N° 3702 - Rapport de M. Christian Gaudin, établi au nom de cet office, sur la place dans les enjeux internationaux de la recherche en milieu polaire : le cas de l'Antarctique




 

OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

 

RAPPORT

sur

« La place de la France dans les enjeux internationaux de la recherche
en milieu polaire : le cas de l'Antarctique
 »

par

M. Christian GAUDIN, sénateur

           
   

Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale

par M. Claude BIRRAUX

Premier Vice-président de l'Office

Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Henri REVOL

Président de l'Office

Créé par la loi du 8 juillet 1983, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, composé de députés et de sénateurs, a pour mission d'informer le Parlement sur les conséquences de ses choix à caractère scientifique ou technologique.

Les saisines, transmises par un des organes des deux assemblées, sont confiées à un rapporteur choisi parmi les membres de l'Office.

Celui-ci, après avoir procédé à des auditions et à des missions sur place et à la consultation d'experts, rend un rapport qui est soumis à l'approbation de l'ensemble des membres de l'Office, qui décident de sa publication.

Organisme exclusivement parlementaire, l'Office est totalement indépendant du Gouvernement et des administrations.

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COMPOSITION DE L'OFFICE

Président

M. Henri REVOL

Premier Vice-Président

M. Claude BIRRAUX

Vice-Présidents

M. Claude GATIGNOL, député

M. Pierre LASBORDES, député

M. Jean-Yves LE DEAUT, député

M. Jean-Claude ETIENNE, sénateur

M. Pierre LAFFITTE, sénateur

M. Claude SAUNIER, sénateur

 

Députés

Sénateurs

M. Jean BARDET

M. Christian BATAILLE

M. Jean-Pierre BRARD

M. Christian CABAL

M. Alain CLAEYS

M. Pierre COHEN

M. Francis DELATTRE

M. Jean-Marie DEMANGE

M. Jean DIONIS du SÉJOUR

M. Jean-Pierre DOOR

M. Pierre-Louis FAGNIEZ

M. Louis GUÉDON

M. Christian KERT

M. Pierre-André PÉRISSOL

M. Philippe ARNAUD

M. Paul BLANC

Mme Marie-Christine BLANDIN

Mme Brigitte BOUT

M. Marcel-Pierre CLEACH

M. Roland COURTEAU

M. Christian GAUDIN

M. Serge LAGAUCHE

M. Jean-François LE GRAND

Mme Catherine PROCACCIA

M. Daniel RAOUL

M. Ivan RENAR

M. Bruno SIDO

M. Alain VASSELLE

SOMMAIRE

Pages

composition de l'office 2

SOMMAIRE 3

introduction 7

I. Les milieux polaires : l'urgence de la protection 11

A. DES MILIEUX EXTRÊMES ET FRAGILES 11

1. L'océan Arctique 12

2. Le continent antarctique 15

B. LA RESPONSABILITÉ DE LA FRANCE DANS LE TRAITÉ SUR L'ANTARCTIQUE 20

1. L'origine du traité et le système antarctique 20

2. La question suspendue de l'exploitation minière 25

3. Le tourisme, nouvelle menace pacifique ? 28

II. Les pôles, un rôle clef dans la compréhension du changement climatique 31

A. COMPRENDRE LES CLIMATS ANCIENS POUR COMPRENDRE LE FUTUR DU CLIMAT 31

1. Les forages récents au Groenland 32

2. Les forages en Antarctique 33

3. Les forages océaniques : le trait d'union transpolaire 36

4. L'avenir des forages glaciaires 37

B. LA CIRCULATION THERMOHALINE 40

1. Le système de circulation générale 41

2. L'enjeu de la formation des eaux froides profondes 43

3. L'océan Austral, puits de carbone 44

C. LES RÉGIONS POLAIRES AU CœUR DU CHANGEMENT GLOBAL 45

1. La banquise arctique va-t-elle disparaître l'été ? 45

2. Le Groenland va-t-il fondre en totalité ? 46

3. Peut-on porter un diagnostic sur le bilan de masse de l'Antarctique ? 48

III. Les recherches biologiques françaises au premier rang 51

A. UN HÉRITAGE EXCEPTIONNEL 51

1. Une situation géographique hors du commun 51

2. 40 à 50 ans d'observations continues 53

B. ADAPTATION AU CHANGEMENT GLOBAL ET AUX MILIEUX EXTRÊMES 54

1. Adaptation au changement climatique 54

2. Comprendre l'adaptation aux milieux extrêmes 56

C. UNE RECHERCHE INNOVANTE 57

1. L'instrumentation des animaux 58

2. La recherche hormonale, moléculaire et génétique 60

3. Les implications pour l'organisation de la recherche 62

IV. Observer la Terre, Observer l'Univers 65

A. LES OBSERVATOIRES DE LA TERRE ET DE LA HAUTE ATMOSPHÈRE 65

1. La sismologie 65

2. La mesure de la gravité et du magnétisme terrestre 66

3. L'étude de la stratosphère et le suivi de la couche d'ozone 66

4. L'observation de l'ionosphère 69

B. L'ASTRONOMIE ANTARCTIQUE : UN NOUVEAU CHAMP 70

1. La reconnaissance d'une discipline en pleine expansion 71

2. Concordia, le meilleur site astronomique du monde ? 74

3. La recherche de météorites en Antarctique 78

4. La mesure du rayonnement cosmique 78

V. Préparer les missions spatiales en Antarctique 83

A. PRÉPARER ET VALIDER LES MISSIONS SATELLITAIRES 83

1. Espace et régions polaires : une complémentarité dans la préparation 83

2. Valider au sol l'observation faite depuis l'espace 84

B. PRÉPARER LES VOLS HABITÉS ET LES STATIONS LUNAIRES OU MARTIENNES 85

1. Concordia - un lieu unique pour ces recherches 85

2. L'étude du comportement en milieu extrême 86

3. Les études physiologiques 87

C. TESTER LE MATÉRIEL D'EXPLORATION 87

1. Exemples et projets américains 87

2. Perspectives européennes 88

VI. La présence française dans les régions polaires 91

A. DÉVELOPPER LA PRÉSENCE DANS L'ARCTIQUE, CONFORTER LA PRÉSENCE EN ANTARCTIQUE 91

1. Une présence arctique à développer 91

2. Conforter notre présence dans les régions australes 94

B. MIEUX COORDONNER LA PRÉSENCE FRANÇAISE AUX PÔLES 99

1. Peut-il y avoir un pilote dans l'avion polaire français ? 99

2. Les objectifs divergents de la présence australe 101

VII. Mieux coordonner et mieux financer la recherche en milieu polaire 107

A. RENFORCER LE PILOTAGE DE LA RECHERCHE 107

1. L'IPEV, agence de moyens 107

2. Faut-il réorganiser la recherche en milieu polaire française ? 112

3. L'IPEV, indispensable lieu de définition de la recherche en milieu polaire 116

B. SURENGAGEMENT OU SOUS-FINANCEMENT DE LA RECHERCHE POLAIRE ? 118

1. L'IPEV, une agence polaire ou océanographique ? 118

2. L'insuffisance des moyens logistiques polaires 121

3. La rénovation et l'avenir de la base Dumont d'Urville 122

VIII. La coopération internationale : une nécessité et un objectif 127

A. COMMENT IMPULSER UNE DYNAMIQUE EUROPÉENNE ? 127

1. L'Union européenne un cadre suffisant ? 128

2. Les limites pratiques et politiques à la coopération 129

3. Vers un moteur italo-germano-français ? 132

B. QUELLE COOPÉRATION INTERNATIONALE POUR LA FRANCE À LA VEILLE DE L'API ? 134

1. Excellence, proximité et longévité, trois critères clefs des coopérations 134

2. Le développement d'une mise en réseau des stations 137

IX. Conclusions et propositions du rapporteur 139

annexes 145

examen du rapport devant l'OFFICE 147

personnalités entendues 149

INTRODUCTION

« D'où vient l'étrange attirance de ces régions polaires, si puissante, si tenace qu'après en être revenu on oublie les fatigues morales et physiques pour ne songer qu'à retourner vers elles ? D'où vient le charme inouï de ces contrées pourtant désertes et terrifiantes ? »

Jean-Baptiste Charcot

Mesdames, Messieurs,

« Il y a un siècle, découvrir les régions polaires était une aventure héroïque, pour des hommes peu équipés et livrés à eux-mêmes dans des expéditions solitaires. Peu à peu, les scientifiques ont donné un sens au soutien de la recherche fondamentale dans ces zones inhabitées, déchiffrant, grâce au développement d'une collaboration internationale, les liens des pôles avec l'ensemble de notre planète et avec l'univers ».

Par ces mots, Bertrand Imbert et Claude Lorius, deux grands hommes de la recherche polaire française, achèvent leur présentation de l'aventure polaire dans leur livre Le grand défi des pôles1. Ils mettent ainsi en avant le caractère profondément mystérieux et envoûtant de ces régions qui, comme l'écrivait le Commandant Charcot, font que malgré leur hostilité, une fois découvertes, on cherche toujours à y retourner. Les pôles c'est donc d'abord cela, l'aventure, le défi personnel. Aux antipodes, on trouve et on laisse quelque chose de soi.

Surtout, ils soulignent comment peu à peu la recherche a trouvé dans les régions polaires un lieu d'épanouissement exceptionnel, à tel point que le continent antarctique, exemple unique en son genre, est depuis 1959 réservé à la paix et à la science. Les sciences des pôles, ce fut d'abord la géographie. Mais très rapidement toutes les autres furent conviées pour localiser les pôles magnétiques, pour décrire les nouvelles espèces de plantes et d'animaux et même pour observer le ciel. Vénus et ses transits furent la raison du lancement de la première année polaire internationale et le début d'une dynamique exemplaire de collaboration.

Aujourd'hui, les pôles sont de nouveau le lieu de l'aventure scientifique. Ils apparaissent comme les postes avancés, les témoins des changements qui affectent notre planète, comme le réchauffement climatique et la menace sur la biodiversité. Des questions de cosmologie fondamentales comme les origines de l'univers, ou de futurologie comme l'exploration du système solaire y trouveront peut-être une réponse. Comme le rift africain, les pôles ramènent aussi les hommes très loin dans leur passé. 1,5 million d'années d'archives climatiques sont disponibles dans les glaces de l'Antarctique. Mais il y a aussi des glaces beaucoup plus anciennes qui, détachées de leur série temporelle, n'offrent pas encore aux scientifiques des objets d'investigation.

Le champ de la recherche en milieu polaire est donc particulièrement large : c'est une première surprise pour qui ne s'attendait à trouver que glace, manchots ou ours blancs.

*

* *

Cette surprise et cet émerveillement, votre rapporteur les a ressentis, il y a près de quatre ans, lorsqu'il a été chargé par la commission des affaires économiques du Sénat du rapport sur le projet de loi de transposition du Protocole de Madrid de 1991.

Ce premier pas vers le pôle, il a eu l'immense privilège de pouvoir le poursuivre par la découverte sur le terrain des bases scientifiques françaises et italiennes en Antarctique (Mario Zuchelli, Concordia et Dumont d'Urville). Cette mission lui a permis de visiter les installations de recherche, d'emprunter les moyens logistiques (avions C-130 et Twin Otter, raid chenillé de 1 200 km et bateau Astrolabe) et de rencontrer les chercheurs. On reste très fortement impressionné par l'ingénierie nécessaire aux recherches dans des milieux aussi extrêmes. Sans logistique efficace, rien n'est possible. Votre rapporteur reste aussi très fortement impressionné par la confrontation personnelle avec le désert de glace, ce milieu hostile, sans vie, par la rencontre avec les hivernants de Concordia placés hors du monde, sans possibilité de secours pendant près de 9 mois, par la solidarité des hommes du raid ou encore, retrouvant l'Australie, par l'infini soulagement de voir, enfin, un arbre, de l'herbe...

