américaine n'est pas en mesure d'agir sur la durée si elle n'est pas soutenue par ses alliés européens. L'efficacité de court terme ne suffit certainement pas pour traiter des problèmes dont la solution exige une légitimité suffisante ainsi qu'un engagement dans la durée.

A cet égard, le déficit de sympathie à l'égard des États-Unis à travers le monde leur pose un réel problème, dans la mesure où il en diminue l'influence. Or ce déficit reste important : même dans un pays allié de longue date aux États-Unis, tel que la Turquie, 50 % des personnes interrogées lors d'un sondage réalisé en juin 2005 déclaraient avoir une image négative des États-Unis - chiffre qui s'élevait à 71 % s'agissant de l'image du président George W. Bush (12). Même si ce sentiment est très lié à la guerre en Irak et à la personne même du Président américain, une telle enquête confirme la détérioration de l'image des États-Unis dans un pays qui leur est pourtant allié depuis des décennies.

2. - Une intégration économique sans équivalent

La sphère économique n'a pas échappé aux constats catastrophistes sur l'absence de valeurs communes de part et d'autre de l'Atlantique. Une étude publiée en octobre 2004 (13) dressait, par exemple, un sombre tableau des clivages franco-américains à cet égard : elle révélait que 39 % des Français portaient un jugement positif sur la notion de profit, contre 86 % des Américains ; 40 % des Français attendaient de l'État qu'il garantisse une répartition équitable des richesses, mission que seuls 15 % des Américains lui confèrent.

Là encore, l'écart est grand entre les discours et les perceptions d'un côté, les faits de l'autre.

· L'Europe et les États-Unis, deux concurrents

Il est certain que les relations économiques transatlantiques entre l'Europe et les États-Unis sont, de manière récurrente, marquées par des tensions, essentiellement dans trois domaines :

- En premier lieu, de vives controverses persistent de part et d'autre de l'Atlantique sur la conduite des politiques économiques, les Américains critiquant la frilosité de la banque centrale européenne et le carcan qu'imposerait le pacte de stabilité, les Européens, d'ailleurs suivis par le FMI, mettant leur partenaire en garde contre ses dérapages budgétaires et le niveau historiquement bas atteint par l'épargne des ménages aux États-Unis (0,4 % en 2004 !).

- En deuxième lieu, les négociations commerciales transatlantiques restent un terrain d'affrontements privilégié, même s'il faut admettre qu'après Seattle, à Doha, puis à nouveau à Cancun, les efforts conjugués du représentant américain au commerce et du commissaire européen au commerce ont évité une crise profonde des négociations commerciales internationales en cours. Organismes génétiquement modifiés, avances remboursables pour Airbus, mesures fiscales américaines condamnées par l'Organisation mondiale du commerce comme étant des subventions déguisées, les sujets de crises se succèdent, révélateurs, avant toute chose, qu'en ce domaine, Européens et Américains sont deux géants qui parlent d'égal à égal.

- Le déficit de la balance courante américaine et ses conséquences potentielles pour l'euro représente le troisième point noir de la relation euro-américaine. Les Américains peuvent stigmatiser la faible croissance européenne mais le fait est qu'ils financent la leur avec l'épargne des pays pauvres. C'est aujourd'hui le paysan chinois qui finance le déficit américain - c'est-à-dire la consommation des ménages américains ou les dépenses militaires des États-Unis -du fait du niveau dramatiquement bas de l'épargne des ménages américains. Que les marchés estiment que ce déficit n'est pas soutenable et l'euro connaîtra alors une forte appréciation, qui pourrait, selon les experts, conduire la parité euro-dollar à s'établir à 1,5 ou 1,6.

A l'évidence, la relation économique transatlantique est porteuse de nombreux conflits, déclarés ou potentiels. Le calendrier contentieux transatlantique devrait rester chargé dans les mois et années qui viennent :

- plusieurs affaires sont actuellement à un stade pré-contentieux ou bien à un stade très précoce de la procédure contentieuse et sont susceptibles de connaître des développements dans les mois qui viennent. C'est le cas notamment du dossier relatif aux Foreign Sales Corporations (FSC) : la loi fiscale américaine autorisant les entreprises qui exportent des marchandises produites aux États-Unis à exclure de leur base imposable une partie de leurs revenus en faisant passer leurs marchandises par des sociétés de vente à l'étranger (Foreign Sales Corporations) a été analysée par l'OMC comme assimilable à une subvention à l'exportation et, à ce titre, condamnée en janvier 2002. Bien que le Congrès ait adopté un texte abrogeant la mesure condamnée, l'Union européenne doute de la conformité de ce nouveau texte avec les règles de l'OMC ;

- à plus long terme, c'est dans le domaine des règlements anti-dumping et anti-subventions en matière de biens industriels que les probabilités de contentieux transatlantiques sont les plus fortes. Les États-Unis pourraient par exemple être tentés de contester la réglementation communautaire sur l'interdiction en Europe de produits cosmétiques testés sur les animaux ou la réglementation sur la mise sur le marché de produits chimiques ;

- la question agricole demeure source de multiples contentieux, d'autant que, dans ce domaine, les enjeux transatlantiques peuvent être instrumentalisés au profit d'autres objectifs de politique étrangère (liens avec les pays en développement notamment). Malgré leurs divergences structurelles, l'Union européenne et les États-Unis parvenaient traditionnellement à rapprocher leurs positions en fin de négociations, et à aboutir à un accord qui était ensuite repris par le reste des membres de l'OMC. Or l'échec du sommet de Cancun a montré les limites de cette pratique, à laquelle s'opposent les pays en voie de développement. Désormais, l'intérêt des Européens comme des États-Unis est de rechercher des alliances avec les pays émergents (G 20) ou les pays en voie de développement (G 90). Cet exercice est cependant plus facile pour les États-Unis que pour l'Europe, qui occupe dans la négociation la position de l'accusé. En effet, si, aux termes de l'estimation de l'OCDE, le farmer américain est plus subventionné que le paysan européen (20 000 dollars contre 16 000 en 2001), la structure tarifaire de l'Europe expose particulièrement celle-ci aux attaques, comportant davantage de secteurs très protégés.

· L'Europe et les États-Unis, deux partenaires essentiels

En tout état de cause, cependant, ni l'Europe ni les États-Unis n'ont les moyens de se permettre que leur rivalité économique ne dégénère en affrontement direct : les deux partenaires ont en effet un besoin crucial de la relation économique transatlantique.

Sans doute l'ensemble européen ne représente-t-il que 500 à 600 millions de consommateurs et de producteurs, chiffres modestes comparés aux géants démographiques asiatiques. Pour autant, si le discours politique américain ou européen met souvent en avant le réveil de l'Asie ou la montée en puissance des marchés émergents, la réalité quotidienne est celle d'une intégration économique toujours croissante entre l'Union européenne et les États-Unis, qui évolue de manière autonome par rapport aux relations diplomatiques et politiques.

Ainsi, « l'Europe et les États-Unis sont, l'un à l'égard de l'autre, les marchés les plus importants et les plus profitables » (14: le partenariat économique transatlantique, épine dorsale des relations économiques internationales depuis la seconde guerre mondiale, demeure prééminent dans l'économie internationale. Les récentes tensions sur l'Irak n'ont pas remis en cause cet état de fait. Plus encore, les années qui ont suivi la fin de la guerre froide au cours desquelles l'érosion de la menace commune est censée avoir affaibli les liens transatlantiques ont, en réalité, été l'une des périodes les plus intenses d'intégration entre les deux entités. Et cette relation s'est encore approfondie en 2003, au plus fort de la crise atlantique : par exemple, les investisseurs américains ont investi dans les valeurs françaises à hauteur de 3,9 milliards de dollars pour les huit premiers mois de 2003, contre un milliard à peine au cours de la même période en 2002. En termes d'emploi, les échanges commerciaux transatlantiques représentent 12 millions d'emplois de part et d'autre de l'Atlantique.

Les querelles commerciales qui font la « une » de l'actualité ne sont, par conséquent, pas du tout représentatives des liens économiques transatlantiques. De fait, les échanges commerciaux représentent une part modeste de l'activité transatlantique. Notons qu'ils restent pour autant bien supérieurs aux flux commerciaux entre les États-Unis et la Japon ou la Chine : en 2004, les flux commerciaux représentaient 151 milliards de dollars pour les exportations des États-Unis vers l'Union européenne et 220 en sens inverse ; vers le Japon, ces chiffres s'établissaient respectivement à 52 et 118 milliards de dollars, tandis que, vers la Chine, ils étaient de 28 et 152 milliards de dollars, soit la moitié du commerce transatlantique.

Au-delà du commerce, ce sont les investissements directs internationaux qui forment la colonne vertébrale des relations économiques transatlantiques et en mesurent la dimension spécifique. Contrairement, en effet, à la vision commune d'économies investissant majoritairement dans les pays à bas salaires, c'est dans l'économie américaine qu'investissent le plus les entreprises européennes, et inversement pour leurs homologues américaines : 65 % de l'investissement direct américain à l'étranger en 2003 s'est fait en Europe. Pour prendre un exemple révélateur, entre 1995 et 2003, les investissements américains dans les seuls Pays-Bas ont représenté le double des investissements américains au Mexique et dix fois ceux en Chine. C'est en Europe que les entreprises américaines réalisent la moitié de leurs bénéfices annuels à l'étranger. Au total, le stock d'investissements directs américains en Europe est de 650 milliards de dollars et celui des investissements européens aux États-Unis de 890 milliards de dollars, soit 62 % du stock d'investissements directs étrangers aux États-Unis. Du fait de l'intensité de ces liens, même le produit d'un taux de croissance - faible au regard des performances américaines - de 3 % en Europe représente l'équivalent, pour les États-Unis, d'un marché de la taille de l'Argentine.

· La France et les États-Unis, deux partenaires économiques majeurs l'un pour l'autre

Le constat qui vaut au plan européen vaut également s'agissant des relations économiques franco-américaines : la France et les États-Unis sont réciproquement des partenaires économiques majeurs. Chaque jour ouvré, environ un milliard de dollars de transactions commerciales s'engagent entre nos deux pays. De surcroît, les investissements français aux États-Unis sont à l'origine de 515 000 emplois, tandis que les investissements américains en France en produisent 583 000.

Au-delà de ces chiffres phares, toutes les statistiques confirment cette interdépendance :

- La France est le neuvième partenaire commercial des États-Unis pour les échanges de biens et le sixième pour les échanges de services (chiffres 2004).

Sur la période 1992-2004, les échanges bilatéraux de marchandises et de services ont quasiment doublé : en 2004, la France exportait 32 milliards de dollars de marchandises vers les États-Unis et en importait 20 milliards. L'aéronautique est le premier poste d'échanges bilatéraux, les produits agroalimentaires ne représentant, contrairement à une idée reçue, que 6 % des ventes de la France aux États-Unis.

- Cinquième investisseur étranger aux États-Unis (143 milliards de dollars de stocks), la France compte parmi les quatre pays, avec le Japon, l'Allemagne et les Pays-Bas, qui se tiennent dans un mouchoir de poche à la deuxième place derrière le Royaume-Uni.

La France possède 10 % du stock d'investissements directs étrangers aux États-Unis, concentrés dans les secteurs de la finance, de l'informatique et de la chimie.

- Près de 2 400 filiales d'entreprises françaises sont implantées aux États-Unis, représentant 515 000 emplois directs, pour un chiffre d'affaires de 160 milliards de dollars.

L'essentiel provient des 100 premières filiales, qui représentant 450 000 emplois, concentrés dans la chimie et le secteur de l'information (media et software). Bien que la part de l'activité aux États-Unis soit variable pour chacune de ces grandes entreprises, on peut estimer que 20 % au moins de leur activité sont issus des États-Unis.

Au total, c'est sans conteste d'une étroite imbrication des économies française et américaine qu'il faut parler : la France contribue à la croissance américaine à travers ses nombreuses filiales, l'inverse étant tout aussi vrai.

c. - un partenariat vital pour la stabilité internationale

Le maintien d'une relation transatlantique efficace et solide dépasse de loin les seuls intérêts européens et américains. Elle est également nécessaire à la stabilité et à la sécurité internationales : même dans un monde qui n'a plus rien à voir avec celui de la période 1945-1990, cet héritage de la guerre froide qu'est la relation transatlantique continue de jouer un rôle stabilisateur.

En l'occurrence, l'équation est simple, largement illustrée par les faits : ou bien Européens et Américains se divisent, auquel cas ils sont affaiblis et doivent déployer d'immenses efforts pour éviter l'aggravation des problèmes internationaux ; ou bien ils agissent, sinon ensemble, du moins en coopération, et il n'est pas de sujet dont la solution soit hors de leur portée.

1. - Des divisions porteuses d'inefficacité

Les divisions transatlantiques démultiplient les faiblesses européennes et amoindrissent, voire neutralisent, la puissance américaine.

· Les conséquences de l'insuffisante coordination transatlantique en matière économique et financière

Ce constat vaut en matière économique et financière. Pour prendre l'exemple des institutions de Bretton Woods, l'histoire économique et financière récente montre qu'une coordination entre les États membres de l'Union européenne et les États-Unis est nécessaire pour le fonctionnement efficace et pour la réforme de ces institutions. Or elle est aujourd'hui lacunaire : d'abord du fait des États-Unis, qui font actuellement peu de cas de l'action multilatérale et ne cherchent pas le compromis avec les Européens ; ensuite à cause du manque de position commune européenne sur certains sujets, même si des progrès ont été faits enfin, en raison de la capacité unique des États-Unis à s'opposer, à eux seuls, à toute décision majeure au sein du FMI et de la Banque mondiale. Les deux premières causes de cette insuffisante coordination sont étroitement liées : seule une position commune européenne peut convaincre les États-Unis de leur intérêt de se coordonner avec nous, la situation actuelle les poussant au contraire à jouer des divergences européennes.

