N° 3739 - Rapport d'information de Mme Martine Carrillon-Couvreur déposé en application de l'article 145 du règlement par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales en conclusion des travaux d'une mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale sur l’action sociale du régime général de sécurité sociale et l’action sociale des collectivités territoriales




N° 3739

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 20 février 2007

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES, FAMILIALES ET SOCIALES
en conclusion des travaux de la mission d'évaluation et de contrôle
des lois de financement de la sécurité sociale

sur

l'action sociale du régime général de sécurité sociale
et l'action sociale des collectivités territoriales

ET PRÉSENTÉ

par Mme Martine CARRILLON-COUVREUR

Députée.

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INTRODUCTION 7

I. - L'ACTION SOCIALE : UN DOMAINE COMPLEXE DE L'ACTION PUBLIQUE 11

A. L'ACTION SOCIALE REGROUPE DES INTERVENTIONS SOCIALES DIVERSIFIÉES ET EN FORTE CROISSANCE 11

1. La notion d'action sociale est mal définie et le cadre juridique est instable 11

a) La notion d'action sociale est mal définie 11

b) Le cadre juridique de l'action sociale a été renouvelé mais reste instable 13

2. Le champ des interventions d'action sociale est très vaste 14

a) Les objectifs et les publics de l'action sociale sont divers 14

b) Les aides sociales légales sont nombreuses 15

c) Les actions sociales facultatives sont très diversifiées 16

3. Les dépenses d'action sociale sont en forte croissance 19

a) L'action sociale représente 13 % des dépenses de protection sociale 19

b) L'information sur l'action sociale des collectivités territoriales est insuffisante 20

c) Les départements ont consacré, en 2005, 23,1 milliards d'euros à l'action sociale 20

d) Les communes de plus de 10 000 habitants ont affecté près de 1,6 milliard aux dépenses d'action sociale et de santé 23

e) Le régime général de sécurité sociale a affecté 4,3 milliards d'euros à son action sociale facultative 24

4. La décentralisation a entraîné une forte progression des personnels dédiés à l'action sanitaire et sociale 25

B. L'ÉCLATEMENT DES COMPÉTENCES EN MATIÈRE D'ACTION SOCIALE REND SON PILOTAGE DIFFICILE 26

1. Les compétences en matière d'action sociale sont éclatées et enchevêtrées : le principe de déspécialisation est poussé à l'extrême 27

a) La compétence de droit commun du département est désormais clairement affirmée 27

b) Les communes conservent des compétences d'action sociale importantes 30

c) La sécurité sociale continue à gérer ses compétences historiques 32

2. La pluralité des réseaux entraîne des difficultés de pilotage et de mise en cohérence des actions sociales menées par les différents acteurs 35

a) Le pilotage du réseau des collectivités territoriales n'est pas possible 35

b) Les branches du régime général de sécurité sociale éprouvent des difficultés pour repositionner leur action sociale et pour piloter le réseau des caisses locales 36

c) La Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie s'insère difficilement dans un dispositif institutionnel déjà très complexe 41

d) L'État est relativement peu actif au plan local 42

e) Les associations jouent un rôle important 42

II. - AMÉLIORER LA COORDINATION ET DÉCLOISONNER LE SOCIAL ET LE MÉDICO-SOCIAL AVEC LE SANITAIRE POUR MIEUX RÉPONDRE AUX NOUVEAUX BESOINS 45

A. ÉLARGIR LA MAÎTRISE D'œUVRE DU DÉPARTEMENT SUR L'ACTION SOCIALE ET COORDONNER CELLE-CI AVEC LE SANITAIRE 45

1. Le département s'affirme comme chef de file de l'action sociale 45

a) Les départements poursuivent leur montée en charge 45

b) Les communes continuent de jouer un rôle important 47

c) La sécurité sociale souhaite demeurer un acteur de l'action sociale 48

2. La coexistence de deux réseaux pose des problèmes de coordination 49

a) Les légitimités et les logiques d'organisation sont différentes 49

b) Des tensions apparaissent et les arrangements passés entre les acteurs sont plus ou moins coopératifs 50

c) L'efficacité de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie est incertaine 50

d) Les dispositifs de coordination sont insuffisants 51

e) Des aménagements sont nécessaires pour affirmer la compétence du département et assurer la coordination des actions 52

f) Renforcer la planification sociale et médico-sociale au vu d'un diagnostic partagé 55

g) Inciter au développement de l'action sociale communautaire 55

3. Le cloisonnement avec le sanitaire est préjudiciable aux personnes et à l'efficacité du dispositif 56

a) Décloisonner le sanitaire, le social et le médico-social afin d'améliorer la qualité de l'accompagnement des personnes dans leur projet de vie 56

b) Instaurer le réseau santé-social régional 58

c) Expérimenter le transfert des services de soins infirmiers à domicile au département 60

d) Organiser la sortie de l'hôpital 60

e) Prévoir une obligation de coordination dans les autorisations des établissements 60

B - DONNER UN NOUVEAU SENS À L'ACTION SOCIALE ET ADAPTER L'OFFRE AUX NOUVEAUX BESOINS 61

1. De l'action sociale au développement social territorial 61

a) Promouvoir une conception renouvelée et plus large de l'action sociale par le développement social territorial 61

b) Privilégier la réponse personnalisée et globale autour du projet de vie 62

c) Mobiliser les intervenants sociaux et anticiper les besoins de recrutement 62

d) Développer le partage de l'information 64

e) Favoriser la concertation, l'évaluation, les échanges de bonnes pratiques et la recherche 66

2. Adapter les prestations d'action sociale aux nouvelles demandes et assurer la continuité de l'accompagnement des personnes dans leur projet de vie 67

a) Définir une politique globale d'accompagnement de la perte d'autonomie 67

b) Maintenir l'effort d'insertion 71

3. Prévoir les financements nécessaires et renforcer la péréquation 71

a) Prendre la mesure des besoins de financements croissants de l'action sociale 72

b) Réfléchir à des solutions de financement 73

c) Renforcer la péréquation pour corriger les inégalités territoriales 74

PRINCIPALES ORIENTATIONS 75

PROPOSITIONS 77

TRAVAUX DE LA COMMISSION 83

ANNEXES 87

ANNEXE 1 : COMPOSITION DE LA MISSION 87

ANNEXE 2 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 89

ANNEXE 3 : COMPTES RENDUS DES AUDITIONS 93

ANNEXE 4 : LISTE DES SIGLES UTILISÉS 271

ANNEXE 5 : RAPPORTS DE L'INSPECTION GÉNÉRALE DES AFFAIRES SOCIALES À LA MECSS 275

- Contribution à la cartographie de l'action sociale............ 277

- L'action sociale locale en direction des personnes âgées et des personnes handicapées dans les départements du Lot-et-Garonne, du Nord, du Rhône et du Val-de-Marne 449

INTRODUCTION

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a demandé à la Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS), sur sa proposition, de consacrer son dernier rapport thématique de la législature à « l'action sociale du régime général de sécurité sociale et l'action sociale des collectivités territoriales ». Le choix d'un sujet aussi large correspond à la volonté constante de la MECSS d'appréhender, autant que possible, les questions de protection sociale de manière décloisonnée. Cette approche est particulièrement justifiée s'agissant de l'évaluation de la politique d'action sociale, domaine de l'action publique qui a été fortement réformé depuis vingt ans et dans lequel les acteurs sont très nombreux. Le choix de ce thème s'inscrit aussi dans le souhait de la MECSS de prolonger et d'approfondir sa réflexion pour améliorer l'organisation de notre système de protection sociale, déjà abordé dans son premier rapport1, ou le financement des établissements d'hébergement des personnes âgées, qui a fait l'objet d'un rapport plus récent2.

Chaque jour, l'actualité nous rappelle l'impérieuse nécessité de l'action sociale, cet « ancêtre de la protection sociale ». Cela justifie amplement le choix de la MECSS.

Les problèmes sociaux auxquels il nous faut apporter une réponse satisfaisante pour les personnes concernées sont nombreux et même se multiplient. À côté des besoins permanents, de nouveaux besoins d'action sociale apparaissent liés à la pauvreté, à la précarité, à l'isolement et à la solitude, à la multiplication des ménages monoparentaux, au développement du travail des femmes, aux difficultés d'éducation et d'autorité, au développement des problèmes psychiques, au vieillissement de la population...

Les besoins nouveaux, individuels et sociétaux, en ce qu'ils nécessitent souvent un investissement humain important, prévenance et humanité, sont plus difficiles à satisfaire. Mais de la qualité des réponses apportées dépend l'insertion et, finalement, la cohésion nationale mais aussi territoriale. Cela nous oblige à questionner à nouveau le social pour l'adapter, sans cesse, à la demande de personnes qui sont souvent en situation de faiblesse et qu'il nous faut aider. Il s'agit au fond de revisiter la façon dont nous assurons notre devoir de solidarité. C'est aussi pour ces raisons que la MECSS a fait ce choix.

Pour mener ses investigations et son travail de réflexion sur l'action sociale, la MECSS a pu s'appuyer sur des expertises extérieures.

Elle a d'abord bénéficié de l'assistance de la Cour des comptes, désormais habituelle mais toujours aussi précieuse, et dont il convient de la remercier. La Cour, à la demande de la Mission, a effectué une enquête préalable sur l'action sociale du régime général de sécurité sociale, laquelle a fait l'objet d'une insertion dans son rapport annuel sur la sécurité sociale, publié au mois de septembre 2006.

Grâce à l'autorisation donnée par le ministre de la santé et des solidarités, la MECSS a également bénéficié, pour la première fois, du concours de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) qui s'est concrétisé par la remise à la MECSS de deux contributions écrites. La première, de portée générale, réalisée par deux inspecteurs, vise à établir une « cartographie de l'action sociale ». La seconde contribution, plus ciblée, concerne l'action sociale locale en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées menée dans quatre départements représentatifs de la diversité des territoires : le Nord, le Lot-et-Garonne, le Rhône et le Val-de-Marne. Quatre inspecteurs se sont rendus sur le terrain pour rencontrer, pendant un mois et demi, entre début novembre et mi-décembre 2006, les principaux acteurs locaux concernés des collectivités territoriales, de la sécurité sociale, des services de l'État, des associations d'opérateurs et d'usagers. Ce travail a fait l'objet d'un rapport d'étape puis d'un rapport final, qui sont publiés en annexe au présent rapport.

La MECSS remercie le ministre d'avoir autorisé cette collaboration ainsi que les chefs successifs de l'IGAS et les inspecteurs pour leur disponibilité : ils ont en effet réalisé ces travaux très instructifs et utiles à la Mission dans des délais brefs.

Grâce aux travaux préalables de la Cour des comptes et concomitants de l'IGAS, la MECSS a pu croiser les approches et approfondir ses analyses. Les investigations menées par l'IGAS ont notamment permis d'avoir « un retour » du terrain très utile.

La MECSS a, pour sa part, pendant quatre mois, auditionné les principaux acteurs nationaux et locaux de l'action sociale, notamment des quatre départements sélectionnés : la Cour des comptes pour la présentation de ses travaux, l'IGAS, trois fois, pour la présentation de ses rapports concernant l'action sociale, le directeur général de l'action sociale, à deux reprises, le directeur de la sécurité sociale, les directeurs des caisses nationales de sécurité sociale qui gèrent un fonds d'action sociale destiné au public, le directeur de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, le directeur de la Mutualité sociale agricole, le président de l'Union nationale des centres communaux d'action sociale, des représentants de l'Assemblée des départements de France et de l'Association des maires de France, des présidents de conseils généraux, des directeurs de services d'action sociale de collectivités territoriales, des directeurs de caisses régionales d'assurance maladie et des directeurs de caisses locales de sécurité sociale.

Le rapport examine tout d'abord la complexité de l'action sociale et les conséquences de l'éclatement des compétences (I). Il formule ensuite une série de propositions visant à améliorer la coordination et à décloisonner le social et le sanitaire mais aussi à donner un nouveau sens à l'action sociale et à améliorer l'effectivité des droits (II).

*

I. - L'ACTION SOCIALE : UN DOMAINE COMPLEXE DE L'ACTION PUBLIQUE

L'action sociale est le résultat d'une série d'évolutions intervenues depuis plus de deux siècles. Depuis ce que l'on a appelé « la charité », dans laquelle les Eglises jouaient un grand rôle, et qui recouvrait notamment les soins aux pauvres, en passant par la proclamation du droit des pauvres à l'assistance publique en 1789, la création d'un bureau de bienfaisance dans chaque commune en 1796, les lois sociales de la troisième République qui ont notamment prévu la création d'un bureau d'assistance dans chaque commune puis, en 1953, la fusion des bureaux d'assistance et des bureaux de bienfaisance en un bureau d'aide sociale, lequel sera transformé, en 1986, en centre communal d'action sociale et, enfin, les transferts de compétences issus des lois de décentralisation de 1982 et 2004, nombreux ont été les changements jalonnant l'histoire de l'action sociale.

L'ancienneté de ce secteur de l'action publique souligne la permanence des besoins à satisfaire. Et ce n'est pas le moindre des paradoxes de le rappeler aujourd'hui, cinquante ans après la création de la sécurité sociale, laquelle aurait dû permettre de réduire, sinon de supprimer, le besoin d'une action sociale complémentaire aux prestations de solidarité nationale alors mises en oeuvre. Au contraire, force est de constater que l'action sociale a continué de se développer, en même temps que la sécurité sociale et l'ensemble de la protection sociale. La volonté d'améliorer la réponse sociale aux besoins de la population explique cette évolution.

A. L'ACTION SOCIALE REGROUPE DES INTERVENTIONS SOCIALES DIVERSIFIÉES ET EN FORTE CROISSANCE

1. La notion d'action sociale est mal définie et le cadre juridique est instable

M. Edward Jossa, directeur général des collectivités locales au ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, remarquait lors de son audition par la MECSS, le 11 janvier 2007 que : « La notion d'aide sociale est de plus en plus difficile à cerner, les distinctions historiques entre action sociale et aide sociale ou entre prestations légales et facultatives s'effaçant progressivement. Depuis 1984, les prestations facultatives peuvent compléter les prestations obligatoires et, depuis 2002, le code de l'action sociale et des familles donne une définition très large de l'action sociale, qui s'étend désormais à l'aide à la citoyenneté, à la prévention et à la lutte contre l'exclusion - le champ est tellement étendu que l'on peut se demander s'il existe toujours une véritable définition. »

On ne peut mieux exprimer la difficulté d'appréhender une réalité mutltiforme et mouvante.

On distingue traditionnellement trois techniques de protection sociale : les assurances sociales, l'aide sociale et l'action sociale. L'aide sociale vise à apporter des aides complémentaires aux assurances sociales. L'action sociale constitue le troisième niveau de protection qui a vocation à pallier les insuffisances des deux premiers. Les assurances sociales sont obligatoires et contributives, c'est-à-dire attribuées en contrepartie de cotisations sociales. L'aide sociale et l'action sociale ne sont pas contributives. La première est obligatoire, alors que la seconde est facultative.

Les spécificités de ces notions se sont peu à peu estompées et les frontières qu'elles délimitaient sont devenues moins étanches. Des prestations hybrides ont été créées qui croisent les critères juridiques et les modes de financement habituels, ce qui rend la classification plus difficile, brouille les repères et complique l'analyse.

Dans la période récente, ont ainsi été créées des prestations qui mélangent les logiques d'assurance sociale, d'aide sociale et d'action sociale. Par exemple, l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et la prestation de compensation du handicap (PCH) qui ne peuvent pas faire l'objet de recours en récupération (ce qui est un des critères distinctifs classiques d'une prestation d'aide sociale), mélangent la logique d'assurance et la logique de l'aide sociale. Par ailleurs, des prestations d'aide sociale (obligatoire) décidées par l'État peuvent être complétées par des prestations d'aide sociale extralégale attribuées par les départements. Ou encore, les fonds de solidarité pour le logement ou les fonds d'aide aux jeunes, dont la gestion a été transférée aux départements, peuvent être classés dans l'action sociale extralégale.

Le nouveau code de l'action sociale et des familles qui s'est substitué, en 2001, à l'ancien code de l'aide sociale tient compte de cette évolution en traitant tout à la fois de prestations d'aide sociale et de l'action sociale au sens classique.

C'est sur la base de cette conception large de l'action sociale (qui englobe donc l'action sociale et l'aide sociale) que la MECSS a organisé ses investigations. En outre, cette approche permet de procéder à une évaluation plus complète des différents dispositifs, notamment ceux créés ces dernières années, et de leur articulation. Ce choix traduit également la volonté de prendre en compte les conditions concrètes de mise en œuvre de la politique d'action sociale, les deux notions d'aide et d'action sociale étant largement confondues par les acteurs de terrain.

À la suite de la décentralisation de l'action sociale, initiée en 1982, de nombreuses réformes sont intervenues dans ce domaine, au cours des quinze dernières années.

La contribution de l'IGAS à la cartographie de l'action sociale présente une liste des 28 principales lois relatives à l'aide et à l'action sociale promulguées depuis 1982. Mais de nombreuses autres lois, notamment les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale, modifient régulièrement les règles de droit. Encore devrait-on ajouter à cette énumération, les projets de loi tout récemment examinés par le Parlement concernant la protection de l'enfance ou les tutelles. On peut aussi évoquer la prolifération des textes règlementaires et des circulaires d'application. Au total, force est de constater que le droit de l'action sociale est particulièrement foisonnant.

Cette tendance à la multiplication et à l'accélération du rythme des réformes pose des problèmes de mise en œuvre, comme les auditions organisées par la MECSS ont permis de le constater. De nombreux acteurs de terrain se plaignent en effet de l'instabilité et du changement trop rapide des règles à appliquer. Les intervenants sociaux peinent à s'adapter. Que dire alors des difficultés de compréhension que peuvent éprouver les personnes, souvent fragilisées, auxquelles les dispositifs d'action sociale s'adressent. Cette instabilité est source de complexités et de confusions.

Le nouveau code de l'action sociale et des familles regroupe des dispositions qui étaient autrefois dispersées. Il constitue donc un progrès dans la lisibilité et l'accessibilité aux droits. Encore faut-il observer, que devant l'importance des changements démographiques à venir et des enjeux financiers qu'ils représentent, il est vraisemblable que le rythme des adaptations législatives à effectuer ne ralentira pas.

Les lois récentes relatives à l'aide sociale visent à concrétiser deux orientations majeures de la politique sociale : l'universalité des prestations et le droit à compensation des besoins des personnes pour leur laisser le libre choix de leur mode de vie.

On peut notamment citer la loi du 27 juillet 1999 créant la couverture maladie universelle (CMU) qui consacre le droit de chacun à une couverture de base en matière d'assurance maladie, la loi du 20 juillet 2001 qui a instauré l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), initiée par Mme Paulette Guinchard alors secrétaire d'État aux personnes âgées, la loi du 18 décembre 2003 qui crée, dans le cadre du dispositif du revenu minimum d'insertion, le contrat insertion-revenu minimum d'activité (CIRMA), ou encore la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, qui crée, notamment, une prestation de compensation du handicap (PCH) remplaçant l'allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP). En outre, la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale, qui reformule le droit des établissements et services sociaux et médico-sociaux, consacre la reconnaissance des droits des usagers et leur participation à la conception et à l'élaboration de leur projet de vie.

2. Le champ des interventions d'action sociale est très vaste

La loi du 2 janvier 2002 a aussi introduit dans le code de l'action sociale et des familles des dispositions qui précisent le champ de l'action sociale :

« L'action sociale et médico-sociale tend à promouvoir, dans un cadre interministériel, l'autonomie et la protection des personnes, la cohésion sociale, l'exercice de la citoyenneté, à prévenir les exclusions et à en corriger les effets. Elle repose sur une évaluation continue des besoins et des attentes des membres de tous les groupes sociaux, en particulier des personnes handicapées et des personnes âgées, des personnes et des familles vulnérables, en situation de précarité ou de pauvreté, et sur la mise à leur disposition de prestations en espèces ou en nature. Elle est mise en oeuvre par l'État, les collectivités territoriales et leurs établissements publics, les organismes de sécurité sociale, les associations ainsi que par les institutions sociales et médico-sociales. » (article L. 116-1).

L'ambition de l'action sociale est donc importante.

Plus précisément, les missions d'intérêt général et d'utilité sociale dans lesquelles s'inscrivent les actions sociale et médico-sociale ont ainsi été définies :

- l'évaluation et la prévention des risques sociaux et médico-sociaux, l'information, l'investigation, le conseil, l'orientation, la formation, la médiation et la réparation ;

- la protection administrative ou judiciaire de l'enfance et de la famille, de la jeunesse, des personnes handicapées, des personnes âgées ou en difficulté ;

-  les actions éducatives, médico-éducatives, médicales, thérapeutiques, pédagogiques et de formation adaptées aux besoins de la personne, à son niveau de développement, à ses potentialités, à l'évolution de son état ainsi qu'à son âge ;

-  les actions d'intégration scolaire, d'adaptation, de réadaptation, d'insertion, de réinsertion sociales et professionnelles, d'aide à la vie active, d'information et de conseil sur les aides techniques ainsi que d'aide au travail ;

- les actions d'assistance dans les divers actes de la vie, de soutien, de soins et d'accompagnement, y compris à titre palliatif ;

- les actions contribuant au développement social et culturel, et à l'insertion par l'activité économique.

L'action sociale traditionnelle, au même titre d'ailleurs que la sécurité sociale ou l'assurance chômage, assume deux fonctions principales :

- une fonction compensatrice, qui peut être durable (attribution d'une aide ménagère à une personne âgée) ou temporaire (secours attribué à une personne sans ressources) ;

- une fonction réparatrice, en vue de réinsérer socialement une personne marginalisée ou à réinsérer professionnellement une personne éloignée du monde du travail.

Mais l'action sociale cherche aussi, de plus en plus, à donner une dimension préventive à ses interventions, individuelles ou collectives, afin d'éviter la survenue d'un risque ou la détérioration d'une situation. Cela incite à un diagnostic et à un accompagnement précoces.

Le champ de l'action sociale est donc très large. Les trois catégories d'acteurs que sont l'État, les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale délivrent, en particulier avec le concours des associations, un très large éventail de prestations destinées à répondre à une diversité de besoins relevant de cinq grandes politiques concernant la protection de l'enfance, la famille, les personnes handicapées, les personnes âgées et la lutte contre l'exclusion.

L'action sociale vise à apporter des réponses concrètes aux besoins des personnes. Les prestations sont donc nombreuses et très variées. Elles sont souvent expérimentées avant d'être étendues, voire généralisées et légalisées. La multiplication des dispositifs et les insuffisances d'articulation des dispositifs entre eux, de même que la fragmentation des approches et la pluralité des intervenants peuvent d'ailleurs poser des problèmes de cohérence dans le traitement des difficultés des personnes.

Les aides sociales se répartissent en quatre grands postes de dépenses.

L'aide sociale aux personnes âgées recouvre les dépenses relatives à l'aide à domicile (aides ménagères, APA et ACTP pour les personnes de 60 ans ou plus), ainsi que les dépenses liées aux prises en charge en hébergement (accueil en établissement, au titre de l'aide sociale à l'hébergement ou de l'APA, et accueil chez des particuliers).

L'aide sociale aux personnes handicapées comprend les dépenses d'aides à domicile (aides ménagères ou auxiliaires de vie, ACTP pour les moins de 60 ans), ainsi que les aides à l'hébergement (accueil en établissement, accueil familial et accueil de jour).

L'aide sociale à l'enfance (ASE) regroupe les dépenses destinées aux enfants placés (confiés à l'ASE ou placés directement par le juge), de même que les frais inhérents à ce placement. Elle intègre également les mesures d'aide éducative - actions éducatives en milieu ouvert (AEMO) et actions éducatives à domicile (AED) -, les aides financières et celles concernant les travailleuses familiales.

Les dépenses liées au RMI comprennent les versements de l'allocation, lesquels s'ajoutent aux charges d'insertion qui retracent l'effort fourni par les départements dans ce domaine.

● L'action sociale facultative des départements

L'action sociale non obligatoire des départements recouvre une grande diversité d'interventions. Il s'agit d'abord d'aides extralégales qui complètent les interventions obligatoires des conseils généraux dans les domaines de l'aide sociale aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à l'enfance. Ces actions prennent le plus souvent la forme d'aides financières aux personnes ou de soutien à des actions ou des services mis en place par les départements eux-mêmes, les communes ou les associations.

D'autres actions facultatives, qui ne relèvent pas directement du champ de l'aide sociale, sont par ailleurs développées dans les domaines de la santé, de l'emploi ou de la formation professionnelle. Ces actions ont parfois un caractère ponctuel mais s'inscrivent généralement dans la durée après une phase d'expérimentation. Elles visent à répondre à des besoins non satisfaits ou non couverts par l'aide sociale légale. Elles correspondent aussi à la volonté des conseils généraux de développer des actions spécifiques à leur département. Ces orientations impliquent le développement de partenariats avec diverses institutions, des efforts de formation et de professionnalisation des intervenants et une organisation territoriale qui vise une couverture de l'ensemble du département.

Il ressort des résultats, récemment publié par la DREES3, d'une étude qualitative sur l'action sociale facultative menée dans quatre départements que celle-ci s'adresse, pour l'essentiel, aux catégories de population visées par l'aide sociale obligatoire.

● Les actions sociales facultatives des départements peuvent être classées en six catégories

- Les aides aux personnes âgées concernent principalement la téléalarme, l'adaptation du logement, la formation des intervenants à domicile, la formation aux métiers d'assistants de vie, la compensation lors du passage de la PSD à l'APA, le financement des centres locaux d'information et de coordination (CLIC), la prise en charge des frais d'obsèques, l'accueil de jour, l'accueil familial et l'hébergement temporaire...

- Les aides aux personnes handicapées ont pour objet la mise en place de services d'information et de conseil (conseils techniques, conseils sur l'accessibilité...), d'accompagnement de malades mentaux, d'autistes, l'organisation de vacances, d'actions d'insertion professionnelle, d'accueil de jour, d'accueil familial, d'accueil transitoire... ;

- L'aide sociale à l'enfance recouvre les relais enfance-famille, l'hébergement des jeunes majeurs, les contrats jeunes majeurs, la prévention spécialisée, les missions locales, les foyers de jeunes travailleurs, les bourses d'étude, les associations d'insertion, l'organisation de vacances, d'activités sportives... ;

- Les aides à l'enfance et à la famille regroupent diverses aides relatives à la garde des jeunes enfants, le soutien à la fonction parentale, les réseaux d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents (REAAP), les assistantes maternelles, l'accompagnement scolaire, les centres sociaux... ;

- Les aides aux personnes en difficulté consistent en des secours d'urgence, des actions au titre de la politique de la ville ou en faveur des demandeurs d'asile, des jeunes errants, des actions pour l'emploi, le fonctionnement de centres sociaux, la formation des bénévoles... ;

- Les actions en matière de santé concernent la mise en œuvre des programmes territoriaux de santé, l'éducation et la prévention en santé, la santé des jeunes majeurs, la lutte contre l'alcoolisme, l'aide ménagère à titre médical, le dépistage du cancer du sein...

● L'origine des actions est variable 

Il peut s'agir de la prise en compte de besoins non satisfaits par l'aide sociale légale ou par les politiques de l'État, de la volonté de corriger une couverture inégale du territoire départemental, d'initiatives d'associations ou d'organismes mutualistes, ou encore d'orientations affichées par le conseil général dans le cadre de son projet politique.

● Les modalités des aides sont diverses 

Il peut s'agir d'aides directes aux personnes, mais plus fréquemment d'aides à des projets ou à des opérateurs, ou d'aides financières mobilisant des moyens humains du conseil général (travailleurs sociaux...).

Les aides financières peuvent être des subventions ponctuelles ou régulières, des financements de postes, de formations, des mises à disposition de personnel et, plus rarement, des aides à des investissements.

● Les partenariats sont fréquents 

Les partenaires du département peuvent être des communes ou des structures intercommunales, des organismes de sécurité sociale (CAF, CRAM...), des associations gestionnaires de services ou d'équipements...

● Le support de l'aide est varié

Il peut s'agir d'aides à un projet ponctuel, de conventions annuelles, voire, plus rarement, pluriannuelles, de conventions signées seulement entre le conseil général et un opérateur ou signées avec les autres institutions apportant un concours financier et/ou humain, ou encore de la création d'une entité juridique ad hoc.

Les dispositifs le plus souvent mis en oeuvre en faveur des personnes âgées ou handicapées sont la téléalarme et l'adaptation du logement, les aides techniques ainsi que l'aide au transport et le soutien à la vie autonome à domicile. Les aides alimentaires et les secours financiers sont les principales aides en direction des personnes en situation de précarité. Les subventions aux structures d'accueil de la petite enfance et le soutien à la parentalité constituent les aides les plus fréquentes à destination des familles. Enfin, concernant l'action en faveur des jeunes, les aides le plus souvent mises en oeuvre sont les aides à la formation et à l'insertion sociale des jeunes, et celles qui s'insèrent dans le cadre scolaire et extrascolaire (loisirs de proximité ou vacances).

● L'action sociale facultative des communes

À la différence des départements qui attribuent l'aide sociale légale et peuvent allouer des aides sociales complémentaires, extralégales ou facultatives, les communes développent une action sociale qui leur est propre et relève exclusivement de l'aide facultative.

Il ressort des résultats de l'enquête qualitative réalisée par la DREES, en 2002, sur l'action sociale des communes de 5 000 à moins de 200 000 habitants4 -qui sont environ 1 900, soit 5 % des 36 679 communes que compte le territoire français, mais où réside 53 % de la population française (plus de 32 millions de personnes) -, que les actions mises en œuvre s'adressent en majorité aux personnes âgées, puis aux personnes en difficulté sociale et aux enfants ou adolescents ainsi que, pour une minorité d'entre elles, aux personnes handicapées.

Les deux actions les plus souvent proposées aux personnes âgées sont le portage de repas à domicile (66 %) et les services d'aide à domicile (52 %).

L'aide apportée aux personnes en difficulté sociale est d'autant plus importante et fréquente que la commune est importante. Les actions privilégient le plus souvent les services (apurement d'impayés, fonds d'aide aux jeunes, logements d'urgence...), plutôt que l'accueil dans des structures ou des établissements spécifiques.

Le nombre d'actions réalisées pour les enfants et les adolescents varie peu avec la taille des communes. Sept communes sur dix gèrent des structures d'accueil collectif (crèches, haltes-garderies, centres de loisirs).

Les communes de grande taille ont aussi mis en place des prestations en nature, le plus souvent sous forme de tarifs réduits. Enfin, un quart des communes met en œuvre une action à destination des personnes handicapées. Il s'agit le plus souvent de transports (deux sur dix) ; par contre, elles sont peu nombreuses à gérer un établissement ou un service pour enfants ou adultes handicapés.

La DREES a réalisé une autre enquête qualitative portant sur l'action sociale menée par les petites communes, de 100 à moins de 5 000 habitants5 qui sont environ 30 844, soit 84 % du total des communes, et représentent 40 % de la population (environ 23,5 millions de personnes y résident).

Il ressort de cette enquête que 16 % des communes enquêtées ont déclaré ne mener aucune politique d'action sociale. Il s'agit, pour la plupart, de communes rurales et faiblement peuplées. À l'inverse, les communes urbaines et plus peuplées diversifient leur action sociale et développent en moyenne près de quatre types d'action. Les publics auxquels s'adressent le plus souvent ces communes sont, en premier lieu, les personnes âgées auxquelles un tiers des communes se consacre exclusivement, puis les personnes en difficulté sociale ainsi que les enfants et adolescents auprès desquels intervient près d'une commune sur deux.

Trois groupes de communes de 100 à moins de 5 000 habitants, peuvent être distingués :

- le premier, le plus important, regroupe les petites communes qui concentrent leurs actions sur les personnes âgées ;

- le second, regroupant des communes de plus grande taille, se caractérise par une politique d'action sociale à la fois intense et diversifiée ;

- le troisième réunit des communes petites et moyennes dont les interventions sont à la fois moins fréquentes et moins systématiquement orientées vers les personnes âgées.

3. Les dépenses d'action sociale sont en forte croissance

En 2005, dans l'ensemble des dépenses de protection sociale, qui s'élèvent à 483 milliards d'euros, les assurances sociales représentaient 87 % des dépenses et l'action sociale 13 %, soit 61,3 milliards d'euros, c'est-à-dire l'équivalent des dépenses hospitalières, lesquelles représentent près de 40 % de l'ONDAM6.

L'aide sociale représente 4,7 % des dépenses de protection sociale, soit 22,5 milliards d'euros, l'action sociale 4,6 %, soit 22,2 milliards d'euros, et les minima sociaux 3,4 %, soit 16,6 milliards d'euros.

Les dépenses d'action sociale se répartissent entre l'État pour 25,6 milliards d'euros, les collectivités territoriales (23,1 milliards d'euros), les associations (9 milliards d'euros) et la sécurité sociale (4,3 milliards d'euros). Les dépenses comptabilisées au titre des associations correspondent, pour l'essentiel, à des dépenses en faveur des personnes handicapées (des prestations médico-sociales financées par la CNAMTS et des frais d'hébergement et d'aide sociale financés par les départements).

Les départements et la sécurité sociale représentent 45 % du total des dépenses d'action sociale, le reste des dépenses étant le fait de l'État et des associations.

Actuellement, les informations disponibles ne permettent d'avoir qu'une vision parcellaire et imprécise des dépenses d'action sociale des collectivités territoriales. Les seules données collectées au niveau national concernent l'action sociale - au sens large - des départements. Mais les comptes administratifs des départements ne permettent pas d'identifier les dépenses extralégales et facultatives en tant que telles. On retrouve la même difficulté avec les communes.

Selon les dernières données publiées par la DREES, les dépenses nettes (c'est-à-dire après déduction des récupérations, recouvrements et remboursements) d'aide et d'action sociale des départements se sont élevées, en 2005, à 23,1 milliards d'euros (dont 19,3 milliards pour la métropole). Elles représentent près des deux tiers (65 % en 2005) de leurs dépenses de fonctionnement. L'action sociale mobilise une part croissante des budgets départementaux. Cette part a ainsi augmenté de 2 points par rapport à 2004.

Les dépenses nettes des départements ont augmenté, en euros constants, de 3 % en 2005. Elles retrouvent ainsi une évolution modérée après avoir fortement augmenté en 2002 (+ 20 %) et 2003 (+ 12 %) avec la mise en place de l'APA et encore davantage en 2004 (+ 38 %) du fait de la décentralisation du RMI (revenu minimum d'insertion).

En cinq ans, les dépenses d'aide sociale des départements ont plus que doublé.

Les dépenses d'aide sociale se répartissent en cinq principaux postes : l'aide sociale aux personnes âgées, l'aide sociale aux personnes handicapées, l'aide sociale à l'enfance, les dépenses afférentes au RMI et les autres postes (dépenses de personnel, services communs et autres interventions sociales).

Les quatre premières catégories représentent 90 % des dépenses.

Depuis la décentralisation intervenue en 2004, l'aide sociale aux allocataires du RMI est devenue, et reste en 2005, le principal poste de dépense nette des départements ; il représente désormais 30 % du total des quatre grandes catégories de dépenses. L'aide sociale à l'enfance et celle destinée aux personnes âgées sont les deuxième et troisième postes des dépenses (respectivement 26,5 % et 25,5 %), suivies par les dépenses relatives aux personnes handicapées (18 %).

  L'aide sociale liée au RMI constitue le premier poste de dépenses

Les dépenses liées au RMI sont passées de 5,4 milliards en 2004 à 5,8 milliards en 2005, soit une augmentation de 6 %. En 2005, 5 milliards d'euros ont été consacrés à l'allocation et 800 millions aux actions d'insertion.

● Les dépenses en faveur de l'aide sociale à l'enfance représentent plus de 5 milliards d'euros

Ces dépenses sont stables par rapport à 2004, alors que le nombre moyen de bénéficiaires (environ 270 000 en 2005) s'est légèrement accru. L'essentiel des financements est consacré à l'hébergement en établissement (50 %) ou en famille d'accueil (25 %). Les allocations mensuelles, secours, bourses et autres aides financières représentent 5,2 % des dépenses ; les actions éducatives, à domicile et en milieu ouvert 6,7 %, et les mesures de prévention spécialisée 4,3 %.

 Les dépenses d'aide sociale en faveur des personnes âgées approchent 5 milliards d'euros

Elle sont en augmentation de 4 % par rapport à 2004 et bénéficient à environ 1 050 000 personnes. Outre l'accompagnement de la dépendance, les départements financent les dépenses d'hébergement des personnes âgées dans le cadre de l'aide sociale à l'hébergement (ASH) et, plus marginalement, les aides ménagères, ainsi que divers services.

Parmi l'ensemble des dépenses des départements en faveur des personnes âgées, 52 % des dépenses brutes (avant récupération) sont consacrées aux personnes vivant en établissement ou dans des familles d'accueil, que ce soit au titre de la prise en charge de l'hébergement ou de la dépendance (3,1 milliards d'euros).

Parallèlement, les effectifs des personnes âgées bénéficiaires d'une aide à domicile ont fortement progressé depuis 2002 et sont supérieurs depuis 2004 à ceux des personnes bénéficiant d'une aide sociale à l'hébergement ou à l'accueil. La part des dépenses liées à l'accueil des personnes âgées a de ce fait fortement diminué entre 2001 et 2003 (passant de 72 % à 53 %) au profit du développement de l'aide à domicile, mais elle est restée stable depuis.

Les dépenses brutes d'APA (1,3 milliard d'euros) représentent 42 % de l'ensemble des dépenses destinées aux personnes âgées en établissement ; ces dépenses ont augmenté de 6 %. En moyenne annuelle, 377 300 personnes en ont bénéficié en 2005, soit 5 % de plus que l'année précédente. Les autres dépenses d'aide sociale à l'hébergement en établissement (essentiellement l'ASH) ont quant à elles diminué de 2 % en 2005, marquant une rupture avec les évolutions observées précédemment (+ 7 % en 2003 et + 5 % en 2004), alors que le nombre de bénéficiaires de l'ASH se stabilise (113 000 bénéficiaires en moyenne). Les dépenses au titre de l'hébergement en établissement se sont élevées à 1,8 milliard d'euros en 2005.

Pour l'accompagnement à domicile, les dépenses brutes des départements ont atteint 2,7 milliards d'euros, soit une augmentation de 4 % par rapport à 2004. L'essentiel de ces dépenses concerne l'APA à domicile et s'élève à 2,5 milliards d'euros (soit 65 % des dépenses totales d'APA). En 2005, en moyenne annuelle, 511 500 personnes ont bénéficié de l'APA à domicile, soit 14 % de plus que l'année précédente.

Au total, en 2005, les dépenses brutes consacrées par les départements à l'accompagnement de la perte d'autonomie (ACTP pour les personnes de 60 ans ou plus, APA et PSD) en établissement et à domicile, se sont élevées à 4 milliards d'euros et ont augmenté au même rythme qu'entre 2003 et 2004 (+ 6 %) . C'est l'APA qui concentre maintenant l'essentiel de ces dépenses (3,9 milliards d'euros). Du fait de son ouverture à des personnes âgées moins dépendantes (classées en GIR 4) et qui auparavant n'avaient pas accès à la PSD, le nombre moyen de bénéficiaires de l'APA a connu une montée en charge importante depuis sa création, pour atteindre 888 700 personnes en moyenne annuelle en 2005 (contre 809 700 en 2004).

Il reste 18 700 bénéficiaires de l'ACTP de 60 ans ou plus qui percevaient déjà cette allocation avant 60 ans et en ont conservé le bénéfice depuis, ce qui représente 15 % de l'ensemble des bénéficiaires de l'ACTP. Cette allocation ne représente plus que 2 % de l'ensemble des dépenses d'aide sociale destinées aux personnes âgées.

 Les dépenses d'aide sociale consacrées à l'accueil des personnes handicapées totalisent 3,5 milliards d'euros et poursuivent leur progression

Bien que la part relative des dépenses nettes d'aide sociale consacrées aux personnes handicapées soit stable par rapport à 2004, ces dépenses ont encore progressé de 2 % en 2005. Elles concernent environ 232 400 personnes. Cette hausse traduit pour l'essentiel l'augmentation des dépenses d'accueil qui constituent le poste le plus important des dépenses engagées par les départements en faveur des personnes handicapées (quatre cinquièmes des dépenses brutes). Elles ont augmenté de 4 % en 2005, dépassant 3,2 milliards d'euros. Cette évolution s'inscrit dans un engagement de long terme des conseils généraux pour développer l'accueil des personnes handicapées en établissement ou chez des particuliers. Leur effort dans ce domaine s'est accru, en euros constants, de 28 % depuis 2001 (soit + 6,4 % en moyenne annuelle). Depuis 2001, le nombre de bénéficiaires d'une aide à l'hébergement a ainsi augmenté de 20 %, soit 4,5 % en moyenne annuelle.

Concernant l'aide à domicile, les dépenses brutes d'ACTP pour les personnes de moins de 60 ans (107 000 bénéficiaires) ont continué d'augmenter, atteignant 606 millions d'euros en 2005. Ces dépenses, de même que le nombre moyen de bénéficiaires de l'allocation augmentent constamment depuis 2000.

Par ailleurs, les dépenses de personnel des départements pour l'aide sociale (hors RMI), se sont élevées à près de 2 milliards d'euros en 2005, en hausse de 5 % en euros constants par rapport à 2004.

● Des évolutions différenciées selon les départements

Si l'ensemble des dépenses d'aide sociale des départements a augmenté, en moyenne, en France métropolitaine de 4 % en euros constants entre 2004 et 2005, les départements ont connu des évolutions différenciées. Un quart des départements a ainsi connu en 2005 une progression de ses dépenses nettes inférieure à 2 %, tandis que pour un autre quart d'entre eux, celle-ci a été supérieure à 7 %. Les évolutions constatées, notamment pour ce qui concerne les dépenses relatives au RMI, dépendent en partie de la conjoncture démographique et économique locale.

En 2005, une partie du financement des dépenses d'aide et d'action sociale des départements a été assurée grâce à une contribution du Fonds de financement de l'APA (FFAPA) et à l'affectation d'une part de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers (TIPP).

Il n'existe pas de données agrégées sur l'action sociale menée par l'ensemble des communes.

Lors de son audition par la MECSS, le 7 décembre 2006, Mme Françoise Descamps-Crosnier, membre du bureau de l'Association des maires de France (AMF), indiquait : « Il est très difficile d'estimer les sommes consacrées à l'action sociale car il s'agit d'un domaine extrêmement vaste et qui est financé dans des cadres divers : centres communaux d'action sociale (CCAS), intercommunalités, communes, associations financées par les communes... La collecte de l'information est difficile dans la majorité des communes, dont je rappelle que 32 000 d'entre elles ont moins de 2 000 habitants ».

Selon la direction générale des collectivités territoriales (DGCL), les seules données disponibles concernent l'action sociale et de santé des communes de plus de 10 000 habitants. Les comptes des communes de moins de 10 000 habitants et des groupements de communes ne permettent pas de répartir les dépenses par fonctions.

Les interventions sociales et de santé dans les dépenses de fonctionnement des communes de plus de 10 000 habitants se sont élevées, en 2004, à environ 1,6 milliards d'euros, soit 5,4 % des dépenses de fonctionnement. La proportion varie entre 4,5 % et 6 % selon la taille des communes.

Par ailleurs, la DREES a publié quelques études qualitatives sur la politique d'action sociale des communes mais qui ne donnent pas d'informations quantitatives et financières.

L'évolution des dépenses des fonds d'action sanitaire et sociale des caisses du régime général de sécurité sociale est encadrée par les conventions d'objectifs et de gestion (COG) des caisses nationales.

En 2005, les caisses du régime général de sécurité sociale ont consacré à l'action sanitaire et sociale facultative près de 4,3 milliards d'euros. Les dépenses d'action sociale représentent 11 % des dépenses de la branche famille, et environ 0,5 % des dépenses des branches vieillesse et maladie.

Évolution des dépenses d'action sociale du régime général de sécurité sociale (M€)

2001

2002

2003

2004

2005

ÉVOLUTION

BRANCHE FAMILLE

2 110

2 428

2 560

2 967

3 420

+ 62%

BRANCHE MALADIE

457

539

637

647

661

+ 45%

BRANCHE VIEILLESSE

396

348

285

366

344

- 13%

Source : CNAF, CNAMTS, CNAVTS.

Les dépenses d'action sociale des caisses de sécurité sociale ont augmenté de 6 % en 2005, après une hausse de 15 % en 2004.

● Le Fonds national d'action sociale de la branche famille

La Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), avec 3,2 milliards d'euros, représente l'essentiel des financements. Les dépenses du Fonds national d'action sociale (FNAS) de la CNAF se décomposent essentiellement en trois catégories : les dotations d'action sociale, qui sont des crédits dont l'utilisation est laissée à la discrétion des caisses ; les dépenses de prestations de service, qui sont notamment affectées au financement du fonctionnement et du développement de l'offre d'accueil en matière de petite enfance et de temps libre ; enfin les dépenses d'investissement liées aux différents plans crèches gouvernementaux et regroupées dans les fonds d'investissement petite enfance.

Les dépenses du FNAS ont doublé en dix ans et progressé de 62 %, de 2001 à 2005.

Les dotations d'action sociale représentent environ 25 % des dépenses du FNAS (812 millions d'euros en 2005), les prestations de service 65 % (2,2 milliards d'euros) et les dépenses d'investissement 3 % (103 millions d'euros).

● Le Fonds national d'action sanitaire et sociale de la branche maladie

La Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) a, par l'intermédiaire de son Fonds national d'action sanitaire et sociale (FNASS) consacré près de 700 millions d'euros à des dépenses d'action sanitaire et sociale qui recouvrent des dépenses de fonctionnement (435 millions d'euros), des dépenses en capital sous forme d'avances (115 millions d'euros) et des dépenses liées aux actions conventionnelle (114 millions d'euros).

Sur la période 2001-2005, les dépenses d'action sanitaire et sociale de la CNAMTS ont augmenté de 45 %. En 2005, elles ont augmenté de 6,8 %.

● Le Fonds national d'action sanitaire et sociale en faveur des personnes âgées de la branche vieillesse

La Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) a, par l'intermédiaire du Fonds national d'action sanitaire et sociale en faveur des personnes âgées (FNASSPA), consacré 345 millions d'euros à l'action sociale. Les dépenses du Fonds ont diminué de 6 % en 2005 et de 13 % de 2001 à 2005. Les dépenses consistent en des aides individuelles pour 83 % et des aides immobilières destinées aux structures d'accueil pour 17 %.

À titre de comparaison, on peut indiquer que la mission de l'IGAS relative à la cartographie de l'action sociale a évalué les dépenses d'action sociale de l'État à environ 24,4 milliards d'euros (avec les minima sociaux relevant de l'action sociale et financés par l'État).

4. La décentralisation a entraîné une forte progression des personnels dédiés à l'action sanitaire et sociale

Le rapport de la mission d'audit de modernisation sur l'impact de la décentralisation sur les administrations du ministère de l'emploi et de la cohésion sociale et du ministère de la santé et des solidarités, qui a été rendu public au mois de février 2007, indique que : « la décentralisation a eu pour conséquence une augmentation nette de l'effectif des administrations de l'État et des départements en charge de l'action sanitaire et sociale ».

Les effectifs ont plus que doublé, puisqu'ils sont passés de 53 573 en 1984 à 101 547 en 2003 (+ 106 %).

Effectif global (État + départements) affecté à l'action sanitaire et sociale au niveau territorial (hors administrations centrales) - 1984-2003

1984

2003

ÉTAT

DÉPARTEMENTS

TOTAL

ÉTAT

DÉPARTEMENTS*

TOTAL*

EFFECTIFS

14 722

53 573

68 295

11 573

101 547

113 120

Alors que leurs missions ont été réduites, les effectifs des services centraux (en 2006 : 208 personnes à la DGAS et 62 personnes à la CNSA) en charge de l'action sociale ont augmenté de 22,7 % de 1982 à 2005. La création de la CNSA n'a pas été accompagnée d'une réduction de l'effectif de la DGAS.

À l'inverse, l'effectif des services déconcentrés en charge de l'action sociale - les DRASS et les DDASS, a été fortement réduit depuis 1984 : respectivement de - 21,8 % et de  - 30,8 %, en tenant compte des mises à disposition réalisées à la suite des lois de 2003 confiant la gestion du RMI et le revenu minimum d'activité (RMA) aux départements et du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

La rapport de la mission d'audit ajoute que : « la modification de la structure des effectifs des administrations de l'État qui a suivi la décentralisation a été relativement limitée. Cette relative inertie de la structure des emplois des administrations d'État reflète l'absence de redéfinition des fonctions transférées : le poids persistant des tâches de gestion a limité la capacité des services à se recentrer sur des fonctions de veille, de contrôle, d'animation ou d'évaluation des politiques ».

B. L'ÉCLATEMENT DES COMPÉTENCES EN MATIÈRE D'ACTION SOCIALE REND SON PILOTAGE DIFFICILE

Dans le secteur de l'action sociale, les acteurs sont nombreux et les compétences sont éclatées, ce qui pose des problèmes de pilotage et de mise en cohérence des interventions sociales.

1. Les compétences en matière d'action sociale sont éclatées et enchevêtrées : le principe de déspécialisation est poussé à l'extrême

Le dispositif institutionnel d'action sociale est complexe. De fait, compte tenu du caractère subsidiaire, extralégal et facultatif de l'action sociale, au sens classique des termes, tout le monde (acteurs publics ou privés, associations, individus) peut mener des actions sociales pour compléter les dispositifs légaux de sécurité sociale et d'aide sociale. En ce qui concerne l'aide sociale, juridiquement plus précisément encadrée, les compétences sont réparties entre l'État et les collectivités territoriales.

· Les compétences du département sont très larges

Durant les vingt dernières années, la compétence du département en matière d'action sociale a été progressivement étendue.

Après le premier transfert de compétences concernant l'aide sociale de l'État vers le département, intervenu en 1982-1983, et après d'autres lois qui ont confié au département de nouvelles responsabilités, notamment les lois du 20 juillet 2001 relative à l'APA et du 18 décembre 2003 relative au RMI, l'acte II de la décentralisation a prolongé et amplifié le mouvement engagé.

Ainsi, la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales a confirmé le département dans son rôle de chef de file de l'action sociale, laquelle dépasse largement, on l'a vu, le seul champ de l'aide sociale. Alors que l'État ne dispose plus que d'une compétence d'attribution, le département dispose d'une compétence de droit commun. Le rôle fondamental du département en matière d'action sociale est donc désormais pleinement reconnu.

L'article L. 121-1 du code de l'action sociale et des familles confie au département une mission très large.

Le département définit et met en oeuvre la politique d'action sociale, en tenant compte des compétences confiées par la loi à l'État, aux autres collectivités territoriales ainsi qu'aux organismes de sécurité sociale. Il coordonne les actions menées sur son territoire qui y concourent. Il organise la participation des personnes morales de droit public et privé à la définition des orientations en matière d'action sociale et à leur mise en oeuvre.

Le département définit, organise, coordonne. Il finance, dispense des prestations d'aide et d'action sociale et dispose, d'une part, d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de ses compétences, dans les conditions prévues par la loi, d'autre part, d'un pouvoir de contrôle.

Le département agit, d'une part, dans le cadre, juridiquement encadré, de l'aide sociale légale (protection maternelle et infantile, protection judiciaire de la jeunesse, aide sociale à l'enfance, RMI, APA, PCH) et de l'action sociale obligatoire (fonds de solidarité pour le logement - FSL -, fonds d'aide aux jeunes - FAJ), d'autre part, dans le cadre, qui relève de ses décisions politiques propres, de l'aide sociale extralégale (prestations accordées selon des conditions et des montants plus favorables que ceux prévus par les lois et règlements) et de l'action sociale facultative (actions et prestations mises en place à l'initiative du conseil général).

Le département peut, à ces différents titres, attribuer des aides directes en espèces ou en nature (aides humaines, matérielles ou techniques), des subventions aux structures, pour l'investissement ou le fonctionnement.

Aussi, depuis la loi du 2 janvier 2002 de rénovation de l'action sociale et médico-sociale, les schémas d'organisation sociale et médico-sociale sont opposables. L'autorisation de création n'est accordée aux établissements que si le projet est compatible avec les objectifs et répond aux besoins sociaux et médico-sociaux fixés par le schéma.

Par ailleurs, des clarifications positives de nature à renforcer le rôle du département ont été récemment apportées. D'une part, la loi du 18 décembre 2003 portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité a supprimé la cogestion de l'insertion des Rmistes ; les départements sont maintenant seuls responsables de l'ensemble de la gestion du RMI qui comprend le versement de l'allocation et l'insertion. D'autre part, la loi du 13 août 2004 a supprimé le copilotage par l'État et les départements des FSL et des FAJ. La gestion de ces fonds, dont la compétence a été élargie aux aides aux impayés d'eau, d'énergie et de téléphone, relève désormais de la responsabilité des seuls départements.

Les compétences du département en matière d'action sociale sont donc très larges. Mais l'exercice de ces compétences est très encadré par des dispositions législatives et des dispositions réglementaires nationales nombreuses et parfois excessivement précises, au point que l'on peut s'interroger sur leur compatibilité avec la décentralisation et le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.

L'article 72 de la Constitution dispose que « dans les conditions prévues par la loi, les collectivités territoriales s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences ».

L'encadrement légal et réglementaire de l'exercice des compétences transférées constitue la règle générale dans un État unitaire. En outre, dans le champ social, le principe de libre administration des collectivités territoriales doit être concilié avec d'autres principes constitutionnels, que le Conseil constitutionnel rappelle régulièrement7, notamment lorsque sont en cause des droits constitutionnellement garantis, tels que l'égalité de traitement, la protection de la santé, la sécurité matérielle et le repos des vieux travailleurs (onzième alinéa du Préambule de 1946).

Cependant, les lois et règlements du champ social offrent plusieurs exemples d'encadrement étroit de l'exercice des compétences transférées, voire même de l'organisation des services des collectivités territoriales, qui ne paraissent pas toujours fondés sur des considérations d'ordre strictement juridique.

M. Edward Jossa, directeur général des collectivités locales au ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, a ainsi remarqué, lors de son audition par la MECSS, le 11 janvier 2007 : « Une partie des malentendus entre les différents intervenants tiennent au fait que, dans les domaines transférés vers les collectivités locales, la décentralisation est insuffisamment prise en compte : chacun continue à faire comme si l'État restait compétent, à tel point que l'on parle de « déconcentralisation », particulièrement pour l'action sociale. Un tiers de la réglementation française concerne le social, qui est donc l'objet d'une sur-réglementation massive. La loi va jusqu'à fixer la taille, le format et le contenu des notices de demande d'agrément pour l'adoption ! 

De même, contrairement aux principes de la décentralisation et de l'autonomie locale, l'organisation de certaines structures départementales, comme les services de protection maternelle et infantile (PMI), est fixée par décret en Conseil d'État.

Enfin, dans le domaine de la tarification, il me paraît indispensable de laisser davantage de marge de manœuvre aux collectivités locales. Je ne pense pas aux trente prestations légales comme le RMI, encore que celui-ci pourrait être décentralisé et modulé par rapport à un tarif de base ».

Est ainsi posée la question de la marge laissée au pouvoir réglementaire des collectivités territoriales dans l'application des règles nationales relatives à l'action sociale.

La MECSS souhaite que le Gouvernement engage, en concertation avec les associations représentatives des élus des collectivités territoriales, une réflexion sur l'articulation entre le pouvoir réglementaire national et celui des collectivités territoriales.

Longtemps, la commune a constitué le cadre territorial d'organisation et de gestion de l'ancienne assistance publique, avant qu'une loi de 1934 confie la compétence de mise en œuvre des prestations légales à l'échelon départemental. Aujourd'hui, les compétences des communes sont réduites en matière d'aide sociale légale. Elles consistent, pour l'essentiel, dans la participation à la mise en œuvre de l'aide sociale départementale. Les communes sont ainsi chargées de l'instruction des dossiers d'aide sociale légale pour le compte du département.

Cependant, l'article L. 121-6 du code de l'action sociale et des familles prévoit que : « Par convention passée avec le département, une commune peut exercer directement les compétences qui, dans le domaine de l'action sociale, sont attribuées au département. Les services départementaux correspondants sont mis à la disposition de la commune. La convention précise les conditions financières du transfert. »

En raison du caractère ambigu de la notion d'action sociale, il semble que cette possibilité de délégation de compétence du département à la commune pourrait également concerner des compétences en matière d'aide sociale. En tout état de cause, la commune détient, au-delà de l'aide sociale légale, des compétences obligatoires et facultatives nombreuses qui en font un échelon important de mise en œuvre de l'aide et de l'action sociale. Les compétences des communes concernent des sujets très divers  (la politique de mixité du logement, les aides relatives à la petite enfance, aux jeunes, à l'insertion, aux personnes âgées, la prévention sociale) et peuvent s'exercer sous des formes différentes (l'instruction des demandes d'aide sociale, l'admission d'urgence en établissement, la présidence d'établissements, les autorisations de création d'établissement, la gestion par délégation...).

En ce qui concerne les modes de gestion de l'action sociale par les communes on peut observer que le code de l'action sociale et des familles prévoit que chaque commune doit créer un centre communal d'action sociale (CCAS), soit pour son propre compte, soit en s'intégrant à un établissement public intercommunal.

En pratique, en 2003, seulement 7 157 communes, sur un peu plus de 36 000, avaient créé un CCAS, c'est-à-dire une sur cinq. La proportion de communes ayant créé un CCAS augmente avec le nombre d'habitants : 7 % des communes de moins de 500 habitants ; 22 % des communes de 500 à moins de 2 000 habitants ; 48 % des communes de 2 000 à moins de 3 500 habitants ; 63 % des communes de 3 500 à moins de 5 000 habitants ; 80 % des communes de 5 000 à moins de 10 000 habitants.

Cela signifie que la plupart des communes, surtout les petites communes, préfèrent gérer directement leurs actions sociales.

Les compétences obligatoires et facultatives des communes en matière d'aide sociale

1. Les compétences obligatoires

La commune détient des compétences obligatoires qui sont énumérées dans le code de l'action sociale et des familles, dans celui de la sécurité sociale et dans celui de la santé publique. Certaines de ces compétences sont partagées avec d'autres organisations, d'autres relèvent exclusivement de la compétence de la commune :

- l'instruction des demandes d'aide sociale parmi lesquelles les demandes relatives à l'aide à l'enfance, à l'aide médicale de l'État et à l'allocation de RMI ;

- l'admission d'urgence des personnes âgées ou handicapées dans un établissement d'hébergement ou pour l'attribution d'une aide ménagère ;

- la domiciliation des personnes sans domicile fixe ;

- la présidence des établissements sociaux et médico-sociaux par le maire ou un représentant ;

- l'autorisation de création, extension ou transformation des établissements d'accueil des jeunes enfants ;

- l'accueil et l'habitat des gens du voyage ;

- la politique du logement locatif favorisant la mixité sociale.

2. Les compétences facultatives

Les compétences facultatives des communes sont définies par le code de l'action sociale et des familles et le code de la sécurité sociale

- la compétence générale en matière d'aide sociale par délégation du département, suite à convention entre le département et la commune ;

- la compétence générale du centre communal d'action sociale (CCAS) de prévention et de développement social dans la commune qui peut intervenir sous forme de prestations et créer des établissements sociaux et médico-sociaux ;

- le schéma pluriannuel de développement des services d'accueil des enfants de moins de six ans dans le cadre de l'accueil de la petite enfance ;

- les actions en faveur des personnes âgées : création de foyers, mise en œuvre de l'APA par convention avec le département ;

- en matière de logement, à titre transitoire, des personnes défavorisées ;

- en matière de RMI, mise en œuvre du plan local d'insertion par délégation du département et suite à une convention entre le département et la commune, nomination des référents, élaboration et suivi des contrats d'insertion ;

- contribution au FAJ et gestion du fonds par délégation du département après convention en matière d'aide aux jeunes en difficulté.

Depuis la création de la sécurité sociale, les branches famille, maladie et vieillesse du régime général de sécurité sociale mènent une action sociale qui vise à compléter les prestations légales de sécurité sociale qu'elles versent (prestations familiales, remboursements de frais médicaux, pensions de retraites).

À la différence de l'action sociale conduite par les collectivités territoriales, l'action sociale des caisses est facultative et subsidiaire et ne concerne pas les aides sociales. Les fondements de l'action sociale des caisses du régime général sont fixés par des dispositions du code de la sécurité sociale qui se limitent à poser le principe d'une action sociale. Les domaines d'action et la nature des actions à conduire sont précisés par des arrêtés programmes. Les enveloppes pluriannuelles de crédits des fonds d'action sociale sont fixées par les conventions d'objectifs et de gestion (COG), après négociation avec la tutelle des caisses nationales.

· L'action sociale de la branche famille

Le cadre général de l'action sociale de la branche famille est fixé par les articles :

- L. 223-1 du code de la sécurité sociale : «  La caisse nationale des allocations familiales a pour rôle... de gérer un fonds d'action sanitaire et sociale dans le cadre d'un programme fixé par arrêté ministériel après avis de son conseil d'administration »

- et L. 263-1: « Les caisses d'allocations familiales exercent une action sanitaire et sociale en faveur de leurs ressortissants et des familles de ceux-ci dans le cadre du programme mentionné... »

La Cour des comptes souligne, dans son rapport annuel sur la sécurité sociale de septembre 2006, que l'arrêté actuellement en vigueur, daté du 3 octobre 2001, « définit de manière particulièrement large le champ de compétence de l'action sociale de la branche ». De fait, l'action sociale familiale de la branche vise notamment « à l'amélioration de la qualité de vie des familles...à la prévention des exclusions ».

● L'action sociale de la branche famille concerne cinq domaines d'intervention 

- l'action en faveur de la petite enfance (développement du nombre de places pour l'accueil individuel ou collectif, aides financières aux familles...) ;

- le soutien aux familles et à la fonction parentale (médiation, réseau d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents - REAAP...) ;

- la prévention des exclusions (accès aux droits, aides financières, animation sociale, centres sociaux...) ;

- l'appui aux jeunes adultes (insertion sociale, accès au logement...) ;

- le temps libre et les vacances des enfants et famille (éducation des adolescents, lutte contre l'échec scolaire, temps libre périscolaire, vacances...).

Les CAF doivent mener une action sociale territorialisée et partenariale en veillant à une répartition équilibrée des équipements et services et à la coordination avec les autres dispositifs locaux. L'action sociale des CAF s'exerce dans les domaines d'intervention énumérés par l'arrêté et précisés par instruction pluriannuelle de la CNAF. Chaque CAF adopte ensuite un schéma directeur d'action sociale qui en définit les conditions de mise en œuvre. La nature des aides financières et les conditions générales d'attribution de ces aides sont définies par le règlement intérieur des caisses.

Le FNAS qui regroupe les crédits d'action sociale de la branche famille est alimenté par une fraction du produit des cotisations d'allocations familiales qui fait l'objet d'un cadrage pluriannuel par la COG.

 

2000

2001

2002

2003

2004

2005

Accueil de jeunes enfants

920 099

981 190

1 202 604

1 242 148

1 545 199

1 849 541

Temps libre des enfants et des familles

417 941

445 099

508 700

568 954

666 624

801 369

Accompagnement social des familles

396 210

399 806

404 071

41 766

440 134

440 659

Logement et habitat

171 760

158 252

167 467

167 914

170 729

163 606

Animation et vie sociale

208 090

206 425

221 600

224 707

239 429

248 141

Prestations supplémentaires

21 736

16 886

15 343

13 778

12 790

10 175

Autres actions

33 373

24 364

33 049

29 462

239 429

46 588

Pilotage et gestion

212 160

-

-

-

-

-

Logistique des œuvres

-

9 065

7 814

11 067

11 672

12 313

TOTAL

2 381 369

2 241 087

2 560 648

2 675 696

3 126 482

3 572 392

L'accueil du jeune enfant représente la moitié des dépenses, loin devant le temps libre et les loisirs (22 %), l'accompagnement social (14 %) et l'animation de la vie sociale (8 %).

La COG 2005-2008 prévoit une augmentation de 33,5 % des crédits d'action sociale sur l'ensemble de la période.

· L'action sanitaire et sociale de la branche maladie

L'action sanitaire et sociale de la caisse nationale d'assurance maladie (CNAMTS) et celle des caisses locales (CRAM et CPAM) ont respectivement pour fondement les articles :

- L. 221-4 du code de la sécurité sociale : « La caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés a pour rôle...d'exercer une action sanitaire et sociale et de coordonner l'action sanitaire et sociale des caisses régionales et des caisses primaires d'assurance maladie »,

- et L. 262-1 : « Les caisses primaires et les caisses régionales exercent une action de prévention, d'éducation et d'information sanitaires ainsi qu'une action sanitaire et sociale destinées en priorité aux populations exposées au risque de précarité dans le cadre de programmes définis par l'autorité compétente de l'État, après avis et proposition du conseil de la caisse nationale de l'assurance maladie et compte tenu de la coordination assurée par celle-ci... ».

La Cour des comptes rappelle, dans son rapport annuel sur la sécurité sociale de septembre 2006, que les arrêtés programmes relatifs aux caisses locales datent du 27 octobre 1970 et « sont en grande partie obsolètes ».

L'action sanitaire et sociale se déploie à tous les niveaux géographiques de la branche et emprunte diverses formes, notamment le financement d'investissements dans le secteur sanitaire et médico-social, le travail social, les subventions au secteur associatif ou l'offre directe de soins par le biais de centres dentaires. L'essentiel de l'action sanitaire et sociale reste néanmoins l'attribution d'aides individuelles visant à faciliter l'accès aux soins des assurés sociaux en situation de précarité, et à favoriser le maintien à domicile des assurés malades et handicapés.

Le FNASS est alimenté par une fraction du produit des cotisations d'assurance maladie.

· L'action sociale de la branche vieillesse

Le cadre général de l'action sociale de la branche vieillesse est fixé par les article L. 222-1 du code de la sécurité sociale : « La caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés...exerce une action sanitaire et sociale en faveur de ces derniers dans le cadre d'un programme fixé par arrêté ministériel après consultation de son conseil d'administration ».

En 2005, les dépenses du FNASSPA ont consisté en des aides individuelles pour 83 % et des aides immobilières aux structures d'accueil pour 17 %. L'essentiel des aides individuelles est constitué par la prestation d'aide ménagère à domicile (86 %).

Les compétences de la branche vieillesse en matière d'action sociale sont anciennes, limitées, spécialisées et désormais subsidiaires par rapport à la compétence générale des départements.

2. La pluralité des réseaux entraîne des difficultés de pilotage et de mise en cohérence des actions sociales menées par les différents acteurs

Le fait que deux réseaux, celui des collectivités territoriales et celui de la sécurité sociale, soient chargés de l'action sociale n'est pas nécessairement un gage d'efficacité. D'autant que chacun des réseaux, pris isolément, est difficile à piloter.

Les chevauchements de responsabilités en matière d'action sociale entre les collectivités territoriales, et en particulier les communes et les départements, rendent difficile la mise en cohérence des actions. Les principes de l'organisation territoriale la compliquent encore.

L'action sociale, nous l'avons vu, est un domaine où n'a pas été appliqué le principe de « bloc de compétence » qui a prévalu le plus souvent pour la répartition des compétences dans le cadre de la décentralisation. En matière d'action sociale, il n'y a pas de compétence exclusive d'un niveau de collectivité territoriale. Les communes, les départements mais aussi les régions (en matière de formations aux métiers sociaux) détiennent une part de la compétence, et cela même si les départements se sont vu donner, progressivement depuis vingt ans, un rôle prééminent.

Des avancées en matière de pilotage, ou plutôt de maîtrise d'œuvre, de l'action sociale par le département ont bien été accomplies mais les principes de la décentralisation que sont le principe de libre administration des collectivités territoriales et celui de non subordination entre les régions, les départements et les communes, empêchent en réalité tout pilotage clair de l'action sociale.

M. Edward Jossa, directeur général des collectivités locales au ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, remarquait lors de son audition par la MECSS, le 11 janvier 2007 que : « Dans le domaine de l'action sociale, tout le monde peut intervenir : l'État, les collectivités locales, les établissements publics, les organismes de sécurité sociale, les associations financées par l'État. C'est le domaine dans lequel le principe de non-spécialisation s'est le plus généralisé. Les relations entre les communes et les intercommunalités sont à cet égard significatives : l'existence d'un centre communal d'action sociale (CCAS) n'interdit pas à la commune d'intervenir directement et la création d'un centre intercommunal d'action sociale (CIAS) n'entraîne pas le dessaisissement des CCAS des communes membres. Il existe bien d'autres exemples : personne n'accepterait d'abandonner son pré carré au profit d'une structure mutualisée.

Se pose par conséquent la question du pilotage, et l'article 49 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales confère au département la qualité de « chef de file numéro un ». Cette mesure est néanmoins d'une portée effective relative puisqu'elle n'autorise pas un département à intervenir directement pour imposer des orientations aux autres acteurs : c'est un chef de file passablement virtuel, dont le rôle, en l'état de la réglementation, ne peut aller au-delà de l'animation et de la coordination locales. »

De ce fait, les départements doivent, pour être efficaces, privilégier l'approche partenariale avec les autres collectivités territoriales.

Le pilotage des caisses locales (CRAM, CPAM, CAF) par les caisses nationales n'est pas tellement plus aisé. En effet, en raison de la tradition d'autonomie de gestion des caisses locales, les caisses nationales et leur tutelle ont encore des difficultés à imposer leurs vues. La loi du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie a permis d'apporter des améliorations à la gouvernance de la branche maladie mais celles-ci n'ont pas concerné les autres branches.

Toutefois, de réels progrès ont été faits (instructions des caisses nationales fixant des règles communes, conditions et barèmes, réunions des directeurs de caisses locales...) pour rapprocher, sinon harmoniser, les pratiques des caisses. Mais les caisses locales et leur conseil d'administration veillent toujours à préserver une certaine marge d'autonomie.

● Des critiques sévères sur l'action sociale de la branche famille

À la suite des dépassements importants de l'enveloppe de crédits d'action sociale de la branche famille et des difficultés éprouvées par la branche vieillesse dans la réorientation de son action sociale après la création de l'APA, le gouvernement a demandé à l'IGAS d'étudier les causes de ce dépassement et de réfléchir au nouveau positionnement de la branche vieillesse en matière d'action sociale. Les résultats de ces investigations ont fait l'objet de deux rapports qui ont été communiqués à la MECSS. Parallèlement, la Cour des comptes a mené, à la demande de la MECSS, une enquête préalable aux propres travaux de la Mission, sur l'action sociale des branches maladie, famille et vieillesse du régime général de sécurité sociale, enquête dont les conclusions ont été publiées dans le rapport annuel 2006 de la Cour sur la sécurité sociale.

Ces rapports dressent, dans l'ensemble, un constat sévère de l'action sociale des branches du régime général de sécurité sociale, et en particulier des politiques d'action sociale menées par les branches famille et vieillesse.

Les rapports soulignent la très vive progression des dépenses d'action sociale de la branche famille qui s'est accélérée en fin de période : 11,3 % par an, en moyenne de 2001 à 2003, 15,9 % en 2004 et 15,2 % en 2005. La Cour des comptes indique que, en 2005, l'augmentation des dépenses a été plus de deux fois supérieure à l'objectif (15,2 % au lieu de 7,5 %), ce qui s'est traduit par un dépassement important (241 millions d'euros) de l'objectif de dépenses fixé par la COG 2005-2008. Le rapport souligne « la croissance des dépenses non maîtrisée par la Caisse nationale » en raison « d'importants défauts de conception » des nouveaux systèmes d'aide aux structures (crèches, halte-garderie, centres de loisirs).

En outre, « les moyens n'ont pas été répartis de manière équitable et rationnelle » mais « dans une logique de guichet ouvert et non dans une logique sélective ». Cela a conduit à « de grandes inégalités ». Ainsi pour les contrats enfance, les écarts constatés en terme de dépenses par enfant, par an et par CAF sont importants. Les financements assurés par les CAF varient de 30 euros à 330 euros. Le rapport critique aussi le fait que les aides financières visent à prendre en charge des coûts de fonctionnement pérennes, plutôt que des besoins ponctuels et qu'elles bénéficient d'un financement sur crédits évaluatifs et non limitatifs. De fait, les prestations de service versées par les CAF se sont écartées de la logique facultative et subsidiaire qui caractérise, en principe, les dépenses d'action sociale. Le rapport de la Cour conclut que ces dérives ont été rendues possible par la faiblesse de la réflexion stratégique et du contrôle de gestion de la CNAF, ainsi que par l'insuffisante vigilance du ministère chargé de la famille.

Le rapport de l'IGAS sur le fonds national d'action sociale de la CNAF souligne « la fragilité des outils de financement » de la petite enfance (prestations de service ordinaire et prestations de service contractuelle) qui ne permettent ni de maîtriser la dépense (entre 2001 et 2005, le coût d'un place en crèche pour la branche famille a augmenté de 58 %), ni de cibler les communes prioritaires. Il regrette aussi la faiblesse de l'animation du réseau et les retards pris dans la mise en place d'un système d'information performant. Le rapport évoque aussi « un dysfonctionnement global de la gouvernance de la branche famille en matière d'action sociale » et le retard pris par la CNAF dans la définition d'un cadre de gestion à la hauteur des enjeux financiers du FNAS et dans la mise en place des solutions visant à freiner la dépense.

La CNAF a pris en 2006 diverses mesures pour tenter de remédier à cette situation. Une première série de mesures vise à assigner aux caisses des enveloppes limitatives de crédits dans l'attribution des nouveaux contrats mais aussi pour honorer les engagements contractuels passés. En outre, est mise en place une sélectivité dans l'attribution des contrats, les aides étant ciblées sur les territoires présentant un déficit en structures et places de garde d'enfant et dont les populations sont plus défavorisées.

Le nouveau dispositif de financement du fonctionnement des crèches prend la forme d'un contrat dit « enfance et jeunesse » qui réunit les anciens contrats « temps libre » et le financement des crèches. Il fixe un cadre temporel plus strict, puisqu'il s'agit désormais de contrats de quatre ans. Les dépenses sont prévues dès l'origine sans qu'il soit possible d'opérer des dépassements, comme cela était autorisé auparavant, et les dépenses éligibles dans ces contrats sont définies de façon plus rigoureuse, en privilégiant notamment les dépenses de garde proprement dite, c'est-à-dire affectées à la place de crèche, et en cantonnant les dépenses de coordination qui ont trait à la fabrication même des contrats et à leur suivi. Par ailleurs, des prix plafond pour chaque action financée ont été fixés qui doivent permettre de maîtriser la dépense et de respecter les objectifs fixés par la COG.

Il est encore trop tôt pour apprécier l'impact de ces nouvelles mesures.

● Le problème du positionnement de l'action sociale de la CNAVTS

Encore aujourd'hui, la CNAVTS consacre l'essentiel (68 % en 2005, soit 235 millions d'euros) de ses dépenses d'action sociale au financement de l'aide ménagère à domicile dont bénéficient plus de 300 000 retraités du régime général. La Caisse attribue aussi des aides techniques (aménagement de l'habitat pour permettre le maintien à domicile) pour un montant limité (23 millions d'euros) et finance des aides à la création et à la modernisation des établissements à but non lucratif d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (63 millions d'euros). Dans son rapport 2006 sur la sécurité sociale, la Cour des comptes précise « qu'au total, la contribution de la branche retraite au financement des établissements d'hébergement des personnes âgées est relativement marginale », puisqu'en 2003 et 2004, la CNAVTS n'a cofinancé que respectivement 10,3 % et 7,8 % des investissements sanitaires et sociaux en faveur des personnes âgées.

A la suite de la création de l'APA, la CNAVTS a entamé une réorientation de son action sociale.

Le rapport de l'IGAS relatif à la politique de maintien à domicile des personnes âgées relevant de l'action sociale de la CNAVTS rappelle tout d'abord que la décision de recentrage de la politique d'action sociale de la branche a été prise sous la contrainte de la montée en charge des départements et dans un but de remobilisation de la branche. La réflexion qui a été alors menée, purement interne, s'est placée dans une logique de détermination d'un territoire d'action où la branche pourrait être reconnue, voire incontestée. Le rapport de l'IGAS ajoute que la CNAVTS « craint que l'essentiel des crédits du FNASSPA lui soit retiré et que les conseils généraux prennent la responsabilité de l'ensemble de la politique gériatrique, si elle continue d'incarner une conception traditionnelle de l'action sociale, orientée à l'excès sur une unique prestation : l'aide ménagère ».

La CNAVTS a ensuite fixé, avec l'accord de la tutelle, comme objectif de son action sociale, de développer une démarche de prévention de la dépendance et de diversification de l'offre de services. La Caisse nationale a défini une nouvelle cible. Elle concentre désormais l'aide ménagère sur les personnes âgées les moins dépendantes relevant des GIR 5 et 6. Par ailleurs, depuis 2003, elle expérimente de nouvelles prestations destinées à offrir des alternatives à l'hébergement permanent : l'aide à l'hébergement temporaire et l'aide au retour à domicile après hospitalisation (ARDH). La CNAVTS a également décidé de développer une nouvelle procédure d'évaluation globale des besoins qui doit déboucher sur l'élaboration de plans d'actions personnalisés (PAP).

Par ailleurs, afin de mieux encadrer l'action des caisses régionales d'assurance maladie (CRAM), la CNAVTS a décidé l'élaboration de schémas directeurs régionaux d'action sociale devant comporter une analyse prospective des besoins régionaux. Le partenariat local entre les CRAM et les départements fait en général l'objet de la signature d'une convention de coordination gérontologique pour assurer la continuité de l'accompagnement des bénéficiaires de l'APA et pour organiser la mise en œuvre de la politique gérontologique au sein des réseaux et des centres locaux d'information et de coordination (CLIC), au financement desquels les CRAM participent de manière variable.

Les rapports de l'IGAS et de la Cour des comptes font état d'insuffisances dans la réflexion préalable et la définition des objectifs de la réorientation, et d'importantes difficultés dans sa mise en oeuvre. La Cour indique que la CNAVTS ne s'est pas suffisamment interrogée sur les besoins réels de son nouveau public cible, c'est-à-dire les retraités les moins dépendants. Elle souligne que le développement de l'aide à l'hébergement temporaire bute sur la rigidité de l'offre qui tient à la difficulté de trouver des opérateurs et de parvenir à l'équilibre financier. La Cour estime aussi qu'avec l'aide au retour à domicile après une hospitalisation il y a un risque avéré de redondance avec l'APA d'urgence. La Cour regrette enfin que le partenariat local entre les départements et les CRAM ne soit pas, dans de nombreux cas, suffisamment approfondi. L'IGAS note même que l'impréparation de la réforme a conduit à une crise. Elle souligne que la mise en œuvre de la réforme a été insuffisamment préparée, concertée et expliquée et qu'elle peine à entrer dans les faits. L'IGAS estime enfin que les mesures prises dans le cadre de la COG en vigueur portent en filigrane la création d'une « petite APA » au profit des personnes relevant des GIR 5 et 6.

Face à la montée en charge du rôle du département en matière de politique gérontologique et compte tenu des difficultés rencontrées par la CNAVTS dans la réorientation de sa politique d'action sociale, les deux rapports posent la question de la légitimité du maintien d'une action sociale de la branche vieillesse.

L'IGAS propose deux voies possibles d'évolution :

- soit unifier les modes d'accompagnement des personnes dépendantes en prévoyant un seul mode d'évaluation de leurs besoins, une unique autorité compétente, dont on voit mal que ce ne soit pas le département, et une prestation de type APA dont le contenu et le coût serait modulé en fonction des besoins d'aide ;

- soit, au contraire, creuser l'écart entre les personnes relevant de l'APA, et qui continueraient d'en relever, et les autres pour lesquelles la CNAVTS serait compétente.

La Cour des comptes suggère de supprimer les redondances et d'améliorer la complémentarité de l'action sociale de la CNAVTS avec celle des collectivités territoriales. A défaut, ajoute la Cour, c'est la légitimité même d'une action sociale autonome de la branche qui serait remise en cause.

● Les dépenses d'action sociale de la branche maladie sont limitées

Près de la moitié (52 % en 2004) des dépenses du Fonds national d'action sanitaire et social (FNASS) de la branche maladie, qui s'élevaient à 661 millions d'euros en 2005, est consacrée au financement de dépenses obligatoires qui ne correspondent pas à la définition d'action sociale facultative des caisses de sécurité sociale.

Ces prestations à caractère obligatoire concernent la prise en charge :

- des frais d'hébergement et de transport dans le cadre du thermalisme ;

- des tickets modérateurs applicables aux malades atteints de certaines maladies graves hors liste, ou de plusieurs affections invalidantes nécessitant des soins de longue durée ;

- de la surveillance post professionnelle des salariés ayant été exposés à des agents pathogènes ;

- du ticket modérateur sur les soins de prévention bucco-dentaire pour les enfants âgées de 13 à 18 ans.

Ces prestations obligatoires sont distribuées, au niveau départemental et local, par les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) et les caisses générales de sécurité sociale (CGSS) dans les départements d'outre-mer.

Depuis 2001, le Conseil de la CNAMTS demande le transfert, sur le risque maladie des dépenses obligatoires imputées sur le Fonds d'action sanitaire et sociale (FNASS) de la branche maladie.

Une note transmise par le directeur général de la CNAMTS, avant son audition, précise :

« Il est rappelé qu'au regard de la nature des pathologies en cause, du caractère obligatoire et, partant, de l'évolution exponentielle de ces prestations, des difficultés de gestion rencontrées chaque année par les caisses pour l'exécution des opérations d'arrêté des comptes, le transfert de ces prestations sur le risque maladie est demandé par le Conseil depuis 2001 ».

La Cour des comptes a demandé, à plusieurs reprises, que toutes les dépenses à caractère obligatoire soient exclues du FNASS.

Dans le même sens, la MECSS souhaite que les dépenses à caractère obligatoire ne soient plus imputées sur le FNASS et qu'elles soient transférées sur la gestion du risque maladie. Par ailleurs, elle souhaite que les pratiques des caisses locales dans l'attribution des aides facultatives soient harmonisées.

La Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) doit être évoquée, puisqu'elle participe, pour le compte de l'État, à la mise en œuvre des politiques publiques en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées.

La CNSA, créée en 2004 et dont les missions ont été étendues en 2005, est, en effet, chargée de gérer et de répartir l'essentiel des crédits dédiés à la perte d'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, lorsque ces dotations relèvent du champ de compétences des ministres chargés de l'action sociale et de la sécurité sociale.

La CNSA est un organisme d'un genre nouveau qu'il est difficile de classer dans une des catégories préexistantes. Les dispositions qui la régissent ont été insérées dans le code de l'action sociale et des familles et non dans le code la sécurité sociale, comme celles concernant les caisses nationales des branches maladie, famille, vieillesse et recouvrement du régime général de sécurité sociale.

La CNSA, comme son nom l'indique, peut être considérée comme une caisse puisqu'elle répartit des financements mais aussi, ainsi que l'indique le premier rapport annuel 2006 de la CNSA, comme une agence technique et d'appui. Quel sera l'avenir de ce nouvel acteur inclassable, ce « Janus » de la protection sociale ? Il est encore difficile de le préciser aujourd'hui.

La CNSA est une instance en devenir qui est prise entre deux logiques : d'une part, la logique originaire d'agence de répartition de moyens, d'expertise, de concertation, d'organisation de l'offre et d'évaluation, d'autre part, la logique administrative classique. On sent en effet la volonté de la CNSA de ne pas être en reste par rapport au modèle traditionnel de caisse nationale. Dans son rapport annuel 2006, la CNSA indique envisager de créer son propre réseau d'antennes régionales. Des préoccupations pratiques relatives à la difficulté pour la CNSA d'animer directement un réseau de cent départements depuis le siège parisien explique sans doute ce projet. On ne peut toutefois s'empêcher de se demander si la puissance du modèle de caisse ne joue pas aussi - déjà, pourrait-on dire - un rôle dans l'affirmation de cette orientation.

L'avenir de la CNSA et l'éventuelle organisation d'un réseau régional ou local sont évidemment totalement dépendants des décisions qui seront prises en matière d'accompagnement de la perte d'autonomie.

L'État assure sa fonction normative, de conception et de contrôle de l'action sociale. Sur un plan plus opérationnel, d'une part, il exerce ses compétences résiduelles en matière d'aide sociale, d'autre part, il assure une fonction de mise en œuvre de l'aide et de l'action sociale, en partage avec les collectivités territoriales, les organismes de sécurité sociale et les organismes privés (associations, fondations et entreprises). L'État intervient notamment dans la gestion des dispositifs financés par l'assurance maladie par le biais de la définition du contenu de l'ONDAM et de sa répartition entre les volets sanitaire et médico-social, après le vote du Parlement. De plus en plus, la direction générale de l'action sociale (DGAS) s'efforce de développer des actions d'animation et d'information des réseaux, notamment afin d'encourager la coordination des acteurs. Dans cette logique, la DGAS rencontre tous les mois les grandes associations d'élus locaux et va régulièrement dans les départements et régions pour expliquer la politique d'action sociale de l'État.

Cependant, du fait de la décentralisation mais aussi en raison de moyens insuffisants, les services déconcentrés de l'action sociale (DRASS et DDASS) semblent désormais en retrait. En dépit du maintien de compétences dans ce domaine, notamment la compétence tarifaire des établissements d'hébergement, la tendance au désengagement des DDASS et des DRASS a même été plusieurs fois évoquée lors des auditions organisées par la MECSS.

Les associations jouent un rôle essentiel en matière d'action sociale. Elles constituent des relais et des opérateurs déterminants dans la mise en œuvre de l'action sociale de proximité, en particulier en matière d'aide à la petite enfance, de service à domicile, d'aide aux personnes âgées et aux personnes handicapées. Leur souplesse leur permet de rechercher les réponses les mieux adaptées, notamment aux besoins nouveaux, le plus rapidement possible. Elles interviennent dans l'aide et l'action sociale, soit comme gestionnaires d'établissement ou de services sociaux, soit comme réalisateurs d'actions de terrain.

Les statistiques concernant les associations sont encore lacunaires. L'INSEE a toutefois récemment estimé que les 34 000 associations mobilisées sur le thème de l'action sociale emploient 747 000 salariés. L'action sociale représenterait 45 % du PIB associatif et la valeur ajoutée de ces associations dans le domaine de l'action sociale est estimé à 20,5 milliards d'euros, dont près de 17 milliards de coûts salariaux.

Les collectivités territoriales recherchent le concours des associations pour bénéficier de leur expertise, de leur connaissance du terrain, de leur capacité d'innovation, de leur savoir-faire et de leur réactivité. Souvent l'intervention des associations fait l'objet d'une contractualisation avec la collectivité territoriale.

Cependant, les modalités de contractualisation ne donnent pas toujours la garantie de la meilleure efficacité ou en tout cas du meilleur rapport coût-efficacité, comme cela a été signalé lors des auditions organisées par la MECSS. M. Pierre Jamet, directeur général des services du conseil général du Rhône, a ainsi indiqué, le 14 décembre 2006, que s'agissant de l'aide à domicile : « Dans les zones agglomérées, arrivent sur le marché des sociétés privées à but lucratif qui effectuent souvent du travail de qualité et facturent paradoxalement leurs prestations beaucoup moins cher que certaines associations historiques et politiquement influentes - l'écart correspond à des différences dans les coûts de gestion... Le versement de subventions publiques, notamment de la part des communes, à des associations qui pratiquent des tarifs excessifs risque de susciter, dans l'avenir, des contentieux sur la liberté de la concurrence ».

La MECSS souhaite la généralisation de la contractualisation avec les associations qui oeuvrent dans le domaine de l'action sociale et le renforcement des conditions du conventionnement (fixation d'objectifs), du suivi et de l'évaluation des résultats.

II. - AMÉLIORER LA COORDINATION ET DÉCLOISONNER LE SOCIAL ET LE MÉDICO-SOCIAL AVEC LE SANITAIRE POUR MIEUX RÉPONDRE AUX NOUVEAUX BESOINS

La complexité de l'organisation actuelle peut être assumée à condition de clarifier les compétences, de coordonner les actions et de développer le partage d'information.

A. ÉLARGIR LA MAÎTRISE D'œUVRE DU DÉPARTEMENT SUR L'ACTION SOCIALE ET COORDONNER CELLE-CI AVEC LE SANITAIRE

1. Le département s'affirme comme chef de file de l'action sociale

Les départements, dont les compétences ont été progressivement étendues depuis vingt ans, s'affirment comme les véritables chefs de file de l'action sociale sur les territoires et adaptent leur organisation pour assumer leurs nouvelles responsabilités.

Les présidents de conseil général et les responsables de services d'action sociale départementaux auditionnés par la MECSS ont bien montré le fort engagement des départements dans ce champ de l'action publique. Les informations recueillies par l'IGAS sur le terrain vont dans le même sens, confirmant une volonté affirmée des départements d'être les responsables d'un développement territorial solidaire.

Les résultats des investigations de l'IGAS indiquent toutefois que certains départements éprouvent des difficultés à assimiler les réformes qui se sont succédé à un rythme soutenu ces dernières années dans le champ de l'action sociale. L'IGAS note en particulier la mise en œuvre lente et partielle de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Ces observations concernent plus particulièrement les retards constatés dans la mise en place des maisons départementales du handicap (MDPH), notamment en raison de problèmes liés à la diversité de statuts des personnels, et des fonds de compensation du handicap (FCH), du fait des difficultés rencontrées pour réunir les financements.

Le recul de trois années dont on dispose concernant la mise en œuvre de la décentralisation complète de la gestion du RMI permet de percevoir les logiques d'évolution des départements. Face à leurs nouvelles responsabilités en matière d'action sociale, les conseils généraux adoptent soit une logique qui traduit la volonté de maîtriser le nouveau dispositif, soit une logique qui privilégie la territorialisation et le partenariat. Ces approches différenciées tiennent aux histoires et aux contextes locaux.

La territorialisation des dispositifs se traduit en général par le maillage du territoire en instances départementales plus ou moins spécifiques (circonscriptions d'action sociale, maisons départementales de la solidarité...). Ainsi, le département du Nord a créé (pour les six arrondissements qu'il comporte) huit directions territoriales de l'action sociale et quarante-deux unités territoriales (ne correspondant pas exactement aux cantons, afin de prendre en compte les différences de population) qui sont les interlocuteurs des élus locaux et des relais locaux des organismes de sécurité sociale, ainsi que 29 centres locaux d'information et de coordination (CLIC). Le département du Rhône a créé une unité territoriale par canton qui est placée sous l'autorité d'un directeur et dispose de responsables pour chaque secteur d'action, médecine, enfance, personnes âgées et personnes handicapées, intégration sociale, auxquels s'ajoutent un responsable voirie, un responsable administratif et un responsable bâtiments.