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* *

Puis, cette découverte s'est transformée en étude lorsque, sur la saisine de la commission des affaires économiques du Sénat, l'Office décida de lancer une évaluation de la place de la France dans les enjeux de la recherche en milieu polaire à la veille de l'année polaire internationale.

Pour l'Office, il s'agissait également de poursuivre dans la voie du rapport présenté en décembre 1989 par Jean-Yves Le Déaut, député. Ce rapport a beaucoup contribué à la définition de la position française lorsque le Président François Mitterrand a décidé, sous l'instigation du Commandant Jacques-Yves Cousteau, que notre pays s'opposerait à l'entrée en vigueur de la Convention de Wellington sur l'exploitation minière de l'Antarctique, et a proposé la négociation d'un nouvel instrument qui deviendra, deux ans plus tard, le Protocole de Madrid, faisant de l'Antarctique une réserve naturelle dédiée à la science et à la paix.

*

* *

Pour préparer ce rapport, votre rapporteur a rencontré les responsables de la recherche française en milieu polaire et les autorités qui y interviennent. Il a visité les équipes de recherche et leurs laboratoires. Il a de plus engagé un dialogue direct avec nos principaux partenaires européens dans les régions polaires : l'Allemagne, l'Italie et le Royaume-Uni, et extra européens : les Etats-Unis et la Russie (et lors de son déplacement vers l'Antarctique, la Nouvelle-Zélande et l'Australie).

A l'étranger, le parlementaire français a été très heureux de constater à quel point nos opérateurs polaires et nos chercheurs étaient appréciés pour leurs compétences et leurs travaux. Au-delà des propos de circonstances, au cours d'une présentation scientifique ou d'une visite, les chercheurs ou les techniciens français étaient souvent cités comme des références ou comme des partenaires indispensables à la réussite d'une collaboration ou à l'aboutissement d'une recherche.

Toutes ces rencontres n'auraient pu avoir lieu sans le concours efficace, compétent et, le plus souvent, passionné des ambassadeurs de France et des services scientifiques de nos ambassades. Les remerciements vont également aux opérateurs polaires étrangers qui ont toujours pris beaucoup de temps et de soin pour recevoir un parlementaire français.

*

* *

Votre rapporteur, après avoir rappelé les grandes caractéristiques des milieux polaires, leur statut juridique, et évoqué la question du tourisme en Antarctique, présentera les enjeux des différentes recherches menées en milieu polaire. Il s'intéressera ensuite à l'organisation de la présence française dans les régions polaires, à l'organisation de la recherche et au développement des collaborations aux niveaux européen et international.

Il a semblé utile à votre rapporteur de débuter ce rapport par une présentation des milieux polaires car ils sont souvent méconnus, ainsi que du système juridique très particulier qui régit l'Antarctique et de terminer cette présentation par les questions que soulève le développement du tourisme.

Les milieux polaires sont à la fois durs, car extrêmes, et fragiles en raison de l'amplification aux pôles du changement climatique et de la sensibilité de leur faune et de leur flore. Ils sont néanmoins très différents : au septentrion un océan entouré de terre et au Sud un continent entouré de mer.

Une question leur est commune : où commencent les hautes latitudes ? Sans vouloir entrer dans un débat scientifique particulièrement pointu, la prise de conscience de limites relatives et variables selon le critère retenu est en réalité une première approche vers la spécificité de ces milieux et leur fragilité2.

Le premier critère, le plus souvent retenu, est celui de la latitude, la limite marquée par les deux cercles polaires, c'est-à-dire 66°33. C'est celle sous laquelle le soleil ne se lève pas le jour du solstice d'hiver ou ne se couche pas au solstice d'été en frôlant l'horizon. Elle borne aussi la hauteur du soleil à midi entre 0° et 46°54.

Mais cette limite est trop rigide car elle est trop étroite au nord et au sud. Au nord, parce qu'elle exclut par exemple une partie de la calotte groenlandaise et de la Sibérie. Au Sud également, elle ne prend pas en compte l'extension maximale de la banquise en septembre qui peut aller au-delà du cercle polaire ; ce n'est d'ailleurs pas la limite juridique retenue par le Traité sur l'Antarctique qui mentionne le 60° sud.

Peuvent ensuite être retenues des limites d'ordre thermique, aussi bien sur terre que sur les océans.

Sur les océans, il est possible de retenir l'extension maximale de la glace de mer qui, au sud, va au-delà du cercle polaire dans la partie est de l'Antarctique mais en deçà dans la partie ouest. Il est également possible de retenir l'isotherme de 0°C de la température de l'air. On s'aperçoit alors qu'au sud il va même au-delà de la limite extrême de la banquise. Au nord, en revanche, l'été il ne recouvre que la partie centrale du Groenland et la zone au-delà de 80° de latitude.

Au Sud, il est aussi possible de retenir la position de la convergence antarctique qui sépare les eaux froides australes des eaux plus chaudes du Nord. Ce courant qui ceinture complètement l'Antarctique est sans doute sa véritable frontière physique et biologique. Sa position est néanmoins très variable selon les années.

Il est également pertinent de retenir, sur les continents et donc pour l'essentiel dans les régions arctiques, des limites thermiques. Pour cela l'isotherme 0°C pour le mois le moins froid permet d'inclure les grands espaces englacés. La température moyenne de l'air est aussi un bon critère pour mettre en lumière les zones de sol gelé, le pergélisol (permafrost). Le pergélisol continu et permanent correspond à une température moyenne annuelle de -7 à -8°C, le pergélisol discontinu de -4 à -1°C et le pergélisol sporadique de -1 à 0°C.

Ce critère marqué principalement par la rigueur des hivers prend mal en compte la vigueur des étés et donc le type de végétation. C'est pourquoi, il est possible de proposer comme critère un clivage bioclimatique, la limite de l'arbre. En effet, les arbres peuvent supporter des températures très froides mais doivent pouvoir se développer avec une température estivale suffisamment élevée. La limite de l'arbre découle ainsi du nombre de journées sans gel, de la durée possible de la période végétative ainsi donc que la température moyenne du mois le moins froid. L'isotherme 10°C ou « ligne de Köppen » semble l'un des meilleurs marqueurs. Cette ligne est très inclusive puisque elle descend très au sud, jusqu'à 51°, dans le Nord en raison du climat continental du Canada ou de la Sibérie. Elle est en revanche en deçà de 60° dans les zones sous influence océanique. De même, au Sud, elle peut remonter jusqu'au 50°.

Les régions polaires et subpolaires sont donc particulièrement complexes à définir et variables dans leur étendue selon la saison. Les critères retenus montrent qu'au Nord le cœur de ces régions est assez limité et, en outre, qu'elles sont sensibles à des fluctuations de quelques degrés qui les feraient basculer dans des dynamiques climatiques très différentes.

Le pôle Nord est une zone océanique de 12 à 14 millions de km², une Méditerranée du Nord, presque entièrement entourée de terres.

Sa partie centrale est occupée par une banquise permanente pluriannuelle qui peut, l'hiver, occuper la quasi-totalité de la surface et déborder sur le Pacifique par le détroit de Béring et en Atlantique le long des côtes du Groenland.

Il y a seulement trois ouvertures un peu importantes. Le détroit de Béring constitue l'ouverture vers le Pacifique. Large de 80 km, il est seulement profond de 38 m. La deuxième est celle de l'archipel canadien ou « passage du Nord-Ouest » ; elle ne permet pas une circulation océanique importante. La seule véritable ouverture est celle entre le Groenland et la Norvège, large de 1 500 km et marquée d'un sillon profond de 3 000 m.

Cette organisation de l'espace, marquée par une seule ouverture océanique, structure la circulation atmosphérique et les courants marins et permet de mieux comprendre la grande importance pour le climat de l'échange thermique qui s'y effectue entre le Gulf Stream d'un côté et le courant du Labrador de l'autre.

Carte de l'Arctique

(Source : IPEV)

Le statut juridique du pôle Nord géographique

Le pôle Nord étant au centre d'un océan, il paraît d'autant moins appropriable par un État que les rivages de l'Arctique sont peu ou pas du tout habités. Ainsi, la Cour permanente de justice internationale avait-elle eu à se prononcer pour confirmer l'effectivité de la possession danoise du Groenland en raison de sa très faible occupation (arrêt du 5 avril 1932).

Cependant, le président de la Cour suprême du Canada avait proposé en 1909 - au moment où le pôle est atteint par Peary, le 6 avril 1909 - que s'applique la théorie des secteurs s'inspirant du principe de contiguïté. Ces secteurs seraient des triangles sphériques dont la base serait constituée par le littoral arctique des Etats riverains, les côtés par les méridiens est et ouest correspondant aux limites du littoral, et le sommet le pôle Nord à 90°. Cette théorie a été approuvée par l'URSS en 1926. Tous les autres États riverains s'y sont opposés, de telle sorte que l'on doit considérer l'océan arctique comme régi par le droit international de la mer tel que défini par la convention de Montego Bay de 1982. Le pôle Nord est donc situé dans les eaux internationales.

L'archipel du Svalbard fait l'objet d'un régime spécifique. La Convention de Paris du 21 octobre 1920 reconnaît à la Norvège l'exercice de la souveraineté mais permet le libre accès à toutes les parties pour y mener des activités tant scientifiques qu'économiques (mines).

Les passages du Nord-Est et du Nord-Ouest obéissent à des règles plus complexes.

Le passage du Nord-Est a été ouvert par l'explorateur Adolf Erik Nordenskjöld en 1878. La Russie n'y reconnaît pas la liberté de navigation. Une autorisation et le paiement d'un droit sont nécessaires pour se joindre à un convoi ouvert par un brise-glace.

Le passage du Nord-Ouest a été ouvert par le Norvégien Roald Amundsen en 1906. Après le passage d'un pétrolier américain se rendant en Alaska en 1969, le Canada a adopté une loi spécifique en 1970. Elle soumet la navigation à une autorisation préalable dans une zone de 100 milles marins3 (zone de protection de l'environnement) en raison de la dangerosité, de la difficulté d'organiser les secours et des risques pour l'environnement. Les États-Unis, qui n'avaient pas accepté cette position, envoyèrent en 1985 un brise-glace des Coast Guards sans en avertir le Canada. La crise diplomatique qui suivit conduisit à l'accord d'Ottawa de 1988 par lequel les deux pays acceptèrent de coopérer à des fins de sécurité et de protection de l'environnement, et les États-Unis de se soumettre au régime d'autorisation préalable.

Enfin, en 1992, le Canada et la Russie signaient un accord pour considérer l'Arctique comme une zone spéciale pour la navigation et la protection de l'environnement au titre de l'article 234 de la convention de Montego Bay.

L'Antarctique est, à la différence de l'Arctique, un continent et non un océan.

Il est issu de la dislocation du supercontinent Gondwana, il y a 150 à 160 millions d'années.