S'agissant ensuite du G 7, il reste une enceinte nécessaire, même si son intervention ne suffit plus à répondre aux enjeux du système financier et monétaire international. Son caractère restreint facilite les compromis et lui donne un rôle d'impulsion. Il importe donc de conforter la coordination transatlantique en son sein, plus encore au moment où il s'affirme de manière croissante comme une instance de consultation utile avec les pays émergents, des réunions en marge des sommets étant désormais régulièrement organisées (avec les pays d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient en 2004, avec la Chine, l'Inde, l'Afrique du Sud et le Brésil en 2005).

· Les conséquences de la mésentente transatlantique en matière politique et stratégique

De même, tel est le principal enseignement qu'il convient aujourd'hui de tirer de la crise irakienne, sans s'attarder sur le débat stérile sur les torts et raisons de chacun des protagonistes.

Nul ne contestera que, s'agissant de la conduite de la phase militaire de leur intervention en Irak, les États-Unis ont fait la preuve de leur écrasante supériorité et de leur incommensurable puissance : il n'existe aujourd'hui aucun autre pays qui soit en mesure, dans un délai aussi bref et avec si peu de pertes humaines, de se rendre maître d'un terrain d'opérations de la taille de l'Irak.

Force est de constater toutefois que si le bilan américain en Irak n'est pas aussi apocalyptique qu'on se plaît à le décrire en France, les conséquences de l'intervention américaine en Irak risquent d'être lourdes.

Au titre du bilan de la politique américaine dans cette région, il faut rappeler que les Irakiens sont aujourd'hui débarrassés d'un tyran et qu'ils ont pu s'exprimer par un vote démocratique sur l'avenir de leur pays. De même, depuis 2003, on ne peut occulter le fait qu'un certain nombre d'États du Moyen-Orient connaissent de notables évolutions internes : c'est, en Arabie Saoudite, la tenue d'élections démocratiques partielles le 10 février 2005, avec la désignation par une partie du peuple de 50 % des conseillers municipaux de Riyad et de sa province, les autres restant désignés par le pouvoir. Certes, les femmes étaient exclues du corps électoral et un très long chemin reste à parcourir dans ce domaine. Pour la première fois, cependant, d'autres principes démocratiques ont été respectés, avec une campagne électorale de douze jours utilisant la presse écrite et un pluralisme véritable des candidatures (plus de 1 800 candidats). De même, en Égypte, de timides, mais réels progrès ont été faits, qui ont conduit à la première élection présidentielle pluraliste dans ce pays, le 8 septembre 2005. On a pu également constater, dans la même période, des changements importants en Libye, qui a renoncé à son programme nucléaire clandestin, et en Syrie, qui s'est retirée du Liban. Ces évolutions sont-elles à mettre au crédit de la politique américaine de « Grand Moyen-Orient » ? Chacun en jugera, de même qu'il est encore trop tôt pour se prononcer sur le risque de déstabilisation que pourrait entraîner, dans nombre de ces pays, la liberté d'expression de mouvements islamistes propageant des idéologies non démocratiques.

Le bilan de la politique américaine suivie en Irak et dans la région depuis 2003 comporte, en regard, de nombreux points négatifs. Ainsi, la violence endémique qui touche l'Irak est, à moyen et long terme, dangereuse car difficilement compatible avec l'établissement d'un régime démocratique et porteuse de risque de déstabilisation au-delà des frontières irakiennes. Qui plus est, il n'est pas certain qu'en débarrassant l'Irak de Saddam Hussein, les États-Unis n'aient pas conforté le poids régional de l'Iran, dont ils stigmatisent par ailleurs les ambitions nucléaires. Car tel est précisément le résultat des désordres actuels en Irak : l'Iran dispose aujourd'hui d'une influence considérable dans ce pays et tient largement en main son avenir. Que signifient, dans ce contexte, les efforts déployés par la troïka européenne - Allemagne, France, Royaume-Uni - pour brider les ambitions nucléaires de l'Iran, efforts d'ailleurs soutenus par les États-Unis, quand, dans le même temps, le principal résultat du désordre en Irak est de conforter l'influence iranienne dans la région ?

Plus encore, les méthodes de l'intervention américaine en Irak ont très largement entamé le faible crédit dont disposent les États-Unis dans le monde arabo-musulman, d'ores et déjà méfiant à l'égard d'une Amérique étroitement liée à Israël dans un contexte d'affrontements ouverts entre Israéliens et Palestiniens. Les opinions publiques des pays musulmans restent très minoritairement favorables aux États-Unis, même si les enquêtes récentes semblaient montrer une relative amélioration. Selon une enquête du Pew Research Center réalisée en avril et mai dernier auprès de 17 000 personnes dans quatorze pays15, à l'exception du Maroc (49 % d'opinions favorables) et du Liban (42 %), les opinions des pays musulmans de l'échantillon sont majoritairement défavorables aux États-Unis, qui recueillent seulement 38 % d'opinions positives en Indonésie, 23 % en Turquie et 21 % en Jordanie. Quoiqu'en déclin, le soutien aux opérations suicides visant les Américains en Irak reste élevé : 56 % des sondés au Maroc les considèrent comme justifiées, de même que 49 % en Jordanie et au Liban, 29 % au Pakistan, 26 % en Indonésie et 24 % en Turquie.

Quelle portée revêt, dans ces conditions, le débat sur la démocratisation du Moyen-Orient lancé par les États-Unis, débat pourtant nécessaire et urgent alors que la jeunesse du monde arabe désespère de l'avenir ? Comment les pays européens peuvent-ils efficacement relayer et conforter cette très méritoire préoccupation américaine, quand le seul fait de donner l'impression de relayer des préoccupations américaines suffit, dans cette région du monde, à disqualifier d'emblée toutes les initiatives, même les plus pertinentes ? Il serait en effet dramatique que, pour avoir été lancée par un pays aujourd'hui impopulaire dans le monde arabe, le débat sur la démocratisation tourne court, alors qu'elle est l'une des clés pour enrayer le développement du terrorisme islamique international.

2. - Une coordination gage de succès

Si, comme l'illustre le cas irakien, l'absence de coordination transatlantique conduit à l'incohérence et à l'affaiblissement américains, ainsi qu'à la paralysie européenne, à l'inverse, le partenariat entre l'Europe et les États-Unis est un gage d'efficacité dans le traitement des problèmes internationaux. L'exemple du traitement de la crise du nucléaire iranien en est le meilleur exemple. En dépit du scepticisme, initialement très fort, sans doute moindre aujourd'hui, des États-Unis sur la méthode adoptée par la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni pour dissuader l'Iran de se doter de l'arme atomique, le principe de la négociation avec l'Iran n'est pas remis en cause par les États-Unis.

Au-delà de cette question ponctuelle, la coopération entre la France et les États-Unis conforte le constat d'une équation entre coordination et efficacité. Elle en fournit sans doute un exemple d'autant plus intéressant qu'il concerne les deux pays qui se sont affrontés le plus vivement pendant la crise irakienne. Pour fortes que furent les tensions entre la France et les États-Unis pendant deux ans, elle n'a pas empêché la coopération franco-américaine de s'exercer dans les domaines les plus variés :

- ainsi, en dépit de la période très délicate qu'ont traversée les relations entre les deux pays, la coopération dans la lutte contre le terrorisme n'a jamais fléchi, les Français restant considérés comme le meilleur allié des États-Unis dans ce domaine. Les magistrats anti-terroristes des deux pays se rencontrent très régulièrement dans le cadre de cette coopération ;

- en Afghanistan, la France se situe au premier rang des pays qui se sont rangés aux côtés des Américains, ayant envoyé sur le sol afghan jusqu'à 5 000 hommes au sein de la force multinationale (FIAS) commandée, jusqu'au 13 février dernier, par un général français ; en outre, la France est, au côté des États-Unis, le seul pays à participer à la formation de l'armée afghane et à consacrer des forces spéciales à la capture des responsables des attentats du 11 septembre 2001 à la frontière afghano-pakistanaise ;

- dans les Balkans également, cette coopération est exemplaire, un général français ayant, là encore, assuré le commandement des forces de l'OTAN au Kosovo. Enfin, en Haïti ou en Afrique, Français et Américains sont également intervenus en parfaite intelligence.

- la concertation très étroite entre la France et les États-Unis sur la question libanaise a permis de faire avancer un dossier longtemps bloqué ; avec le retrait syrien, le Liban retrouve l'occasion d'être maître de son destin ;

- la coopération franco-américaine est excellente dans le domaine du nucléaire. La volonté américaine de relancer leur programme nucléaire civil ouvre un nouveau champ de coopération entre les deux pays, alors que le Président George W. Bush et le vice-Président Cheney citent la politique énergétique de la France comme un exemple à suivre ;

- dans un tout autre domaine enfin, la coopération transatlantique lors de la crise asiatique de 1998 a, elle aussi, montré sa force et son efficacité. Notamment, la coopération financière entre les membres du G 7 a été exemplaire dans le cas du traitement de la Corée du Sud, l'intervention concertée des ministres des pays du G 7 auprès des banques privées ayant permis à la Corée de garder ses lignes de crédits et de ne pas sombrer dans une situation chaotique dont les conséquences internationales eussent été catastrophiques.

Questions économiques, monétaires, militaires, diplomatiques, environnementales : le partenariat transatlantique est un démultiplicateur de puissance pour les États-Unis, d'influence pour l'Union européenne. A une condition toutefois : que les premiers maîtrisent leur puissance et que la seconde assume la sienne. La mission propose que l'un et l'autre aillent plus loin en ce sens.

DEUXIÈME PARTIE : LES PROPOSITIONS DE LA MISSION

L'alliance transatlantique forgée dans un contexte de guerre froide ne saurait survivre sans changements en profondeur. A l'évidence, il ne suffit pas, pour ce faire, de réformer l'Alliance atlantique, symbole par excellence des relations transatlantiques de la guerre froide : redéfinir le concept stratégique de l'OTAN et en modifier les structures s'impose certes mais cela ne saurait se substituer à la construction de relations transatlantiques adaptées au monde actuel.

Partant de ce constat, certains sont tentés de remiser l'Alliance au rang de vestige historique et plaident, aux États-Unis, pour la poursuite exclusive de l'intérêt national américain, qu'il coïncide ou non avec celui de leurs alliés ; en Europe, pour la construction d'une Europe qui se définirait contre les États-Unis et chercherait par principe à marquer sa différence.

Ne nous y trompons pas : l'illusion d'un pôle européen contre les États-Unis ou d'une Amérique faisant cavalier seul est tout aussi vaine que l'illusion du retour à l'alliance d'hier. Le constat qui ressort des travaux de la mission est très clair : l'Europe et les États-Unis sont si différents qu'il serait inopérant de prétendre qu'ils partagent exactement la même vision du monde ; ils ont néanmoins en commun un socle de valeurs fondamentales et des intérêts nombreux, qui les distinguent de l'immense majorité des autres pays. La rupture ou même le relâchement du lien transatlantique ne constituent donc pas une option envisageable ni par les États-Unis ni par l'Union européenne. Pour celle-ci, outre l'atteinte majeure à ses intérêts économiques que représenterait un affaiblissement de ce lien, il signifierait également la mort de l'Europe politique en construction. En effet, si tous les Européens sont favorables à une Europe unie, très peu parmi eux sont prêts à le faire au détriment de la relation transatlantique.

La question n'est donc pas celle de la pérennité du lien transatlantique mais celle de sa restructuration et de son adaptation : comment l'Union européenne et les États-Unis doivent-ils organiser leurs relations pour gérer leurs différends sans les dramatiser et valoriser efficacement leurs approches communes ? La guerre en Irak a montré les effets pervers d'une confusion entre les domaines politiques, économiques et stratégiques, du simplisme du « pour ou contre nous », et de la poussée de l'anti-américanisme, sorte de maladie infantile de la relation transatlantique, dans lequel se sont précipités nombre d'Européens.

D'aucuns jugeront peut-être bien peu approprié de procéder aujourd'hui à la redéfinition du lien transatlantique, alors que l'Union européenne est encore sous le choc des rejets français et néerlandais du projet de traité constitutionnel. On peut tout au contraire estimer qu'au moment où la réflexion sur l'avenir de la construction européenne est ouverte, la question des relations que l'Europe doit entretenir avec les États-Unis est plus que jamais à l'ordre du jour. Et la France, dont le rejet du traité constitutionnel ne doit pas être interprété comme la marque d'un désintérêt pour le projet européen, se doit aujourd'hui de faire des propositions pour relancer le processus. Elle doit le faire parce qu'elle est un État pionnier de la construction européenne mais aussi, s'agissant du sujet précis de la relation transatlantique, parce qu'elle entretient une relation spécifique avec les États-Unis, sans doute la plus passionnelle. Elle doit le faire également pour donner la preuve de sa capacité à articuler ses ambitions pour l'Europe avec la prise en compte de la sensibilité atlantiste de certains de ses partenaires européens, qui peuvent avoir le sentiment qu'elle les a accueillis sans grand enthousiasme dans l'Union européenne. Elle doit le faire enfin parce que, membre de poids dans l'OTAN, en dépit de son statut particulier, et deuxième plus gros contributeur à l'effort de défense en Europe, elle a intérêt à une relation transatlantique efficace.

Tel est l'esprit dans lequel s'inscrivent les huit propositions de la mission, qui dessinent les contours d'un nouveau contrat transatlantique entre deux partenaires de taille comparable, un contrat adapté aux réalités internationales actuelles. Les deux premières concernent les relations bilatérales franco-américaines (I) tandis que les six suivantes détaillent les composantes du nouveau contrat entre l'Union européenne et les États-Unis (II).