L'inventivité des départements, à laquelle incite la décentralisation des compétences, se traduit par une grande diversité des structures et une grande variété de missions. Les configurations départementales qui en résultent peuvent donc être très différentes.

Sur un champ plus restreint, comme celui du RMI, on observe par exemple des évolutions différenciées concernant les commissions locales d'insertion (CLI). Selon la loi, ces dernières sont désormais conçues comme des instances visant à organiser localement l'offre d'insertion et non plus à statuer sur les situations individuelles. L'intégration de cette dimension s'est faite de multiples façons. Dans certains départements, les CLI exercent désormais un double rôle de suivi individuel et de réflexion sur l'offre d'insertion, tandis que dans d'autres, des instances de gestion des situations individuelles ont été créées, modifiant ainsi l'activité des anciennes CLI. À l'inverse, certains conseils généraux ont maintenu le rôle des CLI mais créé des structures spécifiques pour organiser l'offre d'insertion. D'autres encore ont conservé les CLI telles qu'elles existaient et gèrent l'offre d'insertion au niveau des services du conseil général lui-même.

On observe des pratiques différentes des départements concernant la politique en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées. Depuis le 1er janvier 2005, l'autorisation de la création des CLIC relève du président du conseil général. Dans le but d'améliorer les réponses apportées aux personnes âgées et aux personnes handicapées, le département de l'Isère a décidé de réunir ces deux volets de son action sociale en une seule politique de « l'autonomie » et de territorialiser son organisation. À compter du 1er janvier 2007, sont créés des services « autonomie » au sein des maisons du conseil général et de nouvelles instances de coordination pour l'autonomie sont mises en place sur chacun des 13 territoires. Les CLIC sont, en conséquence, supprimés et leurs personnels intégrés dans les nouveaux services.

● L'action sociale communautaire est très peu développée

Selon la DREES, 16 % des 36 579 communes, essentiellement les petites communes rurales en raison de la faiblesse de leurs moyens, ne mènent aucune action sociale. Les autres communes, de taille plus importante, développent une action sociale plus ou moins dense et diversifiée en fonction de leurs propres capacités. Huit petites communes sur dix (de 100 à 5 000 habitants) sont dotées d'un centre communal d'action sociale (CCAS). Dans certains cas l'ensemble de l'action sociale est confiée au CCAS, dans d'autres cas la responsabilité de la mise en œuvre de l'action sociale est partagée entre le CCAS et les services de la mairie. Dans la plupart (85 %) des grandes communes (de 25 000 à 200 000 habitants), la gestion de l'action sociale est directement assurée par les services communaux et la création d'un CCAS est exceptionnelle (2 %).

La coopération intercommunale en matière d'action sociale est très peu développée : seulement 5 % des petites communes sont membres d'un centre intercommunal d'action sociale (CIAS). Les communes qui sont dans ce cas cumulent d'ailleurs souvent la participation à un CIAS et le maintien d'un CCAS.

● L'action sociale des communes est complémentaire de celle des départements

L'action sociale des communes s'adresse aux mêmes grandes catégories de publics que celle des départements, mais les actions conduites peuvent être identiques, complémentaires ou différentes de celles des départements.

Il ressort d'une enquête réalisée par la DREES, en 2002, auprès d'un échantillon de communes qu'en termes de publics, l'aide sociale facultative des départements concerne les mêmes catégories de populations que l'aide sociale des communes (les personnes âgées, les personnes handicapées, les personnes en difficulté, les familles et les jeunes) mais l'implication des communes et des départements apparaît différente selon les publics auxquels ils s'adressent. Les communes interviennent le plus souvent en direction des personnes âgées et très peu en direction des personnes handicapées, alors que les départements interviennent, dans leur aide extralégale ou facultative, de façon significative en faveur des personnes handicapées et âgées et de façon moindre en direction des personnes en difficulté, des familles et des jeunes.

Dans certains cas, les départements et les communes mettent en oeuvre des actions de même nature comme le portage de repas, le service de téléalarme et des services d'aide ménagère pour les personnes âgées ; l'aide au transport des personnes handicapées ; les secours en nature ou en espèces à destination des personnes en difficulté ou enfin la participation aux modes de garde à destination des familles.

Cependant, certaines actions semblent propres aux départements, notamment celles qui viennent en complément des aides sociales légales comme le complément d'ACTP ou le prolongement d'aides dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance. Les autres actions s'adressent aux personnes âgées, comme les mesures liées à l'amélioration ou à l'adaptation du logement, les matériels techniques nécessaires à l'autonomie de la personne âgée, les aides au déplacements ou aux transports, le soutien financier à des associations d'aide à domicile, la garde de nuit, l'accueil de jour..., mais aussi aux familles à travers l'aide à la parentalité ainsi que le soutien à la formation et à l'insertion des jeunes. En ce qui concerne l'aide aux personnes handicapées, les départements ont une implication beaucoup plus forte en faveur de ce public, aussi bien en termes de prestations versées que de participation financière auprès des associations du secteur.

Par contre, une plus grande complémentarité semble exister entre les deux types de collectivités dans le secteur des personnes en difficulté. En effet, les communes sont très actives dans le domaine de l'urgence sociale, grâce à la mise en oeuvre de services d'accueil d'urgence, de logements d'urgence ou de boutiques de solidarité (qui proposent des services, tels que des repas, un point d'hygiène, une laverie, une aide aux démarches administratives) ainsi que de dispositifs mobiles. Elles proposent aussi des services de proximité comme les banques alimentaires, les épiceries sociales ou solidaires, des cours d'alphabétisation, les services d'un écrivain public.

Par contre les départements évoquent d'autres types d'aides concernant le transport des personnes en difficulté ou à la recherche d'un emploi, des heures d'aide ménagère pour les personnes sortant d'une hospitalisation ou présentant des problèmes de santé, la prise en charge de soins ou de protection complémentaire en matière de santé ainsi qu'une participation au logement social.

Enfin, il faut souligner la participation des communes dans la gestion d'établissements comme les maisons de retraite, les MAPAD (maisons d'accueil des personnes âgées dépendantes de la MSA), mais aussi les dispensaires, les centres de soins ou d'hygiène alimentaire et d'alcoologie ou, enfin, les centres sociaux ou les services sociaux spécialisés ou polyvalents.

● La demande d'une pause dans les transferts et d'une stabilisation des financements

L'Association des maires de France (AMF), ainsi que cela a été rappelé devant la MECSS, demande une pause dans la décentralisation et une stabilisation des financements afin de permettre aux acteurs locaux d'assimiler les réformes, et de procéder aux réorganisations nécessaires pour assurer la complémentarité entre les acteurs et la mise en cohérence des actions.

Les auditions ont conduit la MECSS à s'interroger sur l'opportunité de maintenir une action sociale des caisses de sécurité sociale qui, au moins en partie, semble redondante avec les actions sociales menées par les collectivités territoriales.

La Mission a pu noter que ses interrogations étaient aussi partagées par les dirigeants des caisses nationales et que le souhait du maintien d'une action sociale de la sécurité sociale était davantage le fait des directeurs de caisses locales auditionnés que des dirigeants nationaux.

La prise de conscience du fait que la décentralisation a changé le panorama de l'action sociale et qu'il convient de s'y adapter est réelle. Face à cette situation les branches ont tenté de procéder à certaines adaptations et réorientations tout en continuant d'augmenter leurs dépenses d'action sociale, sans réelle maîtrise, et parfois, il est juste de le reconnaître, à l'incitation de la tutelle. Au total, force est de constater que les évolutions récentes de l'action sociale des caisses de sécurité sociale du régime général n'apparaissent pas vraiment concluantes. Celle-ci a, pour l'essentiel, perdu sa spécificité et, en conséquence, la valeur ajoutée de l'action sociale des caisses apparaît désormais réduite, de même que sa pertinence.

Lors de son audition par la MECSS, le 7 décembre 2006, M. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale a davantage défendu l'intérêt de l'action sociale que celui de maintenir une action sociale des caisses de sécurité sociale. Il a mis en avant l'attachement des administrateurs des caisses à l'action sociale et le rôle joué par l'action sociale pour compléter les aides légales et expérimenter de nouvelles aides pour répondre aux besoins sociaux.

Il paraît à la MECSS que les collectivités territoriales sont désormais au moins autant fondées à développer des expérimentations que la sécurité sociale, puisque ce droit leur est constitutionnellement reconnu. Il lui semble aussi que le seul intérêt des conseils d'administration des caisses de sécurité sociale à l'action sociale ne saurait suffire à justifier la pertinence de son maintien, alors que les compétences des collectivités territoriales ont été renforcées.

2. La coexistence de deux réseaux pose des problèmes de coordination

Les deux réseaux d'action sociale des caisses et des collectivités territoriales sont organisés selon des logiques différentes. Le réseau des caisses est animé par les conseils d'administration qui sont l'émanation de la démocratie sociale alors que les collectivités territoriales sont dirigées par les présidents de conseils généraux et les maires élus par le suffrage universel. Cette concurrence des légitimités s'est exprimée à plusieurs reprises, plus ou moins explicitement, pendant les travaux de la MECSS. M. Patrick Kanner, président de l'Union nationale des centres communaux d'action sociale (UNCCAS) a ainsi indiqué, lors de son audition, le 23 novembre 2006 : « Aujourd'hui, les caisses n'apportent plus aucune valeur ajoutée, et elles n'ont aucune représentativité démocratique ».

En outre, l'organisation des réseaux répond à des logiques différentes. Les caisses de chaque branche sont organisées selon une logique thématique verticale, en fonction de leur spécialisation par risques, alors que les collectivités territoriales sont organisées selon une logique horizontale d'opérateur territorial pluri-compétent et doté d'une responsabilité générale de cohésion sociale locale. L'approche segmentée des problèmes sociaux qui résulte de l'organisation actuelle de l'action sociale de la sécurité sociale ne paraît pas de nature à apporter la meilleure réponse globale à nos concitoyens en difficulté. Au contraire, la vision transversale des collectivités territoriales paraît mieux à même d'apporter des réponses pertinentes et globales.

La coexistence de deux réseaux ne facilite pas la lisibilité d'ensemble. Les acteurs de terrain s'en plaignent souvent et demandent que des clarifications et des simplifications soient apportées. Les éléments d'information recueillis par la MECSS laissent penser que les organisations locales, la coopération, la coordination et le partenariat entre les acteurs sont variables selon les territoires. Les dynamiques à l'œuvre dépendent des contextes et de la volonté des acteurs locaux. Cette diversité est inhérente à la décentralisation et au développement des responsabilités locales.

Toutefois, les rapports entre les collectivités territoriales et les caisses locales de sécurité sociale (CRAM, CPAM et CAF), de même d'ailleurs qu'avec les services déconcentrés de l'État (DRASS et DDASS), semblent ne pas être toujours optimaux. Des responsables de collectivités territoriales ont le sentiment d'un certain désengagement, voire d'une marginalisation des caisses locales et des services déconcentrés.

Des tensions peuvent également exister entre collectivités territoriales. Le leadership du département en matière d'action sociale n'est ainsi pas toujours bien accepté par certaines grandes villes ou agglomérations qui disposent de moyens humains et financiers importants et souhaitent définir et conduire leur politique d'action sociale sans interférences excessives. Le climat des relations peut en être affecté et les arrangements qui en résultent sont plus ou moins coopératifs.

La CNSA est un organisme encore jeune dont l'avenir est incertain. Des interrogations subsistent en effet sur son efficacité et sa pérennité.

La CNSA peut certes apporter une réelle valeur ajoutée pour promouvoir l'équité territoriale grâce à sa fonction de péréquation en matière d'APA et de PCH, ainsi que de répartition des enveloppes de crédits pour les établissements et services. Mais la CNSA qui est sans pouvoir sur le réseau des collectivités territoriales entretient des rapports parfois difficiles avec les départements. Le rapport de la Cour des comptes de juillet 2006 sur les conditions de mise en place et d'affectation des ressources de la CNSA souligne, d'une part, les difficultés que rencontre la Caisse dans ses rapports avec les départements, d'autre part, les lacunes dans la coordination des schémas départementaux d'organisation sociale et médico-sociale (SDOSMS) avec les schémas régionaux d'organisation sanitaire (SROS) établis par les agences régionales de l'hospitalisation (ARH). Le rapport de la Cour évoque aussi des difficultés de suivi, dans l'animation du réseau et dans l'harmonisation des pratiques des départements.

L'avenir de la CNSA dépendra notamment des décisions qui pourraient être prises concernant l'éventuelle création d'une cinquième branche de sécurité sociale. Mme Hélène Gisserot doit remettre prochainement au gouvernement un rapport sur ce sujet.

La MECSS souhaite que, sans attendre, la compétence de la CNSA concernant la qualité de l'accompagnement actuellement prévu pour les seules personnes handicapées soit étendue aux personnes âgées et que la Caisse soit mobilisée sur ce thème.

L'intérêt pour la coordination n'est certes pas nouveau dans le domaine social et médico-social puisque la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales avait érigé le principe de coordination en objectif central. De fait, cette logique a été bien peu mise en œuvre et on a longtemps continué à raisonner en termes d'équipements autosuffisants et de cloisonnements entre les publics et les structures d'hébergement.

La culture du décloisonnement, du travail en réseau et de la coordination a certes un peu progressé, au cours des dernières années, sous l'effet de la décentralisation et des modifications législatives, mais encore insuffisamment.

Les dispositions en vigueur relatives à la coordination en matière d'action sociale et médico-sociale sont prévues par le code de l'action sociale et des familles.

Les schémas d'organisation sociale et médico-sociale sont établis pour une durée maximum de cinq ans et adopté par le conseil général après concertation avec le représentant de l'État et avis du comité régional de l'organisation sociale et médico-sociale. Ils évaluent les besoins sociaux et médico-sociaux, dressent le bilan de l'offre existante, déterminent les objectifs d'évolution, lesquels sont assortis d'une éventuelle programmation pluriannuelle, et enfin « précisent le cadre de la coopération et de la coordination entre les établissements et services...ainsi qu'avec les établissements de santé » (articles L. 312-4 et L. 312-5).

Par ailleurs, afin de coordonner la mise en œuvre des actions, une convention pluriannuelle doit être conclue entre le département, l'État et les centres communaux d'action sociale gestionnaires d'établissements sociaux ou médico-sociaux (article L. 312-6).

Enfin, les établissements et services, dans le cadre de réseaux sociaux ou médico-sociaux coordonnés, « peuvent » conclure des conventions avec des établissements de santé, créer des groupements d'intérêt économique ou des groupements d'intérêt public, ou encore des groupements de coopération sociale ou médico-sociale auxquels peuvent être associés des professionnels libéraux (article L. 312-7). Un décret du 6 février 2006 précise les conditions d'application de ces dernières dispositions. Lors de son audition par la MECSS, M. Jean-Jacques Trégoat, directeur général de l'action sociale au ministère de la santé et des solidarités, a fait état de tous les efforts d'information déployés auprès des associations d'élus et des départements pour promouvoir la coordination et l'utilisation des dispositifs proposés.

Face au sentiment de confusion en matière d'action sociale, souvent affirmé par les acteurs, la demande de clarification et de simplification apparaît ambiguë. En effet, le risque est grand que les habitudes du passé, du « chacun chez soi », renforcées par certaines positions divergentes des acteurs sur l'avenir et la conduite de l'action sociale, l'emportent et que la complexité soit finalement assumée.

La MECSS considère qu'il faut tenir compte des enseignements tirés d'une expérience déjà ancienne et estime que cette démarche d'incitation à la coordination est intéressante mais insuffisante pour impulser une réelle dynamique qui puisse déboucher sur des avancées tangibles. Il lui paraît que les outils actuellement proposés ne permettront d'obtenir qu'un minimum de coordination dans des délais importants et dans des conditions de disparités discutables. La MECSS considère que la mise en cohérence des acteurs pour améliorer la qualité du service rendu aux personnes et l'efficience d'ensemble de l'action sociale ne peut attendre.

 Coordonner les acteurs du « service public de la petite enfance »

Le rapport sur le service public de la petite enfance que le Centre d'analyse stratégique vient de remettre au premier ministre8 apporte des éléments d'information intéressants, notamment sur deux points : la création d'un service public de la petite enfance et l'instauration d'un droit opposable au mode de garde pour les très jeunes enfants.

Le rapport écarte la création d'un droit opposable au mode de garde en raison de l'importance du coût que représenterait la mise en place d'une telle mesure. Compte tenu de la diversité des acteurs intervenants dans le champ de l'accueil de la petite enfance, il ne propose pas non plus la création d'un véritable service public avec instauration d'une compétence obligatoire.

Il rappelle d'abord que le coût global (incluant notamment les prestations familiales, les réductions d'impôt et l'action sociale) pour la collectivité de l'accueil de la petite enfance s'élève à 19,3 milliards d'euros, ce qui correspond à 1 % de PIB.

Puis, il chiffre l'impact financier d'une augmentation de 10 % du nombre d'enfants de 0 à 3 ans couverts par un mode de garde collectifs par rapport à la situation d'accueil en 2006 et compte tenu des créations de places déjà programmées sur la période 2007-2011. Cela correspondrait à la création additionnelle de 79 000 places de crèche et de 60 000 places d'assistantes maternelles. Avec une montée en charge de cinq ans, ce programme additionnel coûterait tous financeurs confondus, 3,8 milliards d'euros d'ici à 2011 pour les places en accueils collectifs (dont 2,1 milliards d'euros à la charge de la CNAF) et 1,3 milliard d'euros pour les places chez les assistantes maternelles (dont 1 milliard d'euros pour la CNAF).

Au total, l'impact financier d'un tel accroissement de l'offre d'accueil peut être évalué à environ 5 milliards d'euros sur cinq ans, puis 1,3 milliard d'euro chaque année en fonctionnement.

Le rapport du Centre d'analyse stratégique ajoute que : « Ces montants permettent de mesurer le défi que représenterait la généralisation d'une offre collective d'accueil, pour les finances publiques, aussi bien locales que nationales ».

Il est donc seulement proposé d'améliorer le recensement des besoins et la structuration de l'offre territoriale.

La MECSS souhaite que soit instauré un schéma départemental d'organisation de la petite enfance. Ce schéma serait arrêté par le président du conseil général, après concertation avec l'ensemble des acteurs participant à l'accueil de la petite enfance (communes, établissements publics de coopération intercommunale, caisses d'allocations familiales).

Par ailleurs, elle souhaite que le référentiel d'agrément des assistants maternels (contenu de la formation, normes standards de qualité, conditions d'agrément, de suivi et de contrôle) soit renforcé.

 Recentrer la branche vieillesse sur son cœur de mission

Comme cela a déjà été souligné, la prise de conscience de la nécessité de s'adapter au nouveau panorama de l'action sociale issu de la décentralisation est bien réelle mais les réorientations n'apparaissent pas toutes concluantes, en particulier celles accomplies par la branche vieillesse.

En conséquence, la MECSS préconise donc de transférer au département la pleine maîtrise de l'action sociale en faveur des personnes âgées.

La MECSS considère en effet que le partage actuel des responsabilités entre les CRAM, pour les aides aux GIR 5 et 6 et les départements pour les aides - notamment l'APA - pour les GIR 1 à 4, n'est pas pertinent et optimal. Il lui apparaît qu'il convient de privilégier, autant que possible, la logique de bloc de compétence qui a présidé à la décentralisation.

La MECSS estime que dans un but de cohérence, de simplification et d'efficacité, la reconnaissance du département comme pilote sur les territoires de la politique en faveur des personnes âgées doit conduire à lui transférer l'action sociale menées par les CRAM. La gestion de l'ensemble de l'aide ménagère serait ainsi confiée au département.

Cette mesure serait de nature à permettre au département d'avoir enfin une vision globale sur les problèmes rencontrés par les personnes âgées et d'y apporter des réponses globales dans la continuité. Les départements seraient mieux à même d'organiser l'ensemble de l'offre, en particulier l'offre d'aide à domicile, de procéder à l'unification de l'évaluation des besoins des personnes, d'harmoniser les plans d'aide et le suivi. Une telle solution présenterait également l'intérêt d'impliquer davantage les départements dans la politique de prévention de la perte d'autonomie et d'organiser sur les territoires la solidarité intergénérationnelle dans le cadre du programme « bien vieillir ».

Dans ce nouveau partage des compétences, la branche vieillesse de la sécurité sociale seraient recentrée sur la liquidation des prestations de sécurité sociale. Elle pourrait notamment se consacrer à la charge croissante de liquidation des pensions et la mise en œuvre du droit à l'information sur la retraite. Les effectifs des CRAM et des CPAM affectés à l'action sociale en direction des personnes âgées pourraient notamment être redéployés sur les fonctions d'accueil et de contrôle.

 Instaurer une obligation de coordination

Par ailleurs, la MECSS estime que la simple incitation à la coordination ne suffit pas. Il convient de renforcer les dispositions dans ce domaine et d'instaurer une obligation de coordination pour tous les acteurs de l'action sociale et médico-sociale qui reçoivent des financements publics directs ou indirects.

Les insuffisances de la connaissance en matière de besoins, d'offre et d'activités d'action sociale ont souvent été soulignées lors des auditions.

La MECSS estime qu'il convient, afin de pallier ces insuffisances, de généraliser la création d'observatoires départementaux des besoins sociaux. Ces observatoires viendraient compléter les travaux menés par les comités régionaux de l'organisation sociale et médico-sociale.

En application de l'article R. 123-1 du code de l'action sociale et des familles, issue d'un décret du 6 mai 1995, les CCAS ont l'obligation de procéder chaque année à une analyse des besoins sociaux (ABS) de la commune. Cet outil de recensement et d'analyse des besoins sociaux est très peu utilisé.

La MECSS, considère que l'ABS est un moyen essentiel pour améliorer la connaissance des besoins sociaux et pour développer la prévention sociale et, autant que possible, traiter les problèmes avant qu'ils ne prennent une ampleur telle qu'ils deviennent plus difficiles à résoudre. Elle regrette que cet outil de diagnostic territorial partagé, créé il y a plus de dix ans, soit encore si peu utilisé.

En conséquence, la MECSS souhaite que l'obligation d'analyse annuelle des besoins sociaux soit respectée par les CCAS. Elle préconise aussi l'extension de cet outil de diagnostic social local aux communes de plus de 5 000 habitants qui ne sont pas dotées de CCAS.

Les résultats des ABS réalisés par les CCAS ou les communes devraient contribuer à alimenter les observatoires départementaux.

Par ailleurs, afin de donner une plus grande effectivité aux schémas départementaux d'action sociale et médico-sociale, il serait souhaitable de mieux articuler la programmation budgétaire des schémas avec les objectifs qu'ils prévoient. La MECSS souhaite également que l'approche objectifs-moyens-résultats soit appliquée aux schémas départementaux d'organisation sociale et médico-sociale.

Le département détient la responsabilité de la coordination des acteurs de l'action sociale. Toutefois, il peut déléguer cette compétence aux communes (article L. 121-6 du code de l'action sociale et des familles). Mais cette pratique de délégation par convention aux communes paraît peu développée.

Lors de son audition, le 7 décembre 2006, Mme Marie-Claude Serres-Combourieu, responsable du département action sociale, éducative, sportive et culturelle de l'AMF, a ainsi rappelé : « Il est également possible de passer des conventions avec les conseils généraux, mais elles sont à ce jour peu nombreuses ». Et Mme Françoise Descamps-Crosnier, membre du bureau de AMF a ajouté : « Si le maire est le fédérateur de l'action sociale au niveau local, il n'a pas pour autant toujours la possibilité de mobiliser l'ensemble des acteurs et des partenaires, y compris parfois le conseil général. Les membres de l'AMF expriment donc le souhait de pouvoir mobiliser beaucoup plus facilement l'ensemble des partenaires ».

La MECSS estime qu'il serait souhaitable d'inciter les départements, qui doivent continuer à détenir la compétence de coordination en matière sociale et médico-sociale, à déléguer, en application du principe de subsidiarité, cette compétence aux communes lorsque cette solution apparaît plus efficace.

Par ailleurs, la MECSS souhaite que l'action sociale communautaire, encore peu développée, soit encouragée. Il pourrait notamment être envisagé, soit de faire figurer la compétence d'action sociale d'intérêt communautaire dans la liste des compétences obligatoires des communautés de communes ou des communautés d'agglomérations, soit de créer des incitations financières à l'intégration de la compétence optionnelle d'action sociale dans les compétences exercées par les établissements publics de coopération intercommunale.

3. Le cloisonnement avec le sanitaire est préjudiciable aux personnes et à l'efficacité du dispositif

Le constat de la perte d'efficacité et d'efficience en raison du cloisonnement des secteurs sanitaire et social n'est pas nouveau, mais il est de plus en plus partagé. M. Jean-Jacques Trégoat, directeur général de l'action sociale au ministère de la santé et des solidarités, indiquait ainsi lors de son audition, le 21 décembre 2006 que : « Le système atteint aujourd'hui ses limites car il est parcellisé, segmenté et verticalisé, avec des financeurs divers ».

Dans le cadre de la nouvelle organisation régionale de la santé prévue par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, les comités régionaux de l'organisation sanitaire et sociale (CROSS) qui comportaient deux sections, une section sanitaire et une section sociale, ont été éclatés entre :

- la composante sanitaire qui est devenue une section spécialisée du conseil général de santé (dénommé à nouveau conférence régionale de santé depuis la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé) ;

- et la composante médico-sociale qui a été placée en dehors du conseil régional de santé. La mission de la section sociale des comités régionaux de l'organisation sanitaire et sociale a alors été confiée à de nouvelles instances dénommées « comités régionaux de l'organisation sociale et médico-sociale ».

La loi du 4 mars 2002 a ainsi réalisé un « découplage » du social et du médico-social par rapport au sanitaire, solution qui présente des inconvénients. Ce découplage ne garantit pas une bonne articulation entre le sanitaire, le social et le médico-social. En outre, alors que la planification sanitaire relève du niveau régional et de l'ARH, la planification sociale et médico-sociale relève du département. Des dispositions prévoient toutefois un minimum d'articulation entre les secteurs. D'une part, le schéma régional d'organisation sanitaire (SROS) « tient compte de l'articulation des moyens des établissements de santé avec la médecine de ville et le secteur social et médico-social... » (article L. 6212-1 du code de la santé publique). D'autre part, les schémas d'organisation sociale et médico-sociale sont établis « en cohérence » avec les SROS (article L. 312-4 du code de l'action sociale et des familles).

Cette situation est la conséquence du choix qui a été fait de répartir les compétences sanitaires et sociales entre deux niveaux de collectivités territoriales. Elle pose cependant des problèmes de coordination des planifications et ne permet pas d'assurer la cohérence optimale de l'ensemble des actions.

Or le travail en réseau décloisonné est le gage d'une amélioration de la qualité du service rendu aux personnes et d'une meilleure efficience. La transversalité doit se substituer, autant que possible à la verticalité. Les résultats obtenus par les réseaux gérontologiques de la Mutualité sociale agricole (MSA) démontrent la pertinence de cette approche et sa plus grande efficacité par rapport à une organisation classique. Un rapport d'évaluation de la MSA concernant une expérimentation de réseau gérontologique montre ainsi l'intérêt d'un mode d'organisation qui permet de privilégier le maintien à domicile des personnes âgées dépendantes, grâce à un dispositif d'accompagnement global qui coordonne et articule les interventions des différents acteurs sanitaires et sociaux. La mise en réseau permet de renforcer l'attractivité du territoire concerné tant pour les personnes âgées que pour les professionnels de santé et d'assurer la continuité des prises en charge, si importante pour les personnes âgées.

La comparaison entre un groupe de personnes accompagnées par le réseau gérontologique et un autre groupe de personnes prises en charge de manière classique permet de mettre en évidence :

- une plus faible mortalité pour les personnes dans le réseau ;

- un recours moindre aux urgences hospitalières ;

- une diminution des hospitalisations (moins nombreuses et moins longues) ;

- une qualité de vie améliorée pour les personnes âgées ;

- un effet d'entraînement positif sur l'offre de soins ambulatoires ;

- une plus grande satisfaction de l'ensemble des acteurs ;

- une dépense d'hospitalisation inférieure d'un tiers, une dépense ambulatoire équivalente mais comprenant moins de médicaments et, au total, des dépenses médicales, hospitalières et ambulatoires, inférieures de 16 %.

Le bilan global est donc « gagnant-gagnant ». Le réseau gérontologique permet d'améliorer l'efficience et la qualité des prises en charges, d'éviter la grabatisation des personnes âgées et de réduire les coûts d'ensemble.

La MECSS considère que les différentes mesures visant à coordonner les acteurs de chaque secteur, sanitaire et social et médico-social, de même que les dispositions actuelles qui visent à organiser des réseaux de santé ou d'urgence, sont positives mais insuffisantes. Elle estime que le décloisonnement des secteurs et la mise en réseau des acteurs des deux secteurs constituent des enjeux prioritaires. Elle préconise en conséquence la création d'un « réseau santé-social » régional permettant d'articuler précisément l'ensemble des acteurs sanitaires sociaux et médico-sociaux.

Cela suppose de mettre en place un schéma régional commun à l'organisation sociale, médico-sociale et à l'organisation sanitaire qui permettrait d'optimiser l'organisation des deux secteurs, d'assurer des services polyvalents et coordonnés, et de faciliter la continuité de l'accompagnement.

En outre, il convient de prévoir une obligation de coordination et d'insertion dans le réseau santé-social pour tous les organismes concourant à l'action sociale médico-sociale et sanitaire recevant des financements publics.

Il serait aussi souhaitable de mettre en place un réseau de « pôles santé-social » organisé à partir de la généralisation d'un maillage de centres locaux d'information et de coordination (CLIC) aux compétences élargies à l'ensemble des champs social, médico-social et sanitaire. Il s'agirait de réaliser le maillage du territoire en plates-formes multiservices permettant d'apporter de premières réponses concrètes en matière sociale, médico-sociale et sanitaire, ainsi que de développer le partenariat médecine de ville-travail social. Les pôles auraient des missions transversales d'information, d'orientation, d'évaluation, d'attribution d'aides et d'accompagnement. La circonscription des CLIC élargis devrait correspondre au bassin de vie9 qui est le territoire de premier recours en matière sanitaire.

Les caisses de la sécurité sociale devraient y être associées. Les pôles d'accueil en réseau pour l'accès aux droits sociaux (PARADS) devraient y être intégrés.

Il conviendrait en outre de mettre en place un accueil téléphonique régional et départemental unique en matière d'action sociale et sanitaire, regroupant les partenaires principaux et permettant de donner les premières réponses aux demandeurs et de les orienter.

Aujourd'hui, le CLIC est un guichet d'accueil de proximité, d'information, de conseil et d'orientation destiné aux personnes âgées et à leur entourage. Il rassemble toutes les informations susceptibles d'aider les personnes âgées dans leur vie quotidienne et répond à une triple logique :

- logique de proximité ;

- logique d'accès facilité aux droits ;

- logique de réseau.

Il évalue les besoins des personnes, élabore avec elles un plan d'aide individualisé, coordonne la mise en œuvre du plan d'aide par une mise en réseau des professionnels de santé, d'accompagnement à domicile, de l'habitat et les acteurs locaux.

Il initie et développe dans le cadre de son réseau les actions de prévention du vieillissement, de soutien aux aidants naturels, de formation qui contribuent à la qualité de la vie à domicile des personnes âgées.

Il existe 3 niveaux de label :

Niveau 1 : il correspond aux missions d'accueil, d'écoute, d'information et de soutien aux familles. Il suppose un local de permanence, un standard téléphonique, une base de données, des actions de formation/information. Il doit proposer à la fois une information sur les aides et prestations disponibles ainsi que, chaque fois que possible, les dossiers de demande nécessaires à leur obtention.

Niveau 2 : il prolonge le niveau 1 par les missions d'évaluation des besoins et d'élaboration d'un plan d'aide personnalisé. Il propose une palette de services partielle, comme des groupes de paroles, et le suivi de la mise en œuvre du plan d'aide, s'il existe, n'est pas systématique.

Niveau 3 : il prolonge le niveau 2 par les missions de mise en œuvre du plan d'aide et de suivi. Il aide à la constitution des dossiers d'accompagnement, et permet d'actionner les services de soins infirmiers à domicile, les services d'aide à domicile, l'accueil de jour, le portage de repas, les aides techniques, les travaux d'aménagement du domicile ... Le partenariat avec les établissements sanitaires et médico-sociaux est formalisé par convention. La palette des services est alors complète et le suivi organisé.

Le réseau des CLIC est important, puisque 541 CLIC ont déjà été créés, dont près de 100 de niveau 2 et 300 de niveau 3.

Dans sa seconde contribution à la MECSS, l'IGAS souligne le rôle majeur joué par les CLIC dans la coordination des acteurs : « Dans les zones géographiques où ils ont été mis en place, les CLIC jouent un rôle essentiel pour décloisonner les différents secteurs, public et privé, sanitaire et social.

Dans les départements visités par la mission, les CLIC se sont imposés comme des acteurs majeurs en matière de coordination entre les différents intervenants et leur présence semble favoriser le développement de dynamiques locales très fortes ».

Il serait par ailleurs souhaitable de développer les expérimentations de transfert aux départements de la responsabilité des services de soins infirmiers à domicile (SSIAD). Cela permettrait de renforcer le rôle de pilotage du département en matière de politique gérontologique.

Le Plan solidarité-grand âge de juin 2006 a prévu d'expérimenter avec quelques départements volontaires une gestion départementale de l'ensemble des budgets relatifs à l'accompagnement des personnes âgées :

« les départements sont aujourd'hui compétents pour toute l'action sociale en direction des personnes âgées mais certains leviers leur échappent :

- l'attribution des aides à domicile pour les personnes âgées les moins dépendantes, qui relève de la CNAV ;

-  la création de places médicalisées dans les maisons de retraite et les services de soins à domicile, qui relève de l'État avec des financements de l'assurance maladie.

Cet enchevêtrement de compétences est source de complexité, aussi bien pour les personnes âgées que pour les maisons de retraite qui doivent tenir des budgets séparés. Il est proposé de transférer pour 2007 à plusieurs départements, à titre expérimental, l'ensemble de ces budgets ».

La MECSS souhaite que les expérimentations de transfert de SSIAD à quelques départements soient rapidement organisées.

Toujours dans la logique du décloisonnement, la prise de conscience de l'importance de l'organisation de la sortie de l'hôpital et de l'aval de l'hôpital s'affirme. Il apparaît en effet de plus en plus évident qu'une bonne organisation de la sortie de l'hôpital peut réduire les retours prématurés aux urgences ou en hospitalisation et favorise un retour rapide à l'autonomie. Il est donc souhaitable que, lorsque la sortie de l'hôpital est susceptible d'entraîner des difficultés de retour à l'autonomie, de désigner une personne responsable au sein de l'hôpital pour organiser la sortie. Cela peut consister à prévoir le transport sanitaire, l'aide à domicile, l'hébergement en établissement de moyen séjour, EHPAD...A cet effet, il serait souhaitable d'améliorer la répartition des tâches à l'intérieur de l'hôpital entre le service social et le personnel médical.

Toujours dans le même esprit de décloisonnement et de coordination, il serait opportun que les autorisations ou les conventions qui les accompagnent relatives aux établissements sociaux et médico-sociaux comportent un volet concernant la coordination (nature des liens, actions mises en œuvre...) avec les organismes à caractère social, médico-social et sanitaire dans le respect du schéma régional.

B - DONNER UN NOUVEAU SENS À L'ACTION SOCIALE ET ADAPTER L'OFFRE AUX NOUVEAUX BESOINS

La demande d'action sociale est forte et elle évolue. Il faut donc adapter l'offre et prévoir les financements nécessaires pour répondre aux besoins croissants d'action sociale.

1. De l'action sociale au développement social territorial

L'offre d'action sociale peine à satisfaire une demande croissante et à s'adapter aux nouveaux besoins.

L'organisation des collectivités territoriales est confrontée à deux évolutions complémentaires qui modifient profondément le rapport aux territoires et renouvellent la notion de projet porté par les exécutifs locaux : d'une part, la déconcentration qui vise à rendre l'action de l'État plus efficace, d'autre part, la coopération intercommunale et la multiplication des communautés de projet qui conduisent à penser le développement des espaces infra départementaux.

Sous l'effet de ces évolutions, des dynamiques de développement territorial naissent qui donnent une place centrale à l'action sociale. Les responsables institutionnels sont appelés à décloisonner le social et à le placer au cœur des autres politiques locales.

Il s'agit d'impulser une nouvelle démarche susceptible de mobiliser l'ensemble des acteurs locaux sur un projet global de développement territorial et, ainsi, d'apporter une réponse sociale adaptée aux besoins du territoire. Cela suppose de dépasser la vision classique de l'action sociale et de développer une nouvelle approche territoriale et partenariale.

Il s'agit aussi de concilier la prévention, l'éducation, l'intégration, les aides et l'accompagnement des personnes. Cela nécessite de rechercher de nouvelles réponses de qualité et de définir des formes d'intervention de plus en plus diversifiées et sophistiquées.

Cette mutation de l'action sociale est déjà engagée.

Force est de constater que le service rendu aux personnes en difficulté ou simplement confrontées à des besoins qu'elles ne peuvent elles-mêmes satisfaire n'est pas toujours optimal. Les besoins et la demande d'action sociale sont en constante progression. Les attentes sont fortes et le niveau d'exigence augmente. Il faut donc développer une nouvelle approche mais les acteurs sociaux rencontrent des difficultés à trouver les réponses aux nouveaux besoins d'action sociale. Il faut aussi élaborer de nouveau concepts et étendre la gamme des prestations.

Mais les nouvelles prestations, plus personnalisées, peuvent être coûteuses.

La nouvelle action sociale passe en effet par l'affirmation du droit à compensation et l'intégration des aides et soutiens divers dans un projet de vie. La nouvelle demande d'action sociale suppose l'individualisation de la réponse et la proximité des intervenants sociaux. Il s'agit de replacer la personne au centre du dispositif et cela suppose de désigner un référent pour chaque personne qui puisse l'aider à définir son projet de vie.

Cela nécessite notamment d'améliorer le dépistage et le recensement des nouveaux besoins d'action sociale liés au développement de la précarité, de l'isolement et de la solitude, à la multiplication des ménages monoparentaux, au développement du travail des femmes, à la concurrence des médias dans la gestion de la famille, aux difficultés d'éducation et d'autorité, aux développement des problèmes psychiques, au vieillissement de la population...

Les besoins nouveaux, individuels et sociétaux, sont plus difficiles à satisfaire. Mais de la qualité des réponses apportées dépend l'insertion et, finalement, la cohésion nationale mais aussi territoriale. Il y a lieu de privilégier l'approche globale des besoins de la personne et d'articuler, en conséquence, les réponses. Il faut aussi assurer la cohérence des dispositifs, lutter contre leur fragmentation et assurer le continuum d'accompagnement. Dans cette logique, la gamme des prestations doit encore s'enrichir.

Ce nouvel âge du social et cette refondation de l'action sociale implique de redonner du sens aux actions concrètes et de mettre en place les outils nécessaires.

Cela suppose aussi de remobiliser les intervenants sociaux qui doivent faire face à une charge et une complexité croissante liées à l'augmentation de la demande, à l'imbrication et au cumul des difficultés à résoudre, aux difficultés à trouver des réponses adaptées, et parfois à l'insuffisance des moyens. Ces contraintes peuvent faire perdre aux intervenants sociaux le sens de leur action. Ils se sentent parfois dépassés et démotivés. Ils se disent souvent sous pression et expriment leur mal-être, voire leur épuisement.

Lors de son audition par la MECSS, le 14 décembre 2006, M. Jean-Michel Moynié, directeur du centre communal d'action sociale de la ville d'Agen, a ainsi indiqué : « avec la montée de la précarité, les personnes isolées sont de plus en plus nombreuses et la charge de nos travailleurs sociaux est donc de plus en plus lourde, ce qui fait que nous en arrivons à une logique de guichet. C'est d'ailleurs la conclusion à laquelle parvient le rapport annuel 2005 de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), qui parle de « guichétisation » et de solitude croissante des personnes en difficulté.

Compte tenu de la nécessité de plus en plus fréquente de faire face à l'urgence, il devient difficile d'accomplir le travail en profondeur pourtant indispensable et nous nous rendons également compte que ce traitement sous la forme d'un guichet ne favorise guère la socialisation de ces personnes isolées, qui sont à l'extrême limite de la marginalisation, mais aussi en souffrance psychique, ce qui pose problème aux travailleurs sociaux.

Dans ces conditions, les élus agenais ont cherché à redéfinir la mission des travailleurs sociaux de la ville en l'orientant vers l'accueil collectif ainsi que vers des ateliers consacrés en particulier au problème du logement ».

On le voit, il est difficile de faire évoluer les cultures et les pratiques de l'intervention sociale quand il faut faire face à l'urgence et aux demandes liées à la précarité et à la pauvreté.

Les difficultés d'adaptation sont donc réelles et les besoins de formation des intervenants sociaux sont très importants. Le secteur de l'emploi social est un de ceux qui progressent le plus vite et cette croissance n'est pas appelée à se ralentir, bien au contraire. Les besoins à satisfaire, notamment pour assurer l'accompagnement du grand âge et de la perte d'autonomie, vont fortement augmenter. Ainsi, par exemple, on estime les besoins de recrutement dans les métiers du grand âge à 40 000 professionnels par an durant les dix prochaines années.

Les métiers du social sont très diversifiés : auxiliaires de vie sociale, aides à domicile, aides médico-psychologiques, aides soignants, éducateurs techniques spécialisés, techniciens de l'intervention sociale et familiale, conseillers en économie sociale et familiale, assistants familiaux, moniteurs éducateurs, ergothérapeutes, kinésithérapeutes, psychologues...

De nouveaux métiers vont apparaître. Il y a ainsi un besoin de former des professionnels qui maîtrisent l'ingénierie sociale.

Lors de son audition par la MECSS, le 21 décembre 2006, M. Jean-Jacques Trégoat, directeur général de l'action sociale au ministère de la santé et des solidarités, observait ainsi : « Un nouveau métier apparaît : l'« ingénierie sociale ». En collaboration avec l'Éducation nationale, nous avons créé un diplôme spécifique, sanctionnant une formation durant laquelle on apprend à construire des projets complexes autour de la logique de coopération ».

La MECSS souhaite qu'un vaste plan de formation soit engagé afin de permettre la formation des personnels qui devront être recrutés dans les prochaines années ainsi que la requalification des intervenants sociaux en fonction. Dans cet esprit, il a lieu de renforcer l'attractivité des métiers du social et de favoriser la valorisation des acquis de l'expérience (VAE) qui est maintenant ouverte à la plupart de ces métiers.

La MECSS a pu, une fois de plus, faire le constat de l'éclatement et du cloisonnement des systèmes d'information. Les acteurs en sont également conscients qui demandent des améliorations dans ce domaine.

La MECSS considère que le partage de l'information constitue un enjeu majeur. Elle souhaite que le répertoire commun aux organismes soit mis en place rapidement.

● Accélérer la mise en oeuvre du répertoire national commun aux organismes chargés d'un régime obligatoire de sécurité sociale

À l'initiative de M. Pierre Morange, coprésident de la MECSS, le Parlement a, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, adopté un amendement qui a pour objet de systématiser le partage d'informations concernant l'attribution et la gestion des prestations de sécurité sociale et d'action sociale entre les organismes de sécurité sociale et les collectivités territoriales. Cette disposition traduit une des préconisations figurant dans le premier rapport de la MECSS, présenté par M. Jean-Pierre Door, sur l'organisation et le coût de gestion des branches du régime général de sécurité sociale.

Ainsi, l'article 138 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 crée un répertoire national commun aux organismes chargés d'un régime obligatoire de sécurité sociale, aux caisses assurant le service des congés payés ainsi qu'aux Assedic. Ce répertoire national est relatif aux bénéficiaires des prestations et avantages de toute nature qu'ils servent.

Il sera notamment utilisé pour les échanges d'informations entre les organismes chargés de la gestion d'un régime obligatoire de sécurité sociale et avec les administrations fiscales. Les URSSAF et les CGSS auront aussi accès aux données de ce répertoire dans le cadre de leurs missions ainsi que les collectivités territoriales pour les procédures d'attribution d'une aide sociale.

Ce répertoire contiendra les données communes d'identification des individus, les informations relatives à leur affiliation aux différents régimes concernés, à leur rattachement à l'organisme qui leur sert les prestations ou avantages, à la nature de ces derniers, ainsi qu'à l'adresse déclarée aux organismes pour les percevoir. Le numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes physiques (NIR) sera l'identifiant utilisé.

La création de ce répertoire est subordonnée à la parution d'un décret en Conseil d'État précisant le contenu et les modalités de gestion et d'utilisation pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).

Lors de son audition par la MECSS, le 11 janvier 2007, le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, a précisé qu'un groupe de travail, piloté par la direction de la sécurité sociale, est déjà en place. Il réunit les caisses nationales de sécurité sociale, l'Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC), la direction générale des impôts (DGI) ainsi que tous les organismes concernés par la création, l'utilisation et la gestion de ce répertoire.

Ce groupe de travail doit transmettre ses propositions au ministre, au cours du mois de février 2007. Sur cette base sera finalisé le projet de décret qui sera ensuite soumis à la CNIL, aux conseils d'administration des caisses nationales de sécurité sociale et au Conseil d'État.

Il faut souligner que, lors de leur audition par la MECSS sur l'action sociale, tous les dirigeants des caisses nationales de sécurité sociale (CNAMTS, CNAVTS, CNAF) et le directeur de la CNSA ont été unanimes pour approuver cette mesure de simplification et d'efficience.

La mise en œuvre du répertoire commun doit permettre d'améliorer la qualité du service rendu

La MECSS considère que la création de ce répertoire commun constitue une avancée majeure qui s'inscrit dans le développement de l'administration électronique. Elle permettra de renforcer la fiabilité des prestations versées et facilitera le partage d'informations ainsi que les actions de contrôle et la lutte contre la fraude.

La mise en place du répertoire commun devrait aussi permettre d'alléger les formalités administratives à accomplir par les bénéficiaires, notamment en cas de déménagements et de changements de situation (absence de ré-immatricualtion, simplification des pièces justificatives à fournir, centralisation des démarches...). Le partage des informations avec le fisc devrait aussi permettre de supprimer les déclarations de ressources aux CAF.

Pour les caisses, les échanges d'information (ressources, situation familiale, situation professionnelle...) entre organismes de sécurité sociale et avec les autres partenaires seront allégés et le transfert de dossier lors d'un déménagement facilité, de même que la lutte contre la fraude (faux états civils, faux documents, multiples immatriculations...).

La création du répertoire commun sera donc facteur de gains de productivité. On estime notamment que pour une CAF qui gère 150 000 allocataires (parmi les 20 plus importantes CAF), l'activité d'immatriculation représente 3 à 4 équivalents temps plein sur un effectif de 450 agents, soit près de 1 %. Les gains de productivité réalisés pourraient permettre d'améliorer la qualité de service dans les fonctions de liquidation, d'accueil téléphonique et physique ou pour renforcer la politique de maîtrise des risques, la prévention et le contrôle.

La MECSS attache une grande importance à la mise en œuvre rapide de cette mesure. Elle veillera tout particulièrement au respect de la protection de la vie privée, à la sécurisation des données et à la réglementation des accès ; chaque acteur doit n'avoir accès qu'aux données strictement nécessaires à son activité.

Par ailleurs, la MECSS souhaite que soient mis en place les outils de concertation, d'échanges de bonnes pratiques, d'évaluation et d'analyses partagées.

Dans cet esprit, elle sera attentive aux travaux menés par la nouvelle Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux qui devrait permettre d'améliorer la qualité de l'accompagnement dans les établissements d'hébergement des personnes âgées et des personnes handicapées.

La MECSS préconise de définir de manière concertée des concepts communs, des définitions et des nomenclatures homogènes en matière d'action sociale, applicables à tous les acteurs. Il conviendrait aussi de renforcer les obligations en matière d'information et d'améliorer les procédures de remontée d'information aux différents échelons (niveau central, régional, départemental, communal). La MECSS préconise d'établir, pour chaque dispositif d'aide sociale, un référentiel d'information et d'évaluation (méthodes, tableau de bord et indicateurs), opposables à tous les acteurs.

La Mission souhaite aussi que, pour améliorer la connaissance de l'aide et de l'action sociale dans les comptes de la protection sociale, la DGAS et la DREES soient mobilisées sur ce thème afin d'établir, en concertation avec les différents acteurs de l'action sociale, un référentiel commun.

Par ailleurs, la MECSS préconise la mise en place d'une instance de concertation et de partage des bonnes pratiques.

La MECSS souhaite également que les efforts de recherche sur le champ social ainsi que sur les réponses à apporter aux besoins actuels et futurs soient amplifiés. Elle demande en particulier que soit mis en œuvre un grand plan de recherche sur les maladies du grand âge, les maladies neuro-dégénératives (maladies d'Alzheimer et de Parkinson) et les maladies apparentées, dont il faut rappeler qu'elles sont à l'origine de 70 % des hébergements en établissements et de 72 % des demandes d'APA.

2. Adapter les prestations d'action sociale aux nouvelles demandes et assurer la continuité de l'accompagnement des personnes dans leur projet de vie

La MECSS n'a pas souhaité se limiter à proposer des améliorations à l'organisation des secteurs social et médico-social et sanitaires. Elle a souhaité examiner les voies d'une adaptation des prestations d'action sociale aux nouvelles demandes et d'une amélioration de l'effectivité des droits.

Lors de son audition par la MECSS, le 7 décembre 2007, M. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale au ministère de la santé et des solidarités, a ainsi indiqué : « beaucoup de réflexions menées actuellement sur le social vont vers l'idée d'assurer un service public effectif, ce que certains appellent le système des « droits opposables ». Et l'on peut donc se demander en quoi l'action sociale peut y contribuer ».

La MECSS souhaite, dès lors que la question du droit opposable au logement est posée, que la réflexion sur ce sujet sensible se poursuive. Elle rappelle toutefois que celle-ci doit intégrer les contraintes de financement de plus en plus fortes qui existent en matière de politiques sociales.

Le défi du vieillissement de la population doit être relevé sans attendre. Il va même s'amplifier et constitue un des enjeux majeurs de l'avenir. Encore faut-il rappeler que si le nombre de personnes âgées de plus de 85 ans doit passer de 1,1 million en 2005 à 1,9 million en 2015 (+ 800 000 en dix ans), actuellement seulement 6 à 7 % des personnes de plus de 60 ans sont touchées par la perte d'autonomie, 70 % des hommes de 90 ans sont encore autonomes, et que le gain d'espérance de vie s'accompagne d'un raccourcissement de la période d'incapacité. Autrement dit, le vieillissement n'est pas forcément synonyme de dépendance et la dépendance n'est donc pas une fatalité.

Cependant, les besoins à satisfaire iront croissants. Les adaptations profondes de nos modes de pensée et de nos dispositifs d'accompagnement doivent être réalisées en temps réel. Elles doivent être concomitantes à l'évolution rapide des problèmes à résoudre. Sur ce point, les pouvoirs publics ont déjà beaucoup fait, mais beaucoup reste encore à faire.

À cet égard, notamment en raison de l'augmentation du nombre de personnes handicapées vieillissantes, les problématiques relatives à l'accompagnement des personnes âgées et des personnes handicapées se rapprochent.

● Accélérer la mise en œuvre du droit à compensation des personnes handicapées

La MECSS souhaite en premier lieu que la réalisation du droit à compensation des personnes handicapées soit accélérée. L'IGAS, dans sa seconde contribution à la MECSS, indique que la mise en œuvre de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées est lente et partielle. La MECSS, sans nier certaines difficultés de mise en œuvre, souhaite que ces retards soient rattrapés. Elle estime que la création du réseau santé-social appuyé sur les CLIC aux compétences élargies qu'elle préconise serait de nature à accélérer la mise en œuvre de la prestation de compensation du handicap. Elle souhaite également qu'une attention particulière soit portée à la mise en place rapide des fonds de compensation du handicap.

● Accélérer la convergence personnes âgées-personnes handicapées 

La MECSS souhaite que les travaux visant à assurer la convergence des politiques en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées, prévue pour 2010, soient accélérés. A cet effet, il conviendrait de supprimer la barrière d'âge, d'instituer des équipes pluridisciplinaires d'évaluation unique et une grille commune d'évaluation aux personnes âgées et aux personnes handicapées.

● Développer une offre de services permettant l'exercice effectif du libre choix du mode d'hébergement pour les personnes âgées

Les plans successifs en faveur des personnes âgées ont permis de développer sensiblement le nombre de places en établissements d'hébergement des personnes âgées, notamment pour les personnes âgées dépendantes.

La MECSS préconise d'accélérer l'effort de créations de places et de leur médicalisation. Elle souhaite que, comme le prévoit le plan « solidarité-grand âge », soit assuré, aussi rapidement que possible, le respect du ratio d'un professionnel pour un résident pour les résidents les plus dépendants, comme dans les établissements pour personnes handicapées. Cela suppose notamment de renforcer la présence de personnels médicaux. Elle souhaite également une amplification de l'effort de développement d'une offre de services permettant l'exercice effectif du libre choix du mode d'hébergement pour les personnes âgées.

● Assurer la continuité de l'accompagnement

La MECSS souhaite que l'ensemble de l'offre de soins, d'hébergement et de services soit organisé de manière décloisonnée de façon à assurer la continuité de l'accompagnement des personnes âgées et des personnes handicapées. Éviter les ruptures dans l'accompagnement, tel est l'axe central de la réflexion de la Mission. Ce doit être un des objectifs fondamentaux des réformes à réaliser.

● Décloisonner les établissements d'hébergement

Dans la même logique, la MECSS souhaite le décloisonnement de l'offre d'établissements afin d'apporter une réponse adaptée aux différents degré de dépendance sans changer d'établissement au fur et à mesure que l'état de la personne se dégrade. A cet effet, elle demande que des incitations tarifaires soient prévues pour le développement d'établissements multiservices proposant une offre globale d'hébergement, d'accueil de jour, d'hébergement temporaire et offrant un service de soins infirmiers à domicile.

● Favoriser le libre choix et améliorer les services favorisant le maintien à domicile

Dans le même esprit visant à assurer la continuité de l'accompagnement, la MECSS souhaite que l'offre des services favorisant le maintien à domicile soit étendue et rendue plus accessible. Elle demande aussi le développement d'équipes mobiles gérontologiques et de soins palliatifs ainsi que l'accroissement du nombre de places d'hospitalisation à domicile.

● Améliorer la qualité de l'accompagnement : soigner et prendre soin

La MECSS soutient les actions qui ont été engagées visant à favoriser le « bien vieillir », le vieillissement actif, le vieillissement en santé fondé sur l'adaptation des comportements favorables à un vieillissement réussi (sessions de préparation à la retraite, passeport pour une retraite active, alimentation équilibrée, activités physiques et sociales...). Elle souhaite leur renforcement et la généralisation de la prévention médicale et sociale du vieillissement. La MECSS souhaite notamment que soit développée l'animation sociale dans et hors des établissements d'hébergement, laquelle constitue un puissant levier pour retarder le vieillissement et la perte d'autonomie. Ces actions peuvent apporter des contributions déterminantes à la réalisation du droit à une vie autonome le plus longtemps possible.

● Adapter l'hôpital aux personnes âgées

Depuis le début de ses travaux, la MECSS a été impressionnée par les déclarations de professionnels de la gériatrie qui indiquent que l'hospitalisation contribue souvent à la « grabatisation » des personnes âgées. Il est fréquent que des personnes parmi les plus âgées entrent autonomes à l'hôpital et en ressortent médicalement guéris mais dépendantes. L'exemple le plus courant concerne l'usage de couches pour les personnes âgées dès leur entrée à l'hôpital. Cela conduit en général à la perte définitive d'une fonction naturelle essentielle à l'autonomie. Ce type de réponse ou plutôt d'expédient frise la maltraitance.

La MECSS estime que le traitement infligé à ces personnes et les conséquences qui en résultent est inacceptable. Il y urgence à développer une culture du « soigner et prendre soin ». Le deuxième volet du diptyque du bon accompagnement et de la « bientraitance » est tout aussi important que le premier. Cela renvoie aux difficultés qu'il y eu à faire reconnaître la prise en charge de la douleur et à réaliser l'humanisation des hôpitaux. La MECSS souhaite donc qu'un grand effort de sensibilisation et de formation soit organisé concernant ce changement culturel profond qu'il convient d'accomplir rapidement. Ces actions doivent concerner tous les professionnels Dans cet esprit, la MECSS souhaite aussi que le développement de la médecine gériatrique, qu'il convient d'amplifier, intègre bien cette nécessité.

● Approfondir la question du reste à charge des personnes

La seconde contribution de l'IGAS concernant l'action sociale menée dans quatre départements en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées évoque la question du reste à charge des personnes âgées dans le cadre de l'APA. L'APA n'est pas soumise à condition de ressources mais une participation financière qui varie en fonction de ses revenus est demandée à la personne âgée. L'IGAS note que le reste à charge peut, dans certains cas - que les systèmes d'information ne permettent pas de chiffrer et d'expliquer - entraîner des refus de plans d'aide. La MECSS souhaite que cette question soit approfondie pour rechercher les causes des refus de plans d'aide et en mesurer les effets sur les personnes.

Dans la même logique, la MECSS souhaite que la question du reste à charge des personnes handicapées, en particulier dans les cas les plus lourds qui nécessitent la mobilisation d'un volume d'aide important, soit précisément étudiée, sans attendre la complète montée en charge de la prestation de compensation du handicap (PCH).

● Développer l'aide aux aidants

La MECSS se félicite de la création du congé de soutien familial qui permet aux personnes qui souhaitent s'occuper d'un membre de leur famille, âgé ou handicapé, de bénéficier d'un congé d'une durée d'un an, pendant lequel leur contrat de travail est suspendu et les droits sociaux - assurance maladie et retraite - sont maintenus et à l'issue duquel elles ont la garantie de retrouver leur poste ou un poste équivalent. Ce congé constitue un début de statut pour les aidants familiaux.

La MECSS considère qu'il faut encore progresser dans la reconnaissance du rôle irremplaçable des aidants familiaux. Elle souhaite qu'un droit à la formation soit prévu (il n'est actuellement reconnu que pour les seuls aidants de personnes handicapées), notamment pour apprendre les gestes les plus efficaces pour aider leurs proches, voire un droit à la validation des acquis de l'expérience. Il conviendrait aussi de prévoir un accompagnement psychologique et d'améliorer l'articulation entre aide professionnelle et aide familiale. Il serait également souhaitable de saisir les partenaires sociaux de la question de l'indemnisation du congé de soutien familial, à l'instar de ce qui se fait en matière de congé parental. Les entreprises peuvent, dans ce dernier cas maintenir, au moins partiellement, la rémunération. Dans cette perspective, le crédit d'impôt famille pourrait être élargi au congé de soutien familial.

La MECSS souhaite que les départements maintiennent un effort d'insertion soutenu en faveur des Rmistes.

Par ailleurs, elle estime qu'il faut prendre en compte une des conséquences de l'allongement de la durée de la vie qui conduit souvent, en dépit de possibilités de faire des donations de son vivant, à retarder la transmission du patrimoine aux descendants. Ce phénomène cumulé avec le coût croissant du logement et la précarité de l'emploi font que les jeunes rencontrent souvent des difficultés au démarrage dans la vie active.

Le Centre d'analyse stratégique a suggéré, dans son rapport annuel, de corriger les nouvelles inégalités intergénérationnelles et de réformer l'État providence dans le sens d'un État « d'investissement social », investissant en priorité dans le capital humain, l'enfance et la formation. Il évoquait ensuite la possibilité de créer une dotation universelle ou ciblée réservée aux enfants élevés dans des familles pauvres, sorte de droit de tirage permettant à chaque jeune de bâtir un projet d'entrée dans la vie professionnelle et de corriger une inégalité de départ.

Le prêt avenir jeunes de 5 000 euros, à taux zéro et remboursable en cinq ans, a été récemment créé à la suite de la dernière conférence de la famille. Cela constitue une première réponse.

La MECSS souhaite que la mission confiée au Centre d'analyse stratégique pour évaluer l'opportunité et les modalités techniques de création d'un dispositif d'épargne, ouvert à la naissance de l'enfant, afin de permettre à ses proches de lui constituer un pécule, pour le moment où il entrera dans la vie active soient rapidement menée.

Enfin, la MECSS souhaite que soit également étudiée la proposition présentée par l'Union nationale des centres d'action sociale (UNCCAS), lors de son audition, consistant à augmenter les minima sociaux en contrepartie d'une réduction des droits connexes.

3. Prévoir les financements nécessaires et renforcer la péréquation

L'augmentation des financements consacrés à l'action sociale devrait se poursuivre. De fait, alors que les besoins d'action sociale sont en forte croissance, les financements peinent à suivre et ne sont pas toujours bien répartis.

On l'a vu les moyens consacrés à l'action sociale sont en augmentation continue. Les dispositifs d'aide se multiplient et sont progressivement renforcés, le nombre de bénéficiaires est en augmentation quasi-constante. Les personnels sociaux employés sont de plus en plus nombreux et qualifiés. Cette tendance devrait se poursuivre, voire s'accentuer. En conséquence, les financements consacrés à l'action sociale suivent une courbe ascendante, tant pour ce qui concerne les fonds d'action sociale des caisses de sécurité sociale que pour les collectivités territoriales.

Encore ne faut-il pas désespérer de l'avenir, lequel demeure incertain, potentiellement porteur du meilleur comme du pire. L'Observatoire de l'action sociale décentralisée (ODAS) rappelait ainsi, dans une publication récente sur l'action sociale des départements en 2005, la tendance à l'allongement de la durée de séjour des personnes âgées en établissements, l'impact de la vague démographique à venir liée au « papy boom », mais aussi l'espoir de la poursuite de la tendance à l'allongement de la durée de vie autonome.

Cependant, le nombre de bénéficiaires de l'APA a toujours été dans le haut de la fourchette des prévisions. Pour l'avenir, la DREES a procédé à une évaluation de l'évolution du coût de l'APA basée sur l'hypothèse d'une répartition constante des bénéficiaires entre domicile et établissements de même qu'entre GIR, et d'une évolution du coût moyen des plans d'aide de 3,7 % pour les premières années, puis de 1,6 % pour les années suivantes. Elle estime que le coût de l'APA pourrait passer de 3,9 milliards d'euros en 2005 (2,55 milliards à la charge des départements et 1,35 à la charge de la CNSA, soit 34,6 %) à 5,9 milliards d'euros en 2020, soit une augmentation de 2 milliards d'euros. Si l'on tient compte du coût de la mise aux normes, de la modernisation des établissements d'hébergement et du rattrapage des besoins non couverts, le supplément de dépenses pourrait augmenter de 1 milliard d'euros soit un surcoût total de 3 milliards d'euros. La Cour des comptes soulignait dans son rapport sur les personnes âgées dépendantes, publié en 2005 que : « ces besoins posent un problème crucial de mobilisation des financements ».

S'agissant de la prestation de compensation du handicap, les estimations sur l'évolution de sa montée en charge et de son coût sont très différentes. Pour 2006, selon les services du ministère de la santé et des solidarités, le coût prévisible de la prestation de compensation est estimé à 1,1 milliard d'euros, alors que l'Assemblée des départements de France évalue le coût pour 150 000 bénéficiaires à 750 millions d'euros. Compte tenu de la montée en charge assez lente de la prestation, les moyens consacrés, en 2006, à son financement devraient être excédentaires. L'Assemblée des départements de France estime que, en 2010, le coût de la PCH pourrait être de 2 milliards d'euros pour un nombre de 400 000 bénéficiaires, ce qui représente un quasi-doublement du coût de la prestation. La direction générale de l'action sociale estime que le nombre de bénéficiaires pourrait se situer entre 127 000 et 152 000. En cas de montée en charge plus rapide que prévu, il resterait à déterminer la répartition du surcoût entre la CNSA et les départements.

La MECSS souhaite que soit assuré, dans le cadre du dispositif légal de suivi des dépenses, un suivi précis de l'évolution du coût de la PCH.

Le transfert, depuis 2005, de l'insertion des bénéficiaires du RMI aux départements a également entraîné des surcoûts qui ont été compensés par une dotation exceptionnelle aux départements et la création du Fonds de mobilisation départementale pour l'insertion, doté de 100 millions d'euros en 2006. Le fonds est reconduit pour 2007 et 2008. Les prévisions d'évolution du coût de l'insertion des bénéficiaires du RMI établies par le Gouvernement et l'Assemblée des départements de France sont également divergentes. Les estimations diffèrent sur le nombre de bénéficiaires.

La question qui reste posée est bien celle du financement de la perte d'autonomie et, plus largement, des dépenses sociales à moyen et long terme.

La MECSS souhaite que soit assurée la juste compensation des compétences transférées en matière d'action sociale aux collectivités territoriales.

Face aux incertitudes de l'avenir, les acteurs de l'action sociale sont confrontés à la nécessaire mais difficile maîtrise des coûts et contraints de rechercher de nouvelles voies de financement pour répondre à la demande croissante.

La question des moyens à dégager pour faire face à l'augmentation prévisible des besoins et pour financer les nouvelles prestations est donc posée. En dehors des économies très substantielles pouvant résulter d'une meilleure gestion du dispositif institutionnel d'ensemble, et de l'amélioration des conditions de mise en œuvre qu'il faut absolument réaliser, ainsi que la MECSS le propose, des solutions visant à définir de nouvelles sources de financement doivent être recherchées.

Plusieurs solutions ont été évoquées, en particulier pour financer l'augmentation des dépenses liées à la perte d'autonomie :

- l'augmentation de la contribution sociale généralisée (CSG) avec, éventuellement, une part de CSG départementale ;

- la création d'une couverture complémentaire solidaire obligatoire, également financée par une nouvelle contribution ;

- l'incitation à l'assurance individuelle dépendance ;

- la création d'une cinquième branche de sécurité sociale dédiée au financement de la perte d'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, avec création d'une cotisation spécifique. Comme cela a été souligné, un rapport sur ce sujet devrait être remis par Mme Hélène Gisserot au gouvernement à la fin du mois de février 2007.

Le récent rapport d'information de la commission des finances présenté par MM. Marc Laffineur et Augustin Bonrepaux sur les transferts de compétences de l'État aux collectivités territoriales et leur financement10 souligne les insuffisances des mécanismes de péréquation.

Il indique notamment, s'agissant de l'APA, que malgré les mécanismes complexes de péréquation à trois niveaux (péréquation par le concours de la CNSA en fonction de quatre critères, puis application d'un critère correctif et, enfin, répartition d'un concours spécifique) les écarts entre les départements restent importants et que les situations des départements sont très disparates. La fourchette des taux d'effort fiscal, quoique réduite, reste large : de 2,1 % à 21 %, soit un rapport de 1 à 10.

Les rapporteurs de la commission des finances indiquent que : « les dépenses transférées soulignent les inégalités territoriales et justifient une relance de la péréquation ». Ils ajoutent que : « l'impact financier des transferts de compétences n'est pas homogène et peut s'avérer un facteur de creusement des inégalités entre collectivités » et proposent : « la création d'un ou plusieurs outils de péréquation entre les ressources dont disposent les collectivités territoriales, dans la limite des prélèvements existants ». A ce titre, il suggèrent notamment qu'une réflexion soit engagée concernant la création d'un mécanisme d'écrêtement des produits des droits de mutation à titre onéreux perçus par les départements.

La MECSS partage ce diagnostic et souhaite que des solutions soient rapidement trouvées afin de corriger les inégalités dans les financements sociaux entre les départements, grâce à la création de nouveaux mécanismes de péréquation.

La MECSS souhaite que l'ensemble des sujets relatifs à la politique nationale d'action sociale (orientations, prestations, personnels, financements, péréquation...) fassent l'objet de la fixation d'objectifs pluriannuels lors d'une conférence nationale annuelle de l'action sociale.

PRINCIPALES ORIENTATIONS

1. Améliorer la connaissance en matière d'action sociale

2. Adapter l'offre d'action sociale aux nouveaux besoins

3. Décloisonner le social et le médico-social, et le sanitaire

4. Privilégier l'approche individualisée et transversale des besoins

5. Personnaliser et coordonner les réponses autour du projet de vie de la personne

6. Développer la prévention sociale

7. Mettre l'accent sur la qualité du « prendre soin »

8. Rétablir et prolonger l'autonomie

9. Assurer l'égalité d'accès et la péréquation des financements

10. Veiller à l'efficacité de l'action sociale

PROPOSITIONS

I - Améliorer la qualité du service rendu aux personnes en rendant l'organisation de l'action sociale plus efficiente

1. Fixer des objectifs pluriannuels à la politique nationale d'action sociale lors d'une conférence nationale annuelle de l'action sociale

Simplifier

2. Transférer au département l'action sociale de la branche vieillesse en faveur des personnes âgées

Décloisonner

3. Instaurer un schéma régional d'organisation sanitaire, sociale et médico-sociale (SROSSMS)

4. Créer le réseau santé-social et médico-social régional (RSS) à partir des CLIC dont les compétences seraient élargies à l'ensemble des champs social, médico-social et sanitaire, et qui seraient dénommées « Maison de la protection sociale »

5.  Prévoir une obligation de coordination et d'intégration dans un réseau santé-social régional pour tous les organismes concourant à l'action sociale et sanitaire bénéficiant d'un financement public

6. Prévoir une obligation de contractualisation entre les caisses de sécurité sociale du régime général et les départements

7. Articuler les schémas départementaux avec le schéma régional : calendrier commun, respect des objectifs régionaux et contractualisation

8. Harmoniser les zonages des politiques sociales et sanitaires

Clarifier

9. Transférer sur la gestion du risque les dépenses du Fonds national d'action sanitaire et sociale (FNASS) de l'assurance maladie consacrées au financement de dépenses obligatoires liées au risque maladie

10. Harmoniser les pratiques des caisses locales d'assurance maladie dans l'attribution des aides facultatives d'action sociale

Coordonner

11. Inciter les départements à déléguer aux maires le pouvoir de coordonner les acteurs locaux de l'action sociale

12. Inciter au développement de l'action sociale communautaire

13. Expérimenter le transfert des services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) au département

14. Développer l'aide à la sortie de l'hôpital

15. Mettre en place un accueil téléphonique départemental unique en matière d'action sociale et sanitaire

Connaître

16. Instaurer une conférence annuelle de l'action sociale

17. Améliorer le dépistage et le recensement des besoins d'action sociale

18. Généraliser le partage d'informations entre les acteurs de l'action sociale et accélérer la mise en place du répertoire commun avec le numéro d'identification au répertoire (NIR) de l'INSEE comme code d'accès

19. Prévoir une obligation d'analyse annuelle des besoins sociaux (ABS) pour les communes de plus de 5 000 habitants

20. Généraliser la création d'observatoires régionaux et départementaux des besoins sociaux, outils du diagnostic social local

21. Améliorer la connaissance de l'aide et de l'action sociale dans les comptes de la protection sociale : mobiliser la Direction générale de l'action sociale (DGAS) et la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) sur ce thème afin d'établir, en concertation avec les différents acteurs de l'action sociale, un référentiel commun

22. Mettre en place une instance de concertation et de partage des bonnes pratiques

23. Accroître l'effort de recherche sur le social

Évaluer

24. Développer l'approche objectifs-moyens-résultats dans l'application des schémas départementaux d'organisation sociale et médico-sociale

25. Établir, pour chaque dispositif d'aide sociale, un référentiel d'information et d'évaluation (méthodes, tableau de bord et indicateurs), opposables à tous les acteurs

26. Généraliser la contractualisation des départements et des communes avec les associations qui oeuvrent dans le domaine de l'action sociale et renforcer les conditions du conventionnement (fixation d'objectifs), du suivi et de l'évaluation des résultats

Prévenir

27. Développer la prévention sociale

Former

28. Développer un important effort de formation des intervenants sociaux et la valorisation des acquis de l'expérience (VAE) pour répondre aux besoins de recrutement

29. Développer la formation aux nouvelles dimensions de l'action sociale : « le prendre soin », l'approche individualisée et globale des besoins, la prévention et l'ingénierie sociale

Financer

30. Assurer la juste compensation des transferts de charges en matière d'action sociale

31. Renforcer la péréquation entre les départements

Redéployer

32. Redéployer les effectifs mobilisés par la branche vieillesse sur les compétences d'action sociale transférées aux départements vers les fonctions d'information, d'accueil personnalisé et de contrôle

II - Adapter les prestations d'action sociale aux nouvelles demandes et améliorer l'effectivité des droits

Principe

33. Privilégier la réponse personnalisée et globale autour du projet de vie

L'action sociale en faveur de la petite enfance

34. Instaurer un schéma départemental d'organisation de la petite enfance

35. Renforcer le référentiel d'agrément des assistants maternels (contenu de la formation, normes standards de qualité, conditions d'agrément, de suivi et de contrôle)

L'action sociale en faveur des jeunes

36. Confier au Centre d'analyse stratégique une mission d'étude sur un dispositif d'épargne ouvert à la naissance de l'enfant, afin de permettre à ses proches de lui constituer un pécule, pour le moment où il entrera dans la vie active

L'action sociale en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées

Mesures communes et Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA)

37. Harmoniser l'accompagnement de la perte d'autonomie : accélérer la convergence personnes âgées-personnes handicapées, supprimer la barrière d'âge et établir une grille commune d'évaluation

38. Étendre la compétence de la CNSA à la qualité de l'accompagnement des personnes âgées et mobiliser la caisse sur ce thème

39. Assurer la continuité de l'accompagnement

Personnes âgées

40. Développer une offre de services permettant l'exercice effectif du libre choix du mode d'hébergement pour les personnes âgées

41. Accroître l'effort de créations de places médicalisées en établissements d'hébergement des personnes âgées dépendantes et dans ce sens, prévoir une programmation pluriannuelle

42. Prévoir des incitations tarifaires au développement d'établissements multiservices d'hébergement, d'accueil de jour et d'hébergement temporaire

43. Atteindre, aussi rapidement que possible, le ratio, prévu par le plan « solidarité-grand âge », de un professionnel pour un résidant pour les résidants les plus dépendants, à l'instar de ce qui est prévu pour les établissements d'hébergement de personnes handicapées

44. Élargir l'offre des services à domicile et les rendre plus accessibles, notamment en développant l'hospitalisation à domicile ainsi que les équipes mobiles gérontologiques et de soins palliatifs

45. Accélérer le déploiement de l'aide au retour à domicile après hospitalisation

46. Assurer le suivi et l'adaptation des plans d'aide

47. Améliorer la qualité de l'accompagnement en sensibilisant et en formant au « soigner et prendre soin »

48. Généraliser la prévention du vieillissement en développant la politique du « bien vieillir »

49. Développer l'aide aux aidants en instituant un droit à la formation professionnelle et à la valorisation des acquis de l'expérience, un accompagnement psychologique, l'indemnisation du congé de soutien familial et en prévoyant l'élargissement du crédit d'impôt famille

50. Développer l'animation sociale dans et hors des établissements d'hébergement

51. Étudier les effets du « reste à charge » des personnes sur les refus de plans d'aide d'allocation personnalisée d'autonomie (APA)

52. Développer la recherche sur le « soigner et prendre soin », et la qualité de l'accompagnement

53. Accroître l'effort de recherche sur les maladies du grand âge

Personnes handicapées

54. Accélérer la mise en oeuvre du droit à compensation des personnes handicapées

55. Assurer un suivi précis du coût de la prestation de compensation du handicap (PCH)

56. Étudier les effets du « reste à charge » sur les personnes handicapées

57. Développer les équipes mobiles d'intervention en faveur des personnes handicapées

L'action sociale en faveur des bénéficiaires du RMI

58. Veiller au maintien d'un effort d'insertion soutenu en faveur des Rmistes

59. Étudier la possibilité d'augmenter les minima sociaux en contrepartie d'une réduction des droits connexes

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné le rapport d'information présenté par Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure de la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS), sur l'action sociale du régime général de sécurité sociale et l'action sociale des collectivités territoriales, au cours de sa séance du mardi 20 février 2007.

Un débat a suivi l'exposé de la rapporteure.

M. Georges Colombier, président, a remercié la rapporteure et souligné que certaines orientations recoupaient certaines de celles proposées par la mission d'information sur les urgences médicales.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente de la MECSS, a relevé que les montants dépensés au titre de l'action sociale sont équivalents à ceux des dépenses hospitalières. Il faut aussi souligner l'importance de la proposition visant à transférer l'ensemble de l'action sociale de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) au département et de celle concernant la nouvelle organisation d'un réseau décloisonné, regroupant les compétences sociale, médico-sociale et sanitaire, à partir des centres locaux d'information et de coordination (CLIC). Par ailleurs, il faut souligner l'intérêt des collaborations de l'IGAS et de la Cour des comptes aux travaux de la MECSS et remercier également les départements concernés pour leur accueil et leur participation.

M. Pierre Morange, coprésident de la MECSS, a remercié la rapporteure pour son travail et insisté sur le fait que la MECSS avait osé aborder un domaine, peu étudié jusqu'à présent, complexe et où les compétences sont éclatées. Il est pourtant tout à fait légitime de s'assurer de la bonne utilisation de l'argent public, notamment dans le domaine social. Afin de relever les défis démographiques auxquels la France est confrontée, tant en ce qui concerne l'accompagnement des personnes âgées dépendantes que la prise en charge des personnes handicapées, les préconisations du rapport s'inscrivent dans une logique de décloisonnement des secteurs sanitaire, social et médico-social, au niveau régional et départemental. Elles visent aussi à améliorer le partage d'information et à développer un important effort de formation de professionnels pour répondre aux besoins de recrutement dans ce secteur. Les besoins d'action sociale sont nombreux puisqu'ils concernent aussi d'autres populations, comme les personnes en situation de précarité, les familles et les jeunes. Sur le terrain, il convient donc que l'ensemble des acteurs se coordonne. Les citoyens ont souvent l'impression de devoir suivre un parcours difficile à comprendre. L'action sociale doit être organisée de manière plus claire et plus lisible pour être plus réactive et plus efficace.

M. Frédéric Reiss a remarqué que l'intercommunalité pouvait entraîner des difficultés de mise en œuvre de l'action sociale. Les compétences des centres communaux d'action sociale (CCAS) sont souvent reprises par les centres intercommunaux d'action sociale (CIAS) et, sur le terrain, il se peut que les personnes ne soient pas motivées. Entre communes, intercommunalités et départements, il faudrait savoir qui fait quoi, ce qui est obligatoire et ce qui est facultatif. Dans sa commune, l'adjointe au maire en charge de ces questions se plaint d'être isolée au sein de l'intercommunalité, parmi des élus qui ne se donnent pas vraiment les moyens d'agir. Il faut donc féliciter la rapporteure pour les idées très intéressantes contenues dans le rapport.

M. Maxime Gremetz a insisté sur l'importance des questions de financement ainsi que sur la nécessité de mettre en place un autre mode de financement de la protection sociale et déploré que ces questions n'aient pas été abordées, ou fort peu, à la différence de ce qui se passe au Conseil d'orientation des retraites (COR). Comment doter la sécurité sociale d'une vraie gouvernance ? Comment la financer ?

On parle beaucoup, en ce moment, de démocratie participative ; parmi les nombreux sujets qu'il faudrait remettre à l'ordre du jour, figure celui de l'élection des administrateurs des caisses de sécurité sociale. Estimant que sur tous ces sujets, les propositions contenues dans le rapport sont insuffisantes, M. Maxime Gremetz a indiqué qu'il s'abstiendrait.

La rapporteure, a indiqué que le rapport met en évidence l'importance des dépenses d'action sociale, présente la répartition de celles-ci et, surtout, souligne certaines inégalités territoriales dans les capacités de financement des départements. Quand aux considérations sur la gouvernance et la démocratie participative, ils sont hors sujet : ce n'était pas l'objet du rapport.

M. Pierre Morange, coprésident de la MECSS, a rappelé que l'objectif de la MECSS était de dresser un état des lieux et de formuler des propositions afin d'optimiser et de rationaliser l'utilisation des deniers publics. Des pistes ont été dégagées concernant les financements, mais l'objectif premier était de faire un bilan et de dégager des marges de manœuvre. La question de la gouvernance a déjà été traitée dans le premier rapport de la MECSS, dont certaines préconisations visaient d'ailleurs à rétablir les élections aux conseils d'administration des caisses des différentes branches du régime général de sécurité sociale, en prenant pour modèle le système en vigueur à la Mutualité sociale agricole (MSA).

Mme Paulette Guinchard, coprésidente de la MECSS, a estimé que le rapport est très clair, bien que bref, sur la question du financement et souligné que le thème de la gouvernance avait en effet été abordé dans un précédent rapport. Reste que les questions de démocratie sociale sont appelées à devenir de plus en plus brûlantes, à commencer par celle du lien entre la sécurité sociale et les collectivités locales.

M. Georges Colombier, président, a souhaité qu'une suite soit donnée à ce rapport lors de la prochaine législature.

La commission a décidé, en application de l'article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.

ANNEXES

ANNEXE 1 : COMPOSITION DE LA MISSION

Présidents

Mme Paulette Guinchard

M. Pierre Morange

Membres

Mme Martine Carrillon-Couvreur

Mme Marie-Françoise Clergeau

M. Georges Colombier

M. Jean-Pierre Door

M. Pierre-Louis Fagniez

Mme Jacqueline Fraysse

Mme Cécile Gallez

Mme Catherine Génisson

M. Gaëtan Gorce

M. Maxime Gremetz

Mme Muguette Jacquaint

M. Olivier Jardé

M. Jean-Marie Le Guen

M. Claude Leteurtre

M. Jean-Luc Préel

M. Jean-Marie Rolland

ANNEXE 2 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Pages

5 octobre 2006

9 h 30

M. Michel Cretin, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, Mme Rollande Ruellan, et M. Michel Braunstein, conseillers maîtres, et M. Benoît Guerin, conseiller référendaire.....................................................

93

11 heures

M. Michel Duraffourg, inspecteur général des affaires sociales (IGAS).........................................................................................................

102

19 octobre 2006

9 h 30

M. Patrick Hermange, directeur de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS)....................................................

111

10 h 30

M. Jean-Jacques Trégoat, directeur général de l'action sociale (DGAS) au ministère de la santé et des solidarités..................................................

119

11 h 30

M. Philippe Georges, directeur de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF)...............................................................................................

131

9 novembre 2006

9 h 30

M. Denis Piveteau, directeur de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA).......................................................................................

137

10 h 30

M. Frédéric Van Roekeghem, directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAVTS)...........................

144

11 h 30

M. Jean-Louis Sanchez, délégué général de l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée (ODAS).................................................

150

23 novembre 2006

9 heures

M. Dominique Giorgi, inspecteur général des affaires sociales, et Mme Bérénice Delpal, inspectrice des affaires sociales, membres de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS)...................................

Mme Nicole Roth, sous-directrice de l'observation de la solidarité à la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) du ministère de la santé et des solidarités, et M. Laurent Caussat, sous-directeur synthèses, études économiques et évaluations .......................

156

10 h 30

M. Patrick Kanner, président de l'Union nationale des centres communaux d'action sociale (UNCCAS).........................................................................

169

11 h 30

M. Yves Humez, directeur général de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (MSA)...................................................................

176

7 décembre 2006

9 h 30

M. François Scellier, secrétaire général adjoint de l'Association des départements de France (ADF), président du conseil général du Val-d'Oise....

183

10 h 30

Mme Françoise Descamps-Crosnier, membre du bureau de l'Association des maires de France (AMF), et Mme Marie-Claude Serres Combourieu, responsable du département action sociale, éducative, sportive et culturelle de l'AMF ......................................................................................

188

11 h 30

M. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale au ministère de la santé et des solidarités ....................................................................

194

14 décembre 2006

9 h 30

M.  Bernard Derosier, député, président du conseil général du Nord........................................................................................

M.  Michel Diefenbacher, député, président du conseil général du Lot-et-Garonne, et M.  Philippe Jamet, directeur général des services du conseil général du Lot-et-Garonne, en charge de la vie sociale............
M. Pierre Jamet, directeur général des services du conseil général du Rhône......................................................................................
M.  Yves Talhouarn, directeur général adjoint des services du conseil général du Val-de-Marne, en charge du pôle prévention et action sociale.......

199

11heures

M.  Jean-François Benevise, directeur général adjoint des services de la ville de Lyon, et Mme Véronique Fages, directrice de l'action sociale......................................................................................
M. Jean-Michel Marige, directeur général de l'action sociale de la ville de Créteil, et Mme  Isabelle Blondin, responsable du service des prestations sociales.....................................................................................
M. Jean-Michel Moynié, directeur du centre communal d'action sociale de la ville d'Agen............................................................................
Mme  Marielle Boyer-Schaeffer, directrice générale adjointe du centre communal d'action sociale de la ville de Lille, et M.  Rodolphe Dumoulin, directeur de l'action sociale et de l'insertion.........................................

209

21 décembre 2006

9 heures

M.  Guy Magal, directeur de la Caisse d'allocations familiales d'Agen.......
M. Daniel Forafo, directeur de la Caisse d'allocations familiales de Lille...
M. Philippe Simonnot, directeur de la Caisse d'allocations familiales de Lyon, et M.  Jean-Michel Sérouart, directeur de l'action sociale..............
M. Christian Moutier, directeur de la Caisse d'allocations familiales de Créteil.......................................................................................

221

10 h 15

- M. Jacques Tonner, directeur général de la Caisse régionale d'assurance maladie d'Île-de-France, et M.  Jean-Claude Poirier, directeur adjoint chargé du secteur action sociale...............................................................

Mme  Maria Doumeingts, directrice de la Caisse régionale d'assurance maladie d'Aquitaine........................................................................
Mme Christiane Flouquet, directrice de l'action sociale pour l'Île-de-France à la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés ....
M. Yves Corvaisier, directeur de la Caisse régionale d'assurance maladie de Nord-Picardie..............................................................................

Mme Éliane Delorme, directrice adjointe et directrice de l'action sociale de la Caisse régionale d'assurance maladie de Rhône-Alpes........................

230

11 h 30

M. Jean-Jacques Trégoat, directeur général de l'action sociale au ministère de la santé et des solidarités, et Mme Annick Bony, chef du bureau des personnes âgées............................................................................

239

11 janvier 2007

9 heures

M. Christophe Lannelongue, inspecteur général des affaires sociales, M. Pierre Sardou, inspecteur général des affaires sociales, Mme  Stéphanie Dupays, inspectrice des affaires sociales, et M. Thierry Leconte, inspecteur des affaires sociales, membres de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS).......................................................................................

246

10 h 30

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille ...........................................

257

11 h 30

M. Edward Jossa, directeur général des collectivités locales au ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, M.  Jean-Luc Heller, chef du département des études et des statistiques locales, et M.  Jérôme Teillard, attaché au bureau des services publics locaux ........................................

264

ANNEXE 3 : COMPTES RENDUS DES AUDITIONS


AUDITIONS DU 5 OCTOBRE 2006

Audition de M. Michel Cretin, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, ainsi que Mme Rolande Ruellan et M. Michel Braunstein, conseillers maîtres, et M. Benoît Guerin, conseiller référendaire.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Monsieur le président, madame, messieurs, je vous souhaite la bienvenue à cette audition, première de celles que notre Mission entend consacrer au très vaste sujet qu'est l'action sociale. Nous vous entendrons avec intérêt nous présenter les grandes lignes du rapport de la Cour des comptes sur l'action sociale des branches du régime général de sécurité sociale, et sommes conscients de la complexité de la matière, liée au grand nombre d'intervenants - l'action sociale des caisses s'ajoutant à celle des collectivités territoriales.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Notre calendrier d'auditions est assez serré, puisque nous avons prévu de finir nos travaux à la fin du mois de janvier 2007. Avant de recevoir, tout à l'heure, les inspecteurs de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), nous souhaitons examiner avec vous la problématique générale de l'action sociale, et vous poser quelques questions après votre exposé.

M. Michel Cretin : Je vous remercie de nous accueillir pour ouvrir ce cycle d'auditions consacré à votre thème d'étude. Nous avions indiqué, voici quelques mois, que, pour le traiter dans toute son ampleur, c'est-à-dire en incluant l'action sociale des collectivités locales, une enquête commune de la Cour et des chambres régionales des comptes serait nécessaire. Or, celles-ci établissent leur programme de façon indépendante, de sorte qu'une éventuelle coopération devrait être planifiée très longtemps à l'avance. Ce fut le cas pour l'hôpital, mais, s'agissant de l'action sociale, vos propres délais ne l'auraient pas permis. C'est pourquoi nous avons limité notre travail à l'action sociale des branches du régime général.

Le premier président de la Cour des comptes a présenté le 14 septembre dernier le rapport annuel de la Cour sur la sécurité sociale. La Cour travaille également, à la demande de la commission des affaires sociales du Sénat, sur la protection sociale agricole - qui comporte un volet « action sociale » - et doit remettre son rapport au début de l'année prochaine.

L'action sociale des caisses de sécurité sociale intervient en principe de manière facultative et subsidiaire par rapport au versement des prestations légales. Elle vise à mieux prendre en compte les cas individuels et à corriger les inéquités pouvant résulter de l'application de règles générales. Elle prend la forme d'aides individuelles, soumises à conditions de ressources ou modulées en fonction de la situation des demandeurs. Elle représente donc des montants modestes par rapport au volume des prestations servies. C'est le cas dans la branche vieillesse et dans la branche maladie, où elle est inférieure à 0,5 % du total des dépenses, soit, en 2005, 661 millions d'euros pour la branche maladie et 344 millions pour la branche vieillesse. L'exception est constituée par la branche famille, où elle atteignait, en 2005, 3,42 milliards d'euros, soit 11 % des dépenses de la branche. Sur ces 3,42 milliards, 11,6 % seulement des dotations étaient consacrées à des situations individuelles difficiles, le reste servant à financer diverses structures gérées par des communes ou des associations - crèches, haltes-garderies, centres de loisirs... Il s'agit d'une situation très particulière, sur laquelle je reviendrai plus tard.