Il y a 80 millions d'années, à l'époque du crétacé, l'Antarctique est déjà centré sur le pôle Sud. Mais il connaît alors une végétation et une faune luxuriante de type tropical, dont il reste aujourd'hui des fossiles. Les premiers ont été trouvés en 1902 par le Suédois Otto Nordenjold. L'Antarctique restera encore plusieurs dizaines de millions d'années relié à l'Inde et à l'Australie et jusqu'à 25 à 30 millions d'années à l'Amérique du Sud.

C'est alors que se forme le passage de Drake et que l'Antarctique connaît un isolement croissant. La Péninsule est maintenant à plus de 1 000 km du Cap Horn et la terre Adélie à plus de 2 700 km de la Tasmanie.

Cet isolement est la cause directe d'un courant permanent d'est en ouest dans l'océan, le front polaire, et dans la troposphère, qui isole physiquement l'Antarctique du reste de la planète. Ce courant se poursuit même dans la stratosphère mais son sens varie en fonction de la saison. Ce courant marin est long de 24 000 km et large de 200 à 1 000 km, il délimite nettement les régions antarctiques des autres. Plus au nord, en un deuxième cercle, se trouve la convergence subtropicale formant la limite de l'Océan austral, qui au total comprend 76 millions de km². Ce système de circulations circumpolaires en deux structures frontales concentriques forme une véritable frontière naturelle avec les trois autres grands océans de la planète (Atlantique, Indien et Pacifique). Le front polaire et la convergence subtropicale délimitent deux zones nettement différentes aux niveaux océanique et climatique et donc en matière de faune et de flore.

La glaciation complète de l'Antarctique a été lente. Elle aurait débuté il y a 30 millions d'années environ pour former une calotte complète à partir de glaciers ou de petites calottes préexistantes. Depuis 15 millions d'années, la forme de la calotte a vraisemblablement peu évolué, elle a peut-être été plus importante, s'étendant plus loin en mer, ou moins importante il y a 3 millions d'années, mais, depuis cette date, elle serait d'une remarquable stabilité.

D'un point de vue géologique, les parties ouest et est du continent sont fondamentalement différentes. La partie Est est épaisse (35-40 km) et ancienne (précambrien, soit 3 à 4 milliards d'année). L'ouest est plus jeune, mouvementé et volcanique. Il est aussi moins épais (25-30 km). Les deux parties sont d'ailleurs séparées par un rift avec des volcans en activité comme l'Erebus4, situé dans l'est de l'Antarctique, à proximité de la base américaine de McMurdo.

L'Est de l'Antarctique, tout particulièrement la côte de la terre Adélie et de la terre George V, soit 250 km, fait l'objet de recherches pour y trouver de la croûte terrestre très ancienne datant de l'archéen (- 2,5 à - 4 milliards d'années). C'est exceptionnel pour les chercheurs français puisqu'il n'y a pas dans notre pays de roche de plus de 600 millions d'années. Il s'agit de comprendre la formation de la première croûte terrestre qui, beaucoup plus fine à l'époque, avait un comportement différent. Cela permet également d'identifier les points de jonction avec l'Australie.

En dehors de l'Antarctique, la zone australe est une zone presque exclusivement océanique. Ainsi, jusqu'au 65e parallèle, aucune section de 5° de latitude ne comporte plus de 6,6 % de superficie de terres émergées

L'Antarctique, de la Terra incognita aux satellites

Le continent antarctique a longtemps été la Terra incognita par excellence puisqu'il a été rêvé, imaginé et calculé pendant plusieurs centaines d'années avant d'être découvert. En effet, au 5e siècle avant notre ère, les pythagoriciens l'avaient imaginé par souci d'équilibre, il en fut de même à partir de la moitié du 16e siècle, après que la rotondité de la terre a été admise.

Il a été nommé, par opposition à l'Arctique, terre de l'ours polaire, soit parce qu'il n'y a pas d'ours (terre sans ours) soit parce que la constellation de la Grande Ourse ne peut y être observée, soit tout simplement parce qu'il forme le pendant du pôle Nord.

Au cours du 18e siècle les explorateurs vont se succéder pour tenter de découvrir le continent inconnu alors que nombreux sont encore ceux qui l'imaginent accueillant et peuplé d'êtres extraordinaires. Maupertuis disait : « Je préférerais une heure de conversation avec un indigène de la Terra australis incognita plutôt qu'avec le plus grand savant d'Europe »5.

Plusieurs, comme Kerguelen, voudront prendre quelques îles pour les caps d'un continent riche et prospère. James Cook, qui fut le premier à franchir le cercle polaire austral le 18 janvier 1773 et à réaliser la première navigation autour de l'Antarctique, déclarera avec présomption qu'ayant été dans l'impossibilité de descendre plus au sud, c'est que soit le continent n'existait pas, soit qu'il ne présentait aucun intérêt : « Si quelqu'un a le courage et la volonté d'apporter une réponse à cette question en allant encore plus loin que moi, je ne lui envierai pas la gloire d'une telle découverte, mais je me permettrai néanmoins d'affirmer que le monde n'en tirera aucun profit. »

Ce n'est qu'en 1820 que le Russe Fabian von Bellingshausen, à bord des navires Mirny et Vostock, va découvrir l'Antarctique, sans toutefois y débarquer.

Le français Jules Sébastien César Dumont d'Urville, à bord de l'Astrolabe et de la Zélée, est le premier à aborder le continent en janvier 1840 et donne le nom de sa femme à la terre qu'il découvre, la terre Adélie. L'hydrographe de l'expédition, Vincendon Dumoulin, localise le pôle Sud magnétique. Il sera localisé précisément par l'expédition conduite par Shackelton en 1909. La première station météorologique permanente, Osmond House, toujours en service aujourd'hui, a été installée dans les Orcades du Sud en 1903.

La côte de l'Antarctique est progressivement mais lentement découverte par Ross (1840-1842), Wilkes (1840), Filchner (1911-1912), de Gerlache, Scott et bien entendu Amundsen qui conquerra le pôle Sud le 14 décembre 1911. En 1912, l'australien Mawson découvre la première météorite en terre Adélie.

L'exploration systématique de l'Antarctique n'est vraiment entreprise qu'après la Seconde guerre mondiale grâce aux progrès technologiques.

L'amiral américain Byrd y mène l'opération « High Jump », permettant l'exploration de 3 millions de km² et la cartographie de 60 % de la côte. Mais l'étendue de la méconnaissance du continent est révélée par le fait qu'à l'époque on imaginait encore possible une liaison marine entre les mers de Ross et de Weddel.

C'est en 1947 que sont créées les expéditions polaires françaises (EPF) par Paul-Émile Victor afin d'explorer la terre Adélie et d'y réaffirmer la souveraineté française.

La première station de Port Martin est installée pour la campagne 1949-1950 et trois hivernages s'y dérouleront jusqu'en 1952. Yves Valette et Bertrand Imbert reçoivent la responsabilité de la cartographie du littoral.

L'année géophysique internationale 1957-1958 marque une étape décisive dans l'exploration toujours incomplète du continent car elle conduit à l'établissement de nombreuses et importantes bases permanentes occupées jusqu'à aujourd'hui (pôle Sud et Vostock notamment). Elle a été choisie à la fois pour commémorer les 25 ans de la 2e année polaire internationale, mais aussi parce qu'elle était une année de très forte activité solaire et que l'objectif était d'accomplir d'importants progrès dans les sciences de l'univers, notamment le magnétisme.

Sous la direction de Bertrand Imbert, la France créa une nouvelle base sur la côte de terre Adélie, la base de Dumont d'Urville, pour remplacer celle de Port Martin qui avait brûlé en 1952 et installa la base Charcot à 317 km à l'intérieur du continent et à 2 400 m d'altitude. Jacques Dubois, Claude Lorius et Roland Schlich y hivernèrent pour la première fois de février à novembre 1958.

Durant l'AGI fut aussi réalisée la première traversée de part en part du continent entre les mers de Ross et de Weddell par l'équipe britannico-néo-zélandaise menée par Vivian Fuchs et Edmond Hillary (99 jours, 35 personnes, 17 véhicules et quatre avions sur 2 700 km), réalisant ainsi le rêve que Shakelton n'avait pu réaliser en 1915 à bord de l'Endurance.

Si l'Antarctique est aujourd'hui connu dans sa totalité grâce aux satellites, il n'a toujours pas été totalement exploré par l'homme.

Le continent antarctique et ses plates-formes de glace flottante permanente représentent une surface de 14 millions de km², soit plus que la surface de l'Europe ou une fois et demie celle de la Chine, et 8 % des terres émergées.

Il est divisé en deux parties distinctes entre est et ouest de la chaîne transantarctique longue de plus de 4 000 km et pouvant dépasser les 5 000 m d'altitude (5 140 m. sur le Mont Vinson). A l'ouest se trouve notamment la péninsule antarctique, la partie la plus au nord du continent allant au-delà du cercle polaire (63° de latitude). A l'est se trouve le plateau glaciaire, gigantesque dôme de glace culminant à 4 000 m d'altitude.

Rapportée à l'ensemble du continent, l'épaisseur moyenne de la glace est de 2 200 m mais elle peut largement dépasser 4 000 m par endroits. Ainsi, la profondeur de glace est-elle de 4 776 m sous l'ancienne station Charcot dans le bassin de l'Astrolabe en terre Adélie. Le record de profondeur, de 4 804 m, a été mesuré entre Concordia et Vostok.

Sur le continent antarctique, ce sont 30 millions de km3 de glace qui sont stockés, soit 2 % de l'eau terrestre, mais 75 % de l'eau douce et 90 % des glaces. La fonte totale de l'Antarctique équivaudrait à une hausse du niveau de la mer comprise entre 60 et 70 m.

Le poids colossal de la calotte glaciaire (30 millions de milliards de tonnes) provoque l'enfoncement du socle rocheux d'environ 700 m. Ce phénomène est appelé l'isostasie. Comme le révèlent les cartes du substrat rocheux, le socle se situe en dessous du niveau de la mer. C'est surtout le cas à l'ouest où le socle est fréquemment situé à - 1 500 m. Il s'agit donc d'un archipel. Cette caractéristique pourrait avoir un impact important sur la dynamique du réchauffement de ce continent puisque les glaces y sont directement au contact de la mer. Plus généralement, la morphologie tourmentée et mal connue du socle rocheux joue un rôle à la fois sur l'écoulement de la glace, la dynamique de la calotte et même la formation des eaux froides puisque la géographie du plateau continental est très largement marquée par les glaciers les plus anciens. Il est en outre extrêmement frappant de constater que l'érosion semble peu importante en Antarctique tant les glaciers sont anciens, stables et lents.

Les plates-formes de glace flottante occupent la moitié de la bordure côtière. Deux sont particulièrement importantes : Ronne-Filchner en mer de Weddell (473 000 km²) et Ross dans la mer éponyme (526 000 km²), soit pour cette dernière l'équivalent de la surface de la France. Elles jouent un rôle fondamental dans l'écoulement de la glace de la calotte, formant des espèces d'arcs-boutants, et dans la formation des eaux froides profondes qui alimentent l'océan mondial. Leur formation dans le lointain passé a sans doute été la clé de la glaciation de tout l'ouest du continent, transformant l'archipel en une calotte unifiée.

Durant l'hiver austral, soit l'été dans nos régions, la banquise recouvre plus de 15 millions de km² supplémentaires, frôlant la limite géographique formée par le courant circumpolaire.

Le continent Antarctique est le continent des extrêmes. Il est le plus froid, le plus venté et le plus désertique.