I. - PROPOSITIONS POUR AMÉLIORER LES RELATIONS BILATÉRALES FRANCO-AMÉRICAINES

Pour que les propositions françaises visant à l'amélioration des relations entre l'Europe et les États-Unis soient d'autant plus entendues, la France doit au préalable rénover sa relation bilatérale avec les États-Unis. Après la crise de 2003, il est certain que la restauration de la relation franco-américaine passe par un travail de longue haleine et par des initiatives multiformes. Ne nous y trompons pas, cependant, d'autres crises viendront. La question n'est donc pas tant d'éviter que de circonscrire les différends futurs, afin que l'appareil diplomatique de Washington ne déclenche pas la machine à stigmatiser la France comme antiaméricaine et à « hystériser » la situation. Dans cette optique, la mission fait deux propositions, visant à :

- favoriser la connaissance mutuelle entre la France et les États-Unis, par la création d'une fondation française pour les relations transatlantiques (proposition n° 1) ;

- multiplier les actions symboliques en organisant des initiatives franco-américaines à forte visibilité médiatique ainsi qu'une rencontre annuelle au sommet entre responsables français et américains (proposition n° 2).

Proposition n° 1 : une fondation française pour les relations transatlantiques

Au-delà de ses enjeux de fond, la crise bilatérale de 2003 a mis en lumière, de manière éclatante, le rôle des stratégies de communication et d'influence dans la politique étrangère. Il n'y là rien de bien nouveau mais la vigueur de la campagne antifrançaise aux États-Unis - le french-bashing -, relayée, voire attisée par des médias influents, assumant volontiers un rôle de propagande plus que d'information, a souligné le caractère décisif de la communication à l'ère de la globalisation et de l'Internet. A l'évidence, quand il s'agit de convaincre l'opinion mondiale, les moyens classiques ne suffisent plus.

En cette occasion, notre pays a pu ressentir toute la faiblesse que constitue l'absence de relais d'opinion et d'influence français aux États-Unis, susceptibles de porter des messages et de mettre en place une véritable stratégie de communication. Ce constat vaut d'ailleurs bien au-delà des situations de crise et peut être établi pour la diffusion, au jour le jour, des initiatives ou idées françaises en tout domaine.

A la différence de nombre de ses partenaires européens, la France ne dispose pas du relais que constituerait une importante communauté française aux États-Unis, pour communiquer sur ses prises de position politiques - de politique étrangère ou intérieure, par exemple sur son dispositif de lutte antiterroriste ou encore sur la conception française de la laïcité - et développer une stratégie d'influence.

Or, dans un pays où circule une information surabondante, provenant de multiples acteurs, où les idées et points de vue français sont, qu'on le veuille ou non, en concurrence avec beaucoup d'autres, la France doit disposer de moyens propres de faire entendre sa voix. Il s'agit notamment de toucher les relais d'opinion ayant accès aux décideurs politiques, ainsi que les médias américains, très demandeurs de points de vue français sur les grands sujets internationaux, particulièrement depuis la crise irakienne. Sans doute les services diplomatiques français aux États-Unis assurent-ils d'ores et déjà ce rôle, qu'ils ont nettement développé avec la crise irakienne, dans un contexte de forte dégradation de l'image de la France aux États-Unis. Il faut d'ailleurs saluer leur action, qui les a conduit à faire preuve d'initiative, par exemple le recrutement d'un spécialiste américain, chargé, à l'ambassade de France à Washington, de promouvoir et faire connaître les positions françaises auprès du Congrès des États-Unis.

La défense de l'image de la France et la promotion des initiatives et prises de position de notre pays seraient toutefois grandement renforcées si les services de l'État étaient épaulés par un organisme indépendant, particulièrement dans un pays où la société civile joue un rôle éminent, où le processus de décision politique consacre le rôle des lobbys et où la qualité de la communication vaut autant que la qualité de l'idée que l'on cherche à promouvoir.

C'est dans cette optique que la mission propose la création d'une fondation pour les relations transatlantiques, qui serait implantée en France et aux États-Unis.

Cette proposition est une conséquence directe du constat dressé précédemment, concernant la complexité des relations franco-américaines, fondées sur de multiples liens. Aussi les actions conduites en vue de leur amélioration doivent-elles être de nature diverse et, surtout, menées par des acteurs de la société civile. Qui plus est, le recours au statut de la fondation, plutôt qu'à celui de l'association reconnue d'utilité publique, est destiné à en faciliter l'insertion dans le paysage institutionnel américain. Rappelons qu'on dénombre quelque 12 000 fondations aux États-Unis, contre 2 000 en France, où ce statut a fait l'objet d'améliorations destinées à en renforcer l'attractivité 16.

Les missions de cette fondation seraient au nombre de trois :

- Faire venir en France des « leaders d'opinion » et des responsables américains (sur le modèle du programme des visiteurs internationaux du Département d'État américain). Il existe certes un programme de ce type au sein du centre d'analyses et de prévisions du ministère des affaires étrangères (programme des personnalités d'avenir), mais il n'est pas spécifiquement réservé aux États-Unis. Il s'agirait par conséquence de démultiplier l'effort existant, grâce à la synergie entre fonds publics et fonds privés permise par le statut de la fondation. Ce programme s'organiserait autour de sessions thématiques spécifiques selon les personnes accueillies : politique étrangère de la France, système judiciaire, vie des médias et de la presse..., les thèmes sont multiples et devront être adaptées au mieux aux attentes des jeunes Américains sélectionnés pour le programme. Ajoutons que, dans ce cadre, pourrait également être mise en œuvre une formation aux questions européennes, afin de répondre aux critiques récurrentes d'opacité de l'Union européenne de la part de nos partenaires américains. De fait, l'Union européenne souffre d'un grave défaut de visibilité aux États-Unis, où son image y demeure très floue, quand elle n'est pas négative, et associée à des discours abstraits, voire à un jargon institutionnel incompréhensible. Pour conduire une réelle politique d'influence, l'Europe doit être plus lisible dans le système décisionnel américain : la fondation y contribuerait.

- Défendre et promouvoir l'image de la France aux États-Unis, y compris par des campagnes de communication. Il est illusoire, aujourd'hui, de prétendre mener une action diplomatique efficace sans s'adapter au moule culturel environnant ; or, aux États-Unis, cela signifie développer des actions de communication dans toute la presse, nationale et régionale, mais également sur les chaînes de télévision et sur Internet. D'ores et déjà, sous la pression des événements notamment, les services diplomatiques français ont progressé en la matière. Beaucoup de chemin reste à faire, comme le reconnaît d'ailleurs le ministère des affaires étrangères qui a consacré une partie de la conférence des ambassadeurs d'août 2005 au problème des stratégies d'influence.

La fondation proposée par la mission jouerait un rôle complémentaire utile. Elle aurait pour mission de mener des actions d'explication auprès du Congrès américain et, en amont, des relais d'opinion - think tanks, associations diverses, médias nationaux mais surtout locaux, groupes de pression - intervenant dans le processus de décision politique. En outre, elle serait chargée de donner une visibilité accrue aux initiatives et coopérations franco-américaines, mentionnées dans la proposition n° 2.

Un tel organisme serait financé en grande partie par des acteurs privés, notamment des entreprises, conformément à la loi en vigueur. Les collectivités locales pourraient également apporter leur contribution, si elles le souhaitent. Sans être la voix officielle de la France, cet organisme travaillerait en collaboration avec les services diplomatiques, qui, rappelons-le, assurent d'ores et déjà un travail de diffusion d'argumentaires, d'information et d'explication à destination des relais non officiels que sont les consuls honoraires, conseillers du commerce extérieur, professeurs de français dans les écoles ou les universités, chercheurs et étudiants, boursiers, etc.

- Promouvoir enfin la création de centres d'études françaises dans les universités américaines. Leur action serait complémentaire de celles de réseaux de l'Alliance française, dont les financements doivent être renforcés. L'image de la France aux États-Unis reste celle d'une « superpuissance culturelle ». Nous devons jouer de cet atout et ne pas négliger la « diplomatie intellectuelle », même s'il faut en ramener le poids à sa juste valeur. La promotion de centres d'études françaises dans le très dense tissu universitaire américain pourrait permettre de lutter contre la francophobie d'une frange des intellectuels et élites américains. Il existe certes d'ores et déjà de tels centres dans la plupart des grandes universités américaines mais, précisément, notre action est trop concentrée sur la côte Est des États-Unis et sur les établissements les plus prestigieux et gagnerait à se développer auprès d'autres établissements. Cette diversification géographique a commencé, grâce à l'initiative des services culturels de l'Ambassade de France aux États-Unis, qui a aidé à la création d'un centre à l'Université du Wisconsin, à Madison. Le mouvement doit être amplifié.

Proposition n° 2 : rénover les symboles de la relation franco-américaine

La France et les États-Unis partagent une histoire riche, dont témoignent des sites de notre mémoire commune, tels que les plages du débarquement. Il est cependant nécessaire d'enrichir et de rénover ce patrimoine symbolique, afin de promouvoir une image moins nostalgique et sentimentaliste, plus moderne et efficace de la relation franco-américaine.

· Une rencontre annuelle franco-américaine au plus haut niveau

Dans le domaine politique, alors que la crise de 2003 a exacerbé les relations franco-américaines, il convient de mettre en avant les relations pratiques de travail entre la France et les États-Unis, afin de prévenir un éventuel retour aux querelles qui prennent un tour parfois passionnel.

La mission propose à cette fin la tenue d'une rencontre annuelle bilatérale au plus haut niveau, qui réunirait, alternativement en France et aux États-Unis, les deux Présidents et le Premier ministre français. Elle aurait pour objectif de faire le point sur les coopérations bilatérales, leurs succès, permettant ainsi de passer en revue les points d'accord ; elle porterait également sur les sujets de divergence éventuels, de façon à ce que chacun connaisse précisément les positions et arguments de l'autre et qu'un accord existe en amont sur la communication à donner de ces divergences. Ainsi seraient lissées les aspérités de la relation franco-américaine, ce qui permettrait d'établir la liste des points d'accord et de désaccord et de décider le degré de publicité à donner à chacun d'eux.

Faut-il craindre que nos partenaires européens ne se formalisent d'une telle initiative, qui pourrait en outre sembler conforter les États-Unis dans leur volonté de favoriser les relations bilatérales avec les pays européens, au détriment d'un dialogue avec l'Union européenne ? La mission estime cette appréhension injustifiée : d'abord parce qu'est également proposée un renforcement considérable du dialogue politique Union européenne-États-Unis, ensuite parce qu'en l'absence de communautarisation de la politique étrangère, un champ de dialogue bilatéral substantiel existe, dont nous avons rappelé l'étendue précédemment. On pourrait d'ailleurs concevoir que, préalablement à ces sommets, la France informe ses partenaires de l'Union des sujets qui y seraient abordés.

· Des coopérations franco-américaines dans des domaines à forte visibilité

Le sommet politique de haut niveau contribuerait à lancer et promouvoir des actions concrètes de coopération entre la France et les États-Unis, dans des domaines à forte visibilité.

Il est certes difficile de médiatiser notre coopération en matière de lutte contre le terrorisme, domaine par définition couvert par le secret. La mission tient cependant à en souligner le caractère indispensable et en demande le renforcement.

En revanche, alors que la flambée des prix du pétrole conduit à s'interroger sur le remplacement des énergies fossiles, notre coopération dans le domaine du nucléaire civil et des énergies nouvelles pourrait être mise en avant, d'autant qu'elle bat en brèche l'image de la France aux États-Unis, celle d'un pays où il fait bon vivre mais peu connu pour ses performances technologiques. La France a tout intérêt à valoriser ses réalisations dans un domaine où elle occupe le premier rang mondial, qui fait l'objet d'une coopération active avec les États-Unis. Dernier exemple en date, la signature d'un accord sur la coopération opérationnelle, le 28 février 2005, dans le domaine des réacteurs nucléaires de quatrième génération.

Par ailleurs, alors que les États-Unis viennent d'être frappés par le cyclone Katrina, une initiative conjointe en matière de sécurité civile et de prévention des catastrophes naturelles pourrait être prise sur proposition de la France. De même, la récurrence de ce genre de phénomènes pourrait conduire nos deux pays à un travail commun sur les changements climatiques : le blocage des États-Unis sur le protocole de Kyoto ne doit pas nous conduire à renoncer à évoquer les sujets environnementaux avec les États-Unis, d'autant que la réflexion sur le sujet y est riche et diverse, loin des caricatures que l'on en présente.

Enfin, dans le domaine de la recherche médicale, certes très concurrentiel, les coopérations d'ores et déjà nombreuses et fructueuses gagneraient à être mises en avant et étendues, alors que l'on assiste à la propagation accélérée d'épidémies sous l'effet de la mondialisation et de l'intensification des échanges qu'elle suscite.

· Un secrétariat aux relations transatlantiques

Certains des membres de la mission suggèrent enfin que le suivi de ces coopérations revienne à un secrétariat permanent aux relations franco-américaines, qui serait instauré à l'instar de ce qui existe en Allemagne, où un coordinateur pour les relations germano-américaines est placé sous l'autorité du ministre des affaires étrangères. Une telle structure, placée sous l'autorité du directeur des affaires politiques du Ministère des affaires étrangères, permettrait la mise en place de relations de travail systématiques et déconnectées de l'actualité passionnelle qui ponctue de manière récurrente les relations franco-américaines. Elle permettrait de forger des habitudes de travail en commun qui ne manqueraient pas d'influer sur les relations personnelles. Ce secrétariat aurait, plus largement, un rôle d'animateur de la relation franco-américaine, notamment en matière économique.

II. - PROPOSITIONS POUR UN CONTRAT TRANSATLANTIQUE, ADAPTÉ AU NOUVEAU CONTEXTE INTERNATIONAL

Confrontés à des défis d'ampleur, Européens et Américains doivent rénover leur alliance pour en adapter les objectifs et les modalités de fonctionnement aux réalités contemporaines.

Au contrat transatlantique de la guerre froide, fondé sur l'échange « sécurité contre solidarité sans faille », nous proposons de substituer un nouveau contrat, formalisé par cinq propositions. Leur objectif est double : un dialogue intensifié et une coopération plus efficace.