L'action sociale de la branche maladie n'est pas celle qui appelle le plus de commentaires. Parmi les dépenses retracées dans le Fonds national d'action sanitaire et sociale (FNASS), certaines sont étrangères à son objet, ce que la Cour a critiqué. En fait, sur 661 millions d'euros, 250 millions seulement correspondent à la définition de l'action sociale telle que je l'ai esquissée voici un instant. Le reste recouvre notamment : des engagements pris par l'assurance maladie auprès des professions de santé, dont la formation est subventionnée à hauteur de 114 millions d'euros ; des dépenses d'assurance maladie à caractère obligatoire, comme la prise en charge des tickets modérateurs applicables aux malades atteints de certaines affections de longue durée, pour 238 millions d'euros ; des actions d'aide à domicile qui sont normalement du ressort de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), pour 59 millions d'euros. Il y a eu, toutefois, une évolution positive en 2006, puisque ces dépenses ont été transférées vers le Fonds national d'action sociale (FNAS) de la branche famille.

S'agissant du « cœur de métier » de l'action sociale de l'assurance maladie, c'est-à-dire les aides individuelles, on observe une grande hétérogénéité entre les caisses primaires, qui disposent d'une grande autonomie. L'essentiel est constitué par l'aide légale à l'acquisition d'une couverture complémentaire par les personnes se situant légèrement au-dessus du plafond de ressources de la couverture maladie universelle complémentaire (CMUC).

M. Pierre Morange, coprésident : À combien s'élève-t-elle ?

Mme Rolande Ruellan : À l'origine, 70 millions d'euros avaient été mis en réserve, mais le dispositif n'est pas encore monté en puissance.

M. Pierre Morange, coprésident : Avez-vous pu mesurer le nombre de bénéficiaires de cette mesure destinée à corriger l'effet de seuil ?

Mme Rolande Ruellan : Le rapport de la Cour comporte cette année une insertion relative à la CMUC, où elle traite notamment du crédit d'impôt qui a remplacé le dispositif conventionnel précédent.

M. Pierre Morange, coprésident : Justement, combien y a-t-il de bénéficiaires ?

M. Benoît Guerin : Il y en avait 200 000 à la fin de 2005, alors que la Direction de la sécurité sociale (DSS) avait évalué leur nombre potentiel à 2 millions.

M. Pierre Morange, coprésident : Ce n'est pas un grand succès...

Mme Rolande Ruellan : Nous avons observé que le dispositif est inopérant, soit que l'aide et le crédit d'impôt se superposent, soit qu'une partie de la population concernée ne bénéficie d'aucun des deux.

M. Pierre Morange, coprésident : Le fait qu'il n'y ait que 200 000 énéficiaires sur 2 millions nous interpelle. Pourquoi l'objectif n'est-il pas atteint ? Est-ce un simple problème d'information ?

M. Michel Cretin : Peut-être, mais la complexité même du dispositif peut dissuader les demandeurs d'aller jusqu'au bout de leur démarche.

M. Benoît Guerin : Certains renoncent parce que, même avec l'aide, le reste à charge est trop élevé.

M. Michel Braunstein : Le premier président de la Cour a qualifié le dispositif d'« énorme machinerie », qui n'est pas toujours lisible par ceux-là mêmes qui ont à l'appliquer.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous avons néanmoins vu, en étudiant les coûts de gestion des caisses de sécurité sociale, que l'informatisation et la dématérialisation permettaient de simplifier les circuits, voire d'unifier les guichets.

M. Michel Cretin : La pluralité des guichets est une autre question, mais il est de fait que la complexité du dispositif est aujourd'hui telle que tout le monde s'y perd.

J'en viens à la branche retraite. Il est certain que le vieillissement de la population entraîne un accroissement des besoins d'action sociale. Tous les acteurs, qu'il s'agisse de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS), des caisses régionales d'assurance maladie (CRAM) ou des collectivités locales, s'y intéressent, mais dans des conditions assez mal connues, et qui posent un problème de coordination de leurs actions.

Les caisses du régime général de sécurité sociale cherchent, certes, à agir en complémentarité avec les collectivités, et c'est pourquoi elles ciblent surtout les personnes en groupe iso-ressources (GIR) 5 ou 6, qui n'ont pas droit à l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) versées par les départements, et privilégient par ailleurs les actions de prévention de la dépendance et d'adaptation des lieux de vie. Mais le contenu de la convention d'objectifs et de gestion (COG) pour 2005-2008, qui confirme sur ce point celui de la COG pour 2002-2004, illustre la difficulté qu'il y a à mettre ces orientations en pratique. Certaines actions de la branche maladie paraissent en effet plus adaptées aux personnes en GIR 4, voire plus dépendantes encore, et d'autre part il n'est pas facile d'identifier, parmi les dépenses immobilières, celles qui bénéficient à telle ou telle catégorie de personnes. Pourtant, une meilleure identification des actions est nécessaire, si l'on veut les articuler de façon plus rationnelle avec celles des collectivités. A défaut, c'est la légitimité même de l'action sociale autonome des caisses qui pourrait être mise en cause.

Mais c'est à propos de l'action sociale de la branche famille que le jugement de la Cour est le plus sévère. Le contexte est le suivant : 12 milliards d'euros de prestations familiales sont versés sans condition de ressources, ou sous des conditions très peu discriminantes, puisque la prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE) est servie à 90 % des familles. On pourrait donc s'attendre à ce que l'action sociale soit réservée aux situations les plus difficiles, afin de compenser la faible sélectivité des prestations légales. Or, ce n'est pas le cas. Les fonds servent surtout à financer diverses structures communales ou associatives, sous la forme de subventions de fonctionnement - accordées, il faut le souligner, sur crédits évaluatifs - appelées « prestations de service », et qui sont de deux sortes.

Les prestations de service dites « ordinaires » sont une contribution financière, réglementée par la CNAF et versées à un certain nombre de services et équipement sociaux limitativement énumérés : crèches, haltes-garderies, centres de loisirs sans hébergement, centres sociaux, foyers de jeunes travailleurs... Leur volume est passé, entre 2001 et 2005, de 790 millions à 1,4 milliard d'euros, soit une augmentation de plus de 75 %.

Les prestations de service dites « contractuelles » sont celles qui appellent de notre part le jugement le plus critique. Elles couvrent les contrats enfance et les contrats temps libre. Il s'agit de compenser le fait que la dépense restant à la charge des communes demeure trop élevée après déduction de la prestation de service ordinaire. Le dispositif est très attractif pour elles, puisque les caisses peuvent cofinancer les dépenses nouvelles à hauteur de 50 ou 70 %, qu'il s'agisse d'accroître la capacité d'accueil ou - cas de plus en plus fréquent - de créer des emplois. Ces dépenses sont passées, entre 2001 et 2005, de 440 millions à 1,056 milliard d'euros, soit une augmentation de 140 %, qui explique en partie le déficit de la branche famille constaté à partir de 2004.

Les dysfonctionnements liés aux prestations contractuelles sont nombreux. Tout d'abord, une sorte de confusion s'est installée dès l'origine entre l'aide au développement, c'est-à-dire à la création de structures nouvelles, et l'aide au fonctionnement. Ensuite, les modalités de gestion retenues par les caisses d'allocations familiales (CAF) et par la CNAF ont été telles que le taux d'effort de la CNAF s'est accru à mesure que les dépenses se développaient, ce qui aboutit à faire assumer par les caisses le coût de fonctionnement des places existantes et non pas seulement celui des nouvelles places. Enfin, la branche famille est incitée à « faire du chiffre » : la COG pour 2002-2004 fixait un nombre très élevé d'enfants pris en charge par les contrats enfance ou temps libre, si bien que les caisses n'ont pas limité leurs engagements, ni mis en place des outils de prévision ou de suivi, alors même que ces engagements étaient pluriannuels. Réduites au rôle de financeur passif, elles n'ont pas opéré de sélection selon la taille ou la situation financière des communes, de sorte que les moyens ne sont pas répartis de façon équitable et rationnelle pour aider les collectivités ayant les besoins les plus pressants et les moyens les plus faibles. Ainsi, les dépenses par enfant et par an vont, selon les caisses, de 30 à 330 euros.

M. Pierre Morange, coprésident : Comment cela s'explique-t-il ? Ne s'agit-il que d'inégalités de richesse entre départements, ou est-ce la conséquence de stratégies différentes d'un département à l'autre ?

M. Michel Braunstein : Il y a des caisses qui se sont beaucoup investies, qui ont démarché un grand nombre de communes ...

M. Pierre-Louis Fagniez : Pourquoi ?

M. Michel Braunstein : Pour « faire du chiffre ». Pour respecter le taux fixé par la COG en termes d'enfants couverts - taux qui a d'ailleurs été dépassé.

M. Pierre Morange, coprésident : Cela ne relève sans doute pas de la seule philosophie du « chiffre ». Il ne s'agit pas d'entreprises, mais de structures publiques ou parapubliques, qui veulent répondre à un besoin réel, dans une société où 80 % des femmes de moins de 40 ans travaillent. Quelles étaient les priorités fixées par la COG ? Quelle était la stratégie ?

M. Michel Braunstein : C'était de privilégier les petites communes. Et l'objectif a été atteint.

Mme Rolande Ruellan : Comme nous l'avons écrit, il n'y a pas eu d'évaluation comparative des besoins. Les choix ont été opérés en fonction du contexte local, du dynamisme plus ou moins grand des communes. Une commune qui n'a pas de moyens du tout ne songera même pas à investir, tandis qu'une commune qui en a déjà un peu plus cherchera à obtenir le complément de la CAF.

Il faut aussi savoir que cette forme d'action sociale constitue une part importante de la marge de liberté laissée aux conseils d'administration des caisses.

M. Pierre Morange, coprésident : Quelle part des besoins réels a pu être couverte grâce à cela ? 50 %, 70 % ? Quelle est votre estimation ?

M. Michel Braunstein : Nous connaissons le nombre de communes couvertes, ainsi que le taux d'enfants concernés, qui est de 76 % pour les contrats enfance et de 62 % pour les contrats temps libre, soit davantage que l'objectif fixé par la COG. Cela montre l'efficacité des mécanismes incitatifs...

Mme Rolande Ruellan : Par contre, les CAF n'ont pas fait d'études sur le taux d'utilisation des équipements. Il est donc possible qu'il y ait de nombreuses places vides dans de petites communes, alors que le déficit est criant en région parisienne.

Il faut également rappeler que la crèche est le mode de garde le plus coûteux, compte tenu des normes d'équipement et d'encadrement. D'où la nécessité, sans doute, de compléter cette politique par l'encouragement à d'autres modes de garde.

M. Pierre Morange, coprésident : Le tout-collectif n'est pas forcément l'idéal, tant pour le développement psychomoteur des enfants que pour le bon usage des finances publiques...

M. Benoît Guerin : Il existe un critère assez fruste, qui est le nombre d'enfants par rapport au nombre de places, mais ce critère ne permet pas une appréciation très fine des besoins.

M. Pierre Morange, coprésident : Pouvez-vous nous présenter vos principales recommandations pour améliorer le rapport coût-efficacité et rationaliser l'emploi des deniers publics ?

M. Michel Cretin : Nous avons formulé des recommandations de deux ordres, qui n'entrent cependant pas forcément autant dans les détails que vous pourriez le souhaiter. Nous préconisons tout d'abord de cantonner l'action sociale de la branche famille aux aides individuelles, la réorienter de l'indifférencié vers le différencié. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, naturellement. Nous souhaitons, en second lieu, que l'on étudie les avantages éventuels qui pourraient résulter, en matière d'aide à la garde des jeunes enfants, d'une fusion des prestations de service avec les prestations légales, la nouvelle aide ainsi instituée étant versée directement aux familles, indépendamment du mode de garde.

M. Pierre Morange, coprésident : Un mode de financement qui aboutit à financer l'offre pour amener la demande est plus que contestable. Vos recommandations tendent à inverser cette logique, en finançant d'abord la demande. Mais ce sera difficile, compte tenu des engagements pris auprès des collectivités locales.

Mme Rolande Ruellan : N'est-il pas légitime de solvabiliser les familles de la même façon, quel que soit le mode de garde choisi ? Actuellement, la partie « garde » de la prestation d'accueil du jeune enfant rémunère les assistantes maternelles ou les aides à domicile, tandis que le financement des crèches suit d'autres canaux. Les masses en jeu s'élèvent, au total, à quelque 4 milliards d'euros, sans même compter les aides à l'investissement.

M. Michel Braunstein : Sur 3,4 milliards d'euros, il y a seulement 400 millions d'aides individuelles et 200 millions d'aides à l'investissement. Tout le reste est affecté à l'aide au fonctionnement, et notamment aux dépenses de personnel.

M. Pierre Morange, coprésident : C'est une véritable spirale, qui plombe les comptes de gestion et génère un déficit préjudiciable à la capacité d'intervention de la CNAF.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Avez-vous des éléments sur les incitations possibles à la réalisation d'aménagements nécessaires, par exemple pour l'accueil des enfants handicapés ?

Mme Rolande Ruellan : Non. Nous sommes partis du constat que les dépenses d'action sociale de la CNAF, dont les comptes sont pourtant déjà plombés par la PAJE, augmentaient de 15 % par an. Mais nous n'avons pas fait d'étude sociale, faute d'avoir les éléments pour cela. Vous pourrez interroger plus à loisir les représentants de la CNAF lorsque vous les recevrez. Cela dit, on ne peut leur tenir rigueur de cette évolution : ils ont fait ce que les pouvoirs publics leur ont imposé de faire par le biais de la COG.

M. Michel Cretin : Une des principales critiques que nous avons adressées à la CNAF, et auxquelles elle est en train de répondre, tient au fait que les crédits des prestations de service étaient évaluatifs. Depuis, toutefois, ils sont devenus limitatifs : c'est une première réaction de la CNAF à l'explosion de ses dépenses d'action sociale en 2005 et à l'apparition d'un déficit.

M. Michel Braunstein : En outre, la nouvelle COG définit des publics et des territoires prioritaires, ce que ne faisait pas l'ancienne. Mais toute la difficulté réside dans le phasage financier, compte tenu des nombreuses opérations déjà lancées.

Mme Rolande Ruellan : Vous pourrez demander à la CNAF comment elle entend répondre aux engagements qu'elle a pris depuis plusieurs années, tout en maîtrisant les dépenses. Pour les nouvelles prestations de services, il y a un ciblage, mais les trains qui sont déjà partis ne pourront être stoppés...

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Depuis la création de l'APA, comment l'action sociale de la CNAVTS a-t-elle évolué ? Comment expliquer qu'il y ait d'énormes différences dans le montant de l'aide ménagère d'une région à l'autre ? Faut-il privilégier l'aide individuelle ou l'aide immobilière aux structures d'accueil ?

Mme Rolande Ruellan : Nos réponses seront sommaires, car nous ne sommes pas allés très au-delà des éléments résultant d'une enquête antérieure de la Cour en 2004-2005, résultats que nous avons exploités dans le rapport sur les personnes âgées dépendantes que nous vous avons transmis pour éclairer vos propres travaux. Nous n'avons pas d'éléments sur la façon dont la CNAVTS gère son aide sociale. Elle n'a plus en charge que les GIR 5 et 6, mais comme elle n'a plus beaucoup d'aides ménagères à financer, nous n'avons guère d'éléments sur ce point. L'IGAS, en revanche, a fait un rapport sur l'action sociale de la branche retraite.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : C'est un sujet sur lequel nous allons travailler avec l'IGAS, car il est extrêmement sensible sur le terrain. Compte tenu de la compétence des départements en matière d'action sociale et de politique gériatrique, la question est de savoir s'il faut redéfinir l'action sociale de la branche vieillesse.

Mme Rolande Ruellan : Nous avons posé la question, sans y apporter de réponse. Il y a sûrement une place pour une action sociale des caisses de retraite, mais encore faut-il que celles-ci sachent trouver quel est leur créneau. Les besoins vont croître dans les années qui viennent, étant donné l'augmentation attendue du pourcentage de personnes très âgées.

Est-il légitime que l'argent public se disperse dans des actions moins prioritaires ? « Prévenir le vieillissement », c'est très bien, mais le contenu de cette action reste en grande partie à définir. Quant aux « structures de vie », elles ne s'adressent pas aux personnes encore valides, qui souhaitent surtout rester chez elles. Un créneau possible serait donc l'amélioration et l'adaptation de l'habitat individuel ou familial.

M. Michel Braunstein : Un autre problème tient au fait que le nombre de personnes affectées à l'action sociale dans la branche vieillesse peut varier du simple au triple d'une caisse à l'autre, sans qu'il y ait d'explication à cela, et sans que l'on puisse dire non plus quel est le nombre optimal.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous avions abordé cette question dans notre premier rapport sur les coûts de gestion des caisses. La dématérialisation et l'informatisation peuvent aider à résoudre ce problème. Etant donné l'importance des besoins, la dispersion des énergies ne peut plus être admise.

Mme Rolande Ruellan : Il se noue des partenariats locaux très intéressants, mais la COG est très vague à ce sujet...

M. Pierre Morange, coprésident : Notre collaboration avec l'IGAS nous permettra d'avoir enfin une idée claire de la répartition des aides selon les départements, notamment dans le domaine de la prise en charge de la dépendance.

Mme Rolande Ruellan : La Cour des comptes travaille actuellement sur les personnes âgées dépendantes. Elle n'a encore rien publié, mais il existe des monographies départementales.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Pourquoi PARNASS, l'outil commun de gestion de l'action sanitaire et sociale des caisses primaires d'assurance maladie, a-t-il été abandonné ?

M. Benoît Guerin : C'est un échec cuisant. Nous n'avons pas eu le fin mot de l'histoire, mais je crois qu'il était trop complexe et ne répondait pas aux besoins des utilisateurs en raison d'une mauvaise conception du cahier des charges. On songe à le remplacer par une sorte d'Intranet, mais qui n'est pas encore lancé.

Mme Rolande Ruellan : Rien n'est envisagé au niveau national : il semble qu'on veuille laisser aux caisses primaires quelque chose à faire.

M. Benoît Guerin : Un modèle économétrique central a été mis au point, qui paraît très intéressant, mais qui n'est pas nourri par les remontées des caisses.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous avons constaté de grandes variations dans les taux de consommation des dotations globales libres d'emploi, qui vont de 30 % à 60 % selon les caisses. Pouvez-vous expliquer ces disparités ?

M. Benoît Guerin : Il n'y a pas vraiment d'explication à cela. Dans la branche maladie, les caisses répondent aux demandes. Le crédit d'impôt, en outre, a perturbé les prévisions budgétaires des caisses.

M. Pierre Morange, coprésident : Si vous aviez à donner un avis sur le périmètre de l'action sociale de l'assurance maladie, quel serait-il ?

M. Michel Braunstein : La première chose à faire serait d'exclure les dépenses à caractère obligatoire.

Mme Rolande Ruellan : Les « 31e et 32e maladies », qui sont en fait des polypathologies, doivent être incluses dans l'Objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM), mais le décret n'a pas encore été publié.

On semble avoir renoncé à isoler les engagements conventionnels entre les caisses et les professions de santé au sein d'un fonds d'action conventionnelle, car ils n'ont rien à faire dans un fonds d'action sociale - non plus, d'ailleurs, que le coût de fonctionnement de l'Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (IRDES). Lorsque tout ce qui n'a rien à voir avec l'action sociale sera enlevé, il restera 200 millions d'euros, moins 70 millions pour le crédit d'impôt, soit 130 millions pour accorder des secours.

M. Benoît Guerin : Et des subventions aux établissements.

Mme Rolande Ruellan : Les caisses ont été perturbées par l'entrée en vigueur de l'APA et de la CMU. Il faut leur laisser le temps nécessaire pour s'adapter.

M. Michel Braunstein : Ce sont quelque 120 entités qui ont à mettre en place et à appliquer des dispositifs difficiles à comprendre, et certaines se débrouillent mieux que d'autres...

Mme Rolande Ruellan : Si le crédit d'impôt n'a aujourd'hui que 200 000 « clients », c'est parce que le reste à charge est encore trop élevé pour un grand nombre de bénéficiaires potentiels.

M. Benoît Guerin : D'autant plus que, contrairement aux bénéficiaires de plein droit de la CMU, ils ne peuvent invoquer les tarifs opposables.

M. Pierre Morange, coprésident : La forfaitisation de l'aide est tout de même assez attractive, et le reste à charge limité. Comment se fait-il qu'il n'y ait que 200 000 bénéficiaires sur un public potentiel de 2 millions de personnes ?

Mme Rolande Ruellan : Je ne sais pas comment a été calculé ce chiffre de 2 millions...

M. Pierre Morange, coprésident : Peut-être a-t-on, il est vrai, surestimé leur nombre, et l'effet de seuil ne joue-t-il, en fait, que pour 300 000 ou 400 000 personnes ?

M. Benoît Guerin : Peut-être y avait-il aussi, parmi les 2 millions de bénéficiaires potentiels, des personnes déjà couvertes. Mais on peut s'étonner qu'elles n'aient pas profité de l'effet d'aubaine pour réduire le coût de leur couverture.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Comment remédier aux disparités de traitement entre assurés en matière d'action sociale ?

Mme Rolande Ruellan : La Cour des comptes, au risque d'être taxée de jacobinisme, demande à la CNAF, année après année, de fixer des critères et de créer des outils pour encadrer une forme d'égalité - et aussi pour faire remonter l'information. Lorsque ce sera fait, il faudra laisser aux caisses locales, au terrain, le soin d'aider les individus, avec une marge de manœuvre. On comprend mal, cependant, que ni les conditions de ressources ni les montants d'aide ne soient harmonisées, et qu'un cinquième des caisses seulement se soient alignées sur les conditions de ressources de la CMU. Mais il est vrai que c'est un peu de cette façon que fonctionne l'aide sociale des collectivités locales...

M. Pierre Morange, coprésident : Cette comparaison est contestable, car chaque collectivité a une capacité contributive différente, alors que les caisses fonctionnent selon un principe de mutualisation des risques et des ressources au niveau national.

Que pensez-vous des aides apportées par les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) pour le paiement des factures d'eau, d'énergie ou de loyer ? Cela fait partie de l'action sociale, certes, mais en quoi cela relève-t-il de la branche maladie ?

Mme Rolande Ruellan : Nous avons écrit, en effet, que cela n'entrait pas normalement dans son champ de compétences.

M. Pierre Morange, coprésident : Quels sont les montants financiers en cause ?

M. Michel Braunstein : C'est tout à fait marginal.

M. Michel Cretin : Mais c'est très important pour les conseils d'administration, qui peuvent montrer à cette occasion qu'il y a un examen individuel des dossiers. Et les élus aux conseils s'impliquent beaucoup dans leur examen.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : De quels moyens dispose-t-on pour évaluer l'action sociale, le ciblage des aides et ses effets ?

Mme Rolande Ruellan : C'est difficile, car les caisses nationales elles-mêmes ne le font pas. La COG de la branche maladie comporte, en tout et pour tout, une demi-page sur l'aide sociale. C'est très bien de dire qu'on va redéfinir les priorités, mais comment se passer, pour cela, d'une véritable évaluation sur le terrain ?

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Quelles voies suivre, selon vous, pour redéfinir les objectifs et les publics ?

Mme Rolande Ruellan : Il faut, comme pour la CNAF, cibler le créneau sur lesquels la caisse peut agir utilement et n'a pas de concurrents. La CNAMTS s'est beaucoup impliquée, par exemple, en faveur des handicapés, mais le partage des rôles avec la CNSA est encore mal défini. Or, si une liberté tarifaire supérieure à ce qu'elle est actuellement apparaît et qu'une partie de la population ne peut pas suivre, le besoin d'aide sociale ne va-t-il pas se développer au-delà de son niveau actuel ? Actuellement, de nombreux besoins des handicapés ne sont toujours pas couverts ; il y a donc un champ important pour l'action sociale de la branche maladie. En revanche, elle finance des centres de santé dont beaucoup sont très déficitaires, et il serait opportun de rationaliser cette offre, qui plombe ses comptes et qui, en outre, est excédentaire par endroits.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Comment déterminer quels sont les centres à supprimer et ceux à maintenir ? Vise-t-on les centres généralistes, en tant que gros consommateurs de crédits ?

Mme Rolande Ruellan : Pas seulement : il y a aussi des centres spécialisés, dentaires par exemple. Si certains centres mutualistes sont indispensables, par exemple dans les quartiers de Paris où presque tous les praticiens sont en secteur 2, il est d'autres zones où ils sont trop nombreux. Il faut que les communes, les caisses et les mutuelles travaillent ensemble à définir, secteur par secteur, les besoins et la meilleure façon d'y répondre. Je crains que l'évolution du système de soins, avec l'éventuelle création d'un secteur optionnel notamment, n'aboutisse à accroître les besoins de couverture de la population en difficulté, mais c'est une raison de plus pour dynamiser la gestion de ces centres et améliorer la répartition de l'offre.

M. Pierre Morange, coprésident : Ces centres ne peuvent s'exonérer de la nécessité d'une gestion rigoureuse, car il s'ensuivraient des inégalités préjudiciables à ceux qui ont besoin de s'adresser à eux.

Madame, messieurs, nous vous remercions, et n'hésiterons pas, si besoin est, à faire de nouveau appel à vous pour éclairer nos travaux.

*

Audition de M. Michel Duraffourg, inspecteur général des affaires sociales, membre de l'IGAS.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie, monsieur Duraffourg, d'avoir répondu à notre convocation. Je vous donne la parole pour une présentation synthétique du rapport de l'IGAS sur l'action sociale de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) en faveur du maintien à domicile des personnes âgées.

M. Michel Duraffourg : Le rapport a été commandé par le ministre de la santé et des solidarités et le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille pour faire le point sur la politique d'action sociale de la caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAVTS) au titre de l'application de la convention d'objectifs et de gestion (COG) pour les années 2005-2008. L'objectif principal de l'enquête que j'ai menée avec mon collègue M. Stéphane Paul dans un certain nombre de caisses régionales d'assurance maladie (CRAM), après un long travail avec la direction de l'action sociale de la CNAVTS, était de répondre aux interrogations de nombreuses associations ainsi que des ministres sur la mise en place des alternatives à l'aide ménagère, proposées pour la première fois au titre de l'exercice 2005.

Le rapport se situe donc dans le cadre d'une évaluation, sans doute plus critique que celles que l'on mène habituellement, de la nouvelle manière d'aborder le maintien à domicile des personnes âgées prévue dans la convention d'objectifs et de gestion. Cette nouvelle approche s'exprimait autour de deux axes principaux. Le premier est le maintien d'un volet aide ménagère pour le soutien à domicile des personnes âgées relevant des groupes iso-ressources (GIR) 5 et 6 du fait de la répartition opérée entre les ressortissants de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) - en GIR 1 à 4 - et les ressortissants d'une action sociale facultative des caisses - en GIR 5 et 6.

Le second axe consistait à s'interroger, d'une part, sur les mécanismes mis en œuvre pour évaluer les besoins des personnes et, en particulier, sur les propositions faites par la CNAVTS pour sortir de la prescription par les associations des heures d'aide ménagère, propositions qui consistaient en un dispositif dit d'évaluation globale se rapprochant du mode d'appréciation pour l'attribution de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et, d'autre part, sur le rythme de mise en place des alternatives à l'aide ménagère, encore peu développées, et qui étaient encore considérées il y a peu comme très théoriques et ne s'appliquant pas sur le terrain. Mais les choses ont un peu changé.

Nous nous sommes rendus dans quatre caisses régionales d'assurance maladie (CRAM), ce qui me permettra de répondre à d'éventuelles questions sur l'action sociale de proximité et la compétence gérontologique des caisses, qui peuvent varier d'une caisse à l'autre : la région Nord-Pas-de-Calais, la région Rhône-Alpes, la région Centre-Ouest - qui, pour la CNAVTS, regroupe Limousin et Poitou-Charente -, et la région Île-de-France qui obéit à une logique particulière parce qu'elle n'a pas de service social adapté à ses missions.

Tel est, très vite résumé comme vous le souhaitiez, le contexte dans lequel s'est déroulée la mission. J'en exposerai maintenant les objectifs.

Le constat est critique, comme il l'est souvent, mais mesuré. Nous avons considéré que les administrations, les ministères ou les gouvernements avaient sans doute été trop volontaristes par rapport au rythme de progression des alternatives à l'aide ménagère et avons estimé nécessaire, en accord avec la CNAVTS, de lisser ce rythme. Par ailleurs, il nous est apparu particulièrement important de maintenir une « compétence » gérontologique à la CNAVTS pendant cette période transitoire. La loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées est, en effet, l'occasion à la fois de remettre en cause les méthodes dites de GIR, c'est-à-dire l'évaluation des besoins des personnes âgées, au regard de ce qui va se faire dans la politique du handicap et de s'interroger, comme l'a fait la Cour des comptes dans un autre contexte, sur la scission sans doute très artificielle, non pas en elle-même mais au regard de l'instrument de classement, entre GIR 1 à 4 relevant de l'APA et GIR 5 et 6.

J'ai relevé un dernier point important pour votre information : sur les ressortissants du régime général, les retraités représentent 11 millions de personnes, les personnes âgées de plus de soixante-cinq ans 4,2 millions de personnes et le nombre des personnes aidées par la CNAVTS n'excède pas 300 000. Cela montre que l'action sociale de la CNAVTS au profit de ses ressortissants recouvre à l'heure actuelle une population relativement limitée et que son impact, sans être mineur, reste modeste. L'aide ménagère, par exemple, ne dépasse pas 12 heures par mois pour les personnes non dépendantes relevant des GIR 5 et 6. Le maximum d'heures pouvant être octroyées est de 20 par mois et il n'y a pas plus de 20 % de cette population aidée qui en bénéficient.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Comment peut-on expliquer qu'en dépit de la création de l'APA, la CNAVTS doive continuer de financer quasiment le même nombre d'heures d'aide ménagère ?

Par ailleurs, quel sens faut-il donner à la nouvelle mission, donnée à la CNAVTS, de prévention de la dépendance ?

M. Michel Duraffourg : Concernant la première question, c'est un peu compliqué. Il y a eu un moment dans la mise en place de l'APA où la demande d'aide ménagère auprès de la CNAVTS a décru au motif que les services prescripteurs avaient fait le plein de leurs capacités et n'étaient donc pas en mesure de distribuer des heures pour d'autres catégories de personnes. Ce qui nous a un peu impressionné - d'ailleurs, le rapport l'indique et la CNAVTS le souligne également dans sa réponse -, c'est que la demande d'aide ménagère pour les personnes relevant du champ de l'action sociale de la CNAVTS a connu un rebond après la mise en œuvre de l'APA, c'est-à-dire en fait au moment où la mission a été conduite, c'est-à-dire sur la période 2004-2005.

Quant à la prévention de la dépendance, elle est fondamentale. Il serait faux de dire que l'on ne peut pas prévenir la dépendance. Par contre, on s'aperçoit que les outils que l'on utilise sont parfois les mêmes que ceux que l'on met en œuvre pour compenser une dépendance. C'est tout d'abord l'action sociale de type aide ménagère. Cette dernière sert à tout : à prévenir la dépendance d'une personne âgée sans manifestation d'invalidité parce qu'elle lui permettra d'avoir une fatigue moindre, comme à maintenir à domicile des personnes identifiées comme dépendantes. Les actions alternatives mises en œuvre par la CNAVTS, dont aucune n'est inintéressante, sont relativement marginales : il peut s'agir d'ateliers mémoire - pour lesquels il faut trouver des financeurs -, ou encore de l'aménagement du domicile, que l'on sait être un point faible dans l'offre de services. En résumé, la prévention de la dépendance est importante et relativement bien définie. Par contre, les outils qui existent et qui sont adaptés, soit sont les mêmes que pour les aides habituelles, soit ont un contenu relativement limité.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Comment expliquez-vous qu'ils aient un contenu mal défini ?

M. Michel Duraffourg : C'est une question qui a malheureusement pris une tournure idéologique. C'est, en fait, tout le problème de l'aide ménagère. Certaines personnes disent que l'aide ménagère est coûteuse - ce qui n'est pas faux - et qu'elle devrait être réservée aux personnes dépendantes. Mais que fait-on pour les personnes âgées socialement fragiles si on ne leur donne plus d'aide ménagère ? Qui va intervenir au domicile de ces personnes, avec quels moyens et avec quel impact sur la prévention ? Toute la difficulté est là.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Cela rejoint une question qui revient constamment à la MECSS et qui est celle des services à offrir et du contenu de l'accompagnement. Je recevais hier le responsable d'une association appelée Ciel Bleu, qui s'était placée initialement sur le marché pour aider à l'accompagnement physique des personnes âgées, c'est-à-dire pour leur permettre de récupérer une certaine autonomie. Avec un certain nombre de caisses de retraite, elle a mis en place une offre de services pour permettre aux personnes âgées qui sortent de l'hôpital dans des situations de grande fragilité de récupérer rapidement leurs capacités et d'être à nouveau en mesure de sortir de chez elles. Or ces dispositifs se trouvent dans un no man's land, aussi bien en termes de reconnaissance que de financement. Les caisses de retraite les reconnaissent mais pas les CRAM ni la sécurité sociale. Vous avez raison de dire que c'est une question idéologique mais il y a surtout une absence de définition du contenu thérapeutique ou de l'accompagnement et une non-reconnaissance de certains systèmes.

Un autre exemple est donné par la livraison du repas à domicile. Elle est intéressante à la fois sur le plan de la diététique et de la nutrition, et comme aide pour s'en sortir et se reprendre en charge.

Je suis impressionnée de voir à quel point nous sommes restés à des offres de services et de contribution de l'accompagnement qui datent de trente ans, même si on note des évolutions très fortes dans un certain nombre d'associations. C'est une des questions de fond qui se posent à nous.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous aimerions connaître votre sentiment sur les conclusions du rapport sur l'unification de la responsabilité de la prise en charge des personnes âgées dépendantes. En clair, nous voulons savoir qui fait quoi.

Quelle est, selon vous, la meilleure formule ? Faut-il placer le dispositif sous l'égide des départements ou répartir la responsabilité entre ces derniers et la CNAVTS ? Dans ce dernier cas, la répartition de la responsabilité doit-elle être fonction de l'histoire locale, ou du degré de dépendance avec la distinction entre les personnes relevant de GIR 1 à 4 ou de GIR 5 et 6 ?

M. Michel Duraffourg : Votre question doit être abordée sous deux aspects importants : d'une part, ce qui se passe sur le terrain et, d'autre part, ce qui se passe pour l'usager et sa famille, car ces derniers se retrouvent souvent confrontés aux structures.

Sur le terrain, se pose un vrai problème. Les missions du service social régional, c'est-à-dire des assistantes sociales travaillant dans le réseau de l'assurance maladie et de l'assurance vieillesse, sont réparties, depuis une circulaire de 2001, selon trois axes : faciliter l'accès aux soins, lutter contre la désinsertion des personnes - par exemple, tenter de remettre au travail des personnes qui sont en invalidité - et favoriser l'accès des personnes âgées aux soins et aux aides. Du fait de cette répartition, il n'y a pas plus de 20 % des missions des assistantes sociales qui sont consacrées à l'action sociale vieillesse.

Cela signifie, concrètement, que le réseau de la sécurité sociale pour l'assistance sociale aux personnes âgées est extraordinairement limité. Je reviens du département de l'Eure, où il doit y avoir une assistante sociale pour 40 000 personnes. Quand on sait qu'elle ne va consacrer que 20 % de son temps aux personnes âgées, on voit que l'assurance sociale n'a pas de services de proximité dans le domaine de la vieillesse. Ils ont des gens très dévoués qui font un travail considérable, mais pas de services, ce qui a d'ailleurs conduit la CNAVTS à dire que, si elle mettait en place une évaluation des besoins des personnes, elle serait obligée, puisqu'elle ne pouvait pas compter sur le service social régional pour la réaliser, de la confier à des tiers, et le cas échéant à des évaluateurs habituels de l'APA, qu'elles devraient payer. La CNAVTS paie 60 euros -100 euros à Paris - par évaluation.

Mon premier souhait serait donc qu'une telle situation n'existe pas. On aurait pu envisager - et le rapport le fait remarquer - que la CNAVTS ait un réseau de proximité propre d'assistantes sociales travaillant sur ses orientations. Mais ce n'est pas le cas. Elle utilise le réseau commun à l'assurance maladie. En Île-de-France, par exemple, la caisse qui gère les pensions de retraite n'a pas d'assistantes sociales dédiées à l'action sociale. Elle les demande à la CRAMIF, qui est une caisse d'assurance maladie. Cela signifie que, sur le terrain, les 250 assistantes sociales sont très peu auprès des personnes âgées.

La seconde chose qui nous a frappés - et cette information n'est pas strictement dans le rapport -, c'est que les personnes âgées n'y comprennent rien. Le premier interlocuteur de la personne âgée, dans beaucoup de domaines, est sa voisine : 20 % des personnes qui ont eu accès au dispositif ont été informées par quelqu'un de leur entourage, au premier rang desquels leur voisine. Le deuxième interlocuteur est le centre communal d'action sociale (CCAS). D'ailleurs, lorsqu'il y a eu un flottement concernant l'aide ménagère, les gens sont allés voir le maire et lui ont reproché de ne pas avoir déclenché l'action sociale, le CCAS étant censé le faire. Les équipes sociales des départements sont plus ou moins connues. Le département n'a pas, comme dans le Rhône, maillé son territoire. Les assistantes sociales ne se rapprochent des personnes âgées que lorsqu'on les leur a signalées ou lorsqu'elles les connaissent au titre d'une maladie de longue durée invalidante. Le fait d'avoir des assistantes sociales qui s'occupent de personnes âgées à la fois dans le cadre de la prévention de la dépendance et parce qu'elles sont malades n'est pas mauvais en soi, mais ces deux éléments conjugués montrent la faiblesse de l'action sociale en termes d'action auprès des personnes. Cela ne veut pas dire pour autant que des compétences gérontologiques n'existent pas au sein des caisses d'assurance vieillesse, mais ces dernières n'ont pas la capacité d'être des acteurs de proximité, sauf dans des partenariats où elles jouent leur rôle en tant que partie prenante des équipes d'évaluation, comme cela a été le cas pour la prestation expérimentale dépendance, qui avait permis de lier équipes sociales du conseil général et équipes sociales des caisses.

M. Pierre Morange, coprésident : Il ressort de ce que vous dites qu'il y a une concurrence entre les deux équipes sociales...

M. Michel Duraffourg : Les acteurs qui ont un peu d'expérience, comme moi, se rendent compte que les décentralisations successives emportent des morceaux entiers du social en ce moment. On le voit avec les maisons du handicap : il ne s'agit pas d'une vraie décentralisation au sens étroit et juridique du terme, mais cela a des conséquences fondamentales sur le travail de proximité.

Si on souhaite offrir le meilleur service possible aux personnes, et à la condition que les départements aient des CCAS - parce qu'un département n'est pas proche de l'assuré -, il est certain qu'il y a une proximité à créer. Que ce soit sous l'égide d'une collectivité territoriale, pourquoi pas ?

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Il faut la récupérer, cette proximité ! Cela fait longtemps que la loi permet au département de signer des conventions avec les CCAS. Or je ne connais qu'un seul département, l'Ille-et-Vilaine, qui utilise ce dispositif, qui doit dater, pourtant, des années 1950. Je suis toujours étonnée par cette incapacité à utiliser les dispositifs législatifs existants !

M. Pierre Morange, coprésident : Ce n'est malheureusement pas le seul exemple d'inapplication de la loi. Pour faire référence à une mission d'information récente, il en est de même de l'interdiction de l'exposition au tabagisme passif dans les lieux à usage collectif.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : La CNAVTS est-elle en mesure de diversifier son offre de services d'action sociale, de développer une évaluation globale des besoins des personnes âgées et de mettre en œuvre des plans d'actions personnalisés (PAP)? Si oui, à quelles conditions et dans quels délais ?

M. Michel Duraffourg : La COG était très ambitieuse sur les points que vous avez indiqués, et qui sont liés. Pour le développement de l'évaluation globale, des enveloppes importantes ont été prévues, de l'ordre de plusieurs dizaines de millions d'euros.

Si l'on fait de l'évaluation globale, on peut recréer un dispositif qui ne repose plus simplement sur l'aide ménagère mais sur ce que l'on appelle des plans d'actions personnalisés. Je ferai à ce sujet deux remarques.

Premièrement, les informations sur 2006 laissent penser qu'une partie des caisses régionales sont en train de s'y mettre et commencent également à réaliser des évaluations globales, dans un climat apaisé entre les caisses et les associations. En effet, au début, les caisses niaient aux associations le droit de faire des évaluations pour éviter qu'elles ne retrouvent leur qualité d'autoprescripteur. Dans un certain nombre de cas, les choses se sont apaisées, ce qui permet de confier aux services qui ont des compétences, notamment à ceux qui sont habilités à effectuer des évaluations APA, les mêmes capacités pour l'évaluation globale.

Seconde remarque : si on fait de l'évaluation globale, on fera des PAP. Reste ensuite à regarder le contenu de ces derniers. Beaucoup tournent autour du déploiement de deux ou trois types d'actions. Il peut s'agir d'ateliers mémoire : ceux-ci ne fonctionnent que si des gens se déplacent mais c'est possible dans le cas des GIR 5 et 6. Il peut s'agir aussi du refinancement de repas à domicile. On retrouve des aides classiques qui sont refinancées par la CNAVTS là où elle n'était pas présente. Mais nous trouvons très peu d'alternatives importantes. Il y a parfois des cotisations à des clubs.

Cela me conduit à deux observations.

La première, c'est que la CNAVTS ne s'est pas vraiment inquiétée - alors que les services avaient senti le danger - du coût de gestion des PAP. La CNAVTS, qui est une grande et belle institution, est un excellent prestataire de masse - en matière de retraite par répartition, le système français de report aux comptes individuels est devenu le modèle européen car la CNAVTS a d'excellentes techniques informatiques - et elle a beaucoup piloté l'aide ménagère en action sociale. Par contre, pour les PAP, elle sera obligée de refaire du crayon et du papier, parce que ce sont de petites aides.

Il existe des aides un peu coûteuses - je n'ose pas dire superficielles devant votre mission, car leur contenu n'est jamais inutile - pour lesquelles on peut trouver des alternatives. Quand nous étions dans le Nord, nous nous sommes interrogés, par exemple, sur la légitimité de porter des courses à une personne âgée là où le supermarché le fait contre une toute petit charge. Est-ce là qu'il faut solvabiliser le besoin ? Je pose la question car, en fait, pourquoi pas ? Rien n'est mauvais dans cet univers. Mais on est obligé de faire des choix.

La seconde observation, c'est qu'une aide d'un contenu nouveau - dont vous avez parlé, madame la coprésidente - va se développer, à savoir l'aide au retour à domicile pour les personnes hospitalisées. Ce n'est plus simplement de l'action sociale vieillesse, mais devrait être une politique générale. Quand une personne âgée est hospitalisée, il y aurait tout intérêt, pour éviter qu'elle le soit à nouveau - surtout maintenant que les hôpitaux font sortir les patients un peu plus vite - à diligenter très rapidement une enquête sociale, comme dans le cadre de l'APA d'urgence, afin que les services spécialisées en ce domaine mettent en place l'aide au retour de la personne dans son domicile - parce que c'est là qu'elle est quand même le mieux -, après l'hospitalisation. Cette aide, qui fait partie de la réorganisation des aides de la caisse vieillesse, est en train de se développer fortement et il faut l'encourager. Elle est cependant relativement marginale par rapport à l'action sociale vieillesse traditionnelle. Elle fait partie en fait de l'action sociale des caisses d'assurance maladie, et elle ne peut que leur faire faire des économies si elles savent la gérer de manière optimum.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : La répartition des effectifs de travailleurs sociaux des services régionaux entre les activités d'action sociale de la branche maladie et celles de la branche vieillesse vous paraît-elle satisfaisante ? Quelles évolutions seraient souhaitables ?

M. Michel Duraffourg : Vous posez là une question importante, que nous n'avons fait qu'effleurer en remarquant que la proximité n'était pas très bien gérée dans certaines circonstances. Ce qui est sûr, c'est que la circulaire de 2001 qui unit ces deux branches doit être actualisée. Par ailleurs, le fait, pour la CNAVTS, de ne pouvoir compter que marginalement sur ses assistantes sociales est un point faible dans le développement d'une politique d'action sociale pertinente.

Faudrait-il scinder les services sociaux ? Dans le département de l'Eure, dont j'ai l'exemple en tête, sur la vingtaine d'assistantes sociales qu'il compte, il n'en resterait que cinq ou six. Fait-on de l'action sociale sur un département avec cinq ou six assistantes sociales en proximité ? Où les met-on ? Dans les agences locales de santé, puisque les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) sont de plus en plus décentralisées sur leurs anciens points d'accueil ou leurs agences de paiement ? Cela pose vraiment un problème car on perd la masse critique. Or, comme vous l'avez dit, monsieur le coprésident, il faut une certaine masse critique pour avoir de l'action et de la visibilité. On le voit avec les maisons du handicap, qui sont un succès. Lorsque les conseils généraux les ont mises en place, il y a eu une visibilité qui n'existait pas dans nos anciennes COTOREP. Les CGSS fonctionnaient peut-être un peu mieux...

En tout cas, la question que vous avez posée est un chantier entre les deux branches. Je pense que celles-ci sont conscientes qu'elles doivent avoir un service social, non pas plus efficace, mais aux missions redéfinies, parce que le monde a changé et qu'on ne doit pas rester figés sur des objectifs de 2001.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Vous nous parlez de l'organisation de l'action sociale entre les différents organismes : assurance maladie, CNAVTS et départements. Nous devons nous interroger également sur les services offerts. Avez-vous le sentiment qu'ils font l'objet d'une réflexion suffisante ?

J'ai toujours été très frappée par la grande difficulté de faire émerger de nouveaux services pour les personnes âgées. Il y en a eu dans le champ du handicap car les associations de handicapés en ont réclamés et étaient porteuses de nouveaux services. Mais il y en a moins dans le champ des personnes âgées.

Le dispositif antérieur de l'aide ménagère, qui consistait à verser une masse financière aux associations, avait un côté pervers car, ces dernières disposant de leur financement annuel, cela ne leur permettait pas de faire évoluer vers de nouveaux services. Avez-vous le sentiment qu'une évaluation en commun de l'offre de services dans le but de la faire évoluer soit possible, voire qu'elle soit déjà en train de se mettre en place ?

M. Michel Duraffourg : Je précise d'abord que les associations sont le « produit » de la CNAVTS. L'action sociale « aide ménagère » de la CNAVTS a créé ce couple qui a rendu d'énormes services. Avant l'APA et la mise en place d'un dispositif large, tout reposait, au fond, sur l'action sociale vieillesse. C'est pourquoi les caisses ont une compétence gérontologique reconnue, dont elles ont, d'ailleurs, eu du mal à faire leur deuil.

Ensuite, les services ont acquis une professionnalisation avec le certificat d'aptitude aux fonctions d'aide à domicile (CAFAD) et tout ce qui a suivi, et qui est une excellente chose. On voit bien, de toute façon, que, pour beaucoup d'associations, l'intervention auprès des personnes âgées ne se résume pas à du service ménager. Elles œuvrent au maintien à domicile, avec tout ce que cela implique de polyvalence des tâches : conduire la personne faire des courses, l'aider pour les papiers administratifs, sont des tâches extraordinairement utiles dans la vie quotidienne et essentielles pour des personnes âgés.

Par ailleurs, les associations, à qui l'on reproche souvent de ne pas se redéployer suffisamment vite, sont à l'heure actuelle particulièrement entraînées par la concurrence qui existe sur les services aux personnes. Celles qui, de par leur structure, leur histoire ou la nature des emplois proposés, avaient le plus de difficultés, sont très conscientes de la nécessité de renouveler leur offre. Avec son offre de prestations nouvelles, la CNAVTS réclame de nouveaux services. Elle va, de ce fait, jouer un rôle dans le champ économique, puisqu'elle a de l'argent à mettre. Elle demande de nouveaux services, en faisant valoir qu'elle pourra les solvabiliser. Les choses sont en train de changer.

M. Pierre-Louis Fagniez : En résonance avec ce qu'a dit Mme Paulette Guinchard dans sa première intervention, je reviendrai sur ce qui se passe sur le terrain. Nous voyons bien que, en ce moment, les actions sont à la conjonction de la CNAVTS et de la CNAMTS.

Je prendrai l'exemple des personnes âgées qui sont dans les hôpitaux, et qui y sont de plus en plus nombreuses. Il est à craindre qu'il y ait pour elles une médecine à deux vitesses. Souvent, elles y viennent pour subir des interventions simples - je ne parle pas des grands opérés, pour lesquels on peut faire l'hospitalisation à domicile. Le plus embêtant c'est, par exemple, une personne de quatre-vingts ans qui vient se faire opérer d'une hernie inguinale : l'hôpital peut la faire ressortir le jour-même. Donc, pour l'assurance maladie, cela correspond à un jour d'hospitalisation. Mais, en pratique, si les médecins ne font pas ce pour quoi ils ne sont pas formés, c'est-à-dire l'organisation du suivi et du social, un patient âgé entré le lundi risque d'y être encore le mercredi, parce que, comme vous l'avez dit, le service à domicile est polyvalent et comporte beaucoup de services. Il n'y a pas beaucoup de soins mais il y a toute une série d'actes indispensables, ne serait-ce que monter quatre étages. Or, la CNAVTS et l'assurance maladie vont payer deux ou trois jours d'hospitalisation au lieu d'un - parce qu'on ne peut pas mettre la personne à la porte. Cela coûte très cher.

Vous avez dit que l'aide au retour à domicile pour les personnes hospitalisées serait source de grandes économies pour l'assurance maladie. Au regard de celles-ci, pouvez-vous nous indiquer les besoins de ces métiers - puisque ce sont bien des métiers nouveaux ? Ces besoins seraient-ils largement ou pas suffisamment pourvus par les économies réalisées ? Il ne s'agit, évidemment, pas de la même caisse mais, pour nous, ce qui compte, c'est l'argent qui est dépensé puisque, de toute façon, c'est l'assuré qui paie.

Allons-nous continuer, par défaut d'imagination et parce que c'est plus facile, à garder nos vieilles dames deux ou trois jours ou allons-nous tous nous mobiliser pour qu'elles puissent rentrer chez elles, monter leurs quatre étages, être nourries et vivre comme quelqu'un de vingt ans de moins ?

Il faut que la vieillesse soit identique à la jeunesse pour l'accès aux soins. Sinon, il y a une médecine à deux vitesses. On parle d'une fausse médecine à deux vitesses. Or, c'est là qu'elle est !

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Je partage complètement ce point de vue. J'ai été très marquée par ce que nous ont dit les médecins gériatres que nous avons entendus : ils ont insisté sur le fait que c'était l'hôpital qui « grabatisait » les personnes âgées. On voit toute l'importance d'un travail en commun entre l'assurance maladie, la CNAVTS et les départements !

M. Pierre Morange, coprésident : Nous nous heurtons toujours à la même problématique : le cloisonnement des organismes.

M. Pierre-Louis Fagniez : Eh oui !

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Nous le dénonçons depuis le début !

M. Pierre Morange, coprésident : Il est totalement absurde de se retrouver dans une logique où les uns et les autres s'ignorent alors que l'objectif est commun et qu'il faut, par définition, une mutualisation des ressources pour l'atteindre. Cela est sans doute dû à l'inertie de l'histoire et à la lourdeur des systèmes et des organisations, mais il n'est pas envisageable, face aux tendances démographiques de notre société, d'avoir une demande de « toujours plus » pour chaque compartiment, chaque zone de compétences, chaque structure organisationnelle. Il faut mettre les ressources en commun afin de fournir des réponses.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : J'ai eu la chance de participer à une journée d'études sur l'évolution du système de santé danois. Le Danemark a fait le choix de confier aux collectivités locales l'organisation de la prise en charge après l'hospitalisation, qu'il s'agisse de maladies chroniques, de handicaps, de dépendance ou de personnes âgées. Et le système de financement a suivi. Il serait intéressant de faire des comparaisons entre les systèmes des pays européens.

M. Pierre Morange, coprésident : Cela inciterait à une deuxième décentralisation, à un échelon encore plus local, alors que les choses ne sont déjà pas très claires... Il me paraît préférable d'avancer dans l'ordre, au titre de la bonne utilisation des deniers publics !

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Dans le cadre d'une autre mission actuellement à l'œuvre à l'Assemblée touchant les urgences médicales, nous avons eu hier exactement la même discussion. C'est donc une question qui mérite que nous y regardions de près.

Comme Mme Paulette Guinchard, je suis partante pour comparer les réponses qui y sont données par nos partenaires européens. Cela ne peut qu'enrichir nos travaux.

M. Pierre Morange, coprésident : Comme à toutes les personnes que nous entendons, je vous demanderai, de bien vouloir faire parvenir par écrit à notre mission toutes propositions concrètes et précises visant à améliorer à court, moyen et long termes l'ensemble du dispositif. Nous aurons à cœur de les intégrer à notre rapport.

Je vous remercie.

AUDITIONS DU 19 OCTOBRE 2006

Audition de M. Patrick Hermange, directeur de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS), M. Claude Périnel, directeur de l'action sociale nationale de la CNAVTS, et M. Laurent Tarrieu, chargé d'études.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie, messieurs, d'avoir répondu à notre invitation.

M. Patrick Hermange : Je vous présente, tout d'abord, les personnes qui m'accompagnent. M. Claude Périnel est directeur de l'action sociale nationale, et M. Laurent Tarrieu est son collaborateur, spécialiste des questions budgétaires et financières.

Vous me demandez d'intervenir sur un domaine très large. Je commencerai par deux questions préliminaires qui peuvent aider à structurer notre réflexion dès lors qu'il y a eu de nombreux rapports de missions de contrôle - de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de la Cour des comptes - sur la politique d'action sociale des différentes branches de la sécurité sociale et, en l'occurrence, de la caisse vieillesse.

La première question à se poser est la suivante : est-il légitime qu'un régime de retraite, qui concerne 11 millions de retraités, s'occupe d'autre chose que de verser des pensions ? Peut-il s'intéresser, par exemple, au mode de vie des retraités et à leur accès à divers services ? La direction et le conseil d'administration de la CNAVTS considèrent, quant à eux, que oui. Un autre acteur est fortement monté en puissance depuis 1997, les départements, au regard de la mise en place de la prestation spécifique dépendance (PSD), puis de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA). Le nombre de personnes prises en charge à ce titre est estimé à un million. Nous considérons que nous avons quelques responsabilités à l'égard à la fois de ce million de personnes, quoique indirectement puisqu'il y a un autre opérateur, et des dix millions restants dans le contexte actuel - et durable - de vieillissement de la population et d'alourdissement des dépenses collectives de santé face à ce vieillissement.

La seconde question qui mérite d'être posée est de savoir s'il est légitime ou non d'avoir une politique de prévention à côté de dispositifs destinés à répondre à un certain nombre de besoins. Depuis une dizaine d'années, notre pays a fait de grands progrès avec la mise en place de la PSD et de l'APA. Ces prestations contribuent, certes, à la prévention mais nous considérons, quant à nous, qu'elles ne suffisent pas pour développer une politique de prévention.

Au regard du partage des compétences qui a été instauré par le législateur, nous considérons que les caisses de retraite et, en particulier, le régime général peuvent, aux côtés d'autres opérateurs comme l'action sociale facultative des collectivités locales, jouer un rôle en matière de prévention, dès lors qu'il a une légitimité en amont à ne pas se contenter de distribuer des prestations.

C'est dans ce contexte que s'inscrit la politique d'action sociale de la branche retraite. Elle est modeste, depuis de nombreuses années. Rappelons que la branche a été le principal acteur et opérateur, à côté de l'État et des départements, à avoir contribué, par le biais de prestations initialement destinées aux handicapés versées largement aux personnes âgées, à bâtir, depuis le rapport de la Commission d'étude des problèmes de la vieillesse, présidée par M. Pierre Laroque, la politique d'aide et d'accompagnement à domicile des personnes âgées. Des évolutions ont eu lieu en 1996 et 2001 : nous avons dû nous repositionner dans un panorama qui avait substantiellement changé. La période 2001-2004 a été à la fois une phase de transition, liée à la mise en place de l'APA, et un temps d'expérimentation et de réflexion pour redéfinir notre politique d'action sociale. Cette réorientation a été principalement mise en œuvre par le biais de notre nouveau cadre de gestion qui est la convention d'objectifs et de gestion (COG) 2005-2008. Les départements prenant en charges les groupes iso-ressources (GIR) 1 à 4, il s'agit pour nous de voir comment répondre au mieux aux besoins des personnes qui ne sont pas encore atteintes par une perte d'autonomie, c'est-à-dire les GIR 5 et 6.

Il y a une trentaine d'années, la politique d'action sociale de la CNAVTS était consacrée principalement à la mise en œuvre de la prestation majeure qu'est l'aide ménagère à domicile. Cette prestation, qui constitue encore la partie la plus importante de nos dépenses, a été très largement déléguée au milieu associatif et aux centres communaux d'action sociale (CCAS). Les besoins des personnes âgées, dans une optique de prévention, ne pouvant se limiter à la distribution d'heures d'aide ménagère, il nous est apparu indispensable de diversifier les prestations offertes, d'adapter notre politique et de reprendre en mains la façon dont elle était mise en œuvre sur le terrain. La délégation de services qui a été accordée aux associations avait donné d'assez bons résultats, mais il nous semblait que la caisse nationale et les caisses régionales pouvaient être plus présentes dans ce dispositif, d'autant que des inflexions avaient été demandées par les corps de contrôle, en particulier par l'IGAS en 2004 lorsqu'elle avait fait le point sur la convention d'objectifs et de gestion 2001-2004. C'est en fonction de ces éléments que nous avons travaillé sur la réorientation vers les GIR 5 et 6 et sur l'aménagement des modes de réponse. Entre 2003 et 2004, nous avons procédé à un certain nombre d'expérimentations pour aboutir à une meilleure évaluation des besoins des personnes âgées. Jusque là - et c'est encore très largement le cas - on faisait une évaluation des besoins en heures d'aide ménagère, et pas tellement des besoins globaux des personnes. Il nous est apparu nécessaire de regarder de plus près l'environnement familial, les conditions de logement, les moyens à mettre en œuvre pour rendre ces personnes plus mobiles afin qu'elles puissent sortir et, quand elles ne pouvaient pas sortir, d'avoir des portages de repas, l'équipement nécessaire en téléalarmes là où la collectivité locale n'offrait pas ce type de prestations. Bref, nous voulions une évaluation la plus complète possible.

Nous avons fait monter en puissance ces nouveaux dispositifs, qui ont vocation à se déployer sur les quatre années de la convention d'objectifs et de gestion. Rappelons que les caisses régionales ont également un volet de compétences sanitaires. C'est donc l'occasion de faire le point là aussi. Nous mettons également en place des plans d'actions personnalisés (PAP) qui ont vocation à ne pas seulement répondre aux besoins avec un volume d'heures d'aide ménagère mais avec des prestations diversifiées alors que, concomitamment, monte en puissance la politique de services d'aide à la personne mise en place et impulsée fortement par le ministre de l'emploi.

Voilà la situation.

En 2005, elle a été un peu délicate car nous avons été confrontés, dans le cadre de ces réorientations, à une baisse relativement importante et vive du volume d'heures d'aide ménagère, qui a pris de court les associations et les CCAS. La convention d'objectifs et de gestion, qui avait été signée en mai 2005, s'est en effet appliquée dès l'été. Moyennant des redéploiements budgétaires, nous avons pu faire face à ces difficultés et remonter le volume d'heures d'aide ménagère et, à ce jour, nous n'avons pas de problèmes particuliers avec le monde de l'aide à domicile quant à la mise en œuvre de cette prestation.

S'agissant de la politique d'évaluation des besoins, l'IGAS a visité au printemps un certain nombre de caisses régionales. Les dispositifs d'évaluation et de montée en puissance des plans d'actions personnalisés lui ont paru relativement lents. Ils pourraient nécessiter des adaptations dans les prochaines années. Nous suivons cela mois par mois.

Les crédits alloués dans le budget 2006 pour les nouveaux dispositifs d'évaluation des besoins devraient être consommés à hauteur de 86 %, ceux destinés aux plans d'actions personnalisés à hauteur de 90 % et ceux prévus pour l'aide ménagère à hauteur de 93 %. Le mouvement n'était donc peut-être pas complètement engagé au printemps lorsque l'IGAS a mené ses investigations, car la caisse considère qu'il monte actuellement assez bien en puissance et répond aux objectifs recherchés. Je rappelle que l'un des objectifs était de mieux maîtriser les volumes et les enveloppes d'heures d'aide ménagère. Avec une prévision d'exécution de 93 %, le dispositif semble le permettre.

Concomitamment, nous ne percevons pas de réactions négatives ni de difficultés particulières avec le monde de l'aide à domicile, qu'il soit associatif ou qu'il appartienne aux CCAS, si ce n'est peut-être quelques difficultés ponctuelles qui font l'objet d'un examen avec les caisses et pour lesquelles il y a des réajustements d'enveloppes.

Là où nous avons un peu plus de difficultés, c'est dans l'autre champ de notre politique d'action sociale, c'est-à-dire l'aide à l'investissement et à l'équipement des établissements pour personnes âgées.

M. Pierre Morange, coprésident : Dans une audition précédente, vous vous êtes interrogé sur la légitimité de pérenniser le dispositif d'aide à l'investissement dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Si je me souviens bien, vous envisagiez de le voir s'éteindre pour vous concentrer sur un partage des compétences entre vos services qui s'occuperaient des GIR 5 et 6 - en gros le secteur ambulatoire - et les départements qui s'occuperaient des GIR 1 à 4, avec des moyens plus institutionnels. En simplifiant, c'est bien cela ?

M. Patrick Hermange : En simplifiant, oui, avec la nécessité de mettre en place des systèmes d'évolution progressive.

M. Pierre Morange, coprésident : C'était mon premier point. Je voulais m'assurer que nous avions bien compris la philosophie : chacun se concentre sur un domaine de compétences particulier.

Deuxième point : dans votre introduction, vous avez rappelé la diversité des acteurs et la richesse des actions entreprises et, par là même, la complexité de ces dernières et le problème de la coordination des premiers. A votre sens, quel dispositif pourrait réaliser cette coordination et assurer la rationalisation des moyens ?

Troisième point : la répartition des compétences en matière de prévention de la dépendance. Le sujet n'est pas neutre car se pose, là aussi, la question de la frontière entre le sanitaire, le médico-social et le social pur puisque l'assurance maladie est chargée de mettre en œuvre la consultation gratuite de prévention des maladies neuro-dégénératives, pour les personnes âgées de plus de 70 ans, prévue par l'article 47 du projet de loi de financement de la sécurité sociale, et que la branche vieillesse aura la compétence, ou à tout le moins, participera à la prévention de la dépendance. Ne risque-t-on pas d'avoir, là aussi, un problème de coordination et de bonne utilisation des deniers publics ?

Dernier point : ne pensez-vous pas qu'un numéro identifiant unique à l'ensemble des organismes chargés de délivrer des prestations sociales, sanitaires et médico-sociales sur tous les établissements publics qui interviennent dans le domaine de la solidarité nationale ainsi qu'un croisement des informations avec les fichiers du fisc permettraient de s'assurer de la légitimité et de la qualité des soins ainsi que de l'égalité de traitement sur tout le territoire ?

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : En lien avec la troisième question de M. Pierre Morange, coprésident, pouvez-vous nous dire comment vous comptez articuler votre action de prévention de la dépendance avec la consultation gratuite qui est prévue par l'article 47 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 ?

M. Patrick Hermange : Concernant la coordination des différents acteurs, je dois avouer qu'à ce jour, celle-ci n'est pas optimale.

M. Pierre Morange, coprésident : C'est joliment dit !

M. Patrick Hermange : Une investigation a été menée récemment pour regarder ce qui se passait entre nos caisses régionales et les départements. La situation n'est ni noire, ni complètement rose. Dans certaines zones géographiques, des partenariats se nouent aisément et sont constructifs. Dans d'autres, des départements considèrent qu'ils sont les seuls habilités à intervenir et ne sont pas spontanément ouverts à des collaborations. Nous le regrettons beaucoup. Chaque directeur a été missionné pour rencontrer le président du conseil général ou le responsable de la politique sociale. Les choses évoluent, mais pas à l'optimum. On pourrait, à mon sens, faire mieux. Nous avons un bilan complet de la nature des conventions qui existent et de la façon dont elles fonctionnent. Il y a des départements dans lesquels nos personnels participent aux équipes médico-sociales de l'APA, d'autres où il y a une reconnaissance mutuelle des évaluations. Certains y sont réticents parce qu'ils estiment qu'il y aurait des risques en termes de dépenses s'ils acceptaient des évaluations venant, par exemple, de nos équipes médico-sociales. Je rappelle que le service social des caisses est quand même impliqué, même si c'est inégalement, c'est vrai, dans les dispositifs d'évaluation que nous mettons en œuvre.

La situation est assez contrastée. Il existe néanmoins des coordinations structurelles dans le fonctionnement et d'autres plus ponctuelles pour le financement de certains projets.

Conviendrait-il d'aller plus loin ? Oui ! Quels types de formules faut-il envisager ? Je crois qu'il faudrait réactiver ce qui existe dans la loi de 2001 qui a créé l'APA, à savoir l'obligation d'une convention de coordination nourrie, et surtout la faire vivre. C'est ce dernier point qui pose problème. De ce point de vue, le législateur pourrait peut-être aller plus loin pour rendre plus actives ces coordinations. Nous regrettons beaucoup, pour notre part, de ne pas plus travailler avec certains départements. Il y a sans doute des responsabilités de part et d'autre, mais nous constatons quelquefois une fermeture de la part de certains départements qui considèrent que des financeurs et des acteurs extérieurs ne sont pas pleinement légitimes pour intervenir. Nous considérons, quant à nous, que nous avons une responsabilité à l'égard des onze millions de retraités, dont le million qui bénéficient actuellement de l'APA. Je pense qu'au niveau local, on pourrait envisager une coordination plus forte, et donc plus contrainte.

Au niveau national, nous sommes en train de travailler à une coordination avec la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) par le biais d'une convention - ainsi qu'il est prévu dans le dispositif législatif et réglementaire en cours de construction. Cela devrait faciliter un certain nombre de choses.

Nous avons un peu plus de mal à nouer un dialogue plus construit avec l'Association des départements de France (ADF).

Il convient donc déjà, avant de multiplier les structures nouvelles, de faire vivre, et bien vivre, celles qui existent et les dispositifs de coordination qui, d'ores et déjà, sont prévus.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : La CNAVTS pourra-t-elle nous communiquer le bilan des coordinations ?

M. Patrick Hermange : Bien sûr !

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Vous avez dit qu'il faudrait que le législateur puisse permettre d'aller plus loin. Comment ?

M. Patrick Hermange : Peut-être faudrait-il une rédaction un peu plus contraignante de l'article de la loi sur l'APA qui traite de la coordination et qui a été codifié dans l'article L. 232-13 du code de l'action sociale et des familles. Ensuite, tout dépend de la bonne volonté des acteurs.

Cela touche de fait à la problématique de l'évolution des esprits. Compte tenu de la rareté des moyens et de la situation financière globale de notre pays, il convient d'optimiser les savoirs, les ressources disponibles pour essayer de faire la meilleure politique possible. Nous considérons que, actuellement, elle n'est pas optimisée, qu'il s'agisse des coordinations de financements ou des ressources humaines.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Au vu des expériences qui fonctionnent, avez-vous des pistes à nous soumettre pour activer ces conventions ?

M. Patrick Hermange : Nous allons vous en adresser.

M. Pierre Morange, coprésident : Pourriez-vous répondre aux deux autres questions : l'articulation de l'action de la prévention de la dépendance de la CNAVTS avec la consultation de dépistage des maladies neuro-dégénératives prévue dans le PLFSS 2007, et la création d'un numéro identifiant unique avec un fichier central ?

M. Patrick Hermange : La CNAVTS ne peut que plaider en faveur du dispositif que vous préconisez, étant considéré qu'elle est d'ores et déjà un des grands acteurs de la constitution de bases de données. Nos fichiers comportent des renseignements intéressant plus de 60 millions de Français puisqu'ils concernent les retraités, les bénéficiaires de pensions de réversion et un certain nombre de personnes décédées pour lesquelles il peut y avoir des ayants droit. Nous gérons également le répertoire national pour l'assurance maladie. Cela, nous savons le faire et nous avons tout à fait conscience de tous les gains et tous les avantages de ce type d'information centralisée. Donc, nous sommes tout à fait ouverts à cette idée.

Reste à convaincre les autres acteurs et à réfléchir, également, à la meilleure exploitation possible d'un tel fichier. Il ne s'agit pas de se faire plaisir en regroupant toute une série de flux d'informations. Il faut que ce soit un élément favorisant la coordination de l'action.

M. Pierre Morange, coprésident : Je note que vous êtes d'accord avec cette idée et vous annonce que j'ai déposé deux amendements en ce sens.

M. Patrick Hermange : Je vous remercie de l'information que vous nous communiquez. La CNAVTS ne peut que souhaiter à ce titre que l'on ne multiplie pas les identifiants. Il existe un identifiant sécurité sociale. Cela vaut la peine de voir s'il peut être utile.

M. Pierre Morange, coprésident : L'objectif est d'avoir un seul identifiant.

M. Patrick Hermange : S'agissant de la mise en synergie des différents acteurs de la prévention de la dépendance dans le contexte particulier de la nouvelle mesure de dépistage des maladies neuro-dégénératives, nous avons prévu une mention dans notre support d'évaluation et je vais laisser le soin à mon collaborateur, directeur de l'action sociale nationale, de vous en parler.

Je rappelle que nous avons toujours plaidé pour que la sécurité sociale joue un rôle important dans la prise en charge de la dépendance dès lors qu'elle a, avec les caisses régionales d'assurance maladie, la double compétence sanitaire et sociale.

Mais je laisse le soin à M. Périnel de vous expliquer comment nous allons intégrer la visite médicale qui est proposée gratuitement aux assurés.

M. Claude Périnel : Nous mettons actuellement en place un dossier national de référence pour l'évaluation des retraités, lequel dossier prend en compte, comme il a été indiqué tout à l'heure, non seulement les conditions de vie mais également l'état de santé des personnes, dans la mesure où les problèmes de santé créent souvent une rupture, en tout cas une période difficile à vivre pendant laquelle les personnes ont besoin d'aide. Nous avons une approche plutôt sociale. Nous nous en tenons donc au départ à l'état de santé déclaré par la personne. Pour autant, en raison de la mise en place de cette consultation de prévention, il est prévu que l'évaluateur informe le retraité et l'oriente vers des médecins généralistes de façon qu'il puisse en bénéficier.

M. Pierre Morange, coprésident : Pourquoi cela ne relève-t-il pas de la compétence de l'assurance maladie ? Ce n'est pas une critique. C'est une question.

M. Patrick Hermange : Je comprends bien et je ne suis pas là pour défendre tel ou tel territoire mais pour réfléchir à ce qui est, en termes de politique générale, le plus performant et le mieux adapté aux besoins. Les zones sur lesquelles nous intervenons actuellement sont l'aide ménagère ou l'aide au maintien des personnes à domicile. Cela n'est pas évident de considérer que cela relève de la maladie. Il en est de même de la téléalarme, du portage de repas, de l'aide au transport et, d'une façon générale, de tout ce qui facilite le maintien de la personne âgée dans son environnement.

M. Pierre Morange, coprésident : Ma question porte sur l'articulation entre le champ sanitaire spécifique et une logique de prévention et de santé publique, à mettre d'ailleurs en cohérence avec la loi relative à la politique de santé publique votée en 2004. Il n'est pas absurde d'imaginer que, dans le cadre de la prévention puis de la prise en charge de la curation, c'est-à-dire dans un mécanisme de prévention primaire, secondaire et tertiaire - avant, pendant et après la maladie - il y ait une continuité des acteurs et des compétences au titre assurantiel, dans le but de rationaliser, et non de rationner, et d'optimiser les moyens financiers, techniques et humains au service de l'assuré. À votre sens, cette logique est-elle respectée ?

M. Patrick Hermange : Elle n'est pas pleinement atteinte puisque, dans le cas des personnes vieillissantes, il y a une très forte interpénétration entre la dimension sanitaire et la dimension sociale, et celle-ci mériterait d'être mieux prise en compte. La CNAVTS a toujours été très critique sur le choix qui a été fait en 1997 et en 2001 de confier aux départements la responsabilité des cas de dépendance les plus lourds. Il aurait été plus légitime que la sécurité sociale s'en occupe, quitte à créer un cinquième risque et qu'on laisse le soin aux collectivités locales de mettre en œuvre des politiques de prévention. Elles avaient d'ailleurs depuis de nombreuses années des actions sociales facultatives qui s'inscrivaient dans ce contexte.

À ce jour, je ne peux pas dire que la branche vieillesse assure pleinement la fonction de prévention de la dépendance - à cette nuance près que, nous appuyant sur des caisses régionales qui mettent en œuvre des politiques de prévention en matière sanitaire et qui s'appuient elles-mêmes sur un service social assuré par des assistantes sociales qui sont installées dans les caisses primaires d'assurance maladie, nous considérons que les caisses régionales d'assurance maladie (CRAM), qui sont notre relais sur le terrain, auraient les moyens de mettre en œuvre plus facilement cette coordination entre le sanitaire et le social.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Dans le cadre de la consultation prévue pour les personnes âgées de plus de 70 ans, comment allez-vous faire le recensement des personnes ?

M. Patrick Hermange : Nous n'avions pas en tête qu'il nous revenait de faire ce recensement. La consultation gratuite offerte à la population demandera manifestement un suivi. Est-ce qu'il revient à la branche retraite de s'en charger ou de veiller à ce que la branche maladie le fasse ? Nous n'en avons pas, à ce jour, discuté avec nos collègues de la branche maladie.

Cela étant, entre le médecin traitant et la caisse de sécurité sociale, il y aura un flux d'échanges qui permettra de connaître les personnes de plus de 70 ans qui accèdent à cette consultation et, moyennant les habilitations par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), nos fichiers retraite, pour les assurés du régime général, nous permettraient de faire un peignage pour voir à quelle hauteur les populations bénéficient de ce service. Les caisses maladie pourraient également le faire puisqu'elles constituent, elles aussi, des fichiers.

M. Pierre Morange, coprésident : Où en est la refonte du système de collecte de l'information de l'action sociale de la CNAVTS ?

M. Patrick Hermange : Elle est en cours. M. Périnel suit cette question de très près et peut donc vous donner plus de détails.

M. le Président : Pourriez-vous nous faire un état des lieux des moyens informatiques actuellement en place pour le recueil des informations et nous indiquer ceux que vous souhaiteriez voir se développer afin de permettre cette fameuse coordination-harmonisation des systèmes ?

M. Claude Périnel : Le système d'information de l'action sociale de la branche retraite est, comme vous l'avez dit, en pleine refonte. Comme nous avons changé l'essentiel des dispositifs, nous devons à la fois piloter et suivre les nouveaux et disposer d'une remontée de l'information qui nous permette de connaître les bénéficiaires, leurs besoins et leurs caractéristiques.

M. Pierre Morange, coprésident : Quelle était la situation l'année dernière et les deux années précédentes, et à quelle date est prévue le mise en œuvre du nouveau dispositif ?

M. Claude Périnel : Le calendrier devrait être tenu. Nous sommes actuellement au milieu du gué pour ce qui est des études techniques. Les premières phases s'étant passées de manière satisfaisante, nous pourrions être en situation, début 2008, de livrer aux caisses régionales un dispositif entièrement repensé.

M. Pierre Morange, coprésident : Repensé ou fonctionnel ?

M. Claude Périnel : Repensé et fonctionnel !

M. Patrick Hermange : Repensé et complètement revalidé !

M. Claude Périnel : Dans la période de transition, nous nous attachons à livrer des « lots intermédiaires », pour reprendre l'expression consacrée, qui permettent d'accompagner les caisses régionales dans la montée en charge des nouveaux dispositifs.

Les perspectives nouvelles de vision d'ensemble et de coordination que vous ouvrez constituent un enjeu supplémentaire qu'il va nous falloir intégrer dans notre système, conçu essentiellement en termes de facilitation de gestion et surtout de « pilotage », qui est un problème particulier dans le cadre de la politique d'action sociale.

M. Pierre Morange, coprésident : Si je comprends bien, il est heureux qu'il reste encore un peu de temps avant la mise en œuvre du dispositif en 2008 !

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Ne faudrait-il pas également envisager une simplification du schéma d'organisation ?

M. Patrick Hermange : Il n'est nullement illégitime de se demander s'il ne devrait pas y avoir un seul opérateur sur tout le champ, c'est-à-dire du GIR 1 au GIR 6. Ce n'est pas le choix qui a été fait en 2000 et 2001, mais je ne trouverais pas illégitime que cet opérateur unique soit le département, à cette nuance près que la CNAVTS ne lui reconnaît pas la faculté de bien emboîter le sanitaire et le social. C'est pourquoi j'ai dit tout à l'heure qu'il aurait été peut-être plus normal que les plus dépendants soient confiés à la sécurité sociale et donc que le spectre soit inversé.

Ces sujets ont été abordés dans le rapport de la mission de préfiguration de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) de MM. Raoul Briet et Pierre Jamet. Les choses sont restées en l'état. Nous avons cru comprendre également que les départements n'aspiraient pas forcément à prendre tout le spectre, soucieux qu'ils sont de digérer d'autres très gros dossiers qui leur ont été confiés. Mais c'est une question qui méritera d'être posée à nouveau.

Nous ne considérons pas que nous ayons seuls vocation à nous occuper de la prévention de la dépendance. La branche maladie s'en occupe déjà. Est-ce que cela rend les choses complexes pour l'assuré ? Ce n'est pas ce qui nous revient du terrain. Quand les assurés sont confrontés à un problème d'aide à domicile, ils prennent contact avec les associations ad hoc et les CCAS ; les acteurs de terrain les guident et les orientent dans le montage de leur dossier et les démarches à faire. Nous ne percevons donc pas une complexification pour l'assuré.

Ce que l'on peut craindre, c'est que la montée en puissance des besoins sur les GIR 1 à 4 en raison du vieillissement de la population se fasse au détriment des GIR 5 et 6 et qu'il y ait moins de choses qui se fassent pour ces populations qui ne sont pas encore en situation de perte d'autonomie. C'est pourquoi la CNAVTS avait réagi à l'annonce du ministère, en juin dernier, d'une expérimentation de transferts de crédits des caisses de retraite vers le département dans une perspective d'unification. Là où il y a encore des acteurs sur tout le spectre GIR 1 à 6, le fait de confier à un seul opérateur qui, lui-même, a des problèmes pour gérer les cas les plus lourds, pourrait conduire celui-ci à reconcentrer ses moyens sur ces cas au détriment des autres. Nous considérons que ce serait dommage car, moyennant une politique d'accompagnement social et sanitaire dans une optique de prévention, on peut retarder la survenue de phénomènes de perte d'autonomie et permettre à des gens de demeurer à domicile et d'éviter ainsi des placements en hébergements qui, pour les personnes, sont plus traumatisants, et pour la collectivité, plus coûteux.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie. Nous vous serions reconnaissants de faire parvenir à la mission les informations et les propositions précises qui viendraient compléter notre échange de ce matin.

*

Audition de M. Jean-Jacques Trégoat, directeur général de l'action sociale au ministère de la santé et des solidarités, Mme Claire Descreux, sous-directrice des politiques d'insertion et de lutte contre les exclusions, et M. Guy Janvier, chargé de mission.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie, madame, messieurs, d'avoir répondu à notre invitation. Avant de vous donner la parole, monsieur Trégoat, pour une brève présentation, j'informe la mission que nous avons le plaisir d'accueillir une délégation de fonctionnaires du Parlement du Liban, actuellement à l'Assemblée nationale dans le cadre du programme des Nations Unis pour le développement - PNUD - pour étudier le fonctionnement des commissions. Soyez les bienvenus, mesdames, messieurs.

Vous avez la parole, monsieur Trégoat.

M. Jean-Jacques Trégoat : Le sujet est très vaste et relativement complexe.

En matière d'action sociale, l'État travaille avec un certain nombre de partenaires, que vous avez auditionnés ou que vous allez auditionner.

Les premiers sont les grandes caisses de protection sociale que sont la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) et la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) et, d'une certaine façon, la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) : l'action sociale de cette dernière caisse, vue de la direction générale de l'aciton sociale (DGAS), est, en effet, beaucoup plus réduite sur nos publics que celle des deux autres caisses. La CNAMTS est importante sur les sujets de santé et moins sur l'action sociale, tandis que nous participons activement, avec mon collègue de la direction de la sécurité sociale (DSS), à la préparation des conventions d'objectifs et de gestion (COG) de la CNAVTS et de la CNAF puisqu'il y a un volet action sociale extrêmement important.

Depuis la loi du 13 août 2004, un autre partenaire très important intervient dans le domaine de l'action sociale : les collectivités territoriales. De tous temps, les départements ont mené des actions en matière sociale, mais, avec la décentralisation du RMI, des fonds d'aide aux jeunes, des fonds de solidarité pour le logement, des comités départementaux des retraités et personnes âgées (CODERPA) et d'un certain nombre d'autres dispositifs, on a renforcé la place de ceux-ci dans le domaine de l'action sociale ou de l'aide sociale - nous reviendrons sur ce problème de terminologie - en faveur des personnes âgées, des jeunes et des publics en voie d'exclusion. Bien que l'État conserve l'essentiel de la politique en faveur de la grande exclusion, des publics que l'on appelle à la marge - jeunes errants, publics issus de l'immigration, étrangers, grands précaires -, la loi du 13 août 2004 donne aux départements un rôle de pilotage en matière sociale dans ces domaines aussi. On voit se profiler un problème de frontière et nous aurons à revenir sur un mot clé : la coordination.

M. Pierre Morange, coprésident : Face à cette complexité, existe-t-il un compte national de l'action sociale qui récapitule de façon exhaustive l'ensemble des actions en ce domaine tant sur le plan humain que sur le plan financier ?

M. Jean-Jacques Trégoat : Répondre oui serait ambitieux, mais des démarches ont lieu. Je pense que vous aurez aussi l'occasion d'entendre la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) du ministère de la santé et des solidarités, qui vous parlera de ce qu'elle fait.

La troisième grande catégorie de partenaires de l'État, ce sont depuis quelques années - l'installation de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances par le Premier ministre le prouve - les opérateurs, au sens large : ce peuvent être des groupements d'intérêt public (GIP) au niveau local pour les handicapés. Au niveau national, ils peuvent, comme les deux que j'ai dans ma responsabilité, s'occuper de l'adoption ou de la maltraitance. On pourrait citer bien d'autres exemples.

Pour résumer, les partenaires de l'État en matière d'action sociale sont : premièrement, les grandes caisses de protection sociale ; deuxièmement, les collectivités territoriales - non seulement les départements, mais aussi les communes au titre de l'aide facultative, et les régions au titre de la formation - ; troisièmement, les opérateurs.

Pour répondre à la question centrale qu'est la coordination, nous avons entrepris, sur le thème de la lutte contre les exclusions - devenue la lutte pour l'inclusion sociale dans la terminologie bruxelloise ce qui nécessite de changer le titre d'un certain nombre de documents - la rédaction d'un document de politique transversale, que nous appelons dans notre jargon le DPT. Dans ce document qui a été remis au Parlement l'année dernière et qui le sera à nouveau cette année, nous essayons d'identifier, dans les 27 ou 28 programmes de mes collègues des autres ministères au titre de la loi organique relative aux lois de finance (LOLF), tous ceux qui concourent financièrement à la lutte contre les exclusions - ou pour l'inclusion sociale - en faisant attention aux programmes qui, par définition, ne visent pas que nos publics. Pour ce qui concerne l'accès au droit, par exemple, nous ciblons avec nos amis de la justice tout ce qui relève de nos publics. Nous avons identifié à peu près 33 milliards d'euros de crédits rien que pour l'État, alors que notre programme d'inclusion sociale, y compris le dispositif d'intégration par l'emploi et de soutien contre l'exclusion des rapatriés (DIESE), pèse grosso modo un milliard. Donc, quand nous donnons lecture au Parlement ou à l'extérieur de nos crédits en termes de LOLF, nous donnons le chiffre d'un milliard d'euros. Quand nous parlons de ce que font en faveur des publics en situation d'exclusion l'ensemble des autres ministères - en faisant des règles de trois pour calculer ce qui relève, dans leurs programmes, assez clairement de nos publics -, cela fait 33 milliards d'euros. Nous sommes donc dans un rapport de un à trente-trois.

Le DPT résulte d'une décision du comité interministériel de lutte contre les exclusions (CILE), prise à la demande du Premier ministre en 2004. Ce document permet d'avoir des informations - je ne sais pas si on peut les appeler « comptes de l'inclusion », mais cela y ressemble un peu - pour que, moi-même, directeur du programme « Inclusion sociale » et responsable du DPT, je puisse avoir un pouvoir de conviction, ou de persuasion, vis-à-vis de mes collègues pour les inciter à bien identifier leurs programmes d'action afin que, année après année, au bénéfice - ou au détriment - d'arbitrages de leurs propres programmes, la notion de lutte contre les exclusions reste prégnante dans leur problématique. Cela vaut pour les ministères de la culture et de la jeunesse et des sports. Nous avons identifié près de trente programmes et, chaque année, nous progressons. Nous essayons d'identifier les programmes d'autres ministères. Je pense à un ministère qui n'est pas encore avec nous mais qui fait des actions en matière d'aide contre les exclusions et que l'on devrait raccrocher à nos travaux.

J'ai un rôle à la fois ministériel et interministériel. Au niveau interministériel, je suis responsable du comité permanent du CILE, c'est-à-dire la réunion des directeurs de l'administration centrale sur ces sujets. Le Premier ministre préside tous les deux ans un CILE avec l'ensemble des ministères concernés mais cette action du Premier ministre et des ministres doit être normalement relayée par nous au niveau des administrations pour que les décisions prises aux CILE 2004-2006 soient mises en œuvre. Nous avons toute une batterie d'outils et d'indicateurs - cela complète ma réponse à votre question, monsieur le président - qui nous permettent de savoir, d'une part, où en sont les programmes et, d'autre part, dans un esprit LOLF, d'évaluer les performances. Je donnerai un exemple : pour répondre à la question : « Est-ce qu'on réduit la pauvreté ? », un seul indicateur ne suffit pas, il faut toute une batterie d'indicateurs - accès aux soins, lutte contre l'illettrisme, etc. Nous ne nous contentons pas d'identifier les chiffres, mais nous construisons des indicateurs de résultat ou de performance.

C'est une grande innovation que, sur un sujet aussi complexe, nécessitant la coopération d'un grand nombre d'administrations, on puisse rendre au Parlement, chaque année, un document qui permette à la représentation nationale de se rendre compte des actions, des évolutions, des indicateurs et des outils, lesquels sont aussi, d'une certaine façon, nous le verrons, des outils de coordination.

M. Pierre Morange, coprésident : En inversant la question précédente, j'aimerais savoir quelles sont les zones d'ombre en termes de recueil de l'information qu'il serait nécessaire d'éclairer pour que vous ayez une vision vraiment transversale vous permettant de définir une stratégie optimale ?

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Les rapports récents de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'Inspection générale des finances (IGF) sur l'action sociale soulignent de graves insuffisances dans les systèmes d'information. Quelles propositions pouvez-vous faire ?

M. Jean-Jacques Trégoat : Les comptes de la protection sociale au sens large, que l'on évalue à 483 milliards d'euros, globalisent ce qui relève - la terminologie est toujours compliquée - de la sécurité sociale, de l'aide sociale, de l'action sociale et des minima sociaux. Ces derniers peuvent relever, en effet, de techniques, de problématiques ou d'approches s'apparentant un peu à l'aide sociale ou à l'action sociale et beaucoup sont importants pour nous - le revenu minimum d'insertion (RMI), l'allocation aux adultes handicapés (AAH), l'allocation de parent isolé (API), l'allocation spécifique de solidarité (ASS) - qui se chiffrent en plusieurs milliards d'euros : l'AAH s'élève à 5,5 milliards, le RMI également, sinon plus.

Donc, pour répondre à votre question, il faudrait, rien que sur l'inclusion sociale, agréger à l'action de l'État, dont l'estimation n'est déjà pas simple, un certain nombre d'actions conduites par les départements et les communes et un peu par les régions - elles sont un peu à la marge en la matière -, ainsi que, comme je le fais et comme cela est fait en application de la LOLF, l'action sociale des caisses. La convention d'objectifs et de gestion de la CNAF et de la CNAVTS nous donne à peu près les ordres de grandeur : cela représente un peu moins de 500 millions d'euros. Il faudrait y inclure également un peu d'action sociale de la CNAMTS et même un peu d'ONDAM, à savoir sa partie « précarité » qui finance les lits « halte soins santé », lieux d'hébergement où sont dispensés de petits soins pour des gens qui sont dans la rue, ainsi que les permanences d'accès aux soins de santé (PASS).

M. Pierre Morange, coprésident : Les zones d'ombre ou, plutôt la dispersion des informations, se trouvent dans les collectivités territoriales.

M. Jean-Jacques Trégoat : Il faudrait en fait que les départements et les communes travaillent dans une logique LOLF et sur des programmes. Or, les informations peuvent être éclatées dans les régions dans telle ou telle direction et les départements ont des politiques légales et extralégales.

J'ai régulièrement des réunions avec l'Association des départements de France (ADF), avec l'Association des régions de France (ARF) et avec les centres communaux d'action sociale (CCAS). Je rencontre l'ADF tous les mois, et nous « balayons » tous les sujets. C'est très utile, car les publics se préoccupent peu des frontières administratives ou de financement. Il est important de faire la coordination, de mettre les actions en cohérence et, également, d'annoncer les dispositifs, les évolutions dans tel ou tel domaine.

Ce travail n'est pas formalisé. Le problème, c'est d'avoir des agrégats, des terminologies sur lesquelles se mettre d'accord, des typologies d'actions dans lesquelles on puisse classer assez mécaniquement 80 ou 90 % des opérations classiques qui ne posent pas de problème.

Personnellement, je ne crois pas trop en des blocs de compétences totalement transférables et identifiables sur tous nos champs : personnes âgées, handicapés, exclus, enfants, etc. Nos publics ont des approches et des problématiques personnelles extraordinairement complexes. Pour l'accès aux soins, par exemple, certaines communes ont des ateliers vie-santé financés en partie par la délégation interministérielle à la ville et en partie par les communes, les départements mènent également des actions autour de la santé, il y a aussi l'hôpital et l'assurance maladie, ainsi que les lits halte soins santé...