· Le froid

Le froid s'explique tout d'abord par l'inclinaison (le mot climat vient du grec Klima - inclinaison) de la terre qui provoque l'hiver une longue nuit et l'été un réchauffement beaucoup plus faible en raison de l'incidence des rayons du soleil. A cela s'ajoute l'albédo, c'est-à-dire le fait que la neige et la glace renvoient dans l'atmosphère l'essentiel de la chaleur reçue par les rayons du soleil.

La structure continentale joue également un rôle important puisqu'elle empêche les courants marins et atmosphériques de venir réchauffer le continent, on estime la différence à 10°C entre l'Arctique et l'Antarctique aux mêmes latitudes.

Il faut encore compter sur l'altitude élevée du continent. A 3 000 m, il fait environ 20°C plus froid qu'au niveau de la mer.

Ainsi, c'est au cœur de l'Antarctique de l'Est qu'a été enregistré le record de froid : - 89,6 °C à Vostok, le 21 juillet 1983.

· Le vent

L'Antarctique est aussi le continent le plus venté du globe car l'air se refroidit et se condense au contact de la calotte glaciaire. Ce phénomène s'explique par l'impossibilité dans laquelle il se trouve de s'échapper par le haut en raison de la très faible altitude de la couche d'inversion de température. Dès lors, il descend vers la côte, formant les vents catabatiques. Ces vents sont peu importants sur le plateau mais accélèrent très fortement en arrivant sur la côte en raison du dénivelé. Ainsi, ils passent de 11,5 km/h en moyenne à Dôme Concordia, à 22,3 km/h à mi-chemin et à 40 km/h à la station française de Dumont d'Urville. Le record de vent a été mesuré au Cap Denison (terre George V), à 329 km/h. L'ancienne station française de Port-Martin connaissait des vents moyens annuels de 70 km/h. Pendant onze jours, les vents y ont été supérieurs à 180 km/h !

Ces vents jouent un rôle important dans l'alimentation et la stratification de la neige sur la calotte. Ils sont aussi la cause des sastruggis, petites congères de glace de l'ordre du mètre, qui rendent la progression des engins chenillés très difficile et provoquent la casse de nombreux matériels.

· Le désert

Le continent Antarctique est aussi l'un des lieux les plus désertiques car les précipitations y sont extrêmement faibles : 2 à 3 cm dans le centre comme à la base Concordia et quelques dizaines de centimètres sur la côte. A titre de comparaison, le plateau de l'Antarctique de l'Est reçoit en un an ce que le bassin parisien peut recevoir en un mois, soit 5 cm d'eau.

Le cœur de l'Antarctique ne connaît aucune vie végétale ou animale.

L'Antarctique est régi par un système juridique exceptionnel établi par le traité de Washington de 1959. Il réserve le continent à la science et à la paix.

· Les origines

A la suite des découvertes, sept États vont revendiquer successivement une portion de l'Antarctique sous forme de secteur angulaire : le Royaume-Uni en 1908, la Nouvelle-Zélande en 1923, la France en 1924 avec la terre Adélie, l'Australie en 1933, le Chili en 1940 et l'Argentine en 1943.

Pour le Royaume-Uni, la France et la Norvège, cette revendication se fonde sur le principe de la découverte d'une terre sans maître, une res nullius. Le Chili et l'Argentine se fondent en revanche sur la théorie de la continuité territoriale. La Péninsule ne serait que la continuation de leur territoire plus au sud, compte tenu de l'analogie géologique entre les Andes et la chaîne transantarctique.

Dans les années 1940-1950, les revendications concurrentes des États prirent un tour conflictuel. Pour répondre aux activités allemandes, les Britanniques lancèrent l'opération Tabarin, en 1943. Ils ouvrirent quatre bases qui, à la fin de la guerre, furent confiées au Falkland Islands Dependencies Survey (FIDS), sous l'égide du Foreign Office. Le 18 janvier 1949, des coups de feu furent échangés entre Argentins et Chiliens dans la Péninsule. Le Royaume-Uni décidera d'ailleurs de porter ses différends territoriaux avec ces deux pays devant la Cour internationale de justice en 1955. L'affaire sera radiée du rôle de la Cour en 1956.

Mais les prétentions concurrentes des Etats qui souhaitent s'approprier l'Antarctique se heurtent à plusieurs obstacles importants.

Le Tiers Monde vient de naître, la conférence de Bandoeng a eu lieu en 1955, et refuse d'accepter le partage d'un nouveau continent au profit des anciens colonisateurs.

Plus importantes sans doute sont les positions respectives des États-Unis et de l'URSS qui n'ont revendiqué aucun territoire, n'ont reconnu aucun titre et souhaitent pouvoir s'y établir librement. Ils imposent donc une politique de « porte ouverte » leur permettant - aucun État n'aurait d'ailleurs pu ni voulu les en empêcher - d'y installer des bases (Pôle Sud, Palmer et McMurdo pour les États-Unis).

Cette philosophie se cristallisera à l'occasion de l'année géophysique internationale de 1957-1958. C'est durant ces 18 mois que vont être installées les principales bases permanentes et que va se forger la culture de coopération internationale propre à l'Antarctique.

· Le traité

Le traité sur l'Antarctique a été signé à Washington le 1er décembre 1959 par 12 Etats. Il est entré en vigueur le 23 juin 1961. Il compte aujourd'hui 46 parties, dont 28 parties consultatives.

Il consacre «une internationalisation fonctionnelle du continent, fondée tout à la fois sur son utilisation pacifique et sur le gel du contentieux territorial »6.

Le traité s'applique à tous les territoires situés au sud du 60° Sud.

Il réserve à jamais l'Antarctique aux seules activités pacifiques. Les activités militaires, les essais nucléaires et les déchets nucléaires y sont interdits par l'article 5, dans l'intérêt de l'humanité toute entière.

Ces activités pacifiques sont la science et la coopération internationale, ainsi que le précisent le préambule et les articles 2 et 3 : « il est conforme aux intérêts de la science et du progrès de l'humanité d'établir une construction solide permettant de poursuivre et de développer cette coopération en la fondant sur la liberté de la recherche scientifique dans l'Antarctique telle qu'elle a été pratiquée pendant l'année géophysique internationale ».

Le traité assure aussi l'internationalisation du territoire. L'article 4 « gèle » les prétentions territoriales. Les Etats revendiquants peuvent maintenir leurs prétentions, rien dans le traité ne peut être interprété comme une renonciation à leurs droits. Cependant, rien dans le traité ne peut conduire les autres Etats parties à les reconnaître. Les Etats non possessionnés ne peuvent formuler aucune revendication.

Le traité organise la gestion par un petit nombre d'Etats, les parties consultatives, de l'Antarctique.

Si le traité sur l'Antarctique est un traité ouvert à tous les pays, seuls certains peuvent prétendre participer à la gestion du continent. Ce sont les parties consultatives. Un Etat est considéré comme partie consultative « aussi longtemps qu'il démontre l'intérêt qu'il porte à l'Antarctique en y menant des activités substantielles de recherche scientifique telles que l'établissement d'une station ou l'envoi d'une expédition ».

Ils se réunissent au sein de la Réunion consultative du traité sur l'Antarctique, dite ATCM. Elle a le pouvoir d'émettre des recommandations qui forment un corpus d'environ 200 documents qui sont les règles à respecter par les opérateurs antarctiques.

Le respect du traité est garanti par un système d'observateurs permettant d'avoir accès aux bases. Cette disposition de l'article 7 n'est plus appliquée aujourd'hui dans l'esprit de la guerre froide mais dans une perspective de coopération scientifique. Il s'agit d'évaluer les stations des différents pays et leur potentiel scientifique. La station française Concordia en a fait l'objet durant l'été austral 2006-2007.

Ce statut « aristocratique » a longtemps été critiqué par plusieurs États du Tiers Monde qui auraient souhaité que la gestion de l'Antarctique soit confiée à l'ONU.

· Le « système antarctique »

Est appelé habituellement « système antarctique » l'ensemble des conventions et organismes qui se sont ajoutés au traité primitif, outre le Protocole de Madrid.

Il s'agit de trois conventions portant sur la protection de l'environnement :

- La Convention pour la protection des phoques de l'Antarctique (CCAS) qui a été adoptée le 1er juin 1972 à Londres et est entrée en vigueur en 1978. Elle interdit la chasse.

- La Convention pour la conservation de la faune et de la flore marine de l'Antarctique (CCAMLR), adoptée à Canberra (Australie) le 20 mai 1980 et entrée en vigueur le 7 avril 1982. Elle définit les zones protégées et assure la gestion des ressources halieutiques. Son champ d'application s'étend au-delà du 60° Sud.

- La Convention pour la protection des albatros et des pétrels (ACAP), adoptée au Cap le 2 février 2001, est en vigueur depuis le 1er février 2004.

S'ajoutent à ces conventions des organisations dédiées à la science en Antarctique. Il y en a deux principales :

- le SCAR, ou Scientific Committee on Antarctic Research, a été créé en 1957 pour coordonner l'AGI. Son premier président fut l'académicien français Georges Laclavère. Son siège est à Cambridge et son secrétariat est assuré par le Scott polar research Institute. Il a pour mission de rassembler la communauté scientifique pour définir les grands axes des recherches en Antarctique. Il a d'ailleurs son pendant pour l'Arctique le IASC (International Arctic Scientific Council) créé en 1990.

Les activités scientifiques du SCAR s'articulent autour de cinq programmes internationaux :

_ Environnement des lacs antarctiques subglaciaires (SALE - Subglacial Lake Exploration) ;

_ L'Antarctique et le système climatique mondial (AGCS - Antarctic and the Global Climate System) ;

_ L'évolution du climat en Antarctique (Antarctic Climate Evolution) ;

_ Evolution et biodiversité en Antarctique (EBA - Evolution and Biodiversity in the Antarctic) ;

_ Effets de la conjugaison interhémisphérique dans le système Soleil-Terre -ICESTAR - Interhemispheric Conjugacy Effects in Solar-Terrestrial and Aeronomy Research).

- Le COMNAP, ou Council of Managers of National Antarctic Programmes, a été créé en 1988. Il réunit les directeurs des instituts polaires des 29 pays qui peuvent ainsi coordonner leurs activités et organiser la coopération. Il est aujourd'hui présidé par le directeur de l'IPEV, M. Gérard Jugie.

Enfin, on peut considérer comme importants les bureaux temporaires mis en place pour organiser les années polaires internationales. La définition des thématiques et la sélection - labellisation des programmes jouant un rôle dans la structuration de la recherche et le maintien de l'esprit de coopération propre à l'Antarctique.


Les années polaires internationales
et l'année polaire 2007-2008

L'année polaire internationale est un événement scientifique majeur. Elle n'intervient que tous les 50 ans environ.

La première a eu lieu en 1882-1883. Elle s'inspirait d'une première collaboration internationale réussie en 1874-1875 entre la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne et les États-Unis pour observer le passage de Vénus dans les îles subantarctiques. L'explorateur et géophysicien autrichien Karl Weyprecht émit alors l'idée d'organiser une année polaire internationale pour étudier les phénomènes géophysiques et astronomiques. Douze pays acceptèrent d'organiser quinze expéditions simultanées, treize vers l'Arctique et deux vers l'Antarctique (Géorgie du Sud et Terre de Feu).

L'un des objectifs était d'observer à nouveau le transit de Vénus (6 décembre 1882). Après ce nouveau succès, le Congrès international de physique de Londres de 1895 décida d'organiser une année polaire tous les 50 ans.