Les deux premières propositions sont destinées à donner une traduction institutionnelle au nouveau contrat transatlantique et consistent en :

- la nomination d'un coordinateur européen aux relations transatlantiques (proposition n° 3) ;

- la création d'un secrétariat bilatéral commun et permanent Union européenne - États-Unis pour les relations transatlantiques (proposition n° 4).

Les trois dernières propositions concernent spécifiquement les relations de sécurité transatlantiques, centre névralgique du lien entre l'Europe et les États-Unis. Elles concernent :

- la mise en œuvre d'un plan pluriannuel de coordination et de progression des dépenses de défense de l'Union (proposition n°5) ;

- la constitution d'un « quad » européen élargi à six membres au sein de l'OTAN (proposition n°6) ;

- et l'élaboration d'un nouveau concept stratégique pour l'OTAN (proposition n°7).

a. - intensifier le dialogue transatlantique

Le dialogue politique entre l'Union européenne et les États-Unis souffrant de deux défauts majeurs - la difficulté des États membres de l'Union à se coordonner et la complexité de l'architecture de dialogue entre l'Union et les États-Unis -, la mission fait deux propositions :

- améliorer la coordination interne à l'Union européenne sur les relations transatlantiques par la nomination d'un coordinateur européen aux relations transatlantiques (proposition n °3) ;

- simplifier les canaux de dialogue entre l'Union européenne et les États-Unis par la mise en place d'un secrétariat bilatéral permanent (proposition n° 4).

Proposition n°3 : la nomination d'un coordinateur européen aux relations transatlantiques

· La nécessité d'une approche commune européenne

Il n'est certainement pas question de transformer le présent rapport en une réflexion sur la construction européenne et ses finalités, sous l'influence d'une actualité européenne décevante. La mission s'est saisie de la question transatlantique plusieurs mois avant le résultat des consultations référendaires en France et aux Pays-Bas et n'entend pas profiter de ce rapport pour élaborer un quelconque « plan B ».

Cependant, les constats qui précèdent montrent que la priorité est de lutter contre les divisions intraeuropéennes et, petit à petit, de faire émerger une véritable politique américaine de l'Union européenne, qui se substituerait à la conception actuelle d'un lien transatlantique « naturel », compréhensible dans un contexte de menace massive mais inadaptée à la montée en puissance de l'Union européenne et à la multiplication des enjeux présents dans la relation transatlantique.

Il est nécessaire qu'émerge, au sein de l'Union européenne, un véritable dialogue sur les relations transatlantiques, dont l'objectif de long terme serait de forger une position européenne sur les relations avec les États-Unis. Nous sommes bien conscients qu'un tel dialogue ne va pas de soi, l'OTAN restant, pour nombre de nos partenaires, le lieu du débat transatlantique sur les grands problèmes internationaux stratégiques, le G 7 étant consacré aux questions économiques et monétaires. Nous sommes cependant convaincus que les dysfonctionnements et les lourdeurs de la relation transatlantique actuelle proviennent de l'inadaptation de ce schéma aux réalités du XXIème siècle.

· La nomination d'un coordinateur européen aux relations transatlantiques

Le suivi et l'animation de ce dialogue seraient assurés par un coordinateur aux relations transatlantiques. Bien que désigné par le Conseil européen, ce coordinateur serait compétent pour suivre le dialogue intra-européen dans l'ensemble des champs de la relation transatlantique, c'est-à-dire également pour ce qui concerne les domaines communautaires (relations commerciales, questions de concurrence, etc.). Quant à son statut, notamment par rapport au Président du Conseil, au responsable de la politique étrangère et au Président de la Commission, il devra faire l'objet d'une négociation entre États membres.

Cette proposition de la mission, inspirée par l'exemple allemand du coordinateur pour les relations transatlantiques, vise en premier lieu à solenniser les relations entre l'Union européenne et les États-Unis, actuellement placées sur le même plan que la plupart des autres relations extérieures dans le schéma institutionnel de l'Union. Elle constitue en outre une réponse aux critiques américaines sur la complexité de l'Union, son caractère abstrait et technocratique. Sans être dupes de l'intention maligne que peut recouvrir ce reproche, également fait par cet autre partenaire de l'Union qu'est la Russie, nous ne devons cependant pas sous-estimer la portée de cet argument : difficile à appréhender par les citoyens européens, l'Union l'est plus encore par nos partenaires étrangers.

Pour l'heure cependant, au vu de la difficulté d'un tel dialogue, il faut être réaliste. La mission propose donc que le coordinateur aux relations transatlantiques s'attache :

- Dans une première étape, à faire en sorte que ce dialogue transatlantique interne à l'Union européenne prenne la forme d'un accord informel entre les membres de l'Union, une sorte de gentlemen agreement, qui serait destiné, à court et moyen terme, à prévenir une nouvelle crise du type de celle que l'Europe a traversée en 2003, avec l'Irak. Les États membres de l'Union européenne conviendraient de se rencontrer régulièrement pour échanger leurs vues sur les sujets impliquant les relations transatlantiques et, en cas de divergences, prendraient l'engagement de ne pas se mettre en cause mutuellement dans l'exposition publique de leurs prises de position.

- Dans une seconde étape, à faire porter ce dialogue sur deux thèmes que la mission juge prioritaires pour favoriser une meilleure coordination européenne :

. en matière économique et financière, la question d'une représentation mieux harmonisée dans les institutions de Bretton Woods doit être posée au sein de l'Union, tant la coordination européenne et transatlantique est insuffisante aujourd'hui, dans un domaine qui concerne pourtant le dynamisme de la croissance européenne.

Actuellement, l'Union européenne ne pèse pas à la hauteur du cumul des droits de vote de ses membres, du fait des spécificités du système de représentation au sein des institutions de Bretton Woods (17).

Pour certains, l'instauration d'une chaise unique européenne serait techniquement possible, sous réserve d'une modification des statuts et d'une coordination européenne pour définir le mandat de l'administrateur pour l'Europe. L'unification de la représentation européenne serait, en outre, la solution d'avenir dès lors qu'avec au moins 15 % des droits de vote, elle donnerait un droit de veto à l'Europe.

Compte tenu des réticences de certains membres de l'Union à perdre leurs voix propres dans ces institutions, il n'est pas certain que, dans un premier temps du moins, l'unification de représentation de l'Union soit source de bénéfices, tant la coordination en amont serait difficile. Le débat doit néanmoins être lancé, il peut conduire soit à un accord sur une chaise unique, ce qui est peu vraisemblable, soit à tout autre dispositif d'unification de la représentation européenne.

D'ores et déjà, les mesures suivantes pourraient être examinées dans le cadre de ce dialogue européen : adoption de déclarations écrites communes par les membres de l'Union au FMI sur les sujets ne suscitant pas de divergences, à l'instar de ce qui commence à se faire à la Banque mondiale, où s'affirme une vision européenne du développement ; institution d'une règle prévoyant que la présidence permanente doit toujours comprendre un administrateur européen pour accroître la visibilité de l'Union et de la zone euro. Au regard des règles de fonctionnement du FMI et de la Banque mondiale, cette coordination serait déjà un grand progrès (18).

. dans le domaine de la défense et de la sécurité, la question de l'effort budgétaire des États membres de l'Union européenne en matière de défense doit être abordée de front dans le cadre du dialogue européen sur les États-Unis. La mission fait d'ailleurs à ce sujet la proposition n °5.

Proposition n° 4 : l'institution d'un secrétariat permanent Union européenne/États-Unis pour les relations transatlantiques

La mise en place d'un dialogue intra-européen sur les relations transatlantiques conduit naturellement à l'instauration d'un véritable dialogue politique entre l'Union européenne et les États-Unis, qui n'existe pas aujourd'hui. L'architecture actuelle du dialogue entre l'Union européenne et les États-Unis, trop complexe, n'a pas permis, en effet, de faire naître une dynamique politique.

Il est temps de mettre fin à ce paradoxe, alors que l'Union européenne est le seul partenaire global des États-Unis et que les canaux de relation entre les deux entités sont multiples, mais intermittents et technocratiques. De même, le sentiment d'éloignement mutuel, alors que les liens (institutionnels, humains, économiques, culturels) entre les deux entités sont multiples, pourrait être dissipé si l'Union européenne prenait à cœur de construire un véritable dialogue politique avec les États-Unis, et les États-Unis une politique cohérente, dépourvue d'ambiguïté vis-à-vis de leurs alliés européens.

Aujourd'hui, alors que les États-Unis manifestent, depuis le début du second mandat du Président Bush, une volonté renouvelée de donner de la substance au dialogue transatlantique, que les nouveaux membres de l'Union sont également très attachés à ce dialogue et que la percée des pays émergents, à commencer par la Chine, rend urgente une véritable solidarité transatlantique, il est temps de relancer le dialogue transatlantique, en l'incarnant dans une seule structure globale.

C'est pourquoi, afin d'intensifier le dialogue politique transatlantique, la mission propose de mettre en place un secrétariat permanent bilatéral. Du côté européen, il serait placé sous l'autorité du Président du Conseil et animé par le coordinateur européen aux relations transatlantiques évoqué précédemment.

Le secrétariat aux relations transatlantiques aurait pour rôle :

- De traiter à la fois des questions communautaires et intergouvernementales, c'est-à-dire serait chargé de la préparation des sommets Union européenne - États-Unis, de celle des réunions des institutions financières multilatérales ou encore du suivi des négociations transatlantiques dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce.

- De jouer également un rôle d'animation, tout d'abord en élaborant des propositions pour approfondir l'intégration économique. Notamment, cette nouvelle structure pourrait traiter à plein temps la question de la convergence réglementaire de part et d'autre de l'Atlantique, l'essentiel des obstacles aux échanges transatlantiques n'étant pas tarifaire.

- Dans le cadre de ce rôle d'animation, il aurait également pour tâche de susciter l'organisation de réunions entre responsables politiques, administratifs, experts et chercheurs sur les sujets stratégiques d'intérêt commun. Sur les questions de sécurité, il s'agit d'éviter la répétition d'un scénario du type de la crise irakienne de 2003. Dans ce cadre, plusieurs sujets se profilent, qui pourraient à moyen et long terme conduire à de fortes tensions transatlantiques. Une réflexion transatlantique commune pourrait donc être lancée sur les deux sujets qui s'imposent à cet égard :

. Au vu de la situation en Iran et en Corée du Nord, il serait nécessaire de réfléchir ensemble sur les scénarios de crise à venir : que serait un monde avec dix ou quinze États dotés de l'arme nucléaire et, plus particulièrement, que signifie un Proche-Orient avec un Iran nucléaire ? Quelle redéfinition du régime international de non-prolifération ?

. De même, comme nous l'avons déjà souligné, le débat sur la démocratisation du monde arabo-musulman mérite d'être abordé de manière approfondie : comment fonctionne le couple démocratisation/islamisation au Proche-Orient ? Quels sont les champs de coopération transatlantique pour mener à bien ce projet ? Autant de sujets sur lesquels le dialogue politique transatlantique doit se pencher, selon une démarche prospective.

- Enfin, de jouer un rôle d'alerte afin d'identifier le plus en amont possible les sujets porteurs de crises potentielles, que ce soit en matière de différends commerciaux ou sur les questions de sécurité.

b. - coopérer plus efficacement

Proposition n°5 : un plan pluriannuel de coordination et de progression des dépenses de défense de l'Union

Beaucoup d'Européens se sont émus en découvrant, dans un article de Foreign Affairs du printemps 2002, sous la plume du secrétaire à la défense Donald Rumsfeld, l'affirmation selon laquelle, aux yeux des États-Unis, les « coalitions ne doivent pas déterminer les missions ». Il y a, dans cette émotion, beaucoup d'aveuglement et un manque certain de cohérence : incontestablement, en effet, la préférence américaine pour les coalitions ad hoc trouve en partie son origine dans l'insuffisance des moyens consacrés par les Européens à leur défense.

Quelques chiffres donnent la mesure de cette insuffisance. L'écart entre les dépenses militaires américaines et européennes est aujourd'hui de 200 milliards de dollars, les États-Unis dépensant à eux seuls plus de deux fois plus que les États européens membres de l'OTAN (333 milliards de dollars contre 160). Il est peu probable que cet écart diminue, au vu de l'accroissement constant du budget de défense des États-Unis, qui s'établit, pour l'année fiscale 2005, à 447 milliards de dollars.

Cet écart énorme est accentué encore par les différences structurelles entre les budgets européens d'un côté, américain de l'autre. Tandis que les États-Unis consacrent 35 % de leur budget de défense aux personnels et 30 % à l'achat de nouveaux équipements, les États européens dépensent, pour la plupart d'entre eux (France, Italie, Espagne, Pologne, Grèce, Belgique), entre 60 et 70 %, pour les personnels, et 10 % au plus pour l'achat de nouveaux matériels. Qui plus est, dans le domaine de la recherche et du développement militaire, l'Europe dépense cinq fois moins que les États-Unis. Au total donc, les capacités militaires dont disposent les États européens représentent seulement 20 % de celles des États-Unis, quand le personnel militaire est, en Europe, de 20 % supérieur au personnel américain. D'où une forte de distorsion en matière de projection : les États-Unis ayant un ratio d'équipement supérieur, ainsi qu'une meilleure articulation entre le nombre de combattants et le nombre de forces de soutien, sont capables de déployer en Irak, en 2003 et 2004, 115 000 à 140 000 hommes, là où le Royaume-Uni, l'Italie, la Pologne, les Pays-Bas et le Danemark en déployaient au maximum 16 000 sur la durée.

Quelles sont, dans ces conditions, les chances de succès du nouveau programme de l'OTAN décidé à Prague, lors du sommet de 2002, qui prévoit de réduire l'écart de capacité entre Européens et Américains dans l'OTAN, - programme adopté trois ans après l'échec cinglant de l'initiative des capacités de défense de 1999 (19), qui, portant sur le même objet, s'était rapidement soldée par un cuisant échec ?