Il faut être le plus clair possible dans l'identification des crédits et essayer de trouver des outils et peut-être même des évolutions législatives ou réglementaires. Certains départements travaillent dans l'esprit de la LOLF, sur la base de programmes et non plus de subventions. Une réflexion est engagée dans un certain nombre de collectivités. Elles se rendent compte que, s'il n'y a pas une vision par grands programmes et transversale, on saucissonne l'action et on n'a plus de vue d'ensemble.

M. Pierre Morange, coprésident : Dans cette optique, que penseriez-vous d'un numéro identifiant unique et commun sur l'ensemble du territoire, valable pour tous les organismes prestataires d'actions sanitaires, sociales, et médico-sociales, et de la constitution d'un fichier informatique national collectant l'ensemble des données, croisé avec les fichiers du fisc ?

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Est-il possible de connaître l'ensemble des prestations d'action sociale dont bénéficie une personne ?

M. Jean-Jacques Trégoat : Pour parvenir à ce que vous évoquez, il faut avoir mieux défini en amont une certaine typologie des actions.

M. Pierre Morange, coprésident : Un référentiel commun...

M. Jean-Jacques Trégoat : La plupart des grandes lois qui ont été adoptées sur l'aide sociale - RMI, prestation de compensation du handicap (PCH) - prévoient que les collectivités territoriales responsables fassent remonter à l'État - en général à la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), mais également aux maisons départementales des personnes handicapées via la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) - un certain nombre d'informations. Nous avons aujourd'hui une difficulté d'ordre législatif, au regard de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), pour analyser les remontées de données agrégées provenant des maisons départementales. Nous souhaiterions qu'elles soient désagrégées puisque, en fin de compte, des données agrégées ne sont que la somme de données individualisées anonymisées. Nous allons donc être obligés de proposer un texte pour la seule raison que, dans la loi, du fait d'un problème de virgule, on a donné l'impression qu'on ne pouvait avoir que des données agrégées, alors que ce que nous voulons, ce sont des données individuelles non anonymes.

Il faut donc d'abord bien définir les choses, et faire en sorte que toutes les informations demandées remontent afin qu'on puisse les traiter. Cela commence à se mettre en place, mais il faut vraiment aller à 100 % de ce que nous permettent les textes.

Ensuite, se pose un double problème pour nos publics. Tous ne sont pas à la sécurité sociale. Je pense notamment à l'aide médicale d'État (AME), qui représente des sommes considérables.

M. Pierre Morange, coprésident : 460 millions d'euros ! Créée en 2000, elle avait été budgétée à hauteur de 60 millions d'euros !

M. Jean-Jacques Trégoat : C'est un exemple où il n'y a pas de numéro de sécurité sociale. Faut-il basculer l'AME dans la couverture maladie universelle (CMU) ? Cela présenterait des risques de fongibilité entre les deux.

M. Pierre Morange, coprésident : L'AME a vocation à prendre en charge, sur le plan de la sécurité sanitaire, des populations qui sont en situation irrégulière sur le territoire. Or la CMU procède d'une autre philosophie : elle est une couverture maladie assurantielle pour des personnes qui vivent légalement sur le territoire français, et dont les ressources sont inférieures à un plafond, actuellement fixé à 598 euros par mois pour une personne seule.

Notre devoir d'humanité et de solidarité vis-à-vis des personnes qui vivent sur notre territoire est de leur porter secours en cas de besoin. On ne demande pas sa carte d'identité à une personne qui s'écroule dans la rue : on la secourt !

Cela étant, ne conviendrait-il pas de contingenter l'AME au titre de l'urgence ? Par ailleurs, devant l'explosion de l'enveloppe budgétaire, cette aide ne devrait-elle pas s'inscrire dans la coopération française en matière de santé à l'échelle internationale, sachant qu'un euro dépensé ici en vaut 100 dans le pays d'origine ? Cela permettrait de répondre de façon très concrète à des populations qui viennent en France parce qu'il y a un dispositif sanitaire qui correspond à leurs besoins. Il serait bon également que cette aide soit identifiée au titre de l'effort de la nation française face à la tragédie sanitaire de certains continents.

M. Jean-Jacques Trégoat : L'AME fait partie de l'aide sociale. Nous essayons de maîtriser la dépense publique en la matière. Un certain nombre de textes ont été pris à ce sujet. Un plafond de ressources, identique à celui fixé pour la CMU, a été imposé, ainsi qu'une condition de résidence en France de plus de trois mois.

Il faut également prendre en compte l'aide humanitaire qui concerne des personnes qui sont à l'étranger et qui viennent se faire soigner en France. Nous instruisons individuellement les dossiers. Quand nous reviendrons sur le rôle de l'État au titre de l'aide sociale - pilotage, contrôle, évaluation - il faudra avoir à l'esprit que nous gérons encore des centaines de dossiers physiques qui nous obligent à interroger des départements.

M. Pierre Morange, coprésident : Quelle est l'enveloppe de l'aide humanitaire ?

M. Jean-Jacques Trégoat : Elle s'élève à quelques millions d'euros. C'est variable d'une année sur l'autre car c'est une mission discrétionnaire. Mais cela vient s'imputer sur les 233 millions d'euros inscrits dans la loi de finances, qui se traduisent par 460 millions d'euros en dépenses réelles.

Le second problème qui se pose, c'est que, pour l'essentiel, nos publics ne sont pas imposés. Cela étant, la question d'un numéro identifiant unique nous renvoie au débat éternel que nous avons avec la CNIL qui est extrêmement prudente sur les croisements de fichiers. Nous devons cependant veiller à ce que les deniers publics soient utilisés le mieux possible.

Ce qui serait important, ce serait d'identifier vraiment ce que chaque citoyen français reçoit comme aide sociale, que cela vienne de l'action sociale de l'assurance maladie, des départements, des communes, ou qu'il s'agisse d'une aide facultative. Cela donnerait, tout d'abord, de la lisibilité à l'utilisation des fonds publics, car on ne les segmente pas quand on discute avec Bruxelles. Deuxièmement, ce serait une mesure de justice sociale. Troisièmement, un certain nombre de nos dispositifs de minima sociaux comportent ce qu'on appelle des avantages connexes, comme par exemple la gratuité des transports, de sorte que la reprise d'emploi peut être très pénalisante si elle entraîne la perte de ces avantages. C'est ainsi que l'on a des effets de seuil, des effets d'éviction et, en fin de compte, des travailleurs pauvres.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Nous sommes conscients qu'il existe des disparités de traitement entre assurés en matière d'action sociale. Serait-il souhaitable d'harmoniser les conditions d'attribution des aides ?

M. Jean-Jacques Trégoat : Nous allons sans doute retomber sur la question des avantages connexes.

Il faut, d'abord, bien connaître la globalité des prestations accordées à une personne, quelle que soit l'origine du financeur, pour éviter, d'une part, les ensembles vides et, d'autre part, les ensembles qui se recouvrent trop. Ce sont les deux risques qu'il peut y avoir. La multiplicité des dispositifs peut faire qu'un besoin ne soit pas satisfait parce qu'on se trouve entre des tuyaux d'orgue parallèles ou au contraire, parce qu'il y a des chevauchements.

Nous essayons d'avoir ces informations avec la CNAVTS sur l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) versées aux personnes âgées relevant des GIR 1 à 4, d'une part, et les aides versées aux personnes âgées relevant des GIR 5 et 6, de l'autre. Dans la convention d'objectifs et de gestion (COG) de la CNAF, des dispositions sont prévues concernant la petite enfance : travail avec les communes sur les prestations, meilleure complémentarité, fixation des orientations de l'État sur les crèches en distinguant les aides qui sont fondamentales et prioritaires de celles qui peuvent être moins importantes et même facultatives. Nous faisons un travail identique avec la sécurité sociale pour l'accès aux soins, avec les lits halte soins santé, qui ne sont pas un substitut de l'hôpital ni un hôpital du pauvre. Si ces personnes ne disposaient pas de ce dispositif, elles seraient dans la rue, ce qui serait mauvais pour la santé publique, pour elles et pour l'ensemble de la société.

Il faut avoir des dispositifs qui s'articulent de façon à répondre à des publics dont les problématiques sont de plus en plus complexes. C'est vrai pour les personnes âgées, pour le handicap et pour l'exclusion : les personnes peuvent être très loin ou proches de l'emploi, très loin ou proches du logement.

Toute la politique que nous essayons de conduire vise à obtenir la meilleure articulation et la meilleure coordination d'ensemble de dispositifs ne relevant pas tous de la compétence de l'État.

Je dirai un mot tout à l'heure de la coopération, qui me paraît un élément de réponse à cette problématique complexe.

M. Pierre-Louis Fagniez : Vous avez parlé de l'ONDAM « précarité ». Ce n'est pas un terme que l'on emploie dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) et, comme j'en suis le rapporteur pour les recettes et l'équilibre général, j'aimerais que vous précisiez davantage ce concept. L'ONDAM représente 142 milliards d'euros, le médico-social 11 milliards. Que représente cet « ONDAM précarité », et comment doit-il être interprété dans le cadre du PLFSS ?

M. Jean-Jacques Trégoat : L'ONDAM précarité est un élément de l'ONDAM médico-social, à côté de l'ONDAM pour les personnes âgées et l'ONDAM pour les personnes handicapées. Cette troisième catégorie a été créée parce que le public à qui elle s'adresse ne sont ni des personnes âgées ni des personnes handicapées, et qu'il nous paraissait logique que ces dispositifs relèvent d'une logique d'assurance maladie et d'ONDAM, étant donné qu'ils touchent de près ou de loin à l'accès aux soins. C'est un troisième pavé dont on pourra vous donner les chiffres. Leur ordre de grandeur est bien moins important que les deux premiers.

Pour revenir à la question des fichiers, je laisse la parole à Mme Descreux.

Mme Claire Descreux : Le mouvement vers un numéro unique est déjà bien engagé au sein de chacune des caisses de protection sociale, notamment à la CNAF qui est éminemment concernée s'agissant des publics précaires, à travers le versement du RMI, de l'API, de l'AAH et de l'allocation logement. C'est d'ailleurs un objectif qui est inscrit dans la convention d'objectifs et de gestion de la CNAF. Nous espérons beaucoup pour l'avenir. Les échanges de fichiers sont en train de se développer entre la CNAF et les ASSEDIC, notamment pour les personnes qui arrivent au RMI venant de l'ASS. Cela progresse, y compris sur l'AME, pour laquelle nous travaillons sur un répertoire national visant à éviter les doubles affiliations.

Quant aux rapprochements avec les fichiers fiscaux, ils peuvent se faire en tant que de besoin et se font déjà systématiquement pour certaines prestations liées au revenu imposable. Ce croisement pourrait être plus systématique mais il se heurte aussi au fait que certaines conditions ne sont pas plus vérifiées du côté du fisc. C'est le cas de la condition de résidence sur le territoire, par exemple, qui est un sujet dont actuellement nous débattons : le fisc n'est pas en mesure d'attester qu'une personne réside effectivement sur le territoire. On peut simplement constater ce qui a été déclaré dans un cadre et dans l'autre. Cela ne donne pas forcément tous les outils pour contrôler.

Aujourd'hui, nous travaillons essentiellement sur des rapprochements de fichiers comme outils d'amélioration du contrôle.

M. Pierre Morange, coprésident : L'identifiant unique n'a pas la prétention d'être la réponse universelle. Il se veut être un outil commun permettant de connaître la réalité des choses afin que la prestation aille bien où elle doit aller et qu'il n'y ait pas d'effets de contournement. L'actualité récente nous a montré ce qu'il en était.

M. Jean-Jacques Trégoat : Il ne faut pas se leurrer : la marge de progrès sera à l'aune de l'amélioration des systèmes d'information, et cela vaut non seulement pour les rapprochements de fichiers, mais également pour la remontée et le traitement des informations.

L'enjeu majeur pour pouvoir évaluer, piloter et contrôler, c'est l'amélioration, dans toutes les administrations et toutes les collectivités, des possibilités d'échanges.

M. Pierre Morange, coprésident : Cela permettrait de trancher le nœud gordien de notre société : la complexité de ses systèmes.

M. Jean-Jacques Trégoat : Premièrement, comme je l'ai déjà dit, il convient de bien identifier la typologie ainsi que la terminologie : distinguer entre l'aide sociale, l'action sociale, les minima sociaux et les assurances sociales, qui sont regroupés sous le terme générique de protection sociale.

Deuxièmement, il faut regarder comment on peut utiliser - au bon sens du terme - les nouveaux opérateurs qui arrivent. Avec la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) et les maisons départementales des personnes handicapées, on est en train de se doter d'outils qui nous permettront d'améliorer le système d'information et la coordination, dès lors que l'on se rendra compte qu'on est dans une logique de co-construction de politiques publiques entre différentes collectivités et niveaux de collectivités au bénéfice des usagers. Ce qu'il faut, c'est mettre l'usager au cœur du dispositif plutôt que l'obliger à passer par l'ensemble des dispositifs.

Il n'y a pas de solution miracle mais je pense que l'État, à côté de ses fonctions régaliennes, normatives et de conception, devra jouer de plus en plus un rôle de pilotage, d'évaluation, de contrôle et même - c'est un peu nouveau et on le dit moins souvent, mais je pense que c'est important - d'animation.

Je prône, depuis la publication du décret du 6 avril 2006 relatif aux groupements assurant la coordination des interventions en matière d'action sociale et médico-sociale, la coopération, comme pour les communes. Je ne pense pas que l'on puisse traiter les quelques 34 000 établissements qui dépendent de la DGAS sans qu'il y ait, pour l'usager, pour les deniers publics et pour le pilotage tout simplement des établissements, une logique de coopération, voulue et non subie.

Je vais tous les quinze jours présenter les possibilités offertes par ce décret devant les régions de France, les départements, les caisses d'assurance maladie et les fédérations professionnelles. Je peux vous transmettre le dossier de communication sur ce sujet.

Pour moi, la solution passera par une coopération de toutes les structures intervenant, dans un bassin de vie donné, à l'intérieur d'un même champ - par exemple, pour les personnes âgées, l'hospitalisation à domicile, les services de soins infirmiers à domicile (SSIAD), l'hôpital, les maisons de retraite - en mettant bien l'usager au centre du dispositif, en assurant une coordination entre la sortie de l'hôpital jusqu'au domicile et en associant tous les partenaires, y compris les associations d'aide à domicile, les caisses de retraite, les départements et les communes. C'est une telle coopération autour de l'usager qui peut permettre de regrouper un ensemble de structures pour avoir un meilleur système d'information et donc une meilleure efficience, sans fusions juridiques.

M. Pierre Morange, coprésident : La seule chose qui compte étant la simplification et l'amélioration de la prestation rendue à l'assuré, on en arrive à la logique du guichet unique. Quel est votre sentiment sur ce sujet ?

Deuxième question : qui, selon vous, entre la DGAS et la DSS, a, de par ses compétences, la légitimité pour assurer la cohérence ?

Troisièmement, que pensez-vous du fonctionnement actuel des crèches et notamment de la problématique des critères de ressources humaines imposés par le décret du 1er août 2000 ?

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : La définition du champ d'intervention de l'action sociale de la branche famille ne devrait-elle pas être clarifiée au regard d'autres acteurs publics comme les communes ou les ministères de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports ou de la culture ? On nous a en effet signalé des dysfonctionnements.

M. Jean-Jacques Trégoat : La coopération est une action de terrain. La démographie des professionnels va être telle que, si les divers intervenants ne coopèrent pas et ne mutualisent pas les ressources, on ne saura pas prendre en charge. Il faut également veiller à la qualification des professionnels. C'est ce que nous faisons dans notre volet formation. C'est très important compte tenu de la complexité des publics. Si l'on n'engage pas la coopération dans les prochaines années, nous aurons de très grandes difficultés pour trouver des professionnels ayant les qualités requises. Il existe, en effet, un conseil - le conseil national de l'évaluation sociale et médico-sociale - qui examine les demandes d'habilitation.

Je considère que le guichet unique est l'internalisation, l'intériorisation de la complexité pour l'usager. Nous avons cherché un autre terme mais sommes restés sur celui-là. Nous avons quelques exemples dont je pourrais vous donner les fiches. Les pôles d'accueil en réseau pour l'accès aux droits sociaux (PARADS), par exemple, sont un guichet unique destiné à éviter que des personnes soient obligées de faire un vrai parcours du combattant. Les centres locaux d'information et de coordination (CLIC), les maisons départementales des personnes handicapées, les maisons de l'emploi procèdent du même esprit, à condition, là encore, qu'elles travaillent bien en « villages » et pas de façon autonome. Il ne faut pas que les personnes handicapées soient baladées d'une maison à une autre. Il faut, là aussi, qu'il y ait coordination de ces outils. Les points info famille sont des lieux ressources qui doivent travailler en réseau et en coopération avec d'autres partenaires. Ils ont pour but d'éviter à des personnes de se déplacer dans les maisons départementales des handicapés ou dans les CLIC pour savoir, par exemple, si la grand-mère a droit à l'APA.

À côté des guichets uniques que je viens de citer, il en est d'autres, de forme plus administrative : les chartes territoriales de cohésion sociale, qui ont pour but de réunir, sur des territoires donnés, des partenaires institutionnels afin qu'ils définissent des actions en faveur de l'emploi, du logement, etc.

Donc, nous sommes totalement favorables au guichet unique.

M. Pierre Morange, coprésident : Peut-on envisager qu'il y ait un guichet unique qui soit, au minimum, source d'informations pour l'ensemble des disciplines - maladie, famille, aide sociale, handicapés, etc. - pour, sans qu'il y ait pour autant des fusions, simplifier la vie de l'assuré ?

M. Jean-Jacques Trégoat : C'est un sujet sur lequel nous avons commencé à réfléchir. Par exemple, les centres locaux d'information et de coordination (CLIC) et les maisons départementales des personnes handicapées ne doivent-ils pas travailler en partenariat ? Les premiers pourraient être des échelons un peu délocalisés des secondes, qui peuvent parfois être assez éloignées des lieux d'habitation des assurés.

Les services sociaux polyvalents de secteur doivent normalement jouer ce rôle dans les départements mais ils sont débordés. L'un des mots clés en la matière est la territorialisation des politiques publiques.

J'ai visité dernièrement un espace social commun dans une grande ville où, dans le même lieu, il y avait un accueil commun pour un service de CAF, un service de CPAM, un service social polyvalent et le CCAS. Cela permettait à la fois d'élargir la plage horaire du lieu, d'avoir deux professionnels quasiment en même temps et de sécuriser les locaux. La personne était entendue pour déterminer la problématique avant d'être dirigée vers le service adéquat.

Nous prônons ce type d'organisation dans les PARADS. D'ailleurs, nous n'avons rien inventé. Les propositions que nous faisons au ministre sont tirées des expériences qui marchent sur le terrain.

Il y a donc deux étapes : l'implantation de guichets uniques en fonction des populations et, ensuite, l'agrégation dans un même lieu de problématiques différentes, chacune restant ensuite dans son domaine de compétences.

Les problèmes de chevauchement entre la DSS et la DGAS concernent essentiellement l'action sociale de la CNAF. En ce qui concerne la CNAVTS, les choses sont relativement claires. Il n'y a qu'un seul pilote de la convention d'objectifs et de gestion, c'est la DSS. La DGAS, elle, copilote le volet action sociale de celui-ci. Nos connaissances du terrain et des différents dispositifs et la nécessaire articulation entre complémentarité et évitement des ensembles vides entre tous les domaines de l'action sociale font que nous avons une certaine légitimité professionnelle à participer à cette dernière. Le commissaire du Gouvernement peut très bien - et c'est ce qu'il fait - inviter la DSS aux réunions concernant l'action sociale, les mesures proposées ayant évidemment des conséquences financières. On a souhaité que la médiation sociale et familiale soit une prestation de service de la CNAF parce que cela répond à un vrai besoin, mais on reconnaît qu'il faut des enveloppes limitatives.

Nous avons une vision assez transversale de l'action sociale.

Notre légitimité vient également du fait que nous avons des comptes à rendre puisque nous avons un certain nombre d'indicateurs au titre de la LOLF. Nous devons donc nous assurer que les contrôles sont bien assurés.

Nous avons deux demandes vis-à-vis des caisses. La première porte sur la qualité de service : durée de traitement des dossiers, accessoirement outils d'information permettant, par exemple, de savoir si une crèche est implantée au bon endroit par rapport au bon public et au bon niveau de ressources de la population, vérification que les personnes qui ont accès à des droits les perçoivent bien. La seconde demande est le contrôle.

M. Pierre Morange, coprésident : A propos des crèches, pouvez-vous nous parler des conséquences du décret du 1er août 2000 ?

M. Jean-Jacques Trégoat : Donc, pour terminer sur le point précédent, je suis personnellement pour la dualité. Je pense que, sur l'action sociale, il faut que nous soyons présents sur la CNAF et la CNAVTS.

Concernant le décret sur les crèches du 1er août 2000, il est actuellement soumis à une réécriture importante afin de donner un peu de souplesse à deux de ses dispositions : celle concernant les personnes habilitées à diriger une crèche et celle sur les taux d'encadrement.

C'est un secteur très sensible, auquel doit s'appliquer le principe de précaution. Imaginez qu'on réduise trop fortement le taux d'encadrement des enfants et que, par malchance il se produise un problème, la responsabilité serait engagée.

Il faut vraiment essayer de trouver le juste milieu entre les impératifs de qualification des professionnels et ceux de taux d'encadrement.

Depuis que je suis à la DGAS, je ne cesse d'expliquer que la compétence ne s'exprime pas que par le diplôme et nous avons très fortement encouragé la validation des acquis. Dans notre secteur, cela marche bien puisqu'on a entre 50 000 et 60 000 dossiers en instance, qui vont permettre à des professionnels qui font un travail reconnu d'aide soignant ou d'auxiliaire de vie sociale d'acquérir un diplôme, totalement ou partiellement par la validation des acquis de l'expérience (VAE). On se dit qu'il peut y avoir des modes d'exercice professionnel qui ne nécessitent pas forcément des niveaux de diplômes élevés. Ce qu'il faut, c'est garantir ensuite aux personnes de pouvoir passer des diplômes pour les professionnaliser et les faire évoluer dans leur carrière.

À force de contraindre, le risque est, en effet, qu'on ne puisse pas suffisamment accueillir et ne pas avoir suffisamment de professionnels.

Le ministre interviendra sur le décret très prochainement, car nous travaillons très fortement à l'amélioration du texte, afin qu'on ne soit pas obligé d'avoir 100 % de gens qualifiés à l'instant T. Ce qu'il faut, c'est arriver à une logique d'élévation globale de la qualification tout en permettant d'absorber des créations de places et donc d'avoir des professionnels.

Nous retrouvons là toute l'importance de la coopération. Si l'on ne coopère pas et que l'on ne décide pas, par exemple, de mutualiser dix établissements, avec un directeur et un système d'information communs, une même direction des ressources humaines et une mutualisation des achats, tout en respectant la liberté associative et la libre expression des collectivités territoriales, nous n'aurons pas de professionnels qualifiés et l'on sera obligés d'engager des dépenses de structure au détriment des dépenses au bénéfice de l'usager. Ce qui me gênerait beaucoup, c'est que chacun soit obligé de construire son propre système d'information. Des réglementations sortent sur la sécurité sanitaire, sur la vaccination ou dans d'autres domaines. Si l'on ne mutualise pas les médecins coordonnateurs et les infirmières sur plusieurs établissements, si l'on ne place pas les SSIAD, l'hospitalisation à domicile, les maisons de retraite, les hôpitaux dans une logique de parcours de la personne âgée ou de la personne handicapée, on n'aura ni économies d'échelle, ni qualité de service, ni efficience des deniers publics.

La coopération est un outil. Ce n'est pas le seul, mais il est important.

La même chose vaut aussi pour les crèches. On pourrait mutualiser un certain nombre de crèches avec des directions qui pourraient être partagées dès lors que la sécurité est assurée.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Comment peut-on justifier les écarts d'aides versées par les CAF au titre des contrats enfance et temps libre ?

M. Jean-Jacques Trégoat : Cela rejoint la question que vous m'aviez posée sur le champ d'intervention de l'action sociale de la CNAF.

Premier élément : il faut - nous revenons toujours à cet impératif - disposer d'un bon système d'information. Si on ne peut pas faire des extrapolations à partir de données qui s'emballent et qui vont mécaniquement produire des effets sur plusieurs années, on a du mal ensuite à cibler la dépense.

Second élément : nous avons engagé avec le directeur de la CNAF une réflexion sur les contrats enfance, les crèches, le financement des établissements pour recentrer les priorités compte tenu de l'augmentation du budget. Les crédits de l'action sociale de la CNAF augmentent, mais dans des limites qui ne permettent pas de tout faire : donc, il faut fixer des priorités, faire des choix de lisibilité, éviter qu'un certain nombre de partenaires se désengagent. Il faut également bien regarder le public auquel s'adressent les dispositifs, déterminer ce qu'est une action sociale pour les personnes âgées, les personnes handicapées, pour la famille, etc., et mieux contrôler les dispositifs afin qu'ils ne dérivent pas mais répondent bien aux objectifs qu'on s'est fixés.

Une fois qu'on a clarifié en amont les règles du jeu et qu'on a bien défini ce qu'était un contrat enfance ou un contrat temps libre, les choses sont plus faciles à maîtriser. Si, en plus, on dispose d'un bon système d'information, on peut piloter.

La COG conseille fortement d'adopter des schémas départementaux des services aux familles qui donnent des orientations sur les besoins. Il est très important que de tels schémas se généralisent, pour avoir des analyses conjointes sur des bassins de vie et que des conventions puissent être conclues entre les CAF et les conseils généraux. C'est un des nombreux points positifs de la COG. Il faut que chacun ait une idée claire de ses compétences et de l'action qu'il conduit. Dans le champ du handicap, les programmes interdépartementaux d'accompagnement des handicaps et de la perte d'autonomie (PRIAC) ne sont pas un élément de complexité supplémentaire mais bien un élément de rationalisation. Les PRIAC et les schémas régionaux d'organisation sanitaire (SROS) - pour décloisonner le médico-social et le sanitaire - déterminent quelles sont les priorités par rapport à des besoins avérés et, compte tenu des budgets alloués à l'ONDAM médico-social, examinent comment il va être possible de les financer en dynamique et non sous la pression de l'instant.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie. Nous vous serions reconnaissants de faire parvenir à la mission les informations et les propositions précises qui viendraient compléter notre échange de ce matin.

*

Audition de M. Philippe Georges, directeur de la caisse nationale des allocations familiales (CNAF), M. Olivier Maniette, sous-directeur de l'action sociale, et Mme Véra Lévy, conseillère pour les relations parlementaires.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie, madame, messieurs, d'avoir répondu à notre invitation. Je vous donne la parole, monsieur Georges, pour une brève présentation.

M. Philippe Georges : Les efforts de la branche famille se sont concentrés sur la maîtrise des dépenses, et notamment celle des modes de garde - des crèches, pour employer une terme courant générique - maîtrise qui était devenue nécessaire eu égard au taux d'évolution des crédits. Il est encore trop tôt pour donner les résultats pour 2006. Les informations qui nous remontent laissent penser que le processus est bien engagé mais je suis prudent et je préfère en reparler devant vous avec les comptes définitifs.

C'est pourquoi nous sommes restés plus en retrait sur des réflexions plus fondamentales, comme celle sur l'articulation de l'action des caisses avec celle des collectivités territoriales.

Je dois à ce propos exprimer notre préoccupation devant la situation actuelle d'enchevêtrement des compétences, des responsabilités et des financements et notre souhait de la voir clarifiée.

La loi de décentralisation remet en cause l'intervention des caisses d'allocations familiales. Nous avons gardé un mauvais souvenir de la première loi de décentralisation de 1983, qui a abouti à ce que les conseils généraux mettent fin au partenariat en matière de travail social et à ce que la polyvalence de secteur soit conçue comme une mise à l'écart des caisses d'allocations familiales. Cela a eu pour effet que chaque caisse a utilisé son personnel social selon les priorités locales de l'époque, sans programme national, ce qui est de nature à affaiblir considérablement la branche famille quand elle veut participer à des politiques nationales. En ce qui concerne la réinsertion des bénéficiaires de l'allocation de parent isolé, par exemple, nous n'avons plus aujourd'hui un personnel social sur l'ensemble du territoire qui puisse répondre à ce besoin. La cause en est la fragmentation du personnel social.

J'espère que la deuxième loi de décentralisation ne conduira pas à la même situation. Or quand on voit la disparité d'attitudes des départements à l'égard de la délégation à la caisse d'allocations familiales (CAF), de la gestion des fonds de solidarité pour le logement (FSL), par exemple, on peut se demander s'il ne va pas s'ensuivre une autre fragmentation. C'est dommageable pour tout le monde et, au premier chef, pour la branche famille.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Quelles suites ont été données au rapport IGAS-IGF sur le fonds national d'action sociale (FNAS) de la CNAF en matière de réflexion stratégique, de maîtrise des dépenses pour la petite enfance et le temps libre, de pilotage de gestion et de réforme des systèmes d'information ?

Deuxièmement, pourriez-vous présenter les financements de la CNAF en faveur de la petite enfance ?

M. Philippe Georges : Nous souscrivons pour l'essentiel aux conclusions du rapport IGAS-IGF comme à celles du rapport de la Cour des comptes. Nous mettons en œuvre les recommandations.

Le premier acte a été, en décembre dernier, l'adoption du critère de sélection des projets de crèches de façon à privilégier à la fois des territoires moins bien couverts et des populations plus défavorisées.

Le deuxième acte important date de mai dernier, quand le conseil d'administration a adopté un nouveau dispositif de financement du fonctionnement des crèches, qui prend la forme d'un contrat dit enfance et jeunesse qui réunit le temps libre et le financement des crèches. J'en donne rapidement les caractéristiques. Il fixe un cadre temporel plus strict, puisque ce sont des contrats de quatre ans. Les dépenses sont prévues dès l'origine sans qu'il soit possible d'opérer des dépassements comme cela était autorisé autrefois, et les dépenses éligibles dans ces contrats sont définies de façon plus rigoureuse, en privilégiant notamment les dépenses de garde proprement dite, c'est-à-dire affectées à la place de crèche, et en cantonnant les dépenses de coordination, ce que l'on appelle dans notre jargon le pilotage, qui ont trait à la fabrication même des contrats et à leur suivi. Nous avons aussi instauré des prix plafond sur chaque action financée qui permettent de tenir l'objectif de maîtrise de la dépense.

Le troisième temps fort est un peu plus dilué dans le temps, puisqu'il n'y a pas de grandes décisions ni de grands moments : c'est l'amélioration du pilotage du dispositif. Il est nécessaire d'avoir un système d'information plus performant. Jusqu'à aujourd'hui, nous avions celui qui correspondait à la fonction que l'on se reconnaissait et qui était une fonction de centralisation de comptes, une fonction comptable. Pour une fonction de pilotage, il est bien évident qu'il faut modifier notre système d'information. C'est en cours. De même, nous renforcerons nos capacités humaines de suivi des dépenses en procédant probablement à des recrutements dans le cadre du budget 2007 - je ferai des propositions en ce sens au conseil d'administration - et en renforçant notre capacité de contrôle : il s'agit moins du contrôle proprement dit des caisses d'allocations familiales que d'un travail d'animation auprès d'elles pour les aider à exercer ce contrôle, car elles sont un peu en retrait aujourd'hui dans ce domaine.

M. Pierre Morange, coprésident : Pouvez-vous nous donner des précisions sur cette notion de contrôle sur le terrain ?

Par ailleurs, la critique qui vous a été faite par la Cour des comptes était de financer la demande et pas les besoins. Cela pose la question de l'appréciation de ces derniers. Celle-ci est malaisée du fait des évolutions sociologiques, économiques et industrielles. Est-ce que les outils dont vous disposez vous permettent d'en avoir une approche fine, tant sur le plan national que par territoires - urbains, semi-urbains, ruraux -, permettant d'envisager des enveloppes financières appropriées ?

M. Philippe Georges : Comme vous l'avez dit, le diagnostic est difficile. Nous avons demandé aux caisses d'allocations familiales de renforcer cette phase de diagnostic initial dans le cadre des contrats. Ces derniers financent d'ailleurs ce travail de diagnostic.

On ne peut que souhaiter que les liens se renforcent entre le conseil général et la CAF pour faire ce travail. Il est prévu de créer des commissions départementales de la petite enfance présidées par le président du conseil général et vice-présidées par la CAF. On constate que à peu près 60 % des départements en ont mis en place. Nous souhaiterions qu'elles se généralisent. Je pense que, à plusieurs, il est possible de faire ce diagnostic, aussi difficile soit-il.

Nous avons le souci d'aider les caisses d'allocations familiales à approfondir leur diagnostic et nous nous préoccupons de leur fournir les outils.

Notre rôle de pilotage nous conduit à repérer les meilleures pratiques des caisses et à en ériger certaines en pôles de référence, comme on dirait dans d'autres milieux. Quand une caisse veut faire un diagnostic, nous lui signalons, par exemple, qu'elle trouvera dans telle autre caisse des personnes susceptibles de le faire au mieux.

M. Pierre Morange, coprésident : Y a-t-il, selon vous, encore des besoins à satisfaire ?

M. Philippe Georges : Oui, je crois qu'on peut dire qu'il y a encore des besoins. Toutefois, c'est d'autant plus difficile à déterminer que la création de structures modifie aussi la demande. Quand vous ouvrez des places de crèches, on s'aperçoit que des gens qui n'y étaient pas forcément favorables sont contents d'en avoir.

Les enquêtes qu'on réalise sur la perception par les allocataires de leurs besoins donnent des conclusions très complexes à traiter. Les Françaises et les Français semblent souhaiter des placements en crèche parce qu'elles présentent des garanties de sécurité et d'hygiène mais, de fait, privilégient les assistantes maternelles qui leur offrent plus de souplesse, notamment en termes d'horaires.

On sent bien l'ambivalence même du besoin.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : C'est sans doute aussi parce qu'on manque de places de crèche !

M. Philippe Georges : Oui. Il y a un déficit quantitatif qui demeure.

M. Pierre Morange, coprésident : Quel est, selon vous, le pourcentage des besoins qui ne sont pas couverts ?

M. Olivier Maniette : L'analyse est en cours. Nous avons des chiffres assez précis sur les places de crèches. Nous avions évalué qu'il fallait essayer de couvrir à peu près 50 % de la population des jeunes enfants ayant accès à un mode de garde, individuel et collectif. Cet objectif avait été repris dans la COG. Nous étions à un peu plus de 40 % : à peu près 42 ou 43 %.

M. Pierre Morange, coprésident : Pour les crèches et les assistantes maternelles ?

M. Olivier Maniette : Oui, tout compris. C'est sur ces chiffres que l'on travaille actuellement, en référence à la population des enfants de moins de trois ans.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Que pensez-vous de la préconisation de la Cour des comptes, qui demande d'étudier la création d'une nouvelle prestation légale de garde qui permettrait de fusionner les prestations de service et les prestations légales existantes pour la garde d'enfants ?

M. Philippe Georges : C'est une perspective qui nous paraît intéressante, mais encore un peu lointaine. Nous souhaitons poursuivre la simplification du financement des crèches qui est encore à deux étages avec une prestation de service unique, PSU, et un contrat enfance et jeunesse. Nous allons y travailler très prochainement. Nous sommes obligés de cadencer les travaux.

À terme, il est tout à fait souhaitable d'avoir une approche panoramique des prestations - au sens générique du terme - offertes aux allocataires et de sortir de cette césure entre prestation légale et action sociale. On voit bien les fondements historiques et les composantes juridiques des deux : une prestation légale, comme son nom l'indique, relève de la loi et du règlement ; l'action sociale relève davantage des décisions du conseil d'administration de la caisse nationale. On peut peut-être garder cette double source de droit mais je pense qu'il faut, en termes de produit offert à nos concitoyens, avoir une approche panoramique. En ce sens, je prépare la réunification de deux directions de la caisse nationale : la direction des prestations familiales et la direction de l'action sociale.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Pouvez-vous faire le point de la diffusion dans les communes des contrats enfance et temps libre ?

M. Philippe Georges : Nous pourrons vous donner des cartes, vous fournir un état des lieux.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Comment peut-on expliquer les écarts d'aides versées par les CAF au titre des contrats enfance et temps libre ?

M. Philippe Georges : Les causes sont multiples.

Nous avons aujourd'hui 10 000 contrats - 5 000 pour les crèches et 5 000 pour le temps libre - ce qui représente, au niveau national, un taux de couverture très convenable.

Cela étant, il y a des zones non couvertes.

La première cause est la ruralité. Les communes y sont moins armées techniquement pour bâtir des projets, même si les CAF les aident, et n'ont pas les mêmes possibilités financières qu'ailleurs. Il semblerait que le dispositif qui prévoit un « dopage » pour les zones rurales ne soit pas suffisant, pas assez discriminant.

Les réponses ne sont pas toujours adaptées non plus. Faire une crèche en milieu rural, où se posent des problèmes de transport, n'est pas très adéquat. Il faut inventer des modes de garde alternatifs.

La deuxième raison a trait aux choix politiques des collectivités territoriales. J'ai coutume de dire que, quand c'est une femme qui s'occupe des affaires sociales au sein de l'équipe municipale, la vision n'est pas la même. Au-delà de la boutade, il y a un fond de vérité. La différence de richesse des communes joue également un rôle. J'ai pu constater, au moment des événements en Seine-Saint-Denis, que ce département était un peu moins bien couvert en contrats temps libre. Et ce n'est pas manifestement par défaut de besoins mais de capacités financières.

Je ne peux pas dire que toute les CAF aient mis la même ardeur pour développer ces contrats. Cela étant, je veux bien que l'on reproche à la CNAF d'avoir laisser filer la dépense mais qu'on lui reconnaisse au moins de l'ardeur à développer et présenter une offre de services bien argumentée aux collectivités territoriales !

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Pourquoi ne pas avoir profité de la réforme des contrats enfance et temps libre en 2006 pour mettre fin à la confusion originelle dont souffrent ces contrats, tels qu'ils ont été conçus, entre l'aide au développement et l'aide au fonctionnement ? Comment envisagez-vous l'avenir dans ce domaine ?

M. Philippe Georges : Une partie de la réponse se trouvera dans la réflexion que nous allons engager prochainement afin de reformuler le mécanisme de financement des modes de garde et mettre fin au double étage PSU-contrat enfance qui ne correspond plus à la distinction entre dépenses pérennes et dépenses de fonctionnement, distinction qui mériterait peut-être d'être plus tranchée.

M. Pierre Morange, coprésident : Que penseriez-vous d'un numéro identifiant unique et de la constitution d'un fichier commun permettant de connaître l'ensemble des actions menées afin de parvenir à la coordination que chacun appelle de ses vœux ?

M. Philippe Georges : Votre question comporte deux volets.

Le premier est plus directement rattaché à notre échange. Nous nous préoccupons d'améliorer la remontée vers la caisse nationale d'informations détenues de manière fragmentaire par des petites structures qui n'ont pas toujours les moyens de produire de l'information, et encore moins de façon informatisée. En d'autres termes, 10 000 contrats, cela veut dire 10 000 sources d'information venant, pour certains contrats, de plusieurs structures qui peuvent être des crèches. Or il est rare de trouver dans une crèche un directeur financier issu de HEC et susceptible de nous donner une information financière de qualité ! Nous cherchons donc à mettre en place un dispositif simple. Plus il sera simple, plus les données à recueillir seront faciles à obtenir. Nous allons travailler pour rendre notre système d'information compatible avec les logiciels utilisés par les différentes structures. Les CAF financent déjà leur informatisation.

Le second volet de votre question est davantage lié à la gestion des prestations légales. Nous avons pris l'engagement, dans l'actuelle COG, de constituer un fichier d'allocataires avec un numéro unique. C'est une opération très complexe qui devra comporter plusieurs phases. La première est la constitution d'un fichier avec un identifiant commun, qui devrait être réalisée à la fin de 2007.

M. Pierre Morange, coprésident : Un fichier commun à l'ensemble des organismes chargés de verser des prestations ?

M. Philippe Georges : A l'ensemble des caisses d'allocations familiales.

M. Pierre Morange, coprésident : Que penseriez de faire la même chose pour l'ensemble des branches et des organismes qui ont vocation à délivrer des prestations sociales ou sanitaires ?

M. Philippe Georges : Je suis un peu effrayé par l'ampleur de la tâche quand je vois ce qu'il faut faire à l'intérieur d'une branche unique avec une vocation assez fermée. Je pense néanmoins que c'est une bonne voie. Autant j'ai pu être réservé sur certaines conclusions de la mission de l'année dernière sur la configuration du réseau, autant je considère qu'il est plus aisé d'unifier des processus et de transférer de l'information que de créer des structures. Il faut, en fait, travailler à travers les murs... tout en laissant les murs !

M. Pierre Morange, coprésident : L'informatique est, pour cela, l'outil idéal. Que penseriez-vous de croiser ce fichier commun à tous les organismes prestataires avec celui du fisc ?

M. Philippe Georges : Nous le faisons déjà pour notre part.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous informe que je déposerai deux amendements en ce sens.

M. Philippe Georges : Je les lirai avec intérêt.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Pourriez-vous faire parvenir à la mission les informations et les propositions qui viendraient compléter notre échange de ce matin ?

M. Philippe Georges : Nous vous ferons notamment parvenir les indications budgétaires sur lesquelles nous n'avons pas répondu. Il vaut mieux avoir les chiffres et les tableaux. Nous vous donnerons également les éléments de cartographie dont nous disposons, sachant que nous travaillons actuellement sur le sujet et que les données ne sont pas encore aussi riches que nous le souhaiterions.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Avez-vous, vous-même, des suggestions ?

M. Philippe Georges : Je suis très attaché à une réflexion qui viserait à clarifier les responsabilités des différents acteurs. L'État transfère sur les collectivités locales un certain nombre de compétences. Je n'ai pas de jugement à émettre en tant que directeur de la CNAF à ce sujet. Dans ces dispositifs, on voit que les organismes de sécurité sociale, et les CAF en particulier, restent des interlocuteurs incontournables. Nous continuons à verser le RMI, par exemple, et nous disposons d'informations qui sont utiles. Je souhaiterais qu'il y ait une sorte de conférence institutionnelle pour clarifier les blocs de compétences des uns et des autres. Je regrette en effet que les organismes de sécurité sociale ne soient considérés que comme un opérateur, plus ou moins subsidiaire, des collectivités territoriales. Je ne pense pas que cela puisse être leur destin. En tout cas, je ne le souhaite pas, car ce serait vraiment appauvrir les ordonnances de 1945.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie.

AUDITIONS DU 9 NOVEMBRE 2006

Audition de M. Denis Piveteau, directeur de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), accompagné de Mme Bernadette Moreau, directrice de la compensation de la perte d'autonomie.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous avons le plaisir d'accueillir M. Denis Piveteau, directeur de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, accompagné de Mme Bernadette Moreau, directrice de la compensation de la perte d'autonomie.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : La CNSA dispose-t-elle d'outils pour évaluer les résultats obtenus grâce à sa participation au financement des établissements pour personnes âgées dépendantes et personnes handicapées, en termes de créations ou de médicalisation des places ?

Au-delà du plan de modernisation 2006 des établissements médico-sociaux, notamment des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), financé par les excédents de 2005, quel sera, en régime de croisière, votre positionnement en matière de financement des opérations d'investissement ? Les besoins de modernisation pourront-ils être couverts par les financements actuels ?

M. Denis Piveteau : Je vous propose que nous gardions un peu de temps pour discuter des aides à la personne, à propos desquelles je pourrai vous donner davantage d'indications sur les résultats obtenus.

La CNSA ne possède pas de ressources à distribuer aux établissements et services, ni directement ni indirectement. La loi du 11 février 2005 n'a pas modifié les circuits de financement : les frais de fonctionnement sont toujours payés, sous forme de prix de journée, par le circuit traditionnel des caisses des différents régimes ou, dans le cas des EHPAD, par une caisse pivot. La CNSA n'est qu'un répartiteur budgétaire, chargé de garantir, sur le territoire, la distribution équitable des enveloppes. Celles-ci sont retracées dans son budget, mais plutôt à titre d'information. De ce point de vue, l'enjeu est double : équité territoriale et connaissance des besoins.

En moins d'un an, nous avons mis en place les outils de programmation financière de l'État prévus par la loi, à savoir les programmes interdépartementaux d'accompagnement des handicaps et de la perte d'autonomie (PRIAC). Par leur truchement, nous demandons aux préfets de région de définir leur stratégie financière, afin d'avoir une visibilité à moyen terme et d'opérer un rééquilibrage territorial entre départements. Pour cet exercice inaugural, les premiers documents nous sont remontés en juin. Sur cette base, nous avons pu bâtir une analyse des besoins, la porter à la connaissance du Gouvernement pour la préparation du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) et répartir les premières enveloppes.

Ces documents interfèrent avec l'action sociale départementale à deux titres : ils appellent l'État à une réflexion supradépartementale, indispensable si l'on considère que, dans nombre de régions administratives, les taux d'équipement des départements les compossant sont très disparates ; ils font le lien avec des problématiques sanitaires, obligeant l'État à organiser un dialogue entre son échelon régional et les conseils généraux.

L'objectif des PRIAC est également de trouver une articulation avec les financements départementaux. C'est éminemment vrai pour tous les établissements faisant l'objet d'une tarification mixte ou conjointe - foyers d'accueil médicalisés, services de soins à domicile pour personnes handicapées, etc. Le PRIAC présente l'intérêt de déterminer des propositions ou des anticipations de stratégie financière de l'État, département par département, sans pour autant répondre aux attentes de chacun d'entre eux. Ils sont parfois l'occasion de crispations mais rendent lisible et visible ce que l'État se sent en capacité d'entreprendre.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Avez-vous des exemples de régions où la coordination entre les trois niveaux - départements, PRIAC et schémas régionaux d'organisation sanitaire (SROS) - a été particulièrement réussie ?

M. Denis Piveteau : Très sincèrement, le premier exercice a été jugé décevant car la durée des consultations a souvent été trop courte, ramenée à son minimum légal. Il m'est difficile de dresser un tableau d'honneur et je ne sais pas s'il y a lieu citer des régions mais il est vrai que certaines d'entre elles, minoritaires, ont mis sur pied un véritable comité de pilotage pour élaborer leur PRIAC, rassemblant non seulement les conseils généraux et l'agence régionale d'hospitalisation (ARH), mais aussi, par exemple, les organismes d'assurance maladie.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous aurions besoin d'exemples précis d'une ou deux régions qui se sont signalées par leur modèle. Le fait de les nommer ne signifiera pas que les autres ont fait la démonstration de leur incompétence.

M. Denis Piveteau : Je ne voudrais pas en oublier mais l'exemple de la région Centre est l'un de ceux qui me viennent à l'esprit car son mode de gestion s'est avéré très efficace. J'insiste sur le fait que le PRIAC est un instrument permanent et glissant : les régions qui n'ont pas eu le temps de faire le nécessaire au printemps ont maintenant enclenché le processus.

M. Pierre Morange, coprésident : Votre prudence est tout à fait compréhensible mais nous nous permettons d'insister vivement car nous sommes assistés par la Cour des comptes et l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Or celle-ci a été mandatée pour auditer les programmes de quatre départements, qui devront refléter la réalité française, afin de tirer des enseignements et faire ressortir les bonnes et moins bonnes pratiques.

M. Denis Piveteau : Il n'est pas évident de vous répondre à brûle-pourpoint mais je n'aurais aucune difficulté à le faire après en avoir discuté avec mes équipes. J'ajoute que nous menons actuellement des entretiens poussés avec chaque région - nous en avons déjà rencontré quatre ou cinq - pour faire le point à ce sujet.

M. Pierre Morange, coprésident : Le Nord-Pas-de-Calais, Rhône-Alpes, le Lot-et-Garonne ou les départements de l'Île-de-France ont-ils été suffisamment inclus dans le dispositif pour apporter des éléments pédagogiques intéressants à notre mission ou bien avez-vous d'autres exemples en tête ?

M. Denis Piveteau : Le processus est en cours et multifactoriel : suivant les régions, les contacts avec l'ARH ou certains conseils généraux ont été plus ou moins bons et le travail interne à l'État varie. Il est donc difficile d'établir une typologie. Je vous répondrai sous un ou deux jours.

M. Pierre Morange, coprésident : Mme la rapporteure pourra croiser ces informations avec nos premières réflexions.

La vérification de l'effectivité de l'équité de traitement sur l'ensemble du territoire est suspendue à la collecte de l'information. Quelle est votre analyse à ce sujet ? Aussi bien sur le plan structurel que sur le plan conjoncturel, les informations que vous collectez à propos des aides à la personne vous semblent-elles suffisantes pour être en mesure d'intervenir de façon optimale ?

M. Denis Piveteau : En tant qu'organisme national, nous avons accès à toute l'information disponible sur les établissements.

Il convient néanmoins d'affiner le système d'observation. Il n'existe par exemple pas de fichier national recensant les places disponibles par type de handicap. Les taux d'équipement sont juridiquement cohérents, intéressants au regard du statut de l'établissement mais très peu au regard du service rendu aux populations particulières. Pour inverser la tendance, il serait souhaitable de collecter l'information au niveau local. Or le processus consistant à bâtir une programmation financière locale crée un intérêt à agir en faveur du recensement des informations. Nous faisons en sorte, dans le cadre de la convention d'objectifs et de gestion qui nous lie à l'État, de mettre en place un schéma directeur des systèmes d'information et de définir un cahier des charges des informations, mais nous cherchons surtout à animer des réseaux locaux.

Cela requiert également une réflexion économétrique, la collecte dépendant de l'idée que l'on se fait de l'équité de traitement. La prise en charge des personnes âgées peut se faire sous la forme d'un hébergement complet, d'interventions d'infirmières à domicile ou de services d'autre nature. Les ratios utilisés pour définir le niveau de couverture des besoins vont par conséquent différer et nous obliger à collationner des données provenant d'autres systèmes d'information. Incités par le récent rapport de la Cour des comptes, nous avons commencé à consolider les données des services de soins infirmiers à domicile qui émargent à l'enveloppe sanitaire, et les dépenses de soins infirmiers qui relèvent de l'enveloppe soins de ville de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM). Et nous sommes en train de construire un indicateur sur le nombre d'euros d'assurance maladie dépensés par personne âgée. Il ne s'agit donc pas de créer un grand silo et d'y entasser des indicateurs mais d'affiner ceux-ci en fonction de la façon dont l'on souhaite mesurer l'équité de traitement.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : C'est en effet au cœur du travail demandé à Mme Carrillon-Couvreur. J'ai été très surprise de voir combien il était difficile de répondre à des besoins très particuliers, concernant notamment les traumatisés crâniens. La bonne coordination du sanitaire avec le médico-social dépend du travail commun entre la direction régionale des affaires sanitaires et sociales (DRASS), l'ARH, le conseil général et l'observatoire régional de la santé (ORS), mais aussi la caisse régionale d'assurance maladie (CRAM), les familles et les associations de malades.

M. Denis Piveteau : Je suis tout à fait d'accord avec vous. Le thème des aides à la personne me permettra peut-être d'ouvrir la perspective. L'information que nous détenons est parfois inadaptée car elle correspond à des schémas de satisfaction des besoins qui se contentent de reproduire le passé voire d'épouser les données dont nous sommes sûrs de disposer. Il importe de rompre avec cet état de fait et d'approfondir les recherches pour mieux appréhender le vécu des personnes. À mesure que l'on s'éloigne du domaine sanitaire pour entrer dans l'action sociale, il s'agit de soulager des situations qui ne se guérissent pas complètement, avec une grande diversité de réponses possibles et une dimension de satisfaction personnelle à prendre en compte.

M. Pierre Morange, coprésident : Il importe en effet d'évaluer la demande, avec sa dimension subjective. En pratique, comment cela se passe-t-il pour les actions sociales individuelles ? Avez-vous une vision exhaustive de l'action conduite tant par les branches du régime général que par les collectivités territoriales ?

M. Denis Piveteau : La question est double : comment calculer les dotations accordées aux conseils généraux pour financer les aides en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées, c'est-à-dire l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et la prestation de compensation du handicap (PCH) ? que savons-nous du concours des autres intervenants ?

En 2006, les dotations de la CNSA destinées à financer des aides à la personne atteignent 2 milliards d'euros, dont 1,5 milliard pour l'APA, ce qui couvre un tiers environ des dépenses départementales, et 500 millions pour la PCH, ce qui couvre pour l'instant largement plus que les moyens dégagés par les départements.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Mais l'allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP), n'est pas comptabilisée dans ces 500 millions.

M. Denis Piveteau : Vous avez raison ; elle est historiquement couverte par les recettes fiscales des départements. L'ACTP étant assez dynamique, les dotations de la CNSA ne couvrent pas la somme des dépenses engagées par les départements mais tout de même la moitié voire les trois quarts. Quoi qu'il en soit, 2006 est une année particulière, sur laquelle il convient de ne pas trop s'appesantir.

Dans un premier temps, la CNSA se contentait de verser automatiquement les dotations d'APA sur la base d'une mesure des besoins, d'une recherche de correction des inégalités entre départements, puisque l'équation réglementaire conduisant à cette répartition est supposée tenir compte du poids particulier de l'APA dans chacun d'entre eux. Depuis la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, les dotations de PCH sont réparties selon les mêmes principes mais avec deux nouveautés importantes : elles sont assorties d'un petit concours au profit du fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées, qui s'élève à 20 millions d'euros en 2006 et sera porté à 30 millions d'euros en 2007 ; la CNSA passera une convention avec chacun des départements, en veillant à ce que ceux-ci soient en mesure de suivre leurs performances sociales, dans une optique d'appui objectif à la gestion locale, grâce à des indicateurs très concrets de la satisfaction des usagers.

M. Pierre Morange, coprésident : Quand ces conventions seront-elles opérationnelles ?

M. Denis Piveteau : Lorsqu'elles auront été signées avec tous les départements.

M. Pierre Morange, coprésident : C'est-à-dire, selon vous ?

M. Denis Piveteau : Nous avons déjà rencontré une cinquantaine de départements. L'objectif est que les derniers signent dans les deux premiers mois de 2007.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Les caisses d'assurance maladie ne seront-elles pas signataires ?

M. Denis Piveteau : La loi, à ce stade, ne le prévoit pas.

M. Pierre Morange, coprésident : Ces informations seront donc détenues par la CNSA et les collectivités territoriales mais ne seront pas partagées avec les acteurs de l'action sociale.

M. Denis Piveteau : Si.

M. Pierre Morange, coprésident : Votre dispositif est pertinent mais, dans le cadre du nouveau référentiel commun de ce système standardisé, il serait logique que la connaissance soit partagée avec les différentes branches du régime général.

M. Denis Piveteau : Certainement. Et les choses se feront assez naturellement, je pense. La première étape a consisté à définir la notion de qualité de service et à convaincre les collectivités territoriales que les indicateurs de résultats leur seraient utiles pour piloter leur propre politique. Les six premiers mois de 2006 ont donc été consacrés à la définition de la stratégie. Il nous a semblé ensuite indispensable que les associations d'usagers et les départements, gestionnaires des maisons départementales des personnes handicapées, adhérent aux indicateurs.

M. Pierre Morange, coprésident : Les personnes handicapées sont-elles les seules concernées ?

M. Denis Piveteau : La CNSA n'a pour l'instant à signer ces conventions que dans le champ du handicap, pour les personnes de moins de cinquante ans, étant entendu qu'il n'est pas interdit aux départements de contractualiser plus largement.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : À quoi est due l'augmentation du concours au profit des maisons départementales des personnes handicapées prévue pour 2007 ?

M. Denis Piveteau : C'est le conseil de la CNSA qui détermine la fraction des 550 millions distraite pour le fonctionnement des maisons départementales : il a voté 30 millions, laissant les 520 autres millions pour le paiement de la prestation. Le bon équilibre résultera précisément des échanges d'informations avec les départements. La répartition de ces 30 millions entre les départements, comme les autres dotations, est fixée par décret.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Pour les commissions locales d'information et de concertation (CLIC), la logique est-elle identique ?

M. Denis Piveteau : La CNSA, dans ce domaine, a pour seule compétence le versement des dotations d'APA aux départements.

M. Pierre Morange, coprésident : Pourriez-vous nous communiquer le référentiel commun des conventions ?

M. Denis Piveteau : Le plus important est la démarche, qui s'est déroulée en trois séquences assez longues mais nécessaires : définition de la liste des données faisant l'objet du socle unique des conventions ; construction d'une dizaine d'indicateurs de progrès ; appropriation par les équipes et les usagers des maisons départementales.

Les caisses primaires, représentées dans les commissions exécutives des maisons départementales, sont forcément destinataires de tous les indicateurs de celle à laquelle elles participent.

M. Pierre Morange, coprésident : En pratique, ont-elles émis des remarques à propos du référentiel ?

M. Denis Piveteau : Ce référentiel est un document de travail élaboré avec les responsables de maison départementale. Les premières réunions communes se tiennent actuellement et il a vocation à être inséré dans les conventions en tout début d'année 2007.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Je propose que nous en venions aux aides individuelles.

M. Denis Piveteau : Comment l'action sanitaire et sociale des caisses d'assurance vieillesse, d'assurance maladie et bien sûr d'allocations familiales s'articule-t-elle avec les nouvelles prestations dans le domaine des aides à la personne ? Le seul réceptacle existant est le fonds départemental de compensation, qui ne vaut que pour les personnes handicapées. Cette structure, créée par la loi, doit être installée dans chaque maison départementale ; elle rassemble les financements de tous ceux qui veulent contribuer à la couverture du reste à charge des personnes. Jusqu'en 2005, les caisses avaient pour la plupart pris l'habitude d'intervenir ; un des grands enjeux est de garantir que ces sommes resteront mobilisées, et la situation est disparate selon les territoires.

Le secteur des personnes handicapées est le plus structuré : la loi a créé un fonds départemental de compensation, auquel peuvent contribuer l'État, le département, les caisses primaires mais aussi l'association de gestion du fonds pour l'insertion des personnes handicapées (AGEFIPH) et tout autre partenaire volontaire. Pour les personnes âgées, la structure équivalente n'existe pas.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Afin d'éviter les bagarres à propos de la prise en charge des heures d'aide ménagère - les usagers et même les associations sont perdus -, serait-il intéressant de supprimer rapidement la barrière d'âge ?

M. Denis Piveteau : Il existe un vrai besoin d'action sur la demande mais surtout sur l'offre, autant dans le champ du handicap que dans celui des personnes âgées. L'aide individuelle à la personne se heurte à un problème d'effectifs compétents professionnellement. L'aide à domicile, pour les personnes handicapées, peut exiger la pratique de quelques gestes d'accompagnement ordinaires, non médicaux, pour lesquels il n'existe pas de dispositif de formation coordonné. Travailler aux côtés d'une personne handicapée psychique suppose une formation particulière, même si elle n'est pas paramédicale. Ce diagnostic d'ensemble des besoins d'information et de modernisation des services ne peut se faire qu'avec tous les partenaires, à commencer par les départements et les CRAM.

M. Pierre Morange, coprésident : Quand vous parlez de connaissance de l'aide sociale individuelle, pensez-vous aux enveloppes attribuées à l'échelon départemental ou aux versements individuels, au cas par cas ?

M. Denis Piveteau : L'information n'est pas nominative mais nous travaillons à partir d'informations très profilées sur le type et le niveau des aides attribuées personne par personne.

M. Pierre Morange, coprésident : La codification est-elle effectuée individu par individu ou par groupes ?

M. Denis Piveteau : Ne vous y trompez pas, notre connaissance se limite à ce qu'elle était avant le 11 février 2005, via les logiciels de versement des commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel (COTOREP) ou des commissions départementales de l'éducation spéciale (CDES). Au niveau national, il n'existe pas de système d'information sur les dotations de l'action sociale départementale. Demain, en application de la loi, il sera possible de connaître l'aide sociale légale attribuée, anonymement mais personne par personne, avec la mise en corrélation entre son profil, le type d'aide auquel elle a droit et le montant qu'elle perçoit. Cela n'épuise toutefois pas le sujet car il reste à mesurer la satisfaction, l'adéquation de l'aide aux besoins de la personne.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Nous découvrirons progressivement si les gens choisissent de garder l'ACTP ou pas. Il sera difficile d'évaluer leur appréciation car nous ferons face à un changement. À cet égard, la qualité de l'offre de service est cruciale. Les gens accepteront d'abandonner l'ACTP s'ils trouvent des services et des conseils hautement efficaces.

M. Denis Piveteau : Il ne faut pas mesurer le niveau de satisfaction et l'activité des départements à la seule aune du montant de la prestation individuelle. Une série d'autres fonctions doivent être remplies, concernant les décisions d'orientation, l'accompagnement des personnes dans l'aménagement de leur domicile ou l'implication d'autres intervenants. Deux départements nous ont par exemple proposé de suivre, dans le cadre de leur convention, la gestion des files d'attente de logement pour les personnes handicapées.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : De tels exemples nous intéressent au plus haut point dans cette phase de démarrage. Nous voyons bien que les situations sont très disparates selon les départements.

M. Pierre Morange, coprésident : J'ai fait voter un amendement, portant article additionnel après l'article 70 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, qui tend à établir un numéro identifiant unique et à constituer une banque de données nationale pouvant être croisée avec les fichiers du fisc. Cet amendement a été adopté à l'unanimité en commission des affaires culturelles, familiales et sociales puis en séance plénière et bénéficie d'un avis favorable du rapporteur du Sénat. Il ne s'agit pas uniquement de lutter contre la fraude mais aussi d'améliorer les prestations rendues aux assurés en optimisant les prestations rendues par notre système de protection sanitaire et sociale, dont l'architecture est particulièrement complexe. Le danger serait de lancer une énième réforme, superbe cathédrale en théorie mais dont la mise en œuvre prendrait plusieurs décennies. La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), a donné un avis favorable à l'interconnexion des fichiers, pour la branche famille, dès 1989. Alors que se bâtit le squelette de l'interopérabilité entre structures, souhaiteriez-vous que des critères particuliers soient intégrés ?

M. Denis Piveteau : Ne voyez aucune complaisance dans mon appréciation, mais cet amendement me semble très bien venu car plusieurs acteurs ne sauraient être rassemblés sans volonté de cristalliser leur action autour d'instruments communs. Le point de convergence technique doit être un identifiant jetant un pont entre les différents types d'aides et d'interventions sanitaires, médico-sociales et sociales au profit d'une personne ou d'une famille, sans redondance ni césure, y compris lorsque les intéressés déménagent dans un autre département. Il est fondamental que les indicateurs de pilotage médico-sociaux servent aux opérateurs eux-mêmes. Si la CNSA se contentait d'émettre des observations d'en haut, avec un classement et un tableau d'honneur, ce serait stérile, inefficace pour améliorer le fonctionnement des structures locales. La méthode revêt un vrai enjeu : nous devons choisir les meilleurs indicateurs et nous assurer que ceux qui auront à s'en servir y adhèrent.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Je vous remercie pour ces éclairages. La CNSA avance sur un sujet complexe et nous espérons qu'elle apportera des réponses intéressantes. Nous vous contacterons peut-être de nouveau dans les prochaines semaines.

M. Pierre Morange, coprésident : Je récapitule les trois demandes que nous avons émises à votre endroit : des exemples de régions où le PRIAC est abouti ; les paramètres concernant l'évaluation sociale susceptibles de constituer des outils de réflexion partagés ; des suggestions pour alimenter les travaux de notre mission.

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Audition de M. Frédéric Van Roekeghem, directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), accompagné de Mme Régine Constant, responsable de la division action sociale du département des contrats pluriannuels de gestion.

M. Pierre Morange, coprésident : Je souhaite la bienvenue à M. Frédéric Van Roekeghem, directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), accompagné de Mme Régine Constant, responsable de la division action sociale du département des contrats pluriannuels de gestion.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Je vous laisse la parole pour nous présenter vos travaux.

M. Frédéric Van Roekeghem : Je rappelle tout d'abord que l'assurance maladie joue un rôle bien modeste dans le paysage de l'action sociale. Si les dotations budgétaires inscrites dans le budget de l'action sanitaire et sociale se sont élevées, en 2005, à 545 millions d'euros en exécution, cette somme recouvre des opérations diverses, dont certaines relèvent du champ sanitaire, en particulier la prise en charge du ticket modérateur des affections de longue durée dites « hors liste », psychiatriques et autres, pour près de 215 millions d'euros, de frais de transport et d'hébergement dans le cadre du thermalisme et de soins consécutifs à l'examen de dépistage buccodentaire. Après soustraction des dépenses ne relevant pas de l'action sociale - dépenses non fongibles car clairement identifiées dans notre convention -, l'on obtient une enveloppe de l'ordre de 120 millions d'euros.

Notre action sociale s'exerce principalement au titre de prestations à caractère facultatif, du maintien à domicile des personnes âgées, handicapées ou en difficulté au regard de la santé, notamment atteintes du virus de l'immunodéficience humaine (VIH) ou subissant des soins palliatifs, de l'accès à la santé et aux soins pour les victimes d'inondations et autres catastrophes, et surtout de la dotation paramétrique des caisses de sécurité sociale, qui s'est élevée à 91,6 millions d'euros en 2005.

Cette dernière est mise à la disposition des caisses locales ; les partenaires sociaux y sont particulièrement attachés et le Gouvernement maintiendra son action à hauteur d'une centaine de millions d'euros pendant les quatre prochaines années. Le montant est important mais il représente en moyenne moins d'un million d'euros par caisse primaire. La dotation paramétrique sert pour 70 % à financer des aides individuelles : dépenses de pharmacie, fournitures médicales, transport, soins dentaires, prise en charge des difficultés financières diverses rencontrées par des personnes en situation de précarité liée à leur état de santé, qui n'arrivent pas à régler leur ticket modérateur, dont l'employeur tarde à envoyer l'arrêt de travail ou qui sont inéligibles à la couverture maladie universelle complémentaire (CMUC).

Au-delà de la dotation paramétrique, il existe depuis la loi du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie un financement pour l'aide à l'acquisition de la complémentaire santé, relativement modeste - 16 millions d'euros l'année dernière - mais qui devrait monter en puissance car les conditions d'éligibilité seront élargies dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007.

M. Pierre Morange, coprésident : D'après M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités, 300 000 personnes environ bénéficient de la CMUC, sur une population potentielle de quelque 2 millions. Comment expliquez-vous ce différentiel ? Est-il imputable à la complexité de la mise en œuvre ? À la mauvaise maîtrise de l'information ? À l'éclatement des différents acteurs du système ?

M. Frédéric Van Roekeghem : Il existe effectivement un écart important entre le champ des bénéficiaires potentiels - 2 millions de personnes et même 3 millions du fait du relèvement du plafond de ressources - et le nombre des personnes éligibles. Mais il importe de se montrer prudent car les dispositifs sociaux mettent parfois du temps à monter en charge et démarrent d'un seul coup.

M. Pierre Morange, coprésident : C'est inquiétant !

M. Frédéric Van Roekeghem : Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. Ce dispositif a été conçu pour prendre le relais des aides antérieures.

Il convient pour commencer de s'assurer qu'il est connu. L'expression « crédit d'impôt », à cet égard, n'est pas forcément incitative pour des personnes qui ne paient pas d'impôts. Un amendement parlementaire, voté, je crois, par cette assemblée, vise déjà à changer sa dénomination.

Par ailleurs, à la demande du Gouvernement, l'ensemble des caisses de sécurité sociale de toutes les branches ont initié un projet de développement de leur communication afin que chacun puisse avoir connaissance de l'existence du dispositif.

Il convient aussi de simplifier les conditions administratives d'accès en créant un formulaire de demande spécifique, d'autant que, d'après la convention médicale, l'éligibilité du point de vue des ressources est compatible avec le bénéfice du tiers payant pour les consultations chez le médecin traitant. Cette action fait du reste partie des priorités données aux caisses pour 2007 et le service social de l'institution sera mobilisé.

Nous avons aussi lancé une enquête auprès de sept caisses primaires pour suivre, entre le 1er octobre 2006 et le 31 juillet 2007, un échantillon d'assurés pendant une période de quatre mois en deux phases : faire le point sur leur situation médico-socio-administrative afin de comprendre leur trajectoire, d'identifier les points de blocage et de mettre sur pied un accompagnement spécifique.

La communication des organismes complémentaires est importante mais le Gouvernement a aussi revisité les barèmes l'année dernière, si je me souviens bien, pour que les restes à charge soient acceptables. Et, au-delà des restes à charge, il convient de s'interroger sur l'offre de contrats complémentaires et la tarification, qui ne relèvent pas de mes compétences.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : L'organisation actuelle de l'action sociale vous paraît-elle optimale ? Quelles améliorations préconiseriez-vous ?

M. Frédéric Van Roekeghem : Votre question ouvre sur des réflexions plus globales sur la coordination de l'aide sociale, notamment au niveau des départements. Notre engagement financier en faveur de l'action sociale est certes relativement limité en comparaison avec d'autres branches. Je note au passage que nos caisses ont toujours respecté leurs crédits limitatifs.

Le conseil de la CNAMTS a pris des orientations assurant l'homogénéité de la dépense et mettant fin à certaines pratiques étrangères à l'action sociale de l'assurance maladie. Il convient de rendre les interventions plus lisibles en recentrant l'action sociale sur ses missions fondamentales, d'apporter un soutien particulier aux assurés accédant difficilement au système de santé - personnes en situation de précarité, handicapées, âgées et accidentés du travail - et de soutenir la politique de santé publique. Ces engagements se traduisent dans la convention d'objectifs et de gestion qui nous lie à l'État.

M. Pierre Morange, coprésident : Quelles sont ces « pratiques étrangères à l'action sociale » auxquelles vous faites allusion ? Pouvez-vous citer quelques exemples ?

M. Frédéric Van Roekeghem : Le Parlement, en la personne de M. Jean Arthuis, président de la commission des finances du Sénat, nous avait signalé des financements d'aides en faveur de retraités, notamment dans le département du Nord. Il y a eu une prise de conscience.

M. Pierre Morange, coprésident : Le règlement de factures d'électricité fait-il partie des pratiques auxquelles vous avez mis fin ? Un centre communal d'action sociale (CCAS) peut légitimement intervenir dans ce sens mais c'est moins cohérent de la part des branches du régime général.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Quelles relations les CCAS et les caisses entretiennent-ils ?

M. Frédéric Van Roekeghem : Comment les différents guichets se coordonnent-ils ? Faut-il instaurer un guichet unique ? Qu'apporte l'aide sociale de l'assurance maladie ? Concrètement, les caisses primaires reçoivent leurs assurés lorsque ceux-ci rencontrent des difficultés liées à l'assurance maladie, pour l'attribution de la couverture maladie universelle (CMU), parce qu'ils ne parviennent pas à payer leur ticket modérateur ou parce qu'ils n'ont pas reçu leur arrêt de travail. Faut-il les renvoyer vers un autre guichet ou, pour des situations bien identifiées, avoir la capacité d'instruire leur dossier convenablement au niveau local ? Des expériences de coordination avec les départements ont été menées, notamment en Bretagne, pour constituer des dossiers communs. C'est vraisemblablement dans cette direction qu'il faudrait se diriger.

Il n'est pas évident qu'il incombe aux caisses primaires de régler des factures d'eau ou de gaz. La convention d'objectifs et de gestion, qui vient d'être signée, pose le principe d'un indicateur mesurant précisément la part des prestations individuelles. Nous nous sommes engagés à diminuer cette part mais elle est extrêmement faible et correspond à des aides allouées à la suite d'un problème de maladie. Nous ne méconnaissons pas les enjeux financiers mais il n'est pas absurde de prendre en compte certaines situations dans la mesure où notre intervention est bien organisée et coordonnée avec celle, notamment, des conseils généraux.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Je suis tout à fait d'accord : parfois, payer le chauffage à quelqu'un qui sort de l'hôpital, c'est aussi éviter qu'il retombe malade.

Avez-vous une connaissance exacte de l'usage de l'argent de l'action sociale ?

La CNAMTS a-t-elle une esquisse de réponse à propos de la prise en charge des malades à leur sortie de l'hôpital, en cas de maladie chronique ?

M. Pierre Morange, coprésident : La question n'est pas la pertinence de l'aide mais l'articulation de l'action des différents acteurs. L'une des préconisations de la MECSS concerne la mise en place de transferts d'informations, ce qui m'a conduit à déposer un amendement visant à constituer un fichier informatique national sur la base d'un numéro identifiant commun, celui de l'assurance maladie. Dans les faits, cette logique aboutit à la mise en œuvre de plates-formes multiservices. J'observe d'ailleurs qu'une expérimentation va être menée, si je ne m'abuse, en Lozère : l'ensemble des branches du régime général seront regroupées en un même lieu afin de répondre à la problématique de l'aménagement du territoire et d'améliorer le service rendu à l'assuré. Les entités peuvent rester distinctes en back-office, l'essentiel étant de constituer une offre pluridisciplinaire afin de satisfaire nos concitoyens. Approuvez-vous cet amendement ?

M. Frédéric Van Roekeghem : Je sors d'un conseil de la CNAMTS où tout le monde s'en est ému. Mais je vais vous faire part de mon avis personnel.

La distinction entre ce qui relève du niveau national, de la région et du local est une question importante. Le service public ne peut être performant et obtenir des gains de productivité sans une professionnalisation par métier. La création des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) à partir des départements de recouvrement des anciennes branches a-t-elle été profitable ? Oui, évidemment. Chacune des branches a-t-elle un savoir-faire spécifique ? Oui, évidemment. Est-il justifié de développer des politiques de prévention différentes en Lozère et à Paris ? Oui, évidemment. Il faut donc commencer par avoir les idées claires sur la répartition des compétences métiers et de ce qui relève, pour chacune d'elles, du national, du régional et du local ; c'est ce que nous essayons de faire au sein de l'assurance maladie.

Le rapprochement du front office, notamment de l'accueil, recèle-t-il des gains de productivité et d'efficacité ? Je mets de côté l'exemple spécifique de la Lozère, qui concerne des zones de revitalisation rurale. Je constate que les grosses entités ne sont pas nécessairement plus efficaces. Il importe en outre de tenir compte des notions de service de proximité et de responsabilité. Pour tout vous dire, nous ne nous orientons pas vers une régionalisation à outrance car nous assurons 48 millions de personnes quand les URSSAF ne gèrent que 4 millions de comptes clients. Les grosses structures, y compris dans le privé, génèrent aussi de gros supports, des niveaux de responsabilité multiples, ce qui ralentit la prise de décision.

Il n'est donc pas aisé de répondre à votre question, d'autant que vous m'interrogez aussi implicitement sur l'organisation des services publics au regard de leur public, notamment des personnes âgées. C'est finalement la question posée par M. le ministre délégué Philippe Bas à Mme le procureur général Hélène Gisserot dans le cadre de sa mission sur le financement complémentaire de la dépendance.

Le sujet de la maladie chronique est beaucoup plus vaste : il englobe le diabète mais aussi les accidents vasculaires cérébraux, qui relèvent de la dépendance ou de la surveillance selon que le malade présente des conséquences neurologiques ou non. La question de moyen terme est celle de l'organisation des services publics en fonction de leurs assurés.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Pourquoi les partenaires sociaux se sont-ils émus de l'amendement de M. Pierre Morange ?

M. Frédéric Van Roekeghem : Ce sujet n'a absolument pas été abordé au cours des négociations avec l'État à propos des contrats conventionnels, dont ils sortent à peine. Il n'est pas question de contester le droit d'amendement du Parlement mais la soudaineté de la proposition les a surpris et ils se demandent si ce dispositif est destiné à être étendu. Je note cependant que cet amendement est né d'une volonté locale de maintenir le service public et que des conseils d'organismes se sont exprimés en faveur de ce type d'organisation.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Et que pensent les partenaires sociaux du fichier commun ?

M. Frédéric Van Roekeghem : Tout ce qui peut rapprocher les services et les aider à coordonner leur action est vraisemblablement positif. Néanmoins, le président de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) s'est ému de la multiplication des croisements de fichiers.

M. Pierre Morange, coprésident : Dès 1989, la CNIL a validé techniquement et juridiquement les interconnexions de fichiers dès lors qu'elles servent une fonctionnalité publique, à telle enseigne qu'elle a jugé que mon amendement n'était même pas contributif. Il est curieux que la CNIL, d'un côté, valide mon amendement et que, de l'autre, elle s'interroge sur ses motivations. J'ajoute que, aux termes de l'amendement, les modalités d'application seront fixées par un décret du Conseil d'État après avis de la CNIL. L'histoire l'a déjà entériné ; il est indispensable pour le bon fonctionnement de notre système de protection sanitaire et sociale. C'est tellement vrai que la branche famille, vous-même et la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) y êtes favorables. Au-delà du débat sur la verticalisation ou l'horizontalisation, le dispositif proposé résoudra les problématiques de la coordination, de la professionnalisation et de la compatibilité entre les différentes structures.

M. Frédéric Van Roekeghem : Je crois que M. Denis Piveteau s'y est en effet déclaré favorable. L'essentiel est que ce rapprochement des informations soit destiné à répondre aux besoins des assurés. Je n'ai pas d'avis à porter sur le débat parlementaire et nous soumettrons à la CNIL, comme il est d'usage, les modifications de nos systèmes d'information nécessaires pour appliquer la législation. Toutefois, une délibération de la CNIL du 10 mars 2005 n'autorise pas la CNAMTS à exercer le pilotage de l'activité des services sociaux à partir de ses statistiques anonymisées. Il n'en demeure pas moins que tout le monde approuve l'idée de rapprocher les informations au bénéfice du service rendu à nos concitoyens.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Quels devraient être, selon vous, les objectifs et les publics prioritaires de l'action sociale ?

M. Frédéric Van Roekeghem : Le conseil de la CNAMTS, dans le cadre de la loi du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie, a élaboré ses orientations de politique d'action sociale. Il a été décidé de privilégier trois axes de missions : permettre aux personnes confrontées à un problème de santé et en situation précaire d'entreprendre une démarche de soins ou de prévention de la santé et de préserver ou de retrouver des conditions favorables à leur insertion sociale ; aider les personnes en arrêt de travail et en risque de perte d'emploi du fait de leur état de santé à se maintenir dans leur poste, dans leur emploi ou leur entreprise ; aider les personnes âgées et/ou handicapées à préserver leur autonomie. Ces interventions sont ciblées sur les personnes en arrêt de travail depuis plus de quatre-vingt-dix jours, en fin de droits ou en situation de précarité présentant un problème social consécutif ou lié à un état de santé, un handicap ou une perte d'autonomie.

M. Pierre Morange, coprésident : Les collectivités territoriales et la CNSA sont en train de modéliser un outil référentiel pour évaluer les performances de l'action sociale. Êtes-vous au courant ? Connaissez-vous le teneur des indicateurs ? Qu'en pensez-vous ? Souhaitez-vous adopter ce référentiel ? Pour quelles raisons le système PARNASS a-t-il été abandonné ?

M. Frédéric Van Roekeghem : Nous l'avons abandonné il y a cinq ans et il est préférable de regarder vers l'avenir. La CNAMTS n'a pas été associée aux travaux menés par la CNSA sur ce système d'information - sans doute parce que la première des difficultés consistait à intégrer l'action des départements - mais elle est tout à fait disposée à y participer. Puisque la CNSA et la CNAMTS ont prévu de passer un accord conventionnel, je souhaite que ce sujet fasse partie de nos discussions.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous serons les messagers de cette requête.

M. Frédéric Van Roekeghem : Les services sociaux des caisses régionales d'assurance maladie (CRAM) constituent une force d'intervention qu'il serait souhaitable de mobiliser en cohérence avec la CNSA.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : En tout cas, l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), dans son rapport relatif au financement des aides à domicile de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS), estime qu'il importe de réfléchir à la place des travailleurs sociaux dans les caisses.

L'enjeu de la bonne connaissance mutuelle est essentiel mais les élus des caisses exigent que ces dernières conservent leur fonction d'aide sociale. N'est-ce pas ?

M. Frédéric Van Roekeghem : C'est vrai, à tel point que l'une des premières décisions prises dans le cadre de l'application de la loi du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie a consisté à aménager le dispositif pour faire en sorte que les conseillers des caisses conservent leur capacité d'intervention dans le domaine de l'action sociale. Cela répond à une vraie motivation sociale : les syndicats, qui représentent les assurés sociaux, y sont très attachés pour être en mesure de prendre des décisions concrètes répondant aux situations de précarité.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Les caisses réfléchissent-elles au rôle de leurs services sociaux, en lien avec les autres acteurs ?

M. Frédéric Van Roekeghem : Les CRAM partagent leur service social avec la branche vieillesse. Nous avons néanmoins préparé une convention nationale type avec la CNSA.

Mme Régine Constant : Celle-ci traite notamment de notre positionnement vis-à-vis des maisons du handicap.

M. Frédéric Van Roekeghem : Si nous pouvons améliorer l'efficacité de nos services sociaux et mieux les aligner sur les priorités nationales, nous le ferons dans le cadre de la convention avec la CNSA. Mais les questions se posent souvent davantage en termes de priorités.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Des interventions sont-elles prévues avec les centres locaux d'information et de coordination (CLIC) ?

Mme Régine Constant : Cela relève du pilotage de la CNAVTS.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Savez-vous quelles seront les priorités de votre convention d'objectifs et de gestion ?

M. Frédéric Van Roekeghem : Notre conseil a validé les orientations de la convention en septembre. Premièrement, il est en train de réévaluer les conditions d'attribution des dotations financières aux caisses. Deuxièmement, dans les contrats de gestion des caisses primaires, nous intégrerons des engagements sur le ciblage des aides. Nous avons fait le choix de laisser une certaine souplesse à l'échelon local pour favoriser la réactivité mais il serait souhaitable que la convention avec la CNSA soit conclue au préalable, de manière à ce que nous puissions la décliner en interne.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie de vous être plié à cet exercice. Si vous avez des suggestions, je vous invite à nous les soumettre.

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Audition de M. Jean-Louis Sanchez, délégué général de l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée (ODAS), accompagné de Mme Jacqueline Padieu, directrice scientifique.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous accueillons maintenant M. Jean-Louis Sanchez, délégué général de l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée (ODAS), accompagné de Mme Jacqueline Padieu, directrice scientifique.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Je vous invite à intervenir pour un exposé introductif.

M. Jean-Louis Sanchez : Nous sommes davantage familiarisés à ce thème qu'à celui de l'hébergement des personnes âgées, sur lequel nous avons déjà été auditionnés. Je vous propose que nous vous présentions les problèmes liés à la décentralisation de l'action sociale, tant sur le plan financier que sur le plan stratégique, en insistant, à travers la lecture des résultats de l'exercice 2005, sur les inquiétudes suscitées par le transfert du financement d'allocations lourdes pour des départements inégalement préparés à recevoir la responsabilité de gestion de ces prestations. Cela nous préoccupe non seulement au regard de l'équité entre départements mais également parce que les axes prioritaires de ces derniers risquent de s'en trouver déséquilibrés. Certains aspects très positifs du bilan de la décentralisation de ces quinze dernières années sont remis en cause : nous vivons un tournant.

La décentralisation de l'action sociale, en 2004, a provoqué des interrogations nombreuses. Certains estimaient que la solidarité, dans la tradition française, est une affaire nationale. N'y a-t-il pas contradiction entre cohésion sociale et décentralisation ? L'observation nous permet d'affirmer le contraire : avec la décentralisation, nous avons plutôt l'impression que l'égalité s'est renforcée, par un jeu souvent sous-estimé, lié à la proximité, mis en relief par des associations très dynamiques. En quinze ou vingt ans de décentralisation, les départements qui accusaient un retard d'équipements et de services ont davantage avancé que les autres et les inégalités se sont resserrées - la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) parvient aux mêmes conclusions.

Cette évolution s'est produite sans pour autant obéir à un électoralisme exacerbé : les dépenses qui ont le plus augmenté n'ont rien d'électoraliste puisqu'elles sont principalement liées à l'accompagnement social, aux personnes handicapées et fort peu aux personnes âgées, même si, avec l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), ressentie globalement comme une très bonne réforme, le soutien aux personnes âgées a considérablement progressé.

L'effort a été constant, non seulement sur le plan quantitatif - la dépense, en francs constants, a plus que doublé en quinze ans - mais aussi qualitatif, les responsables évitant de s'abriter derrière le déficit réglementaire pour ne pas agir. Dans le domaine du soutien aux personnes handicapées, en particulier, les départements n'ont pas hésité à investir massivement dans des expérimentations comme les hébergements à double tarification ou les services d'accompagnement à domicile. Cette démarche audacieuse est souvent méconnue et insuffisamment prise en considération par les grandes administrations d'État.

Je connais peu de niveaux d'action administrative, en France, où le lien entre la connaissance et l'action est si développé. Je donnerai deux exemples. Premièrement, les schémas départementaux sont très perfectibles mais ils ont constamment évolué dans le sens d'une meilleure qualité tant méthodologique que stratégique. Deuxièmement, la conception que les départements se font de la territorialisation a beaucoup évolué. Alors que les circonscriptions recouvraient chacune une population de 50 000 personnes, elles sont aujourd'hui calquées sur des bassins de vie de 15 000 à 300 000 habitants, ce qui leur confère une dimension stratégique : chaque circonscription doit devenir un lieu de production de politique départementale. C'est une sorte de déconcentration dans la décentralisation.

Mais la décentralisation départementale a aussi des points faibles.

D'abord, les performances de l'action sociale ne se mesurent pas facilement car celle-ci nécessite des investissements lourds pour des résultats tardifs. Cela a entraîné un déficit d'intérêt de la part des dirigeants politiques pour cette responsabilité pourtant importante puisqu'elle représente plus de la moitié de leurs budgets de fonctionnement. Les choses sont paradoxalement en train de changer grâce aux nouvelles responsabilités confiées aux départements, qui menacent certains d'entre eux dans l'exercice même de leurs responsabilités mais suscitent une très forte implication du personnel politique.

L'acte II de la décentralisation a été très pragmatique : le mouvement s'est opéré en direction de collectivités disposant des moyens en ingénierie, du personnel et des ressources pour recevoir de nouvelles compétences. La décentralisation de l'action sociale au niveau départemental présente le double avantage de la proximité et de l'éloignement. Les acteurs de la prévention spécialisée, par exemple, craignent légitimement une trop grande proximité, de nature à instrumentaliser leur action auprès de populations fragiles. Le niveau départemental est mauvais pour assurer un accompagnement de tous les publics et pas seulement des publics défavorisés. Or l'ODAS, malgré la diversité d'opinion qui le caractérise - presque tous les départements y adhèrent, ainsi que des communes -, est convaincu que la précarité n'est plus sectorielle mais globale : elle est économique pour un grand nombre mais aussi relationnelle et identitaire pour la société française toute entière.

Il faut accompagner la solidarité en direction des personnes démunies les plus précarisées d'un très gros effort en faveur de la société tout entière, et celui-ci ne peut être mené qu'au niveau le plus adapté, celui des communes. Se posent alors des problèmes d'articulation des moyens des communes et des départements. Cela se passe relativement bien en milieu rural mais très mal en milieu urbain. En Ille-et-Vilaine, des décideurs de sensibilités politiques pourtant divergentes avaient fait preuve de beaucoup de responsabilité : ils s'étaient entendus pour transférer leurs compétences au meilleur niveau et la ville de Rennes avait récupéré l'essentiel de l'activité d'insertion avec les crédits, la responsabilité et l'affichage afférents. De tels comportements, dictés par l'intérêt général, loin de faire perdre des voix, peuvent produire une forte adhésion de l'opinion. Quoi qu'il en soit, le phénomène, au lieu de s'accentuer, tend à régresser partout, y compris en Ille-et-Vilaine, alors que les sensibilités politiques des collectivités territoriales concernées se sont rapprochées.

Toutefois, les maires sont en train de découvrir que leurs responsabilités, en matière de lien social, vont bien au-delà du traitement de la précarité économique et de la précarité de la jeunesse. Leur perception de la précarité devient globale, avec ses dimensions relationnelle et identitaire. Ce mouvement de volonté s'ébauche parmi les décideurs municipaux au travers de leurs diverses politiques publiques, sociale, culturelle, sportive et de l'habitat. Il faut dire que le phénomène des banlieues a mis en relief l'immense déficit de solutions.

La décentralisation de l'action sociale a eu le mérite, jusqu'à présent, de se dérouler dans un scénario tantôt rassurant, tantôt inquiétant. Les départements ont tiré un bénéfice financier des cinq premières années de la décentralisation, leurs dépenses ayant moins progressé que l'inflation.

M. Pierre Morange, coprésident : Pardonnez-moi mais votre expérience vous conduit-elle à imaginer un schéma de répartition optimale des compétences entre les échelons, qui aurait fait la démonstration scientifique de son efficacité et devrait être reproduit ?

M. Jean-Louis Sanchez : Votre question est très intéressante. L'année dernière, nous avons organisé une grosse manifestation à Marseille sur la problématique de la clarification des responsabilités, dont le rapport de synthèse sortira dans les semaines à venir. Nous avons le souci d'aller le plus loin possible dans nos constats sans heurter trop frontalement certaines sensibilités institutionnelles car il nous faut être en mesure de collecter l'information pour bâtir des scénarios. Mais nous avons le sentiment que les choses peuvent être dites plus facilement aujourd'hui qu'hier et, en juillet 2007, nous souhaiterions mettre nos propositions en discussion. Le besoin de clarification irrigue l'ensemble des protagonistes.

Je prendrai l'exemple de la protection sociale. L'ODAS a milité pour que l'allocation du revenu minimum d'insertion (RMI) reste soumise à la condition de l'insertion mais pour que chacun fasse son métier et que la décentralisation distingue réinsertion et allocation. Le traitement administratif de l'allocation aurait dû être confié essentiellement aux caisses d'allocations familiales, qui respectent la dignité de la personne alors que les services d'action sociale, par définition, stigmatisent. Des négociations extrêmement positives étaient engagées entre caisses d'allocations familiales et services sociaux départementaux mais elles ont été contrariées par des interventions d'organismes divers et la répartition la plus cohérente des responsabilités n'a pu être mise en application. Le conseil général de la Savoie avait obtenu l'accord de la caisse d'allocations familiales pour instruire les dossiers directement ; il souhaitait obtenir deux postes mais a finalement dû en créer une dizaine pour réaliser la même opération dans des conditions régressives pour l'usager.