La seconde API fut lancée à l'initiative de l'Organisation météorologique mondiale en 1932-1933 pour étudier les implications planétaires des jet-streams qui venaient d'être découverts. Plus de 40 pays y ont participé, ce qui a permis des progrès importants en matière de météorologie, de géomagnétisme, des sciences de l'atmosphère et de la cartographie des phénomènes ionosphériques. 114 stations d'observation ont été créées en Arctique, et la première station à l'intérieur de l'Antarctique a été créée par l'amiral américain Byrd qui a hiverné seul sur la plate-forme de glace de Ross. La France installa une station d'hivernage au Scoresby Sund au Groenland.

La dernière API est l'année géophysique internationale de 1957-58 qui impliqua 61 pays. Elle fut notamment impulsée par trois physiciens de la haute atmosphère : Lloyd Berkner, Sydney Chapman et Marcel Nicollet.

Ils voulaient tirer un parti scientifique des radars mis au point au cours de la Seconde Guerre mondiale et des futurs satellites lors d'une année d'activité solaire exceptionnelle. Un programme de recherche international a donc été établi pour collecter des données sur la haute atmosphère, les calottes glaciaires et la dérive des continents, mais aussi les volumes d'eau douce sous forme de glace en Antarctique, la sismologie et la météorologie. 45 stations de recherche ont été installées en Antarctique et sur les îles sub-antarctiques.

C'est notamment au cours de l'AGI que le physicien Van Allen va montrer que les particules du vent solaire sont canalisées dans les régions polaires par les lignes de force du champ magnétique, le choc de ces particules à haute énergie avec notre atmosphère conduisant à la formation des aurores australes ou boréales.

L'année polaire internationale 2007-2008 sera donc un événement très important. Dans un moment particulièrement critique de l'histoire de la terre, compte tenu du changement climatique en cours, l'API aura notamment pour objectif, à travers une intense campagne de recherche, de mieux comprendre l'apport des régions polaires aux équilibres globaux.

L'API est soutenue par plus de 60 pays et près d'une vingtaine d'organisations internationales de recherche, dont le Conseil international pour la science (ICSU) et l'Organisation météorologique mondiale (OMM). Sa direction est assurée par le British Antarctic Survey à Cambridge et son directeur est le Pr Chris Rapley. Au niveau français, l'API est organisée par l'académie des sciences et l'IPEV, sous les présidences de Claude Lorius et Yves Frénot. Plus de 200 projets de recherche sont sélectionnés.

Six thèmes principaux se sont dégagés :

État des lieux : détermination de la situation environnementale actuelle dans les régions polaires. Quel est le statut de la circulation et de la composition océaniques aux hautes latitudes ? Comment varient les écosystèmes polaires dans l'espace et le temps ? Dans quelle mesure ces variations peuvent-elles être attribuées à des impacts anthropiques ? Comment évolue le climat ?

Évolution : Quantification et compréhension de l'évolution naturelle environnementale et sociale passée et actuelle dans les régions polaires, affinement des projections quant aux changements à venir. Comment la biodiversité des régions polaires répond-elle aux changements climatiques à long terme ? Comment la planète répond-elle à des cycles glaciaires successifs ? Quels sont les facteurs de refroidissement des régions polaires ?

Interactions planétaires : meilleure interprétation des rapports et des interactions existant entre les régions polaires et le reste du globe. Quel rôle jouent les régions polaires dans le cycle global du carbone ? Quelle est la stabilité des grandes masses glaciaires et quel est leur impact sur le niveau des mers ? Quelles sont les interconnexions Nord-Sud ?

Nouvelles frontières : étude des limites de la science dans les régions polaires. Quelles sont les caractéristiques des océans profonds et des écosystèmes sous glaciaires ?

Position privilégiée : utilisation des régions polaires pour créer des observatoires d'étude du soleil et du cosmos à partir de la terre.

Dimension humaine : durabilité des sociétés circumpolaires.

A partir des années 1980 s'est posée de manière de plus en plus aiguë la question de l'exploitation économique de l'Antarctique, tout particulièrement dans le domaine minier.

Les quelques prospections qui avaient été réalisées à l'époque et les connaissances acquises sur la dérive des continents pouvaient laisser penser que l'Antarctique recelait d'immenses ressources minières. En effet, compte tenu des liens entre l'Antarctique, les Andes, l'Afrique du Sud et l'Australie, il n'était qu'un pas pour imaginer y trouver les richesses combinées de ces trois zones. A ces ressources se seraient ajoutées du pétrole et du gaz en raison de l'existence de plateaux sédimentaires.

Pour ouvrir la possibilité de prospecter et d'exploiter, les parties aux traités de l'Antarctique ont négocié pendant six ans la Convention de Wellington qui avait été signée le 2 juin 1988. Elle réglementait très sévèrement cette activité et paraissait à beaucoup comme le moindre mal par rapport à une exploitation non contrôlée.

C'était sans compter la mobilisation impulsée par le Commandant Jacques-Yves Cousteau qui mena une campagne internationale avec l'Antarctic and Southern Coalition.

Dans ces circonstances l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques fut saisi en juin 1989 par le Bureau de l'Assemblée nationale afin de recenser les enjeux économiques et les risques écologiques induits par les activités de recherche et d'exploitation minérale. M. Jean-Yves Le Déaut, député, fut nommé rapporteur et put participer à l'ATCM d'octobre 1989 à Paris. En juin 1989, le Président de la République, François Mitterrand, après avoir reçu le rapport qu'il avait demandé au Commandant Cousteau, décidait de soumettre au Gouvernement sa proposition de faire de l'Antarctique une réserve naturelle dans laquelle aucune exploitation minière ne serait possible. Peu après le Premier ministre, M. Michel Rocard, annonçait que la France ne ratifierait pas la Convention de Wellington.

Dès août 1989, la France était rejointe par l'Australie. En décembre 1989, l'Office rendait publiques ses conclusions. En 1990, l'Italie et la Belgique rejoignaient la France et l'Australie, ces quatre pays soutenant la négociation d'une autre convention. Deux ans après, le 4 octobre 1991, le Protocole de Madrid était signé. Il est entré en vigueur le 14 janvier 1998.

Par ce protocole, l'Antarctique est devenu une « réserve naturelle consacrée à la paix et à la science » (article 2).

Il interdit toute activité minière pour 50 ans (article 7), cette interdiction ne pouvant être levée qu'à l'unanimité des parties.

Toutes les activités sur le continent sont désormais soumises à une autorisation préalable délivrée par les autorités compétentes de chaque Etat partie (article 8). Pour la France, ce sont les TAAF qui sont chargées de cette responsabilité, et au sein du système du traité a été créé un Comité pour l'environnement polaire.

Des zones spécialement protégées peuvent être mises en place pour la faune et la flore.

Le Protocole de Madrid a été transposé en droit français par la loi n°2002-347 du 15 avril 2003 et le décret n°2005-403 du 29 avril 2005. Ces textes ont été insérés au sein du titre VII du Code de l'environnement.

Le mécanisme d'autorisation préalable souffre de limites importantes : toutes les autorités nationales sont compétentes pour leurs nationaux et celles des états possessionnés pour leur zone de revendication, de telle sorte qu'il est possible de s'adresser à l'autorité nationale ou étrangère supposée être la plus souple. Surtout, il ne s'agit que d'une obligation procédurale. Il n'y a pas de règles de fond communes pour statuer sur la décision à prendre. Les parties consultatives, dans leur majorité, ne peuvent empêcher l'une d'entre elles de mener une action néfaste pour l'environnement.

Le cas se pose actuellement en raison de la volonté de la Russie de pénétrer le lac sous-glaciaire de Vostok, ou tout au moins de provoquer une remontée d'eau qui serait prélevée une fois gelée. La communauté scientifique doute fortement que la Russie ait mis au point une technique évitant toute contamination. Malgré les remarques formulées par les différentes parties, les Russes poursuivent leur programme, convaincus de l'innocuité de leur méthode, de l'intérêt scientifique d'un tel prélèvement, et se refusent à reporter leurs efforts sur un autre lac plus petit et situé plus en bordure du continent.

En effet, ce lac, d'une superficie proche de celle la Corse, est le plus grand lac sous-glaciaire de l'Antarctique connu à ce jour7. Beaucoup de chercheurs pensent qu'il faut le préserver, que les prélèvements d'eau gelée n'apporteront pas d'éléments scientifiques significatifs et qu'ils risquent au contraire de provoquer une contamination d'autant plus grave que l'on suppose désormais que les lacs fonctionnent en réseau et sont reliés par des chenaux d'eau de fonte sous la calotte.

En effet, la chaleur du socle rocheux combinée à la pression de la glace qui se déplace provoque la fonte du fond de la calotte. Cette eau peut, en fonction du relief, se concentrer pour former des lacs sous-glaciaires qui participeraient, ainsi que leurs chenaux d'alimentation, à la dynamique du déplacement des glaciers vers la mer. Beaucoup pensent qu'ils jouent un rôle important dans la vitesse de l'écoulement et donc dans le bilan général de masse de glace en Antarctique.

Mais ce qui focalise l'attention des chercheurs russes sur Vostok et qui motive le nouveau forage, c'est l'existence de formes de vie inconnues. Quelle vie peut- exister à plus de 3 500 m de profondeur sous la glace ? Comment s'est-delle développée ? Quel est l'âge de l'eau ?

Une première hypothèse avait été que l'eau du lac aurait eu plus de 400 000 ans puisque la carotte de Vostok a permis de remonter jusqu'à cette date. Cela aurait voulu dire que le lac aurait été comme scellé et que la vie qu'il contient aurait été au moins aussi ancienne, voire de l'époque de la glaciation de l'Antarctique... Les études les plus récentes tendent à tempérer ces perspectives. L'eau est vraisemblablement très ancienne, plus de 100 000 ans certainement, mais le lac n'est pas un milieu fermé.

Il y a des échanges avec la calotte. Il y a une dynamique de fonte et de regel. Il y a un courant de circulation. Il y a peut-être aussi des ouvertures sur d'autres lacs. La vie qui s'y trouve est, elle, ancienne, mais il faudrait pouvoir mieux la connaître pour le préciser. Les chercheurs pensent qu'elle peut nous apporter des éléments précieux sur les origines de la vie sur terre et peut-être sur des formes de vie pouvant exister sous des calottes de glace sur des corps extraterrestres.

Ces hypothèses sont motivées par la découverte, dans la glace de regel du fond de la carotte de Vostok, d'une bactérie thermophile, Hydrothermophilus thermoluteolus, qui se nourrit d'hydrogène. Cette bactérie ne se trouve que dans quelques endroits du monde (Japon, Etats-Unis, Australie). De telles sources chaudes existent-elles au fond du lac de Vostok ? Quelle est la parenté de la bactérie découverte avec les autres connues ? Que peut-on découvrir d'autre ?

Ces mécanismes doivent en outre s'accompagner de mesures pour traiter les urgences écologiques liées à des accidents comme le naufrage en janvier 1989 du navire argentin Bahia Paraiso, dont les 700 tonnes de pétrole ont souillé 100 km². De même, les conséquences de la fuite en 1972 du circuit de refroidissement du réacteur nucléaire installé à McMurdo depuis 1962 avaient mis 17 ans à être totalement éliminées.

En Antarctique, la croissance du tourisme est devenue un sujet de préoccupation. En 2005, la fréquentation touristique de l'Antarctique était estimée à 23 000 touristes alors qu'ils n'étaient que 6 700 en 1992.