Il ne faut pas s'y tromper, la rebuffade essuyée par les Européens de l'OTAN en 2001, lorsqu'ils ont proposé la mise en œuvre de l'article V du traité de Washington à leurs partenaires américains, doit beaucoup à cet écart de capacités. Déjà, après l'opération « Force alliée » de l'OTAN au Kosovo, les militaires américains s'étaient promis que cette première du genre serait la dernière, gardant un très mauvais souvenir d'avoir dû négocier, puis réduire, l'éventail des cibles à frapper. Dans le cas de l'opération « Liberté immuable » en Afghanistan, à l'automne 2001, l'absence de bombes à guidage de précision dans les arsenaux européens, alors que les États-Unis comptaient en faire un usage massif en Afghanistan, est venue ajouter un argument à ceux qui, au Pentagone, refusaient la guerre « par comités » (20).

Il n'est certes pas question pour les pays européens d'emboîter le pas aux États-Unis en doublant leur effort de défense. Reconnaissons cependant que cette version moderne de l' « US gap » n'est certainement pas neutre dans la relation transatlantique actuelle. Un risque réel pèse sur l'interopérabilité entre les forces armées de part et d'autre de l'Atlantique, alors même que, spontanément, les États-Unis ne sont pas les plus préoccupés par la question de l'interopérabilité. Mentionnons à cet égard le fait, assez peu connu, que les forces américaines elles-mêmes sont, pour partie, inopérables entre elles : ainsi, en 2001, pendant les opérations d'Afghanistan, les forces de la flotte de Méditerranée se sont trouvées temporairement dans l'incapacité de coordonner leurs actions avec celles de la flotte du Pacifique, faute d'un codage identique des télécommunications...

Le fait est, cependant, qu'existe, chez nos concitoyens, une véritable allergie à la dépense de défense. Ainsi, alors que 70 % des Européens pensent que l'Union européenne devrait devenir une superpuissance comparable aux États-Unis, ils sont 44 % à y renoncer si cela implique une augmentation des dépenses militaires. Que confirme le sondage annuel réalisé par le German Marshall Fund en septembre 2005, sinon que les Européens se rangent de facto du côté de la stratégie américaine d'alliances à la carte ?

Appeler à une rénovation du lien transatlantique en s'en tenant, en matière de défense, au principe de la guerre froide selon lequel ce seront de toute façon les États-Unis qui, en cas de besoin, assureront la défense de l'Europe n'est guère responsable. Les États membres de l'Union européenne ont, sur ce point, un devoir de cohérence... et de pédagogie. Nous devons cesser de considérer la dépense militaire comme une dépense optionnelle, secondaire, au nom d'un fatalisme qui voudrait que le terrorisme soit imprévisible, complexe, impossible à vaincre par les moyens militaires classiques et en vertu d'une opposition stérile entre dépense civile (sociale notamment) et dépense militaire. Une répartition des rôles non dite, entre des États-Unis qui s'érigent en « hard power » et une Europe réduite au « soft power » n'est pas souhaitable car elle condamne l'Europe à gérer les effets de la politique américaine sans lui donner la maîtrise des événements. L'alternative n'est pas entre, d'une part, s'opposer aux initiatives américaines quand nous les jugeons aventureuses en conservant de faibles niveaux de dépenses d'équipement militaires et, d'autre part, suivre les États-Unis les yeux fermés, y compris en dépensant des sommes excessives pour la défense. Elle est entre l'option responsable qui consiste à crédibiliser nos choix diplomatiques en les appuyant sur des budgets militaires dignes de nos ambitions et l'option de l'incohérence, qui prévaut actuellement en Europe.

A cet égard, ce n'est pas faire preuve d'autosatisfaction que de rappeler que la France, qui dispose du deuxième plus gros budget de défense en Europe derrière le Royaume-Uni, a fait le choix de la cohérence et qu'elle est de ce fait, en position de demander à ses partenaires d'en faire de même. Ainsi, depuis 2002, seules la Grande-Bretagne, la France et la Grèce consacrent plus de 2 % de leur produit intérieur brut (PIB) à leur défense, avec respectivement 2,2 %, 2 % et 3 % en 2004. La Suède dépense 1,8 % de son PIB pour la défense. Les autres pays se situent à des niveaux nettement inférieurs : 1,1 % pour l'Allemagne, 1,2 % pour l'Italie, 0,9 % pour l'Espagne.

Au vu de ces constats, il est nécessaire que les pays de l'Union européenne accroissent l'efficacité de leur dépense de défense, en diminuant le poids des charges de personnel au profit des achats de matériels, et en coordonnant leur effort de défense, notamment pour améliorer leur capacité collective de projection. Cette coordination doit notamment porter sur les moyens de soutien et de formation. Certains membres de la mission vont jusqu'à proposer une meilleure intégration des dépenses nationales dans le cadre d'un projet de défense européen, y compris si cela implique une répartition des tâches entre les différents États membres : telle n'est cependant pas la position du rapporteur ni de la majorité de ses collègues dans la mission.

Les Européens de l'Alliance qui dépensent moins de 2 % de leur PIB pour la défense doivent également solennellement s'engager à accroître leur part du « fardeau » que représente le prix de la sécurité de l'Europe, afin de se mettre aux niveaux français et britannique. Les modalités de cette augmentation pourraient être conciliées avec la sensibilité des opinions publiques européennes sur ces questions. Ainsi, cet engagement pourrait être inscrit dans un plan pluriannuel (2007-2013) de progression, même modeste, des dépenses de défense globales des pays de l'Union, fixées en proportion du produit intérieur brut. Afin de donner des gages pour l'avenir et de maximiser cet effort budgétaire supplémentaire, une partie de cet accroissement pourrait porter sur les dépenses de recherche, qu'elles soient à la fois civiles et militaires ou seulement militaires, les retombées civiles permettant de faciliter l'acceptation par l'opinion publique de ces dépenses. En parallèle, l'engagement serait pris d'accroître la part des dépenses militaires consacrée à l'achat d'équipements nouveaux. Ainsi, sans doute nos concitoyens accepteraient-ils d'autant mieux cet effort budgétaire qu'ils seraient convaincus que, grâce à une meilleure coordination, les dépenses de défense en Europe répondent aux besoins.

Proposition n°6 : la constitution d'un « quad » élargi à six membres et le rééquilibrage des commandements dans l'OTAN

· Des Européens mieux organisés : le « quad » à six

Le partage du fardeau budgétaire doit être négocié avec les États-Unis contre un partage de la décision au sein de l'OTAN, ce qui faciliterait d'ailleurs le travail pédagogique que nous venons d'évoquer. Il s'agit de rééquilibrer les responsabilités au sein de l'OTAN entre les États-Unis d'une part, les États européens d'autre part. La mission estime qu'on ne peut plus continuer à se réfugier, à l'instar des États-Unis, derrière la fiction juridique selon laquelle l'OTAN fonctionne par consensus, sur la base du principe classique d'« un État, une voix ». La réalité est tout autre, comme l'a reconnu très benoîtement M. Evan Galbraith, conseiller spécial auprès de la délégation américaine auprès de l'OTAN, qui a évoqué les « intérêts très différents » des Européens et souligné qu'« un bloc européen créerait, pour les Américains, des difficultés à mener leurs relations traditionnelles avec chaque pays ». Il est certain que les Européens auraient un gros travail de concertation préalable à mener entre eux ; la pérennisation de la situation d'inégalité actuelle ne serait cependant guère compatible avec la responsabilisation budgétaire des États européens. Les États-Unis doivent accepter qu'une Europe qui augmente son effort militaire doit aussi pouvoir décider davantage.

En contrepartie de l'acceptation, par les Européens, du partage du fardeau, la mission propose donc la constitution d'un « quad » (21), de type nouveau, européen et élargi à six membres. Ainsi, la France proposerait à l'Allemagne des consultations sur la définition de l'enceinte la mieux adaptée au dialogue stratégique avec les États-Unis, en y associant le Royaume-Uni, l'Espagne, l'Italie et la Pologne. Du fait de leur effort de défense et de leur place dans l'Alliance, tous ces États ont en effet vocation à faire partie du « quad » ; cependant, s'agissant particulièrement de l'Allemagne, il est certain qu'elle devra accroître ses efforts budgétaires dans le domaine militaire. La distorsion entre son rôle en Europe et son effort de défense est aujourd'hui trop criante.

La constitution de ce « quad » mettrait fin à la situation qui relève de la schizophrénie dans laquelle les Européens sont aujourd'hui placés à l'OTAN : unis dans les domaines commerciaux, économiques et monétaires, habitués à travailler ensemble, au quotidien, au sein des instances de la PESD, ils sont supposés raisonner en termes strictement nationaux et traiter sur le même plan leurs partenaires dans l'Union et la Turquie, les États-Unis ou le Canada lorsqu'ils se retrouvent dans les enceintes de l'OTAN.

Quant à ce que ce « quad » d'un type nouveau soit reconnu par les États-Unis et reçoive une traduction institutionnelle, c'est une autre question. On reconnaît là le débat sur le pilier européen de l'OTAN, qui n'est pas nouveau ; il n'est pas dépassé pour autant et se posera un jour si les membres européens de l'Alliance parviennent à rapprocher leurs positions. La vocation de l'Alliance atlantique est d'avoir deux piliers ; encore faut-il, répétons-le, que l'Union soit capable d'organiser celui qui dépend d'elle - c'est l'objet du « quad » - et , plus encore, que les États-Unis l'acceptent. Il y a encore un long chemin à parcourir en la matière.

· Une Alliance plus équilibrée : la réforme des commandements

A l'évidence, la première des conséquences de la constitution d'un « quad » européen élargi à six membres sera de relancer le débat sur l'attribution des commandements de l'OTAN, qui devraient refléter l'existence du pilier européen.

A cet égard, la mission propose qu'au moins le poste d'adjoint au commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR), américain, revienne à l'un des membres du « quad ». Traditionnellement, d'ailleurs, ce poste était assumé en alternance par un Allemand et un Britannique et ce n'est que récemment que les Allemands ont concédé leur droit, lors de la réforme des commandements de l'OTAN au profit d'autres avantages - choix sans doute malheureux. Cet arrangement pourrait tout à fait être revu dans le cadre du nouveau contrat qui verrait les principaux pays européens en matière de défense échanger un effort capacitaire accru et une meilleure coordination contre davantage de responsabilités dans l'OTAN.

· Une implication plus importante de la France dans l'Alliance ?

La seconde conséquence de la constitution du « quad » concerne directement la France. En effet, se poserait ipso facto la question de savoir si la France ne devrait pas retrouver une place pleine et entière dans l'OTAN. D'ores et déjà, nous l'avons souligné, la France est aujourd'hui une puissance majeure de l'OTAN, y compris dans les structures militaires de celle-ci. Petit à petit en effet, notre pays a réinvesti la plupart des comités, commandements et organes militaires de l'Alliance, même si sa participation est limitée en nombre (1 %) et à un objet, la constitution de la force de réaction rapide. La France conserve cependant sa spécificité en étant absente des deux organes de l'Alliance compétents en matière de planification, le comité des plans de défense (DPC) en matière conventionnelle et le groupe des plans nucléaires (GPN), s'agissant du nucléaire.

La constitution du « quad » nécessiterait-elle d'aller plus loin ?

Il importe à cet égard de bien distinguer ce qui relève de la planification en matière de forces conventionnelles et du domaine nucléaire.

· En matière nucléaire, rappelons que c'est pour préserver l'autonomie de décision stratégique de la France que le Général de Gaulle décida, en 1966, que la France ne participerait plus à la planification de défense de l'OTAN. Cette autonomie de décision n'empêche pas la France de jouer le rôle opérationnel qu'elle souhaite avoir dans l'alliance. Il n'y a donc pas lieu de revenir sur l'autonomie des forces nucléaires françaises.

· En matière conventionnelle, il faut bien distinguer ce qui relève de la planification opérationnelle, c'est-à-dire la participation de militaires français aux opérations de planification liées à des opérations précises - Afghanistan, Kosovo - et ce qui a trait à la planification de défense, c'est-à-dire la planification permettant d'articuler entre eux les systèmes de défense des pays dont les armées sont totalement intégrées à la structure OTAN :

- Dans le premier cas, la France est évidemment partie prenante du processus, dans la mesure où elle est l'un des contributeurs principaux en forces militaires : il s'agit d'une planification ponctuelle, inhérente à toute opération extérieure impliquant plusieurs pays.

- La seule question qui se pose réellement concerne donc la planification de défense.

De facto, en participant à la force de réaction rapide de l'OTAN (NRF) et en mettant en place un quartier général aux normes OTAN, la France entre en partie dans un processus de planification de défense : il s'agit en effet, dans le cadre d'un quartier général dont une proportion importante de généraux et d'officiers seront étrangers 22, de mettre en place les procédures qui permettront de déployer rapidement cette force mobile d'un type nouveau qu'est la NRF - ce qui est la définition même de la planification.

Faut-il, dès aujourd'hui, aller au-delà des évolutions intervenant dans le cadre de la NRF, et participer pleinement à l'ensemble de la planification de défense de l'OTAN ? A ce jour, les conséquences en seraient les suivantes :

1. Participer à la planification de défense, et donc aux réunions du comité des plans de défense (DPC), aurait pour première conséquence l'augmentation considérable des forces armées françaises affectées à cette grosse machinerie qu'est aujourd'hui la planification de l'OTAN, avec ses 12 000 personnels. Participer au processus de planification impliquerait en effet de se mettre au moins au niveau de l'Allemagne (2 500 personnes affectées aux tâches de planification), c'est-à-dire supposerait une refonte totale de l'organisation de notre encadrement militaire. Nos armées gagneraient-elles en efficacité ? C'est la seule question à l'aune de laquelle le problème de la participation de la France doit être évalué.