Une multitude de situations donnent du crédit à la démarche de clarification des responsabilités. Le jeu pervers consistant à confier des responsabilités similaires à plusieurs structures finit par déresponsabiliser, démotiver et coûter très cher. La synthèse de nos travaux à ce sujet sera disponible au plus tard à la fin du mois de décembre.

Je disais donc que les cinq premières années de la décentralisation se sont traduites par une bonne opération financière pour les départements, les contributions de l'État ayant excédé leurs dépenses. Entre 1989 et 1995, les dépenses se sont largement accrues, de l'ordre de 8 % par an.

Mme Jacqueline Padieu : En grande partie du fait de l'augmentation des coûts salariaux.

M. Jean-Louis Sanchez : Entre 1995 et 2001, la charge a de nouveau régressé puisque les dépenses de départements ont globalement augmenté dans les mêmes proportions que l'inflation.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Pourrez-vous nous communiquer les chiffres par écrit ?

M. Jean-Louis Sanchez : Bien sûr. Depuis 2001, l'évolution redevient inquiétante, à cause de la hausse des coûts des services et établissements mais surtout de l'impact du financement de l'APA et du RMI, qui pèse malheureusement de façon inégale selon les collectivités. L'ODAS craint que cette inflation des dépenses sociales continue, notamment dans le domaine des personnes âgées, que les départements opèrent un raidissement stratégique et adoptent une attitude moins constructive et pragmatique. Et les départements les plus mal lotis, vieux, frappés par le chômage, seront les plus asphyxiés, tandis que d'autres resteront à l'aise.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Comment faites-vous remonter les informations des départements ?

Au-delà de la péréquation, les départements formulent-ils des propositions pour faire évoluer le système de financement de nos politiques sociales ? Dans le champ sanitaire et social, une partie des financements de sécurité sociale et d'assurance maladie sont confiés petit à petit aux départements par le biais de la CNSA. Une évolution identique est-elle possible dans le champ du médico-social ? Les départements seraient-ils prêts à gérer une partie de la contribution sociale généralisée (CSG), pour ce qui concerne, par exemple, le handicap ou la dépendance ?

M. Jean-Louis Sanchez : La fiabilité des informations est en effet un vrai enjeu. L'ODAS, par sa diversité, apporte une garantie. Si nous avons su, depuis dix-huit ans, maintenir un consensus entre tous les acteurs institutionnels, c'est parce que les uns et les autres partageaient un constat. Presque tous nos questionnaires obtiennent un taux de réponse approchant 90 %.

Mme Jacqueline Padieu : Et nous interrogeons tous les départements.

M. Jean-Louis Sanchez : Lorsque nous avons souhaité comprendre l'évolution des priorités des maires de très grande ville, bien que nous ayons détourné nos questionnaires vers les directions générales des services municipaux et les cabinets - au détriment de nos interlocuteurs habituels, les centres communaux d'action sociale (CCAS) -, nous avons encore obtenu deux tiers de réponses. Par la procédure traditionnelle, le taux monte aux trois quarts ou aux quatre cinquièmes. Et les résultats font l'objet d'une contre-évaluation : lorsqu'une réponse est douteuse, elle entraîne immédiatement des interrogations supplémentaires pour comprendre les écarts de chiffres. Le nouveau président de l'Observatoire national de l'enfance en danger vient d'ailleurs de nous confirmer que nous resterions chargés de l'observation des publics qu'il cible.

Nous avons toujours opté pour un scénario : une réponse rapide sur échantillon représentatif plutôt qu'une réponse tardive sur un échantillon global. Nous travaillons donc avec trente départements témoins mais nous vérifions chaque année a posteriori, avec la DREES, la qualité de nos estimations financières : la performance de notre thermomètre, en dépit des modifications législatives permanentes concernant le jeu de contributions financières entre l'État et les départements, prouve la qualité de l'échantillon représentatif.

Pour ce qui concerne votre seconde question, nous ne sommes pas prêts. Tout le monde a été très surpris par la qualité de réponse des départements lorsque leur ont été confiées les responsabilités de l'APA, du RMI puis de la prestation de compensation de handicap (PCH). Ces transferts étaient très difficiles à mettre en œuvre et les départements auraient pu faire preuve de mauvaise volonté. Or les résultats ont été étonnamment rapides et positifs, l'analyse de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), converge à cet égard avec la nôtre. Mais le poids de la charge du RMI sur les finances départementales est si dévastateur que l'intérêt de cette décentralisation financière fait désormais débat dans les départements. Ne finit-elle pas par neutraliser leur autonomie financière ? N'est-ce pas davantage une déconcentration qu'une décentralisation ?

Mme Jacqueline Padieu : Nous avons beaucoup hésité sur la façon de présenter les comptes de 2005. Nous n'avons pu faire apparaître la charge nette une fois toutes les contributions de l'État versées car sa dotation globale n'est pas affectée spécifiquement à l'action sociale. La contribution de l'État relative à l'APA doit-elle être déduite ou non de la dépense nette d'action sociale ? Et les apports de l'État concernant le RMI ? Nous avons opté pour une double présentation : avant les abondements de l'État relatifs à l'APA et au RMI ; une fois ceux-ci déduits, y compris les abondements dits « exceptionnels », versés un an ou deux en retard.

Dans le premier agrégat, l'allocation de RMI occupe 24 %, les dépenses en faveur des personnes âgées 21 %, l'aide sociale à l'enfance (ASE) 20 %, les dépenses en faveur des handicapés 20 % et les autres dépenses - principalement de personnel - 20 %. Le RMI ne pèse plus que 5 % du second agrégat, dans lequel l'ASE représente 30 %, les personnes handicapées 20 %, les personnes âgées 20 % et les autres dépenses 20 %.

Notre échantillon représentatif de départements - qui accomplit l'enquête lui-même, dans la mesure où nous élaborons le questionnaire et où nous discutons des résultats avec eux - prévoit que l'APA va continuer de grimper à la même vitesse, que les dépenses de l'ASE et les autres dépenses vont se stabiliser, que la situation du RMI a peu de chance de s'améliorer et que la PCH va monter en charge progressivement, mais ils s'inquiètent du poids des malades mentaux dans cette prestation.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Les associations préfèrent parler de personnes handicapées psychiques.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : J'imagine que les départements ont d'ores et déjà simulé la montée en charge de la PCH.

Mme Jacqueline Padieu : Ils pensent que l'exercice 2006 ressemblera fortement à l'exercice 2005 et s'attendent à ce que la montée en charge se fasse tout doucement mais ils sont dans l'expectative.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Le choix entre allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP) et PCH va jouer.

Mme Jacqueline Padieu : Les bénéficiaires actuels de l'ACTP préfèrent conserver cette aide.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : C'est effectivement ce que l'on m'a dit.

M. Jean-Louis Sanchez : En 2004, l'impact de la décentralisation a été faible alors que les critiques étaient fortes. En 2005, le poids des nouvelles réglementations a considérablement joué dans l'évolution des dépenses, qui s'est élevée à 8 % de charge nette supplémentaire - sans l'amendement du Premier ministre, le taux aurait même atteint 11 % - et suivra probablement le même rythme cette année.

Nous approuvons la réforme de la protection de l'enfance proposée par M. le ministre délégué Philippe Bas mais personne ne mesure ses conséquences financières. Les départements seront obligés d'ouvrir ce chantier très lourd car il concerne ce qui est le plus sensible pour l'opinion : l'avenir de l'enfant. C'est souhaitable du point de vue du travail social mais cela entraînera des dépenses supplémentaires.

Mme Jacqueline Padieu : Cela pose de façon plus aiguë encore la question de la décentralisation des allocations.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Je vous remercie de nous avoir présenté vos travaux. La mission attendra le document que vous avez évoqué.

M. Pierre Morange, coprésident : Si vous avez des suggestions, je vous invite à nous les soumettre.

AUDITIONS DU 23 NOVEMBRE 2006

Audition de Mme Nicole Roth, sous-directrice de l'observation de la solidarité, et M. Laurent Caussat, sous-directeur des synthèses, des études économiques et de l'évaluation, accompagnés de Mme Joëlle Chazal, chef du bureau des établissements sociaux de l'action sociale locale et des professions, de M. Michel Duée, chef du bureau des comptes et prévisions d'ensemble, à la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) au ministère de la santé et des solidarités, ainsi que M. Dominique Giorgi, inspecteur général des affaires sociales, président du comité des pairs en charge de l'action sociale à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), et Mlle Bérénice Delpal, inspectrice des affaires sociales.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous vous remercions, mesdames, messieurs, d'avoir répondu à notre invitation et de nous avoir fait parvenir un ensemble de documents tout à fait intéressants.

Le rapport de l'IGAS, présenté par Mlle Bérénice Delpal et M. Gildas Le Coz, intitulé « Contribution à la cartographie de l'action sociale », fournit, conjointement avec les études de la DREES une approche originale et pragmatique. J'observe que, face à la multitude des acteurs et à l'intrication des domaines, vous aboutissez à la conclusion qu'il est nécessaire de partager un langage commun et de procéder à des échanges d'informations. C'est l'objet de l'amendement que j'ai fait adopter lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) et qui prévoit, d'une part, l'utilisation d'un numéro identifiant commun - le numéro de sécurité sociale - pour constituer un répertoire commun à partir des données partagées entre les organismes de sécurité sociale obligatoire, l'assurance chômage et les collectivités locales pour l'attribution de l'aide sociale, d'autre part, la possibilité de croiser ces données avec celles de l'administration fiscale.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Je propose qu'il soit d'abord fait une brève présentation de l'outil statistique utilisé et des résultats des études réalisées par la DREES. Nous donnerons ensuite la parole aux représentants de l'IGAS.

Mme Nicole Roth : Pour les études de la DREES, nous ferons une présentation à deux voix. Je parlerai, pour ma part, des outils qui concernent la sous-direction de la solidarité. M. Laurent Caussat abordera ensuite des aspects plus synthétiques, concernant l'ensemble du champ.

Comme vous l'avez vu dans les documents transmis, les politiques d'action sociale décentralisées font l'objet d'un suivi régulier par la DREES, dont le champ d'étude est principalement centré sur l'action des conseils généraux. L'action sociale des caisses de sécurité sociale n'est pas suivie en tant que telle par la sous-direction mais est retracée dans les comptes que présentera M. Laurent Caussat. Les communes et, sur un autre plan, les régions font l'objet d'outils de suivi beaucoup moins développés que les départements.

Je commencerai par les départements. Nous vous avons envoyé beaucoup de documents qui montrent le type d'outils mobilisés. Certains permettent de retracer tout ce qui, en matière d'action sociale, est de la compétence des départements. Ce sont des outils pérennes qui permettent de réunir, selon une périodicité trimestrielle ou annuelle, des données concernant les dépenses départementales d'aide sociale, les personnels, les bénéficiaires de l'aide sociale départementale et l'activité des services de protection maternelle et infantile (PMI).

Sont rajoutés ponctuellement des études plus qualitatives portant sur l'organisation mise en place. Une étude vient d'être publiée sur l'action sociale facultative des départements. Une étude monographique a été publiée au mois d'octobre sur quelques communes. Deux études plus exhaustives ont été publiées en 2003 et 2004 sur l'action sociale des communes. Le résultat de ces études montre qu'il y a une imbrication des sujets qui concernent les départements, les communes, les centres communaux d'action sociale (CCAS), le secteur associatif et les caisses de sécurité sociale. On voit que les choses sont assez compliquées et assez hétérogènes.

Ce qui complique les choses pour nous, c'est l'absence de langage commun. Vous avez fait allusion, monsieur le président, à l'intérêt de l'utilisation du numéro de sécurité sociale. Indépendamment de cela, il faut souligner la difficulté de greffer un système d'information sur des outils de gestion et de faire que tout le monde parle le même langage.

La diversité que l'on observe au niveau des départements et des communes rend difficile pour le système d'observation que nous sommes jusqu'à la définition des concepts et des périmètres d'intervention. Quand on parle d'action sociale, tout le monde ne comprend pas la même chose. Certains y mettent un peu de santé, d'éducation et d'information. Nous avons à la fois un problème de périmètre mais également de maillage de ce périmètre. Pour arriver à ce que tout le monde mette les mêmes choses dans les mêmes cases, il faudra un travail de longue haleine et celui-ci devra être partenarial. Les travaux de l'IGAS sur la cartographie de l'action sociale peuvent nous aider. Des réflexions communes associant les collectivités et la direction générale des collectivités locales (DGCL) seront également très utiles. Nous ne sommes qu'au début de la réflexion qui permettra d'y arriver.

M. Pierre Morange, coprésident : La démarche est-elle déjà clairement engagée, ou ne fait-on qu'en caresser l'idée ?

Mme Nicole Roth : Pour moi, nous ne faisons encore qu'en caresser l'idée. Nous avons des velléités de le faire mais il n'y a pas encore de pilotage pour le faire. Je n'exprime toutefois qu'un point de vue personnel.

M. Pierre Morange, coprésident : Avez-vous pu dégager ce que j'appellerai un squelette de langage commun ?

Mme Nicole Roth : On y voit à peu près clair pour tout ce qui est aide sociale légale, puisqu'elle est cadrée par la loi, quoique, lorsque des aides extra-légales sont apportées, la différenciation entre le légal et l'extra-légal ne soit pas toujours aisée, tout finissant, dans les comptes, par se retrouver dans la même boîte.

La logique est beaucoup moins claire pour tout le reste, et il faudrait trouver une nomenclature homogène sur l'ensemble des départements et des communes.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Je suis avec beaucoup d'intérêt les travaux de la DREES, car ils sont une source d'informations très riche, et je suis frappée par les progrès accomplis au cours des quatre dernières années.

Je remarque cependant que les travaux sont toujours menés du point de vue des institutions et non de celui des usagers. Ne pensez-vous pas que l'on devrait commencer par rechercher un langage commun du point de vue de ces derniers ? Cela permettrait d'appréhender réellement ce que fait chaque institution.

Mme Nicole Roth : Nous devons encore parfaire notre système et trouver une nomenclature qui permette de mieux cerner l'activité des institutions. Nous avons des pistes pour progresser en ce domaine.

L'entrée « bénéficiaires » me paraît effectivement importante. Il faudrait distinguer les différents types de publics - personnes âgées, personnes handicapées, etc. - et les différents programmes en faveur de ces publics.

Il faudrait distinguer également les moyens d'actions, car ils sont divers : directs, délégués, par l'intermédiaire de subventions au secteur associatif, sous la forme de collaborations ponctuelles avec d'autres institutions. Tout cela peut être rassemblé sous l'entrée `bénéficiaires, programmes'.

Nous avons développé un certain nombre d'outils de connaissance des publics. Nous réalisons périodiquement des enquêtes auprès des bénéficiaires. Les lois de décentralisation prévoient non seulement une obligation de remontées d'informations des départements vers l'État, mais aussi la possibilité d'effectuer à partir d'échantillons représentatifs, des études sur les bénéficiaires de tel ou tel type d'action. Nous avons fait des études sur les bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), sur ceux du revenu minimum d'insertion (RMI), et même sur des prestations qui ne sont pas décentralisées, telles que l'allocation de parent isolé (API) et l'allocation spécifique de solidarité (ASS). C'est très utile parce que cela évite de raisonner de façon cloisonnée, alors qu'il n'y a pas d'étanchéité entre les publics. De ce fait, nous débordons souvent l'aide sociale gérée par les départements.

Les outils que nous avons développés concernant les bénéficiaires sont représentatifs sur le plan national mais pas sur le plan départemental. Nous butons sur des problèmes de représentativité des échantillons. Si on divise par cent un échantillon de 5 000 personnes, cela n'en fait pas beaucoup par département. On ne peut pas comparer strictement le point de vue des bénéficiaires avec ce type d'outil.

Nous sommes également amenés à mobiliser d'autres types d'outils plus monographiques et plus qualitatifs. Ceux-ci ne sont pas exhaustifs ni extrapolables. Nous essayons d'éclairer des différences d'organisation et leur impact sur les bénéficiaires.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Avez-vous déjà repéré des tendances permettant d'aller plus loin dans l'analyse des politiques ?

Mme Nicole Roth : Nous sommes convaincus de la nécessité d'avoir un triptyque pour chaque politique. Il faut les points de vue, à la fois des acteurs et des bénéficiaires et, pour ces derniers, de façon à la fois quantitative et qualitative. Nous avons trois types d'outils qui se complètent et fournissent des éléments évaluatifs, à la disposition, d'une part, des acteurs locaux - départements et communes - et, d'autre part, de toutes les commissions évaluatives qui peuvent, notamment en lien avec l'IGAS, aller sur le terrain et apporter d'autres éléments d'évaluation.

Je rappelle que la DREES ne prétend pas faire l'évaluation des politiques, mais apporter des éléments pouvant contribuer à cette évaluation.

J'insiste également sur le fait que les politiques sont extraordinairement complexes car elles mettent en jeu des bénéficiaires, des organisations et des acteurs. Si vos travaux peuvent nous aider à remonter des informations de façon plus homogène qu'actuellement et à initier une concertation à ce sujet, ce serait intéressant.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Vous venez de dire que la DREES n'a pas compétence pour mettre en place des évaluations des politiques sociales. Que faudrait-il faire pour créer un véritable outil d'évaluation des politiques sociales, médico-sociales et sanitaires ?

Mme Nicole Roth : Je reviens sur mes propos. La DREES a compétence pour mettre des outils évaluatifs en place, mais elle n'a pas forcément compétence pour faire l'évaluation au sens global.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Quel dispositif devrait alors être mis en place pour qu'il y ait évaluation ? C'est une question essentielle, que nous nous posons depuis le début de nos travaux et qui conditionne à la fois l'organisation des compétences et la mise en œuvre des politiques.

Mme Nicole Roth : Il faut, d'abord, avoir des outils pérennes aussi perfectionnés que possible. La DREES et les autres directions statistiques comme la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement sont compétentes pour les mettre en place. Il faudrait éventuellement prévoir des procédures de concertation pour que tout le monde puisse progresser sur les concepts et arriver à parler le même langage.

Ensuite, je pense qu'il faudrait créer des commissions du type de celle qui a été constituée sur le RMI sous la présidence de M. Michel Thierry, inspecteur général à l'IGAS. Cela permettrait de recouper les résultats tirés des outils évaluatifs actuels avec les informations recueillies par les visites sur le terrain.

Cette commission d'évaluation a été mise en place parce qu'elle était prévue dans la loi du 18 décembre 2003 portant décentralisation du RMI. Il serait souhaitable que cet exercice d'évaluation soit reproduit périodiquement.

M. Dominique Giorgi : La fonction d'évaluation est une question qui revient en permanence dans le débat public parce qu'elle est aujourd'hui mal assumée et qu'elle est surtout très dispersée. Selon les politiques, le pôle de référence peut être constitué d'outils de l'État - la DREES, l'INSEE - ou d'outils plus dispersés. Pour les personnes handicapées, la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) constitue ses propres référentiels et outils statistiques. Pour la politique de protection de l'enfance, c'est l'Observatoire national de l'enfance en danger qui est compétent. L'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (ONPES) est, lui aussi, un outil d'observation et d'évaluation.

Selon les politiques, des pôles d'observation et d'évaluation se sont constitués sans qu'on ait réfléchi à un dispositif d'ensemble, sans que ces pôles soient coordonnés entre eux et même sans qu'ils soient constitués de la même manière. L'État a souvent mis en place ces dispositifs sans forcément associer tous les partenaires concernés.

Il se pose une seconde question : « Qui est légitime pour faire ces évaluations ? » On a confié largement les politiques d'action sociale aux collectivités territoriales. Sont-elles correctement associées à ces évaluations ? On peut raisonnablement répondre non à cette question. Il me paraît clair que l'État doit avoir une vision d'ensemble, mais il me paraît tout aussi clair qu'il faut associer les collectivités territoriales.

La réflexion sur la façon de progresser vers des modalités d'évaluation coordonnées entre l'ensemble des politiques et entre l'ensemble des acteurs aujourd'hui compétents pour les mettre en œuvre est tout à fait centrale, et elle est encore loin d'être épuisée aujourd'hui.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : La création de l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES) dans un premier temps, puis de la Haute Autorité de santé (HAS) maintenant, a permis de régler un certain nombre de questions. La loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale a créé le Conseil national de l'évaluation sociale et médico-sociale, qui devrait être remplacé par l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux. Cette dernière pourra peut-être faire progresser la réflexion concernant la création d'un lieu d'évaluation des politiques nationales ?

M. Dominique Giorgi : Cette agence travaillera sur un champ un peu différent. Il s'agira moins de l'observation et de l'évaluation des politiques d'action sociale nationale et locale que de l'élaboration de recommandations de bonnes pratiques professionnelles nécessaires à l'évaluation des établissements sociaux et médico-sociaux.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Cela correspond davantage à la mission de l'ANAES.

M. Dominique Giorgi : Absolument. La réflexion qui semble être lancée est de savoir si cette agence, qui est créée sans moyens propres affectés, ne mériterait pas d'être dotée de moyens plus substantiels lui permettant de mener sa mission, comme la HAS aujourd'hui.

M. Pierre Morange, coprésident : Quelles améliorations pourraient être apportées en matière de coordination ? Pouvez-vous expliquer en quoi consisterait la mise en place d'une méthode ouverte de coordination (MOC) nationale ?

M. Dominique Giorgi : C'est une idée que l'IGAS a reprise dans ses travaux récents : dans le rapport annuel qui vient de paraître et qui traite des politiques sociales françaises dans le contexte communautaire, dans le rapport de Mlle  Bérénice Delpal et de M. Gildas Le Coz et dans le travail d'évaluation du RMI qui est en cours de finalisation.

La méthode ouverte de coordination consiste, au niveau communautaire, à fixer des objectifs communs à l'ensemble des États membres, associés à des indicateurs permettant de vérifier que ces objectifs sont ou non atteints. Elle préconise, pour les États membres, la confection de plans ou de schémas d'ensemble sur ces politiques, accompagnés d'outils du type revues par les pairs des meilleures pratiques des uns et des autres. C'est un processus de coordination souple qui vise à une convergence progressive des politiques et qui intervient dans un domaine où le sommet, c'est-à-dire la Communauté, n'a pas, en application du principe de subsidiarité, la compétence pour intervenir, celle-ci relevant des États membres.

Mutatis mutandis, on pourrait considérer que ce type de méthode pourrait être transposé au niveau national. C'est une idée que nous avons avancée mais qui mérite d'être expertisée de près, parce qu'on est dans un contexte très différent de celui des relations entre les États membres et la Communauté. La France est un État a priori toujours unitaire, même s'il est à organisation aujourd'hui décentralisée. Dans le domaine de l'action sociale, l'État conserve des compétences propres qui ne sont pas subsidiaires mais on a transféré l'essentiel des compétences aux collectivités territoriales.

Pourquoi ne pas imaginer un dispositif à la fois souple et volontaire, dans lequel on essaierait de rassembler les éléments - à la définition desquels il faudrait associer étroitement les départements - visant à assurer un minimum de convergence autour d'objectifs communs, d'échanges de bonnes pratiques, de définition d'indicateurs, de mise en œuvre de politiques ? Il y aurait une limite, qu'il faut bien avoir présente à l'esprit : la dispersion territoriale des contraintes et des politiques. Il ne s'agit pas de prévoir un dispositif unificateur mais un système qui permette de garantir un minimum. Ce minimum n'est pas garanti dans toutes les politiques mises en œuvre aujourd'hui. Il y a des normes législatives et réglementaires qui, selon les politiques, posent des exigences très différentes. En matière d'aide sociale à l'enfance, on peut dire que les normes sont quasiment inexistantes. On a des obligations de moyens, comme la mise en œuvre de politiques d'accueil d'urgence, d'accueil de mères avec enfants, de prévention mais on n'a pas d'obligation de résultat. En ce qui concerne le RMI, on a des normes très précises en matière de prestations, mais rien en matière de politique d'insertion. Sans doute, d'ailleurs, ne peut-on pas aller très loin dans cette direction, puisqu'on a souhaité laisser aux départements le soin de définir leur politique en fonction des contraintes locales ; mais peut-être devrait-on réfléchir à un minimum en la matière ?

En tout cas, c'est un débat qui peut être ouvert et qui peut avoir comme référence intellectuelle ce dispositif de méthode ouverte de coordination mise en place au niveau communautaire.

M. Laurent Caussat : Je vais compléter l'exposé de Mme Roth par quelques informations sur un autre système d'information dont nous disposons à la DREES, et qui permet d'approcher, par le haut et de façon très agrégée, l'intervention des différents acteurs dans le domaine de l'aide et de l'action sociales : il s'agit du système des comptes de la protection sociale, qui est intégré au système des comptes nationaux piloté par l'INSEE et qui ambitionne de décrire l'ensemble des flux financiers qui concourent à la couverture des divers risques sociaux. Les comptes de la protection sociale constituaient jusqu'en 2006 une annexe au projet de loi de financement de la sécurité sociale, l'annexe dite G. Depuis la réforme intervenue à la suite de la loi organique du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, ils ne sont plus une annexe mais vont bénéficier très prochainement d'un nouveau fondement juridique, un règlement européen devant coordonner la fourniture par les États membres d'informations sur leur système de protection sociale.

Ce système vise à présenter les financements qui concourent chaque année à la couverture des risques sociaux, que nous évaluons à près de 30 % du produit intérieur brut. Il les ventile entre les différents risques - maladie, invalidité, vieillesse, famille, perte d'emploi, logement, pauvreté - et entre les différents régimes - les régimes de sécurité sociale, l'indemnisation du chômage, les régimes complémentaires, l'intervention de l'État et des collectivités locales, celle de certains opérateurs de protection sociale complémentaire ainsi que du secteur associatif ou à but non lucratif. Enfin, ce système possède une nomenclature relativement fine d'opérations : prestations proprement dites, en espèce, en nature, avec ou sans conditions de ressources, aide et action sociale, avec ou sans condition de ressources.

On peut, dans ce système, isoler les dépenses relevant de l'aide et de l'action sociale et les ventiler selon les risques à la couverture desquels elles concourent et selon les régimes qui en assurent le financement.

Je reconnais que, dans les publications habituelles que nous faisons sur ce système, nous nous attardons assez peu sur le domaine particulier de l'aide et de l'action sociales, parce qu'il ne pèse qu'une partie très limitée dans l'ensemble du budget social. Cela dit, nous avons, au cours des années précédentes, effectué deux travaux - nous vous les avons transmis dans le dossier - qui peuvent aider à une meilleure connaissance de ce secteur.

En 2002, nous avons réalisé un travail - sur lequel l'IGAS s'est assez largement appuyé pour son rapport - de mise en concordance des catégories juridiques de la protection sociale - prestations sociales, minima sociaux, aide et action sociale - avec les agrégats des comptes de la protection sociale. C'est grâce à ce travail que l'on peut arriver aujourd'hui à une évaluation qui montre que, en gros, l'aide et l'action sociale représentent à peu près 9 % de l'ensemble des dépenses de protection sociale, se répartissant, à parts pratiquement égales, entre l'aide et l'action sociale.

Par ailleurs, nous publions depuis trois ou quatre ans un compte social du handicap, qui essaie d'agréger toutes les dépenses qui concourent à la compensation du handicap et des accidents du travail. Nous mobilisons toutes les données que nous pouvons sur l'aide sociale en faveur des personnes handicapées, c'est-à-dire ce que nous avons dans les comptes, ainsi que, lorsque les comptes de la protection sociale ne permettent pas de couvrir totalement les interventions des collectivités territoriales, les données qui proviennent des enquêtes réalisées auprès des départements, auxquelles Mme Roth a fait allusion.

La mission et le rapport réalisé par l'IGAS ont été pour nous l'occasion d'aller regarder de plus près la manière dont notre dispositif appréhende ces dépenses. Cela a été extrêmement fructueux en termes à la fois de détection d'axes de progrès et de perspectives pour l'avenir.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Vous avez parlé de la faiblesse des comptes de l'action sociale par rapport à l'ensemble des dépenses. Ce n'est pas un point que nous retenons quand nous réfléchissons à ce secteur. Je pense qu'il y a encore un travail de définition de concepts à réaliser pour savoir de quoi l'on parle.

Mlle Bérénice Delpal : Les comptes de l'action sociale recouvrent l'assurance sociale, l'action sociale et l'aide sociale.

M. Pierre Morange, coprésident : L'agrégat des 483 milliards d'euros recouvre une grande diversité d'actions. Et nous nous heurtons à un problème de sémantique pour la définition tant du périmètre des compétences que de celui des bénéficiaires.

M. Laurent Caussat : Nous considérons que l'allocation personnalisée d'autonomie rentre dans la couverture légale du risque, de même que la prestation de compensation du handicap.

Mme Nicole Roth : Il est important, quand on considère les prestations, de regarder également la situation de l'allocataire et les revenus qu'il touche. S'il perçoit l'allocation d'adulte handicapé (AAH) et la prestation de compensation du handicap (PCH), il dépend à la fois d'une allocation de solidarité - en l'occurrence l'AAH - et de l'aide sociale qui lui permet de prendre en charge les frais supplémentaires qu'il supporte, compte tenu de son handicap.

Le système doit aussi donner une image des problèmes de la personne dans sa globalité et pas dispositif par dispositif.

M. Pierre Morange, coprésident : L'action sociale des caisses de sécurité sociale vous semble-t-elle pertinente ?

Mme Nicole Roth : Dans les études que nous avons menées, nous n'avons pas d'éléments objectifs nous permettant de dire que le fonctionnement actuel génère des dysfonctionnements manifestes. Je ne dis pas qu'il n'y en a pas. Je dis que nous n'avons pas eu dans nos études monographiques des remontées en ce sens, même feutrées ou édulcorées, de la part des départements et des communes auprès desquels nous avons mené nos études.

Par contre, nous voyons qu'il y a beaucoup de relations entre les acteurs au travers de coordinations multiples entre les communes, les départements et les caisses.

Est-on à l'optimum ? C'est une autre question.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : La réalité est tout autre du point de vue des usagers. Je discutais ce week-end avec des infirmiers libéraux s'occupant de personnes âgées et de personnes handicapées. Les dysfonctionnements qu'ils m'ont rapportés entre différentes institutions intervenant auprès de ces personnes sont assez impressionnants. C'est à partir de cette constatation que j'avais d'ailleurs lancé les centres locaux d'information et de coordination (CLIC). La maison du handicap va-t-elle améliorer les choses ?

Je cite un exemple. Une personne âgée est aidée par un grand nombre d'intervenants à son domicile. Tous, depuis trois mois, inscrivent sur le cahier de liaison que la chaudière est en panne et doit être réparée et il n'y a toujours rien de fait.

M. Pierre Morange, coprésident : La première préconisation de la MECSS a d'ailleurs été la création de plateformes multi-services pour améliorer le service rendu à l'assuré.

M. Dominique Giorgi : Cela est caractéristique du domaine social, qui est partagé aujourd'hui entre plusieurs acteurs. Sur le terrain, se pose le problème de la coordination de l'ensemble des intervenants.

Les travaux de l'IGAS ont porté cette année sur l'action sociale de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) et de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF). Ils ont montré qu'il pouvait y avoir, du point de ces acteurs institutionnels, certains problèmes. Le travail que vous avez demandé sur l'action sociale locale et qui est en cours se place davantage du point de vue de l'usager. Il partira donc du terrain et apportera un éclairage plus pertinent et plus en rapport avec vos attentes sur la coordination locale.

Il semble apparaître, de ce point de vue, une sorte de modèle type de coordination, qui reste certainement à parfaire : il y a des points d'entrée uniques - CLIC, maisons départementales des personnes handicapées -, et des conventions entre acteurs qui peuvent permettre d'assurer leur coordination, sans toujours vaincre cependant les quant-à-soi institutionnels. On voit bien, par exemple, que les partenaires sociaux représentés dans les conseils d'administration des caisses de sécurité sociale souhaitent que ces dernières conservent la compétence en matière d'action sociale. Il est important, pour eux, de pouvoir intervenir par ce biais au profit des retraités ou des bénéficiaires de prestations familiales. Même si des partages semblent se mettre en place concernant, par exemple, les personnes âgées avec la distinction entre les groupes iso-ressources (GIR) 1 à 4 qui relèvent des départements et les GIR 5 et 6 qui relèvent des caisses de sécurité sociale, se pose malgré tout le problème de la nature de l'intervention. Il y a une tendance à dupliquer parfois les actions et à essayer, d'un côté et de l'autre, d'avoir une appréhension globale de la personne. Les motifs peuvent être légitimes mais cela peut entraîner des recoupements et, donc des articulations parfois difficiles. L'usager ne sait pas toujours non plus à qui s'adresser. Les travaux en cours de l'IGAS contribueront à éclairer cette situation.

M. Pierre Morange, coprésident : Par rapport à ce modèle idéal, pourriez-vous nous faire une liste précise des éléments juridiques et réglementaires qui entraînent des blocages ?

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Réglementaires ou autre, même comportementaux !

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Quelles sont vos propositions pour clarifier les rôles des acteurs de l'action sociale ?

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : J'ai, en effet, été surprise de lire la phrase suivante dans votre conclusion : « Dans ces conditions, la complexité est un indice de vitalité. » N'est-ce pas contradictoire avec notre souhait de rationaliser ?

Mlle Bérénice Delpal : Nous sommes bien dans la même logique. Il est certainement nécessaire de simplifier, mais nous voulions insister sur le fait qu'on ne peut pas réduire totalement la complexité dès lors qu'on veut diversifier et personnaliser les prestations.

Mme Nicole Roth : Nous sommes là sur des actions adaptées aux besoins des personnes. Ce n'est pas une prestation de type allocations familiales. Nous sommes dans des domaines où les besoins doivent être cernés précisément. La complexité est inhérente à la difficulté des actions.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Je propose que l'IGAS fasse maintenant une brève présentation de son rapport.

Mlle Bérénice Delpal : Je présenterai en premier lieu la démarche et les résultats globaux, puis je centrerai mon propos sur deux aspects : le premier est la manière dont nous avons entendu les notions d'aide sociale, d'action sociale et d'assurance sociale et la complexité des définitions actuelle ; le second a trait aux dépenses de protection sociale et, en particulier, à notre démarche pour identifier les dépenses d'aide et d'actions sociales au sein des comptes de la protection sociale et les questions qui se posent à ce sujet.

Notre démarche d'ensemble - et cela rejoint, je crois, vos préoccupations - a été de resituer aide et action sociales au sein de l'ensemble de la protection sociale, en les comprenant comme des modalités d'intervention. Nous avons regroupé, pour simplifier, les formes d'intervention en trois grands types de techniques : assurance sociale, aide sociale et action sociale. La démarche cartographique est partie de l'idée de croiser ces trois grandes techniques avec les grands acteurs qui interviennent en matière d'aide et d'action sociale : l'État, les collectivités locales et les organismes de sécurité sociale, sachant que nous manquons d'éléments sur les associations. Nous avons réalisé des tableaux afin de voir qui fait quoi et comment.

Quand on croise les acteurs d'un côté et les modalités d'intervention de l'autre, on confirme déjà le constat de l'enchevêtrement des compétences, parce qu'un acteur peut utiliser plusieurs techniques pour une même politique et que, sur une même technique, plusieurs acteurs interviennent. Ce constat est plus marqué pour l'action sociale, puisque c'est là que tout le monde intervient à tous les titres. Nous pouvons mettre en évidence des zones à risques dans les points d'intersection et les interfaces entre les acteurs - quand, par exemple, le département intervient pour compléter une action menée par l'État -, entre les techniques pour un même acteur - l'exemple typique étant les organismes de sécurité sociale qui utilisent les techniques d'assurance sociale et l'action sociale - et entre politiques verticales sectorielles, du type emploi-santé-logement, et politiques plus horizontales s'adressant à un public spécifique, par exemple la famille.

Nous pointons le risque que le cumul de différentes politiques dispersées aboutisse à une politique globale ayant des effets un peu aléatoires, en tout cas ni voulus ni fixés par l'ensemble des décideurs qui ont chacun arrêté leur politique institutionnelle de façon séparée. Nous rejoignons l'idée d'une approche par les bénéficiaires et, plus spécifiquement, par l'offre de services aux bénéficiaires. L'entrée serait en effet moins par le public, ses attentes et ses spécificités que par une offre de service global, par exemple la garde des enfants ou l'aide à domicile pour les personnes âgées, quels que soient le financeur, l'acteur et la modalité d'intervention - allocation de sécurité sociale, aide sociale ou action sociale qui intervient en plus.

En annexe du rapport, vous trouvez les tableaux établis par politique. Nous avons pris cinq grandes politiques : famille, enfance, personnes âgées, personnes handicapées, lutte contre l'exclusion. Nous avons essayé, dans ces tableaux croisés, d'indiquer au maximum, en regroupant les informations que nous pouvions trouver, le nombre de bénéficiaires des prestations et le nombre de places disponibles dans les structures.

Voilà pour notre démarche et les résultats globaux de notre cartographie.

J'en arrive au premier point que je voulais aborder. Nous avons été frappés par la confusion qui régnait entre les notions d'assurance sociale, d'aide sociale et d'action sociale. Si, au départ, chacune des trois modalités d'intervention semblait avoir une logique claire et obéir à des principes spécifiques, au fil de l'histoire et du temps, de la construction de nouvelles prestations, ainsi que de la complexité des choses et de la réalité, les logiques se sont entrecroisées. Deux grandes distinctions doivent d'abord être faites : d'une part, entre le contributif, qui est du domaine de l'assurance, et le non-contributif -  consistant en une allocation subsidiaire ou une aide complémentaire éventuellement attribuée sous conditions de ressources et ciblée -  correspondant à l'aide et à l'action sociales et s'inscrivant dans la logique historique de l'assistance, et d'autre part, entre l'aide sociale obligatoire et l'action sociale facultative.

Nous avons relevé trois problèmes principaux.

Entre aide sociale obligatoire et action sociale totalement facultative, les choses ne sont pas aussi claires que cela. Les difficultés auxquelles est confrontée la DREES le montrent clairement. Quand on examine l'ensemble des prestations et que l'on interroge les départements sur leur action sociale et leur aide sociale, on observe un continuum d'actions que l'on a du mal à classer dans une case ou dans une autre. Les acteurs qui gèrent ne se demandent pas si c'est de l'extra-légal, du totalement facultatif ou du pas totalement facultatif.

Le deuxième problème porte sur la notion même d'action sociale. Elle peut être comprise soit au sens historique et un peu strict de ce qui est non contributif et qui n'est pas de l'aide sociale, donc n'est pas obligatoire et entre par conséquent, dans le champ du facultatif, soit - ce qui est de plus en plus le cas - comme un ensemble assez global, assez générique où l'on retrouve tous les processus qui concourent à la cohésion de la société. Soit c'est un ensemble, soit c'est un sous-ensemble de l'ensemble qui porte le même nom. Cela ne contribue pas toujours à savoir de quoi l'on parle.

Troisième problème : des prestations empruntent aux différentes logiques : nous les avons qualifiées d'hybrides. La logique de l'aide sociale s'introduit dans la logique de l'assurance, avec des prestations de sécurité sociale non contributives. A l'inverse, la logique de l'assurance sociale s'insinue dans celle de l'aide sociale, avec des prestations de type universel comme l'APA ou la PCH.

On comprend assez bien pourquoi les logiques s'entremêlent. Mais on n'arrive plus aussi facilement qu'avant à classer les prestations dans une case ou dans une autre.

Nous nous en sommes tenus à notre travail de description et au constat de l'enchevêtrement. Nous n'avions pas dans ce cadre à proposer de solutions. Il y a de nombreuses options possibles. On pourrait recréer complètement les catégories à partir de nouveaux critères parce qu'on estime qu'elles sont obsolètes. On pourrait également créer une nouvelle catégorie pour tout ce qui est hybride.

Il me paraissait important d'insister sur ces difficultés car, derrière la confusion théorique, il y a des enjeux pratiques. Dans les contentieux, cela crée des confusions qui sont incompréhensibles pour les bénéficiaires. Ils ne comprennent pas pourquoi tel est compétent plutôt que tel autre. Cela dépend de la classification dans les trois catégories mais, comme celle-ci n'est pas claire, cela créé des difficultés de compréhension.

Pour l'enjeu global dont nous avons longuement parlé, c'est-à-dire essayer d'avoir une vision d'ensemble de toutes les politiques, quels que soient l'acteur et la modalité d'intervention, il faut que l'on sache ensemble de quoi l'on parle et qu'on parle tous de la même chose.

Le deuxième point sur lequel je voulais insister, ce sont les dépenses. Je voulais préciser que nous avons travaillé à partir des comptes de la protection sociale, qui nous sont apparus très précieux parce qu'ils rassemblent à la fois des éléments sur l'assurance sociale et sur l'aide et l'action sociales. En nous inspirant de ce qui avait été fait il y a plusieurs années, nous avons effectué un travail de codage de toutes les lignes budgétaires des comptes, en essayant de les classer en aide sociale, en action sociale ou en assurance sociale. Nous avons vu, en travaillant avec la DREES, qu'il y avait des axes de progrès méthodologiques possibles. Quand on se retrouve avec une ligne « prestations extra-légales des caisses de sécurité sociale » et qu'on s'aperçoit, après avoir regardé quel était le régime qui versait, qu'il s'agit finalement de prestations du département, on ne sait plus si c'est de l'aide sociale ou de l'action sociale. Nous nous heurtons à ce type de difficultés quand on entre concrètement dans le travail de codage. Il est sans doute possible d'affiner et d'améliorer les méthodologies.

Nous avons un autre souci. Nous comprenons la logique des comptes, mais la façon dont sont retracées les opérations concernant les associations ne permet pas de voir l'aspect « action sociale » autonome de ces associations au sens où nous l'entendons par exemple à l'IGAS quand nous contrôlons des associations faisant appel à la générosité publique. Nous ne retrouvons pas trace des dons et des legs. Les associations sont davantage considérées dans les comptes de la protection sociale comme des opérateurs à qui d'autres institutions délèguent une partie de leurs actions.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Vous soulignez dans votre rapport non seulement l'intérêt mais aussi les risques de la contractualisation de la mise en œuvre de l'action sociale départementale avec les associations. Quelles règles de bonnes pratiques préconisez-vous ?

Par ailleurs, pourriez-vous nous indiquer des pistes pour clarifier les notions d'aide sociale, d'action sociale et d'assurance sociale ?

Mlle Bérénice Delpal : Sur les associations, j'avoue ne pas avoir de règles de bonne pratique en tête. Je ne suis pas assez experte du sujet. Je n'en connais que ce qui résulte des lectures que j'ai faites pour réaliser la cartographie, mais je ne l'ai pas abordé dans l'optique d'un contrôle ou d'une évaluation par l'IGAS.

M. Pierre Morange, coprésident : Le tissu associatif est à l'origine de la protection sociale, notamment en ce qui concerne les personnes âgées et les personnes handicapées. Nous ne remettons pas cela en cause. Mais nous aimerions savoir s'il existe des problèmes du point de vue des bénéficiaires et de leur famille et s'il serait pertinent de prendre certaines mesures.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : C'est, en effet, la question qui nous est la plus posée sur le terrain. Nous aimerions savoir si, dans vos travaux, vous avez relevé des expériences de bonnes pratiques entre les institutions et les associations, qui pourraient être généralisées.

M. Dominique Giorgi : Je voudrais apporter un éclairage très pratique et concret, non pas dans le champ des personnes handicapées ou des personnes âgées, mais dans celui de la protection de l'enfance. La problématique est à peu près la même pour ce qui est de l'accueil des enfants, d'un côté, et des politiques de prévention, de l'autre - dans la mise en œuvre, en particulier, des actions éducatives en milieu ouvert.

Le secteur associatif est extrêmement puissant. Il est souvent délégataire de service public des départements, mais peut également être promoteur d'une politique autonome en la matière.

La question qui se pose est de savoir comment établir la relation entre commanditaires et commandités et faire en sorte que la collectivité publique, et en particulier, ses élus, garants et promoteurs de la définition d'une politique, puisse mettre en œuvre cette politique avec l'aide des associations. Ces dernières sont financées par les pouvoirs publics et devraient être, non pas des exécutants, parce qu'il y a toujours la volonté d'indépendance, de réflexion et de promotion d'une politique propre aux associations, mais des assistants des départements dans la mise en place de leur politique. Il faut trouver un équilibre. La préconisation la plus habituelle, en matière de protection de l'enfance, est de définir au niveau du département des orientations claires dans un schéma directeur, et ensuite de décliner ces orientations dans des conventions conclues spécifiquement entre le département et les associations de prévention ou de protection, en prévoyant un suivi de la mise en œuvre de ces conventions pour éviter que telle ou telle association ne promeuve une politique qui pourrait, sans être totalement différente, comporter des orientations un peu originales par rapport à ce que souhaitent les pouvoirs publics départementaux.

C'est la méthode qui est préconisée et qui nous paraît pouvoir être efficace mais qui est loin d'être systématiquement mise en œuvre. Il y a beaucoup de départements qui laissent un peu la bride sur le cou au secteur associatif et qui ne maîtrisent pas réellement les orientations de leur politique.

Je me garderai de transposer cet exemple dans d'autres secteurs, dont j'ai une connaissance moins fine.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Dans le domaine des personnes handicapées, les schémas constatent davantage une situation et dressent un état des lieux qu'ils ne fixent des perspectives de travail. Il serait intéressant de regarder de plus près cette question. S'il y a des choses qui fonctionnent bien, il y a aussi des points faibles et les associations, elles-mêmes souhaiteraient avoir des indications plus claires sur l'organisation des actions sur un territoire.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Certains grands groupes associatifs réclament même officiellement d'être chargés de la mission de service public. Qu'en pensez-vous ?

M. Pierre Morange, coprésident : Pourriez-vous dresser un bilan des logiques de contractualisation, après les lois de décentralisation, entre les autorités départementales et les associations ?

M. Dominique Giorgi : Je vais tenter d'apporter, non pas une réponse, si vous le permettez, mais quelques éléments de réflexion.

D'abord, nous transmettrons cette question à la mission qui étudie actuellement sur le terrain la mise en œuvre des politiques en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées. Elle pourra vous apporter des éléments d'éclairage.

Je livrerai ensuite une simple réflexion. Il y a effectivement une tension entre les compétences législativement dévolues aux collectivités territoriales, qui doivent définir les orientations des politiques sociales et en répondre devant les citoyens, et celles des opérateurs, parfois historiques, qui sont promoteurs de certaines politiques et souhaitent rester au cœur de leur mise en œuvre, voire se monter innovants dans certaines techniques et certains domaines.

Les collectivités locales n'ayant pas les moyens de mettre en œuvre directement ces politiques, la question se pose de la contractualisation avec les opérateurs. Et nous devons nous demander comment cette contractualisation peut être compatible avec la compétence juridique et la responsabilité des élus des collectivités territoriales.

Sous réserve des constats dressés sur le terrain que nous pourrons vous communiquer, il me semble que la contractualisation est une technique intéressante si elle permet, premièrement, de respecter la compétence des collectivités et, deuxièmement, d'être efficace dans la mise en œuvre de la politique : cela signifie être en adéquation avec les objectifs qui sont, premièrement, le service aux usagers, deuxièmement, l'efficacité de l'utilisation des deniers publics et, troisièmement, la gouvernance du dispositif, c'est-à-dire le respect de la commande publique passée à ces associations.

Je ne me prononce pas sur la volonté de certaines associations d'être délégataires complets. Cela ne me paraît pas, à ce stade, correspondre à l'état du droit. Ce sont les collectivités territoriales qui sont responsables des politiques sociales menées sur leur territoire.

Telles sont les considérations générales que je peux faire sur le sujet.

Mme Nicole Roth : Dans les études que nous réalisons, nous avons le sentiment qu'il y a un mouvement croissant de contractualisation entre les conseils généraux et le secteur associatif. Nous l'avons surtout observé dans le cadre de la lutte contre l'exclusion, que nous avons étudiée dernièrement. Cela nous semble de plus en plus présent dans les préoccupations affichées par les institutions, pour des raisons d'efficacité et de contrôle de la dépense publique.

Dans un autre registre qui relève davantage de mon champ, c'est-à-dire de celui de l'observation et de l'évaluation, nous sommes confrontés, sur plusieurs opérations statistiques, à des outils d'observation développés par le secteur associatif, par les grandes fédérations. Or, nous défendons la position que les outils d'observation ne doivent pas être pilotés par ceux qui mettent en œuvre les politiques. Nous avons un souci de tiers qui souhaite regarder de façon neutre. On ne peut pas agir et observer en même temps.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : La neutralité des outils d'évaluation est effectivement très importante vis-à-vis des associations comme des décideurs : État ou conseil général.

Mme Nicole Roth : La DREES, c'est à la fois un outil d'État et un système statistique. C'est un peu complexe. Mais on vise un fonctionnement transparent.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Est-il souhaitable, selon vous, de développer l'action sociale d'intérêt communautaire et de multiplier, voire de généraliser, à cet effet, les centres intercommunaux d'action sociale (CIAS) ?

Mme Nicole Roth : Je ne sais pas. Nous n'avons pas d'éléments d'information très précis sur cette question.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie, mesdames, messieurs.

Je vous remercie également, par avance, de bien vouloir faire parvenir à la mission les informations et les propositions précises qui viendraient compléter notre échange de ce matin. Notre but, en effet, n'est pas de rédiger des rapports mais d'aboutir à des résultats concrets. Les préconisations et les suggestions doivent être particulièrement précises et pointues car elles ont vocation à se transformer en amendements sur des textes.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : La MECSS est un lieu pérenne d'appropriation des informations, qui participe de la même logique que la DREES et l'IGAS. Nous vous remercions de toutes les informations que vous pourrez nous donner.

M. Pierre Morange, coprésident : Je précise enfin que, du fait de sa composition politique, la MECSS est une structure paritaire qui s'exonère des problèmes d'alternance. Nous ne lâcherons pas les sujets sur lesquels nous avons pour mission de préconiser des améliorations.

*

Audition de M. Patrick Kanner, président de l'Union nationale des centres communaux d'action sociale (UNCCAS), accompagné de Mmes Béatrice Longueville, déléguée générale adjointe et Karen Soyer, conseillère technique.

M. Pierre Morange, coprésident : Mesdames, Monsieur, je vous souhaite la bienvenue et je donne sans plus tarder la parole à notre rapporteure.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Pouvez-vous nous présenter votre action et nous indiquer de quels moyens d'information dispose l'UNCCAS en matière d'action sociale ? Quelles améliorations vous paraît-il souhaitable d'apporter au système d'information sur l'action sociale ? Comment s'effectue le partage des informations entre les différents acteurs de cette action ? Enfin, comment faut-il faire évoluer l'offre d'action sociale des collectivités territoriales ?

M. Patrick Kanner : Je vous remercie d'avoir convié l'Union nationale des centres communaux d'action sociale à votre réflexion collective. Je préside l'UNCCAS depuis 1996 et je suis aussi adjoint au maire de Lille et premier vice-président du conseil général du Nord. Au sein de notre petite équipe d'une vingtaine de permanents, Mme Béatrice Longueville est déléguée générale adjointe ; elle est plus particulièrement en charge du pôle technique et spécialisée dans les questions de lutte contre les exclusions. Mme Karen Soyer est quant à elle chargée, en tant que conseillère technique, de tout ce qui touche aux personnes âgées, aux personnes handicapées, à la jeunesse et à l'enfance.

L'UNCCAS est une confédération, ce qui signifie que nous n'avons pas d'autorité hiérarchique sur les centres communaux d'action sociale, qui sont des établissements publics administratifs présidés par le maire et totalement souverains, mais que nous sommes un lieu de coordination et de pilotage de leur action. Nous regroupons 3 370 centres, qui représentent près de 40 millions de citoyens, un certain nombre de petites communes ne disposant pas de structure identifiée en tant que telle, même si la loi leur en fait obligation. Nous exerçons également une activité de consultants auprès de nos adhérents et nous sommes reconnus en tant qu'organisme de formation des élus en matière d'action sociale.

Le CCAS est un des plus vieux outils de démocratie participative en ce que, depuis deux siècles, des non élus y sont associés à la décision publique au même titre que les élus. Ainsi, des représentants des personnes handicapées, des acteurs de l'insertion, des associations familiales, des personnes âgées siègent de manière paritaire dans les conseils d'administration des CCAS où ils ont les mêmes droits que les élus qui représentent les communes et les intercommunalités.

Les CCAS participent à l'instruction des dossiers de l'aide sociale légale, mais ce qui fait leur originalité c'est l'aide sociale facultative, c'est-à-dire tout ce qui relève de la politique volontariste des collectivités territoriales, qu'il s'agisse des communes ou des intercommunalités. La loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale autorise la gestion par les CCAS d'établissements à caractère social ou médico-social.

Par ailleurs, les dispositions de l'article 1er du décret du 6 mai 1995 relatifs aux CCAS, désormais codifiées à l'article R. 123-1 du code de l'action sociale et des familles, font obligation à ces derniers de produire tous les ans devant le conseil municipal une analyse des besoins sociaux (ABS) de la commune. Cette action est encore embryonnaire, mais nous avons créé un modèle qui peut servir de base à un diagnostic territorial partagé, ce qui devrait, me semble-t-il, intéresser votre mission. Les textes nous donnent aussi la mission de créer des structures de coordination et de concertation au plan local.

Aujourd'hui, les CCAS membres de notre union gèrent 110 000 places de foyers logements, représentent 20 % de l'aide à domicile des services prestataires et délivrent 20 millions de repas en restauration collective et 24 millions en restauration à domicile. On mesure ainsi à quel point, depuis deux siècles, les CCAS font partie du paysage social français. De Napoléon à aujourd'hui, cet outil des politiques sociales est sans doute celui qui a le mieux résisté à toutes les tempêtes, qu'elles aient été centralisatrices ou décentralisatrices. Le simple fait que nous demeurions dans le paysage social depuis deux siècles montre peut-être la pertinence de la réponse de proximité que nous portons.

Pour en venir à votre question sur les moyens d'information de l'UNCCAS, je dirais qu'il existe de nombreux outils : la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), que vous venez de recevoir, en maîtrise plusieurs. Il existe aussi toute une série d'observatoires, nationaux et départementaux, tel celui sur la précarité et la pauvreté qui a été créé par la loi contre les exclusions. Notre réflexion est également alimentée par de nombreux rapports du secteur associatif, par ceux de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), et par l'Observatoire de l'action sociale décentralisée (ODAS) pour les départements qui y adhèrent. Enfin, nous disposons désormais de l'ABS dont je viens de parler.

Je crois qu'il faut donner de la cohérence à la réponse institutionnelle. Pour nous, le chef de file en matière d'action sociale est aujourd'hui le département et c'est peut-être à ce niveau qu'il faudrait créer un observatoire de recherche et développement afin de favoriser une bonne remontée des information au niveau national. Nous serions pour notre part très favorables à ce que les ABS des communes soient destinées à un tel observatoire.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : C'est ce que j'avais proposé en vain par un amendement à la loi de décentralisation de 2004.

M. Patrick Kanner : C'est ce que nous pratiquons dans le Nord, au sein d'une sorte de conseil du développement qui réunit les acteurs fournissant les informations. Car il faut aussi qu'il y ait un retour et on a donc besoin, au-delà d'un service en régie du département, d'un véritable outil de gestion partagée, d'une sorte de parlement de la politique sociale départementale.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Vous avez ainsi répondu à la question que je m'apprêtais à vous poser sur la façon dont l'ABS pouvait être prise en compte dans les départements.

M. Patrick Kanner : S'il est très utile de procéder à une analyse, il faut aussi savoir si certaines collectivités sont capables de restaurer l'équité territoriale.

M. Pierre Morange, coprésident : Je pense que vous, qui êtes au plus près du terrain, mesurez tout particulièrement l'importance de la coordination et du transfert de l'information, mais aussi de son appropriation collective, qui suppose l'utilisation d'un langage commun. L'UNCCAS a-t-elle déjà entrepris des travaux en ce sens, qui pourraient aboutir rapidement ?

M. Patrick Kanner : C'est une question délicate. Je dirai, de façon un peu provocatrice, qu'il faut que vous donniez l'exemple... Si vous voulez que les acteurs locaux parviennent à élaborer des diagnostics communs pour offrir des réponses publiques plus pertinentes et moins onéreuses, il faut au moins leur laisser le temps de digérer tout le travail accompli par le législateur. Pour être efficaces, nous avons besoin de visibilité, mais aussi de temps pour mener à bien les modifications considérables imposées par les nouveaux textes. J'observe que le fait que la totalité des décrets d'application de la loi de 1988 sur le RMI ne soient pas encore parus ne nous aide guère. Les changements de gouvernement n'améliorent pas non plus vraiment la visibilité.

M. Pierre Morange, coprésident : Un des intérêts de la MECSS est précisément qu'elle travaille dans la continuité, dans un esprit de consensus, sans se préoccuper des alternances politiques.

M. Patrick Kanner : J'hésite entre la subsidiarité, qui permet aux acteurs locaux de prendre un minimum d'initiatives tenant compte de la réalité locale, et la mise en cohérence que vous appelez de vos vœux pour une plus grande visibilité.

Pour revenir à l'ABS, nous l'avons testée dans une quarantaine de communes et elle semble pouvoir être un outil à la fois de compréhension des besoins locaux et de préconisation. Bien évidemment, il ne s'agit pas de priver les élus de leur capacité à faire des choix politiques, mais de leur fournir une grille d'analyse commune, qui serait d'autant plus utile que les départements, jaloux de leurs nouvelles compétences, ont envie de bâtir leurs propres dispositifs. Et je vois bien, au sein de l'Assemblée des départements de France (ADF), que l'on est encore loin de parvenir à une coordination. Pour notre part, nous essayons de partager les informations avec l'ADF.

M. Pierre Morange, coprésident : N'existe-t-il pas de plate-forme permettant de faire le lien avec d'autres acteurs ?

Mme Béatrice Longueville : La méthode de l'ABS relève précisément du souci de parvenir à un langage commun et vise notamment à aboutir à une démarche participative des CCAS, du conseil général, de la caisse d'allocations familiales (CAF), de la caisse régionale d'assurance maladie (CRAM), de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM), etc. Tous ces grands acteurs sont toujours invités à fournir des données et des conventions sont passées sur plusieurs années afin de s'assurer de la régularité des informations et surtout de faire en sorte que chacun s'implique dans les préconisations de terrain.

M. Pierre Morange, coprésident : Il s'agit donc bien d'une analyse des besoins sociaux mais pas d'une évaluation communes des critères de réponse à ces besoins. Peut-être conviendrait-il d'aller plus loin, non pas pour uniformiser les réponses mais pour élaborer un outil partagé afin de répondre au mieux aux besoins des assurés et aux situations des populations en grande difficulté.

M. Patrick Kanner : L'ABS est un outil d'aide à la décision des élus, mais il ne peut pas y avoir de réponse uniforme et ces derniers conservent la décision finale. Lorsque nous avons remis l'analyse des besoins sociaux au maire de Libourne, nous nous sommes arrêtés au moment précis où lui-même a considéré qu'il disposait désormais des éléments lui permettant d'orienter sa politique de telle ou telle manière. Par la suite, il appartient aux citoyens d'apprécier si la réponse politique apportée à la suite du diagnostic est conforme à leurs intérêts.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Notre mission devra donc probablement proposer que cette démarche soit portée par les départements.

Mme Béatrice Longueville : L'analyse des besoins sociaux peut être menée individuellement ou collectivement. Nous avons aussi inventé un outil qui permet à tous les CCAS d'un département de dialoguer directement avec le conseil général, afin de disposer d'une analyse sur l'ensemble du territoire départemental. Le département de la Gironde va s'engager prochainement dans un travail de ce type.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Même si cela ne relève pas des travaux de notre mission, j'aimerais savoir si, dans ce cadre, vous travaillez avec des agences d'urbanisme.

Mme Béatrice Longueville : Nous avons commencé.

M. Patrick Kanner : L'ABS peut être un outil transversal. Il est calibré en fonction de la demande politique des élus.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous découvrons aujourd'hui cet outil et il me semblerait utile que notre mission l'étudie de plus près, notamment afin de nous assurer qu'il s'agit bien d'un outil polyvalent.

M. Patrick Kanner : Il faut simplement que nous demandions aux communes concernées l'autorisation de vous transmettre toutes les données.

Par ailleurs, si nous prônons la création de centres intercommunaux d'action sociale, c'est parce que le territoire communal nous paraît aujourd'hui trop contraint pour mener une action politique de développement social qui aille au-delà de l'assistance. Aujourd'hui, près de 95 % des communes sont dans une intercommunalité. Nous avons obtenu de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, que la loi de cohésion sociale fasse de la compétence sociale une compétence optionnelle des intercommunalités et nous ressentons de plus en plus la volonté des maires de travailler en intercommunalité, y compris en matière sociale. Il s'agit pour nous d'une démarche très importante.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Compte tenu de la décentralisation de l'action sociale, l'action des caisses de sécurité sociale vous paraît-elle toujours légitime et pertinente dans ce domaine ?

À partir des observations que vous faites sur le terrain, quelle organisation devrait-on selon vous privilégier pour l'action sociale : la spécialisation par blocs de compétences, la segmentation, la mise en réseau, le partenariat, la coopération, l'unification du pilotage, la proximité ?

Enfin, pouvez-vous nous indiquer combien de guichets ou de points de contact avec les personnes s'occupent d'action sociale ? Dispose-t-on d'une cartographie des guichets sociaux ? Serait-il possible de simplifier le maillage territorial en instaurant un guichet ou point de contact unique ? Les CCAS pourraient-ils jouer ce rôle ?

M. Patrick Kanner : Les caisses de sécurité sociale sont un outil efficace pour gérer les prestations légales mais quelle est la légitimité de leur action sociale quand elle sert surtout à masquer la pénurie des moyens et quand les décisions sont prises ailleurs ? Aujourd'hui, les caisses n'apportent plus aucune valeur ajoutée, et elles n'ont aucune représentativité démocratique. Pour ma part, je préférerais que l'action sociale bénéficie d'enveloppes départementalisées et qu'elle soit portée par les collectivités territoriales. J'ajoute que ces dernières ont, elles, la légitimité démocratique. De plus, les caisses n'améliorent en rien la lisibilité pour l'usager : ce n'est pas vers elles qu'il se tourne mais vers le maire ou vers le conseiller général. Quand nous avons négocié avec la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) une rallonge de 918 000 heures d'aide ménagère pour les groupes iso-ressources (GIR) 5 et 6, nous avons constaté que les personnes âgées se tournaient vers nos centres ou vers les structures associatives, mais pas vers les caisses. La pertinence de l'action d'une collectivité se mesure d'abord à son efficacité sur le terrain et, je le répète, je n'ai pas le sentiment que l'action des caisses apporte une valeur ajoutée aux politiques sociales.

M. Pierre Morange, coprésident : Je rappelle que certains membres de notre mission avaient proposé d'améliorer la représentativité des caisses en prenant modèle sur la Mutualité sociale agricole (MSA), dont les représentants sont issus d'un processus électoral transparent.

Ne pensez-vous pas que, pour prendre en compte la réalité du terrain, il faudrait développer des synergies entre les différents opérateurs ? Ainsi, les CCAS pourraient s'appuyer sur les moyens des caisses des différentes branches du régime général, tandis que des plates-formes multiservices amélioreraient l'efficacité et la lisibilité du dispositif. Un tel système vous paraît-il de nature à mieux répondre aux besoins de nos concitoyens ?

M. Patrick Kanner : Cette proposition est intellectuellement séduisante, mais, avec ma connaissance du mode de fonctionnement des caisses locales de sécurité sociale, je vois mal comment une telle coordination pourrait être mise en œuvre dans le cadre de plates-formes multiservices, si ce n'est à titre expérimental et sur la base de volontés individuelles. Pour notre part, nous sommes prêts à de telles expérimentations.

M. Pierre Morange, coprésident : Si j'évoque ce sujet, c'est précisément parce qu'une expérience va être lancée dans le Sud-Ouest et l'Est de la France, autour de l'idée qu'une plate-forme multiservices pourraient aider à répondre aux problèmes liés à la désertification. Il ne paraît pas inintéressant de chercher à rapprocher les différents prestataires des citoyens et à simplifier les démarches de ces derniers.

Mme Béatrice Longueville : Les différents acteurs ne connaissent pas leurs périmètres d'intervention réciproques. Un des premiers devoirs du département est donc d'améliorer la lisibilité de l'ensemble, pour les actions qu'il finance comme pour les autres. Une cartographie paraît effectivement nécessaire, qui permettrait de constater les carences comme les superpositions, mais aussi de mettre les réponses en face des besoins. Cela suppose de travailler en bonne intelligence, en commençant sans doute par des expérimentations, telle celle qui a été menée à Libourne, même si en l'espèce on ne peut que regretter que la CRAM n'ait pas répondu à l'invitation qui lui avait été lancée.

M. Pierre Morange, coprésident : C'est tout à fait regrettable au regard des masses financières que les caisses représentent.

M. Patrick Kanner : Cela tient au fait qu'elles ont une approche très administrative et qu'elles considèrent leur public comme consommateur et non comme acteur des politiques qui le concernent. Elles n'ont pas la même culture de gestion de la cité que les élus.

Je reviens à la question de Mme la rapporteure sur les blocs de compétences. L'UNCCAS y a toujours été favorable car nous considérons qu'il faut bien que l'on sache qui fait quoi. Mais nous défendons aussi l'idée d'une subsidiarité conventionnelle : le département, qui est le chef de file, doit aussi savoir « faire faire », ce qui ne signifie pas qu'il renonce à une partie de son pouvoir mais qu'il repère les acteurs locaux les mieux placés pour appliquer une politique et pour apporter une valeur ajoutée aux citoyens. Ainsi, les centres locaux d'information et de coordination gérontologique (CLIC) sont souvent gérés par les CCAS, mais si cela semble plus efficace ils peuvent aussi l'être par des hôpitaux ou par des associations.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : À ma connaissance, seule l'Ille-et-Vilaine a utilisé la possibilité de délégation ouverte par la loi de 1986. Pierre Méhaignerie en a vanté l'utilité, mais comment la mettre davantage en valeur ?

M. Patrick Kanner : Dans mon travail avec l'ADF, je vois bien que les départements sont actuellement en train de digérer leurs nouvelles compétences, qui sont très lourdes pour eux techniquement, humainement et financièrement. Avant de les déléguer, il faut déjà qu'ils les assument. Le contexte actuel ne me semble donc pas favorable à la délégation. Sans doute faudra-t-il attendre deux ou trois ans avant de pouvoir négocier des conventions expérimentales.

Il est vrai que certains font déjà de la délégation sans le savoir, par exemple en confiant la gestion du RMI aux CCAS, mais sans forcément s'inscrire dans le cadre strict prévu par la loi.

Je dirai donc, en ce qui concerne les blocs de compétences, que pour l'instant nous ne demandons rien, si ce n'est davantage d'efficacité sur le terrain et une évaluation systématique en cours d'action. Nous sommes par ailleurs opposés à l'idée d'une segmentation des publics.

S'agissant des guichets uniques, qui sont un peu la tarte à la crème de l'action sociale, nous pensons que si l'on arrêtait de sédimenter les institutions, les guichets existants seraient plus performants. Le guichet unique n'a de sens que si le service à la personne s'en trouve nettement amélioré et certaines questions très techniques nécessitent des guichets spécialisés.

M. Pierre Morange, coprésident : Quand on parle de guichet unique, on imagine un bureau où une seule personne pourrait apporter des réponses dans des domaines très variés. C'est absurde au regard de la complexité de ces sujets. En revanche, l'idée est beaucoup plus séduisante s'il s'agit d'aller vers des plates-formes multiservices, qui réuniraient dans un même espace l'ensemble des experts des questions de protection sociale.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Ce temps de « digestion » de leurs nouvelles compétences par les départements freine sans doute quelque peu la réflexion sur les évolutions nécessaires. Dans ces conditions, l'ancienneté et l'implantation des CCAS ne leur confèrent-elles pas un rôle d'autant plus important que les départements se montrent moins novateurs et que les textes les plus récents imposent de nouvelles coordinations ?

M. Patrick Kanner : Les départements peuvent encore être novateurs à condition d'y être incités. C'est pour cela que nous avons créé, au sein de l'UNCCAS, des unions départementales qui couvrent aujourd'hui une quarantaine de départements et qui sont présidées par des élus. Mais pour que le rôle de ces unions soit reconnu, il faut que les conseils généraux acceptent de les considérer non pas comme de simples outils d'application de sa politique mais comme de véritables interlocuteurs, dont l'expertise locale peut servir aux départements.

Le département du Nord a compris qu'il ne pouvait pas mettre en œuvre ces politiques sans un support territorial fin et il a passé avec l'union départementale des CCAS une convention d'objectifs qui prévoit aussi la mise à disposition de moyens humains.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Je crois que notre mission doit vraiment chercher les moyens de mettre en place un dispositif pérenne permettant de faire le lien entre les questions sanitaires et sociales. Au sein de la mission d'information sur les urgences médicales, nous voyons bien qu'un travail en commun des acteurs du champ sanitaire et du champ social permettrait d'éviter que des personnes ne reviennent à l'hôpital parce que leur sortie a été mal maîtrisée. De telles synergies commencent-elles à être développées, y compris dans le cadre de l'analyse des besoins sociaux ?

Par ailleurs, dans la mesure où nous nous demandons sans cesse s'il faut faire porter nos efforts sur les prestations individuelles ou sur l'amélioration de l'organisation des services, il me semble qu'il serait intéressant de s'interroger sur l'augmentation de 30 à 40 % des charges pesant sur les collectivités locales qu'a entraînée l'adoption de la prestation de service unique (PSU) pour les jeunes enfants.

Mme Karen Soyer : Nous avons mené des enquêtes afin de mesurer l'impact sur les CCAS de cette évolution de la politique de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) que traduit la PSU. Nous partageons la volonté de la caisse d'ouvrir davantage de places d'accueil pour les familles. Mais il apparaît que ce nouveau dispositif nuit à la qualité de l'accueil des enfants car le fait de payer à l'heure plutôt qu'à la journée conduit les parents à laisser les enfants moins longtemps dans les structures.

M. Pierre Morange, coprésident : Je constate aussi, dans le village de Chambourcy dont je suis maire, que les nouveaux modes de vie familiale et les 35 heures allongent les périodes pendant lesquelles les parents retirent les enfants des structures d'accueil, ce qui peut entraîner des difficultés d'exploitation pour ces dernières, dans la mesure où le berceau reste bloqué pendant ce temps. Un rappel à l'ordre des chambres régionales des comptes semble toutefois inciter les communes à revenir à la limite antérieure de huit semaines d'absence par an.

Mme Béatrice Longueville : En ce qui concerne les sorties d'hospitalisation, il est vrai que les relations partenariales locales jouent beaucoup. Or nous constatons l'absence d'un langage commun entre le secteur social et le secteur sanitaire. Nous avons du mal à intéresser ce dernier à l'analyse des besoins sociaux.

Nous vous transmettrons des informations sur l'expérience menée en la matière à Parthenay.

M. Patrick Kanner : L'UNCCAS à créé une banque des expérimentations locales : on trouve sur notre site Internet environ 150 exemples de réponses très originales dans le paysage social français.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous indique, à propos du partage de l'information, que j'ai fait adopter un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 permettant la création d'un fichier informatique commun à l'ensemble des branches du régime général, auquel les CCAS auront accès.

M. Patrick Kanner : Très bien !

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Je vous remercie d'avoir participé à cette réunion et je propose que vous répondiez par écrit aux questions que notre rapporteure avait préparées et qu'elle n'a pu vous poser, faute de temps.

*

Audition de M. Yves Humez, directeur général de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA), accompagné de M. Gérard Soumet, directeur de l'action sanitaire et sociale et des services à la personne.

M. Pierre Morange, coprésident : Messieurs, je vous souhaite la bienvenue et je donne la parole à notre rapporteure.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : J'aimerais tout d'abord que vous nous rappeliez quelles sont les spécificités de l'action sociale de la MSA, en termes d'organisation, de prestations et de bénéficiaires ?

Au vu des documents que vous nous avez adressés, il me semblerait également utile que vous nous en disiez un peu plus sur l'animation en milieu rural, sur le réseau partenarial et sur ce que vous appelez les « territoires de vie », qui nous intéressent particulièrement car nous essayons de repérer les expériences favorables aux usagers.

M. Yves Humez : Je commencerai par rappeler les caractéristiques du fonctionnement du régime agricole, qui ont des effets sur la façon dont nous abordons l'action sanitaire et sociale.

Notre première particularité est que nous formons un guichet unique, qui rassemble dans une même caisse l'ensemble des branches de la sécurité sociale.

Nous fonctionnons également comme une institution mutualiste, des élections permettant de désigner non seulement nos administrateurs, mais aussi nos 27 000 délégués cantonaux, grâce auxquels nous disposons sur le terrain d'un maillage efficace et d'une bonne connaissance de la situation et des problèmes des personnes.

Nous sommes aussi depuis très longtemps organisés de façon décentralisée : même si nous nous efforçons de donner un peu de cohérence à la politique menée, l'action sanitaire et sociale est largement confiée aux conseils d'administration des caisses départementales.

M. Pierre Morange, coprésident : Vous prêchez ici des convaincus de l'excellence de votre démarche de démocratie représentative, que nous préconisons pour l'ensemble du système.

M. Yves Humez : Le régime agricole concerne 4,4 millions de personnes. Marqué par une démographie vieillissante, il a rencontré avant les autres les problématiques du grand âge et de la gérontologie.

Si nous nous sommes particulièrement intéressés à l'animation des territoires, c'est parce que nous avons été naturellement amenés, afin de répondre aux besoins des populations agricoles, à rechercher des solutions destinées à s'appliquer non pas uniquement à ces populations mais à l'ensemble d'un territoire. On peut évoquer à ce propos les réseaux gérontologiques et les MARPA (maisons d'accueil rural des personnes âgées). Nous avons aussi été à l'origine de la création du mouvement des Aînés ruraux, aujourd'hui constitué en fédération autonome, qui nous apporte un soutien important dans la diffusion des informations.

M. Gérard Soumet : Vous nous avez également interrogés sur les partenariats. Qu'elle soit médicale ou sociale, notre action est centrée sur les problématiques de vie d'une population dispersée en milieu rural. Dès les années 1980, confrontés aux difficultés que l'on peut rencontrer pour accéder aux soins et aux services en fonction de l'endroit où l'on vit, nous avons voulu contribuer au développement des territoires de vie. Notre population devenant progressivement minoritaire, y compris dans les zones rurales, le partenariat avec les collectivités locales comme avec le milieu associatif nous est apparu comme une évidence : c'est seulement ainsi que des solutions locales peuvent profiter à l'ensemble de la population tout en étant économiquement viables.

Depuis les années 1970, notre action sociale ne s'exerce plus uniquement sous la forme de distribution de prestations, mais aussi par l'action de notre très important effectif de 1 500 travailleurs sociaux, qui ont pour mission d'aller à la rencontre des partenaires afin de rendre ce milieu de vie plus accueillant et pour permettre que tous ceux qui y vivent, notamment nos ressortissants, y trouvent des réponses adaptées à leurs besoins.

Le document que je vous ai adressé traite surtout de l'action sociale, mais la problématique est la même pour l'action médicale, confrontée aux difficultés d'accès aux soins et au remplacement des professionnels libéraux en fin de carrière. Pour nous, le médecin est le partenaire du travailleur social : ils travaillent ensemble dans les mêmes caisses, ils font face aux mêmes difficultés, ils peuvent donc monter ensemble des partenariats porteurs d'actions.

Depuis une vingtaine d'années, la caisse centrale s'efforce de travailler avec le réseau sur ces approches territoriales et partenariales. La MSA se veut aussi partenaire des politiques publiques, afin de favoriser les synergies et d'éviter les doublons.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Il est très intéressant de montrer concrètement, dans le cadre du fonctionnement de la Mutualité sociale agricole, comment le fait que les quatre régimes soient gérés ensemble est de nature à construire, y compris par le biais de l'action sociale, des réponses pertinentes et efficaces, du point de vue des finances publiques comme de l'usager. Pourriez-vous nous donner des exemples précis ?

M. Yves Humez : Les démarches préventives sont toujours les meilleures : chaque fois que l'on peut identifier une difficulté en amont, on parvient à y répondre de façon plus efficace et moins coûteuse.

Ainsi, dans le cadre de la gestion du service public de la protection sociale des agriculteurs et des salariés agricoles, nous nous sommes engagés dans un plan de lutte contre la précarité, qui vise à déceler tout indice donnant à penser qu'une personne est ou va être en situation de précarité. Dès lors que nous nous apercevons qu'elle ne paye pas ses cotisations ou qu'un problème est identifié en matière d'assurance familiale ou sociale ou de prestations de santé, grâce à notre système d'alerte, nous pouvons intervenir le plus en amont possible.

M. Pierre Morange, coprésident : Ce dispositif paraît pouvoir être rapproché de l'outil d'analyse des besoins sociaux (ABS) dont viennent de nous parler les représentants de l'UNCCAS. Sans doute auriez-vous intérêt à vous rapprocher les uns des autres afin de comparer non seulement la philosophie de vos deux systèmes, mais aussi leurs modalités concrètes pour en tirer un enrichissement mutuel. De façon générale, nous accordons une grande importance au transfert d'informations, qui ne peut reposer que sur des langages communs.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Il y a une différence entre les deux approches : la loi a prévu l'analyse des besoins sociaux sur l'ensemble d'un territoire, tandis que ce dont M. Humez vient de parler concerne surtout un individu, en l'occurrence la personne assurée à la MSA. Cela étant, il serait intéressant que cette dernière travaille avec l'UNCCAS.

M. Yves Humez : Notre démarche est partie du constat que même avec un guichet unique, il faut encore faire des efforts pour que l'information circule bien. L'idée est donc de faire en sorte d'organiser le recoupement de toutes les informations sur une situation personnelle, qui sont autant d'indicateurs.

M. Pierre Morange, coprésident : Vos guichets uniques rassemblent des compétences : on n'est donc pas très loin d'une plate-forme multiservices... Peut-être aurait-on intérêt à insister sur cet aspect pour montrer que le guichet unique, tel qu'il est conçu dans le cadre de la MSA peut être favorable à l'usager, alors qu'il est souvent perçu comme un simple outil de gestion ou de fusion des branches.

M. Yves Humez : L'intérêt est également de créer une base de données unique comportant toutes les informations générales relatives à une personne.

M. Pierre Morange, coprésident : Voilà qui rejoint l'amendement que j'ai fait adopter sur les fichiers informatiques communs. Je m'étonne d'ailleurs que la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) s'en soit émue, alors qu'elle en avait validé le principe dès 1989.

M. Yves Humez : Nous cherchons sans cesse à adapter notre organisation afin de combiner une approche globale et le professionnalisme des agents dans l'exercice compliqué de la gestion des branches.

Nous comptons 18 000 salariés et nous nous inscrivons dans une logique de restructuration qui nous amène à passer progressivement de 78 à 35 caisses. Dans le même temps, nous essayons de conserver la dimension de proximité, grâce à des antennes locales et à une organisation qui recherche un équilibre entre l'efficacité et la prise en compte des besoins.

M. Gérard Soumet : Vous avez souhaité des exemples, il y en a d'autres. Ainsi, en nous inspirant du plan de lutte contre la précarité, nous déployons désormais un plan « bien vivre après 50 ans ». Construit autour de la thématique du vieillissement, il vise en premier lieu à accompagner jusqu'au moment où ils prendront leur retraite ceux qui sont en train de passer vers la catégorie des seniors. Il nous permet ensuite de nous occuper des jeunes retraités, en mettant l'accent sur le lien social et sur l'idée de trouver leur place dans la société. Ce plan couvre enfin la prévention de la perte d'autonomie. Ce qui est intéressant, c'est qu'il réunit toutes les compétences d'une caisse de MSA : médecin de prévention, travailleur social, médecin du travail. Nous parvenons ainsi non seulement à créer une synergie autour de la connaissance des problèmes, mais aussi à mettre ensemble ces différents professionnels, qui ont chacun leur spécificité, afin qu'ils réfléchissent à des solutions permettant d'offrir à cette population une offre de services globale.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Avez-vous également des exemples d'un travail de coordination efficace autour du handicap ? J'aimerais aussi que vous nous en disiez un peu plus sur les réseaux gérontologiques. Pour traiter ces questions, vous arrive-t-il de passer des conventions avec d'autres caisses, avec des conseils généraux et avec des CCAS ? Ce qui nous intéresse, c'est de voir comment vous associez d'autres partenaires à votre démarche.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : S'agissant du handicap, vous menez actuellement un travail en faveur de l'accueil temporaire, afin d'ouvrir ce que vous appelez le « droit au répit ». Cette expérience nous paraît intéressante car elle répond aux attentes qui se sont exprimées lors de l'examen de la loi de 2005. Comment liez-vous cela à l'installation de la maison départementale des personnes handicapées ?

M. Gérard Soumet : En ce qui concerne les personnes handicapées, nous avons proposé aux caisses de la MSA, vers le milieu des années 1980, un programme d'action fondé sur la collaboration entre les médecins de la caisse et les travailleurs sociaux, afin d'aider ceux qui deviennent handicapés à la suite d'un accident de santé à conserver leur emploi, et de faciliter l'insertion des personnes handicapées dans l'emploi. Le protocole de collaboration que nous avons élaboré évite qu'au sein d'une caisse, le médecin conseil et le médecin du travail ne rendent des avis contradictoires.

Depuis deux ou trois ans, nous travaillons également sur l'aide aux aidants et sur le répit. Parce que nous n'avons pas pour habitude de considérer que la caisse centrale est omnisciente, nous avons lancé des appels à projet pour que les caisses nous fassent savoir comment elles pensaient possible d'aborder cette question, afin non seulement que nous soutenions leurs projets, mais aussi que nous essayions d'en tirer les éléments d'une politique globale que nous pourrions proposer à l'ensemble du réseau.

Si chacun mesure tout l'intérêt de l'accueil de jour et de l'accueil temporaire, la difficulté est de dégager un modèle économique et fonctionnel. De ce point de vue, l'expérimentation actuellement conduite dans l'Allier paraît intéressante. Elle est née de l'initiative du maire d'une commune rurale, qui, confronté en particulier au problème du vieillissement des parents, a eu l'idée de créer une structure d'hébergement temporaire pour les personnes handicapées qui vivent dans leurs familles. En discutant avec les partenaires locaux, nous sommes parvenus à un projet qui devrait permettre de contourner l'obstacle habituel de ce type d'hébergement : sa viabilité économique. En liaison avec le conseil général, nous envisageons une organisation départementale, à la fois pour accueillir les demandes et pour gérer les placements temporaires dans différentes structures, qui bénéficieront ainsi d'un véritable plan de charge. Nous espérons pouvoir tirer de cette expérience des enseignements utiles pour tout le monde.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Nous aimerions suivre cette expérience car nous sommes bien conscients que les difficultés tiennent à la gestion économique de tels dispositifs.

M. Gérard Soumet : Dès l'adoption de la loi du 20 juillet 2001 qui a créé l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), nous avons demandé à l'ensemble des caisses de la MSA d'aider les conseils généraux à mettre en place le dispositif. Cela nous semblait d'autant plus important que nous comptons un nombre important de personnes âgées de 75 à 80 ans, âge charnière de la perte d'autonomie. Aujourd'hui, 60 départements sont couverts par un partenariat avec le conseil général. Dans 36 d'entre eux, une convention prévoit la participation des travailleurs sociaux de la MSA aux équipes médico-sociales départementales.

M. Pierre Morange, coprésident : Pouvez-vous nous donner quelques précisions sur les incidences, en termes de ressources humaines, de la diminution du nombre des caisses ?

M. Yves Humez : En même temps que nous avons réduit le nombre des caisses, nous avons mené une politique globale de gestion des effectifs, en tenant compte à la fois des gains de productivité et des départs en retraite. Nous travaillons actuellement sur la base du non renouvellement d'un départ sur deux, même si rien ne dit que le nombre de départs est un indicateur pertinent. Nous élaborons des référentiels afin que les caisses puissent tendre vers un effectif bien adapté à leur situation.

Dans la convention d'objectifs et de gestion qui vient de s'engager, il est prévu de réduire les effectifs de 1 400 emplois. Au cours de la période récente, même si l'application des 35 heures a quelque peu perturbé la réduction des emplois, le nombre des heures travaillées a effectivement diminué.

Nous essayons de protéger un certain nombre d'emplois, notamment les emplois médico-sociaux, ce qui nous conduira sans doute à réduire un peu plus le nombre des emplois administratifs.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Je souhaite revenir sur les réseaux gérontologiques, qui me paraissent au cœur du travail de notre mission sur l'action sanitaire et médico-sociale. En effet, l'étude que vous avez menée sur l'impact de ces réseaux en termes de dépenses de santé, montrait une économie de près de 230 euros par mois par rapport à une personne n'ayant pas intégré un tel réseau.

M. Yves Humez : L'idée du réseau gérontologique est très simple : il s'agit d'organiser la coordination de l'ensemble des interventions autour de la personne âgée dépendante. Je vous ferai parvenir les résultats des évaluations que nous avons menées à deux reprises dans les 19 sites qui ont fonctionné de la sorte. Ils montrent une grande satisfaction de la part des personnes concernées et de leurs familles, mais aussi du médecin coordonnateur et des équipes qui l'entourent. Nous avons aussi conduit une étude économique, en comparant le coût de la prise en charge de ces personnes à celui d'un groupe témoin, et nous nous sommes aperçus que les résultats étaient également bons de ce point de vue, notamment en ce qui concerne les dépenses d'hospitalisation.

Comme souvent, nous sommes désormais confrontés à des difficultés pour passer de l'expérimentation à la taille « industrielle ». Nous avons demandé à l'ensemble des caisses de voir si elles remplissent les conditions nécessaires pour s'inscrire dans ce dispositif.

M. Pierre Morange, coprésident : Ce sont souvent les cloisonnements du système qui empêchent de passer du stade artisanal au stade industriel.

M. Yves Humez : La crainte est en général que cela n'entraîne des coûts supplémentaires. Or, nous avons toujours fait très attention à cela.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Il existe dans une circonscription voisine de la mienne, à Baume-les-Dames, un réseau de ce type, dont le succès est tel qu'il attire des habitants de la banlieue de Besançon, qui savent qu'ils bénéficieront ainsi de l'ensemble du suivi. J'ai pu constater l'importance à la fois de la participation de l'hôpital local, de l'association des professionnels de santé et du lien avec centre local d'information et de coordination gérontologique (CLIC).

M. Gérard Soumet : En nous appuyant sur l'expérience que nous avons acquise avec les réseaux gérontologiques, nous menons actuellement une expérimentation de même type pour la maladie d'Alzheimer. L'objectif est de parvenir, sur un territoire rural, en partenariat avec l'hôpital, les médecins et le secteur médico-social, à aller du repérage à l'accompagnement des personnes au fur et à mesure de l'avancement de leur maladie, en proposant également un volet important d'appui à la famille. Le deuxième site de ce type vient précisément d'ouvrir à Baume-les-Dames.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Notre mission pourrait peut-être se rendre sur place et constater ainsi que l'on peut faire en sorte à la fois de réaliser des économies et de satisfaire chacun.

M. Gérard Soumet : Nous menons également depuis trois ou quatre ans une expérience dans le domaine de la petite enfance, dans le cadre d'une politique de partenariat avec les caisses d'allocations familiales et avec les communes rurales, afin de développer une offre d'accueil adaptée aux caractéristiques du milieu rural, par exemple en préférant une halte garderie itinérante à une crèche.

Nous avons aussi lancé un plan d'action sociale familiale, qui est un succès puisqu'une cinquantaine de départements se sont impliqués autour de la question de la parentalité et du développement psychomoteur de l'enfant.

Ce qui est sans doute caractéristique de notre manière de procéder en guichet unique, c'est que notre approche familiale comporte un volet santé et que nous ne traitons pas uniquement des questions sociales. Dans ce cadre, nous développons, en lien avec le programme national nutrition santé, un plan en direction des familles. Nous sommes aussi très attentifs à toutes les questions de solidarité familiale autour de la personne âgée.

M. Yves Humez : On peut également citer nos neuf maisons de santé pluridisciplinaires. À partir du constat que, dans certaines zones désertifiées, il est difficile de renouveler la population de médecins traitants, nous cherchons à faire cohabiter médecins et professionnels de santé au sein d'une structure assez intéressante pour inciter les professionnels de santé à s'installer dans des endroits aujourd'hui délaissés.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie pour toutes les informations que vous nous avez apportées et je vous invite à nous faire parvenir toutes les idées qui pourraient encore compléter l'échange que nous venons d'avoir.

AUDITIONS DU 7 DÉCEMBRE 2006

Audition de M. François Scellier, secrétaire général adjoint de l'Association des départements de France (ADF), président du conseil général du Val-d'Oise, accompagné de Mme Marylène Jouvien, chargée des relations avec le Parlement de l'ADF.

M. Pierre Morange, coprésident : Madame, monsieur, nous sommes heureux de vous accueillir et vous prions d'adresser à M. Michel Berson, secrétaire général de l'ADF, qui n'a pu venir, nos vœux de prompt rétablissement.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Je vous demanderai, tout d'abord, quel bilan vous êtes en mesure de dresser, au sein de l'ADF, de l'action sociale des départements, ainsi que de la décentralisation qui a eu lieu dans ce domaine. Le département est-il, pour vous, le bon niveau de coordination et de pilotage de l'action sociale ? Et comment voyez-vous le développement de la coopération intercommunale en matière d'action sociale ?

M. François Scellier : Je vais m'efforcer de vous apporter un point de vue général, dans lequel la situation de mon département - dont je dirai néanmoins quelques mots tout à l'heure - n'interfère pas trop.

Les départements, en général, considèrent l'action sociale comme étant leur compétence principale. Nous l'avons collectivement revendiquée, et nous en supportons largement les charges, ce qui nous entraîne parfois, d'ailleurs, à regretter de nous être montrés si généreux. Nous ressentons toutefois une difficulté croissante à distinguer ce qui relève de l'action sociale proprement dite et ce qui relève du secteur de la santé, notamment pour ce qui concerne les personnes âgées, compte tenu de l'émergence des maladies du type Alzheimer. Il s'ensuit que la frontière n'est pas simple à tracer entre les différentes structures d'accueil.