L'arrivée des touristes est de plus en plus rapide. Le premier vol touristique pour l'Antarctique fut un survol en avion en 1956 à partir du Chili, puis une 1ère croisière fut organisée en 1957-1958. Il a fallu attendre 1990 pour que le 50 000e touriste arrive en Antarctique mais le 100 000e y entrait en 1998 et le 200 000e a dû y prendre pied en 2006.

Le parallèle avec les Malouines ne peut qu'inquiéter. Ces îles se sont fortement ouvertes aux touristes avec l'arrivée de navires de plus de 1 000 places. En 1994-1995 seules 5 000 personnes par an visitaient ces îles ; en 2000, il y en avait près de 40 000.

La même évolution n'est pas aujourd'hui impossible en Antarctique avec de fortes conséquences sur la faune et la flore. En effet, le temps est dépassé des croisières emmenant un nombre très limité de passagers dans des conditions sommaires. Les navires de plus de 3 000 places desservant l'Antarctique se multiplient, permettant d'offrir des croisières à partir de 5 000 euros.

Cette évolution va à l'encontre des prescriptions de l'Association internationale des tour-opérateurs polaires antarctiques, la IAATO, créée en 1991 à l'initiative de la NSF8 et des opérateurs américains. Elle tente de limiter l'impact du tourisme en menant une politique éducative, en respectant des mesures de non-prolifération biologique (pédiluves), en respectant la faune - interdiction d'approcher à moins d'une certaine distance.

Les tour-opérateurs ont en outre un réel intérêt à préserver le caractère sauvage de ces croisières en n'étant jamais plus d'un bateau par site et en limitant le nombre des touristes débarqués par rotation.

Il n'en reste pas moins que l'essentiel du flux touristique se concentre sur une cinquantaine de sites de la péninsule où la faune peut être facilement observée, soulevant d'inévitables difficultés.

Aujourd'hui, il y a de réels facteurs d'inquiétude. La tentation est forte d'augmenter la capacité des navires. Or plus elle sera importante, moins il sera possible d'effectuer une quelconque régulation. Inévitablement une massification aura lieu : plusieurs bateaux dans le même site, augmentation du nombre des touristes débarqués, artificialisation du site pour le protéger (passerelles...), voire constructions d'infrastructures permanentes et vraisemblablement d'hôtels. Quelles seront les conséquences sur la faune, la flore et le travail scientifique ? Les Australiens ont déjà montré qu'au contact des bases, des manchots Adélie avaient été contaminés par des virus.

Les opérateurs scientifiques antarctiques intervenant dans la péninsule s'inquiètent de plus en plus de l'influence des touristes sur l'activité des bases car cela nécessite des mesures particulières pour contrôler les visites et éviter les perturbations. Lors d'accidents, ce sont aussi les moyens logistiques destinés à la recherche qui doivent être mobilisés. Tout déplacement est évidemment compliqué, coûteux, voire dangereux.

La France a pour l'instant été relativement à l'abri de cet afflux car la terre Adélie est trop isolée.

Les îles subantarctiques sont accessibles via le Marion Dufresne lors de ses rotations annuelles. Le tourisme reste très limité en nombre et ne pourrait sans doute guère se développer compte tenu des délais extrêmement longs d'acheminement, tous les trajets s'effectuant par mer.

La situation est néanmoins très originale puisque c'est une collectivité publique qui joue le rôle d'opérateur touristique, au risque dans certains cas d'en assumer les conséquences financières. Ce fut notamment le cas en 1999-2000, où l'organisation d'une croisière du millénaire fut un échec cuisant. En effet, comme le rapporte la Cour des comptes dans son rapport public pour 2005, seuls 4 passagers, sur 38 places disponibles, ont réservé et acquitté le prix du voyage. « La plupart des passagers étaient des personnes proches du territoire, invitées pour la grande majorité d'entre elles ». Le coût total de cette opération s'est élevé à 730 000 € à la charge du contribuable ! Heureusement exceptionnelle, une telle situation ne montre pas moins les limites d'une entreprise touristique menée par une collectivité publique et non par un professionnel privé agissant à ses risques.

La question se pose désormais du développement du tourisme en terre Adélie. Il est envisagé d'ouvrir des cabines pour les touristes sur l'Astrolabe et d'organiser sur la base Dumont d'Urville un « circuit touristico-scientifique » auquel devraient participer les chercheurs présents dans une mission d'ouverture et de pédagogie.

Votre rapporteur est fermement opposé à de tels projets, s'ils étaient avérés.

Ils sont tout d'abord tout à fait irréalistes compte tenu du très grand inconfort des deux semaines de trajet aller et retour sur l'Astrolabe, dans une mer très difficile, alors que le navire pour affronter les glaces est à fond plat !

Il est choquant de vouloir entreprendre des aménagements de sécurité ou de confort au profit des touristes sur l'Astrolabe et sur la base de Dumont d'Urville, alors même qu'ils seraient en premier lieu nécessaires pour les chercheurs.

De la même façon, on ne comprend pas qu'il soit possible d'envisager que les quelques moyens logistiques disponibles pour effectuer des travaux scientifiques en mer ou dans des lieux éloignés de Dumont d'Urville, c'est-à-dire l'Astrolabe et son hélicoptère, puissent être affectés prioritairement aux quelques touristes plutôt qu'à la recherche.

Il est ensuite choquant de vouloir transformer une base scientifique en attraction touristique en imaginant les scientifiques dans l'obligation de faire visiter leurs lieux de vie, leurs laboratoires, voire de faire participer les touristes à leur travail. Il n'y a pas un laboratoire en France qui soit soumis à une telle obligation.

Enfin, quand bien même on persisterait à vouloir ouvrir cette base au tourisme et à imposer une telle évolution aux scientifiques, il faudrait prendre en considération les conséquences très importantes qu'aurait cette décision sur notre crédibilité dans le système antarctique alors même que notre pays a été à l'origine de la protection totale du continent.

Sans doute, ne faut-il pas exclure tout développement du tourisme en terre Adélie. Mais est-ce vraiment à la collectivité territoriale de l'organiser à partir des moyens dévolus à la logistique de l'activité scientifique ?

Pour votre rapporteur, la réponse est clairement négative.

Le changement climatique est devenu une préoccupation scientifique et politique majeure mais peu nombreux sont ceux qui mesurent à quel point la recherche menée aux pôles a contribué et va contribuer dans les prochaines années à le prévoir et peut-être à le prévenir. Trois grands domaines sont concernés : les forages glaciaires, l'océanographie et la dynamique des grandes zones englacées (pôle Nord, Groenland et Antarctique).

Les grands inlandsis de glace du Groenland et de l'Antarctique ont la propriété extraordinaire de constituer des archives climatiques.

La neige qui tombe, s'accumule et se transforme progressivement en glace en raison de la température et de son poids croissant car elle devient de plus en plus dense. Lors de ce processus, elle emprisonne définitivement quelques particules d'air environnant et des poussières. Ainsi, sous forme de couches successives se trouvent scellées des informations précieuses sur le climat. Le « sceau » n'est jamais brisé puisque les températures sont en permanence négatives de plusieurs dizaines de degrés.

Cette obturation s'effectue en Antarctique à 100 m de profondeur lorsque la densité a atteint 0,84. Ainsi, lorsque l'accumulation est très faible, la neige met quelques milliers d'années à devenir glace, l'air emprisonné est donc plus jeune que la glace. La différence a été estimée sur Vostok entre 4 et 7 000 ans.

Pour analyser les carottes de glace, il faut donc mener des études très poussées sur la photochimie du manteau neigeux, sur la chimie de la neige et sur celle des particules qui y sont présentes, comme d'ailleurs sur le métamorphisme de la neige, car une transformation se produit au cours du temps, qui perturbe le signal ensuite détecté dans la glace.

La glace est stratifiée entre couches d'hiver et d'été. L'été, les couches sont moins denses car les grains sont plus gros en raison d'une température moins basse. La couche d'hiver est plus dense et parfois formée en croûte en raison du vent.

Ce sont là de premiers éléments permettant d'analyser la zone superficielle et de retrouver les conditions météorologiques des années antérieures.

L'ensemble de cette glace se déplace au cours du temps du sommet de la calotte vers le fond et du centre vers la côte.

La vitesse d'écoulement vertical est de quelques centimètres par an en surface en fonction des précipitations. Elle peut varier considérablement d'un site à un autre. Ainsi en Antarctique, alors que les deux sites sont distants de moins de 600 km, la carotte de Vostock, pourtant plus longue (3 650 m) que celle de Concordia (3 270 m), ne permet de remonter que jusqu'à 420 000 ans, contre plus de 800 000.

Horizontalement, les déplacements sont également très lents : inférieurs à 1 m par an sur le plateau et une centaine de mètres dans les glaciers émissaires. Ils entraînent un amincissement progressif des couches successives. Cette déformation doit pouvoir être modélisée pour permettre la datation. La faiblesse des déplacements est un critère essentiel pour disposer d'une longue série temporelle non perturbée.

Au total, la neige tombée au centre du continent peut mettre plusieurs centaines de milliers d'années pour rejoindre la côte. C'est ce mécanisme qui fait des calottes du Groenland et de l'Antarctique des archives du climat mondial.

C'est dans les années 1950 qu'apparaît la science de l'analyse des glaces. Le scientifique français Claude Lorius raconte qu'il a eu l'intuition d'analyser les bulles d'air contenues dans la glace en regardant un glaçon dans un verre de whisky : « C'est en les regardant éclater lorsqu'un glaçon fond dans un verre de whisky que j'ai eu l'intuition qu'elles représentaient des témoins fiables et uniques de la composition de l'air, ce que nous prouverons au fil des ans ».

Les premiers forages profonds ont été entrepris au Groenland à Camp Century en 1966, et, en Antarctique, à Byrd en 1968, et Vostock à partir de 1970. Le premier forage profond (900 m) a été effectué par les Français sur Dôme C en 1978, les premiers travaux de glaciologie y avaient débuté en 1974.

Un programme européen a effectué un forage au sommet de l'inlandsis en 1989 : le programme GRIP (Greenland Ice Core Project), avec pour objectif de prélever une carotte de glace sur toute l'épaisseur du glacier, soit 3 027 m. Un projet américain similaire (GISP 2 : Greenland Ice Sheet Project 2) a permis un forage de 3 053 m et une carotte de 1,55 m du substrat rocheux, à 28 km du site européen. Ces forages ont permis des reconstitutions climatiques jusqu'à 105 000 ans, mais au-delà les carottes étaient de moins bonne qualité.

Une nouvelle campagne pilotée par le Danemark et comprenant des partenaires européens, américains et japonais a été entreprise 300 km plus au nord (North GRIP). Le forage a débuté en 1996 et la roche a été atteinte en 2003. La base a été fermée en 2004.

Publiés récemment (10 juin 2004 dans la revue Nature), les résultats montrent que ce forage de 3 085 m, le plus profond réalisé dans cette région, permet de remonter au-delà du dernier âge glaciaire, il y a 115 000 ans. A cette époque, le climat du Groenland était chaud et stable.

Les carottes du Groenland permettent donc de reconstituer l'ensemble du cycle depuis la dernière période chaude semblable à la nôtre.

Les forages glaciaires en Antarctique, en permettant de remonter jusqu'à 850 000 ans dans le passé, ont bouleversé les connaissances acquises.

Les carottes de glace permettent de reconstituer :

- La température, par l'utilisation du « thermomètre isotopique », c'est-à-dire des différents atomes présents dans la glace et notamment les variations entre les isotopes 16 et 18 de l'oxygène.