2. Politiquement, la participation de la France au DPC rendrait vaine la polémique sur les tentatives de certains membres de l'Alliance de recourir au DPC pour prendre des décisions qui relèvent normalement de l'organe de décision politique de l'OTAN, le Conseil de l'Atlantique Nord (NAC). Ces tentatives de contournement du NAC ont cependant jusqu'alors été neutralisées : la France se tient vigilante et a, jusqu'à ce jour, fait prévaloir ses vues, en sorte que le NAC conserve ses compétences, et la France sa voix.

3. Dans le cadre de la réforme des commandements que nous avons mentionnée précédemment, le processus de planification des forces fait actuellement l'objet de réflexions et travaux concernant les évolutions à lui apporter pour en corriger les lourdeurs actuelles. Avant que la France ne se prononce sur l'intérêt qu'elle aurait à faire des pas supplémentaires pour « normaliser » sa place dans l'OTAN, n'est-il pas plus sage d'attendre le résultat de ces tractations complexes ?

4. A ce jour, notre place particulière dans l'OTAN ne constitue en rien un obstacle à une coopération, répétons-le, efficace, sur les terrains d'opérations, avec nos partenaires dans l'Alliance. A cet égard, la qualité de notre coopération opérationnelle avec les forces américaines mérite d'être rappelée : sur le terrain, Français et Américains travaillent très efficacement, en bonne intelligence, et l'appréciation mutuelle entre les soldats des deux pays est réelle. En témoigne également la très étroite collaboration franco-américaine dans le cadre de la mise en place de la force de réaction rapide de l'OTAN (NRF). Notamment, le nouveau quartier général français dédié à la NRF, basé à Lille, comptera en son sein une douzaine d'officiers américains. Là encore, c'est l'intérêt de la France qui doit être pris en compte : si, un jour, notre statut dans l'Alliance nuit à la coopération de nos armées avec les armées alliées, alors il nous faudra examiner la possibilité de rapprochements encore plus importants.

In fine, le geste serait sans doute symbolique mais, à ce jour, sans véritable intérêt pour nos armées, qui plus est sans véritable sens du fait des réformes en cours à l'OTAN. Il faut bien avouer que la position actuelle de la France dans l'OTAN présente de sérieux avantages en termes de souplesse de négociation. Les diplomates et militaires français sont présents aux postes clés où se prennent les décisions, sans pour autant être tenus par la lourdeur des processus OTAN. Elle est à la fois suffisamment en dehors pour pouvoir adopter une position critique sur les options politiques de l'Alliance et suffisamment intégrée pour que les efforts humains et financiers qu'elle fournit s'accompagnent d'un poids suffisant dans les structures de décision.

Cette politique est-elle tenable, au fur et à mesure de la montée en puissance de la PESD ? La France a fait de son engagement dans l'OTAN un moyen de conforter simultanément la PESD. En bref, là où la Grande-Bretagne voit dans la PESD un moyen de renforcer l'Alliance, la France fait un calcul différent, elle voit dans l'Alliance un moyen de renforcer la PESD, notamment grâce au développement de l'interopérabilité entre Européens et à la culture militaire commune forgée en son sein. Cette politique de l'ambiguïté constructive conforte la position française autant que la PESD. Tel est précisément son objectif. S'il apparaît qu'elle ne remplit plus cet objectif et qu'elle ne nous permet plus de travailler efficacement avec nos alliés, il faudra la modifier. En la matière, c'est le pragmatisme, et non les positions de principe, qui doit guider notre action.

Proposition n°7 : un nouveau concept stratégique clarifiant le rôle de l'OTAN

Par un paradoxe qui n'est qu'apparent, le fait que l'Alliance atlantique n'occupe plus une place centrale dans la stratégie américaine représente sans doute une occasion propice au lancement du débat sur son rôle dans l'avenir. Dans un double contexte de dédramatisation des enjeux liés à l'Alliance atlantique et d'importance de la menace, il existe une réelle opportunité d'aborder la question du rôle de l'Alliance, alors que les réflexions sur l'avenir de l'Alliance ont longtemps été frappées d'un tabou. Si l'on considère que l'Alliance reste l'un des fondements des relations entre l'Europe et les États-Unis, alors le silence officiel n'est plus de mise. Il faut trancher la question de savoir si l'OTAN doit demeurer un outil militaire de défense européenne et américaine ou se muer en organisation politique régionale à vocation internationale. Faute de résoudre les contradictions actuelles de l'OTAN, ses membres en renforcent la fragilité et font peser une hypothèque sur son caractère durable.

Pour trancher ce débat, il faut pouvoir répondre clairement aux trois questions qui aujourd'hui brouillent l'image de l'Alliance :

- L'Alliance est-elle toujours exclusivement un outil militaire de défense collective ou une organisation régionale de sécurité à vocation militaire et civile ?

- Qui est légitime pour décider de l'intervention de l'Alliance sur un champ d'opération militaire, son Conseil ou l'ONU ?

- Quel doit être le champ géographique d'intervention de l'Alliance ?

1. Quelle est la nature de l'Alliance ?

La mission première de l'Alliance, outil de défense collective, doit être réaffirmée.

Faut-il le rappeler, l'Alliance atlantique tient sa légitimité historique de sa nature première et fondamentale d'alliance militaire de défense collective. Elle doit donc rester un outil militaire, dont l'objet premier, la protection de l'Europe et celle de l'Amérique du Nord, doit être réaffirmé. Ce rappel de la mission de défense collective de l'OTAN est important, notamment pour les nouveaux États membres issus du bloc soviétique : leur détermination à entrer dans l'OTAN est très largement motivée par cette mission, contenue dans l'article V du traité de Washington fondateur de l'OTAN. Rappelons-le, une seule des opérations actuellement mises en œuvre par l'OTAN relève de la mission de sécurité collective : il s'agit de l'opération « Active Endeavour » de contrôle maritime en Méditerranée, qui s'inscrit dans la lutte contre le terrorisme et le transport d'armes de destruction massive (23).

La réaffirmation du rôle premier de l'Alliance ne saurait signifier qu'elle est illégitime à intervenir comme force de rétablissement et de maintien de la paix : dès lors qu'elle agit dans le cadre du droit international, ce rôle nouveau, acquis dans la décennie 1990, ne saurait être discuté. Que l'Alliance atlantique ait complété son rôle statique et défensif par un rôle d'intervention sur des champs d'opération ne fait pas problème : toutes les armées occidentales ont opéré leur mutation en ce sens. Au Kosovo, en Bosnie, l'OTAN a un rôle à jouer.

2. Qui décide de l'intervention de l'Alliance ?

En tant que force de projection, l'OTAN a vocation à intervenir sur des champs d'opération sur décision de ses membres, soit dans le cadre de la clause d'assistance mutuelle, soit sur mandat du Conseil de sécurité de l'ONU.

Nous avons évoqué le rôle de projection de l'OTAN, acquis au cours de la décennie précédente, alors que la fin du glacis soviétique réveillait les passions nationalistes dans les régions orientales de l'Europe. Ce rôle nouveau de l'Alliance n'est pas contestable ; encore faut-il qu'elle bénéficie à cet égard d'un mandat clair.

L'Alliance atlantique n'est pas légitime pour se substituer au Conseil de sécurité de l'ONU, dans les cas où elle n'intervient pas sur la base de la légitime défense de l'un de ses membres. De ce point de vue, l'intervention au Kosovo, lors de laquelle l'OTAN a engagé le combat sans l'aval du Conseil de sécurité, ne saurait être vue comme un précédent. Il s'agissait d'un cas bien particulier, où le choix était entre l'inaction qu'eût immanquablement entraînée le passage par le Conseil de sécurité, du fait du probable veto russe, et la protection et la défense de populations menacées. Ce cas précis ne saurait conduire à l'élaboration d'une doctrine générale, qui voudrait que l'Alliance intervînt lorsque ses membres le décident, peu importent les règles du droit international.

L'idée que l'Alliance atlantique ait le droit de décider elle-même du recours à la force, au motif qu'elle ne rassemble que des « démocraties libérales qui, depuis sa création, n'ont pas manifesté l'intention de s'agrandir et n'ont pas ménagé leurs efforts pour assurer la paix et la stabilité »24, est totalement infondée. N'en déplaise à certains, le système international reste organisé autour du principe de souveraineté des États et du principe « Un État, une voix » : c'est pourquoi des décisions aussi graves que celles de recourir à la force contre un autre État doivent, sauf cas de légitime défense, être prises par le Conseil de sécurité de l'ONU, qui demeure la seule instance internationale légitime en droit. Le fait que les membres de l'ONU fonctionnent ou non, sur le plan interne, selon les principes démocratiques n'est pas un critère de remise en cause de ce principe au regard du droit international. Reconnaître un droit de légitimation du recours à la force à l'Alliance atlantique reviendrait à favoriser des mesures de rétorsion et donc à ouvrir la boîte de Pandore.

Que ferions-nous, cependant, dans le cas d'une crise du type de celle du Kosovo, en 1998 ? Ainsi, dans l'hypothèse d'un « Kosovo bis » en Europe, l'inaction ne serait pas envisageable, sans que pour autant on puisse dès aujourd'hui définir un mécanisme qui respecte le droit international tout en permettant de faire cesser une violation manifeste aux droits de l'homme ainsi que le risque d'une déstabilisation de la sécurité régionale. Ce mécanisme éviterait les tentations d'interventions fondées sur une interprétation discutable du droit de légitime défense, qui pourraient conduire à des expériences malheureuses comme en Irak.

3. Quel est le champ géographique d'intervention de l'Alliance ?

Aujourd'hui, c'est un fait : l'Alliance est présente bien au-delà des frontières européennes ou nord-américaines. Cependant, faute d'un débat ouvert sur le sujet, la légitimité de l'Alliance atlantique à intervenir hors d'Europe n'est pas acquise, mais reste à construire.

A ce jour, le réalisme impose de constater que les interventions de l'OTAN dans ce qu'il est convenu d'appeler le « hors zone » posent de nombreux problèmes, parce qu'elles répondent à une logique du cas par cas, sans cadre préalablement défini. Même dans un cadre international clair, où l'OTAN intervient comme le bras armé de l'ONU, la force internationale d'assistance présente en Afghanistan (FIAS) bute, de manière récurrente, sur le manque d'enthousiasme des alliés européens à fournir les matériels nécessaires à la mission, comme l'illustra, en 2003, la « controverse des hélicoptères ». Telle est bien la raison pour laquelle la FIAS n'est guère présente au-delà de Kaboul, ce qui pourrait poser de sérieux problèmes dans l'avenir. De même, l'implication de l'OTAN en Irak, très limitée, a suscité d'importants débats dans l'Alliance. On peut se demander dans quelle mesure les difficultés matérielles invoquées n'expriment pas également des réticences politiques à l'égard de l'extension indéfinie du champ de l'Alliance.

La question de savoir si ces missions renforcent ou affaiblissent l'Alliance mérite d'être posée. Dès 1990, alors que les Américains orientaient le débat vers la politisation et la globalisation de l'Alliance, la France dénonçait la création d'une nouvelle « Sainte Alliance ». Le bilan mitigé de l'OTAN en dehors d'Europe et les tensions importantes que de telles missions suscitent dans l'Alliance, s'agissant notamment de la lutte contre le terrorisme, sont susceptibles d'affaiblir l'Alliance, à l'inverse de l'objectif initial de renforcement de celle-ci que de telles missions sont censées favoriser.

La mission propose donc que soit mise en débat et définie, au sein de l'OTAN, une doctrine préalable, qui éviterait de complexes négociations au cas par cas. Cette doctrine permettrait de définir précisément à quelles conditions et dans quelles circonstances l'Alliance est fondée à intervenir en dehors de sa zone « naturelle ».

Les développements qui précèdent le montrent bien, nul n'est, aujourd'hui, capable d'expliquer clairement quelle la mission de l'Alliance ni quelle est la justification, juridique ou morale, de ses interventions - lorsque celles-ci ne s'inscrivent pas dans la mission de défense collective. Tout au contraire, tous les membres de l'Alliance entretiennent l'ambiguïté la plus totale sur ces questions.

Une telle situation n'est pas satisfaisante. La mission considère que, s'il y a lieu de prendre des mesures de réorganisation de l'Alliance pour mieux y répartir les responsabilités et affirmer le rôle de l'Europe en son sein, il n'est pas souhaitable de donner à cette Alliance rénovée le rôle d'une sorte d'« ONU des pays riches de l'hémisphère Nord » et d'élargir sa mission. Pour éviter ce risque, une réflexion collective s'impose pour définir clairement le rôle, les conditions et le champ d'intervention de l'OTAN à l'avenir.

CONCLUSION

Loin des discours alarmistes et des analyses à l'emporte-pièce, le constat de la mission est simple : ce qui unit l'Europe et les États-Unis est bien supérieur à ce qui les divise.

La liste des points de friction, voire de crise transatlantique, peut paraître impressionnante : certes, la protection de l'Europe n'est plus la priorité absolue de l'appareil diplomatique et militaire américain depuis 1989, non que les États-Unis ne veulent plus protéger l'Europe mais parce qu'ils considèrent qu'elle n'a plus besoin de l'être comme par le passé ; certes, les États-Unis sont une puissance d'une ampleur sans égale qui développe, de ce fait, une vision et une pratique des relations internationales plus unilatéralistes et donc moins conformes à la tradition du droit, n'hésitant pas à recourir à la force ; certes, l'Europe et les États-Unis s'affrontent de manière récurrente en matière commerciale ; certes, sur le plan des valeurs, les États-Unis ont-ils développé un corpus qui leur est propre et que ne partage pas nécessairement le reste du monde ; certes, enfin, le degré d'organisation de l'Europe et sa capacité à agir militairement de manière autonome constituent-ils un sujet de crise potentiel, à tout le moins de tensions larvées.