Nos charges liées à l'action sociale sont en forte progression. Globalement, et sans compter le département de Paris, elles se sont élevées à 24,8 milliards d'euros en 2005, soit 5,8 % de plus que l'année précédente, la progression étant de 6,4 % pour l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), de 6,3 % pour la prestation de compensation du handicap (PCH), de 5,4 % pour le revenu minimum d'insertion (RMI) et de 5,7 % pour les prestations dans le domaine de la famille et de l'enfance.

Cette évolution pose à certains départements une question fondamentale quant à leur action. Je suis de ceux qui considèrent que l'action sociale est certes notre compétence numéro un, mais que nous avons aussi un rôle très important à jouer en matière d'aménagement du territoire, y compris à la limite ou en dehors de nos compétences proprement dites, et que si la totalité de nos moyens financiers devait être absorbée par nos politiques d'action sociale, la justification du département en tant qu'institution serait inévitablement remise en cause.

M. Pierre Morange, coprésident : Les 24,8 milliards d'euros dont vous parlez correspondent-ils à la totalité des dépenses d'action sociale des départements, ou à la seule part de ces dépenses couverte par leurs ressources propres, c'est-à-dire sans compter ce qu'ils reçoivent de l'État ou d'autres instances ?

M. François Scellier : Il s'agit de l'ensemble des dépenses d'action sociale, indépendamment des ressources par lesquelles elles sont couvertes.

M. Pierre Morange, coprésident : Savez-vous quelle est la part respective, au sein de ces 24,8 milliards, des ressources propres et des autres ressources venues d'ailleurs ?

M. François Scellier : Il faudrait surtout distinguer, et je réponds par là à la question de Mme la Rapporteure sur le bilan de la décentralisation, ce qui relève de la décentralisation proprement dite et ce qui relève plutôt d'une sorte de déconcentration de l'action sociale.

L'État nous a transféré de vraies compétences, comme celle des collèges, qui nous coûte davantage qu'elle ne coûtait à l'État auparavant, mais avec de bien meilleurs résultats. Mes collègues vous diront que les dotations transférées ne couvrent pas ces nouvelles charges à l'euro près, et c'est vrai : j'ai ainsi ouvert trois collèges cette année dans mon département, et créé trente postes de techniciens et ouvriers de service (TOS), dont l'État ne couvre pas le coût, mais c'est un choix que j'ai fait, alors que j'aurais pu tasser tous les collégiens dans un plus petit nombre de collèges.

Mais, autant je trouve légitime que le département, s'il décide de donner plus d'ampleur à telle ou telle compétence qui lui est transférée, le fasse sur son argent propre, autant je considère que, si l'État fixe lui-même les conditions d'attribution de telle ou telle prestation, comme l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) par exemple, il devrait faire évoluer les transferts financiers en conséquence. C'est en effet un point qui entraîne un certain nombre de conflits, car même ceux qui, comme moi, considèrent que l'État joue honnêtement le jeu, pensent aussi qu'il devrait faire évoluer les transferts différemment lorsqu'ils sont liés à des décisions qui relèvent de lui.

M. Pierre Morange, coprésident : Je voudrais avoir votre sentiment sur la multiplicité des acteurs impliqués dans le sanitaire et le médico-social, problème que nous n'avons cessé de rencontrer depuis les tout débuts de la MECSS. Considérez-vous que vous avez une bonne connaissance de l'ensemble des actions menées par tous vos partenaires - branches du régime général, services de l'État, acteurs de proximité ?

M. François Scellier : Il y aurait beaucoup de travail à faire pour avoir une parfaite connaissance des interactions entre tous ces intervenants. Je vous remettrai le dossier en deux parties que j'avais préparé : la première résulte d'un travail conduit par l'ADF, la seconde de celui effectué par le département du Val-d'Oise.

Pour ce qui est de la coordination, nous conventionnons certaines actions avec des centres communaux d'action sociale (CCAS) ou des intercommunalités, par exemple dans le domaine du RMI.

M. Pierre Morange, coprésident : Quel est le pourcentage de ces conventions par rapport à l'ensemble de la masse financière ? Et par rapport au nombre de CCAS ?

M. François Scellier : Je ne peux pas vous répondre avec précision sur le moment, mais l'attitude de la plupart des communes est très positive, et nous signons de nouvelles conventions tous les jours. Dans le Val-d'Oise, la coopération progresse dans tous les secteurs - petite enfance, personnes âgées, insertion, à l'exception peut-être du handicap - et c'est une bonne chose. Les difficultés sont surtout le fait des zones rurales, où les communes, sont trop petites et ont des ressources insuffisantes, même en se regroupant. On dit que le département est le bon niveau dans le champ du social ; c'est vrai, mais à condition qu'il y ait une bonne coopération avec les communes et les intercommunalités.

M. Pierre Morange, coprésident : Vous trouvez donc que la coordination est globalement satisfaisante ?

M. François Scellier : Tout à fait.

M. Pierre Morange, coprésident : Et avec les branches du régime général ?

M. François Scellier : C'est autre chose... Dans le Val-d'Oise, notre problème principal à cet égard a trait aux personnes âgées dépendantes. Nous avons un schéma départemental d'accueil, très fouillé, qui est le résultat d'une réflexion engagée il y a plusieurs années. Nous en sommes au troisième schéma, et nous avons maintenant une bonne perception des besoins pour les dix ans à venir. Nous examinons ensuite les demandes de création d'établissement, mais il y a un retard considérable dans le conventionnement avec la sécurité sociale, dont les financements n'arrivent donc pas, malgré les avis favorables du comité régional d'organisation sanitaire et social (CROSS). C'est ainsi que nous nous retrouvons coincés, car certains opérateurs nous forcent presque la main, en nous disant qu'ils sont prêts à ouvrir à telle date, et nous sommes obligés d'ouvrir dans des conditions qui ne sont pas conformes à la réglementation. C'est un problème dont je me suis entretenu avec le ministre en charge des personnes âgées, M. Philippe Bas.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Nous avons déjà entendu les mêmes observations émanant d'autres départements. Votre situation reflète-t-elle, à votre connaissance, la situation générale ? Peut-on envisager, dans ce cas, de confier à terme le pilotage de l'ensemble de la politique gériatrique aux départements ? Et si oui, selon quelles modalités ? L'ADF a-t-elle discuté de cette question ?

M. François Scellier : Mme Jouvien pourrait sans doute vous répondre mieux que moi, car je n'appartiens pas à la commission compétente de l'ADF. Mais la difficulté que j'évoquais est très généralement ressentie par mes collègues.

M. Pierre Morange, coprésident : Le constat semble assez unanime, en effet, quant à la mauvaise articulation avec les branches du régime général.

À la demande de la MECSS, l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) réalise actuellement une mission sur l'action sociale des collectivités locales, afin de voir qui fait quoi. L'ADF a-t-elle procédé à un recensement exhaustif de ce que font les départements ? Avez-vous fait une ventilation, à la fois géographique et par secteurs d'activité ?

Mme Marylène Jouvien : Cette étude est tout à fait opportune, car le contexte socio-économique est très variable d'un département à l'autre. Face à des besoins sociaux de plus en plus urgents, les départements doivent définir une nouvelle gouvernance de l'action sociale, et un état des lieux approfondi leur sera nécessaire pour cela.

M. Pierre Morange, coprésident : Dans le Val-d'Oise, par exemple, avez-vous une cartographie de l'action sociale sur l'ensemble du département ?

M. François Scellier : Nous avons également besoin d'une cartographie de la demande. Si, au niveau national, il est prévu de créer 5 000 places par an en maisons médicalisées sur l'ensemble du territoire, les départements seront plus ou moins revendicatifs selon qu'ils pensent que leurs besoins sont ou non pris en compte dans ce total. Je ne suis pas sûr que ce travail de recensement des besoins ait été fait, mais il faudrait le faire.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Avez-vous fait un plan pluriannuel de création de places ? Et avez-vous des réponses au niveau de l'État sur le financement ?

M. François Scellier : Les 5 000 places, c'est ce que prévoit l'État. Je crains que l'on n'ait pas remonté les besoins à partir des schémas départementaux, mais il faut le faire, sans quoi on ne pourra pas rapprocher le national du local.

M. Pierre Morange, coprésident : On manque en effet des informations qui seraient nécessaires pour faire correspondre l'offre à la demande. Il serait donc bon que l'ADF fasse remonter les besoins qui s'expriment, sachant qu'il s'agit d'un domaine où ils sont malaisés à mesurer, notamment compte tenu de la prévalence croissante des maladies neurodégénératives.

M. François Scellier : Quand on cerne chaque sujet, on s'aperçoit combien on manque d'éléments statistiques.

S'agissant de la compétence générale des départements, j'ai tendance à considérer que tout ce qui concerne les habitants du Val-d'Oise intéresse la collectivité départementale. Mais attendons d'avoir digéré ce qui nous a déjà été transféré avant de prendre d'autres compétences ! Je suis déjà mal à l'aise lorsque j'annonce un certain nombre de places pour les personnes âgées dépendantes et que je dois surseoir, en tant qu'autorité administrative, à l'agrément de tel ou tel établissement qui veut ouvrir. Il faut que nous arrivions à faire le lien entre la demande et ceux qui sont susceptibles d'y répondre, mais ce n'est pas encore tout à fait le cas pour la sécurité sociale.

M. Pierre Morange, coprésident : La frontière entre le sanitaire et le médico-social est rendue encore plus malaisée à tracer par la difficulté, pour ne pas dire plus, qu'ont ces deux secteurs à communiquer entre eux. L'assuré a quelque difficulté à se retrouver dans ce maquis administratif, où les différents acteurs se renvoient la balle. Il est évident qu'il faut une autorité au niveau départemental, une planification dans le cadre du schéma national, car le système est illisible pour nos concitoyens. N'aurait-on pas intérêt à créer au moins des espaces communs, où les différents acteurs se retrouveraient tout en conservant leurs compétences ?

M. François Scellier : Lorsque nous avons constaté la difficulté d'appliquer le schéma départemental, non de notre fait, mais à cause du retard pris par les conventionnements avec la sécurité sociale, nous avons décidé de lancer des appels à projets. Jusqu'à présent, il n'y avait pas d'urgence véritable à normaliser tout cela, car les besoins étaient supérieurs à l'offre. Mais aujourd'hui, il est clair que, sans coordination avec les organismes de sécurité sociale, aucune programmation n'est possible.

Mme Marylène Jouvien : Les départements ont notamment proposé un pilotage des contrats d'avenir, ainsi que la tenue de conférences départementales sur la protection de l'enfance et la prévention de la délinquance, associant tous les acteurs concernés.

M. Pierre Morange, coprésident : Sans doute est-ce nécessaire à l'échelon départemental, mais il faut aussi qu'il y ait une coordination sur le terrain, et pas seulement entre spécialistes.

Par ailleurs, un amendement que j'ai présenté dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 a été voté, qui vise à créer un numéro identifiant commun, permettant aux structures d'action sociale des collectivités locales - départements, CCAS - d'accéder aux fichiers de la sécurité sociale et du fisc dans des conditions de sécurisation totale - ce qui ne serait pas le cas avec les nombreux fichiers actuels, relativement faciles à pirater. Que pensent les départements de cette disposition, très attendue par bon nombre des partenaires concernés ? Avez-vous des recommandations particulières à faire ?

M. François Scellier : Il faudra prendre l'avis de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL).

M. Pierre Morange, coprésident : Le décret en Conseil d'État lui sera naturellement soumis, mais elle a validé le principe dès 1989.

M. François Scellier : Plus nous avons d'informations, mieux cela vaut. Nous avons ainsi découvert que, dans le Val-d'Oise, faute d'une coordination suffisante entre les ASSEDIC et les caisses de retraite, un certain nombre de personnes touchaient de l'argent des deux côtés. Nous nous sommes également aperçus qu'une proportion relativement élevée d'allocataires du revenu minimum d'insertion (RMI) continuaient de percevoir celui-ci après l'âge de la retraite - dont un quasi-centenaire, il est vrai à titre d'ayant droit. Il semble même que certaines caisses conseillent aux gens de rester au RMI plutôt que de faire liquider la pension à laquelle ils ont droit ! Un croisement des fichiers permettrait de ne verser à chacun que ce à quoi il a vraiment droit.

M. Pierre Morange, coprésident : Il ne s'agit pas de traquer les individus, mais simplement de rationaliser le système afin que les deniers publics soient utilisés au mieux. Avez-vous pu calculer le pourcentage d'attributions non pertinentes ?

M. François Scellier : Notre découverte est relativement récente, mais en creusant un peu, nous avons vu que cela représentait entre 5 et 10 % des bénéficiaires, ce qui n'est pas négligeable. Il faut mesurer, cela dit, la difficulté qu'il y a à recouvrer les versements indus. Certains départements - ceux-là justement qui ont fait preuve de rigueur - se sont d'ailleurs trouvés pénalisés, les mises en recouvrement ayant été considérées comme des recettes à venir par le Trésor public pour le calcul des dotations et compensations de l'État, alors que l'on sait que le taux effectif de recouvrement n'est, dans le meilleur des cas, que de 5 ou 10 %. Plus on pourra interconnecter les systèmes d'information et croiser les données - à condition, bien sûr, de ne pas empiéter sur les libertés individuelles -, mieux ce sera.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Considérez-vous que la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) devrait être supprimée, et qu'il faudrait créer une cinquième branche ?

M. François Scellier : C'est une vaste question, sur laquelle les différents conseils généraux ont des points de vue très contrastés. Certains, après avoir considéré qu'il était hors de question de créer un cinquième risque, ont évolué, notamment pour des raisons de coût. Mais on en revient au problème de départ : il est extrêmement difficile de distinguer ce qui relève du vieillissement et ce qui relève de la maladie. Je ne suis pas médecin, mais voyez la maladie d'Alzheimer : à quel moment passe-t-on du vieillissement ordinaire à la pathologie ? Le même problème de frontière se pose pour les handicapés qui dépassent l'âge de 60 ans.

Je crois que l'on ne pourra pas unifier la compétence, mais qu'il faudra renforcer la coordination afin de définir ce qui relève de l'un ou de l'autre, et ce au niveau local plutôt 194

qu'étatique. Les choses sont tout à fait différentes, en effet, d'un point du territoire à l'autre : le coût de l'APA est très variable, celui du RMI aussi. Dans le Val-d'Oise, par exemple, le nombre des emplois augmente, mais celui des chômeurs aussi, car beaucoup d'emplois sont occupés par des personnes qui habitent en dehors du département. Ailleurs, ce sera l'inverse. Il est donc très difficile de dire que tel département est en meilleure santé économique que tel autre.

Pour rapprocher le sanitaire et le médico-social, il faut commencer par se mettre autour d'une table. Ce qui se fait autour de la maison du handicap est très important à cet égard, car cela suscite des échanges et des discussions qui n'avaient pas lieu avant et qui peuvent déboucher sur de meilleures solutions.

M. Pierre Morange, coprésident : Avant que nous nous séparions, je vous rappelle que la MECSS est preneuse de toutes informations et propositions précises que l'ADF pourrait nous communiquer, dans une logique de rationalisation et d'optimisation de l'emploi des deniers publics.

M. François Scellier : Je vous ferai parvenir des éléments complémentaires par écrit, et demanderai aux services de l'ADF de répondre de façon chiffrée aux questions plus précises que vous avez posées. L'un des problèmes les plus importants est celui des relations entre les départements et la sécurité sociale. Cela se manifeste, par exemple, en matière de prévention, domaine où il est difficile de bien coordonner les responsabilités, les financements, la communication, et où l'action  du département n'est donc pas toujours bien perçue sur le terrain. C'est ainsi que mon épouse a reçu un document l'incitant à subir un dépistage du cancer du sein, document qui donnait l'impression, à qui le lisait, d'émaner de la seule assurance maladie, bien que le département ait également financé l'opération. C'est une question d'image, c'est vrai, mais il est également important que chacun sache qui fait quoi et à qui il doit s'adresser.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie.

*

Audition de Mme Françoise Descamps-Crosnier, membre du bureau de l'Association des maires de France (AMF), maire de Rosny-sur-Seine, et Mme Marie-Claude Serres-Combourieu, responsable du département action sociale, éducative, sportive et culturelle de l'AMF.

M. Pierre Morange, coprésident : Mesdames, je vous souhaite la bienvenue et je laisse sans plus tarder la parole à notre rapporteure.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Pouvez-vous nous indiquez quelle est le constat que dresse aujourd'hui l'AMF en ce qui concerne l'action sociale ? Quel bilan faites-vous, en particulier, de sa décentralisation ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier : Je souhaite tout d'abord rappeler que le maire constitue l'échelon de proximité de l'action sociale : il est le premier interlocuteur de la population, c'est lui que l'on vient voir pour exposer ses difficultés et sa détresse sociale. À ce titre, il est un acteur éminent de la cohésion sociale. Il joue un rôle essentiel non seulement dans le traitement des situations d'urgence mais aussi dans la prévention de l'exclusion dont nous constatons qu'elle touche chaque jour davantage de personnes, y compris ceux que l'on appelle désormais les travailleurs pauvres. Sa tâche est également très importante pour le maintien de la mixité sociale et la préservation de l'égalité des chances : même si ce n'est pas lui qui apporte l'ensemble des réponses, c'est toujours vers lui que l'on se tourne d'abord.

Nous observons également que l'action sociale des collectivités locales ne cesse de croître et que les communes ont de plus en plus souvent à relayer les dispositifs de la solidarité nationale. En outre, si les départements ont en la matière de grandes compétences, les communes conservent à l'évidence un champ d'action important à travers l'assistance qu'elles apportent à la population.

Certes, il y a eu ces dernières années une clarification du rôle de chacun, mais elle ne paraît pas encore suffisante pour que chacun puisse s'y retrouver. Si le maire est le fédérateur de l'action sociale au niveau local, il n'a pas pour autant toujours la possibilité de mobiliser l'ensemble des acteurs et des partenaires, y compris parfois le conseil général. Les membres de l'AMF expriment donc le souhait de pouvoir mobiliser beaucoup plus facilement l'ensemble des partenaires.

La position de l'AMF vis-à-vis de la décentralisation est claire : nous souhaitons aujourd'hui que l'on marque une pause car nous sommes arrivés à un moment où il convient d'affiner ce qui existe, de prendre le temps d'organiser la complémentarité entre les différents acteurs et de mettre en cohérence leurs interventions. Surtout, il nous paraît nécessaire de stabiliser les financements. C'est ainsi que l'on fera en sorte que les choses se passent au mieux mais aussi que l'on parviendra à remédier aux disparités territoriales qui perdurent. Car ce qui importe, c'est que chacun puisse assurer un service aux populations les plus fragiles et, au-delà, agir en faveur du bien vivre, en particulier par l'accompagnement des familles. Cela passe notamment par l'élargissement de l'offre d'accueil de la petite enfance qui fait partie, aux côtés du logement et de l'emploi, des premières demandes de nos concitoyens.

M. Pierre Morange, coprésident : Vous faites donc le constat que le maire est celui qui accuse le premier le choc social de la détresse, qu'il est un acteur de proximité, mais aussi que les demandes sont multiples et diverses et qu'il est difficile d'établir le contact avec les autres intervenants de l'action sociale. Dans ces conditions, l'AMF a-t-elle des solutions à préconiser pour que l'offre d'action sociale réponde mieux à la demande ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier : La montée en charge du traitement de l'insertion et de l'égalité des chances modifie les pratiques des collectivités territoriales et rend nécessaire le développement de nouveaux services et de nouveaux outils. On assiste en effet à une véritable escalade des demandes en raison de l'accroissement du nombre des pauvres, mais aussi de celui des familles monoparentales, qui exigent un accompagnement supplémentaire, par exemple au titre du logement en raison du développement des gardes alternées. Les maires sont également confrontés davantage aux difficultés des jeunes en matière de logement, d'emploi, de santé. Tout ceci conduit les communes à intervenir de plus en plus en complément de l'action des départements.

Face à ce phénomène, il n'y a pas de solution miracle mais peut-être des pistes de réflexion. Il nous semble en premier lieu qu'il faudrait clarifier le rôle de chacun afin qu'on ne soit pas amené à se demander sans cesse qui doit intervenir et comment.

Les difficultés rencontrées sont fréquemment d'ordre financier. Les communes ont véritablement besoin d'un financement pérenne pour accomplir au mieux leurs missions. Une fois que l'on a créé un dispositif, par exemple en ouvrant une structure d'accueil, il n'est pas possible de la fermer si le financement s'interrompt, et la commune n'a alors pas d'autre choix que d'augmenter les impôts locaux. C'est pour ces raisons que les désengagements de la sécurité sociale en matière d'accueil de la petite enfance placent les communes dans de graves difficultés.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Certaines expériences apportent-elles des réponses adaptées aux difficultés que vous venez de décrire ? Vous paraît-il souhaitable de développer l'action sociale d'intérêt communautaire, en généralisant les centres intercommunaux d'action sociale (CIAS), qui sont des acteurs de plus en plus importants sur le terrain ?

Mme Marie-Claude Serres-Combourieu : On nous rapporte en effet des exemples de relations entre les communes et des associations locales qui prennent en charge des problèmes spécifiques. Certaines communes s'efforcent aussi de coordonner l'ensemble du secteur associatif. Par ailleurs, un certain nombre de conseils généraux informent les communes de ce qu'ils font, ce qui leur permet d'assurer un suivi. Il est également possible de passer des conventions avec les conseils généraux, mais elles sont à ce jour peu nombreuses.

M. Pierre Morange, coprésident : On nous fait souvent observer qu'il est nécessaire, pour faire face à la diversité des situations, de coordonner les moyens et de remédier à la complexité du système. C'est pourquoi nous souhaitons savoir où en est cette coordination sur le terrain.

Mme Françoise Descamps-Crosnier : Nous ne disposons d'aucun état des lieux et les données ne sont pas centralisées.

Mme Marie-Claude Serres-Combourieu : Nous sommes une petite structure, avec 35 000 adhérents auxquels s'ajoutent 1 400 communautés de communes. Nous n'avons pas les moyens de faire remonter l'ensemble des informations.

M. Pierre Morange, coprésident : Pouvez-vous néanmoins préciser l'enveloppe financière que les communes consacrent à l'action sociale et sa ventilation selon les différents types d'actions ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier : Il est très difficile d'estimer les sommes consacrées à l'action sociale car il s'agit d'un domaine extrêmement vaste et qui est financé dans des cadres divers : centres communaux d'action sociale (CCAS), intercommunalités, communes, associations financées par les communes.

M. Pierre Morange, coprésident : On pourrait au moins partir des lignes budgétaires votées par les conseils municipaux. L'AMF a-t-elle tenté de rassembler l'ensemble des données ?

Mme Marie-Claude Serres-Combourieu : Une tâche d'une telle ampleur excède nos possibilités. Nous-mêmes utilisons les chiffres établis par d'autres, en particulier par la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) du ministère de la santé et des solidarités.

Même si la réforme de la comptabilité communale permet de disposer d'une comptabilité fonctionnelle, celle-ci demeure très modeste dans les communes de moins de 10 000 habitants et il est extrêmement difficile de collecter les informations.

Il est en outre parfois délicat de savoir de quel chapitre relève telle ou telle action : quand on fait de la veille éducative, s'agit-il d'action sociale ou d'éducation ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier : En effet, s'il est sans doute possible de quantifier l'action sociale pure, cela paraît bien plus difficile pour tout le reste, c'est-à-dire pour ce que les collectivités font en matière d'accompagnement, de prévention, d'égalité des chances et qui, aux yeux de nombreux élus, relève également de l'action sociale.

La collecte de l'information est difficile dans la majorité des communes, dont je rappelle que 32 000 d'entre elles ont moins de 2 000 habitants. En fait, elles nous rapportent surtout leurs problèmes, que nous essayons de traiter au sein de nos groupes de travail.

M. Pierre Morange, coprésident : Avec les moyens humains dont elles disposent, les communes ont souvent du mal à faire face aux problèmes auxquels elles sont confrontées. Ne vous paraîtrait-il pas utile, dans une logique d'aménagement du territoire, d'essayer de regrouper au sein d'espaces communs les compétences dans les domaines sanitaire, social et médico-social, afin de faciliter les démarches de nos concitoyens ? Vous l'aurez compris, il s'agit moins dans mon esprit de guichets uniques que de plates-formes multiservices.

Mme Marie-Claude Serres-Combourieu : Il existe des exemples de telles plates-formes, notamment à Rennes.

M. Pierre Morange, coprésident : C'est précisément parce que les expériences sont concluantes dans une grande ville comme Rennes comme dans des territoires ruraux que nous souhaitons savoir si l'AMF a réfléchi à une généralisation de ce dispositif.

Mme Marie-Claude Serres-Combourieu : L'AMF adhère totalement à cette démarche, qui s'inscrit d'ailleurs dans sa volonté de conforter les services publics en milieu rural.

Mais nous ne disposons pas d'une liste des maisons de services publics ou des plates-formes multiservices, pour la bonne raison que notre association n'a pas vocation à collecter des informations en vue de la création d'une sorte de banque de données. Notre mission est davantage de réflexion et de représentation, c'est-à-dire de discussion avec les différents partenaires et avec les pouvoirs publics, afin d'informer et de conseiller les élus.

S'agissant de ces espaces communs que vous appelez de vos vœux, l'AMF répond dans un certain nombre de domaines à la sollicitation des pouvoirs publics, même si ces derniers ont une vision assez thématique de ces lieux, vision que traduit le fonctionnement des Points infos famille ou des maisons du handicap. L'idée est toutefois bien de mettre ensemble un certain nombre de partenaires, et les communes répondent de façon favorable. Mais il est parfois difficile de fédérer les différents partenaires, non seulement parce que la volonté politique fait défaut, mais aussi que tous ne sont pas prêts à s'engager dans une telle démarche, on l'a bien vu avec les maisons de l'emploi.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Les élus manifestent aujourd'hui leur volonté de favoriser les regroupements et le partage des informations afin d'apporter la meilleure réponse possible à l'usager. Comment vous-même pensez-vous qu'il est possible d'organiser le rassemblement de toutes les données utiles à celui qui en a besoin ? Cela ne ramène-il pas à ma question sur les CIAS ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier : L'AMF défend une intercommunalité fondée sur la volonté des élus et des communes. Elle considère que l'action sociale relève à l'évidence de la proximité, donc des maires qui sont déjà très impliqués dans le développement des politiques sociales. Mais à partir du moment où la volonté des élus est de se regrouper pour améliorer leur action sociale sur le terrain, notre association y est tout à fait favorable. Dans ces conditions, c'est à eux qu'il appartient de choisir de créer un CIAS ou de coordonner l'intervention des différents CCAS. S'ils décident de passer par un CIAS, il faut absolument que celui-ci dispose de relais sur le terrain car la proximité est la meilleure garantie d'un traitement efficace des dossiers, notamment dans le domaine social, dans la mesure où les personnes en difficulté ont du mal à se déplacer vers les structures qui leur sont dédiées. C'est d'ailleurs aussi pour aller à la rencontre des plus fragiles que les différents partenaires tiennent souvent des permanences dans les communes.

M. Pierre Morange, coprésident : En fonction des difficultés qu'elle constate, l'AMF préconise-t-elle des simplifications de l'action sociale et médico-sociale afin de rationaliser le traitement des dossiers et d'optimiser l'utilisation des moyens publics ?

Mme Marie-Claude Serres-Combourieu : Il nous semblerait utile de mettre en cohérence les différents intervenants dans le secteur de la petite enfance car les maires ont souvent du mal à appliquer les procédures différentes et parfois contradictoires, en particulier entre les caisses d'allocations familiales (CAF) et les services de protection maternelle et infantile (PMI) des conseils généraux.

Mme Françoise Descamps-Crosnier : Nous souhaiterions également que les dispositifs soient moins fragmentés, que les actions soient mieux coordonnées et que l'on arrête de nous imposer sans cesse de nouvelles normes.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Pouvez-vous nous donner des exemples de cette fragmentation des dispositifs ?

Mme Marie-Claude Serres-Combourieu : L'intervention d'un grand nombre de structures, chacune spécialisée dans un domaine bien particulier, peut nuire à la qualité de la prise en charge des personnes en difficulté.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : On nous dit en effet fréquemment qu'il serait plus efficace et plus rapide que chacun ait un interlocuteur unique ou du moins un référent qui l'accompagnerait dans ses démarches.

Mme Françoise Descamps-Crosnier : On peut comprendre que les intervenants soient nombreux car les problèmes sont différents, mais il faut absolument parvenir à une coordination, ainsi d'ailleurs qu'à un retour d'informations afin de savoir qui fait quoi et où en est exactement la personne concernée.

M. Pierre Morange, coprésident : À ce propos, quelle est la position de l'AMF concernant la centralisation et le partage des données en matière sociale prévue par l'amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 que le Parlement vient d'adopter et qui donnera aux CCAS comme aux communes un accès à un certain nombre de données ? Cette disposition vous paraît-elle de nature à répondre à quelques unes des difficultés que vous venez de mentionner en matière de transmission de l'information ? Des mesures complémentaires vous paraissent-elles nécessaires ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier : Les maires n'ont pas toujours connaissance de l'ensemble des prestations dont bénéficient les personnes en difficulté. Cela étant, ils ne souhaitent pas disposer de toutes les informations relatives à ces personnes mais de celles dont ils ont effectivement besoin.

M. Pierre Morange, coprésident : L'amendement ne vise que les données relatives à l'action sociale et les critères financiers, sur lesquels tout maire doit fonder sa décision.

Mme Françoise Descamps-Crosnier : Un recoupement des informations paraît indispensable pour un meilleur suivi des personnes qui demandent une aide. Mais, je le répète, les maires ne souhaitent pas avoir accès à toutes les informations.

M. Pierre Morange, coprésident : Vous avez évoqué la branche famille, quelle est votre analyse de la nouvelle convention d'objectifs et de gestion (COG) et de la modification de la stratégie de cette branche ?

Mme Françoise Descamps-Crosnier : Cela pose surtout la question de l'accompagnement des communes dans le financement des structures d'accueil de la petite enfance. Même s'il faut offrir des solutions de garde diversifiées en fonction des territoires et des demandes des familles, celles-ci portent essentiellement sur l'ouverture d'un plus grand nombre de places en garde collective, car ce système leur paraît offrir davantage de sécurité et favoriser l'épanouissement de l'enfant. La crainte qui s'exprime vis-à-vis des mini-crèches expérimentales tient d'ailleurs surtout au risque d'une insuffisante formation des personnels. De même, dans les propositions qui sont faites en matière d'activités périscolaires, c'est l'éventualité d'une réduction de l'encadrement qui provoque notre inquiétude. Vous l'aurez compris, la politique proposée par le ministre pour la petite enfance suscite un certain nombre d'interrogations au sein de notre association.

Mme Marie-Claude Serres-Combourieu : Nous recevons actuellement de nombreux courriers de maires à propos de la renégociation des contrats enfance-jeunesse. Dans le cadre de sa nouvelle COG, la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) entend inciter à créer de nouvelles places d'accueil. Mais, dans les faits, cela se traduit par une diminution - dont nous aimerions croire qu'elle n'ira pas au-delà des 3 % par an annoncés - de ses aides aux structures qui fonctionnent déjà, ce qui provoque de vives protestations des élus, qui n'avaient pas compris que les financements qu'ils avaient reçus antérieurement n'était pas pérennes mais uniquement destinés à amorcer un dispositif. Dans la mesure où l'on a réduit précédemment la participation des familles, les maires n'ont parfois pas d'autre solution que de réduire l'amplitude horaire d'ouverture des établissements, ce qui est contraire aux objectifs poursuivis antérieurement par la CNAF dans le cadre de la prestation de service unique (PSU).

Mme Françoise Descamps-Crosnier : C'est en ce sens que j'évoquais la nécessité de stabiliser les financements. Nous nous apercevons aujourd'hui que certains, que nous pensions pérennes, ne le sont en fait pas. Or, c'est sur cette base que nous avons ouvert des structures et procédé à des recrutements, afin d'offrir un service public supplémentaire répondant à de véritables besoins. Les collectivités locales avaient été incitées par les pouvoirs publics à s'engager dans cette voie, mais aujourd'hui, en raison des désengagements de la CNAF, elles se retrouvent seules à assumer le financement de ces équipements, qui doivent en outre répondre à des normes sévères, fixées par la CNAF elle-même. C'est pourquoi les communes sont contraintes de réduire les horaires d'ouverture, ce qui va à l'encontre de leur volonté d'accompagner la population.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous vous remercions et nous vous invitons à nous faire parvenir toutes les informations complémentaires dont vous estimeriez qu'elles pourraient nourrir la préparation de notre rapport.

*

Audition de M. Dominique Libault, directeur de la sécurité sociale au ministère de la santé et des solidarités.

M. Pierre Morange, coprésident : Je suis heureux de vous accueillir une nouvelle fois à l'Assemblée nationale, et je donne sans plus tarder la parole à notre rapporteure, qui a un certain nombre de questions à vous poser.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Les récents rapports de la Cour des Comptes et de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) montrent des insuffisances dans la maîtrise par les branches de leur politique d'action sociale. Comment avez-vous tenu compte de ces observations ? Quelles conséquences en avez-vous tiré dans les conventions d'objectifs et de gestion (COG) ?

M. Dominique Libault : Je me réjouis de l'occasion qui m'est donnée de participer à nouveau aux travaux de la MECSS. Ces échanges nous sont fort utiles, en particulier pour comprendre les attentes des parlementaires et nous avons essayé d'en tenir compte lors de l'élaboration du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

S'agissant plus précisément du sujet de cette audition, je serai assez modeste car je suis directeur de la sécurité sociale et non de l'action sociale. Si j'ai une certaine visibilité de l'action sociale des caisses, je n'en suis pas un grand spécialiste.

Cela étant, vos auditions antérieures comme le travail de cartographie de l'action sociale que mène l'IGAS montrent bien l'importance de la coordination et de la synergie entre les différentes formes d'action sociale et entre tous les intervenants.

Mais il me paraît aussi très utile de réfléchir à la complémentarité entre les prestations légales et l'action sociale. Un point commun entre les très nombreuses caisses nationales et locales des différentes branches de la sécurité sociale, c'est que chacune a son fonds d'action sociale. Même si la France s'honore de son système de prestations légales qui sont des droits objectifs reconnus à la personne, ce qui lui évite d'avoir à quémander des prestations, on n'en a pas moins besoin de l'action sociale des caisses.

En premier lieu, parce qu'elle permet d'apporter des réponses à des situations qui ne peuvent pas être prises en charge par les prestations légales, par exemple à des insuffisances de remboursement de l'assurance maladie en matière d'optique ou de soins dentaires.

En second lieu, parce qu'il paraît impossible de prévoir tous les cas de figure par la voie légale, en particulier en raison de la complexité des cas sociaux et des situations familiales.

Enfin, parce que l'action sociale joue un rôle très important en matière d'innovation et d'anticipation. Dans la mesure où les besoins sociaux évoluent, il faut laisser la place à l'expérimentation, quitte à la reprendre ensuite dans des prestations légales. Ainsi, c'est par le biais d'une expérimentation dans le cadre de l'action sociale que l'on a commencé à subventionner les assistantes maternelles, la prestation sociale d'assistance maternelle (PSAM) étant devenue ensuite l'aide à la famille pour l'emploi d'une assistante maternelle agréée (AFEAMA), puis la prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE). On s'est aussi rendu compte, au moment de la création de la prestation de compensation pour les handicapés, que c'était auparavant l'action sociale des caisses qui répondait à la nécessité de prise en charge à domicile des handicaps très lourds. On le voit, l'action sociale permet d'apporter sur le terrain des réponses à un certain nombre de besoins sociaux.

Les administrateurs des caisses attachent beaucoup d'importance à l'action sociale. Dans la mesure où ils n'ont qu'un rôle assez réduit en matière de prestations légales, puisqu'ils interviennent surtout dans le cadre des commissions de recours amiable, ils se consacrent avant tout à la gestion de l'action sociale. D'ailleurs, au sein des caisses, les commissions d'action sociale sont celles qui fonctionnent mieux et celles dans lesquelles les gens s'investissent le plus. Les directeurs des caisses sont eux aussi très attachés à l'action sociale, car c'est là qu'ils peuvent conduire des expérimentations.

Pour toutes ces raisons, il paraît très important de veiller à la complémentarité entre les prestations légales, l'action sociale, mais aussi le versement des minima sociaux pour le compte de tiers, qui est le troisième rôle des caisses. C'est ainsi que les caisses, en particulier celles d'allocations familiales, sont des sortes de maisons vers lesquelles se tournent les personnes en précarité qui ont besoin de secours, auxquelles elles répondent en mobilisant l'ensemble des outils : prestations légales, action sociale et minima sociaux.

Pour en venir à votre question, il est vrai que des rapports récents ont pointé des insuffisances et des problèmes au sein de la branche famille, qui portaient principalement sur le pilotage et sur les dérives financières de l'action sociale par rapport à la COG. On voit là les effets de la difficulté que nous avons déjà observée à disposer d'indicateurs, tant financiers que de l'efficacité sociale. Nous ne négligeons nullement ces questions, mais il est vrai qu'il s'agit d'un terrain plus compliqué que d'autres, comme la gestion administrative ou même les prestations légales ; que ces actions sont souvent menées en partenariat avec les collectivités locales ; que les caisses dépendent elles-mêmes des informations qui remontent de ces collectivités. En outre, l'action sociale est par essence proche du terrain et des personnes et on a du mal à la segmenter en différentes catégories.

La branche famille tente toutefois de remédier à cela et, depuis 2006, chaque caisse d'allocations familiales (CAF) fait remonter un état et des prévisions budgétaires ainsi que des informations sur les contrats conclus avec les collectivités locales. Nous allons ainsi pouvoir beaucoup mieux suivre l'action sociale et ses éléments financiers, mais il nous reste encore à progresser sur l'utilité sociale des actions menées et la qualité des relations avec les collectivités locales.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Pouvez-vous faire un point sur la diffusion des contrats enfance et temps libre dans les communes ?

Par ailleurs, compte tenu de la décentralisation de l'action sociale, quelle organisation pensez-vous qu'il faudrait privilégier : la spécialisation par blocs de compétences, la segmentation, la mise en réseau, le partenariat, la coopération, l'unification du pilotage, la proximité ?

M. Dominique Libault : L'action sociale est extrêmement diverse, et la réponse à votre question varie selon le type d'actions que l'on envisage.

Ainsi, dans la branche famille, on peut distinguer deux mode d'intervention différents : d'une part les prestations de services, qui recouvrent l'ensemble des contrats passés avec les collectivités locales autour de la petite enfance et du temps libre et visent au financement pérenne d'équipements collectifs, d'autre part les prestations sociales individuelles. On s'est demandé, au début de ce quinquennat, s'il fallait conserver le système des contrats ou aller vers une allocation de libre choix versée aux parents. Pour ma part, j'ai toujours été très réservé vis-à-vis de cette dernière solution car, à laisser les collectivités locales financer seules les équipements collectifs, on prendrait le risque de ne pas développer ceux dont le pays a besoin. J'ai donc milité, même s'il convient de revoir ce système - ce que nous sommes en train de faire - pour un partenariat qui assure aux collectivités locales un cofinancement pérenne.

En revanche, pour ce qui concerne l'action sociale en faveur des personnes âgées, on peut se demander s'il ne conviendrait pas d'aller vers un système par blocs de compétences. Faut-il, par exemple, maintenir la séparation entre d'un côté les groupes iso-ressources (GIR) 1, 2, 3, 4 et de l'autre les GIR 5 et 6 ? Mais je répète que pour les caisses vieillesse comme pour les autres, l'action sociale est considérée comme un élément très important. Les en priver serait donc vécu comme une amputation.

M. Pierre Morange, coprésident : Beaucoup des personnes que nous avons auditionnées ont insisté sur la nécessité de mieux coordonner les moyens, chacun ignorant très largement ce que fait son voisin. Vous plaidez pour un maintien de l'action sociale dans les caisses, mais vous-même avez-vous connaissance de façon précise de ce que font tous les partenaires dans ce cadre ? Autrement dit, y a-t-il quelqu'un qui maîtrise complètement l'information ?

M. Dominique Libault : Au niveau national, cela paraît assez difficile à appréhender, même si l'IGAS s'y est essayée avec sa cartographie.

Au plan local, cela dépend des départements : dans certains cas, cela fonctionne très bien et chaque partenaire a une bonne visibilité de ce que font les autres. Mais ce n'est pas le cas partout.

Il me semble que l'action sociale des caisses devrait aujourd'hui se tourner davantage vers l'insertion : si l'action d'urgence est indispensable, il faut aussi s'efforcer d'aider les personnes concernées à reconstruire quelque chose. Il faut véritablement s'efforcer de mieux articuler les deux démarches.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Pour cela, il faut être attentif à ce qui existe déjà car la multiplicité des acteurs n'est pas vraiment un gage d'efficacité.

Je reviens sur les trois domaines de l'action sociale que vous avez distingués au début de cette audition : sont-ils d'importance égale ou les caisses établissent-elles des priorités ?

M. Dominique Libault : Les trois sont importants, mais les modes d'intervention peuvent varier. Ainsi, le gouvernement préconise, au-delà de la couverture maladie universelle (CMU), le versement par les caisses d'une aide à la complémentaire santé plutôt que la prise en charge des dépenses non couvertes par l'assurance maladie, au coup par coup. C'est pour cela que le plafond d'éligibilité à cette aide a été encore relevé dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007.

M. Pierre Morange, coprésident : Comment expliquez-vous le peu de succès de cette mesure puisqu'on est à 200 000 bénéficiaires sur une population cible de 2 millions de personnes ?

M. Dominique Libault : Je pense que l'on va rapidement aller vers les 300 000 bénéficiaires. Le problème tient essentiellement à la diffusion de l'information auprès du public concerné. À l'évidence, les branches n'avaient pas fait l'effort nécessaire alors que ce sont elles qui ont accès à ces publics, qu'il s'agisse des bénéficiaires du minimum vieillesse ou de l'allocation adulte handicapé. Depuis la fin du premier semestre 2006, ce travail est en cours de façon très active et se renforcera encore au début de l'an prochain, lorsque les nouveaux textes entreront en vigueur.

Je me suis en outre rendu compte qu'il n'existait pas de formulaire spécifique de demande de la complémentaire santé et que seuls les déboutés de la CMU étaient orientés vers ce dispositif. Nous avons désormais remédié à ce défaut.

M. Pierre Morange, coprésident : Pourriez-vous nous donner quelques exemples de collaborations réussies et nous expliquer les raisons de ces succès ? Il serait sans doute utile à l'IGAS d'en avoir connaissance.

M. Dominique Libault : Je crains de vous décevoir quelque peu, mais je m'efforcerai de vous fournir les éléments nécessaires.

J'observe toutefois que les réussites ne sont jamais globales et qu'elles interviennent sur des terrains particuliers comme la dépendance, entre les conseils généraux et les caisses ; la politique de la ville, entre les collectivités locales, les caisses et les acteurs de cette politique ; le handicap, domaine dans lequel les acteurs qui se connaissaient déjà bien se sont retrouvés au sein des maisons du handicap. Malheureusement, il n'est pas possible de généraliser, et l'on peut dire que c'est en fait là où les acteurs de terrain se connaissent et s'apprécient qu'ils trouvent ensemble les bonnes méthodes. Dans le Nord-Pas-de-Calais par exemple, les très bonnes collaborations entre collectivités locales et caisses sont une tradition.

M. Pierre Morange, coprésident : En effet, pour les plates-formes multiservices le Nord, mais aussi la ville de Rennes et certains territoires ruraux, en particulier en Lozère, sont pilotes. Nous aimerions que vous nous communiquiez des précisions à ce propos.

M. Dominique Libault : À l'opposé, même entre les caisses, les collaborations ne sont pas toujours parfaites.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Compte tenu des importants transferts de charges en direction de départements dans le secteur des personnes âgées, pensez-vous qu'il conviendrait de redéfinir l'action sociale de la branche vieillesse ?

M. Dominique Libault : C'est un sujet auquel nous avons réfléchi, avec la direction de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS), dans le cadre de la préparation des COG. Les caisses sont des points de contact privilégiés puisque 19 millions de personnes passent chaque année dans les CAF. Nous nous sommes donc demandé s'il n'était pas possible d'aller au-delà des prestations légales et d'accompagner les personnes le plus longtemps possible dans l'autonomie. Car telle est bien l'idée de la refonte de l'action sociale de la branche vieillesse, en passant de la prestation d'aide ménagère vers une aide plus globale répondant à l'ensemble des besoins de la personne, bien évidemment sans déstabiliser les services traditionnels, qui sont efficaces et utiles. Qu'un acteur social comme les caisses d'assurance vieillesse se situe sur ce terrain de la prévention de la perte d'autonomie me paraît plutôt légitime. En revanche, lorsqu'une autre forme de prise en charge devient nécessaire, qui mélange sanitaire et social, que ce soit en établissement ou à domicile, c'est de coordination entre les différents acteurs que l'on a surtout besoin. Même si la frontière entre les GIR 4 et 5 peut sembler un peu conventionnelle, on peut considérer qu'il ne s'agit pas en fait exactement du même métier.

Par ailleurs, beaucoup de réflexions menées actuellement sur le social vont vers l'idée d'assurer un service public effectif, ce que certains appellent le système des « droits opposables ». Et l'on peut donc se demander en quoi l'action sociale peut y contribuer. Si les caisses servent les prestations monétaires, on voit bien qu'on va leur demander demain d'assurer l'accès effectif aux soins dans le cadre du service public de l'assurance maladie. L'ensemble des composantes de l'assurance maladie devront y travailler ensemble. De même, pour le service public de la petite enfance, il faudra, au-delà des prestations légales, assurer l'accès effectif aux modes de garde. Et l'on revient ainsi à l'idée de complémentarité de tous les modes d'action des caisses, en étroit partenariat avec l'ensemble des acteurs sociaux.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous remercie et je vous invite à nous faire parvenir toutes les précisions, commentaires et propositions dont vous pensez qu'ils pourraient nourrir notre rapport.

AUDITIONS DU 14 DÉCEMBRE 2006

Audition de M. Bernard Derosier, député, président du conseil général du Nord, M. Michel Diefenbacher, député, président du conseil général du Lot-et-Garonne, accompagné de M. Philippe Jamet, directeur général adjoint des services du conseil général du Lot-et-Garonne, en charge de la vie sociale, M. Pierre Jamet, directeur général des services du conseil général du Rhône, et M. Yves Talhouarn, directeur général adjoint des services du conseil général du Val-de-Marne, en charge du pôle prévention et action sociale.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Nous auditionnons maintenant les principaux acteurs locaux de quatre départements sélectionnés par la MECSS, dont l'action sociale est plus précisément étudiée en collaboration avec l'Inspection générale des affaires sociales, l'IGAS. Cette méthode doit permettre de croiser les approches et d'approfondir certains sujets concernant l'action sociale en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Mesdames et Messieurs, quelles sont les principales orientations de votre politique d'action sociale ? Comment l'action sociale est-elle structurée dans vos départements ? Avez-vous réfléchi à une organisation par pays ou bassin de vie ? Pouvez-vous dresser un bilan de la décentralisation de l'action sociale ? Le département constitue-t-il un bon niveau de coordination, voire de pilotage de l'action sociale ? Quelle est votre appréciation sur la coordination entre collectivités territoriales en matière d'action sociale et comment estimez-vous que nous pourrions l'améliorer ?

M. Michel Diefenbacher : En Lot-et-Garonne, département rural, les dépenses d'action sociale, depuis cinq ans, ont explosé : depuis 2001, elles sont passées de 64 à 145 millions d'euros. Dans le même temps, la structure du budget social a considérablement changé. En 2001, l'enfance et la famille arrivaient en premier, les personnes handicapées en deuxième, les personnes âgées en troisième et l'insertion en quatrième. En 2006, les personnes âgées sont passées en premier, les personnes handicapées en deuxième, l'insertion en troisième et l'enfance et la famille en quatrième.

Dans un département vieillissant, l'action en faveur des personnes âgées est évidemment de plus en plus forte. Il y a cinq ans, dans ce domaine, 71 % de notre effort était orienté vers l'aide à l'hébergement contre 29 % pour la prévention et les aides à domicile. Aujourd'hui, la part de l'aide à l'hébergement est tombée à 51 % tandis que les actions de prévention et d'aide à domicile se sont considérablement développées : leur montant est passé de 20 à 70 millions. Ce phénomène s'explique très largement par l'apparition de nouvelles prestations : l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) représente 30 millions d'euros, le revenu minimum d'insertion (RMI) 27,5 millions, la prestation de compensation du handicap (PCH) 6 millions, soit au total près de la moitié du budget d'action sociale.

Le département a organisé, entre mars et octobre 2006, une opération de concertation publique avec la population. Il en est ressorti que les citoyens éprouvent un grand intérêt pour les questions d'ordre social et sont préoccupés par six sujets principaux.

Premièrement, la mobilité géographique des personnes âgées. Leur maintien à domicile risque de devenir, à terme, une sorte d'emprisonnement. Ce problème aigu, dans un département rural, ne sera pas réglé par les transports en commun. Nous avons donc imaginé un système de transport à la demande dont une part non négligeable est prise en charge par la collectivité publique.

Deuxièmement, le logement des jeunes en formation et de ceux qui accèdent à leur premier emploi. Les conditions d'accueil sont souvent insatisfaisantes.

Troisièmement, le logement des seniors. La prise en charge des seniors désireux de quitter leur domicile pour s'installer dans un logement mieux adapté à leur situation nécessitera également une intervention financière de la collectivité.

Quatrièmement, la présence médicale en milieu rural. De moins en moins de généralistes s'installent à la campagne et de moins en moins de spécialistes s'installent dans les villes moyennes. Les cinq pays de Lot-et-Garonne ont conduit une analyse à ce sujet mais ses conclusions ne sont pas encore disponibles.

Cinquièmement, la formation des bénévoles. On ne peut pas parler de crise du bénévolat mais les militants associatifs doivent bénéficier d'une meilleure formation, sur le plan technique comme en matière de gestion.

Sixièmement, l'accompagnement des aidants familiaux. Ce problème se pose en particulier dans les cas de démence sénile ou de maladie d'Alzheimer.

J'ai le sentiment que le département est le bon niveau d'intervention car il est suffisamment proche des gens, tout en disposant d'une assise géographique qui lui permet de conduire une politique globale. Il ne jouera toutefois pleinement son rôle que si le système de péréquation des charges entre départements est rendu plus juste.

M. Pierre Morange, coprésident : Que pensez-vous de la coordination entre les acteurs - les départements, les centres communaux d'action sociale (CCAS), les branches du régime général, la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) et l'État - dans la mise en œuvre de l'action sociale ? Sur le terrain, comment cela se passe-t-il ? Quels sont les délais de mise en œuvre des initiatives communes ?

M. Philippe Jamet : J'observe tout d'abord que dans un département rural comme le Lot-et-Garonne qui dispose de ressources limitées, il y a une nécessité à agir de façon synergique. La question de la coordination m'amène à évoquer la mise en place de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). La MDPH offre des motifs de très grande satisfaction. Des conventions ont été très facilement passées avec des opérateurs des secteurs associatif et public, ce qui a permis d'organiser l'ensemble des ressources de l'équipe pluridisciplinaire et de créer des transversalités intéressantes, sauf en ce qui concerne la psychiatrie. Il a toutefois été précisé, dans un avenant à la convention constitutive du GIP - groupement d'intérêt public -, qu'un organisme de sécurité sociale ne participerait pas au fonctionnement de la MDPH. Un autre organisme a cessé de financer un poste d'ergothérapeute. Nous sommes heureux de retrouver ces structures dans le fonds de compensation mais elles doivent s'engager davantage.

Le problème de coordination avec les services de l'État s'accentue d'année en année. Ayant vécu la prise en main par les conseils généraux et la création des GIP comme une dépossession, une ultime frustration, ils se sont montrés passifs. Il faudrait que l'État parvienne à choisir une administration coordonnatrice ou à regrouper ses services locaux afin que nous ayons un véritable interlocuteur.

Le conseil général du Lot-et-Garonne a adopté, a adopté au mois de juin dernier, le schéma gérontologique et le schéma du handicap pour la période 2006-2010. Reste à coordonner les orientations de ces schémas avec les programmations financières de l'État prévues dans le programme interdépartemental d'accompagnement des handicaps et de la perte d'autonomie (PRIAC) et les schémas régionaux d'organisation sanitaire (SROS).

M. Pierre Morange, coprésident : Avez-vous le sentiment de connaître l'intégralité des prestations servies dans le domaine social par les différents acteurs, tant en matière de fonctionnement que d'investissement ?

M. Philippe Jamet : Nous arrivons à construire un partenariat fort avec le secteur associatif. En revanche, les organismes de sécurité sociale et l'État restent un peu l'arme au pied.

M. Bernard Derosier : Le département du Nord compte 2,5 millions d'habitants, soit 4 % de la population française pour 1 % du territoire ; 28 % de ses habitants ont moins de vingt ans et 90 % de ses habitants vivent en zone urbaine. Il compte 350 kilomètres de frontière avec la Belgique et 653 communes. Son budget s'élève à 2,6 milliards, dont environ 1,8 milliard consacré au fonctionnement, 70 % de ce budget de fonctionnement étant affecté à l'action sociale - personnes âgées et handicapées, aide sociale à l'enfance (ASE) et RMI. S'agissant du RMI, la compensation n'est pas encore assurée : l'État doit à ce jour 200 millions d'euros au département du Nord, qui assume cette charge au détriment d'autres politiques, notamment sociales.

Par rapport aux communes et aux communautés de communes, le département est le niveau pertinent car il n'est ni trop grand ni trop petit. L'assiette des charges peut être répartie convenablement et la dimension du département permet de gérer les problèmes. Cette responsabilité n'est toutefois pas toujours facile à tenir quand les lois ne prennent pas en considération les différences de taille entre départements : il y a une MDPH et une commission d'accès au droit dans le Nord, de même qu'en Lot-et-Garonne, qui ne compte que 300 000 habitants. Compte tenu de la population du département du Nord, le conseil général est contraint à trouver des subterfuges et de créer des structures à plusieurs têtes. Quoi qu'il en soit, le département est la collectivité optimale, même si les maires aimeraient être en prise plus directe avec les bénéficiaires du RMI, les personnes âgées et les personnes handicapées, malgré le manque de moyens réglementaires et financiers. Cela amène les départements à aménager sur leur territoire divers services à la population. J'ai ainsi organisé le département du Nord autour de huit directions territoriales de l'action sociale, ce qui permet de déconcentrer les services au plus des habitants dans les six arrondissements.

Nous n'avons rien inventé : nous travaillons sur la base d'un schéma social et médico-social concernant l'enfance, les personnes handicapées et les personnes âgées. Nous n'avons pas pu remplir les objectifs chiffrés du schéma actuel car l'un des partenaires, l'État, n'a pas été au rendez-vous pour la création de places dans les établissements d'hébergement de personnes âgées et de personnes handicapées. Dans le cadre du nouveau schéma 2007-2012, le nombre de créations de places sera fixé chaque année en fonction des capacités budgétaires de l'État.

Le bilan de l'action sociale est marqué par l'évolution législative. En 1982, les praticiens de terrain, en particulier les responsables politiques, ont pu manifester une insatisfaction face à la complexité des systèmes, d'autant que l'État, tout en ayant délégué une partie importante du secteur, continuait à y prendre part. Près de vingt-cinq ans plus tard, l'on a avancé à petits pas mais le ministère continue de s'immiscer dans des affaires relevant des collectivités territoriales, en particulier des départements. C'est irritant et, surtout, cela ne fait pas avancer les choses ; il serait plus utile que l'État joue son rôle de péréquation, de répartition de la solidarité nationale.

Nous entretenons de bonnes relations avec les autres niveaux de collectivités. Avec la région, nous avons élaboré des objectifs partagés dans le cadre du contrat de plan qui s'achève. Avec les communes et surtout les CCAS, nous établissons des conventions dans beaucoup de champs d'intervention sociale.

Pour ce qui concerne la CNSA, la coordination se passe relativement bien, hormis pour l'APA, volet sur lequel l'État n'est pas au rendez-vous - dans mon département, la solidarité nationale ne contribue à son financement que pour 30 %. Nonobstant les problèmes de fonctionnement, les MDPH, pour 2006 en tout cas, bénéficient des moyens financiers attendus. En l'absence de conventions pluriannuelles de fonctionnement, la question se pose néanmoins pour les années à venir, ce qui complique le recrutement de personnes compétentes.

M. Pierre Morange, coprésident : Et l'articulation avec les branches du régime général ?

M. Bernard Derosier : Elle est bonne mais financièrement nulle ! Nous nous coordonnons mais nos centres sociaux sont amenés à supprimer des postes à cause du désengagement d'un de ses partenaires, la CAF, caisse d'allocations familiales. Le préfet a mis en place le PRIAC sans consulter le conseil général. Force est de constater que, parfois, la perception que l'État a des collectivités territoriales ressemble à celle du régime antérieur à la décentralisation.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Y a-t-il dans votre département des centres locaux d'information et de coordination (CLIC) ? Si oui, comment travaillent-ils avec le département ?

M. Bernard Derosier : Dans le Nord, j'avais déjà créé la concertation gérontologique et la coordination gérontologique ; les CLIC se sont inscrits dans cette démarche. Au départ, le préfet s'en est mêlé - comme il était intéressé, nous avons pu travailler ensemble. Depuis la loi de 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, les départements en ont récupéré l'entière responsabilité. L'ensemble du territoire du Nord est découpé en vingt-neuf zones : onze CLIC existaient sous l'ancien système, quatorze ont été agréés par mes soins et quatre zones en sont encore dépourvues. Chacune des zones a son conseiller général référent qui a pour mission d'être l'interlocuteur du CLIC, au nom du conseil général, ou de susciter sa création quand il n'existe pas encore.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Étant à l'origine de la CNSA, que pouvez-vous nous en dire, monsieur Pierre Jamet ?

M. Pierre Jamet : Tout le monde s'accorde sur la pertinence de l'échelon départemental pour s'occuper du domaine social. S'agissant des relations avec les communes, il convient de se montrer extrêmement prudent car les CCAS sont très hétérogènes : ils fonctionnent plus ou moins bien, voire sont inexistants, malgré l'obligation légale. Les prestations de proximité locale, qui relèvent des communes, comme le portage des repas à domicile, sont très variables d'une commune à l'autre, et ce n'est pas une question de taille ou d'orientation politique mais d'histoire, de culture et d'organisation des services.

Le département du Rhône est légèrement plus petit que celui du Nord : 1,6 million d'habitants, 1,7 milliard d'euros de budget, dont 50 % consacrés aux crédits d'intervention sociale. Nous avons misé sur une déconcentration absolue de l'ensemble de nos services en constituant une unité territoriale par canton. Chacune d'entre elle est placée sous l'autorité d'un directeur et dispose d'un responsable médecine, d'un responsable enfance, d'un responsable personnes âgées et personnes handicapées, d'un responsable administratif, d'un responsable intégration sociale, d'un responsable voirie et d'un responsable bâtiments. Nous avons également organisé une coopération complète avec le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) pour la gestion des bâtiments. À Vaulx-en-Velin, par exemple, où il n'y a pas de voirie départementale, notre dispositif comprend 110 agents, sans compter les techniciens, ouvriers, personnels de santé et de service (TOSS). Cette proximité a pour objectif de permettre un égal accès à leurs droits de tous les habitants, qu'ils vivent en zone urbaine ou rurale.

M. Pierre Morange, coprésident : Cette organisation territoriale a-t-elle eu une incidence sur votre masse salariale ?

M. Pierre Jamet : Non.

Les plateformes multiservices sont parfaitement identifiées, ce qui nous a permis de sortir du débat sur la visibilité du département en milieu urbain. Lorsque cette politique a été initiée, en 1994, nous avions un peu aménagé le système dans trois villes, en prévoyant une unité par arrondissement à Lyon et une unité par canton à Villeurbanne et Vénissieux, mais nous avons réintégré ces villes dans le droit commun car les unités devenaient beaucoup trop grosses.

M. Pierre Morange, coprésident : Compte tenu de cette spécificité, comment le conseil général du Rhône se coordonne-t-il avec les autres acteurs, notamment les branches du régime général ?

M. Pierre Jamet : Nos relations avec les branches du régime général sont excellentes mais, sur le terrain, ces organismes sont absents. La différence d'échelle est considérable : le service social de la CAF du Rhône emploie en tout et pour tout vingt-huit assistantes sociales ; nous en avons environ 500. La Mutualité sociale agricole (MSA) tient des permanences dans nos unités territoriales, comme tout acteur qui le demande. Dans le précédent contrat d'agglomération, nous nous étions mis d'accord avec le directeur d'un établissement psychiatrique pour que le premier contact avec les personnes en situation de détresse psychique se fasse dans une de nos unités territoriales, mais nous n'avons jamais pu mettre en œuvre la mesure parce que les psychologues s'y sont refusés.

Qu'une grande réforme d'intérêt national comme celle qui a donné naissance aux CLIC ait été définie par une circulaire est révélateur du fonctionnement des services centraux de l'État.

Nous avons fait labelliser toutes nos unités territoriales en CLIC de niveau 1 qui ont une mission d'information et d'orientation. Le seul intérêt du dispositif est cependant la labellisation de niveau 3 qui permet d'articuler médico-social et social. Nous essayons de monter des CLIC 3 sur trois territoires mais, compte tenu de l'organisation de l'État sur le territoire et de l'isolement du directeur départemental de l'action sanitaire et sociale (DDASS), c'est très compliqué. La décentralisation ne peut fonctionner que si les services de l'État, autour du préfet, sont bien structurés ; or, aujourd'hui, les services déconcentrés de l'État sont totalement absents.

L'exemple du PRIAC est assez extraordinaire : la CNSA ayant posé le principe que le travail avec les départements passerait par les DDASS, le programme n'a fonctionné que dans une région, le Centre, où les DDASS avaient l'habitude de travailler avec la direction régionale des affaires sanitaires et sociales (DRASS). C'est depuis cet épisode que la CNSA a établi des contacts directs avec les conseils généraux et que les relations se sont normalisées.

Dans le Rhône, l'enfance reste le secteur prioritaire, devant ceux des personnes âgées, du handicap puis de l'insertion et de la prévention. Dans notre budget 2007, les sommes affectées aux secteurs de l'enfance et des personnes âgées seront équivalentes, celles affectées au handicap augmentant de manière plus modérée. Le nombre d'habitants du Rhône âgés de plus de 85 ans passera de 27 000 à 40 000 en 2020 et à 47 000 en 2026. À terme, le plus gros problème sera donc celui de la dépendance au sens large, avec quatre questions.

La première a trait à l'articulation entre le médico-social et le social. L'encombrement des hôpitaux est essentiellement localisé sur les urgences. Il faudrait créer des « institutions sas » dispensant des soins un peu plus lourds que dans les établissements d'hébergement de personnes âgées dépendantes, sans que cela soit pour autant des soins hospitaliers. Ces équipements permettraient aux personnes âgées d'aller se reposer pour soulager la famille, d'éviter l'hospitalisation ou de respirer après une hospitalisation. Nous menons un projet en ce sens mais nous sommes contraints de le financer sur les crédits expérimentaux de la CNSA.

Deuxièmement, en matière de logement des personnes dépendantes, âgées ou handicapées, des jeunes en situation difficile et des personnes en déshérence, nombre d'expériences sont intéressantes mais en restent au niveau expérimental. Aucune disposition n'impose de traiter ce point dans les documents d'urbanisme comme les programmes locaux de l'habitat (PLH). Nous nous efforçons de dresser un fichier des logements adaptés pour qu'ils soient systématiquement réaffectés à des personnes dépendantes.

Le troisième problème est lié : c'est celui des services à domicile, sans lesquels le maintien à domicile ne se justifie pas. Dans les zones agglomérées, arrivent sur le marché des sociétés privées à but lucratif qui effectuent souvent du travail de qualité et facturent paradoxalement leurs prestations beaucoup moins cher que certaines associations historiques et politiquement influentes - l'écart correspond à des différences dans les coûts de gestion... Le versement de subventions publiques, notamment de la part des communes, à des associations qui pratiquent des tarifs excessifs risque de susciter, dans l'avenir, des contentieux sur la liberté de la concurrence. L'acte II de la décentralisation a conféré aux départements la possibilité de coordonner ce volet mais un travail énorme reste à accomplir pour que nous devenions performants.

Quatrièmement, il existe un besoin de formation dans le domaine social, pour les services à domicile ou encore au profit des personnes handicapées elles-mêmes. Une place a été faite aux régions mais elles ne l'occupent pas, hormis la région Aquitaine, qui propose des formations un peu plus individualisées.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : À quels types de formation pensez-vous ?

M. Pierre Jamet : J'en vois trois : pour les allocataires du RMI, c'est au cœur de l'objectif de réinsertion ; pour les personnes handicapées dont nombre d'entre elles recouvrent la possibilité de travailler grâce aux nouvelles technologies ; pour exploiter le gisement d'emploi des services à domicile.

M. Yves Talhouarn : Le Val-de-Marne est le deuxième plus petit département de France en superficie et l'un des trois départements où le nombre de maires est inférieur à celui de conseillers généraux. Ses dépenses d'action sociale sont très élevées puisqu'elles atteignent 800 millions d'euros sur un budget d'1,5 milliard. La moitié des crèches départementales de France, par exemple, sont implantées dans le Val-de-Marne. Au total, nous employons 4 500 à 5 000 agents dans ce domaine.

Nous faisons la même analyse des problématiques que les autres départements. La loi du 13 août 2004 précitée conforte notre rôle de chef de file dans l'action sociale mais cela n'empêche que ces politiques peuvent s'intégrer dans une plus démarche plus large : une politique gérontologique peut ainsi parfaitement s'articuler avec des mesures en faveur du logement, et la logique est identique en matière de transport des personnes handicapées, d'emploi ou de formation - surtout dans le Val-de-Marne, deuxième département hospitalier de France. L'échelon départemental est donc pertinent, eu égard au savoir-faire accumulé mais aussi à notre capacité d'articulation avec les politiques nationales.

Nous avons deux préoccupations : corréler plus fortement nos politiques d'action sociale et d'emploi, et le président du conseil général nous a demandé de réorienter toutes nos politiques dans ce sens, y compris l'action sociale de terrain ; territorialiser notre dispositif, seul moyen de renforcer les interrelations entre les services départementaux et communaux, qui doivent former un binôme.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Quelle place prennent vos unités territoriales sur le terrain, notamment vis-à-vis des CCAS ?

Et je repose ma question sur la CNSA.

M. Pierre Jamet : Le conseiller général n'est pas autorisé à tenir des permanences au siège des unités territoriales. Si nous avons choisi le périmètre cantonal, c'est simplement parce que notre territoire est urbain à 74 %, que le plus petit canton compte 4 500 habitants et que la plus petite unité territoriale regroupe quatorze agents correspondant à onze équivalents temps plein, sans les TOSS. Ces unités sont les interlocuteurs des maires, des CCAS et de l'ensemble des services présents sur le territoire ; tout le monde s'adresse d'ailleurs à elles. Depuis l'an dernier, afin de faciliter leur immersion, les unités n'ont plus à leur tête le responsable de l'un des sept secteurs qui les composent mais un directeur à part entière.

Le transport des enfants handicapés constitue pour les départements une charge exponentielle. Nous avons décidé, en application de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, que tous les enfants qui le peuvent doivent avoir accès aux transports en commun. Pour les accompagner, nous avons sélectionné des bénéficiaires du RMI dont nous gérions le dossier, en en prévoyant deux par enfant afin qu'il y en ait toujours un de disponible. Nous avons aujourd'hui 118 accompagnateurs et pour objectif d'en sélectionner 500. Ce dispositif nous a permis de découvrir des familles d'enfants handicapés que nous ne connaissions pas, appartenant au quart-monde, et pour lesquelles nous réglions les notes de taxi. Il s'agit donc bien d'intégration, d'insertion et de bonne gestion financière, et cela n'a été possible que dans le cadre d'une politique de proximité.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Lors du débat sur le projet de loi sur le handicap, nous n'avions rien prévu de particulier au sujet du transport des enfants handicapés ; il avait uniquement été question d'examiner les initiatives existantes. Votre exemple illustre la complexité de ces sujets - nous pourrions aussi parler du logement - et nous conforte dans notre volonté d'identifier les bonnes pratiques et de formuler des propositions pour améliorer et simplifier les dispositifs existants, en fonction des moyens dont nous disposons.

M. Pierre Morange, coprésident : L'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a été mandatée par la MECSS pour étudier l'action sociale en faveur des personnes handicapées et des personnes âgées dans les quatre départements que vous représentez. Seriez-vous déjà en mesure de fournir à l'IGAS des informations « clés en main » ou avez-vous au contraire besoin du document qu'elle va produire pour connaître précisément la situation ?

M. Pierre Jamet : Nous en sommes à la troisième édition du schéma départemental et nous avons maintenant une connaissance assez fine de ce qui se passe sur le territoire. La mise sur pied des MDPH a effectivement entraîné certaines découvertes concernant les enfants handicapés. La territorialisation avait précisément pour objet d'assurer une présence concrète du département sur le terrain.

M. Bernard Derosier : Je suis manifestement beaucoup moins malin que mes homologues du Rhône car je n'ai pas l'exacte connaissance du nombre de personnes concernées. La MDPH, qui existe depuis un an, a permis de coordonner les services. Le nombre de personnes qui s'adressent à elle est en augmentation, c'est aussi le cas du nombre de personnes qui ne percevaient pas l'allocation compensatrice pour tierce personne, l'ACTP, et qui demandent la PCH. Nous en avons déjà recensé 3 000 mais je suis incapable de dire si elles seront au final 6 000, 18 000 ou seulement 3 000.

Par ailleurs, les départements sont soumis à l'obligation d'emploi de personnes handicapées prévue dans la loi du 11 février 2005. Or nous employons des personnes handicapées sans le savoir et nous n'avons pas la possibilité de faire remplir un questionnaire à tous nos agents. Cette disposition est donc difficile à mettre en œuvre et nous devrons peut-être payer l'amende prévue alors que nous employons en réalité un taux de personnes handicapées conforme à la loi.

Je veux dire aussi que je me méfie de l'uniformisation. Le cadre législatif actuel fixe les règles minima auxquelles doivent se conformer les collectivités territoriales, en particulier en matière de transport des enfants handicapés. Faut-il pour autant que tous les départements adoptent le même système, qu'il s'agisse d'employer des personnes en insertion ou de passer des conventions avec des transporteurs ? Je considère que le choix doit être laissé à l'appréciation des collectivités territoriales ; c'est précisément l'avantage de la décentralisation.

Dans le Nord, les huit directions territoriales sont déclinées en quarante-deux unités territoriales. Nous n'avons pas collé aux cantons car ceux-ci n'ont pas la même population - le rapport entre le moins peuplé et le plus peuplé va de un à huit. À la tête de ces unités territoriales se trouvent des fonctionnaires qui sont les interlocuteurs des élus locaux et des structures locales, notamment les CAF et les caisses primaires d'assurance maladie.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Je ne prône pas l'uniformisation - chaque département conduit évidemment son action comme il l'entend, en fonction de son histoire et de son cheminement - mais les expériences que vous menez sur les territoires que vous représentez peuvent nous inspirer pour émettre des propositions.

M. Pierre Jamet : La CNSA a au moins un avantage : elle est le réceptacle qui permet de connaître l'ensemble des crédits affectés à ce secteur et elle constitue un bon interlocuteur pour les départements.

Sur la durée, elle devrait en outre permettre de diffuser les bonnes pratiques dans le domaine de la dépendance. En matière sociale, la définition au niveau national d'une politique globale de solidarité est trop souvent confondue avec les moyens de la mettre en œuvre, qui doivent être laissés à l'initiative des collectivités décentralisées compétentes.

La CNSA donnera aussi aux départements accès à un pouvoir d'expertise, notamment dans le domaine de l'appareillage, soumis à un mercantilisme absolument éhonté. Nous arriverons sans doute progressivement à imposer un peu d'ordre et à faire beaucoup mieux avec le même volume de crédits, les moyens étant de toute façon limités.

La CNSA fera ressortir, grâce à son dialogue permanent avec les départements, une bien meilleure connaissance de la réalité de terrain. Aujourd'hui, le déséquilibre entre les territoires est immense alors que le système est parfaitement unitaire.

Enfin, avec la programmation, nous arriverons vraisemblablement à mieux articuler les actions de l'échelon départemental avec celles qui doivent relever d'un échelon géographique plus vaste, notamment celles concernant des handicaps rares, des cas particuliers. Cela empêchera les groupes de pression de jouer les uns contre les autres pour faire aboutir leurs dossiers.

Je crois par conséquent que l'existence d'un interlocuteur autonome, compétent et spécialisé sur le dossier de la dépendance est plutôt positive.

M. Pierre Morange, coprésident : À l'occasion de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, j'ai déposé un amendement tendant à créer un numéro identifiant commun à l'ensemble des branches du régime général, relié à un fichier informatique commun croisé avec ceux du fisc. Cette banque de données serait notamment accessible aux départements et aux CCAS. Qu'en pensez-vous ? Je précise que l'amendement avait été adopté à l'unanimité par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Le décret sera pris après avis conforme de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Cette mesure vous semble-t-elle suffisante ou estimez-vous qu'elle devrait être complétée pour améliorer la coordination et la transmission des informations ?

M. Bernard Derosier : Sous réserve de l'avis de la CNIL, cette source d'informations pourrait être intéressante pour les collectivités. Quand à adjoindre d'autres éléments, je ne sais pas.

M. Pierre Morange, coprésident : Il ne s'agit pas de jouer à Big Brother - nous travaillons au demeurant sous le contrôle de la CNIL. Cela permettrait de faire le lien avec d'autres informations, sans attenter à la vie privée, afin de rationaliser les dispositifs existants.

M. Bernard Derosier : Je ne suis pas hostile à ce que nous y réfléchissions. J'en parlerai avec mon directeur général des services.

M. Michel Diefenbacher : Il m'est difficile de répondre ainsi à brûle-pourpoint.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous invite, si vous le voulez bien, à nous adresser une réponse écrite, messieurs les présidents de conseil général.

M. Pierre Jamet : Quand les départements ont hérité du RMI, ils se sont retrouvés dans une situation extrêmement difficile puisqu'ils devenaient les décideurs alors que la gestion était toujours assurée par les CAF. La Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, a réuni tous les directeurs généraux des services des départements de la région Rhône-Alpes pour examiner comment mettre les fichiers en cohérence. Sur le principe, vous avez raison, mais la chose n'est pas facile. Les départements étant autonomes, ils ne sont pas tous équipés du même système informatique - les deux principaux systèmes ne doivent même pas couvrir la moitié des départements. Au final, les départements n'ont pas forcément accès au fichier de la CNAF.

Dans le monde du handicap, le système informatique des commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel (COTOREP) n'est pas compatible avec celui des commissions départementales de l'éducation spécialisée (CDES), lui-même différent de celui utilisé par la CNAF. L'une des difficultés de l'application des lois sociales, c'est que personne ne tient compte des délais nécessaires pour rendre les systèmes informatiques compatibles. Les systèmes nationaux des organismes de sécurité sociale sont centralisés tandis que ceux des collectivités territoriales sont complètement éclatés. La mise en réseau coûte de l'argent, prend un temps fou et ne donne pas toujours des résultats performants.

Le numéro unique simplifierait la situation mais j'ai du mal à imaginer qu'il obtienne l'aval de la CNIL.

M. Pierre Morange, coprésident : Il faudra reprendre les schémas déjà validés par la CNIL, avec un cahier des clauses techniques opposable au titre de la branche vieillesse, dans la mesure où c'est elle qui gère le dossier le plus volumineux.

En plus de la circulation des informations, la mesure que je propose raccourcirait largement le temps de traitement de dossiers. Dans les situations sociales les plus dramatiques, chaque mois qui s'écoule est un pas supplémentaire dans la descente aux enfers.

Enfin, au-delà de la logique de la lutte contre la fraude, elle permettrait peut-être de revoir la ventilation des ressources humaines administratives.

M. Bernard Derosier : C'est un travail intéressant pour le ministère des affaires sociales.

M. Pierre Morange, coprésident : Dans cet exercice, chacun peut battre sa coulpe : des collaborateurs qui étaient absorbés sur des tâches laborieuses et ingrates de traitement de données papiers pourraient être remis à la disposition des assurés.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Je vous remercie de nous avoir apporté votre regard très concret. Je vous demande de nous faire parvenir les réponses écrites et les documents complémentaires qui pourraient nous aider dans notre réflexion.

*

Audition de M. Jean-François Benevise, directeur général adjoint des services de la ville de Lyon, et Mme Véronique Fages, directrice de l'action sociale, M. Jean-Michel Marige, directeur général de l'action sociale de la ville de Créteil, et Mme Isabelle Blondin, responsable du service des prestations sociales, M. Jean-Michel Moynié, directeur du centre communal d'action sociale de la ville d'Agen, Mme Marielle Boyer-Schaeffer, directrice générale adjointe du centre communal d'action sociale de la ville de Lille, et M. Rodolphe Dumoulin, directeur de l'action sociale et de l'insertion.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Nous sommes heureux de vous accueillir à l'Assemblée nationale d'autant que tout ce qui a trait à l'organisation territoriale de l'action sociale nous paraît particulièrement important. M. Jean-François Benevise et Mme Véronique Fages, représentants la ville de Lyon, sont retardés par un problème de transport et nous rejoindront dans quelques minutes. Je donne sans plus tarder la parole à notre rapporteure.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Je vous remercie d'être venus nous présenter ce matin l'orientation de la politique d'action sociale menée dans vos villes respectives. Je souhaite que vous en dressiez un constat et que vous nous disiez quel bilan vous tirez de la décentralisation de l'action sociale. Sans doute serait-il pertinent que vous distinguiez aide sociale et action sociale, aspects légaux et extra légaux, action sociale obligatoire et facultative. Quelles sont selon vous les grandes tendances de l'évolution de l'action sociale ? Enfin, souhaitez-vous, au sein de vos compétences, développer la prévention de la précarité ?

M. Jean-Michel Moynié : Nous faisons face actuellement à la montée de la précarité et de la pauvreté, avec des personnes confrontées à de plus en plus de difficultés, en particulier dans l'accès au logement. Nous sommes donc en train de redéfinir les missions des travailleurs sociaux qui, jusqu'ici, se consacraient surtout à l'accompagnement social et à l'accueil personnalisé.

J'observe à ce propos que la répartition des tâches n'est pas très claire entre les travailleurs sociaux des départements et ceux des centres communaux d'action sociale (CCAS), les premiers se consacrant surtout à la prise en charge des familles et les seconds à celle des personnes isolées. Mais, avec la montée de la précarité, les personnes isolées sont de plus en plus nombreuses et la charge de nos travailleurs sociaux est donc de plus en plus lourde, ce qui fait que nous en arrivons à une logique de guichet. C'est d'ailleurs la conclusion à laquelle parvient le rapport annuel 2005 de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), qui parle de « guichétisation » et de solitude croissante des personnes en difficulté.

Compte tenu de la nécessité de plus en plus fréquente de faire face à l'urgence, il devient difficile d'accomplir le travail en profondeur pourtant indispensable et nous nous rendons également compte que ce traitement sous la forme d'un guichet ne favorise guère la socialisation de ces personnes isolées, qui sont à l'extrême limite de la marginalisation, mais aussi en souffrance psychique, ce qui pose problème aux travailleurs sociaux.

Dans ces conditions, les élus agenais ont cherché à redéfinir la mission des travailleurs sociaux de la ville en l'orientant vers l'accueil collectif ainsi que vers des ateliers consacrés en particulier au problème du logement.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Vous avez donc le sentiment de vous orienter vers le traitement des questions de précarité, d'isolement et d'exclusion. Que pensez-vous par ailleurs des réponses que les CCAS peuvent apporter aux personnes âgées et aux personnes handicapées, qui relèvent de plus en plus de la responsabilité des départements mais qui sont aussi de plus en plus en situation de précarité ?

M. Jean-Michel Moynié : La répartition des missions n'est pas claire et les CCAS ont du mal à trouver leur place. Bien sûr, la décentralisation a donné un rôle de chef de file au département mais quelle est la position des CCAS dans ce dispositif ? Il faudrait vraiment aller vers plus de coordination et de concertation entre les communes, en particulier les villes les plus importantes, et les départements.

S'agissant des caisses de sécurité sociale, nous avons l'impression d'un désengagement et cela contribue aussi à accroître considérablement la charge de travail de nos travailleurs sociaux. Au total, on a d'ailleurs un peu l'impression que chacun a tendance à renvoyer la charge vers l'autre.

M. Jean-Michel Marige : À Créteil, ville de 87 000 habitants, l'action sociale a été largement déléguée au CCAS, qui couvre les champs de la petite enfance, du troisième âge, du handicap et de l'aide aux plus démunis.

Nous constatons également une aggravation de la précarité due au chômage de longue durée mais aussi au nombre croissant de travailleurs pauvres, qui s'en sortent au quotidien mais qui, au moindre accident de la vie, n'ont pas d'autre solution que de nous appeler à l'aide.

Nous ressentons également le besoin de coordination avec les services départementaux de l'action sociale et avec l'administration départementale en général.

En ce qui concerne l'articulation entre l'action sociale légale et facultative, on peut prendre l'exemple des impayés d'énergie : dans le Val-de-Marne, les CCAS traitent par délégation le fonds départemental pour les impayés, ce qui permet que les interventions se fassent en fonction de barèmes et soient prises en charge par les crédits de l'aide sociale facultative.

En ce qui concerne le troisième âge et la petite enfance, la ville a fait le choix de gérer directement un certain nombre d'équipements. Les évolutions dans ces domaines sont un peu plus lentes car elles sont liées à la démographie. Nous ressentons surtout le besoin d'une stabilité des règles et du financement. Nous avons nous aussi le sentiment d'un certain désengagement des caisses d'allocations familiales (CAF).

Mme Marielle Boyer-Schaeffer : Je suis directrice générale adjointe pour la ville de Lille et je suis chargée d'un pôle qui couvre l'ensemble des politiques sociales au sens large. À ce titre, je suis également directrice du CCAS. Cette organisation montre la volonté extrêmement forte de la ville d'englober la politique sociale dans la politique au sens large.

Le constat que l'on peut faire pour Lille, ville de 208 000 habitants, est très proche de celui qu'ont dressé mes prédécesseurs avec, déjà depuis un certain temps, une forte réorientation vers la lutte contre l'exclusion et la précarité. Nous observons également une évolution de la population que nous devons prendre en charge, avec de plus en plus de travailleurs pauvres, mais aussi de personnes sans domicile fixe (SDF) vieillissantes, ce qui pose des difficultés d'hébergement. Les politiques sociales sont donc en train d'être réorientées vers ces problématiques.

Lille bénéficie d'un partenariat extrêmement étroit avec le département du Nord, notamment en ce qui concerne la lutte contre les exclusions et l'accompagnement des bénéficiaires du RMI, que le département délègue à la ville, mais aussi un grand nombre d'autres sujets comme les contrats enfance et tout le travail autour des fonds sociaux. Cette coopération repose sur une contractualisation qui associe également d'autres partenaires comme la CAF.

M. Rodolphe Dumoulin : Il me semble que nous sommes encore au milieu du gué de la décentralisation. Si les textes ont fait émerger un chef de file, cela ne suffit pas forcément à imposer un leadership : il va falloir pour cela un peu de temps, mais aussi des outils et des moyens. Nous devons également sortir du partage des publics, entre personnes isolées d'un côté et familles de l'autre, qui ne repose en rien sur la loi. Rien ne nous dit non plus que nous devons nous centrer sur les problèmes de précarité et d'insertion et laisser la petite enfance, le handicap et la gérontologie aux départements. La loi préconise plutôt une répartition des rôles et la subsidiarité, afin que l'intervention se fasse au plus près de ceux qui en ont besoin.

À Lille, nous appliquons avec détermination ce principe, tout simplement parce que le premier réflexe d'une personne en difficulté est de se tourner vers son maire. Pour sa part, le département a plutôt vocation à être le pilote et à mettre l'ensemble en cohérence. Mais nous cherchons encore très largement la bonne articulation.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Je vous rappelle que nous sommes la mission d'évaluation et de contrôle des comptes de la sécurité sociale et que notre travail actuel porte aussi sur l'action sociale des caisses de sécurité sociale. Au-delà du désengagement financier des caisses qui a été évoqué, nous souhaiterions donc que vous nous disiez quel est l'état des relations que vous entretenez avec les caisses. Nous aimerions savoir si vous passez des conventions avec elles et comment vos travailleurs sociaux travaillent avec ceux des caisses.

M. Jean-Michel Moynié : Alors que, dans les anciens contrats temps libre et contrats enfance, nos actions étaient prises en charge à 65 %, avec la création du contrat « enfance et jeunesse », qui couvre la tranche d'âges qui va de 3 à 16 ans, la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) a donné aux CAF l'instruction de ramener en quatre ans ce taux à 55 %. En outre, la prestation de service « «enfance et jeunesse » est calculée à partir du prix de revient mais dans la limite des prix plafonds fixés par la CNAF et la prestation peut être réduite si le taux d'occupation de la crèche est inférieur à un minimum. Ce dispositif ne tient absolument pas compte de la variation du taux d'occupation des berceaux selon les heures en fonction de la demande de prise en charge des familles. Cela ne nous empêche pas d'entretenir de bonnes relations humaines avec les agents locaux de la CAF, mais ce désengagement est vraiment préoccupant et le dernier congrès de l'Association des maires de France l'a d'ailleurs souligné.

M. Jean-Michel Marige : Je souscris à tout ce que vient de dire M. Moynié. Nous avons reçu la prestation de service unique comme une sorte d'injonction à exécuter des contrats horaires sans aucune analyse locale de la situation.

Mme Isabelle Blondin : En tant que cadre de terrain, j'entretiens quotidiennement des relations de partenariat avec les travailleurs sociaux des différentes caisses, avec lesquels nous partageons les informations. Nous nous réunissons pour traiter les problèmes de certaines familles.

Par ailleurs, le CCAS de Créteil gère d'autres dispositifs qui permettent d'organiser des montages financiers associant nos aides à celles de l'action sociale de la CAF et à celles qu'attribuent les bailleurs, notamment pour des impayés de loyers des personnes qui ne bénéficient pas du fonds de solidarité pour le logement (FSL). Il y a quelques années, nous avions décidé de promouvoir une organisation similaire pour les familles qui rencontrent des problèmes financiers récurrents et pour lesquelles l'action isolée d'un organisme paraît inefficace. Mais ce dispositif s'est arrêté, alors qu'il était perçu de façon très positive par les travailleurs sociaux de terrain parce qu'il permettait à la fois des aides mutualisées et des interventions conjointes. Le conseil général n'avait toutefois pas souhaité y participer, estimant que l'aide sociale à l'enfance ne pouvait pas entrer dans ce dispositif partenarial.

Nous avons aussi des contacts réguliers avec la caisse régionale d'assurance maladie d'Île-de-France (CRAMIF) et avec le service social de la caisse primaire d'assurance-maladie (CPAM), notamment pour répondre aux problèmes de certaines familles.

Enfin, le CCAS fait partie des financeurs qui peuvent apporter un complément, par l'intermédiaire du fonds de compensation, quand certains besoins ne sont pas totalement couverts par la prestation de compensation. Dans ce cas, c'est le département qui a pris l'initiative de constituer un réseau de partenaires. C'est en revanche le CCAS qui est à l'origine de la démarche pour les impayés de loyers. Ce dernier dispositif fonctionne depuis de nombreuses années.

Mme Marielle Boyer-Schaeffer : Je veux insister sur le travail contractuel avec la CAF sur la petite enfance car, au-delà du désengagement financier qui vient d'être souligné, nous observons aussi un désengagement qualitatif. En effet, si les créations de places sont couvertes par les contrats « enfance et jeunesse », tel n'est pas le cas d'autres actions, en particulier d'accompagnement, que nous avons fait figurer dans le nouveau contrat.

Nous entretenons avec la CAF un partenariat assez important autour des centres sociaux qui sont nos bras armés pour lutter contre l'exclusion dans les quartiers et qui bénéficient d'un cofinancement du département, de la caisse et du CCAS.

Je qualifierai d'assez distantes nos relations avec la CRAM : nous nous rencontrons au sein du centre local d'information et de coordination (CLIC) pour les personnes âgées, nous avons également travaillé ensemble pour la prestation de retour à domicile après une hospitalisation, dans la mesure où le CCAS est gestionnaire d'établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Pouvez-vous nous donner des précisisons sur la prestation de retour à domicile ?

Mme Marielle Boyer-Schaeffer : C'est un choix de la CRAM.

M. Pierre Sardou, inspecteur général des affaires sociales : Je confirme qu'il s'agit d'une orientation nationale de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), qui figure dans la convention d'objectifs et de gestion (COG).

M. Rodolphe Dumoulin : Je suis à l'origine agent de direction des caisses, en détachement à la ville de Lille et je connais donc assez bien le sujet des rapports entre les caisses et les CCAS.

Il est vrai que l'action sociale des caisses est essentiellement identifiée sur le financement des équipements, la question de l'implication des départements dans les contrats « enfance et jeunesse » devant évidemment être posée. Dans le Nord, nous avons pris l'initiative d'une contractualisation entre les communes, la CAF et le conseil général. De même, pour tout ce qui a trait à l'accès aux droits, les services sociaux des caisses sont de bons relais. Mais les choses s'arrêtent là et il reste à trouver une articulation pour les aides financières individuelles, les travailleurs sociaux étant encore très souvent obligés de faire le tour des différents intervenants pour trouver les quelques euros nécessaires pour débloquer une situation urgente.

Peut-être pourrait-on s'inspirer de ce qui se fait en matière de logement, domaine où nous travaillons étroitement avec la CAF autour des objectifs de prévention des expulsions en cas d'impayés de loyers - sujet particulièrement sensible dans les grandes villes en raison de l'explosion des loyers et des charges -, et de lutte contre l'habitat indécent. La CAF de Lille mène une action particulièrement déterminée sur ce dernier sujet, allant jusqu'à prendre des risques juridiques assumés en misant sur l'attitude des tribunaux appelés à mettre en balance le droit au loyer du propriétaire et le droit des occupants à un logement décent. Nous l'accompagnons dans cette démarche et nous nous apprêtons à signer une convention avec elle.