- La composition de l'atmosphère, et tout particulièrement la présence de gaz à effet de serre (méthane et gaz carbonique) par l'analyse des bulles d'air.

- La circulation atmosphérique, par l'analyse des poussières présentes dans les glaces.

- Les variations intersaisonnières par l'analyse de la salinité. La salinité de la glace est divisée par 10 entre l'été et l'hiver car la banquise double alors la surface totale de l'Antarctique et éloigne considérablement la calotte de la mer. Elle permet une datation sur une centaine d'années.

Les scientifiques doivent bien évidemment dater ces couches de glace. Ils le font notamment dans la période récente en se fondant sur les éruptions volcaniques ou les essais nucléaires. Ces événements ayant marqué par leur importance l'ensemble de la planète permettent, lorsqu'ils sont par ailleurs bien connus, de dater avec précision une couche et servent de repère.

C'est le cas des grandes explosions volcaniques du passé : Laki (1783-1784), Krakatoa (1883), Santamaria (1903), Agung (1963), Pinatubo (1991)

Il en est de même des essais nucléaires atmosphériques des années 1940 aux années 1970.

Ces événements, s'ils ne permettent pas une datation éloignée dans le temps, permettent en revanche d'évaluer le taux d'accumulation de la neige et la vitesse d'enfouissement, et ensuite de l'extrapoler pour les périodes plus anciennes au moins au cours de l'Holocène.

La recherche de ces différents éléments est répartie au sein du groupe « Carottes de glace - France » institué en 2005 et qui permet la spécialisation des quatre laboratoires membres :

- LGGE : gaz, poussières, chimie, rhéologie, métaux lourds, datation et géophysique ;

- LSCE : isotopes de l'eau, isotopes des gaz permanents ;

- CEREGE : béryllium-10 ;

- EPOC : krypton-81.

Ces travaux permettent de reconstituer les éléments fondamentaux du climat. L'outil le plus connu est l'abondance relative des isotopes de l'oxygène. Les isotopes sont les formes différentes du même atome en fonction du nombre des neutrons qu'il contient. L'oxygène en a deux principaux : l'oxygène 16 (8 neutrons) et l'oxygène 18 (10 neutrons). Or, leur abondance moyenne dans l'eau, qui est de 99,76 % pour le premier et 0,2 % pour le second, varie en fonction de la température ambiante. C'est ce qu'a montré Willi Dansgaard, à la suite d'un orage à Copenhague le 22 juillet 1952. Plus il fait froid, moins il y a d'oxygène 18. Ce principe fondamental est le même pour les autres isotopes : identification, interprétation de la variation éventuelle par rapport à l'abondance moyenne naturelle.

Ils permettent de plus en plus d'apporter des éléments d'explication des évolutions climatiques. Le béryllium 10 doit permettre de reconstituer les variations de l'insolation que l'on suppose être à l'origine des variations naturelles du climat. Le soufre 33 va, quant à lui, permettre de répondre à la question de l'influence des grandes éruptions volcaniques (LGGE-Université de San Diego, Science, 5 janvier 2007).

· Les résultats de la carotte de Vostok

Les résultats fournis par la carotte de Vostok ont permis une avancée spectaculaire de la science. Ils ont été obtenus pour l'essentiel par des équipes françaises du Laboratoire de glaciologie et de géophysique de l'environnement (LGGE) emmenées par Claude Lorius, et du Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE-CEA) emmenées par Jean Jouzel, en coopération avec les scientifiques russes et américains.

Ils ont pu reconstituer les 420 000 dernières années du climat de la Terre.

Du point de vue de l'histoire climatique tout d'abord, ce n'est qu'au début du 19e siècle, au moment où le Suisse Louis Agassiz émet l'hypothèse que les moraines ne sont pas des restes du déluge mais les témoins d'avancées de reculs glaciaires successifs, que l'idée d'une succession de glaciations et de périodes plus clémentes s'impose.

Jusqu'à la publication des résultats d'exploitation de la carotte de Vostok, la communauté scientifique croyait encore à l'existence de quatre glaciations seulement, dénommées par Albrecht Penck du nom des affluents allemands du Danube : 400 à - 320 000 ans Gunz, 300 à - 240 000 ans Mindel, 230 à - 140 000 ans Riß, 120 à - 15 000 ans Würm).

En fait, depuis 1,8 million d'années et le début du quaternaire, ce sont 20 glaciations qui se sont succédé.

Les carottes de glace en Antarctique ont permis de prouver la véracité de la théorie émise par le mathématicien serbe Milutin Milankovitch, en 1924, qui expliquait les variations climatiques par les variations de position de la Terre par rapport au Soleil au cours de l'histoire selon différents cycles :

- l'excentricité (degré d'aplatissement de l'ellipse de la trajectoire de la Terre par rapport au Soleil). Elle varie de 0 % - orbite circulaire - à 6 %. Elle est aujourd'hui de 1,7 %, ce qui veut dire que la Terre est plus proche du Soleil en décembre qu'en juillet. Elle varie selon deux cycles de 400 000 et 100 000 ans ;

- l'obliquité (degré d'inclinaison de l'axe Nord-Sud de la Terre par rapport au plan de son orbite). Elle varie sur une fourchette de 2° et selon un cycle de 41 000 ans. Elle est comprise entre 22° et 25°. Elle est de 23°27', ce qui correspond à une moindre différence entre les saisons ;

- la précession des équinoxes (phénomène qui désigne le déplacement du jour où l'équinoxe se produit sur l'orbite de la Terre). Elle signifie que d'une année sur l'autre la Terre n'est pas au même endroit de son trajet annuel autour du Soleil. Elle provoque une variation de l'insolation saisonnière pouvant atteindre 20 %. Elle suit deux périodicités de 19 000 et 23 000 ans9.

Le forçage astronomique a été dans le passé la cause principale des changements climatiques, car quatre cycles réguliers de glaciation ont été mis en évidence.

Cependant, la théorie de Milankovitch laisse en suspens plusieurs grandes questions :

- le passage de cycles de 100 000 ans à des cycles de 40 000 ans au-delà de 800 000 ans,

- la transition très forte qui a eu lieu, il y a 400 000 ans environ, sans modification majeure de l'insolation,

- la quasi-absence de glaciation dans l'hémisphère Nord, avant 1,8 million d'années.

Les résultats de Vostok ont également démontré le lien extrêmement fort entre la température et deux gaz à effet de serre : le dioxyde de carbone (CO2) et le méthane (CH4) et donc leur rôle essentiel dans l'amplification des évolutions climatiques.

Enfin, ils ont montré que les concentrations actuelles étaient supérieures à celles connues depuis 420 000 ans, mettant en lumière l'impact de l'action de l'homme.

· Les résultats de la carotte d'EPICA

Les Européens, et plus particulièrement les Français et les Italiens, sont parvenus à extraire les glaces les plus anciennes du monde du Dôme C dans le cadre du programme EPICA (European Project for Ice Coring in Antartica).

Le projet a débuté en 1995 et comprenait deux sites : Dôme C (123° est pour 75°06' sud) et Kohnen (00°04' est et 75°00' sud). Ce sont les archives de 850 000 ans de climat qui ont été extraites de la glace, soit plus de deux fois mieux que ce qui a été obtenu à Vostok et au Dôme Fuji en 2003 (350 000 ans).

Ainsi, durant les 850 000 dernières années la terre a connu huit cycles climatiques, alternances de périodes glaciaires et de périodes chaudes dites interglaciaires.

Les résultats de Concordia ont largement conforté les résultats de Vostok :

- parfaite cohérence des données,

- confirmation du rôle déterminant du forçage astronomique,

- confirmation du rôle d'amplification des gaz à effet de serre et de leur corrélation avec la température,

- confirmation que les concentrations actuelles sont les plus importantes jamais connues, même si dans le passé un climat aussi chaud a pu exister de manière naturelle.

Le programme EPICA se double d'un programme océanique (EPICA-MIS pour Marine Isotopic Stages).

Les principaux intérêts des carottes océaniques sont les suivants :

- elles permettent de remonter plusieurs millions d'années,

- elles fournissent le « signal océanique », c'est-à-dire la manière dont les océans ont évolué au cours des différentes périodes climatiques (température par exemple),

- elles permettent de connaître l'évolution des grands courants marins,

- elles permettent enfin de reconstituer le lien qui unit les deux pôles et donc le fonctionnement de la machine climatique globale au nord et au sud.

Elles sont en revanche moins précises.

Le calage entre les différents forages océaniques, groenlandais et antarctiques s'effectue grâce à des événements particuliers. Certains sont astronomiques. D'autres sont physiques et s'expliquent par l'histoire des gigantesques calottes de la dernière période glaciaire.

En effet, entre les derniers 120 000 et 15 000 ans, la Terre a connu une période de fort refroidissement. Elle a conduit à la constitution des calottes Laurentide (Amérique du Nord) et de Fennoscandie (Europe) qui ont retenu jusqu'à 80 millions de km3 et culminaient respectivement à 3 800 et 2 500 m d'altitude. Le niveau de la mer était inférieur de 120 m.

La dynamique de ces calottes a vraisemblablement conduit à de gigantesques vêlages dans l'océan qui ont eu un impact climatique très fort et très rapide. Ils ont entraîné une forte hausse de la température puis, tout aussi rapidement, un nouveau regain glaciaire. Ils ont été découverts par les moraines et les stries présentes au fond de l'océan Atlantique. Ils sont dénommés événements de Heinrich, du nom de leur inventeur. Ils font partie des 24 événements de Dansgaard-Oeschger qui, sur une périodicité d'environ 1 000 ans, ont ponctué le climat.

On en retrouve des manifestations atténuées en Antarctique et dans les océans ce qui permet d'établir une corrélation entre ces trois séries.

Cette synthèse vient d'être achevée dans le cadre du programme EPICA avec une forte contribution des scientifiques allemands de l'Alfred Wegener Institut. Elle a fait l'objet d'une publication dans Nature en 2006.

Se pose désormais la question des grandes orientations de la recherche en matière de forage glaciaire. Quelles sont les informations que les scientifiques souhaitent obtenir pour comprendre le fonctionnement du climat ?

Ce questionnement a été mené à partir de 2004 sous l'impulsion des Américains et des Britanniques dans le cadre du programme international IPICS (International Partnerships in Ice Core Sciences). Quatre axes ont été définis.

· Reconstituer le climat au-delà du million d'années

Le premier axe de recherche est de remonter plus loin encore dans le passé. En effet, les forages océaniques montrent qu'au-delà de 800 000 ans, les grands cycles climatiques n'étaient pas de 100 000 ans mais de 40 000.

Expliquer cette différence est essentielle pour deux raisons au moins :

- est-elle liée à des niveaux différents de concentration en gaz à effet de serre dans le long terme, qui provoqueraient une sensibilité différente du climat aux différences d'insolation ? Quel est le rôle des réservoirs naturels de gaz à effet de serre ? Cela ouvrirait alors un champ d'analyse très important pour comprendre le climat futur.

- Comment une différence faible d'insolation provoque un impact aussi important sur le climat ? Ce point est encore mal connu.

Pour répondre à ces questions, les scientifiques souhaitent obtenir une série suffisante de cycles de 40 000 ans. Ils recherchent un lieu en Antarctique où il serait possible de remonter jusqu'à 1,2 ou 1,5 million d'années. L'idéal serait de pouvoir effectuer deux forages dans des lieux différents pour avoir le maximum de chances de réussir et pour disposer de données très fiables non soumises à des variations locales.