Qui niera cependant que l'alliance entre l'Europe et les États-Unis est la plus solide à long terme et la plus conforme à l'intérêt de chacune des parties ? Si l'Europe n'est plus au centre des préoccupations stratégiques des États-Unis, c'est parce que l'alliance militaire qui les unit au sein de l'Alliance atlantique a pleinement joué son rôle pendant la guerre froide. Cela signifie-t-il pour autant que les États-Unis vont se retourner pour construire une alliance durable avec la Chine ou l'Inde ? Sur le plan international, les objectifs de sécurité et de stabilité sont communs aux États-Unis comme à l'Europe et se déclinent chaque jour, par un même engagement contre le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive ainsi que par une vision partagée des règles du commerce mondial. Quant au débat sur les valeurs, faut-il rappeler que les États-Unis et l'Europe partagent, avec un nombre très limité de pays, l'attachement au respect des droits fondamentaux de la personne ?

Ce constat simple et clair ne se fonde pas sur quelque sentimentalisme que ce soit, approche dont on relèvera au passage qu'elle a trop longtemps prévalu dans les relations franco-américaines. Il résulte d'une analyse objective des liens qui unissent l'Europe et les États-Unis, donc du simple pragmatisme. C'est d'ailleurs du même pragmatisme, et non sur le fondement d'une profession de foi gratuite, que relève la conviction de la mission selon laquelle les relations transatlantiques doivent rester fortes : au vu de l'intégration économique entre les deux entités et au regard des enjeux de sécurité, les États-Unis et l'Europe n'ont tout simplement pas les moyens de s'offrir le luxe d'un affaiblissement des relations mutuelles qu'elles entretiennent.

Reste à inventer les formes de ce nouveau partenariat, alors que les fondements de l'alliance transatlantique actuelle ont été forgés durant la guerre froide, c'est-à-dire dans un contexte stratégique radicalement différent.

Tel est l'objectif des propositions contenues dans le présent rapport, qui renouvelleraient profondément les relations transatlantiques si elles étaient mises en oeuvre.

L'objectif du nouveau contrat transatlantique est clair : resserrer, en les organisant mieux, les liens entre l'Europe et les États-Unis. Il s'agit de lever les ambiguïtés pesant sur les relations transatlantiques, dangereuses à terme pour l'efficacité de notre action commune face aux défis internationaux contemporains.

Les moyens de ce nouveau contrat le sont tout autant : en matière militaire et stratégique, négocier le « partage du fardeau » contre celui de la décision ; en matière politique, économique et commerciale, institutionnaliser et systématiser le dialogue pour une efficacité pratique et une coopération accrues.

Encore faut-il, il est vrai, que les États-Unis soient intéressés par ce nouveau contrat et qu'ils ne se satisfassent pas du maintien du statu quo qui, face à la diversité européenne, les met, croient-ils, en position de force. Il faut qu'ils en prennent leur parti : dans les années qui viennent, l'Union européenne progressera vers l'unité politique et une organisation collective de sa défense. L'intérêt des États-Unis est de définir des relations nouvelles avec l'Union européenne.

EXAMEN EN COMMISSION

Le rapport de la mission d'information sur les relations entre l'Europe et les États-Unis a été présenté au cours de la réunion du mardi 11 octobre 2006.

Après l'exposé du rapporteur, un débat s'est engagé.

Avant que ne s'engage la discussion, le Président Edouard Balladur a rappelé que la Commission avait à autoriser la publication du rapport de la mission d'information et que les éventuelles appréciations personnelles des membres de la Commission figureraient dans le compte rendu qui sera annexé au rapport de la mission.

M. Hervé de Charette a tout d'abord indiqué tout l'intérêt que présentaient pour lui les propositions de la mission d'information, précises, concrètes, et, pour plusieurs d'entre elles, originales. Il est intéressant de noter que ces propositions reposent sur l'idée essentielle que les relations entre l'Europe et les États-Unis doivent être marquées par une coopération stable et durable. La proposition consistant à créer un secrétariat commun entre l'Europe et les États-Unis - l'une des plus remarquables de toutes celles avancées par le Rapporteur - mériterait d'être précisée quant à la composition de cet organe, son siège ainsi que ses missions concrètes.

En ce qui concerne les questions de défense, la septième proposition - la formulation d'un nouveau concept stratégique clarifiant la mission de l'OTAN - est la plus fondamentale. Un nouveau concept stratégique pour l'Alliance est en effet aujourd'hui nécessaire. Néanmoins, on peut s'interroger sur notre capacité à convaincre les États-Unis d'accepter un tel changement. Il n'est qu'à participer aux réunions du Conseil de l'Alliance, où la suprématie des États-Unis est flagrante, pour se convaincre que ce pays refusera toute évolution en ce domaine. A ce propos, et à titre d'illustration, on peut rappeler qu'au tout début de son septennat, le Président Jacques Chirac, avait tenté d'obtenir une modification de l'organisation des commandements au sein de l'OTAN. Les États-Unis, avec qui notre pays avait alors pourtant une relation très cordiale, lui ont fermement opposé une fin de non-recevoir.

Tout en s'interrogeant sur nos capacités à les mettre en œuvre, M. Hervé de Charette a conclu en se déclarant également très intéressé par la proposition d'un plan pluriannuel de coordination et de progression des dépenses de défense de l'Union européenne ainsi que par celle relative à la constitution d'un « quad » élargi à six membres et au rééquilibrage des commandements dans l'OTAN.

Le Président Edouard Balladur a souligné que le rapport de la mission d'information laissait clairement apparaître que, plus l'Europe existerait au plan international, plus les chances d'un rééquilibrage de la relation transatlantique se feraient jour. Il a ajouté que la mission était consacrée aux relations entre l'Europe et les États-Unis, mais que les rapports entre ce pays et la France étaient évidemment abordés, puisque cette dernière n'est pas l'allié le plus docile de notre partenaire américain.

M. Paul Quilès a salué la qualité du travail de la mission, en considérant qu'il était nécessaire, car depuis la définition du concept stratégique de l'OTAN en 1999, peu d'analyses globales avaient été produites sur ce sujet. Quand les questions ne sont pas posées dans toute leur ampleur, nul ne peut s'étonner que des réponses seulement partielles leur soient apportées. Le rapport de la mission d'information a l'insigne mérite d'aborder la problématique de manière complète en montrant les limites de la situation actuelle. Le déroulement des travaux de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN est de ce point de vue tout à fait édifiant, car il permet de mesurer à quel point une inégalité profonde demeure entre les partenaires. La question est bien de savoir à quoi sert l'OTAN. Cette organisation est-elle un outil au profit de l'Europe ou des États-Unis ? Est-ce une organisation politique ou militaire ? On constate que, sur ces questions, des conceptions plurielles existent, y compris aux États-Unis.

Après que le Président Edouard Balladur eut considéré que la véritable question était de savoir à qui servait l'OTAN, M. Paul Quilès a estimé qu'il serait difficile d'y apporter une réponse, en particulier si l'Europe devait se construire sous influence américaine, comme on a pu le voir lors de l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Turquie. Ce n'est sans doute pas là la meilleure façon d'envisager une clarification des relations transatlantiques. Les propositions avancées par la mission d'information sont aussi une bonne méthode pour montrer que le Parlement est actif sur ces questions. Il serait utile d'observer les réactions que le Gouvernement, et plus particulièrement le Ministre des Affaires étrangères, auront vis-à-vis des conclusions de ce rapport.

Le Président Edouard Balladur a indiqué que l'Assemblée parlementaire de l'OTAN tiendrait sa prochaine session à Paris au printemps 2006, ce qui donnerait aux parlementaires l'occasion d'observer directement la tonalité des relations entre les partenaires de l'organisation.

M. André Schneider a salué la noblesse des ambitions du rapport tout en partageant le scepticisme de M. de Charette quant à la possibilité de mise en œuvre de certaines des propositions. A l'occasion d'une réunion de l'Assemblée parlementaire de l'Union de l'Europe occidentale (UEO), il a eu l'occasion de mesurer l'arrogance, voire le mépris, que les militaires américains témoignent aux responsables politiques européens. Toujours dans le cadre de l'UEO, il a constaté que l'une des principales motivations de la République tchèque pour adhérer à l'Union européenne était sa volonté de se rapprocher de l'OTAN et de se placer ainsi plus étroitement sous la protection américaine.

Après avoir félicité le Rapporteur pour la précision de ses propositions, M. Jean-Louis Bianco a souhaité revenir sur certaines d'entre elles. Il a insisté sur le développement de la « diplomatie intellectuelle » car il est très important de stimuler la coopération entre universités françaises et américaines pour favoriser la naissance d'une nouvelle génération de spécialistes américains de la France. Les rencontres annuelles que le rapport propose de favoriser entre les chefs d'État pourraient aussi concerner les commissions parlementaires. Les relations entre les seuls pouvoirs exécutifs ne sauraient suffire à faire tomber les préjugés.

La création de nouveaux organes européens proposée par le Rapporteur risque de nuire à la lisibilité, déjà très relative, des organes communautaires et nationaux en charge des relations internationales, même si l'idée de placer le secrétariat euro-américain auprès du Président du Conseil est pertinente.

Depuis 1999, la réflexion stratégique sur le rôle de l'OTAN face aux menaces et vis-à-vis des autres institutions n'a guère évolué. L'OTAN a souvent l'image d'un vecteur des droits de l'homme, ce qui pourtant ne relève pas de manière évidente de ses missions. Il a estimé que la première étape indispensable devait consister à harmoniser la vision que les Européens ont de la relation transatlantique.

M. Jacques Myard s'est montré dubitatif sur les conclusions du rapport. Le différend n'oppose pas les États-Unis et l'Europe dans son ensemble, mais les États-Unis et la France. Les autres pays européens sont en effet alignés sur les positions américaines. On ne peut pas espérer donner une identité à l'Europe face aux États-Unis dans le cadre d'un « quad » élargi à six membres au sein duquel les positions françaises seraient forcément minoritaires. A l'occasion du dernier sommet de l'OTAN, le Ministre des Affaires étrangères français a été très surpris d'être le seul à émettre des doutes sur la pertinence de l'utilisation de l'OTAN comme un moyen de coopération en Afrique. Pour rééquilibrer les relations entre l'Europe et les États-Unis, l'OTAN est un mauvais instrument, car les États-Unis ne renonceront jamais à leur mainmise sur cette organisation, et le « quad à six » proposé ne permettra pas de progresser. Le seul moyen est d'affirmer plus fermement les positions françaises.

M. Jacques Myard a ajouté que les rapports entre les États-Unis et l'Europe n'étaient pas aussi inégalitaires qu'on pouvait le penser. Car le concept d'hyperpuissance connaît aujourd'hui d'évidentes limites, tous les problèmes du monde contemporain ne pouvant se résoudre par l'usage des moyens militaires. C'est dans ce contexte que la France peut jouer un rôle déterminant.

M. Loïc Bouvard a approuvé le constat établi par la mission concernant la relation entre la France et les États-Unis et la demande qui tendait à permettre une meilleure compréhension de la France outre atlantique et à renforcer les liens entre les deux pays. L'élite américaine constate encore aujourd'hui l'importance de la France dans le monde et les échanges renouvelés franco-américains permettront d'éloigner les mauvais souvenirs liés à la guerre en Irak. Il a demandé qui pourrait être l'interlocuteur responsable des relations France-États-Unis que préconise le rapport.

M. Axel Poniatowski a précisé que la désignation d'un coordinateur proposée par la mission visait la relation entre les États-Unis et l'ensemble des États membres de l'Union européenne dont il serait souhaitable de coordonner et d'harmoniser les positions.

M. Loïc Bouvard s'est déclaré plus dubitatif sur le second volet du rapport. Depuis les dernières vingt-cinq années, en tant que membre de la délégation française à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, il a constaté que les délégations américaine et britannique n'ont jamais accepté l'idée d'un interlocuteur unique pour l'Europe ni celle d'un « european caucus ». Alors que l'OTAN a toujours été un instrument hégémonique au service des États-Unis, l'ancien représentant des États-Unis à l'OTAN, M. Nicholas Burns, avait exprimé dans le passé sa crainte que la France n'ait l'ambition de détruire l'organisation en proposant une politique de défense en Europe. Mais, de fait, les États membres de l'Union n'ont partagé que trop rarement la position française et l'OTAN reste l'organisation de référence. Inverser la tendance semble difficile.

Le Président Edouard Balladur a précisé que le groupe des quatre États (le « quad ») existait déjà. Il a demandé en quoi un élargissement à six, selon M. Bouvard, serait une opération trop complexe à réaliser.

M. Loïc Bouvard a estimé que le poids relatif des États dans l'Alliance ne pouvait être rééquilibré dès lors que les Américains entendaient décider seuls et contribuaient pour l'essentiel au budget de l'organisation. Si l'OTAN sert à la défense collective de l'Europe, combien de temps faudrait-il aux États européens pour allouer un budget au niveau de celui des États-Unis et, de ce fait, renforcer leur poids même dans l'organisation ?

M. Loïc Bouvard a conclu que si les propositions du rapport étaient bonnes, il émettait en revanche quelques doutes sur leur mise en application.

En réponse aux différents intervenants, M. Axel Poniatowski a apporté les éléments suivants :

- La relation institutionnelle établie entre l'Union européenne et les États-Unis est complexe et fonctionne mal. Le sommet annuel entre le Président des États-Unis et le Président du Conseil européen est sans grand intérêt ; les consultations bi-annuelles entre les administrations et la réunion de groupes de travail s'avèrent assez peu productives. L'objectif de la proposition est d'organiser ces relations au niveau des États et de charger un secrétariat euro-américain, placé auprès du Président du Conseil, de l'organisation de ces relations de haut niveau. Par ailleurs, l'autre intérêt majeur de la constitution d'un secrétariat permanent réside dans le fait qu'elle permettrait d'instituer une relation de travail continue, ce qui n'existe pas aujourd'hui dans les relations entre les États-Unis et l'Union européenne.