Mais nous sommes tout à fait conscients que c'est la bonne volonté des acteurs locaux qui compense le fait que l'on n'y voit pas très clair entre l'action sociale des caisses et celle des collectivités locales. Les caisses brûlent d'envie d'être autre chose que des payeurs, mais elles n'en ont pas vraiment les moyens financiers et humains et c'est pourquoi elles préfèrent se recentrer sur ce qu'elles savent et ce qu'elles peuvent faire. L'ambiguïté tient aussi à ce que l'on pense qu'il appartient au chef de file désigné de s'occuper de tout cela.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Nous n'avions pas encore eu l'occasion d'entendre ce que vous venez de nous dire sur l'action de la CAF de Lille par rapport à l'habitat indécent. Avez-vous connaissance d'exemples similaires ?

M. Rodolphe Dumoulin : C'est une tendance qui se développe à partir de la loi SRU - loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain - et deux ou trois caisses du Nord s'y essaient. Mais le risque lié au vide juridique explique les réticences des villes, qui craignent de mettre leurs locataires en difficulté. Il faut donc compléter la loi.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Nous avons été frappés par ce qui nous a été dit lors d'une précédente audition par le président de l'union nationale des CCAS (UNCCAS), sur l'analyse des besoins sociaux. Les caisses, les départements sont-ils, à côté de vous, acteurs de cette analyse ? Pensez-vous que ces bilans peuvent devenir des outils pour un travail en commun ?

M. Jean-Michel Moynié : En 2003, à l'initiative du CCAS, nous avons fait réaliser par un cabinet de consultants une analyse des besoins sociaux. Elle a été actualisée en 2005 et nous en tirons des conclusions sur l'évolution des actions à conduire dans la ville d'Agen. Mais il n'y a pas eu de concertation avec les caisses et le département auxquels nous avons simplement transmis ce document.

M. Jean-Michel Marige : C'est un sujet qui est toujours à l'étude chez nous. Nous disposons de documents sectoriels, de rapports d'activité, mais pas d'une vision panoramique globale soumise au conseil d'administration.

Nous avons des relations avec la CAF et avec la CPAM, mais les échanges de données sont encore embryonnaires et nous n'avons pas encore construit un observatoire qui nous permettrait de disposer de données fiables. Certes, nous recevons des données de la CAF, mais avec un tel décalage dans le temps qu'elles ne sont pas pertinentes pour une analyse des besoins.

Mme Marielle Boyer-Schaeffer : Nous ne sommes pas non plus très avancés dans ce domaine, mais nous espérons obtenir, lors de la prochaine réunion du conseil municipal, une subvention pour mener une analyse des besoins en 2007. C'est un des grands objectifs de notre CCAS.

La direction de l'action sociale et de l'insertion de Lille a toutefois une approche par quartier des besoins sociaux, qui sert à sa propre analyse. Dans une approche commune avec nos partenaires, en particulier le département, l'agglomération et la CAF, il serait intéressant de mieux appréhender les flux, chacun pouvant accéder aux informations. Mais sans doute risquons-nous de nous heurter à l'incompatibilité des systèmes informatiques.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : En tant que présidente de l'Agence d'urbanisme de Besançon, je ne puis que vous inciter à utiliser cet outil formidable que sont les agences d'urbanisme pour rapprocher les différents interlocuteurs dans le cadre de l'analyse des besoins.

Pouvez-vous par ailleurs nous indiquer si la problématique sanitaire est vraiment prise en compte dans l'action sociale et si vous disposez d'ateliers santé ?

M. Jean-Michel Moynié : Nous souhaitons lancer de tels ateliers. Mais cela se fera inévitablement dans le cadre des contrats de réussite éducative et seuls les enfants de ZEP -zone d'éducation prioritaire - seront concernés, ce que l'on peut regretter car il y a aussi des besoins en centre-ville. La ville a fait le choix, qui nous réjouit, non pas d'une organisation en groupement d'intérêt public, mais que notre CCAS soit porteur de ce dispositif, avec les services municipaux concernés. Ainsi, nos travailleurs sociaux seront appelés à créer des ateliers d'accès aux soins, centrés sur la prévention et la sensibilisation à la santé, ainsi que des ateliers d'éducation nutritionnelle.

Dans le domaine de la gérontologie, nous travaillons avec le centre hospitalier d'Agen et le CLIC sur des ateliers de prévention des chutes.

Nous menons aussi depuis trois ans, dans le cadre du contrat éducatif local, une action très efficace d'éducation nutritionnelle dans une école de ZEP, où l'équipe pédagogique s'était rendu compte que les enfants se bourraient de friandises à la récréation et ne mangeaient rien au déjeuner.

M. Jean-Michel Marige : Dans le cadre du label Arcade, nous menons, en partenariat financier et humain avec la CPAM et avec le département, des actions de prévention de l'obésité, ainsi, avec la faculté de chirurgie dentaire, que de prévention bucco-dentaire.

En ce qui concerne l'accès aux soins, nous travaillons essentiellement avec une association, Créteil solidarité, qui a été créé par des médecins généralistes et qui vise à regrouper les professionnels du secteur sanitaire et du secteur social, du secteur libéral et du secteur hospitalier, ainsi que des travailleurs sociaux. Cette association a créé un atelier santé-citoyenneté qui fonctionne depuis plusieurs années dans deux quartiers de la ville. Ses objectifs essentiels sont de faciliter l'accès aux droits, de faire prendre conscience de la complexité du système de santé et d'aider les personnes à s'y repérer. Cela se fait sans intervention particulière des caisses, si ce n'est que l'association est subventionnée au titre du Fonds d'aide à la qualité des soins de ville et qu'une équipe d'animateurs de la CPAM intervient à nos côtés.

Mme Marielle Boyer-Schaeffer : En raison du public dont nous avons la charge, la ville de Lille à la volonté très forte de s'inscrire dans la dynamique d'un réseau de santé. Nous avons ainsi cosigné avec le département et avec l'État un contrat territorial de santé, que je vous ferai parvenir, qui épouse les grands objectifs définis au niveau régional et qui s'adresse plus particulièrement aux personnes en précarité, mais aussi aux adolescents et aux enfants. Nous voulons continuer à faire vivre ce contrat dans le cadre du groupement régional de santé publique.

Nous avons également, pour un certain nombre d'actions de santé, des partenaires associatifs assez forts. Notre partenariat avec la caisse primaire d'assurance maladie porte sur des actions plus ponctuelles, à destination surtout des enfants d'âge scolaire. À partir du mois de février, une grande exposition intitulée Faites de la santé sera destinée à les sensibiliser.

Nos autres actions concernent en particulier le public des allocataires du RMI, dans le cadre du bilan de santé organisé en coopération avec la CPAM.

Enfin, comme à Agen, le thème de la santé est très présent dans tout le travail autour des équipes de réussite éducative.

M. Rodolphe Dumoulin : Nous travaillons bien avec la CPAM sur l'accès aux droits et sur la prévention, mais les choses sont beaucoup plus difficiles pour l'accès aux soins, en particulier dans la création d'un réseau en faveur de ceux qui, comme les SDF, sont le plus éloigné du système de santé. Cela vaut pour tout particulièrement pour la psychiatrie et nous sommes obligés de travailler directement avec les structures de soins ou de mobiliser les médecins libéraux les plus réceptifs. Même si l'union régionale des caisses d'assurance maladie (URCAM) sera sollicitée pour financer une partie du réseau, tout ceci me semble révélateur des difficultés que rencontrent les caisses avec ce type d'actions.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Je suis surprise, Monsieur Moynié, que vous soyez parvenu à inscrire une action d'éducation nutritionnelle dans le cadre du contrat éducatif local. Mais cet exemple ne concerne qu'une seule école. Avez-vous, les uns et les autres, connaissance d'expériences plus larges au sein d'une ville ou d'une communauté de communes ?

M. Jean-Michel Moynié : Ce sera une action forte de notre prochain dispositif de réussite éducative, qui visera toutes les écoles en ZEP, mais toujours pas les autres.

M. Jean-Michel Marige : Nos actions en matière d'éducation nutritionnelle et de prévention de l'obésité sont menées en partenariat avec la CPAM et avec son soutien financier. Considérant que le département intervient pour les collégiens et pour les enfants qui sont déjà en surcharge pondérale, la ville de Créteil a fait le choix de s'adresser à l'ensemble des enfants.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Existe-t-il dans vos villes des bureaux d'hygiène ? Interviennent-ils à vos côtés ou obéissent-ils à une logique à part ?

M. Jean-Michel Moynié : Le bureau d'hygiène municipal d'Agen intervient surtout pour l'habitat insalubre, avec des interventions auprès de personnes âgées dans le cadre de signalements.

M. Jean-Michel Marige : Pour nous, cela ne dépend pas de la ville mais de la communauté d'agglomération et nous n'entretenons que des relations épisodiques sur des problématiques d'habitat.

Mme Marielle Boyer-Schaeffer : Je ferai la même réponse, en mentionnant simplement une plus grande sensibilisation à l'occasion du plan de lutte contre la grippe aviaire.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : J'ai l'impression que vos relations avec les caisses tournent surtout autour de la gestion des dispositifs sur des actions de prévention. Or, ce qui nous intéresse, ce sont les réponses apportées par les communes, les départements et les caisses à des situations individuelles. Et je pense qu'il y a un lien entre le défaut d'organisation de la réponse individuelle et la souffrance psychique. Quelle importance attachez-vous à cette dernière ?

M. Jean-Michel Moynié : À Agen, les travailleurs sociaux reçoivent des personnes isolées, qui sont parfois à la limite de l'exclusion de tout environnement social, qui sont en véritable souffrance psychique, qui présentent des problèmes relationnels et qui se replient sur elles-mêmes. Dans ces conditions, il est très difficile au travailleur social de les inciter à un minimum d'autonomie et de prise en charge. Qui plus est, ces personnes deviennent rapidement agressives. Elles ne relèvent pas vraiment de la psychiatrie, mais elles sont, comme on dit, border line. Tout ce que peut faire le travailleur social, c'est essayer de recréer une relation, mais qui demeure éphémère, ce qui pose problème pour la réinsertion.

Au-delà, il faut souligner les graves carences de la psychiatrie en France, qui font qu'après avoir séjourné en milieu fermé, certains sont tout simplement renvoyés chez eux, avec un suivi très réduit. Cela conduit rapidement à des dérapages et le voisinage se tourne vers les élus et ces derniers vers les travailleurs sociaux qui sont totalement démunis pour faire face à une telle situation.

Mme Isabelle Blondin : L'association Créteil solidarité, qui anime l'atelier santé citoyenneté, a aussi créé un atelier santé mentale et exclusion qui réunit des professionnels du secteur sanitaire et social et auquel participe le médecin responsable du centre médico-psychologique (CMP), ainsi que différents travailleurs sociaux. L'idée est de constituer un réseau afin que les professionnels puissent discuter de situations dans lesquelles l'assistant social est en difficulté et où l'impossibilité de mobiliser la famille a des effets dans le domaine social. Je regrette toutefois que l'on reste dans l'évaluation et le diagnostic, sans prise en charge concrète.

M. Rodolphe Dumoulin : Je rejoins tout à fait ce qui vient d'être dit : nous avons les mêmes tentatives de réponse à des problématiques identiques. Face à ces situations, on a tendance à se dire qu'il ne s'agit plus vraiment d'action sociale bien que ces personnes ne relèvent pas de la psychiatrie. Mais qu'en fait-on ? Et comment faire en sorte qu'aller au devant de ces publics devienne un réflexe des acteurs du monde psychiatrique ? Je peux comprendre ceux qui disent qu'il est vain de forcer une personne à se faire soigner, mais l'on peut au moins essayer de susciter un déclic. Or, certains professionnels ne l'entendent pas.

Dans la mesure où les difficultés de ces personnes ont des effets sur le voisinage, il faudrait en fait impliquer ce dernier. On rejoint là une des fortes préoccupations de madame Martine Aubry, maire de Lille, qui est, sans donner le sentiment d'un désengagement des pouvoirs publics, d'articuler les solidarités institutionnelles et une solidarité de proximité, qui soit le fait des habitants, en utilisant des outils inédits comme ce « contrat entourage » que nous a proposé une association.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Sur ces questions de lien social et d'isolement, je vous invite à aller voir la pièce Le Jardin, au théâtre des Mathurins.

Pour revenir aux questions qui nous préoccupent, il me semble que vous êtes des acteurs de mobilisation sociale et de lien entre les prestations sociales et l'action sociale.

Je salue l'arrivée de M. Jean-François Bénévise et de Mme Véronique Fages, auxquels je propose de donner leur sentiment sur les questions qu'a posées tout à l'heure notre rapporteure sur la décentralisation de l'action sociale et sur l'évolution récente de cette dernière, ainsi que sur la distinction entre aide sociale et action sociale, légal et extra légal, obligatoire et facultatif.

M. Jean-François Bénévise : Je vous prie d'excuser notre retard.

L'action sociale de la ville de Lyon passe à la fois par le CCAS et par toutes nos interventions en matière de logement, d'éducation, d'aide à l'emploi. Dans l'action sociale proprement dite, nous intervenons sur le terrain de la solidarité, avec les maisons de l'urgence sociale et de l'entraide qui jouent le rôle de guichet unique pour traiter les difficultés et pour orienter les personnes. Nous disposons dans ce cadre de deux restaurants sociaux et de bains-douches. La ville intervient aussi dans le cadre du plan grand froid, qui est en fait de la responsabilité de l'État, dans les dispositifs de veille sociale et d'hébergement d'urgence. Elle assure l'aide aux sinistrés en cas de catastrophe. Elle accueille les publics fragiles dans les antennes présentes dans chaque arrondissement. Elle intervient dans l'aide aux formalités, dans l'accès aux droits, dans l'aide facultative à environ 10 000 familles. Elle assure des visites à domicile.

En matière de gérontologie, nos interventions sont classiques : soutien aux associations pour le maintien à domicile et offre d'hébergement dans nos 23 résidences pour personnes âgées et dans nos quatre EHPAD.

Comme les autres communes, en particulier les villes centres y compris les plus aisées, nous sommes de plus en plus exposés à la montée de la pauvreté et à l'isolement.

S'agissant des relations entre collectivités, nous assistons à des transferts de charges, qu'ils soient explicites ou implicites. Ainsi, nous recevons une subvention de 53 000 euros pour un service de santé scolaire qui nous coûte 3,5 millions... Même si nous allons au-delà de nos obligations, j'observe que l'engagement relatif au montant de la subvention qui avait été négociée avec l'éducation nationale dans le cadre d'un contrat d'objectifs n'a pas été respecté.

On peut aussi parler, dans le domaine de la petite enfance, de la réduction des financements pour les places de crèche alors que l'on nous incite à en créer et que nous sommes confrontés à des normes de plus en plus contraignantes et onéreuses.

Mais il y a aussi les transferts plus insidieux, dans la mesure où la commune se retrouve en première ligne pour l'aide facultative, tout simplement parce que c'est vers son maire que l'on se tourne en premier. Un autre problème tient au fait qu'une collectivité de deuxième niveau peut poser des limites à son intervention. C'est ce qu'a fait le conseil général du Rhône, par exemple en fixant des critères d'âge pour la prévention spécialisée et cela a des conséquences sur la ville, qui est bien obligée de faire quelque chose même si cela ne relève pas de ses compétences directes. En cas de désengagement, c'est toujours celui qui est en première ligne qui supporte la charge, c'est aussi ce que disent les grandes associations caritatives, qui dénoncent la tendance de l'action sociale publique à se décharger sur elles.

À l'inverse, une collectivité peut décider de faire plus que ce qu'elle est tenue de faire. Ainsi, la ville participe à hauteur de 420 000 euros par an, soit 10 % de la somme engagée par l'État, au plan « Grand Froid » à Lyon.

Dans nos relations avec le conseil général, la grande question est celle du partage des responsabilités. Si l'on veut éviter les conflits de compétences, faut-il un partage par territoire, le conseil général intervenant plutôt dans le monde rural et la ville, par délégation, dans le monde urbain, ou bien un partage par publics, qui pose le problème de la distinction entre individus et familles ? La question se pose moins du côté des travailleurs sociaux, qui doivent avant tout assurer la prise en charge, que du côté des institutions. Le conseil général se demande aussi comment concilier la vocation universelle du service social départemental et les limites que la décentralisation ou que les moyens dont il dispose posent à ses compétences.

Après la suppression du rôle de coordination de l'État qui était prévu dans la loi de lutte contre les exclusions, on a dévolu la fonction de chef de file au conseil général. Or, le chef de file c'est celui qui prend l'initiative, il n'est donc pas possible d'assurer en même temps la coordination et on peut donc se demander qui en a aujourd'hui la charge.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : En effet, la loi donne au conseil général la fonction de chef de file, mais à vous entendre on a l'impression que les conseils généraux exercent aussi une gestion directe, y compris des aides individuelles. Les choses paraissent toutefois appelées à évoluer.

Il apparaît nécessaire par ailleurs de clarifier un certain nombre de missions. Faut-il pour cela aller plus loin dans la notion de chef de file, passer à des compétences clairement identifiées, y compris en matière de financement, ou rester dans le flou actuel ? Faut-il imaginer de nouveaux dispositifs associant sanitaire, social et médico-social ? Quelle place devrait être la vôtre dans tout cela ?

M. Jean-Michel Moynié : Je ressens le besoin de clarifier la répartition entre les caisses, les départements et les collectivités. Pour le moins, il faudrait qu'il soit impératif de travailler ensemble et d'organiser la coopération entre les services sociaux des départements et des villes, les caisses étant pour l'instant particulièrement absentes.

M. Jean-Michel Marige : Il existe sur le terrain des accords locaux, formels ou informels, et cela fonctionne. Je ne sais pas s'il faudrait les formaliser davantage mais il conviendrait sans doute d'aller vers une politique d'incitation. Les départements ont le souci légitime d'assurer l'égalité de traitement sur l'ensemble de leur territoire, tandis que les CCAS fonctionnent selon le principe de la libre administration des collectivités locales.

Je crois aussi que les départements n'ont pas assez l'habitude de traiter avec l'Union nationale des CCAS.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Les relations avec l'UNCCAS nous paraissent en effet essentielles.

Vous avez dressé le constat de la grande hétérogénéité de l'action sociale des CCAS, une harmonisation vous paraît-elle nécessaire ?

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales : Je suis simplement passé saluer les participants à cette réunion, en particulier les représentants de la ville de Lyon. Je suis désolé de ne pouvoir participer à vos travaux, mais l'agenda des fins de législatures est traditionnellement chargé et notre commission est ce matin impliquée dans cinq réunions simultanées, y compris le débat en séance publique.

Mme Marielle Boyer-Schaeffer : Les mairies sont en première ligne pour toutes les questions de précarité et de solidarité alors qu'il ne s'agit pas véritablement d'une compétence municipale. Il est vrai que l'on constate des difficultés dues à l'empilement des compétences et je suis donc favorable à l'idée d'un chef de file, qui serait le garant de l'équité territoriale mais qui saurait aussi déléguer par le biais de contrats avec les CCAS sur des champs précisément déterminés.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Quel lien faites-vous avec les questions sanitaires.

Mme Marielle Boyer-Schaeffer : C'est la question éternelle du croisement entre le champ social et le champ sanitaire. Je ne vois pas pourquoi les agences régionales d'hospitalisation (ARH) ne pourraient pas prendre l'intervention de communes en compte dans les schémas régionaux d'organisation sanitaire (SROS).

M. Jean-François Bénévise : Ayant pris en charge des blocs de compétence importants, le conseil général sera enclin à leur donner davantage de poids qu'à l'aide sociale facultative, d'autant qu'il reçoit pour cela des financements et qu'il intervient un peu en substitut de la sécurité sociale. Il est d'ailleurs surtout sollicité en tant qu'organisme délivrant des prestations et les communes n'ont pas vocation à lui contester ce rôle.

Le problème se pose donc pour les aides facultatives, avec le risque de conflit négatif, si tout le monde se renvoie la balle, et de conflit positif, si l'on verse deux fois la même allocation. Compte tenu des traditions, il ne paraîtrait pas illogique que l'action sociale facultative soit intégralement déléguée aux communes. Encore faudrait-il que le conseil général l'accepte, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Il me semble qu'on peut distinguer la compétence d'accueil et d'écoute de tous les publics et la distribution d'allocations et d'aides.

Mais la véritable question est celle du financement : alors que l'attribution de nouvelles compétences aux conseils généraux s'est faite sur la base de transferts clairement identifiés, pour les communes on considère que c'est une évidence. Or, les maires ont le sentiment d'une injustice : ils comprennent qu'on leur demande de prendre en charge les besoins de proximité mais ils ne jugent pas équitable qu'on ne leur en donne pas les moyens et qu'on considère que cela s'inscrit en fait dans une logique caritative.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Cela ne tient-il pas au fait que les transferts et les créations concernent les prestations et non l'action sociale ? Du coup, la question de l'animation de l'action sociale, que portent en grande partie les CCAS, n'est jamais posée en termes de financement : qui paie les travailleurs sociaux et qui accueille ? Dans le champ de la petite enfance, c'est le département, pour les personnes âgées, les choses ne sont pas très claires et, évidemment, elles le sont encore moins pour le public border line.

M. Jean-François Bénévise : On peut aussi considérer qu'il faudrait que la loi soit plus claire. Pour assurer l'égalité de traitement et pour rassurer les élus en leur permettant de faire les bons arbitrages dans leur collectivité, il faudrait qu'ils sachent ce qui dépend exactement d'eux. Les choses sont très différentes pour l'éducation : on ne se pose pas la question de la prise en charge de la compétence éducative. En revanche, pour l'action sociale on se demande sans cesse jusqu'où on doit aller et comment on peut y aller. Or, en particulier en raison de l'existence des CCAS, qui sont une structure distincte de la commune, l'action sociale n'est pas toujours perçue comme une mission essentielle de la ville.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Je suis désolée que nous n'ayons pas le temps de vous entendre davantage. Je vous remercie tous pour la qualité de vos interventions, nourries de vos expériences de terrain, et je vous invite à nous faire parvenir toutes les propositions précises dont vous pensez qu'elles pourraient nourrir notre réflexion.

AUDITIONS DU 21 DÉCEMBRE 2006

Audition de M. Guy Magal, directeur de la Caisse d'allocations familiales d'Agen, et Mme Martine Mauroux, responsable de l'action sociale ; M. Daniel Forafo, directeur de la Caisse d'allocations familiales de Lille ; M. Philippe Simonnot, directeur de la Caisse d'allocations familiales de Lyon, et M. Jean-Michel Sérouart, directeur de l'action sociale ; M. Christian Moutier, directeur de la Caisse d'allocations familiales de Créteil.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Je suis heureuse de vous accueillir à l'Assemblée nationale. Je donne sans plus tarder la parole à notre rapporteure, qui souhaite plus particulièrement vous interroger sur les articulations entre tous les acteurs de l'action sociale sur le terrain.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Nous approchons de la fin des auditions que nous avons entamées il y a plusieurs semaines et que nous achèverons le 11 janvier prochain en accueillant le ministre. Mais nous avons surtout décidé de rencontrer les principaux acteurs locaux concernés et c'est à ce titre que nous recevons ce matin les représentants des caisses d'allocations familiales des quatre départements que nous avons sélectionnés avec l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) : le Lot-et-Garonne, le Nord, le Rhône et le Val-de-Marne.

Je vous propose de commencer en nous présentant chacun les principaux points de votre action et, pour cela, de vous efforcer de répondre à ces quelques questions. Pouvez-vous nous indiquer quels sont vos moyens et vos activités, en matière d'action sociale ? Votre présence sur le terrain est-elle coordonnée avec celle des autres acteurs ? Quels sont les grands axes de vos schémas directeurs d'action sociale ? Comment ont-ils été conçus ? Comment pensez-vous qu'il serait souhaitable de les faire évoluer ? Quelle est votre politique en matière de partenariat, de coopération et de contractualisation ? Quelles sont vos relations avec le conseil général, les associations et les autres partenaires ? Comment serait-il souhaitable de les faire évoluer ? Enfin, comment s'effectuent les échanges d'informations avec les autres acteurs ?

M. Guy Magal : Je vous ai fait parvenir notre schéma directeur d'action sociale. Notre première priorité est d'améliorer la vie quotidienne des familles et de favoriser celles qui ont des enfants, à travers tous les dispositifs destinés à la petite enfance et aux loisirs, en particulier les nouveaux contrats enfance et jeunesse. Notre seconde priorité est l'accompagnement des familles, notamment les plus en difficultés. En Lot-et-Garonne, un nombre important de familles n'ont pour seules ressources que les allocations que leur verse la Caisse d'allocations familiales (CAF).

Nous consacrons environ 16 millions d'euros à l'action sociale et nous versons 210 millions de prestations légales. Ces montants se complètent puisqu'on ne peut pas concevoir de verser des prestations familiales sans accompagner aussi la famille. Les 16 millions de l'action sociale se décomposent en 4 millions de dotations sur fonds propres et 12 millions de prestations de services versés à nos partenaires. Ces moyens se répartissent entre aides individuelles, aides collectives et subventionnement de la gestion directe. Les premières représentent environ 11 % du total, et prennent essentiellement la forme d'aides aux vacances et aux loyers. Les prestations de service passent par le financement des œuvres : nous en soutenons financièrement et techniquement environ 200.

Dans le contexte actuel, l'évolution de l'action sociale doit surtout consister en la maîtrise des ressources qui y sont affectées.

Nous entretenons de nombreuses relations de partenariat, notamment avec le conseil général, au sein d'un certain nombre de commissions mais aussi dans l'action quotidienne des travailleurs sociaux. Nous avons par ailleurs reçu récemment tous les responsables des structures enfance et loisirs, qui étaient souvent accompagné d'élus, afin d'échanger sur l'application du contrat enfance et jeunesse.

S'agissant des échanges d'informations, le conseil général a créé un observatoire des données sociales dont la CAF est membre à part entière et auquel elle fournit les données dont elle dispose.

M. Christian Moutier : Le schéma directeur de l'action sociale de la caisse d'allocations familiales du Val-de-Marne ne présente pas d'originalité particulière par rapport aux orientations nationales de la politique d'action sociale de la branche famille. Au-delà des grands axes généraux de ce dernier, nous insistons tout particulièrement sur la politique en direction de la petite enfance et sur l'accompagnement de la fonction parentale.

Notre caisse est de taille importante puisque nous couvrons 215 000 allocataires et que nous versons un peu plus d'un milliard d'euros de prestations légales par an. Notre budget global en faveur de l'action sociale est d'environ 93 millions d'euros, dont 73 millions au titre de fonds affectés et 20 millions au titre de nos fonds propres. Nous soutenons financièrement environ 400 structures et notre action est reconnue par nos partenaires, le conseil général et les communes. Nous sommes tout particulièrement concernés par les contrats enfance et jeunesse.

Il me semble qu'une des clés de l'évolution du schéma directeur serait de faire progresser le processus de contractualisation et de relations avec nos partenaires vers un peu plus d'autonomie. En effet, le cadre réglementaire n'est pas toujours adapté à la variété des situations de nos partenaires. Cela vaut bien sûr pour le contrat enfance et jeunesse, mais aussi pour la volonté politique de soutenir le développement des structures interentreprises pour la petite enfance, domaine dans lequel les problématiques ne sont pas les mêmes selon les collectivités territoriales. Nous ressentons donc le besoin d'ouvrir des possibilités d'adaptation locale pour répondre au besoin des entreprises comme des collectivités. Si la CAF a déjà montré qu'elle était capable de travailler à enveloppes fermées, notre conseil d'administration juge néanmoins nécessaire d'apporter davantage de souplesse afin de permettre à nos partenaires départementaux de répondre à leurs besoins. Il nous semble que nous sommes au service à la fois de la politique publique nationale et de la politique départementale dans le cadre de la décentralisation.

Comme toutes les caisses d'allocations familiales, nous entretenons d'excellents partenariats. Si la coopération est bien instituée en ce qui concerne les aides légales comme le revenu minimum d'insertion (RMI) ou le fonds de solidarité logement (FSL), les choses sont un peu plus difficiles pour ce qui a trait à l'action sociale, car nos partenaires comprennent mal que nous soyons obligés de réduire nos interventions. Ils reconnaissent le soutien que nous leur apportons notamment en matière d'investissements, mais ce sont les incertitudes sur sa pérennité qui les inquiètent, ce qui fait que les collectivités locales hésitent parfois à se lancer dans certaines réalisations.

Nos relations avec le conseil général comme avec les associations et les autres partenaires sont bonnes.

Enfin, nous pratiquons depuis plusieurs années les échanges d'informations, mais nous aurions peut-être besoin de les rationaliser. Avant d'aller plus loin, notamment en matière informatique, il paraît vraiment nécessaire de simplifier et de clarifier les règles et les compétences des uns et des autres, ne serait-ce que pour savoir quelles informations on va échanger.

M. Daniel Forafo : La CAF de Lille est une des huit caisses d'allocations familiales du département du Nord. Elle couvre 90 communes, compte 140 000 allocataires et verse chaque année 700 millions d'euros de prestations. Elle présente la particularité que plus de la moitié de ses allocataires ne touchent pas de prestations familiales mais des prestations de précarité et de subsidiarité. Cela a un impact non négligeable sur l'accueil et sur les partenariats. La CAF de Lille est également une caisse universitaire, avec 25 000 étudiants allocataires, qui ne relèvent bien sûr pas des prestations familiales.

La CAF dispose au titre de l'action sociale d'un budget d'environ 40 millions d'euros : 10 millions au titre des dotations et 30 millions pour les prestations de services. Les deux tiers de nos recettes et de nos dépenses d'action sociale ne sont pas liées à des recettes propres donc à des décisions de notre conseil d'administration. Sur les 40 millions, 30 sont issus de dispositifs légaux nationaux et bénéficient donc d'un financement national.

Les communes sont nos principaux partenaires, à travers la politique contractuelle, en particulier avec le contrat enfance et jeunesse, mais aussi à travers d'autres dispositifs comme les centres sociaux. Notre partenariat avec les communes s'instaure aussi sous la forme d'une expertise : nous sommes dotés d'une cellule « études, recherche, prospective », qui fournit des études statistiques et des analyses de ces données dont les communes sont très friandes. Le fait d'être organisés en huit caisses n'est pas un inconvénient dans notre partenariat avec le conseil général car nous nous sommes fédérés en une association départementale, l'ADECAF, ce qui nous permet de parler d'une seule voix. Les communes et les départements jugent positivement ce partenariat, pas seulement parce que nous sommes les financeurs mais parce qu'il prend aussi la forme d'une expertise et d'une aide au diagnostic et à l'évaluation. Je souhaite qu'il se poursuive, pas forcément sous la forme actuelle, mais au moins que la CAF demeure un des opérateurs de l'action sociale. Il conviendrait toutefois de simplifier le dispositif et de clarifier quelque peu les missions des uns et des autres car l'enchevêtrement actuel empêche parfois de s'y retrouver. Cela contribuerait aussi à ce que la caisse identifie ce qu'elle peut apporter comme valeur ajoutée au sein de ce partenariat ainsi que ce qui fait sa légitimité.

M. Philippe Simonnot : Pour des raisons historiques, il existe deux caisses d'allocations familiales dans le Rhône. Celle de Lyon est la plus importante puisqu'elle couvre 54 % de la superficie du département et, surtout, 89 % de la population. Avec 288 000 allocataires, elle est la troisième CAF de France par son volume d'activité. Plus de la moitié des habitants de la circonscription sont couverts par au moins une prestation versée par la CAF et ce taux est encore plus élevé pour les communes de la première couronne Est, dont certaines sont confrontées à plus de difficultés, en particulier Vaulx-en-Velin et Vénissieux. Notre caisse est donc située dans une région qui connaît à la fois un extraordinaire développement économique et de grandes difficultés sociales caractérisées par l'isolement et par la précarité.

Les prestations que nous leur versons représentent plus de 80 % des ressources de 16 % de nos allocataires. Près des deux tiers d'entre eux sont des personnes isolées sans enfant et un cinquième des familles monoparentales.

Parmi nos allocataires, nous comptons 59 % de bénéficiaires d'une aide au logement contre 55 % en moyenne nationale ; 44 % de bénéficiaires d'allocations d'entretien des enfants contre 49 % en moyenne nationale ; 16 % de bénéficiaires des minima sociaux, contre 20 % en moyenne nationale ; 21 % de bénéficiaires de l'allocation pour jeune enfant, soit sensiblement autant que la moyenne nationale.

Au regard de cette réalité, la politique de notre caisse a été nourrie par la réflexion de nos conseils d'administration successifs, qui sont des lieux de démocratie sociale, où s'expriment des sensibilités diverses mais qui savent toujours défendre l'intérêt des familles et des enfants, à tel point que les décisions relatives à l'action sociale sont généralement prises à l'unanimité.

Mais notre politique d'action sociale se construit aussi avec les acteurs de terrain. C'est le cas du schéma directeur d'action sociale, qui a été élaboré dans une vraie démarche participative associant nos travailleurs sociaux et nos équipes immergées dans les centres sociaux - car nous soutenons un grand nombre des 69 centres sociaux du département, ce que les élus apprécient particulièrement. Ils souhaitent que la caisse d'allocations familiales reste présente dans ce secteur, tout en sachant bien sûr s'adapter. Cela suppose un diagnostic et une réflexion reposant sur une écoute et sur une analyse. Pour cette dernière, la CAF est riche de ses outils informatiques qui lui permettent de puiser dans ses fichiers des informations précieuses pour ses propres besoins comme pour ceux de ses partenaires, afin de guider les politiques publiques.

L'accompagnement des familles a pendant longtemps occupé la première place au sein de l'action sociale de la CAF de Lyon, notamment avec les prêts à l'équipement familial, avec les bourses sociales d'insertion et avec les secours individuels d'urgence. Tout ceci se fait dans la discrétion, grâce au travail admirable et à la capacité d'écoute de nos assistantes sociales, de nos travailleurs sociaux et de nos équipes dans les centres sociaux, dont on parle peu mais dont on mesure toute l'importance au regard de situations sociales très douloureuses. Nos personnels sont d'ailleurs fortement imprégnés de la conscience de leurs missions de service public, soucieux à la fois d'être respectueux des textes et de s'adapter aux réalités, au fait que chaque histoire est personnelle.

Désormais, la priorité est donnée à l'enfance, en application des orientations de l'ancienne convention d'objectifs et de gestion (COG). Nos partenaires, en particulier les maires, l'attendaient. Sur les 162 communes de la circonscription, 147 sont aujourd'hui couvertes par un contrat enfance et jeunesse. Les maires, y compris ruraux, nous disent que toutes les jeunes familles sont demandeuses d'une solution de garde d'enfants et qu'elles privilégient les modes collectifs. Cela tient tout simplement au fait que près de 85 % des femmes de la tranche 19-50 ans travaillent, non seulement parce que le statut de la femme dans la société a changé, mais aussi parce qu'un ménage ne peut pas s'en sortir avec un seul salaire. Confrontés à cette forte augmentation des besoins, les élus ont beaucoup apprécié de pouvoir compter sur les caisses d'allocations familiales pour y répondre.

Nous sommes également présents dans tout le secteur de l'animation sociale, qui représente 16 % de nos dépenses d'action sociale. Cela s'explique par le grand nombre de centres sociaux que compte la circonscription, pour des motifs historiques mais aussi en raison de la réalité sociale. Cette spécificité subsiste : même si nous ne gérons plus directement les centres sociaux, nous mettons à leur disposition un grand nombre de nos personnels pour aider toutes les activités socio-éducatives qui favorisent le lien entre les générations et le mieux vivre des populations. Ce maillage nous permet d'appliquer les politiques nationales au plus près du terrain, avec un travail d'écoute et d'observation très fin.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Je souhaite que nous revenions sur la montée de la précarité. Quelle appréciation portez-vous sur l'évolution des besoins d'action sociale ? Pensez-vous qu'il faudrait développer la prévention de la précarité ? Comment conviendrait-il de procéder ?

Par ailleurs, pouvez-vous les uns et les autres nous en dire davantage sur la mission d'expertise des caisses ?

J'aimerais également que vous fassiez le point sur la mise en œuvre par votre caisse des règles de financement du nouveau contrat enfance et jeunesse. Rencontrez-vous des problèmes ? Lesquels ? Les nouvelles règles de financement des structures d'accueil sont-elles bien comprises par les communes ? Comment faites-vous pour maîtriser la dépense et pour respecter votre budget ?

Enfin, il nous a été dit lors de précédentes auditions que les travailleurs sociaux éprouvaient des difficultés dans une société de plus en plus en souffrance et qu'ils avaient le sentiment d'être isolés, mal compris et ne pas pouvoir exercer leurs missions comme ils le voudraient. Quel est votre avis à ce propos ?

Je souhaiterais également, si nous en avons le temps, que nous revenions sur la question de la simplification.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Au regard de l'importance de ces questions, je propose que vous commenciez par nous expliquer comment sont organisés vos dispositif de connaissance et d'évaluation avant d'en venir aux travailleurs sociaux. Dans les deux cas, ce qui nous intéresse particulièrement, c'est ce que vous faites avec vos partenaires, dont nous avons bien compris que les principaux étaient les communes et les départements.

Enfin, en tant qu'élus, nous entendons souvent le grief fait aux caisses sur les conditions d'accueil, en particulier au téléphone. L'« écoute » dont vous nous avez parlé ne passe-t-elle pas aussi par là ?

M. Guy Magal : En ce qui concerne la précarité, il faut souligner que 40 % de nos allocataires n'ont pas d'enfants et que 20 % sont concernés par les minima sociaux - revenu minimum d'insertion (RMI), allocation pour adulte handicapé (AAH) et allocation de parent isolé (API). Ces personnes sont accueillies par des techniciens conseil qui instruisent leurs dossiers. En cas de difficultés, elles sont dirigées vers les travailleurs sociaux qui appliquent plusieurs politiques : accès aux droits, accès au logement, lutte contre le logement insalubre, médiation sociale afin de permettre aux allocataires de s'y retrouver dans le maquis administratif. Nous travaillons bien évidemment avec les partenaires concernés, en particulier les élus pour le logement. Nos travailleurs sociaux, qui exerçaient surtout auparavant une action sociale individuelle, ont été formés pour répondre à ces nouveaux besoins collectifs. Ce métier n'est pas facile dans la mesure où la précarité et l'instabilité sociale progressent considérablement.

S'agissant de l'expertise, outre nos chargés d'études, les travailleurs sociaux ont également été formés afin de déterminer les critères d'évaluation qui permettent de vérifier l'efficacité de leur action. Nous disposons par ailleurs de documents cartographiques, en particulier sur les territoires socialement prioritaires, en fonction des critères retenus dans la nouvelle COG : faible potentiel fiscal, nombre important d'allocataires en situation difficile, nombre réduit de structures dédiées à la petite enfance et aux loisirs.

Enfin, de très importants progrès ont été réalisés en matière d'accueil et les CAF ont obtenu en 2006 le « trophée de la relation clients ».

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Vous avez parlé tout à l'heure d'un observatoire installé par le département. Comment y participez-vous ? Êtes-vous par exemple impliqués dans l'analyse des besoins sociaux (ABS) que doivent produire les centres communaux d'action sociale (CCAS) ?

M. Guy Magal : Une société spécialisée dans ce domaine a créé l'observatoire et nous y avons aidé en fournissant toutes nos données. En effet, nous disposons d'outils performants permettant de déterminer le profil social de chaque commune.

Mme Martine Mauroux : L'ensemble des partenaires a participé à cette création, des réunions nous ayant permis de commenter et d'analyser les résultats. Nous ignorons encore si le conseil général actualisera cette étude, mais elle nous a déjà servi dans l'élaboration de notre schéma directeur et, pour notre part, nous avons les moyens de faire vivre les données sociales dont nous disposons.

M. Guy Magal : Il y a des progrès à faire dans l'information réciproque des partenaires, qui paraît pourtant importante afin de décloisonner les différentes actions. La CAF est la seule à tenir des séances publiques, à réaliser un diagnostic territorial avec les différents partenaires, ce qui nous permet de montrer la plus-value de notre action sociale, trop méconnue des responsables des CCAS. Nous devons donc mieux faire connaître l'offre de services destinée à atteindre nos 80 objectifs, d'autant que nous avons besoin pour cela de développer des complémentarités.

M. Christian Moutier : Pour répondre à une question antérieure, 20 % des allocataires de la CAF du Val-de-Marne sont bénéficiaires de minima sociaux, 30 % sont « non familiaux », 50 % bénéficient de l'aide au logement.

Notre caisse dispose d'un pôle d'expertise, d'analyse et d'interprétation des chiffres qui emploie deux ou trois agents, dont un de très haut niveau, spécialiste de la statistique. Cette source d'information extraordinaire est reconnue par tous nos partenaires, notamment l'État et le conseil général. Nous fournissons énormément de données, non seulement de notre propre initiative, mais aussi pour répondre à la demande de nos partenaires. Notre fichier des allocataires peut contenir jusqu'à mille informations par compte, que nous pouvons croiser en fonction des besoins. Nous fournissons ainsi des études très régulières aux communes et au conseil général et nous venons de passer avec le préfet, dans le cadre des contrats urbains de cohésion sociale, un accord d'échange d'informations sur quatre ans, pour lequel nous fournirons des données et des interprétations des données, sans aller toutefois jusqu'aux préconisations, qui demeurent de la responsabilité des politiques.

La CAF du Val-de-Marne est aussi gestionnaire, pour le compte de toutes les caisses d'Île-de-France, d'un service particulier qui analyse les données relatives à l'ensemble de la population de la région. Ce service est bien sûr à la disposition des CAF, mais il est surtout sollicité par les partenaires. Je suis ainsi en train de négocier une convention avec la direction régionale de l'équipement, afin de réaliser des analyses sur le logement, sur les impayés de loyers, sur l'habitat diffus privé. C'est un des domaines dans lesquels nos compétences sont extrêmement reconnues par nos partenaires.

Pour répondre à une autre question, je dirais que nous sommes dans une période clé de l'évolution du travail social. Il y a fallu du temps, mais la réforme des études des travailleurs sociaux est désormais lancée et nous en attendons une adaptation du travail social, qui a quand même beaucoup changé ces quinze dernières années. Qui plus est, la plupart des caisses sont maintenant sorties de la polyvalence de secteur, ce qui a amené une évolution importante du travail social au sein de nos équipes.

Dans le Val-de-Marne, nous avons d'abord essayé de stimuler le travail social sur nos populations sensibles d'allocataires : personnes pauvres et précaires, enfants handicapés, familles monoparentales, familles nombreuses. Un gros travail a aussi été fait sur les impayés de loyers dans le secteur privé, qui nous sont apparus moins bien pris en charge que dans le secteur public. Nos travailleurs sociaux s'efforcent de détecter les impayés dès le début, ce qui est un gage d'efficacité.

Nous avons par ailleurs fait des propositions aux travailleurs sociaux de la caisse afin de faire évoluer les métiers et les compétences. Plusieurs se sont lancés dans une formation complémentaire, et certains dans une validation des acquis de l'expérience (VAE) sur la médiation familiale, dont nous considérons qu'il s'agit d'un pôle majeur du travail familial pour les vingt années à venir. De façon plus étonnante, certains travailleurs sociaux ont souhaité faire une formation d'agent de contrôle et s'orienter vers la détection de la fraude, ce qui nous réjouit car l'approche sociale complète ainsi l'approche administrative.

La CAF du Val-de-Marne a aussi lancé il y a trois ans et consolidé cette année une fusion complète des départements prestations et action sociales. Nous sommes partis de l'idée que la distinction entre les deux n'avait aucune signification pour l'usager, qui demande simplement un service. Non contents de fusionner les services, nous avons aussi fusionné les compétences des agents. Cela signifie que, dans pratiquement tous les pôles d'activité de la caisse, on trouve à la fois un travailleur social et un technicien spécialiste de la législation de la branche famille. Les résultats dépassent nos espérances, pour notre fonctionnement interne comme pour nos partenaires et pour les allocataires, qui trouvent en un seul pôle l'ensemble des informations dont ils ont besoin.

Nous avons résolu le problème de l'accueil téléphonique, puisque nous avons depuis plusieurs années un taux remarquablement stable de 97 % de couverture des communications téléphoniques. Nous recevons 700 allocataires chaque jour, et des progrès doivent encore être faits dans l'accueil sur place, grâce à l'important projet immobilier que nous élaborons actuellement.

Un des problèmes de l'accueil est son lien avec l'ensemble des services fournis par la caisse. Nous disposons désormais d'outils qui nous permettent d'essayer d'aller vers une approche globale du contact de l'allocataire avec la caisse. En effet, si un allocataire se rend sur place et doit téléphoner deux semaines plus tard, c'est qu'il y a un problème ! L'outil informatique nous permet désormais de recenser l'ensemble des informations relatives au contact avec l'allocataire afin d'identifier les problèmes et, le cas échéant, de reprendre nous-mêmes contact et d'envoyer un travailleur social.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Quand une personne appelle la CAF, qui paie l'attente ?

M. Christian Moutier : Nous passons par une plate-forme téléphonique et c'est l'allocataire qui paie la communication. Même si cela lui coûte désormais 0,13 € la minute, la réduction très importante du délai d'attente a permis de diminuer sensiblement le coût par rapport à ce qu'il était du temps où nous avions recours à l'opérateur historique.

M. Pierre Morange, coprésident : La MECSS ayant vocation à améliorer le rapport coût-efficacité, je me réjouis, Monsieur Magal, que vous ayez parlé de la lutte contre la fraude. Pouvez-vous préciser les effectifs de salariés mobilisés pour le contrôle ?

Vous avez également évoqué le rapprochement entre travailleurs sociaux et techniciens spécialisés afin d'améliorer le traitement des dossiers. Mais avez-vous réfléchi aussi à des rapprochements avec d'autres prestataires, autour de l'idée de plates-formes multiservices ?

M. Christian Moutier : La CAF du Val-de-Marne a affecté 14 agents au contrôle des dossiers et au contrôle à domicile des allocataires. Ce n'est pas la plus grande partie de notre action de contrôle : les croisements de fichiers sont plus efficaces. Mais le contrôle à domicile permet d'entrer plus dans le détail et aussi de répandre la « peur du gendarme ». Nous créerons, début 2007, un grand pôle sécurité, auquel nous affecterons une quarantaine d'agents, soit, par redéploiement, quinze de plus qu'à l'heure actuelle.

Nous n'avons pas encore avancé sur la question de la plate-forme multiservices, car, si l'idée est séduisante, sa mise en pratique nous paraît extrêmement complexe, notamment sur le plan informatique.

M. Daniel Forafo : Sur les prestations que nous versons, 30 % sont liées à des situations de précarité : isolement, handicap, manque de ressources. Ces prestations n'ont en fait rien de familial, ni dans leur destination, puisqu'elles ne sont pas faites pour compenser des charges enfants, ni dans leur financement puisque, dans la plupart des cas, la gestion nous est confiée par le département ou par l'État.

L'action sociale continue à intervenir en complément mais elle est surtout, à côté des prestations, un élément de la gamme des produits offerts par la CAF aux personnes en situation de précarité. L'action sociale n'a pas à rendre les familles solvables, c'est le rôle de l'emploi et des prestations légales, mais elle doit permettre de remédier à leur vulnérabilité, qu'elle soit pérenne ou ponctuelle. À titre d'exemple, la CAF de Lille a créé une prestation extra légale en cas de décès d'un enfant, moment où la famille a particulièrement besoin d'un soutien, qui se combine bien sûr avec l'accompagnement des travailleurs sociaux.

La fonction d'expertise fait incontestablement partie de la valeur ajoutée des caisses et il est vrai que nous ne la montrons peut-être pas suffisamment. À Lille, nous avons fait le choix de créer un vrai service d'études, de statistiques et de recherche, au sein duquel quatre personnes, dont trois de haut niveau, décortiquent toutes les caractéristiques de la population des allocataires et les analysent. Si nous mettons cette expertise à notre service, nous l'offrons également à nos partenaires. Systématiquement, quand nos travailleurs sociaux - nous avons la chance d'en avoir 40 - sont associés à l'élaboration d'un diagnostic dans une commune qui souhaite installer un centre social, une crèche ou une halte-garderie, ils arrivent avec une batterie de statistiques qui leur permet d'analyser les besoins et de proposer aux maires les moyens d'y répondre. Par la suite, une fois que l'équipement est créé, les travailleurs sociaux aident à une évaluation, menée de façon quasi scientifique, afin de constater ce qui est ainsi apporté à la population.

S'agissant de l'accueil, il faut rappeler que les caisses ont développé ces dernières années beaucoup d'autres moyens de contacts que le téléphone et l'accueil physique : 40 % de nos allocataires ont rempli cette année leurs déclarations de ressources par Internet et certaines de nos bornes interactives sont accessibles en permanence.

Bien sûr, il nous reste des progrès à faire, mais je suis très surpris des observations négatives sur la ligne du public : les études menées tant au plan national que parmi notre panel d'allocataires montre un taux de satisfaction de 95 % quant au temps et aux conditions d'attente au téléphone. Si nous avons été pendant longtemps mauvais pour l'accueil physique et téléphonique, cette époque est aujourd'hui révolue, et si nous en avions le temps, je vous proposerais de faire immédiatement le test, en appelant la caisse d'allocations familiales de Lille. Mais il semble que l'image soit restée et le défi auquel nous sommes confrontés est donc de la faire changer. Cela étant, quand on vous dit que l'accueil a été mauvais, demandez à la personne d'être très précise, de vous dire quel jour et à quelle heure, et vous verrez qu'il s'agit plus d'un souvenir ou d'une impression que d'une réalité.

M. Philippe Simonnot : En ce qui concerne la précarité, je souhaite insister sur l'importance de l'enfance et de la jeunesse car c'est à cet âge que se construisent les éléments fondamentaux des familles de demain. Or, on assiste à une perte de repères car certaines valeurs, comme celles qui étaient jadis véhiculées par les patronages, ont disparu. Il me paraîtrait donc utile d'offrir une réponse plus unifiée dans le domaine socio-éducatif. Ainsi, il serait bon d'offrir aux jeunes en difficulté, dans les domaines périscolaires et extrascolaires, une présence solide et durable, afin de leur apporter les valeurs qu'ils ne peuvent pas trouver dans leurs familles.

Je partage ce qui a été dit sur l'expertise : toutes les CAF disposent des outils pour apporter une valeur ajoutée dans ce domaine, ce que reconnaissent l'ensemble des partenaires : communes, conseil général, associations et centres sociaux.

S'agissant des contrats enfance et jeunesse, il faut nous réhabituer à l'idée d'offrir aux familles des solutions de garde sécurisées, en particulier afin de faire face au risque croissant de judiciarisation. De ce point de vue, nos structures collectives doivent respecter des normes de plus en plus contraignantes. Le déficit en nombre de places était une forte préoccupation des maires, et l'ancienne COG a eu l'immense mérite de lancer un véritable plan national, qui a parfois conduit à reconstruire des structures immobilières. Mais il s'agit d'un investissement dans la durée et le même effort ne va pas nous être demandé chaque année. Nous devrions donc pouvoir poursuivre une politique de l'enfance qui donne d'excellents résultats et qui contribue à établir avec les familles une relation de confiance fondée sur la garantie de la pérennité et de la sécurité du mode de garde, et ainsi rassurer les maires qui craignent un désengagement de notre part.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Vous avez tous insisté sur la clarification des compétences et des financements. C'est un aspect très intéressant de cette audition car, si les conseils généraux ont de plus en plus de responsabilités, nous voyons aussi que les CCAS exercent un certain nombre de missions, tout comme vous. Nous n'avons malheureusement plus le temps de vous interroger à nouveau à ce propos. Je souhaite donc que vous nous disiez par écrit quel est l'état de vos réflexions et, surtout, que vous nous fassiez des propositions concrètes, car il s'agit d'un point important de notre travail.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Nous aimerions également savoir ce que vous pensez de l'idée d'organiser un pilotage régionalisé du réseau des CAF et de la création de pôles régionaux mutualisés, sur laquelle la caisse nationale d'assurance familiale (CNAF) souhaite engager une étude en 2007 ?

M. Jean-Michel Sérouart : À l'issue de cette audition, je voulais simplement souligner que les caisses d'allocations familiales sont les seuls acteurs qui soient reconnus pour la neutralité et l'impartialité de leur action. C'est cela qui fait leur légitimité.

M. Pierre Morange, coprésident : J'ajoute à la liste des sujets que nous aimerions que vous traitiez par écrit, une liste exhaustive des mesures de simplification administrative dont vous jugez qu'elles permettraient d'optimiser les prestations.

Vous savez par ailleurs que lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, le Parlement a, à mon initiative, adopté un amendement visant à créer un répertoire commun des bénéficiaires avec le numéro d'identification INSEE comme code d'accès et sur le croisement avec les fichiers du fisc, et j'aimerais que vous nous indiquiez quels progrès informatiques devraient être réalisés afin d'améliorer les prestations et de réduire le temps de traitement. Pourriez-vous aussi nous faire savoir quelles fonctions - par exemple dans le contrôle - pourraient occuper les personnels ainsi dégagés de ces tâches administratives, toujours afin d'améliorer le service rendu aux citoyens ? Enfin, cela aurait-il un effet en termes de non-remplacement des personnels partant à la retraite ?

Un autre de mes amendements, également adopté par le Parlement, porte sur la mutualisation des compétences entre les caisses ; il vise à permettre à une ou deux d'entre elles de se spécialiser dans des procédures extrêmement complexes, comme le recouvrement des pensions alimentaires. Là aussi, je souhaite que vous nous indiquiez quelles conséquences vous pourriez en tirer en termes de gestion des ressources humaines.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Merci à tous pour vos interventions de grande qualité.

*

Audition de M. Jacques Tonner, directeur général de la Caisse régionale d'assurance maladie d'Île-de-France (CRAMIF), et M. Jean-Claude Poirier, directeur adjoint chargé du secteur action sociale ; Mme Maria Doumeingts, directrice de la Caisse régionale d'assurance maladie (CRAM) d'Aquitaine ; Mme Christiane Flouquet, directrice de l'action sociale pour l'Île-de-France à la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) ; M. Yves Corvaisier, directeur de la CRAM de Nord-Picardie ; Mme Éliane Delorme, directrice adjointe et directrice de l'action sociale de la CRAM de Rhône-Alpes.

M. Pierre Morange, coprésident : Je vous souhaite la bienvenue à l'Assemblée nationale et je vous prie, Madame Delorme, de transmettre toute notre sympathie à M. Jacques Kiner, directeur général de la caisse régionale d'assurance maladie de Rhône-Alpes, retenu par des obsèques.

Je donne sans plus tarder la parole à notre rapporteure.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Je vous remercie de votre présence. Pourriez-vous pour commencer nous indiquer quelles sont vos activités et quels moyens votre caisse affecte à l'action sociale ? Ces derniers vous paraissent-ils suffisants ? Quels sont vos besoins en personnels et en formation de ces personnels ?

Pouvez-vous par ailleurs nous présenter le partenariat organisé entre votre caisse et les départements de votre région en matière d'action sociale ? J'aimerais que nous en venions par la suite au partenariat et à la contractualisation avec les associations ainsi qu'au travail en réseau.

M. Yves Corvaisier : Une quarantaine de personnes sont affectées à l'action sociale de la CRAM Nord-Picardie, ce qui semble suffisant pour le travail que nous avons à faire aussi bien en gestion qu'en partenariat avec les différents acteurs. Pour sa part, le service social implanté sur les cinq départements des deux régions compte 244 assistantes sociales et 90 secrétaires médico-sociales, qui sont implantées dans les échelons locaux c'est-à-dire dans les caisses primaires d'assurance-maladie (CPAM).

Nous avons, depuis maintenant de longues années, un partenariat approfondi avec les conseils généraux, qui a commencé en 1995, avec le département de l'Oise, avec la prestation expérimentale dépendance (PED). Nous l'avons généralisé en 1997, à partir de la création de la prestation spécifique dépendance (PSD) et nous l'avons poursuivi en 2002, dans le cadre de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA). Ce partenariat se traduit par une relation de prestation de services et par une relation de complémentarité. L'objectif essentiel est de mettre l'usager au centre de nos préoccupations, de ne pas lui faire subir la complexité de notre système administratif et de bâtir une sorte de guichet unique.

J'ai implanté, dans les cinq conseils généraux, des techniciens administratifs de l'action sociale, qui ont à leur disposition ANIS, le progiciel de la CNAVTS pour l'action sociale, qui traite en direct tous les rejets des demandes d'APA instruites par les techniciens des conseils généraux. Cela nous permet de prendre immédiatement le relais au titre de l'aide ménagère à domicile.

Les conseils généraux, reconnaissant la compétence du service d'action sociale de la CRAM, ont demandé à ce que les assistantes sociales participent à l'évaluation globale dans le cadre de l'APA. Nous avons donné notre accord mais, compte tenu de la modicité de nos moyens humains au regard de l'ampleur de cette tâche, les conseils généraux ont fait le choix de financer 40 postes supplémentaires, qui relèvent de la convention collective sécurité sociale mais qui doivent assurer un certain nombre d'évaluations. Il y en a 22 pour le conseil général du Nord. Cela ne se traduit pas par des postes dédiés mais par un nombre de dossiers à évaluer, ce qui permet de répartir la charge de travail sur l'ensemble de nos 244 assistantes sociales, afin qu'elles continuent à assurer leurs autres missions relatives au maintien dans l'emploi et à l'accès aux soins. Cette organisation a pour effet que la mission prévention de la perte d'autonomie est assez importante au sein de notre caisse, puisqu'elle représente 25 à 30 % de notre activité contre 20 à 25 % en moyenne nationale. Ce système, fondé sur une contractualisation par convention, fonctionne très bien depuis quatre ans, à la satisfaction des conseils généraux.

Dans le cadre de la nouvelle politique d'action sociale de la CNAVTS - évaluation globale et plan d'action personnalisé, j'ai proposé aux conseils généraux d'inverser cette relation de prestation de services afin que leurs équipes médico-sociales réalisent l'évaluation globale des groupes iso-ressources (GIR) 5 et 6 pour le compte de la CRAM, ce qui éviterait la coupure avec les GIR 1 à 4. Les conseils généraux de l'Aisne et du Pas-de-Calais ont accepté pour les évaluations globales ; je poursuis la négociation avec les trois autres départements. Que l'évaluation soit réalisée partout par les mêmes équipes permettrait de séparer l'évaluateur du prestataire, comme le souhaite la caisse nationale, mais aussi de garantir l'homogénéité de l'évaluation. Nous nous situons donc, là aussi, dans une démarche de guichet unique.

Nous sommes également partie prenante, très activement, à l'élaboration des schémas gérontologiques, à tel point que le président du conseil général du Nord a proposé au président de la CRAM d'en signer la préface. J'y vois la reconnaissance symbolique de notre légitimité à intervenir dans le sens de l'action sociale. Dans ce schéma gérontologique départemental, on retrouve l'essentiel des axes stratégiques de la partie action sociale de la convention d'objectifs et de gestion (COG) de la CNAVTS.

Mme Éliane Delorme : La coordination avec les conseils généraux est très ancienne. Nous avons nous aussi beaucoup travaillé ensemble au moment de la création de la PED, puis de la PSD, enfin de l'APA. Nous avons mis en place des conventions et des procédures, et notre partenariat est constant.

Dans le département du Rhône, qui vous intéresse plus particulièrement, nous avons participé à la montée en charge de l'APA, puisque nos équipes d'assistantes sociales menaient les évaluations aux côtés du conseil général. Désormais, nous pratiquons la reconnaissance mutuelle des évaluations. Nous sommes en train de monter un partenariat pour l'allocation de retour à domicile après hospitalisation (ARDH). Nous avons, nous aussi, participé, au sein de groupes de travail commun, à l'élaboration des schémas gérontologiques pour les personnes âgées et pour les personnes handicapées. Nous intervenons dans tous les forums départementaux et nous avons créé, avec le conseil général, un observatoire pour les personnes âgées qui prépare un certain nombre de monographies cantonales destinées aux élus. Pendant deux ans, nous avons mis à sa disposition une aide financière ainsi qu'une personne qui assurait son secrétariat.

M. Pierre Morange, coprésident : Avez-vous finalisé votre schéma régional d'organisation sanitaire (SROS) ? Êtes-vous, dans ce cadre, satisfaits également du partenariat ?

Mme Éliane Delorme : Nous faisons partie de l'agence régionale de l'hospitalisation (ARH) et nous avons participé à l'élaboration du SROS. Le directeur de l'ARH a aussi contacté tous les élus. Les conventions tripartites pour les établissements pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) conduisent bien évidemment à travailler en collaboration, ne serait-ce que parce qu'il faut préparer ces conventions en commun. Nous-mêmes n'en sommes pas signataires, mais nous participons à l'instruction des dossiers. C'est là, dans les établissements médico-sociaux, qu'il y a plus de ponts.

Nous avons aussi été associés par la direction régionale des affaires sanitaires et sociales (DRASS) au programme interdépartemental d'accompagnement de la perte d'autonomie (PRIAC).

S'il y a moins de ponts avec le secteur hospitalier, c'est simplement parce que la mission est différente : le sanitaire ne figure pas parmi les compétences du conseil général.

Dans l'ensemble des conseils généraux, la CRAM a participé, par la présence d'un administrateur et du directeur général, à la création des comités départementaux des retraités et des personnes âgées (CODERPA). C'est important car il s'agit vraiment de l'instance de concertation, celle où l'on peut faire émerger des politiques. Qui plus est, il n'y a pas d'apport financier de la CRAM et ses représentants sont donc bien là en qualité d'expert.

Le département de l'Ain a été pilote pour la PED et la coopération engagée alors avec le conseil général s'est poursuivie depuis. Nous faisons partie du CODERPA, ainsi que de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). D'ailleurs, nous siégeons au comité exécutif de ces maisons pour l'ensemble des départements, à l'exception du Rhône pour lequel nous espérons aboutir prochainement. Nous disposons de différents outils d'information et nous avons monté avec le conseil général de l'Ain et la mairie de Bourg-en-Bresse un programme de prévention des risques liés au vieillissement, que nous avons appelé Atout. Il s'agit de prévention primaire, mais ce programme vise à s'appuyer sur une prévention comportementale plutôt que consommatrice de services.

Dans la Drôme, nous siégeons également au sein de la MDPH et du CODERPA. Nous avons aussi beaucoup travaillé ensemble pour le centre local d'information et de coordination (CLIC). Nous avons monté un deuxième programme Atout pour lequel le conseil général finance un poste d'assistant social. Nous hébergerons prochainement dans nos locaux le CLIC de Valence.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Avez-vous déjà mené l'évaluation du programme Atout ? Nous souhaiterions en être informés car nous nous intéressons particulièrement à la prévention primaire et à ses effets financiers.

Mme Éliane Delorme : Ce programme n'existe que depuis trois ans et il est donc difficile d'en mesurer les effets. Nous disposons toutefois d'un rapport préparé par un consultant externe, que je vous ferai bien sûr parvenir. Les modalités d'un tel programme sont complètement différentes des actions de prévention que nous avons conduites jusqu'à présent, car il est davantage demandé aux personnes de se prendre en charge et d'avoir une réflexion sur elles-mêmes et sur leur parcours afin d'appréhender le vieillissement.

Nous cofinançons depuis trois ans avec le conseil général de la Loire un programme de modernisation de l'aide à domicile avec la création d'un référentiel de qualité des services rendus aux personnes âgées.

S'agissant enfin des moyens humains, nous disposons de 300 personnes au sein de la direction des relations sociales, service social compris. Je ne dirais pas que c'est insuffisant, mais il nous faut travailler en partenariat et en synergie pour assurer toutes nos missions. Ainsi, pour réaliser les évaluations globales auxquelles participe notre service social, nous avons conventionné des CLIC et des centres de prévention des régimes de retraite complémentaire et c'est tous ensemble que nous arrivons à accomplir notre tâche.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : S'agissant précisément des CLIC, les intervenants pourront-ils nous préciser quelle appréciation ils portent sur leur fonctionnement ? Leur compétence pourrait être étendue ? Faudrait-il faire évoluer leur cadre juridique ?

Mme Maria Doumeingts : Pour l'Aquitaine, le service action sociale dispose de 23 personnes pour environ 20 000 bénéficiaires, et le service social de 145 personnes. Ces moyens humains semblent suffisants d'autant qu'il convient de se placer surtout dans une logique d'optimisation des ressources, notamment en développant un certain nombre d'outils comme des systèmes d'information performants.

Dans ses partenariats avec les conseils généraux, la CRAM d'Aquitaine tient traditionnellement compte de leurs particularités, la région combinant grands pôles urbains, zones touristiques et territoires ruraux, et des spécificités des politiques publiques menées par chaque département. Si elles sont bien sûr encadrées par des conventions, nos relations sont surtout marquées par le pragmatisme. Nous construisons ainsi ensemble, de façon presque bilatérale, des programmes d'action.

Les différences tiennent au rythme d'avancement de certains programmes, par exemple de la politique en faveur des aides ménagères ou du déploiement des CLIC. Et cela semble correspondre non seulement aux objectifs des conseils généraux mais aussi à l'attente des opérateurs de terrain.

Les schémas gérontologiques sont des outils fondamentaux. Non content d'y avoir participé, nous avons piloté, par délégation du directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation (ARH), le volet gériatrique ainsi que la relation avec les conseils généraux. Nous avons eu de ce point de vue des expérimentations innovantes, en particulier à Arcachon, avec le regroupement de tous les partenaires sanitaires et sociaux afin d'apporter ensemble des réponses à des situations difficiles. C'est à cette occasion que nous avons constaté que l'hôpital d'Arcachon n'avait pas d'assistante sociale et le directeur de l'ARH a financé ce poste, au titre des missions d'intérêt général. Cela peut sembler un point de détail, mais pour la personne âgée confrontée à une difficulté, c'est essentiel.

Nous avons des rencontres régulières au sein de groupes de travail sur certaines expérimentations, mais nous tenons aussi chaque année avec les conseils généraux une réunion sur les schémas gérontologiques, tandis que nos collaborateurs se rencontrent tous les deux mois pour suivre les programmes et les actions.

Le rôle d'interface que joue la caisse régionale entre le monde sanitaire et le monde social est véritablement important sur le terrain.

M. Pierre Morange, coprésident : S'agissant des relations entre les CRAM et les ARH, une disposition de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2005 donne aux contrôleurs de l'assurance maladie la possibilité d'intervenir sur la pertinence de la prescription hospitalière, en termes tant thérapeutiques qu'exploratoires. Des conventions ont-elles désormais été passées pour que cette mesure soit appliquée ?

M. Jacques Tonner : C'est déjà le cas avec un certain nombre d'établissements hospitaliers pour plusieurs médicaments : outre l'action globale de l'assurance maladie en faveur de la délivrance de génériques, y compris à l'hôpital, des contrats sont aussi signés avec des établissements de santé, par exemple pour les antibiotiques. C'est le cas dans toutes les CRAM, qui sont à la fois parties prenantes des ARH et gestionnaires du risque maladie.

Mme Maria Doumeingts : Pour en revenir aux CLIC, je crois que nous devons nous efforcer que la personne âgée confrontée à un problème ait un point d'entrée unique dans le système, étant entendu qu'elle-même n'a aucune idée du GIR dont elle relève. Je constate en Aquitaine, que le dispositif du CLIC avec un numéro d'appel départemental fonctionne très bien : les personnes appellent un seul numéro à partir duquel on les aiguille vers ce que l'on pourrait appeler des CLIC territoriaux, grâce au maillage homogène du département assuré par le conseil général. Mais il y a aussi des départements où les choses se passent beaucoup moins bien. On est donc un peu au milieu du gué et peut-être pourriez-vous stimuler les conseils généraux afin qu'ils s'engagent tous dans cette voie et qu'ils répondent ainsi aux besoins des populations.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Merci pour cette intervention qui conforte le sentiment que nous avions déjà.

M. Jacques Tonner : Je rappelle que la caisse régionale d'assurance-maladie d'Île-de-France (CRAMIF) ne gère pas le risque vieillesse et qu'elle partage par conséquent l'action sociale avec l'échelon régional de la CNAVTS. Elle dispose néanmoins d'un service social important, qui compte 687 équivalents temps pleins, dont 410 assistants et travailleurs sociaux répartis dans les huit départements franciliens. L'action sociale dispose d'autres moyens au sein de la caisse régionale, notamment au titre du handicap : nous gérons directement deux centres d'information et de conseil d'aide technique (CICAT), qui s'occupent particulièrement de l'appareillage pour les personnes handicapées et de l'adaptation du logement. Nous participons activement au fonctionnement des MDPH. Environ 70 personnes se consacrent à cette tâche. Dernière particularité, nous gérons une école de service social qui, outre la formation au diplôme national de travailleur social pour l'ensemble de l'institution, assure la formation continue des travailleurs sociaux de toutes les caisses régionales et qui accueille volontiers les personnels des conseils généraux.

M. Jean-Claude Poirier : Les partenariats sont anciens, en ce qui concerne tant les personnes âgées que les personnes handicapées. En effet, nous étions expérimentateurs de la PED dans le Val-d'Oise, nous avons ensuite conventionné pour la PSD et, bien entendu, pour l'APA. Pour cette dernière, nous avons des conventions avec le Val-de-Marne, qui vous intéresse particulièrement, mais aussi avec les Yvelines et avec la Seine-Saint-Denis, le Val-d'Oise n'ayant pas poursuivi son partenariat. Nous intervenons dans l'ensemble des départements franciliens pour les GIR 5 et 6, en partenariat avec nos homologues de la direction régionale de la CNAVTS.

La convention pour l'APA avec le Val-de-Marne date de mai 2003 et nous avons pris en charge environ 500 évaluations du service social ainsi qu'une centaine menées conjointement par le service social et par un ergothérapeute quand le handicap de la personne âgée posait problème. Cela mobilise cinq assistants du service social et un ergothérapeute à temps plein. Nos liens sont donc forts et anciens et nous ne rencontrons aucun problème particulier. Pour les GIR 5 et 6, nous essayons aussi de trouver des partenariats extérieurs et tous les plans d'aide mobilisent le conseil général, les centres communaux d'action sociale, ainsi que des initiatives privées. Nous éprouvons donc le besoin d'avoir des relais à travers les CLIC, mais aussi par d'autres biais. Cela concerne une cinquantaine de personnes cumulant handicap et difficultés sociales dans le Val-de-Marne et 250 pour l'ensemble de la région.

Nous avons aussi des partenariats avec les hôpitaux pour les retours à domicile. En effet, la première fonction du service social d'un hôpital est souvent de trouver des établissements de moyen, voire de long séjour, mais le retour à domicile suppose d'autres interventions, avec un plan d'aide en amont de la sortie. Nous entretenons de tels partenariats avec les Hauts-de-Seine, Paris, la Seine-et-Marne, l'Essonne et le Val-d'Oise. Ce mouvement récent est prometteur, mais il suppose des conventions généralisées entre les hôpitaux et l'assurance maladie afin de sortir du cadre de l'expérimentation pour généraliser ce dispositif.

M. Pierre Morange, coprésident : Cela semble une voie d'avenir et il faut en effet systématiser ce dispositif et faire en sorte que la logistique administrative qui permet de faire le lien entre tous les partenaires soit prise en charge par le système assuranciel. Avez-vous pu mobiliser les ressources humaines et techniques nécessaires pour atteindre cet objectif ?

Je vous pose la question car c'est un sujet que je souhaite que le conseil national de surveillance de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) que je préside, aborde prochainement.

M. Jean-Claude Poirier : Les expérimentations sont limitées et récentes et il est encore tôt pour parler de modélisation. On voit toutefois que la demande est assez forte et qu'une généralisation de la prise en charge en Île-de-France supposerait des moyens supplémentaires, d'autant que les hôpitaux de la région attirent un public très large et que les retours à domicile dans toute la France seraient difficiles à organiser. Il faudrait donc prévoir un conventionnement avec les autres caisses.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Les CLIC sont-ils utilisés dans ce cadre ?

Mme Christiane Flouquet : En Île-de-France, nous avons lancé l'aide au retour à domicile après hospitalisation (ARDH), à titre expérimental, en 2003, en partenariat entre la CNAVTS et la CRAMIF, en conventionnant six hôpitaux. La montée en charge a été assez difficile car il fallait fournir beaucoup d'explications. Après des premiers résultats un peu décevants, la CNAVTS a décidé de développer le dispositif dans le cadre de la nouvelle COG, en utilisant d'autres techniques et en considérant que le point d'entrée du dispositif devait être le domicile de la personne : ainsi, tout habitant en Île-de-France qui en fait la demande à la CNAVTS peut bénéficier de l'ARDH. Cela passe par la CRAMIF dans les six hôpitaux conventionnés, mais aussi par nos structures évaluatrices, présentes sur 70 % du territoire.

C'est dans ce cadre que les CLIC interviennent puisqu'ils sont souvent nos évaluateurs.

Mme Éliane Delorme : En Rhône-Alpes, la problématique de l'ARDH relève à la fois de la CNAVTS et de la CNAMTS. C'est au titre de l'assurance vieillesse que nous avons lancé cette prestation en 2003, avec un accompagnement social et une aide financière. Nous travaillons en partenariat avec les structures d'évaluation et donc avec les CLIC. Parallèlement, la CNAM a dans son contrat pluriannuel de gestion (CPG) l'objectif de conventionner un certain nombre d'établissements - 30 % en 2006, soit 55 établissements pour notre région. Nous avons demandé que figure dans les conventions pluriannuelles d'objectifs et de moyens une clause demandant à l'établissement de contacter la CRAM pour mettre en place le dispositif ARDH. La CNAMTS envisage d'étendre la mesure aux moins de 60 ans.

Mme Maria Doumeingts : Quand ils existent et quand ils sont opérationnels, les CLIC interviennent de manière extrêmement active.

L'ARDH est une des coordinations les plus difficiles que nous ayons eu à mettre en œuvre et à piloter en Aquitaine car elle engage des acteurs de terrain qui ne se connaissent pas forcément. S'il suffit parfois de donner aux uns les coordonnées des autres pour que les choses avancent, la difficulté tient à la séparation entre le monde du social et le monde du sanitaire. Comme on dit parfois, « le diable est dans la cloison »...

La modélisation des ressources est un véritable enjeu car si nous avons une idée assez claire des processus, c'est le passage au stade « industriel » qui nous pose problème.

M. Pierre Morange, coprésident : Le conseil national de surveillance de la CNAMTS va en effet devoir se demander comment mobiliser pour cela les personnels que l'informatisation a libérés de leurs tâches administratives. La modélisation doit nous permettre de simplifier le dispositif et d'assurer, grâce à ces salariés, le lien entre la ville, le domicile, l'ambulatoire et les établissements, qu'ils soient de santé ou médico-sociaux.

M. Yves Corvaisier : Nous avons également insisté auprès des caisses primaires d'assurance maladie sur la nécessité d'élaborer un dispositif de retour à domicile. Nous avons d'ores et déjà signé 36 contrats avec des établissements de santé, soit environ 20 % du total. À Lille, le système présente la particularité que tous les signalements de sortie d'hospitalisation du centre hospitalier régional universitaire (CHRU) et du groupement hospitalier de l'Institut catholique de Lille arrivent au CCAS qui réalise l'évaluation globale et qui élabore les plans d'action personnalisés. C'est dans ce cadre que nous pouvons délivrer notre prestation légale.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Je m'étais battue pour que l'allocation soit versée dès la sortie de l'hôpital. Un autre choix politique a été fait depuis et il me semble que la situation sur le terrain, où l'on nous parle très souvent de l'incapacité à organiser un retour à domicile correct, est assez différente de ce que vous nous décrivez. De même, la mission d'information de l'Assemblée nationale sur les urgences entend davantage parler des sorties que des entrées à l'hôpital. Aussi, comme l'a souligné M. Pierre Morange, il est indispensable d'aller plus loin sur ce sujet. Et si j'adhère à l'idée que l'absence de culture commune est à l'origine de bien des difficultés, je crois que le problème d'organisation est bien plus général. Notre mission aura donc à se prononcer sur ce sujet, d'autant qu'il est au cœur du lien entre social, sanitaire et médico-social. Nous devrons en particulier nous demander s'il faut qu'il s'agisse d'une prestation légale ou s'il convient de faire évoluer les compétences, en particulier des CLIC et des MDPH. J'aimerais avoir votre avis à ce propos.

Dans les pays du nord de l'Europe, c'est bien à partir des compétences que cette question a été traitée : ce sont les collectivités locales qui ont seules la responsabilité de ce qu'on appelle la réhabilitation et qui perçoivent une partie des financements.

Mme Christiane Flouquet : Nous avons lancé l'ARDH à titre expérimental, pour tirer les conséquences du mauvais fonctionnement de l'APA d'urgence, en particulier de la lenteur de son versement. Le système actuel est plus réactif et répond donc mieux à la situation. La difficulté tient peut-être au fait qu'il existe plusieurs systèmes - CNAVTS, conseil général, mutuelles, réseau personnel de relations - et que, dans les hôpitaux, les personnes qui aident à la sortie ignorant lequel choisir, elles préfèrent en général se tourner vers une personne qu'elles connaissent. En fait, le signalement est souvent d'ordre social alors que les personnes que nous devons prendre en charge ne sont pas forcément connues de ce point de vue. L'objet de la prévention est d'ailleurs précisément d'entrer en contact avec des personnes qui n'étaient pas jusque-là connues de nos institutions.

M. Jacques Tonner : C'est en fait de la continuité des soins qu'il s'agit. On essaie surtout de régler le problème de l'amont vers l'hôpital mais on s'est jusqu'ici peu préoccupé de la sortie.

Il convient de bien préciser les responsabilités, en particulier au sein de l'hôpital dont on a l'impression que ce n'est pas la préoccupation première : on ne sait actuellement pas qui doit prendre en charge la sortie de l'hôpital, qu'il s'agisse du transport sanitaire, du retour à domicile ou du placement en établissement de moyen séjour.

M. Pierre Morange, coprésident : Avez-vous déjà mesuré les effets de la convention que vous avez passée avec six hôpitaux sur la réduction du temps d'hospitalisation, sur les économies ainsi réalisées, sur la rationalisation des moyens et, surtout, sur l'amélioration de la qualité du service rendu au patient. La MSA a mené une étude de ce type concernant les réseaux gérontologiques qu'elle a mis en place.

M. Jacques Tonner : Cette étude n'a pas été réalisée en Île-de-France, trop peu de cas ayant été traités à ce jour.

Mme Christiane Flouquet : Les premières années ont surtout permis de voir ce qui devait être amélioré : on ignore qui doit être contacté et il faut améliorer la répartition des tâches à l'intérieur de l'hôpital, entre le service social et le personnel médical. Tout ceci ne peut fonctionner que si les personnes se connaissent.

Mme Maria Doumeingts : La plus grande difficulté tient à la réactivité. Il serait absurde de prévoir une prestation légale massive qui ne répondrait pas à l'objectif de l'ARDH. Il faudrait donc d'abord se préoccuper des processus qui permettront que ce dispositif réponde véritablement à un besoin.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Il paraît vraiment essentiel de régler la question de l'organisation. L'étude de la MSA porte non pas sur la sortie de l'hôpital mais sur les réseaux de soins gérontologiques, lesquels ont permis de diminuer fortement l'hospitalisation des personnes âgées. L'étude montre en effet qu'une bonne prise en charge a permis d'éviter un nombre d'hospitalisations très important et de réaliser une économie de 230 euros par mois et par personne.

Face à cela, je suis choquée que certaines personnes viennent encore nous trouver parce qu'elles sont obligées de chercher une maison de retraite quand un de leurs parents se casse le col du fémur.

Or, la question se pose exactement de la même façon pour la sortie de l'hôpital, et pas seulement pour les personnes âgées !

M. Pierre Morange, coprésident : Tout ceci nous renvoie tout simplement au débat de fond sur la philosophie et les missions de notre système assuranciel obligatoire. Il était jusqu'ici coincé dans une logique de guichet aveugle, et si l'on veut qu'il garantisse l'exercice de la solidarité dans le domaine sanitaire comme dans le domaine social, il faut qu'il soit le lien entre toutes les parties. C'est ainsi que l'assurance maladie - qui est la seule dont la puissance lui permette de le faire - assurera la continuité des soins et qu'elle sera l'organisateur de l'ensemble du système.

Mme Éliane Delorme : Notre première démarche a été destinée à convaincre les hôpitaux. Une fois qu'ils sont convaincus, ils ont envie, ne serait-ce qu'au regard de leurs objectifs de maîtrise des dépenses, de laisser partir les personnes le plus vite possible, et ils acceptent de signer des conventions. Le fait que cela figure dans le contrat d'objectifs conclu avec les ARH va aussi les y inciter. Pour notre part, nous allons atteindre notre objectif de 55 contrats signés avec les hôpitaux et avec les hospices civils de Lyon, mais aussi avec le centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Étienne et avec de tout petits hôpitaux comme celui de Vals-les-Bains. L'essentiel, au cours de cette période de montée en charge du dispositif, est de laisser le temps nécessaire à l'assurance maladie et à l'assurance vieillesse, avant de se demander s'il faut que cela prenne la forme d'une prestation légale.

M. Yves Corvaisier : Ce n'est pas parce que nous avons contractualisé avec 36 établissements que tout fonctionne pour le mieux. Ce n'est pas non plus parce que le directeur de l'hôpital et l'assistante sociale sont convaincus que chacun au sein de l'établissement, par exemple aux urgences, est parfaitement au fait de cette organisation : il faut que les internes et que tous les professionnels de santé soient aussi convaincus. C'est un travail très important. Je pense toutefois qu'avec la tarification à l'activité (T2A), qui incite les établissements à réduire la durée des séjours, la communication interne devrait rapidement s'améliorer.

M. Pierre Morange, coprésident : Faute de temps, nous sommes contraints d'interrompre cette audition. Nous vous remercions de vos contributions très intéressantes et nous vous invitons à nous adresser par écrit toutes les propositions concrètes que vous souhaiteriez voir aboutir et dont vous pensez qu'elles pourraient nourrir notre rapport.

*

Audition de M. Jean-Jacques Trégoat, directeur général de l'action sociale au ministère de la santé et des solidarités, et Mme Annick Bony, chef du bureau des personnes âgées.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Compte tenu de l'heure, je vous propose de répondre directement aux questions que nous vous avions posées par écrit.

M. Jean-Jacques Trégoat : Nous pourrons répondre à certaines d'entre elles par courrier.

Les publics bénéficiaires de l'action sociale sont très larges - personnes en situation d'exclusion ou de précarité, personnes âgées ou handicapées, familles, enfants et adolescents - et l'ambition est très forte. Il importe d'assurer un continuum de prise en charge, prenant en compte l'accès aux soins, à l'emploi et au logement. Cette prise en charge doit être globale, coordonnée et individualisée. Mais comment apporter une réponse individualisée à une problématique de masse ? Le système atteint aujourd'hui ses limites car il est parcellisé, segmenté et verticalisé, avec des financeurs divers.

Comme il est impossible d'attribuer un bloc de compétence entier à un financeur unique, l'approche coopérative, encadrée par le décret du 6 avril 2006 relatif aux groupements de coordination des interventions en matière d'action sociale et médico-sociale est la bonne solution, et les opérateurs de terrain commencent à se l'approprier. Elle consiste à placer l'usager au cœur du dispositif et des parcours, non pas en échafaudant une superstructure supplémentaire, mais en construisant une convention constitutive simple reliant entre eux des acteurs d'un bassin de vie qui ont envie de travailler ensemble dans l'intérêt des usagers. Depuis six mois, nous parcourons les régions pour expliquer que cet outil laisse leur autonomie de gestion aux collectivités territoriales, aux associations comme aux organismes de droit privé à but lucratif, qu'il ne remet pas en cause leur libre administration.

Nous avançons par exemple, dans le Nord, sur le thème de l'autisme, extraordinairement complexe : vingt-huit associations gestionnaires et un centre hospitalier universitaire (CHU) sont entrés en coopération. Mais intégrer les 32 000 établissements médico-sociaux ne suffit plus : les aspects liés à l'école et à l'intégration doivent être pris en considération. De même, pour les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), les centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA), les centres maternels ou les centres d'hébergement d'urgence sociale (CHUS), les aspects liés au logement, à l'emploi et à l'accès aux soins sont indispensables. L'objectif est d'internaliser cet enjeu au sein des administrations, des caisses de sécurité sociale, des hôpitaux, des maisons de retraite et autres établissements autour d'un vrai projet, la convention constitutive de coopération, dans le même esprit que la définition de la nation de Renan : réunir des personnes qui, sur un territoire donné, ont envie de travailler ensemble pour construire quelque chose ensemble en fonction de leur passé.

M. Pierre Morange, coprésident : Qui est chef de file ?

M. Jean-Jacques Trégoat : Les premières conventions sont signées entre des structures - administrations, établissements et associations - qui travaillent déjà ensemble et ont compris que la coopération est un jeu gagnant-gagnant : elles construisent leur projet et désignent en commun parmi elles un chef de file, un animateur, reconnu par ses pairs. Ensuite, les services financeurs - les directions départementales et régionales des affaires sanitaires et sociales (DDASS et DRASS), les caisses régionales d'assurance maladie (CRAM) et les conseils généraux - contractualisent avec toutes les structures parties prenantes, en concertation avec les grandes fédérations du secteur.

La maison des adolescents est typiquement un groupement de coopération puisque y interviennent la pédopsychiatrie, la protection maternelle et infantile (PMI), l'éducation nationale, la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), les services sociaux polyvalents et éventuellement le centre communal d'action sociale (CCAS). Ensemble, avec le porteur de projet, autour du jeune et de l'adolescent, ces opérateurs assurent une prise en charge globale.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Comment ces maisons sont-elles financées ?

M. Jean-Jacques Trégoat : Chacun des financeurs décide dans son budget d'agréger ses crédits et recrute éventuellement un coordinateur.

M. Pierre Morange, coprésident : Le périmètre de compétence de ces conventions de coopération est-il standard ? Le périmètre territorial est-il régional, départemental ou intermédiaire ? De telles conventions n'ont de sens que si elles assurent une cohérence de prise en charge au niveau national, ce qui requiert un dispositif homogène, sans zones d'ombre et regroupant les prestations sociales, médico-sociales et sanitaire.

M. Jean-Jacques Trégoat : Nous avons souhaité que la gestion soit très souple, avec un administrateur général désigné par le groupement, qui pilote la convention constitutive. Les associations n'offrent pas une sécurité ni une responsabilité suffisantes. Le groupement de coopération présente l'originalité de s'adapter aux situations locales. Il peut être infradépartemental. Pour les personnes âgées, le bassin de vie sera assez rapproché, avec une dizaine d'opérateurs incontournables : l'hôpital local, le CHU, l'hospitalisation à domicile (HAD), le service de soins infirmiers à domicile (SSIAD), etc. Si un réseau gérontologique diabète ou gérontologique santé existe et fonctionne bien, nous ne le forçons pas à entrer, mais le groupement de coopération ne doit pas les oublier.

La convention constitutive n'impose donc pas de périmètre territorial mais l'idée est de mailler le territoire national. La taille du groupement ne sera évidemment pas identique en zone urbaine, périurbaine ou rurale. L'idée est par exemple de créer une maison des adolescents par département, prenant en charge toute la chaîne, de l'écoute à l'hospitalisation.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Quand les acteurs locaux ne se mettent pas en coopération, que se passe-t-il ?

M. Jean-Jacques Trégoat : Nous ne les y forçons pas. La solution passe par la tarification : arrêtons de tarifer 32 000 établissements deux ou trois fois par an. Passons des conventions d'objectifs sur trois ou cinq ans avec chaque institut médico-éducatif (IME), chaque maison d'accueil spécialisée (MAS), chaque centre d'aide par le travail (CAT) et chaque CHRS. Passons un contrat d'objectifs avec le secteur afin d'assurer la couverture du territoire et les prises en charge. Il faut remplacer les conventions bilatérales liant HAD, hôpitaux, maisons de retraite et SSIAD par une convention commune fixant des objectifs et des indicateurs.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Mais qui pilote la démarche ?

M. Jean-Jacques Trégoat : L'État, les organismes de sécurité sociale et les départements s'engagent dans une convention contractuelle, acte juridique visé par le préfet.

M. Pierre Morange, coprésident : La notion de plate-forme dotée d'une organisation souple est judicieuse mais il faut garantir la continuité et l'équité de traitement dans l'ensemble du pays. Or nous sommes suspendus à la bonne volonté des structures locales. Un opérateur - par exemple le réseau de l'assurance maladie, qui a déjà l'architecture nécessaire - doit être chargé de mettre ces conventions sur pied partout.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Nous ne pouvons nous satisfaire d'un système tenant à la volonté des territoires, qui génère forcément de très grandes disparités, car il s'agit comme vous l'avez dit de « placer l'usager au cœur du dispositif ». Nous savons que des expériences fonctionnent, mais aussi que d'autres sont difficiles. Pourquoi ne pas proposer voire imposer un opérateur identifiable ? Je pense pour ma part aux services de l'État, plus particulièrement à la DDASS.

M. Jean-Jacques Trégoat : Premièrement, nous demanderons aux DRASS d'être très présentes. Deuxièmement, nous mettrons en ligne toutes les conventions et tous les contrats d'objectifs pluriannuels. Troisièmement, il faudra que le système financier incite au regroupement. La fusion autoritaire de quatre maisons de retraite prendrait plusieurs années, et nous n'aurions parcouru qu'un dix-millième du chemin. Accorder un avantage financier aux maisons de retraite travaillant en coopération par rapport à celles qui ignorent le groupement serait beaucoup plus efficace, à l'instar de la constitution des intercommunalités, qui ont beaucoup mieux fonctionné que les fusions de communes.

L'assurance maladie est une réponse possible. Il n'en demeure pas moins que, dans le champ de l'action sociale, qu'il s'agisse des personnes âgées, des personnes handicapées, des exclus, des enfants ou de la famille, si le groupement est capable, d'un bout à l'autre des parcours, de répondre aux problèmes d'emploi, de logement, d'école, de formation et de santé, si chacun constate qu'il est de son intérêt de récupérer de l'information par l'intermédiaire d'une base de données commune, si le réseau et la coopération fonctionnent, il sera difficile de désigner un pilote unique. Le seul pilote légitime serait l'État : c'est à nos DRASS et à nos DDASS, en coopération avec les administrations de l'éducation nationale, de la santé et de la culture, d'impulser les coopérations, de proposer les conventions pluriannuelles, de construire des projets correspondant aux problématiques de publics particuliers. L'usager est réellement placé au cœur du dispositif ; le décret du 6 avril 2006 et celui du 7 avril 2006 sur la tarification pluriannuelle procèdent d'une véritable démarche intellectuelle.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Des expériences vont déjà un peu dans ce sens mais vous proposez une évolution significative. Les DDASS sont-elles en mesure de s'organiser pour s'adapter à cette évolution ? Les associations qui gèrent les CAT, IME et autres établissements sont-elles prêtes ?

La solution passe effectivement sans doute par l'incitation tarifaire. Cela nécessiterait toutefois d'assouplir les agréments et habilitations.

M. Jean-Jacques Trégoat : Nous nous efforçons d'imaginer un changement de paradigme par rapport à un système qui a atteint ses limites. Compte tenu de l'évolution démographique, où trouver suffisamment de personnes qualifiées pour travailler dans les établissements dédiés aux personnes âgées ? Et comment rendre attractif un secteur où certaines structures sont minuscules et où un aide-soignant a jusqu'à cinq employeurs ? La seule solution est de constituer des groupements de coopération, qui auront la taille suffisante pour assurer des pleins temps et des parcours professionnels aux personnels. Les DDASS doivent être le maillon fort ; elles pourront l'être si l'État leur dégage du temps et des moyens en organisant une tarification globale et sur trois ans, avec des contrats d'objectifs.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Quel changement de culture !

M. Pierre Morange, coprésident : Il serait un peu angélique de fonder la démarche de constitution de ces plates-formes multiservices sur la seule bonne volonté. Puisqu'il s'agit d'argent public, la réponse la plus pertinente consiste à conditionner la pérennité du financement des structures et à prendre une disposition législative imposant une coordination dans chacun des territoires du pays, couvrant l'ensemble des champs d'action sanitaires, sociaux et médico-sociaux, et impliquant la totalité des intervenants. Reste à désigner le chef de file.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Nous avons trop connu d'initiatives prises à certains endroits et pas à d'autres, notamment en matière de PMI. Je suis très sensible à votre proposition de redonner un sens au travail des DDASS et de renforcer le rôle de l'État.

Si l'Europe n'avait pas contraint les communes à construire un réseau d'assainissement, il n'y aurait toujours rien. Pourquoi ne pas adopter un raisonnement identique pour des questions d'ordre humain ? Je ne suis pas opposé à la coopération mais, sans mesure obligatoire, nous ne nous en sortirons pas. Certaines personnes ne trouvent aucun interlocuteur, aucun endroit où obtenir des réponses à leurs problèmes. J'aimerais que nous entendions ces usagers, abandonnés face à la maladie ou à une situation humaine très compliquée.

M. Jean-Jacques Trégoat : Pour que notre système de groupements devienne effectif, la seule solution est de le rendre financièrement incitatif. Les associations entrent assez bien dans cette logique. De fait, si elles ne coopèrent pas, elles sont incapables de résoudre les problématiques sociales auxquelles elles sont confrontées, qui sont de plus en plus complexes - les malades d'Alzheimer, par exemple, ont de cinquante-huit à cent douze ans. Nous sommes par conséquent condamnés à construire ensemble - État, différents niveaux de collectivité et associations - des politiques publiques.

Les schémas départementaux ont beau être obligatoires, certains départements n'en sont pas dotés. Ces schémas analysent les besoins et inspirent les programmes interdépartementaux d'accompagnement des handicaps et de la perte d'autonomie (PRIAC). Il faut contraindre à la réalisation des schémas départementaux et faire en sorte qu'ils appliquent la loi du 13 août 2004 - tous ceux qui nous remontent sont parcellaires. Des schémas mieux construits permettront d'organiser des regroupements et de favoriser les établissements répondant à des besoins et s'inscrivant dans une logique de coopération. Ainsi, en cinq ou dix ans, nous parviendrons à couvrir assez bien le territoire national.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Les structures hospitalières sont-elles prêtes à entrer dans des logiques de coopération ?

M. Jean-Jacques Trégoat : Sans accompagnement à la sortie de l'hôpital, les patients y reviennent très vite, dans de moins bonnes conditions et cela coûte beaucoup plus cher. Au lieu de laisser les gens dans la nature, il convient de préparer le parcours de sortie, en coopération avec le HAD et le SSIAD, éventuellement dans un logement accompagné, en MAS, dans un service psychiatrique ou un service d'accompagnement médico-social pour adultes handicapés (SAMSA). Il est indispensable de disposer d'une entité regroupant les dix ou douze partenaires susceptibles de suivre le dossier social.

Un nouveau métier apparaît : l'« ingénierie sociale ». En collaboration avec l'éducation nationale, nous avons créé un diplôme spécifique, sanctionnant une formation durant laquelle on apprend à construire des projets complexes autour de la logique de coopération. Compte tenu de la démographie des personnels des établissements, nous avons une chance de récupérer des postes, par exemple de comptables, pour développer l'ingénierie sociale.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Je suis convaincue de l'intérêt de la coopération. Mais heureusement qu'une loi a incité à la coopération intercommunale.

M. Jean-Jacques Trégoat : Pour impulser un changement culturel, convient-il de l'imposer dès le début ? Je pense au contraire qu'il faut passer par la tarification.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : L'incitation financière est évidemment aussi nécessaire.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Une certaine souplesse ne doit-elle pas être recommandée ?

M. Jean-Jacques Trégoat : Soit le groupement reprend uniquement les prestations de chacune de ses composantes, soit il décide d'aller plus loin et de mener des actions supplémentaires, en fonction de l'évolution de la réglementation. Dans le premier cas, les procédures administratives ne prennent que deux mois. Dans le second, le préfet et le comité régional d'organisation sanitaire et médico-sociale (CROSMS) instruisent le dossier de la même façon qu'ils le faisaient jusqu'à présent. Et le groupement peut employer directement le personnel ou fonctionner avec des mises à disposition.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : D'autres questions devraient être posées conjointement : celles des métiers, des délégations de compétence et des modes de rémunération. Quand les kinésithérapeutes, par exemple, accepteront de déléguer une partie de leurs compétences aux aides-soignants ou aux aides médico-psychologiques (AMP), les changements seront énormes pour nombre de personnes âgées qui ne bénéficient d'aucune mobilisation physique. Une association comme Ciel bleu propose des dispositifs de sortie d'hôpital très concrets à destination des vieux et des moins vieux, et le groupe Axa s'est montré très intéressé.

M. Jean-Jacques Trégoat : Nous avons abordé ce problème sous l'angle des diplômes.

Premièrement, la compétence peut s'acquérir par le diplôme initial mais aussi par l'expérience de terrain : c'est la validation des acquis de l'expérience (VAE). Le secteur médico-social arrive en deuxième position pour la certification en VAE, juste derrière l'éducation nationale - et sûrement devant elle en proportion de ses effectifs. Nous croyons à l'ascenseur social et nous considérons les diplômes obtenus par la VAE comme de vrais diplômes. Si l'expérience ne permet pas à elle seule d'obtenir le diplôme, la personne passe des modules complémentaires. Cela nous a conduits à revoir quinze diplômes du secteur.

Deuxièmement, auparavant, lorsqu'un agent voulait passer de la gérontologie à la puériculture, il devait repasser un diplôme. Les métiers d'auxiliaire de puériculture, d'aide-soignant, d'AMP, d'auxiliaire de vie sociale ont tout de même des points communs.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : C'est précisément ce que j'écrivais dans mon rapport « Vieillir en France » de 1999.

M. Jean-Jacques Trégoat : Il convient donc de créer des modules communs pour éviter aux personnes de retourner à l'école pendant un an et ainsi faciliter les changements de métier.

J'en viens à la délégation de soins. Une personne diabétique dépourvue de diplôme peut très bien se faire ses piqûres d'insuline elle-même. Mais si elle a un accident et perd l'usage de ses mains, seule une infirmière pourra le faire. Nous avons proposé une délégation de soins à des personnels d'autres catégories, sur prescription de soins et ayant suivi une formation.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Les syndicats professionnels acceptent-ils cette mesure ?

S'agissant des métiers, en 2001, lorsque j'étais ministre, ce sont les DRASS qui ont empêché toute expérimentation.

M. Jean-Jacques Trégoat : Eu égard aux questions de responsabilité, le cadre juridique doit être clair.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Certes, mais c'est aussi un problème de culture.

M. Jean-Jacques Trégoat : En France, les diplômes et les métiers sont très segmentés. Des groupes de dix personnes réclament un diplôme spécifique parce qu'ils traitent une population particulière. Mais comment attirer des professionnels sur un tel créneau ? Il est préférable de s'appuyer sur des diplômes existants et d'adapter les emplois voire de délivrer des certificats nationaux de référence.

Je pense, dans l'absolu, qu'il faut aller vers des délégations de soins, mais le problème est délicat : cela risque de provoquer une bataille de plusieurs années contre les corporatismes et de nous faire perdre toute notre énergie, au détriment de l'efficacité. Ne serait-il pas préférable de trouver d'autres solutions, comme la coopération entre infirmières et aides-soignantes ? L'idéal serait d'être plus fluide dans les diplômes.

Mme Bony peut vous dire quelques mots au sujet des centres locaux d'information et de coordination (CLIC).

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Ce sujet est crucial pour notre rapport.

Mme Annick Bony : Nous sommes en train de préparer un référentiel national avec les réseaux de santé personnes âgées. La question de l'articulation entre CLIC de niveau 2 ou 3 et réseaux de santé se pose.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : C'est en effet au cœur de la problématique. Nous pourrons éventuellement nous rencontrer courant janvier pour aborder certains points.

M. Jean-Jacques Trégoat : Nous vous communiquerons le dossier que nous emportons lorsque nous nous déplaçons dans les régions pour mettre sur pied les coopérations. Tous les obstacles rendant les coopérations moins avantageuses ont été levés : le choix s'appuie donc sur des considérations de prise en charge et non des considérations fiscales.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Pour revenir aux CLIC, les conseils généraux ont-ils réellement pris leurs responsabilités ?

Mme Annick Bony : Il existe des disparités territoriales, avec parfois la tentation de transformer les CLIC en autre chose : le conseil général de l'Isère a créé un service intégré départemental chargé des personnes âgées et des personnes handicapées, déployé sur les treize bassins d'emploi, avec deux agents dans chacun d'entre eux ; ce n'est plus un CLIC mais un service intégré.

AUDITIONS DU 11 JANVIER 2007

Audition de M. Christophe Lannelongue, inspecteur général des affaires sociales, M. Pierre Sardou, inspecteur général des affaires sociales, Mme Stéphanie Dupays, inspectrice des affaires sociales, et M. Thierry Leconte, inspecteur des affaires sociales, membres de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS).

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Madame, messieurs, je vous souhaite la bienvenue.

J'attends beaucoup de la présentation de votre rapport d'étape. J'imagine qu'au regard de tous les dispositifs qu'ils doivent aujourd'hui gérer, les départements ont encore du mal à s'inscrire dans une logique de projet, même si un certain nombre de conseils généraux commencent à me solliciter afin que nous réfléchissons ensemble aux questions d'évaluation. Or, je constate que nous ne posons pas aux personnes directement concernées la question de savoir si les différents dispositifs répondent à leurs besoins. Que disent les personnes âgées ? Disposent-elles des informations nécessaires ? Cet aspect est-il présent dans votre travail ?

M. Christophe Lannelongue : Je pense que vous trouverez des réponses à ces questions au cours de la présentation que nous apprêtons à faire, car tout ceci renvoie à la connaissance des bénéficiaires, au fonctionnement des procédures, aux différents systèmes d'information et, en fait, à toute la logique du système.

Nous allons donc vous présenter un travail qui est actuellement en cours et qui a consisté, à votre demande, à regarder dans quatre départements - Lot-et-Garonne, Nord, Rhône, Val-de-Marne - comment se mettait en place l'action sociale locale en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées.

Pour cela, nous avons rencontré sur place les principaux acteurs de l'action sociale, à commencer par le conseil général, ses élus et ses responsables administratifs, mais aussi les services de l'État, les représentants élus et responsables administratifs des communes, des centres communaux d'action sociale (CCAS), ainsi que des structures comme les centres locaux d'information et de coordination (CLIC) et les maisons des personnes handicapées (MDPH), certains opérateurs tels que des associations d'aides à domicile ou des établissements d'accueil pour personnes âgées, quelques représentants d'associations d'usagers ou d'acteurs connexes.

Nous n'avons pas procédé à des contrôles au sens strict, mais nous avons, à travers ces entretiens et tous les documents qui nous ont été remis, essayé d'appréhender :

- le positionnement des acteurs et l'évolution de leur rôle dans le nouveau contexte créé par l'ensemble des lois votées ces dernières années ;

- la mise en place des services au bénéfice des personnes âgées, en nous intéressant particulièrement à l'effort d'amélioration de l'aide à domicile grâce à l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), aux plans successifs de création de places et d'amélioration de la qualité de l'accueil dans les établissements, aux questions de coordination et à leur impact sur la perception que la personne a des services ;

- la portée, pour les personnes handicapées, des grands bouleversements qu'a entraînés l'adoption de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, en particulier l'apport des MDPH et de la prestation de compensation du handicap (PCH).

M. Pierre Sardou : Dans la mesure où les modifications législatives se sont succédé ces dernières années, on peut considérer que le système n'est pas encore stabilisé. La diversité des situations observées paraît également logique dans le contexte de la décentralisation, qui conduit à ce que l'on prenne davantage en compte les particularités et l'histoire de chaque département.

On sent très nettement que les départements sont aujourd'hui les chefs de file, mais ils se sont appropriés les différents sujets de façon différente. Ils connaissaient déjà fort bien celui des personnes âgées et ont parfaitement intégré la réforme de l'APA et de la tarification des établissements d'hébergement. Les CLIC et CODERPA - comités départementaux des retraités et des personnes âgées - sont venus s'ajouter aux outils déjà bien maîtrisés comme les schémas directeurs et ils sont d'ailleurs pris en compte de façon différente selon les départements.

Le sujet des personnes handicapées adultes était moins bien connu des départements, qui ont eu récemment à appliquer des réformes très importantes, dont l'impact est encore difficile à apprécier, à tel point que nous avons senti que certains de nos interlocuteurs appréhendaient une montée en charge de la PCH similaire à celle de l'APA.

Le sujet des enfants handicapés est pratiquement nouveau, ce qui fait que l'on se trouve face à des schémas séparés. Le développement du schéma relatif à ces enfants dépendra largement du rôle que jouera le département, qui devra fédérer l'ensemble des acteurs. On sent déjà que des choses se font mais on ignore encore jusqu'où elles iront. Nous avons ressenti une certaine inquiétude quant à l'évolution des dépenses du département et au taux de couverture de ces dépenses par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) et par les impôts locaux. On constate logiquement que les départements les plus aisés s'engagent davantage que ceux qui craignent pour leurs équilibres. Ainsi, le Lot-et-Garonne n'a procédé à aucun recrutement pour les MDPH, mais cela tient peut-être aussi au fait que le besoin n'y est pas très important.

Dans la mesure où on ne sait pas clairement ce que sera l'engagement de l'État dans les années à venir, une autre inquiétude des départements porte sur l'évolution des enveloppes médico-sociales, ce qui les amène à se placer parfois davantage dans une logique de revendication financière que de programmation-planification.

Pour leur part, les organismes de sécurité sociale paraissent s'être engagés dans les évolutions qui leur étaient demandées. Les caisses régionales d'assurance maladie (CRAM) se sont ainsi recentrées sur les GIR 5 et 6, elles ont réduit les aides ménagères, promu les plans d'aide personnalisée et l'aide au retour à domicile après hospitalisation (ARDH). On a l'impression qu'elles sont davantage à l'écoute de ce que leur disent les caisses nationales, notamment dans le cadre des conventions d'objectifs et de gestion (COG). Les politiques de prévention sanitaire et en direction des plus démunis sont désormais davantage affirmées.

Ces organismes cherchent également systématiquement à passer des conventions, même si elles ne sont pas toujours jugées satisfaisantes par les collectivités locales et les associations qui y voient parfois un certain désengagement.

Même si le rôle des communes est très variable, elles sont manifestement le véritable point d'entrée dans les dispositifs. Cela se vérifie dans le plan canicule mais aussi dans des activités dirigées directement vers les personnes comme le portage des repas. En fonction de leur histoire, de leur taille, de leur capacité financière, elles sont ou non opérateurs.

Le paysage associatif est lui aussi extrêmement varié. Des regroupements amènent parfois les associations à jouer un rôle de coordination, voire de point d'appui dans les CLIC quand des divergences politiques entre les collectivités empêchent que l'une d'entre elles prenne le leadership.

On assiste également au développement du secteur lucratif : il semble qu'autant de personnes âgées bénéficient des exonérations sociales et fiscales que de l'APA à domicile. Ainsi, même les opérateurs associatifs et communaux voient désormais les personnes acheter leurs services.

Si l'État garde de fortes responsabilités, il est toutefois affaibli dans les départements car la programmation a été largement transférée aux régions. Les collectivités ont pour leur part exprimé un fort besoin d'interlocuteurs locaux. Mais l'État est aussi affaibli au niveau régional parce que la CNSA n'a pas toujours suivi les programmes interdépartementaux d'accompagnement des handicaps et de la perte d'autonomie (PRIAC), dans les montants comme dans les répartitions. Cela trouble un peu le jeu car les collectivités ne savent plus vraiment qui est leur interlocuteur. Il semble toutefois qu'un certain nombre des défauts de la première génération des PRIAC pourraient être corrigés à l'occasion de leur réexamen annuel.

Dès lors que l'État n'est plus l'interlocuteur unique, il est impératif de développer des systèmes d'information partagée qui permettent de dialoguer sur des bases objectives. De ce point de vue, l'héritage de l'État n'est pas très brillant.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : C'est sans doute une des questions les plus importantes. Avez-vous des propositions à nous faire à ce propos ?

M. Christophe Lannelongue : Nous avions envisagé de vous présenter l'ensemble des constats que nous avons dressés mais, à l'occasion de ce premier travail que nous réalisons pour la MECSS, nous ne souhaitions pas nous engager sur le terrain des propositions, d'autant que le ministre a annoncé un certain nombre de décisions au cours de l'année écoulée. Pour autant, il est clair que ces constats ont été dressés avec l'idée de mettre en exergue quelques points sur lesquels nous souhaitons orienter votre réflexion afin qu'ils débouchent sur des propositions. Nous pourrons donc y revenir dans la suite de cette audition.

M. Thierry Leconte : J'en viens au second point de notre rapport d'étape, qui concerne l'action sociale en faveur des personnes âgées. Nous nous sommes intéressés à l'accueil à l'information, à la coordination, à tout ce que recouvre l'aide à domicile, à l'hébergement ainsi qu'au décloisonnement des réponses apportées, qui semble aller dans le sens que vous souhaitez.

M. Pierre Morange, coprésident : Il s'agit d'ailleurs d'un sujet récurrent : tous les travaux de la MECSS nous ont montré un cloisonnement excessif, ainsi qu'un manque de coordination et de partage des informations.

M. Thierry Leconte : Il apparaît que le premier accueil des personnes âgées dans le système se fait par les communes et les CCAS, sans doute parce qu'ils sont plus facilement identifiés par les personnes âgées et par leur entourage.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Je suis un peu dubitative sur ce point, car ce sont en fait les médecins généralistes qui assurent le premier accueil et qui adressent ensuite les personnes âgées aux communes.

M. Thierry Leconte : Cet aspect est apparu surtout pour les CLIC. En fait, l'entrée dans le dispositif d'action sociale se fait surtout par les CCAS. Mais dès lors qu'il s'agit de questions sanitaires, ce sont essentiellement les professionnels de santé qui orientent vers des structures comme les CLIC, qu'ils connaissent davantage.

Les CLIC développent d'ailleurs une activité d'information en direction des personnes âgées ; ils élaborent un certain nombre de documents, de guides, de notices qui les aident dans leurs démarches, qui leur expliquent les possibilités qui s'ouvrent à elles, qui leur donnent des adresses pratiques permettant de répondre à leurs attentes.

Nous avons toutefois constaté que les CLIC travaillent très souvent seuls, que chacun essaie d'imaginer de son côté ce que doit être un bon guide, ce qui est bien sûr à l'origine d'une déperdition d'énergie, surtout quand deux CLIC d'un même département font la même chose. Peut-être faudrait-il les inciter à une mutualisation propice à un gain en temps comme en efficacité.

Nous avons en revanche constaté qu'il existait des structures assez intéressantes, notamment le service d'information du CODERPA du Nord, qui a constitué une documentation extrêmement fournie, qui va au-delà du volet sanitaire et social en traitant des questions de la vie quotidienne, par exemple des problèmes juridiques liés aux successions. Cette documentation comporte un grand nombre de fiches, qui ne sont pas destinées directement aux personnes âgées mais diffusées aux professionnels qui, eux, ont vocation à être au contact direct de ces personnes. Peut-être pourrait-on développer de telles structures en tant que centres de ressources pour une information homogène dans l'ensemble d'un département.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Avez-vous un exemple précis qui prouve l'intérêt de tout regrouper au sein d'un département ?

M. Thierry Leconte : Je l'ai dit, les CLIC travaillent chacun de leur côté. Pour les CODERPA, les choses ont commencé à bouger récemment, les départements prenant conscience de l'utilité de ce service d'information. D'ailleurs celui du CODERPA du Nord a été officiellement installé par le département le jour même de notre visite.

M. Christophe Lannelongue : De même dans le Rhône, le conseil général a la volonté de reconstituer un outil qui existait précédemment afin d'en faire un véritable service d'information et de communication, un centre de ressources pour les CLIC et pour les professionnels mais aussi directement pour le grand public.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : En Franche-Comté, nous avons créé un institut régional du vieillissement qui joue ce rôle de centre d'information et de ressources pour l'ensemble des structures.

À ce propos, il serait également intéressant de savoir si la CNSA poursuit les rencontres qu'elle avait engagées avec les CLIC ? Nous devons en effet nous demander comment mettre en valeur et rendre cohérent ce travail de fourmi qui est réalisé un peu partout.

M. Christophe Lannelongue : La CNSA commence à se comporter comme une agence technique pour les MDPH dans le cadre de sa politique de conventionnement et de construction d'un système d'information partagé par l'ensemble des maisons. En revanche, elle ne joue pas ce rôle pour le développement de la qualité des services aux personnes âgées. Comme l'a observé M. Thierry Leconte, il existe des initiatives très intéressantes mais qui ne sont pas du tout mises en valeur, y compris au sein d'un même département. Ainsi, dans le Rhône, le travail remarquable accompli à Sainte-Foy-Lès-Lyon comme à Villeurbanne ne bénéficie que d'une diffusion limitée.

M. Pierre Morange, coprésident : Vous avez dressé la liste des expériences intéressantes qui mériteraient d'être répétées, mais vous n'avez constaté dans aucun des quatre départements l'existence d'une articulation des différents dispositifs et des différents opérateurs de l'action sociale et médico-sociale.

M. Thierry Leconte : En tous cas pas en ce qui concerne l'information.

M. Pierre Morange, coprésident : Et d'un point de vue opérationnel, existe-t-il des plates-formes multiservices ?

M. Thierry Leconte : On commence à en voir émerger, mais j'allais précisément venir à la coordination.

Celle-ci est en effet extrêmement importante car les personnes âgées ont bien du mal à s'y retrouver dans la mesure où, selon la difficulté qu'elles rencontrent, il leur faut s'adresser à des acteurs différents. Il est donc fort utile que quelqu'un leur apporte une réponse simple et s'arrange avec cette multitude d'acteurs et de dispositifs. C'est le rôle majeur des CLIC que nous avons rencontrés. Et quand il n'en existe pas, ce besoin est pris en compte par les CCAS, mais qui souhaitent très vivement la création d'un CLIC.

Généralement associatif, le CLIC a le mérite d'être indépendant des collectivités, de se situer à la frontière entre les différents acteurs sociaux et d'assurer la coordination entre les volets social et sanitaire, comme on le voit en particulier pour les sorties d'hospitalisation. Outre qu'ils insufflent une dynamique très forte, les CLIC mettent en réseau les acteurs, notamment les professionnels de santé, en particulier en développant des réseaux gérontologiques, même si ce n'est pas toujours facile, notamment parce que tous les hôpitaux ne disposent pas toujours d'un assistant social.

Les assurés de la Mutualité sociale agricole (MSA) ne sont pas dans la même situation car celle-ci offre un service global, assure la coordination, a une vision complète de la prévention, du vieillissement, de la maladie et se situe au plus près de ses assurés grâce à son réseau de correspondants.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Elle participe aussi beaucoup aux CLIC et elle a une tradition démocratique différente. Qui plus est, par ses délégués cantonaux, elle est souvent proche de l'aide à domicile en milieu rural (ADMR).

M. Pierre Morange, coprésident : Sur le fond comme sur la forme, la MSA est un modèle.

M. Pierre Sardou : En Lot-et-Garonne, il existe un seul CLIC. Dans un autre arrondissement, un réseau gérontologique est à l'origine d'une démarche de ce type et souhaiterait se transformer en CLIC.

M. Thierry Leconte : J'en viens à l'aide à domicile. On sait que, selon que la personne âgée relève des GIR 1 à 4 ou 5 et 6, elle n'entre pas dans le même dispositif. Mais elle-même ne connaît pas cette distinction. S'il n'y avait aucune convention entre les acteurs, on pourrait très bien imaginer qu'une personne n'ayant pas été classée 1 à 4 à l'issue de l'évaluation médico-sociale pour l'APA, soit obligée de subir une nouvelle évaluation de la part des caisses. Heureusement, nous avons constaté que les acteurs parviennent à des arrangements, soit, comme dans le Nord, en constituant une seule équipe qui réalise les évaluations de GIR 1 à 6 pour le conseil général et pour les caisses, soit par une reconnaissance mutuelle de l'évaluation réalisée par l'autre acteur.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : La situation est parfois plus compliquée encore : dans mon département, j'ai rencontré une vieille dame dont le mari était atteint de la maladie d'Alzheimer, qui considérait que l'assurance dépendance privée qu'elle avait souscrite était la seule réponse et qui ne s'était donc même pas tournée vers le CCAS. On mesure là la profondeur du vide en matière d'information et d'évaluation.

M. Thierry Leconte : Certains professionnels ne connaissent pas encore tous les acteurs. Une enquête de la direction régionale de l'action sanitaire et sociale (DRASS) d'Île-de-France montre que les généralistes ont une connaissance insuffisante des CLIC. Il faut donc mieux faire connaître leur existence comme leur rôle de coordination.

Une fois l'évaluation réalisée, il faut établir un plan d'aide, dans le cadre soit de l'APA, soit de l'aide personnalisée accordée par les caisses. Nous manquons d'informations sur l'APA alors qu'il serait intéressant de savoir pourquoi certaines personnes refusent les plans d'aide et si cela tient au reste à charge, qu'il est bien difficile d'apprécier. Les conseils généraux savent qu'afin d'améliorer le dispositif il va leur falloir bâtir des outils pour recueillir les informations.

Si les caisses parviennent à réduire la part de l'aide ménagère dans leurs plans d'action, elles réfléchissent aux possibilités d'offrir de nouvelles prestations pour diversifier leurs aides. La caisse régionale d'assurance maladie (CRAM) Nord-Picardie a mené dans l'Aisne une expérimentation destinée à mesurer le besoin d'autres types d'aides.

M. Pierre Morange, coprésident : N'avez-vous à aucun moment constaté qu'une caisse avait pris l'initiative d'être le lien entre tous les acteurs afin de mieux répondre à la demande des assurés ? Car, qu'il s'agisse de la dépendance, du handicap, des personnes âgées, de la précarité, du manque de lien entre les secteurs sanitaire et social, nous constatons que ce sont bien la réponse à l'assuré et sa perception de la qualité du service qui sont essentielles. À chaque fois, il manque quelque chose pour faciliter l'accès aux services et aux différents prestataires et l'assuré est complètement perdu dans un univers particulièrement complexe.

Avec la dématérialisation, le partage des fichiers informatiques et l'application de la nouvelle COG, un certain nombre d'agents vont être dégagés des tâches administratives qui les occupaient jusqu'ici. On pourra ainsi les mettre à la disposition des assurés pour établir un lien entre les différents acteurs. Il conviendrait aussi de mettre à profit l'expérience acquise sur le terrain par la MSA.

M. Christophe Lannelongue : Les caisses ont une expertise grâce à l'expérience des services sociaux des CRAM en matière d'évaluation et d'accompagnement des personnes âgées, mais elles sont mal placées pour faire le lien entre le conseil général et les CCAS, mais aussi entre le médico-social et le sanitaire. Seul le CLIC peut véritablement jouer ce rôle, créer le guichet unique que vous envisagez et offrir une visibilité aux professionnels de santé, le généraliste s'adressant à lui parce qu'il se sent en confiance. Les caisses peuvent y participer mais leur apport prendra la forme d'une expertise et d'un savoir-faire. La MSA est une exception, grâce à la proximité que permet son réseau de correspondants locaux. En revanche, même si son service social est implanté sur le terrain, la CRAM est loin des assurés et des acteurs de terrain.

M. Pierre Morange, coprésident : Je pensais surtout aux ressources humaines que les caisses pourraient consacrer à la gestion opérationnelle. Ce serait aussi un gage d'équité entre les départements.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Nous nous interrogeons beaucoup, au sein de la MECSS, sur le rôle des caisses. Pour votre part, vous posez aussi la question de la construction du plan d'aide. Pensez-vous que la réflexion autour du besoin réel de la personne, âgée ou handicapée, soit suffisante ?

Il paraît très important de mener un véritable travail de formation dans ce domaine, en particulier dans la perspective de l'application de la réforme des tutelles. Celle-ci s'oriente en effet nettement vers l'accompagnement personnalisé et je crains que l'on en arrive à bâtir une usine à gaz très onéreuse pour les collectivités, alors que l'assistant social qui prépare le plan d'aide paraît tout désigné pour être l'accompagnateur social.

M. Thierry Leconte : Même s'ils n'ont pas encore les réponses, tous les acteurs paraissent convaincus qu'il faut connaître les besoins réels des personnes âgées - ainsi, la CRAM Nord-Picardie a cherché à identifier ces besoins au-delà des heures d'aide ménagère.

Il ne faut pas oublier que des aides sont apportées par les CCAS, notamment lorsqu'ils sont prestataires, à un nombre de bénéficiaires plus important que celui des personnes percevant l'APA et l'aide des caisses. Beaucoup d'entre eux sont même ce que les CCAS appellent des « bénéficiaires à titre payant », auxquels ils ne font pas payer le coût réel de l'aide apportée, en facturant par exemple 16,90 euros une heure qui revient en réalité à 21 euros. Cette subvention constitue une aide facultative.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Ce matin, à l'occasion de la présentation du rapport du Conseil d'orientation des retraites (COR), ce sont des images de personnes âgées dépendantes qui ont illustré le reportage de France 2, alors que la majorité des gens âgés ne sont pas dépendants. Un autre sujet, qui portait sur le travail que font des médecins dans cette partie du Japon où les habitants atteignent un âge particulièrement avancé, montrait l'importance des temps de jeu et d'échange pour bien vieillir à 110 ans.

M. Christophe Lannelongue : Un CLIC du Nord fait faire aux personnes âgées une sorte de bilan de compétences afin d'orienter leurs activités au moment de la retraite. En effet, il apparaît que 18 % des personnes arrivant à la retraite n'envisagent aucune activité. Or, stimuler leur engagement dans des activités concourt aussi à reporter l'âge de leur entrée en maison de retraite.

M. Pierre Morange, coprésident : Ce chiffre mérite sans doute d'être affiné car cette faible envie d'entreprendre une activité peut s'expliquer par un état dépressif mais aussi par la nécessité temporaire de récupérer de l'épuisement ressenti après des années d'activité soutenue.

M. Thierry Leconte : Les acteurs nous ont par ailleurs fait part de la nécessité d'instituer un référent APA afin d'assurer le suivi du plan d'aide et de pouvoir envisager de réajuster, la situation d'une personne âgée étant appelée à évoluer. Le conseil général du Nord envisage de désigner des référents, probablement au sein des CLIC puisqu'on en compte un pour 15 000 personnes âgées. Leur mission reste à préciser.

On nous a aussi signalé la difficulté de faire dispenser des soins infirmiers, notamment d'hygiène corporelle, à domicile. Cela conduit les personnes âgées à se tourner vers d'autres personnes, au risque d'une dégradation de la qualité de la prestation.

Il paraît également nécessaire d'envisager désormais l'hébergement de manière décloisonnée grâce à des plates-formes multiservices offrant à la fois des solutions d'hébergement, des soins infirmiers à domicile, de l'accueil de jour, de l'hébergement temporaire et qui, même de manière permanente, puissent accueillir des personnes présentant des degrés différents de dépendance afin de ne pas obliger une personne âgée à changer d'établissement au fur et à mesure que son état se dégrade.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Cela paraît très important : je suis quelque peu choquée que l'on continue à proposer la création de structures avec des unités très cloisonnées.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Le professeur Marc Berthel, qui a travaillé pendant une quinzaine d'années au Canada sur ces questions, en particulier sur la maladie d'Alzheimer, se bat désormais à Strasbourg en faveur du décloisonnement.

Mme Stéphanie Dupays : J'en viens à l'action sociale en faveur des personnes handicapées, domaine en pleine transformation en raison de l'application de la loi du 11 février 2005, ce qui nous empêche d'ailleurs de tirer des constats définitifs.

Je traiterai tout d'abord des maisons départementales du handicap, qui sont au centre de la nouvelle organisation. Placées sous l'autorité des départements, elles ont en charge : l'accueil et l'information ; l'évaluation des taux d'incapacité ; l'appréciation des besoins de compensation ; la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé ; l'orientation scolaire, professionnelle et sociale ; l'attribution de la carte d'invalidité ; la désignation des établissements et services appropriés.

Dans les quatre départements que nous avons étudiés, l'installation des MDPH a suscité un engagement fort des conseils généraux, qui ont choisi, dans trois cas sur quatre, de les intégrer dans leur propre structure. En Lot-et-Garonne et dans le Rhône, la fonction de directeur de la MDPH est ainsi assurée par le responsable du pôle personnes âgées et personnes handicapées du Conseil général. Les MDPH ont également bénéficié de la part des conseils généraux d'un soutien logistique en locaux, en moyens informatiques ainsi qu'en personnel, celui que l'État mettait à leur disposition étant parfois insuffisant.

Nous avons aussi constaté que les MDPH réussissent plutôt bien à fédérer tous les acteurs de l'action sociale locale, tous ceux qui le souhaitaient ayant été associés à leur installation. La composition de la commission des droits et de l'autonomie - instance décisionnelle qui regroupe les anciennes commissions départementales d'éducation spéciale (CDES) et commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel (COTOREP) - du Lot-et-Garonne en est une bonne illustration : elle regroupe des représentants de l'État, de la sécurité sociale, des départements mais aussi de 14 associations, des associations de parents d'élèves et des organisations syndicales. Il faut toutefois noter que certaines CRAM ont regretté de ne pas être davantage associées à ce mouvement.

La constitution des équipes pluridisciplinaires destinées à évaluer le handicap en vue de l'attribution de la PCH illustre également la bonne participation des différents acteurs, en dehors peut-être de ceux du secteur psychiatrique, pour des raisons historiques.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Faute aussi d'une culture commune...

Mme Stéphanie Dupays : En dépit de cette forte mobilisation, les MDPH sont encore loin d'avoir atteint leur vitesse de croisière. Lors de notre visite, certaines venaient seulement d'ouvrir. Si elles ont actuellement les moyens de fonctionner, l'absence de conventions pluriannuelles conduit à poser la question du financement pour l'avenir.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Certaines MDPH ont-elles d'emblée fait le choix d'ouvrir des antennes territoriales ?

Mme Stéphanie Dupays : L'organisation territoriale des MDPH est très différente d'un département à l'autre. Dans le Nord et en Lot-et-Garonne, la MDPH ne dispose d'aucune antenne. Il n'est pas envisagé de développer un réseau propre et pour l'instant les dossiers sont remplis dans les mairies et dans les CLIC. Le principal point d'entrée est constitué par les associations, très présentes dans le domaine du handicap. Dans le Rhône, à l'inverse, ce sont les structures territoriales du Conseil général, les Maisons du Rhône (MDR), qui assurent la représentation territoriale de la MDPH et qui assurent l'accueil et l'information, le dépôt des dossiers mais aussi l'instruction, l'évaluation en vue de l'attribution de la PCH, l'accompagnement des bénéficiaires.

M. Christophe Lannelongue : Créées il y a une dizaine d'années, les MDR correspondent à ce qu'on appelle ailleurs unités territoriales. Elles offrent toutes les composantes du service rendu par le conseil général sur une base territoriale assez étroite puisqu'on en compte 47, soit une par canton.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Il me semble précisément que les MDPH ne rempliront correctement leurs missions qu'à partir du moment où elles pourront aller au plus près des personnes.

M. Christophe Lannelongue : Une telle organisation est quand même très compliquée car elle suppose des compétences - donc des équipes pluridisciplinaires dans chaque maison, ce qui a un coût très élevé -, ainsi qu'un pilotage très précis depuis le siège car les pratiques risquent de diverger fortement. Dans le Rhône, les associations portent un regard mitigé sur ce dispositif car elles considèrent que certaines MDR ne sont pas au bon niveau de compétence.

Mme Stéphanie Dupays : La CNSA a constitué un groupe de travail afin de lancer auprès des usagers une enquête sur la qualité de l'accueil et de l'information et il est encore un peu tôt pour se prononcer sur ce qu'apportent les MDPH en termes de services rendus à l'usager. On observe toutefois que certaines personnes handicapées qui ne disposaient pas de l'allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP) se tournent désormais vers les MDPH pour demander la PCH, ce qui semble montrer que ce guichet unique à une meilleure visibilité que le système précédent.

J'en viens précisément à la prestation de compensation du handicap, qui est une des déclinaisons les plus importantes du droit à compensation reconnu dans la loi du 11 février 2005. La PCH vise à compenser les charges et les frais supplémentaires liés au handicap. Il peut s'agir d'aides humaines, techniques, animalières ou d'aménagements du logement ou du véhicule.

Nous avons constaté une mise en place lente et partielle de la PCH. Ainsi, dans le Nord, où l'on a choisi de traiter prioritairement les personnes très lourdement handicapées, sur 3 000 demandes déposées fin novembre 2006, 450 évaluations de PCH ont été réalisées.

En Lot-et-Garonne, sur les 508 dossiers reçus entre janvier et novembre 2006, 370 ont été traités mais seulement de façon partielle car le département a choisi de se concentrer sur l'aide humaine, donc sur les dossiers les plus faciles.

Dans la mesure où l'on observe un certain nombre de refus, on peut bien évidemment se demander si cette prestation est bien adaptée. L'objectif de la loi était que l'on délivre une prestation au plus près des besoins de la personne, en fonction de son projet, contrairement à la logique de versement d'une prestation forfaitaire, sans prise en considération du besoin réel de compensation, qui prévalait jusqu'ici.

En Lot-et-Garonne, sur les 370 dossiers traités, on a observé par moins de 215 rejets. Si cela tient en premier lieu au fait que les conditions d'incapacité ne sont pas remplies, la deuxième explication est le choix fait par une personne handicapée sur cinq de conserver l'ancienne ACTP. Cela tient sans doute au fait que, à la différence de la PCH, l'attribution de l'ACTP ne donnait lieu à aucune visite à domicile. En outre, les plans d'aide paraissent encore trop peu fondés sur un projet de vie. Il y aurait aussi des difficultés à mettre en place les aides humaines, en particulier pour certains handicaps psychiques pour lesquels les personnels ne seraient pas assez formés. Surtout, même si nous n'avons pas pu nous procurer de chiffres précis, il apparaît que le reste à charge est trop élevé. Au total, la mise en place de la PCH est lente et partielle et l'on ignore encore si la prestation répond vraiment aux besoins des personnes handicapées.

Pour sa part, l'installation du fonds de compensation du handicap reste problématique. La contribution des départements et des organismes de sécurité sociale fait l'objet de fortes discussions qui portent à la fois sur les montants et sur les conditions d'attribution. Qui plus est, il faut du temps pour mettre au point la convention qui doit être passée au niveau national entre la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et la CNSA.

Un certain nombre de points suscitent l'inquiétude dans l'action sociale en faveur du handicap. La première tient au système d'information : il n'existe pas encore de remontée d'informations sur l'action sociale réalisée par les départements. La CNSA travaille sur ce sujet. Il est nécessaire d'établir des systèmes homogènes permettant des comparaisons entre les départements afin de garantir une équité territoriale mais aussi d'améliorer l'efficacité. Il manque aussi un lieu d'échange sur les bonnes pratiques. Nous avons ressenti l'isolement de certains médecins dans l'évaluation du handicap, en particulier lorsqu'ils doivent établir un plan personnalisé pour des handicaps rares.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : La question se pose aussi pour les travailleurs sociaux, qui réclament un dispositif de conseils sur les bonnes pratiques.

Mme Stéphanie Dupays : On peut également s'interroger sur la qualité du service rendu, notamment sur l'aide humaine, et sur la façon de contrôler cette qualité.

Enfin, la question du fonds de compensation reste largement en suspens.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Vous avez évoqué le travail en commun des CLIC et des MDPH dans certains départements, en particulier pour la constitution des dossiers. Pensez-vous que ce mouvement est appelé à s'amplifier ?

Mme Stéphanie Dupays : Le guichet unique de la MDPH est fort utile pour traiter les dossiers car on y aborde en même temps l'ensemble des problèmes que rencontrent la personne, mais il faudrait un relais territorial plus proche des gens.

M. Christophe Lannelongue : Certes, il s'agit d'un guichet unique, mais avec une évaluation globale et sophistiquée de la personne et avec un dossier particulièrement complexe puisque l'on essaie d'appréhender l'ensemble des besoins. Un accompagnement paraît donc indispensable, ce qui suppose une implantation de proximité, d'accès facile. C'est pour cela que le CLIC est naturellement un correspondant de la MDPH.

M. Pierre Morange, coprésident : Si vous disposez de plus d'informations sur l'évaluation lancée par la CNSA, nous vous serions reconnaissants de nous les faire parvenir avant la rédaction de notre rapport, au plus tard mi-février.

Mme Stéphanie Dupays : Nous avons simplement entendu parler de la constitution d'un groupe de travail, mais nous ignorons s'il a déjà produit des documents.

M. Christophe Lannelongue : Nous vous transmettrons le 9 février notre propre rapport définitif, qui fera la synthèse des quatre rapports de sites. Mais nous sommes prêts bien évidemment à vous rencontrer avant cette date pour évoquer les sujets que nous n'avons pas pu aborder ce matin, en particulier celui des propositions.

M. Pierre Morange, coprésident : Peut-être pourrons-nous organiser une nouvelle audition.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Je souhaite d'ores et déjà dire à quel point je suis ravie de cette collaboration entre la MECSS et l'IGAS, qui nous permet de traiter ensemble des dossiers d'une importance capitale. L'analyse des besoins des personnes, le rôle des conseils généraux, la formation des personnels, les liens entre les caisses et les collectivités locales, l'accompagnement individualisé sont autant de chantier considérables et je suis donc persuadée que notre travail en commun est appelé à perdurer.

M. Christophe Lannelongue : C'est aussi ce que nous appelons de nos vœux car cette mission a été particulièrement intéressante.

M. Pierre Morange, coprésident : Je m'associe pleinement à ce qui vient d'être dit. L'approche transversale entre la Cour des Comptes, l'IGAS et la MECSS paraît d'autant plus pertinente que le champ social et médico-social est immense. Elle nous permet de dresser les constats, de faire des propositions, mais aussi de vérifier si nos préconisations sont effectivement mises en œuvre.

Je vous remercie d'avoir participé à cette réunion.

*

Audition de M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille.

M. Pierre Morange, coprésident : Au nom de la MECSS, nous vous souhaitons une bonne année, Monsieur le ministre.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Nous travaillons depuis quelques mois sur l'action sociale, notamment l'action sociale locale en direction des personnes âgées et des personnes handicapées.

Pourriez-vous nous rappeler les principales orientations et les perspectives de la politique d'action sociale ? L'organisation actuelle vous paraît-elle optimale ? Comment faudrait-il la faire évoluer ? Avec la montée en charge de la compétence des départements, l'action sociale de la sécurité sociale est-elle toujours pertinente ? Ne conviendrait-il pas de clarifier et de rationaliser le dispositif d'ensemble en décentralisant complètement l'action sociale ?

Comment améliorer le pilotage, l'animation et l'évaluation de l'action sociale ?

M. Philippe Bas : La question que vous avez abordée cette année est au cœur de l'évolution de la politique sociale de notre pays. Le problème de l'articulation entre l'État, les caisses de sécurité sociale et les départements se pose, parallèlement à certaines exigences, comme l'adéquation des financements aux missions ou la coordination, sachant que le rêve d'un coordinateur unique est hors de portée, à supposer même qu'il soit souhaitable. La conjugaison des forces me paraît préférable au risque de neutralisation réciproque des institutions.

Comment chacun trouve-t-il sa place ? Prenons tout d'abord l'exemple de la cinquième branche de protection sociale, qui correspond à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Les mots ne sont pas neutres. La protection sociale n'est pas la sécurité sociale : elle est plus large. Sans remettre systématiquement nos pas dans ceux du passé, il n'est pas interdit de s'en inspirer, tout comme il est nécessaire de tenir compte des réalités. Lorsqu'il s'agit de personnes âgées ou de personnes handicapées, rayer d'un trait ce qui existe n'est pas le meilleur moyen d'avancer. Nous en avons débattu pendant des années : fallait-il reconnaître le risque dépendance en tant que tel et créer une cinquième branche de sécurité sociale ou fallait-il innover ? Nous avons choisi cette deuxième option, sans rien renier des apports de la sécurité sociale ni des départements dans la prise en charge des personnes dépendantes. Nous avons tenté de conjuguer un financement national avec le développement d'une action décentralisée.

C'est ainsi un souci de synergie qui nous a guidés vers ce dispositif moderne et novateur.

S'agissant de la politique du handicap, là encore, nous avons fait le choix de la synergie plutôt que de risquer le désengagement de partenaires nécessaires. Alors que les différents acteurs de la politique du handicap, autrefois dispersés, imposaient un véritable parcours du combattant aux personnes handicapées et à leurs familles, ils sont aujourd'hui regroupés au sein des maisons départementales des personnes handicapées. Le conseil du groupement d'intérêt public réunit les caisses de sécurité sociale qui, au titre de leur action sociale, finançaient les sites de la vie autonome, l'État, le conseil général, les associations de personnes handicapées. Les décisions de reconnaissance des droits sont prises au sein d'instances composées avec la même diversité d'acteurs. Personne ne peut plus aujourd'hui mener sa propre politique dans son coin. Je rappelle que ce travail en synergie se réalise sous la houlette du président du conseil général, avec des financements provenant essentiellement de l'État et de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie.

Concernant la politique familiale, nous retrouvons cette diversité d'acteurs animés de la même volonté de travailler ensemble. Nous avons eu la joie de faire aboutir la discussion sur la réforme de la protection de l'enfance, après le vote de nombreux amendements portés en commun par des députés de la majorité et de l'opposition. Ce texte, adopté sans aucun vote contre, est un exemple de ce que l'on peut faire pour rassembler les différents acteurs de l'action sociale. C'est ainsi qu'un fonds a été constitué, doté par les crédits de l'action sociale et familiale des caisses d'allocation familiale et par l'État, afin de prendre en charge les moyens supplémentaires nécessaires aux départements pour mettre en œuvre une nouvelle politique de protection de l'enfance.

J'en viens aux politiques d'insertion, et notamment à l'allocation de parent isolé (API). Nous avons créé cette allocation en 1976, peu après la loi sur l'interruption volontaire de grossesse, pour que des jeunes femmes isolées aient les moyens matériels de garder leur enfant. Mais il s'agissait alors d'une allocation de retrait du marché du travail, aujourd'hui dépassée, car il est à présent préférable pour l'enfant et sa mère que cette dernière ne soit pas marginalisée dans la société et qu'elle puisse élever son enfant en conservant une activité professionnelle. Or, les bénéficiaires de l'API sont généralement des jeunes femmes sans aucune qualification, confrontées à de nombreuses difficultés pour trouver du travail. Ce n'est pas leur rendre service que les enfermer dans un minimum social. Les prestations sociales mises en place par l'État, distribuées par les caisses d'allocations familiales, doivent rejoindre les initiatives de politiques d'insertion, qui sont à la charge des départements. J'ai pris un décret cette semaine pour que les jeunes enfants des femmes qui intègrent un processus d'insertion et de formation aient accès en priorité à la crèche. L'API n'est plus délivrée pour leur permettre de rester chez elles, mais au contraire pour les inciter à rechercher du travail.

Mais il faut aussi que les institutions en charge des politiques d'insertion, au premier rang desquelles les départements, prennent en charge, par des politiques spécifiques, le parcours d'insertion de ces jeunes femmes. Le rapport Mercier-Raincourt sur les minima sociaux nous a fourni des recommandations précieuses, mais là encore nous ne réussirons qu'à condition de rassembler nos efforts entre les politiques d'action sociale des uns et les politiques de protection sociale des autres.

Dernier exemple, les tutelles, dont votre assemblée va prochainement débattre. Dans un premier temps inquiets, les départements sont aujourd'hui rassurés puisque désormais l'État assumera la charge financière de la gestion des tutelles. La réforme des tutelles devra développer un volet puissant d'action sociale qui relèvera de la responsabilité des départements. Bien sûr, certaines des personnes sous tutelle souffrent d'un handicap mental définitif, mais beaucoup d'entre elles sont de grands accidentés de la vie sociale - perte d'emploi, de logement, divorce, problèmes d'alcool. Il est alors bien commode pour le travailleur social de demander au juge de placer la personne sous tutelle, laquelle restera malheureusement enfermée toute sa vie dans ce statut. La réforme des tutelles vise à redonner espoir à ces personnes placées sous tutelle faute de mieux, et à rendre à l'action sociale ses lettres de noblesse.

Bien sûr, cette action sociale aura un coût pour les départements, que nous avons tenu à compenser puisque l'État lui-même prendra en charge la gestion des tutelles.

Nous avons par ailleurs deux exigences, à commencer par la question du financement et de la maîtrise des coûts. J'ai voulu que la mise en œuvre de notre politique d'action sociale et familiale ne soit pas mise en péril par des systèmes de gestion beaucoup trop relâchés et qui entraînaient chaque année, comme l'ont prouvé les missions de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'Inspection générale des finances, un surcroît de dépenses sans que les services suivent pour autant. Ainsi, en 2004, les crédits de l'action sociale des caisses d'allocations familiales ont augmenté de 22 % alors même que le nombre de places en crèche n'a crû que d'un peu plus de 2 %. Où est passé l'argent ? Sans doute dans l'amélioration de l'accueil des enfants, mais surtout dans des dépenses de personnel, qui n'ont cessé de croître du fait de taux d'encadrement devenus excessifs par rapport aux normes françaises, elles-mêmes les plus exigeantes d'Europe.

Nous avons voulu, avec les partenaires sociaux, que la garantie apportée par la convention d'objectifs et de gestion d'une augmentation de crédits d'action sociale des caisses d'allocations familiales de 7 à 8 % par an soit respectée, et que cette augmentation de crédits, qui est d'une ampleur inégalée, se traduise bien par l'augmentation du nombre de places en crèches. C'est la raison pour laquelle le dispositif a été recentré, avec le principe selon lequel tous les financements en cours seraient maintenus, et les nouveaux contrats établis sur des bases différentes. Nous avons maintenant un dispositif de bonne gestion et le renforcement du rôle de la Caisse nationale des allocations familiales dans le contrôle de gestion garantit le développement des crèches.

Si nous voulons répondre aux besoins des familles, nous devons nous montrer bons gestionnaires. Il en va de même pour le revenu minimum d'insertion (RMI). Au fond, ce sont les départements qui connaissent le mieux les bénéficiaires du RMI, puisqu'ils sont en charge de leur insertion. Ils sont les mieux placés pour appréhender la réalité du terrain, faire que chaque euro dépensé au titre de la solidarité soit réellement utile à la solidarité, et que l'évolution de nos dépenses d'aide aux plus démunis permette leur insertion et ne les enferme pas dans les minima sociaux.

La coordination est notre dernière exigence. Enfermer le travail social dans des compartiments - caisse d'allocations familiales, centre communal d'action sociale, département, autres institutions -, chacun ignorant tout des autres, porte préjudice aux familles, dont la situation n'est alors pas prise en compte de manière transversale.

La rencontre des travailleurs sociaux sur le terrain autour du problème de la famille, pour rassembler les pièces d'un puzzle dont chacun ne détient qu'une parcelle, et avoir une vision d'ensemble des difficultés de cette famille, pour mieux les régler dans la confiance, est particulièrement importante.

J'ai toujours été favorable au maintien du secret professionnel, mais j'ai toujours considéré qu'il était essentiel que des professionnels, également assujettis au secret, puissent partager les informations nécessaires au bien de la famille. Nous avons ainsi beaucoup progressé depuis l'adoption par le Parlement de dispositions de coordination du travail social. De même, il est salutaire que de nombreux départements aient développé la polyvalence des travailleurs sociaux. Au sein même du département, la distinction entre travailleurs sociaux en charge de politiques différentes n'a pas toujours donné de bons résultats. La transversalité est un gage d'efficacité.

M. Pierre Morange, coprésident : Permettez-moi de vous remercier d'avoir mis à la disposition de la MECSS des membres de l'IGAS, avec qui nous avons extrêmement bien travaillé. Nous tenons à saluer la qualité de leur travail.

Où en est l'application de l'article 138 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 prévoyant la mise en place du répertoire national des bénéficiaires avec le numéro d'inscription au répertoire (NIR) comme code d'accès ?

M. Philippe Bas : Je tiens à rendre hommage à votre initiative. La mise en œuvre de cet article exige l'élaboration et la publication d'un décret en Conseil d'État, qui doit être pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Ce décret doit préciser le contenu des différentes informations qui seront inscrites dans le répertoire commun et fixer les modalités de gestion et d'utilisation de ce répertoire.

Un groupe de travail est déjà en place, qui réunit les caisses nationales de sécurité sociale, l'Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC), la direction générale des impôts (DGI). Il est piloté par la direction de la sécurité sociale, et il associe tous les organismes concernés par la création, l'utilisation, la gestion de ce fichier.

Ce groupe de travail formule des propositions, que je recevrai en février prochain. Sur cette base sera finalisé le projet de décret qui sera ensuite soumis à la CNIL, aux conseils d'administration des caisses nationales du régime général et au Conseil d'État.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Merci de cette présentation très complète. Vous avez rappelé l'importance de la conjugaison des forces, aujourd'hui indispensable pour avancer en matière de politique sociale. Dans le cadre d'une réflexion plus globale visant à décloisonner les différents secteurs - le sanitaire, le social, le médico-social - quel serait aujourd'hui le niveau le plus favorable pour mener cette coordination ? Les départements ? Les régions ?

Par ailleurs, serait-il envisageable d'instaurer sur les territoires un réseau santé-social ? Il convient aujourd'hui d'avancer sur ces questions. Ces réseaux santé-social, constitués de pôles santé-social par exemple, qui regrouperaient les informations, les compétences, et qui délivreraient certains soins vous paraîtraient-ils le bon niveau pour simplifier et mieux organiser les réponses sur le territoire ?

M. Philippe Bas : En matière de travail social, ce sont les départements qui disposent des ressources humaines les plus importantes. Pragmatique, je pars de cette réalité. Pour autant, ils n'ont pas de monopole. Évidemment, une petite commune qui n'a pas de travailleurs sociaux peut faire partie d'une communauté de communes, avec un centre intercommunal d'action sociale. Il est plus facile de faire du bon travail quand on connaît les gens, leur famille. Le département est parfois éloigné mais à lui d'organiser le maillage pour que les travailleurs sociaux soient au plus près du terrain.

Je rappelle que les travailleurs sociaux des communes et des centres communaux d'action sociale représentent seulement 4% des effectifs de travailleurs sociaux en France. Ne regardons pas le rôle de la commune au travers du prisme d'une réalité essentiellement urbaine où le travail social organisé par la commune a beaucoup plus d'importance qu'en milieu rural, et reconnaissons la réalité du leadership du département en matière d'action sociale. S'agissant des régions, nous devons nous entendre sur la notion d'action sociale. Si vous visez plus généralement les politiques sociales, l'équipement en services sociaux, le niveau régional est pertinent, mais nous ne parlons plus de la même chose, puisqu'il s'agit alors d'une offre institutionnelle de services. Il est impossible, quel que soit le domaine de notre politique sociale, de choisir à l'avance une collectivité qui s'occupera de tout. Il faut opérer des distinctions. Lorsqu'il s'agit de politique d'insertion, d'aide aux familles en difficulté, d'aide à l'enfance, de traitement des questions de surendettement, nous avons besoin d'un maillage au plus près de la personne. Quand il s'agit au contraire de répartir des financements pour créer de nouvelles institutions, il est nécessaire de prendre du recul pour être le plus juste possible et accorder les moyens à ceux qui en ont le plus besoin.

S'agissant d'instaurer sur les territoires un réseau santé-social, je rappelle que le rapprochement de la santé et du social est déjà largement en cours pour les personnes âgées et handicapées. Les plans d'aide à la personne cumulent les deux dimensions, de même que les financements sont généralement conjoints et coordonnés. C'est le cas pour les établissements accueillant des personnes âgées et dépendantes ou pour les accueils de jour. Il paraît difficile à ce stade d'envisager un vaste réseau santé-social compétent vis-à-vis de tous les publics à la fois, mais c'est vrai que la loi sur l'autonomie a prévu que progressivement, les problématiques se ressemblant, la prise en charge des personnes âgées dépendantes et des personnes handicapées dépendantes pourrait être plus homogène.

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Nous sommes tous conscients de l'importance de la proximité dans le domaine de la protection sociale. Cependant, faute de compétence clairement définie, nous manquons d'information sur l'ampleur réelle des difficultés. Comment obtenir ces informations qui permettraient aux départements, aux caisses, au législateur de bien orienter les politiques ?

Par ailleurs, que pensez-vous de l'action sociale de la branche vieillesse et de la branche maladie et de leur évolution ?

M. Philippe Bas : Nous sommes toujours partagés entre la nécessité d'obtenir des informations plus précises pour construire une politique et évaluer sa mise en œuvre, et le désir de ne pas transformer les acteurs de terrain en rédacteurs de dossiers d'information.

Des efforts sont entrepris. S'agissant du handicap, les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) nous permettront de faire remonter des informations de très bonne qualité, d'autant plus qu'il s'agit là d'une priorité du directeur de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Je trouve cette caisse mal nommée car il s'agit, à mon sens, d'une véritable agence qui joue un rôle de coordination sans contrainte, dans la mesure où les départements, les maisons départementales des personnes handicapées, les directeurs de ces maisons en ressentent fortement la nécessité. Cette coordination s'est du reste mise en place avant même leur installation par l'élaboration, par exemple, de guides pour la mise en place des maisons, ce qui a facilité le travail des départements.

Nous mettons par ailleurs en place avec la CNSA un système de remontée des informations qui nous permettra d'avoir un bon pilotage. Cet exemple pourrait être suivi, me semble-t-il, dans les autres domaines de l'action sociale.

Pour bien progresser, il est nécessaire de fournir aux responsables de terrain un retour de ces informations, afin que tout le monde en profite.

S'agissant de l'action sociale des caisses, oui, cent fois oui, cette action sociale des caisses de sécurité sociale doit se maintenir et même s'amplifier. Ainsi, quel est aujourd'hui le sens d'une politique familiale innovante ? Qu'elle réponde aux besoins des familles, par la mise en place de services. Aujourd'hui, les deux parents travaillent - 82 % des femmes françaises en âge d'avoir des enfants sont en activité ou en recherche d'emploi, ce qui est un résultat d'autant plus impressionnant au niveau européen que la France détient le taux de natalité le plus fort. Le travail des femmes n'est pas l'ennemi de la natalité, au contraire, il y contribue en ce qu'il apporte de la sécurité matérielle à la famille. Aujourd'hui, le plan pour la petite enfance est avant tout une action sociale des caisses d'allocations familiales, avec la garantie de l'État pour les financements - nous sommes en train de modifier la convention d'objectifs et de gestion pour assurer son financement sur les prochaines années. La garde des enfants est aujourd'hui la priorité numéro un de la politique familiale, car nous devons permettre que l'engagement professionnel des deux parents ne les empêche pas de remplir pleinement leurs responsabilités familiales.

Autre exemple, la protection de l'enfance. Les caisses d'allocations familiales sont celles qui emploient le plus de travailleuses familiales, aujourd'hui appelées techniciennes d'intervention sociale et familiale. Ce sont des femmes remarquables qui présentent l'avantage d'être à la maison avec la famille, et d'en partager la vie plusieurs heures par jour. Elles peuvent être, au sein du foyer, des ferments du progrès dans la manière dont les parents vont assumer leurs responsabilités parentales. C'est ainsi que nous ferons progresser la bientraitance. Il est nécessaire que les caisses d'allocations familiales continuent à être pleinement engagées dans ce travail familial de premier ordre.

Autre exemple : les caisses primaires d'assurance maladie, dont l'action sociale est très importante. Il est des cas où les remboursements, même importants, ne permettent pas à une famille de faire face à un problème de santé. Il est des cas d'urgence où il faut pouvoir agir. Ces caisses doivent continuer à jouer ce rôle. Bien sûr, une partie de ce qu'elles faisaient, quand il n'y avait pas d'aide pour l'acquisition d'une complémentaire santé, est repris au titre de cette aide que nous avons encore amplifiée dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, en offrant à un million de familles supplémentaires la possibilité de bénéficier de l'aide. Cette aide nationale à l'acquisition d'une couverture de santé complémentaire pour les familles modeste représente autant de moins à prendre en charge au niveau local. Reste que beaucoup de dossiers d'action sanitaire et sociale doivent encore être assumés par nos caisses primaires d'assurance maladie, et c'est nécessaire.

Quant aux personnes âgées, je suis un ardent partisan du renforcement du rôle de la Caisse nationale d'assurance vieillesse au travers des caisses régionales d'assurance maladie (CRAM), mal nommées puisqu'elles devraient s'appeler caisses régionales d'assurance vieillesse et des accidents du travail (CRAVAT). Elles absorbent en effet l'essentiel des moyens pour l'action sociale dans le domaine des services aux personnes âgées en travaillant en étroite collaboration avec de grandes organisations nationales, comme Aide à domicile en milieu rural (ADMR). Il s'agit à la fois d'apporter aux personnes âgées vieillissantes et qui perdent de leurs forces le soutien nécessaire à la maison tant qu'elles restent autonomes, et de diversifier ces formes d'action. Il ne suffit pas de faire le ménage, il faut assurer un accompagnement beaucoup plus large amener la personne âgée faire des courses, l'accompagner chez le médecin, apporter des plateaux repas... Nos associations doivent évoluer sur ce point, et ne pas rester enfermées dans une forme de prestation unique, alors que les besoins se diversifient. Le libre choix, qui est au cœur du plan « Solidarité grand âge », c'est d'abord pour les personnes âgées le maintien à domicile. Le plan « Solidarité grand âge » prévoit chaque année davantage de création de places en service de soins infirmiers à domicile que de places en maisons de retraite, alors même que le nombre de places en maisons de retraite est le double de celui que nous avions prévu dans le plan « vieillissement solidarité » en 2003 après la canicule, ce plan étant lui-même sans précédent. Il est vrai que le vieillissement de la population s'accélère puisque le nombre de personnes âgées de plus de 85 ans devrait doubler dans les dix prochaines années.

Cette politique d'aide au maintien à domicile, dans son aspect de services généraux pilotés par l'action sociale des CRAM, se conjugue avec cette politique de développement des services de soins infirmiers à domicile mais aussi avec le développement de l'hospitalisation à domicile. Je rappelle qu'il n'existait que 3 000 places en France en 2002, contre 8 000 aujourd'hui, et 15 000 en 2010 ! L'on croit généralement qu'il coûte moins cher d'être maintenu à domicile que d'aller en maison de retraite, mais c'est le contraire, quand il s'agit de personnes en état de dépendance important et qui demandent des soins. Une place à domicile, avec des soins infirmiers, coûte 50% de plus qu'une place en maison de retraite médicalisée. C'est dire l'effort que représentent 6 000 places par an en service de soins infirmiers à domicile (SSIAD), à comparer aux 6 000 places par an en maison de retraite, mais tel est bien le choix que nous faisons, celui d'un système ouvert, avec plusieurs points d'appui.

L'action sociale des caisses de sécurité sociale est donc vitale.

C'est en particulier le cas s'agissant des personnes handicapées. Alors que les caisses versaient de l'argent aux sites de la vie autonome, j'ai demandé que cet argent revienne aux fonds de compensation des maisons départementales des personnes handicapées, afin que la montée en régime de ces maisons ne se traduise pas par un retrait de l'action sociale de nos caisses. Au contraire, il faut la maintenir et si possible l'amplifier. Toutes les consignes ont été données et localement nous voyons adhérer les caisses de sécurité sociale aux fonds de compensation des maisons départementales des personnes handicapées.

M. Pierre Morange, coprésident : Que pensez-vous des expérimentations menées au titre des plates-formes multiservices, lesquelles permettent de réunir les différents acteurs des différentes branches du régime général ? Avez-vous des réflexions à ce sujet tant en termes de simplification des démarches que de partage des informations ?

Par ailleurs, s'agissant des besoins en formation, les moyens mis à disposition sur le plan budgétaire à la suite de la loi du 11 janvier 2005 sont importants, mais il faut une concrétisation en termes de ressources humaines et donc de formation de personnel compétent. Avez-vous la conviction que le plan ambitieux qui a été voté et les moyens alloués permettront de répondre au défi que constitue la prise en charge de la dépendance et du handicap ?

Mme Paulette Guinchard, coprésidente : Du fait du choix, porté par tous, de l'individualisation et de la proximité, les travailleurs sociaux sont en pleine mutation. Comment accompagner cette évolution ?

M. Philippe Bas : Il y a une grande continuité dans vos réflexions sur l'amélioration par la mise en commun des moyens du fonctionnement de la sécurité sociale.

Trois branches de la sécurité sociale sont en contact avec des publics différents. Je ne vois pas l'intérêt, pour une jeune maman qui s'interroge sur les prestations familiales, de s'adresser à un guichet qui pourrait aussi répondre à une question sur sa retraite. Il est important en revanche de bien répondre à sa question sur les prestations familiales.

M. Pierre Morange, coprésident : Vous avez rappelé votre attachement à la professionnalisation des différentes branches, laquelle n'est pas contradictoire avec des plates-formes multiservices où chaque guichet conserverait sa spécificité, mais dans un espace commun.

M. Philippe Bas : J'allais y venir. Nous avons réformé le régime social des indépendants, en mettant en commun tout ce qui concernait l'assurance vieillesse, le recouvrement, et la maladie, pour le plus grand bonheur de nos artisans et commerçants qui ne savaient plus à quel saint se vouer.

Oui, cette plate-forme commune, avec l'aide de la communauté de communes en milieu rural, marche très bien, et va dans le sens du maintien d'un service public de proximité. Ce qui est important, dans ces plates-formes, n'est pas que le personnel puisse répondre à tout, mais qu'il sache à qui s'adresser pour obtenir la réponse et la transmettre au demandeur.

Je suis un ardent partisan de ces plates-formes.

Par ailleurs, nous développons, au sein des branches, la mutualisation des moyens, et nous n'hésitons pas à demander au Parlement de valider certaines initiatives lorsque les innovations se révèlent une réussite. Ainsi, nous avons permis au département de la Lozère de réunir en un même lieu les différents organismes de sécurité sociale, y compris l'Union pour le recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF), et de créer une caisse lozérienne de sécurité sociale. Nous devons laisser leur chance aux personnes qui innovent pour le bien de leurs concitoyens, en mettant à leur disposition un service amélioré qui de surcroît coûte moins cher. Naturellement, comme toujours, des réticences se sont exprimées, certains craignant que l'exemple de la Lozère ne fasse des émules. Pour autant, si nous avons dit oui à la Lozère, c'est parce que les acteurs de ce département ont fait la preuve de leur efficacité. Nous n'avons pas dit oui à tout le monde. Nous voulons suivre les initiatives locales et leur permettre d'aboutir quand elles sont salutaires.

S'agissant de la formation, j'évalue les besoins, rien que pour les personnes âgées, à 40 000 personnes par an pendant dix ans. C'est énorme. Le plan « Solidarité grand âge » prévoit que, dans les cinq prochaines années, pour les personnes âgées les plus dépendantes, nous devrons pratiquement doubler les effectifs dans les maisons de retraite médicalisées. Les métiers médico-sociaux sont pleins d'avenir, et j'encourage les jeunes à s'orienter dans cette voie.

La formation va-t-elle suivre ? La formation des aides soignantes est en forte augmentation, mais nous devons encore ouvrir de plus en plus de formations en médico-social, dans le cadre des lycées et des classes de brevet de technicien supérieur (BTS).

Par ailleurs, la validation des acquis de l'expérience, aujourd'hui ouverte à pratiquement tous les métiers médico-sociaux, doit permettre, par exemple, à un agent de service d'une maison de retraite médicalisée, de devenir aide-soignant ou auxiliaire médico-psychologique, lequel doit pouvoir devenir à son tour infirmier. L'attractivité de ces métiers en sera renforcée d'autant.

Le travail est commencé, mais il faudra le poursuivre, durant ces dix prochaines années. Nous devrons tous nous y mettre, notamment les régions qui ont en charge la formation professionnelle.

M. Pierre Morange, coprésident : Monsieur le ministre, nous vous remercions.

La mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a enfin entendu M. Edward Jossa, directeur général des collectivités locales au ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, accompagné de M. Jean-Luc Heller, chef du département des études et des statistiques locales, et de M. Jérôme Teillard, attaché au bureau des services publics locaux.

M. Pierre Morange, coprésident : Messieurs, je vous souhaite la bienvenue à l'Assemblée nationale.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Nous achevons avec vous une série d'auditions sur l'action sociale du régime général de sécurité sociale et des collectivités territoriales.

Quel bilan pouvez-vous dresser de la décentralisation de l'action sociale ? Quelles sont les grandes tendances d'évolution de l'action sociale ? Peut-on encore distinguer aide sociale et action sociale ? L'organisation actuelle de l'action sociale vous paraît-elle optimale ? Comment faudrait-il la faire évoluer ? Avec la montée en charge des départements, l'action sociale de la sécurité sociale reste-t-elle pertinente ? Ne conviendrait-il pas de clarifier et de rationaliser le dispositif d'ensemble de l'action sociale en le décentralisant complètement ? Enfin, de votre point de vue, comment le pilotage, l'animation et l'évaluation de l'action sociale pourraient-ils être améliorés ?

M. Edward Jossa : Je m'exprimerai avec une grande modestie car je n'ai pas la prétention de maîtriser le sujet dans tous ses détails, tant il est vaste et protéiforme.

L'action sociale au sens large des collectivités locales représente 23 milliards d'euros, à comparer avec les 513 milliards d'euros de dépenses sociales totales et, de façon plus éclairante, avec les 71,5 milliards d'euros de contributions publiques au système de sécurité sociale.

Les prestations légales constituent de loin la partie la plus importante de l'action sociale des collectivités locales : 5 milliards d'euros pour le revenu minimum d'insertion (RMI) ; 5 milliards d'euros pour l'aide sociale à l'enfance ; 5 milliards d'euros pour les personnes âgées, dont 3,9 milliards pour l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) ; une situation moins monolithique pour le handicap puisque la prestation de compensation du handicap (PCH) ne représente qu'un gros tiers des 3,5 milliards d'euros dépensés par les collectivités locales dans ce domaine.

La dépense augmente très rapidement. L'évolution la plus significative concerne l'APA, qui a explosé : elle est passée de 1,8 milliard à 3,7 milliards d'euros depuis sa création, en 2002. Le vieillissement de la population a une incidence majeure sur les finances publiques - le problème va au-delà des collectivités locales - et, d'après nos estimations, la tendance ne se ralentit pas.

Le RMI suit également une progression importante : par rapport au droit historique à compensation, les dépenses supplémentaires atteignent 870 millions d'euros, ce qui a conduit l'État à concevoir un plan de 500 millions d'euros par an sur trois ans, quoique l'évolution soit intervenue postérieurement au transfert de compétence. Une partie des surcoûts du RMI peuvent aussi être liés aux changements de politique de l'emploi. Les élus locaux, légitimement attachés à la maîtrise de la dépense obligatoire, sont évidemment soucieux d'obtenir une compensation intégrale.

La notion d'aide sociale est de plus en plus difficile à cerner, les distinctions historiques entre action sociale et aide sociale ou entre prestations légales et facultatives s'effaçant progressivement. Depuis 1984, les prestations facultatives peuvent compléter les prestations obligatoires et, depuis 2002, le code de l'action sociale et des familles donne une définition très large de l'action sociale, qui s'étend désormais à l'aide à la citoyenneté, à la prévention et à la lutte contre l'exclusion - le champ est tellement étendu que l'on peut se demander s'il existe toujours une véritable définition.

Dans le domaine de l'action sociale, tout le monde peut intervenir : l'État, les collectivités locales, les établissements publics, les organismes de sécurité sociale, les associations financées par l'État. C'est le domaine dans lequel le principe de non-spécialisation s'est le plus généralisé. Les relations entre les communes et les intercommunalités sont à cet égard significatives : l'existence d'un centre communal d'action sociale (CCAS) n'interdit pas à la commune d'intervenir directement et la création d'un centre intercommunal d'action sociale (CIAS) n'entraîne pas le dessaisissement des CCAS des communes membres. Il existe bien d'autres exemples : personne n'accepterait d'abandonner son pré carré au profit d'une structure mutualisée.

Se pose par conséquent la question du pilotage, et l'article 49 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales confère au département la qualité de « chef de file numéro un ». Cette mesure est néanmoins d'une portée effective relative puisqu'elle n'autorise pas un département à intervenir directement pour imposer des orientations aux autres acteurs : c'est un chef de file passablement virtuel, dont le rôle, en l'état de la réglementation, ne peut aller au-delà de l'animation et de la coordination locales.

Avant de se lancer dans des transferts de compétences, il conviendrait de remettre à plat la matrice de l'action sociale, qui est très compliquée et se caractérise par des recoupements : des personnes handicapées deviennent âgées, des personnes bénéficiant du RMI sont âgées de plus de cinquante ans. Il y a par conséquent un besoin de fixer de grands principes d'orientation, définis de façon concertée, indiquant le système de prise en charge dont chaque public doit relever.

Nous serions en théorie assez favorables au transfert de l'action sociale des caisses vers les départements, la coexistence de deux acteurs créant des redondances, des doublons et des malentendus. Les régimes sociaux peinant à atteindre l'équilibre, ils se désengagent du financement de l'aide à l'enfance, ce qui conduit les communes à réclamer une compensation à l'État.

Une variante de cette proposition est envisageable : les caisses conserveraient une capacité d'intervention mais les établissements et les travailleurs sociaux seraient décentralisés. Leur regroupement auprès des départements permettrait de mieux mutualiser les frais de gestion, de spécialiser les caisses dans le financement des options et de laisser la mise en œuvre à des établissements gérés par les collectivités locales. Cela constituerait une bonne application du principe de subsidiarité, maintenant inscrit dans la Constitution.

La limite à cette logique de décentralisation est d'ordre financier car les sommes en jeu sont considérables et il faut être sûr que les charges supplémentaires incombant aux collectivités locales seront compensées, selon un système respectant le principe d'autonomie fiscale.

En dehors de ces perspectives à moyen terme, un travail quotidien d'amélioration des interactions entre les collectivités locales et l'État est évidemment mené en permanence. Des initiatives de coordination intéressantes ont notamment été conduites en matière d'information entre les inspections du travail et les départements ou entre la sécurité sociale et les départements. Dans cet esprit, une consultation beaucoup plus forte de départements pourrait être recherchée dans le domaine de la programmation pour les personnes âgées et handicapées.

Une partie des malentendus entre les différents intervenants tiennent au fait que, dans les domaines transférés vers les collectivités locales, la décentralisation est insuffisamment prise en compte : chacun continue à faire comme si l'État restait compétent, à tel point que l'on parle de « déconcentralisation », particulièrement pour l'action sociale. Un tiers de la réglementation française concerne le social, qui est donc l'objet d'une sur-réglementation massive. La loi va jusqu'à fixer la taille, le format et le contenu des notices de demande d'agrément pour l'adoption !

M. Pierre Morange, coprésident : Avez-vous une liste exhaustive de ces excès ?

M. Edward Jossa : Nous disposons d'une fiche avec quelques exemples, que voici.

De même, contrairement aux principes de la décentralisation et de l'autonomie locale, l'organisation de certaines structures départementales, comme les services de protection maternelle et infantile (PMI), est fixée par décret en Conseil d'État.

Enfin, dans le domaine de la tarification, il me paraît indispensable de laisser davantage de marge de manœuvre aux collectivités locales. Je ne pense pas aux trente prestations légales comme le RMI, encore que celui-ci pourrait être décentralisé et modulé par rapport à un tarif de base.

La notion même de décentralisation, dans le domaine social, reste incomprise. Soit un champ est totalement encadré et n'a alors pas sa place parmi les compétences des collectivités locales, soit il est transféré et le principe de libre administration doit être accepté. Une solution consisterait à soumettre à un organisme comme le comité des finances locales toute nouvelle norme ayant une incidence sur les dépenses des collectivités locales. Une autre serait de supprimer toutes les normes ne figurant pas parmi une liste ; c'est ce que j'appelle le « désherbage massif ». Une troisième serait de conférer aux collectivités locales un pouvoir réglementaire de substitution, ce qui nécessiterait une expertise constitutionnelle. Les expérimentations ne sont pas satisfaisantes car on sait que leur généralisation est impossible.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Nombre d'expérimentations restent effectivement au milieu du gué, en particulier dans le domaine des politiques sociales, alors que certaines d'entre elles ont réussi. La MECSS est attentive à ces réflexions. Le « désherbage massif » et la remise à plat de la matrice de l'action sociale sont nécessaires, mais les simplifications ne doivent pas mettre en péril les dispositifs qui appartiennent à l'histoire et ont apporté en leur temps des réponses satisfaisantes.

Avez-vous connaissance d'expériences de plates-formes multiservices apportant réellement satisfaction sur le territoire où elles sont menées ?

M. Jérôme Teillard : Dans le Nord ou à Rennes, il existe des expériences d'intégration assez poussée entre l'échelon communal et l'échelon départemental. Les collectivités trouvent intérêt à mutualiser leurs moyens, le cas échéant avec les organismes de sécurité sociale, notamment les caisses d'allocations familiales (CAF). Mais faut-il légiférer en s'inspirant d'expérimentations ou plutôt mettre en place des dispositifs de partage des bonnes pratiques et laisser le choix aux collectivités ?

Il existe deux exemples de modèles imposés par la loi : les centres locaux d'information et de coordination (CLIC) et les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Il faut cependant laisser une marge de souplesse car les solutions ne sauraient être identiques en Lozère et dans le Nord.

M. Edward Jossa : Cette question renvoie à celle de l'évaluation des politiques. Je crois à des systèmes d'évaluation verticale et horizontale, procédure par procédure, avec des enquêtes.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Il importe en effet de développer l'évaluation car nous ne disposons pas de suffisamment de recul et de capacités pour analyser finement la situation.

Dans certains départements, des expériences de concertation entre CLIC et MDPH sont concluantes : ces deux niveaux d'intervention peuvent se compléter voire aller dans le même sens. Qu'en pensez-vous ?

M. Jérôme Teillard : La loi, en confiant la prise en charge des CLIC et des MDPH au conseil général, n'interdit pas à ce dernier de créer son propre dispositif de mutualisation entre les équipes médico-sociales, voire leur regroupement en un site unique. La Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) promeut d'ailleurs les expérimentations des départements tendant à mutualiser leurs services. Et c'est une perspective incontournable à moyen terme puisque la question de la convergence des systèmes de prise en charge des personnes âgées et des personnes handicapées est posée. Il est toutefois préférable, de notre point de vue, de laisser au conseil général le soin de choisir son organisation plutôt que de lui imposer un modèle par la loi. Certains départements ont même eu du mal à créer leur MDPH parce qu'ils auraient préféré l'intégrer dans leurs services au lieu de constituer un groupement d'intérêt public (GIP) extérieur.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Vous confirmez là ce que nous avons déjà entendu.

M. Jean-Luc Heller : J'ajouterai quelques mots sur les systèmes d'information statistiques. Leur source étant administrative, par opposition aux enquêtes particulières, plus qualitatives, ils sont soumis aux évolutions de la gestion liées par exemple à la décentralisation. Il est important de maintenir la cohérence du système, mais dans des conditions soutenables, qui ne se traduisent pas, pour les acteurs, par un accroissement de la charge, des doubles emplois ou des redondances dans les remontées d'informations. Pour étalonner des performances ou des résultats à partir de systèmes institutionnels très différents, une coordination statistique est assurée. Le dispositif repose sur la bonne volonté des participants mais aussi sur le travail du conseil national de l'information statistique (CNIS). Celui-ci est au demeurant sous-utilisé, certains partenaires du monde des collectivités locales n'étant pas aussi actifs qu'ils pourraient l'être dans cet effort. Le cadre est posé ; reste à le mettre en œuvre dans le contexte compliqué de la décentralisation.

M. Pierre Morange, coprésident : Une plate-forme multiservices visant à regrouper l'ensemble des branches du régime général a été mise en place en Lozère. Avez-vous analysé ce dispositif ? L'État ne pourrait-il pas faciliter la mise en œuvre de ce type de structures, tout au moins dans les régions où les services publics, en particulier les services de l'action sociale, tendent à se désertifier ?

M. Edward Jossa : Une telle expérience est extrêmement intéressante mais nous estimons que c'est au département de piloter la programmation territoriale des services car lui seul a la vision territoriale de la situation.

M. Jérôme Teillard : L'inspection générale des affaires sociales (IGAS) a mené tout récemment dans les départements des études sur les réorganisations en cours liées à la décentralisation du RMI. Il en ressort que les solutions retenues sont diverses, en fonction de la force du réseau des CCAS. Dès lors qu'il a été décidé que la responsabilité de l'organisation incombe aux départements, mieux vaut laisser à chaque territoire les moyens de se structurer en fonction de sa réalité locale. L'exemple de la Lozère n'est pas nécessairement transposable dans des départements urbains, voire dans d'autres départements ruraux où l'histoire, l'implication des communes et le rôle des intercommunalités diffèrent. La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales pose comme principe que le département doit être l'organisateur, le chef d'orchestre.

M. Edward Jossa : Nous sentons monter, sur le sujet, une certaine tension entre les départements et les grandes agglomérations, qui revendiquent le pilotage.

Mme Martine Carrillon-Couvreur, rapporteure : Il semblerait que les schémas départementaux ne remplissent plus tout à fait le rôle qui leur est assigné. Disposez-vous de témoignages à ce sujet ?

M. Edward Jossa : Toute disposition de programmation est positive. Cependant, là aussi, faut-il totalement normaliser l'exercice à partir de Paris ou bien laisser les départements décider du contenu de leur schéma, des partenaires avec lesquels s'associer et des stratégies ?

M. Jérôme Teillard : La loi du 13 août 2004 a confié l'intégralité du pilotage des schémas aux départements, mais un quart d'entre eux seulement ont pris le transfert en compte.

Si le bilan est mitigé, c'est que le paysage juridique est très instable : tous les grands secteurs entrant dans le cadre des schémas départementaux ont été profondément impactés par les nombreux textes adoptés depuis 2004.

Autre difficulté, sur le terrain, on n'arrive pas à bâtir des schémas unifiants, du domaine de l'enfance jusqu'à celui des personnes âgées : ils restent très sectoriels, même si la volonté commence à se faire sentir.

Enfin, les programmes interdépartementaux d'accompagnement des handicaps et de la perte d'autonomie (PRIAC), pilotés par l'État, ne s'articulent pas encore avec les schémas départementaux, expression de besoins localisés. Il est indispensable de consulter systématiquement les départements.

M. Pierre Morange, coprésident : Nous vous remercions d'avoir répondu à nos questions.

ANNEXE 4 : LISTE DES SIGLES UTILISÉS

Sigles

Libellé

AAH

Allocation aux adultes handicapés

ABS

Analyse des besoins sociaux

ACTP

Allocation compensatrice pour tierce personne

ADF

Assemblée des départements de France

AED

Actions éducatives à domicile

AEMO

Actions éducatives en milieu ouvert

AME

Aide médicale d'État

AMF

Association des maires de France

AMP

Aide médico-psychologique

APA

Allocation personnalisée d'autonomie

API

Allocation de parent isolé

ARDH

Allocation de retour à domicile après hospitalisation

ARH

Agence régionale de l'hospitalisation

ASE

Aide sociale à l'enfance

ASH

Aide sociale à l'hébergement

ASS

Allocation spécifique de solidarité

ASSEDIC

Association pour l'emploi dans l'industrie et le commerce

CAF

Caisse d'allocations familiales

CAFAD

Certificat d'aptitude aux fonctions d'aide à domicile

CCAS

Centre communal d'action sociale

CDES

Commissions départementales de l'éducation spéciale

CGSS

Caisse générale de sécurité sociale

CHRS

Centres d'hébergement et de réinsertion sociale

CHUS

Centre d'hébergement d'urgence sociale

CIAS

Centre intercommunal d'action sociale

CICAT

Centres d'information et de conseil d'aide technique

CILE

Comité interministériel de lutte contre les exclusions

CIRMA

Contrat insertion-revenu minimum d'activité

CLI

Commission locale d'insertion

CLIC

Centre local d'information et de coordination

CMU

Couverture maladie universelle

CMUC

Couverture maladie universelle complémentaire

CNAF

Caisse nationale des allocations familiales

CNAMTS

Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés

CNAVTS

Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés

CNIL

Commission nationale de l'informatique et des libertés

CNSA

Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie

CODERPA

Comités départementaux des retraités et personnes âgées

COG

Convention d'objectifs et de gestion

COTOREP

Commission technique d'orientation et de reclassement professionnel

CPAM

Caisse primaire d'assurance maladie

CRAM

Caisse régionale d'assurance maladie

CRAMIF

Caisse régionale d'assurance maladie d'Île-de-France

CROSS

Comité régional de l'organisation sanitaire et sociale

CSG

Contribution sociale généralisée

DGAS

Direction générale de l'action sociale

DGCL

Direction générale des collectivités locales

DIESE

Dispositif d'intégration par l'emploi et de soutien contre l'exclusion des rapatriés

DPT

Document de politique transversale

DRASS

Direction régionale des affaires sanitaires et sociales

DREES

Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques

DSS

Direction de la sécurité sociale

EHPAD

Établissement d'hébergement de personnes âgées dépendantes

FCH

Fonds de compensation du handicap

FFAPA

Fonds de financement de l'allocation personnalisée d'autonomie

FNAS

Fonds national d'action sociale

FNASS

Fonds national d'action sanitaire et sociale

FNASSPA

Fonds national d'action sanitaire et sociale en faveur des personnes âgées

FSL

Fonds de solidarité pour le logement

GIP

Groupement d'intérêt public

GIR

Groupe iso-ressources

HAD

Hospitalisation à domicile

HAS

Haute Autorité de santé

IGAS

Inspection générale des affaires sociales

IGF

Inspection générale des finances

INSEE

Institut national de la statistique et des études économiques

LOLF

Loi organique relative aux lois de finances

MAPAD

Maison d'accueil des personnes âgées dépendantes

MARPA

Maison d'accueil rural pour personnes âgées

MDPH

Maison départementale des personnes handicapées

MECSS

Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

MOC

Méthode ouverte de coordination

ODAS

Observatoire national de l'action sociale décentralisée

ONDAM

Objectif national de dépenses d'assurance maladie

ONPES

Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale

PAJE

Prestation d'accueil du jeune enfant

PAP

Plan d'action personnalisé

PARADS

Pôle d'accueil en réseau pour l'accès aux droits sociaux

PASS

Permanence d'accès aux soins de santé

PCH

Prestation de compensation du handicap

PED

Prestation expérimentale dépendance

PLFSS

Projet de loi de financement de la sécurité sociale

PLH

Programmes locaux de l'habitat

PMI

Protection maternelle et infantile

PRIAC

Programme interdépartemental d'accompagnement des handicaps et de la perte d'autonomie

PSD

Prestation spécifique dépendance

PSU

Prestation de service unique

REAAP

Réseau d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents

RMI

Revenu minimum d'insertion

SAMSA

Service d'accompagnement médico-social pour adultes handicapés

SDF

Sans domicile fixe

SDIS

Service départemental d'incendie et de secours

SROS

Schémas régionaux d'organisation sanitaire

SSIAD

Service de soins infirmiers à domicile

TIPP

Taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers

TOS

Techniciens et ouvriers de service

VAE

Validation des acquis de l'expérience

ZEP

Zone d'éducation prioritaire

ANNEXE 5 : RAPPORTS DE L'INSPECTION GÉNÉRALE DES AFFAIRES SOCIALES À LA MECSS

- Contribution à la cartographie de l'action sociale............ 277

- L'action sociale locale en direction des personnes âgées et des personnes handicapées dans les départements du Lot-et-Garonne, du Nord, du Rhône et du Val-de-Marne 449

1 Rapport n° 2680, du 16 novembre 2005, de M. Jean-Pierre Door sur l'organisation et le coût de gestion des branches de la sécurité sociale

2 Rapport n° 3091, du 17 mai 2006, de Mme Paulette Guinchard sur le financement des établissements d'hébergement des personnes âgées

3 Études et résultats n° 537 de novembre 2006

4 Études et résultats n° 307 d'avril 2004

5 Études et résultats n°271 de novembre 2003

6 Objectif de dépenses d'assurance maladie

7 Décision n° 96-387 DC du 21 janvier 1997 ; décision n° 2001-447 DC du 18 juillet 2001 ; décision n° 2003-487 DC du 18 décembre 2003.

8 Rapport du 14 février 2007

9 Selon l'INSEE, « le bassin de vie constitue le plus petit territoire sur lequel sur lequel s'organise la vie quotidienne des habitants. C'est dans chacun de ces bassins à l'autonomie plus ou moins marquée que les habitants accèdent à l'essentiel des services, que les actifs ont leurs emplois et les élèves leur établissement scolaire. »

10 Rapport n° 3523 du 14 décembre 2006.