- On ne peut pas affirmer que le poids de la France demeure marginal au sein de l'OTAN. Ainsi, lors de l'opération menée au Kosovo, le rôle de notre pays a été des plus notables. L'une des raisons qui expliquent cependant notre faiblesse est que la France ne participe ni au Comité des plans de défense ni à celui des plans nucléaires, le rapport de la mission d'information ne prenant toutefois pas parti sur ce point.

- La situation des relations transatlantiques n'est pas aussi figée que certains l'estiment. On peut penser que les pays d'Europe centrale et orientale, dont les liens étroits avec les États-Unis et l'attachement à l'OTAN s'expliquent par leur histoire, évolueront dans les années à venir. De ce point de vue, on peut aussi imaginer que nous pourrons rallier à nos thèses nos partenaires, y compris le Royaume-Uni qui a beaucoup évolué sur ces questions depuis dix ans, notamment lors du sommet de Saint- Malo en 1998. On constate aussi que l'interopérabilité entre les armées européennes a beaucoup progressé depuis une décennie.

- Lorsque l'on se déplace aux États-Unis, on peut observer que les parlementaires français sont reçus de manière très différente au Département d'État et au Pentagone. On est cependant frappé par le pragmatisme des Américains. Ils respectent les rapports de force. Ainsi alors même qu'ils ont pu s'opposer farouchement à des projets européens, souvent inspirés par la France, comme Galileo, Ariane ou Airbus, ils reconnaissent aujourd'hui que les Européens ont finalement eu raison de s'engager dans ces entreprises qui ont connu le succès.

- Dans le cadre de la « diplomatie intellectuelle » que le rapport propose d'intensifier, il importe qu'un effort soit mené en direction des universités non plus seulement de la côte Ouest ou Est mais aussi vers le reste du territoire américain.

En conclusion, le Président Edouard Balladur a tenu à rappeler que les relations entre l'Europe et les États-Unis souffraient de l'inégalité entre les deux partenaires. On peut se résigner en acceptant le statu quo au nom d'un conservatisme intellectuel. On peut, en revanche, faire des propositions pour permettre de progresser, et ce même si la France est la seule à prendre cette initiative. C'est ici, de manière profonde, la question même de l'action politique qui est posée. Nous avons tout intérêt à ce que la France affirme ses idées et ses principes même si ses partenaires européens ne la suivent pas dans l'immédiat, car les situations et les esprits évoluent.

Concernant le secrétariat qu'il est proposé d'instituer, il convient de souligner qu'il sera placé aux côtés du président du Conseil européen. Sans doute des problèmes de répartition de compétence demeureront entre le Conseil, le représentant de la PESC et le Commissaire chargé des relations extérieures de l'Union européenne ; mais cette difficulté n'est pas nouvelle et ne sera surmonté que le jour où les rapports entre le Conseil et la Commission seront clarifiés.

Le Président Edouard Balladur a conclu en disant que les propositions de la mission avaient le mérite d'ouvrir des pistes de réflexion qui seront évidemment transmises au Gouvernement pour qu'il fasse connaître son point de vue.

La Commission a ensuite autorisé la publication du rapport d'information.

LISTE DES PERSONNALITÉS ENTENDUES PAR LA MISSION

A l'Assemblée nationale

_ M. Alain Dejammet, ancien ambassadeur de France auprès des Nations unies (1er décembre 2004)

_ M. Gilles Andréani, directeur du Centre d'analyse et de prévision du ministère des Affaires étrangères, M. Philippe Errera, directeur adjoint, et M. Justin Vaïsse, chargé de mission (8 décembre 2004)

_ M. François Heisbourg, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) (15 décembre 2004)

_ Son Excellence M. Howard Leach, Ambassadeur des États-Unis d'Amérique (12 janvier 2005)

_ M. Thierry de Montbrial, directeur de l'Institut français des relations internationales (IFRI) (12 janvier 2005)

_ M. Pascal Boniface, directeur de l'Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) (19 janvier 2005)

_ M. Dominique Moïsi, Conseiller spécial de l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI) (19 janvier 2005)

_ M. Bruno Tertrais, maître de recherche à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS) (26 janvier 2005)

_ M. Marc Perrin de Brichambaut, directeur chargé des Affaires stratégiques au ministère de la Défense (26 janvier 2005)

_ M. Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères (2 février 2005)

_ M. Pierre Hassner, professeur à l'Institut d'études politiques de Paris et à l'European Center de l'université Johns Hopkins à Bologne (9 février 2005)

_ M. Alain Juppé, ancien Premier ministre, ancien ministre des Affaires étrangères (16 février 2005)

_ Mme Nicole Gnesotto, directrice de l'Institut de sécurité de l'Union européenne (2 mars 2005)

_ Général Henri Bentégeat, chef d'État-major des armées (Ministère de la Défense) (2 mars 2005)

_ M. Francis Delon, secrétaire général de la Défense nationale (23 mars 2005)

_ M. Jean-David Lévitte, ambassadeur de France aux États-Unis (30 mars 2005)

_ M. François Bujon de l'Estang, ancien ambassadeur de France aux États-Unis (13 avril 2005)

_ M. David Harris, directeur exécutif de l'American Jewish Committee (AJC) (14 avril 2005)

_ M. Xavier Musca, directeur général de la direction du Trésor et de la politique économique au Ministère de l'Economie et des Finances (25 mai 2005)

A Bruxelles (6 avril 2005)

_ Son Excellence M. Benoît d'Aboville, Ambassadeur représentant permanent de la France auprès de l'OTAN, Mmes Christine Fages et Muriel Domenach, conseillers auprès de la délégation permanente de la France à l'OTAN, Général Var, représentant militaire adjoint et Général Leroy, chef de la mission militaire française à Shape

_ M. Evan Galbraith, ancien ambassadeur à Paris, conseiller militaire de la délégation permanente des États-Unis à l'OTAN, M. Clarence Juhl, conseiller de défense adjoint, et M. Stuart Seldowitz, conseiller politique auprès de la délégation permanente des États-Unis à l'OTAN

_ Général Jones, SACEUR, commandant suprême des forces alliées en Europe, M. Kuzell, conseiller politique du SACEUR pour les affaires françaises, M. John Koenig, représentant permanent adjoint, chargé d'affaires a.i. des États-Unis, M. Peter Ricketts, représentant permanent du Royaume-Uni auprès de l'OTAN, M. Reyels, représentant permanent de l'Allemagne auprès de l'OTAN, M. Ed Kronenburg, directeur de cabinet du Secrétaire général de l'OTAN

_ M. Jerzy Nowak, représentant permanent de la Pologne auprès de l'OTAN

_ M. Struye de Swielande, représentant permanent de la Belgique auprès de l'OTAN

_ M. Alessandro Minuto Rizzo, secrétaire général adjoint de l'OTAN

A Berlin (20 avril 2005)

_ Son Excellence M. Claude Martin, Ambassadeur de France en Allemagne

_ M. Karsten Voigt, coordinateur pour les relations germano-américaines du ministère des affaires étrangères allemand

_ M. Bernd Mützelburg, conseiller diplomatique du Chancelier allemand

_ M. Volker Rühe, président de la commission des Affaires étrangères du Bundestag

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N° 2567 - Rapport d'information de M. Axel Poniatowski déposé en application de l'article 145 du Règlement par la commission des affaires étrangères sur les relations entre l'Europe et les États-Unis

1 () Aux termes de cet article, « les Parties conviennent qu'une attaque armée contre l'une ou plusieurs d'entre elles, survenant en Europe ou en Amérique du Nord, sera considérée comme une attaque dirigée contre tontes les Parties ; en conséquence, elles conviennent que si une telle attaque se produit, chacune d'elles... assistera la Partie ou les Parties ainsi attaquées en prenant aussitôt... telle action qu'elle jugera nécessaire, y compris l'emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l'Atlantique Nord. »

2 () Cf. p. 40 sqq.

3 () Nombre d'habitants dans l'Union européenne après les élargissements de 2007 à la Roumanie et à la Bulgarie.

4 () Frédéric Bozo, Where does the Transatlantic Alliance Stand ? The Improbable Partnership, notes de l'IFRI,1998.

5 () L'interopérabilité peut être définie comme la capacité, pour les différents acteurs de l'OTAN, à agir ensemble, sans contrainte technique imprévue. Elle implique que les forces militaires de l'Alliance doivent pouvoir remplir leurs missions sans considération des différences techniques entre les différents systèmes qu'elles utilisent et sans obligation d'instruction complémentaire.

6 () Le Concept stratégique de l'Alliance précise que l'objectif de l'Alliance est de « renforcer la sécurité et la stabilité de la région euro-atlantique ».

7 () La France fournit près du quart des moyens de la force initiale et des états-majors de la composante terre-air-mer, soit la deuxième contribution à la force de réaction rapide.

8 () Samuel Huntington, Who Are We? The Challenges to America's National Identity, Simon & Schuster, 2004.

9 Source : Changing America : Indicators of Social and Economic Well-Being by Race and Hispanic Origin, publié par le Comité des conseillers économiques pour l'initiative du président Clinton sur la question raciale, en septembre 1998.

10 () Sur ce rôle de catalyseur du 11 septembre, on lira avec profit Bruno Tertrais, La guerre sans fin, Seuil, 2004.

11 () Arrêt Goldman vs. Weinberger, 1986. Cf. sur ce point les analyses de Denis Lacorne, La crise de l'identité américaine, Du melting-pot au multiculturalisme, Gallimard, 2003, p. 41.

12 Sondage réalisé en juin 2005 pour le compte du mouvement Ari (financé par la fondation Soros) et du groupe KOC auprès de 1 250 personnes âgées de plus de 18 ans de quinze villes de Turquie et de zones rurales.

13 () Etude d'Euro RSCG Worldwide, Octobre 2004.

14 () Daniel Hamilton, Joseph Quinlan, Le Figaro, 3 décembre 2003.

15 () Enquête réalisée par téléphone aux États-Unis, au Canada, en Grande-Bretagne, France, Allemagne, Espagne, aux Pays-Bas, en Russie, Pologne, Turquie, Jordanie, Indonésie, Chine, Inde et au Pakistan, Liban, Maroc. Disponible sur le site www.pewglobal.org.

16 () Loi n° 2003-709 du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations. Elle prévoit notamment l'assouplissement des statuts et l'amélioration du statut fiscal des fondations

17 () Sur le papier, les droits de vote des États membres de l'Union atteignent 31,92 % au FMI et 27,98 % à la Banque mondiale, contre respectivement 17,11 % et 16,39 pour les États-Unis. Sachant que les décisions importantes doivent être adoptées au FMI à 85 % des droits de vote et à la Banque mondiale à 3/5 des membres représentant au moins 85 % des droits de vote, les États-Unis disposent d'un droit de veto dans les deux institutions.

18 () Les conseils d'administration du FMI et de la Banque mondiale sont composés de 24 membres qui représentent soit un pays (États-Unis, Allemagne, Japon, Royaume-Uni, France, Chine, Russie, Arabie Saoudite) soit un groupe de pays appelés circonscriptions. La plupart des États membres de l'Union appartiennent à des circonscriptions, qui ne comptent pas toujours que des États membres, ou sont membres de circonscriptions dans lesquelles ils sont minoritaires. Dans ces conditions, certains doivent faire des compromis pour être élus à la présidence de leurs circonscriptions ou ne sont pas en mesure de faire adopter par leur représentant la position éventuellement définie au niveau européen. Cela limite et complique évidemment la coordination européenne.

19 () A Washington, en 1999, les chefs d'État et de gouvernement des pays de l'OTAN lancèrent une initiative sur les capacités de défense dont l'objectif de cette initiative était d'améliorer les capacités de défense des États membres de l'Alliance dans le but de garantir l'efficacité des futures opérations multinationales. Il s'agissait notamment de mettre l'accent sur l'amélioration de l'interopérabilité entre les forces de l'Alliance et, le cas échéant, entre les forces de l'Alliance et celles de leurs partenaires. Cette initiative n'ayant pas produit les résultats escomptés, de nouveaux objectifs ont été fixés lors du sommet de l'OTAN à Prague en 2002. Les chefs d'État et de gouvernement se sont mis d'accord sur des objectifs par pays et des délais fermes en vue d'améliorer les capacités existantes et d'en développer de nouvelles dans des domaines spécifiques. L'Alliance a mis en place des mesures permettant de faire un suivi et un bilan des progrès réalisés. L'objectif est de s'assurer que l'OTAN pourra remplir ses engagements opérationnels présents et futurs et faire face aux nouvelles menaces que représentent le terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive.

20 () On lira à ce sujet l'intéressant article de Jean-François Morel, « L'OTAN depuis le 11 septembre 2001 : une alliance à la recherche de nouvelles missions », Bulletin d'histoire politique, vol. 13, n° 3.

21 () Au cours des décennies passées, un groupe informel connu sous le nom de « quad », composée des États-unis, de la France, du Royaume-Uni et de l'Allemagne se réunissaient au sein de l'Alliance et permettait de coordonner l'action des principaux alliés de l'OTAN. Ce groupe pouvait être élargi en tant que de besoin, selon les sujets abordés. Il ne se réunit plus depuis quelques années.

22 () D'après Le Figaro du 3/10/2005, 50 % des généraux et 25% des officiers seraient étrangers.

23 () La Russie a d'ailleurs récemment proposé de s'y associer, ce qui pose la question de la compatibilité entre partenariat et participation à une mission de sécurité collective... et souligne toute la difficulté à définir aujourd'hui le rôle de l'OTAN. Tout État européen, rappelons-le, a vocation à devenir membre de l'Alliance au terme de l'article X du traité de Washington.

24 () Richard Perle in Commentaire n° 101, printemps 2003.