La communauté scientifique poursuit donc actuellement cette recherche de sites dans la partie est de l'Antarctique.

L'un de ces sites sera vraisemblablement le Dôme A, où les Chinois souhaitent s'installer. Ils ont déjà effectué un forage de 110 m lors de la précédente campagne et souhaitent atteindre 500 m au cours de l'année polaire internationale.

La France collabore de longue date avec les principaux laboratoires chinois du secteur. Elle a un intérêt majeur à être présente sur cette opération dont l'ensemble des modalités ne sont pas encore réglées.

· Tenter de comprendre notre futur en étudiant l'Éémien

On estime habituellement que la période la plus proche de la nôtre en termes climatiques était l'Éémien, il y a 125 000 ans, entre les glaciations de Würm et de Riß. La température était plus élevée et le niveau de la mer était supérieur à celui d'aujourd'hui d'environ 6 à 7 m.

Compte tenu des résultats des forages glaciaires menés au Groenland et des estimations sur la masse de la calotte, ainsi que sur le niveau de la mer, tout laisse penser qu'à cette période la calotte du Groenland avait largement fondu.

L'un des enjeux majeurs est de savoir si elle avait totalement fondu ou non et, s'il restait des glaciers, quel était le volume restant. Ce calcul est fondamental pour mesurer l'impact du réchauffement actuel. Quel va être son ampleur ? Quelles vont être ses conséquences sur la circulation océanique, le niveau des mers, le climat général ?

Pour tenter d'y répondre, il faut trouver un nouveau lieu de forage au Groenland permettant d'atteindre des couches de glace non mélangées et non soumises à la fonte, qui soient plus veilles que celles trouvées jusqu'à ce jour et, si possible, plus vieilles que le dernier interglaciaire. Des glaces très anciennes ont déjà été retrouvées mais elles n'étaient pas exploitables pour des reconstitutions climatiques. Plusieurs équipes scientifiques, notamment danoises, sont persuadées que cette glace existe et peut être trouvée et exploitée.

C'est le second grand axe d'effort du programme IPICS qui vise à obtenir une carotte permettant de reconstituer les 140 000 dernières années dans l'hémisphère Nord.

L'identification de sites de forage a déjà beaucoup progressé. L'université de Copenhague en a identifié deux dans le nord-ouest du Groenland, en coopération avec l'université du Kansas. Elles ont utilisé des sondages radar qui permettent d'obtenir un profil de calotte. Ces profils font apparaître différentes couches qui sont parfaitement identifiables par rapport aux carottes de GRIP et NGRIP. Le premier site de NEEM1 a une profondeur de 2 542 m avec un taux d'accumulation de 0,23 cm de glace par an, l'épaisseur exploitable sur l'Éémien serait de l'ordre de 80 m. le second site NEEM2 est plus profond (2 756 m) avec une accumulation plus faible et une épaisseur de l'Éémien de l'ordre de 100 m. Mais sur le second site, il y a des incertitudes sur le substrat rocheux qui pourrait conduire à brouiller le fond de la carotte. C'est donc le premier site qui devrait être privilégié.

Le forage devrait avoir lieu durant l'année polaire internationale.

· Mieux comprendre la variabilité climatique en étudiant des 40 000 dernières années

Les 40 000 dernières années comprennent la transition de la dernière grande période glaciaire vers le climat d'aujourd'hui, au cours duquel se sont produits des changements brutaux marqués par des réchauffements et des refroidissements rapides (événements de Dansgaard-Oeschger).

Cette période se révèle être la mieux documentée sur les réponses climatiques aux changements de grande envergure sous l'effet des variations naturelles. Ces évolutions et les réponses dans le temps et l'espace du système climatique peuvent nous aider à comprendre le climat futur, le climat actuel connaissant un forçage extrêmement rapide sous l'effet de l'action de l'homme.

L'idée est donc de se procurer une série de carottes afin de disposer d'informations qui permettent de dresser un panorama aussi précis que possible de ces changements.

Il s'agira d'utiliser les carottes déjà existantes en Antarctique et au Groenland, aussi bien dans les régions côtières qu'au cœur des inlandsis. Ce programme devrait aussi nécessiter de nouveaux carottages : WAIS, Talos Dôme, James Ross Island, Neumayer hinterland (en Antarctique), côtiers au Groenland, dans les îles arctiques canadiennes (Agassiz, Devon, Penny, Prince of Wales) et en Alaska (Mt. Logan).

Certains forages auront lieu au cours de l'année polaire et d'autres seront effectués par la suite.

· Préciser les connaissances sur les 2 000 dernières années

Les 2 000 dernières années sont le quatrième grand objectif d'IPICS. Les données sont en effet nettement insuffisantes au-delà des 400 dernières années et manquent de fiabilité. Il y a beaucoup d'incertitudes sur le fonctionnement du climat de l'hémisphère Nord, notamment pour déterminer la fréquence et l'amplitude de l'oscillation arctique ou encore pour savoir si le réchauffement connu au Moyen Âge en Europe était un phénomène régional ou plus large. Jusqu'à présent les différentes méthodes scientifiques utilisées10 permettent certes d'avoir un certain nombre d'informations mais elles restent imprécises et localisées.

L'objectif est donc de récolter et d'exploiter plus de 200 carottes glaciaires pour avoir une vision de cette période avec la plus grande résolution possible. Ces campagnes auront lieu aussi bien dans les régions polaires que dans les glaciers des moyennes latitudes.

Les recherches en milieu polaire permettent ensuite de mieux comprendre le rôle de l'océan dans le climat en raison du rôle central des régions polaires dans la circulation thermohaline mondiale. Elles posent aussi la question de la capacité de l'océan à servir de puits de carbone.

Henri Poincaré aurait expliqué aux membres de l'une des expéditions de Charcot : « Les grands mouvements de l'atmosphère, dont dépend toute la météorologie, sont régis en grande partie par les phénomènes polaires. La Terre est comme une immense machine thermique avec une source chaude et une source froide11 ».

Les pôles sont cette source froide. Plusieurs raisons l'expliquent : la nuit, l'obliquité des rayons du soleil mais ces éléments peuvent être partiellement compensés par le caractère plus ténu de l'atmosphère12 et, dans certaines régions, l'absence de nuages.

En fait, la cause du non-réchauffement des régions polaires est la couche de neige blanche et fraîche qui renvoie dans l'atmosphère 80 à 90 % de la chaleur reçue, entraînant un bilan radiatif négatif pendant une large partie de l'année. Ce bilan négatif est compensé par celui, positif, des régions proches de l'équateur qui constituent la source chaude.

Ces deux sources régissent la circulation atmosphérique et océanique. C'est de cette manière très schématique que les pôles jouent ce rôle fondamental d'équilibre dans le climat global comme source de froid.

La circulation océanique

Rouge : courants chauds de surface

Bleu/Violet : courants froids profonds (2 000 à 4 000 m)

Points jaunes : zones de formation des eaux froides profondes

(Source : IPSL-LSCE-Équipes paléocéans)

Dans les océans, le principal point à remarquer dans le fonctionnement de la circulation océanique générale, c'est que les deux pôles ont un rôle essentiel dans la naissance ou la disparition des grands courants marins. C'est notamment le cas de l'Arctique pour le Gulf Stream.

L'océan Austral joue un rôle particulier car le courant circumpolaire est une véritable courroie de transmission ; c'est le seul à être largement ouvert sur les trois océans majeurs de la planète : Atlantique, Indien et Pacifique. Il absorbe les courants chauds et redistribue les eaux froides.

Parmi ces grands courants marins, celui qui focalise l'attention en Europe est le Gulf Stream. Sa présence explique que l'Europe, jusqu'à une latitude très élevée, puisse bénéficier d'un climat clément et profondément différent de régions de l'Amérique du Nord et de l'Asie soumises à l'influence continentale ou à des courants froids.

Les archives climatiques tendraient à montrer que, par le passé, la circulation océanique dans l'océan Atlantique ait pu être très fortement perturbée soit au cours des événements de Dansgaard-Oeschger, soit au cours de l'Éémien en raison du réchauffement du climat.

Plusieurs chercheurs pensent donc que compte tenu du réchauffement en cours, le Gulf Stream devrait de nouveau se trouver affecté, certains affirment qu'il pourrait s'arrêter.

Compte tenu des différentes études portées à la connaissance de votre rapporteur au cours de ses travaux qui ne portaient pas précisément sur ce point, il semble que la communauté scientifique soit divisée et manque de données pour pouvoir indiquer avec une certaine précision si le Gulf Stream a déjà commencé à ralentir, quelle serait l'amplitude de ce ralentissement et quelle influence il aurait sur le climat de l'Europe. Les estimations iraient de 1 à 5 d'ici à 2150.

L'une des clefs du rôle des régions polaires dans la circulation océanique est la formation d'eaux froides profondes.

En effet, quelques régions polaires très précises permettent leur formation. Elles doivent conjuguer des conditions climatiques (le froid, les vents) et des conditions bathymétriques (profondeur, brassage des eaux). Il y en a deux bien identifiées dans l'Arctique, à l'ouest et à l'est du Groenland. En Antarctique, les mers de Ross et de Weddell sont les principales mais la région de terre Adélie semble jouer un rôle plus important qu'on le croyait jusqu'à présent.

L'étude de la côte de terre Adélie fait l'objet d'un programme de recherche dénommé Albion (Adélie Land Bottom Water Formation and Ice Ocean InteractioNs). Il s'agit d'une région de polynie côtière dont le fonctionnement est assez mal connu.

Les eaux côtières de terre Adélie forment une polynie de 20 000 km² produisant 100 km3 de glace par an, soit la deuxième en importance dans l'Antarctique. Elle pourrait être à l'origine de 25 % de la formation de l'eau de fond antarctique. Mais son existence est intimement liée à la protection qu'offre la langue du glacier du Mertz, un glacier émissaire très avancé dans la mer et qui pourrait se rompre. C'est la combinaison de cette protection avec les vents catabatiques particulièrement violents dans la région, qui empêche la formation d'une banquise continue et homogène et maintient une polynie favorable par les échanges de chaleur qu'elle provoque à la formation d'eaux de fond.

Ce programme de recherche est intégré au programme international SASSI (Synoptic Antarctic Shelf-Slope Interactions) sur l'étude du plateau périantarctique.

Il est le fruit en France d'une large collaboration, notamment entre les océanographes du LOCEAN (IPSL-UPMC), les paléoclimatologues spécialistes des sédiments (laboratoire EPOC de Bordeaux), mais aussi des observations satellites (LEGOS de Toulouse) et même des biologistes de Chizé en raison des données qu'ils recueillent sur le milieu de vie des animaux plongeurs, notamment les éléphants de mer.

Un troisième grand sujet de recherche océanographique porte sur le rôle des océans polaires dans le cycle du carbone et tout particulièrement de l'océan Austral.

Les océans y jouent un rôle très important car à travers le phytoplancton et l'ensemble de la chaîne trophique un volume significatif de carbone est progressivement stocké dans le fond. S'y ajoutent les échanges mécaniques liés à la formation des eaux de fond.

La production primaire d'un océan en phytoplancton varie en fonction de la saison. Cette variation est très forte dans l'océan Austral en raison de l'absence ou du très faible ensoleillement pendant une grande partie de l'année. L'océan Austral est néanmoins très productif car il est riche en sels nutritifs.

En ce qui concerne l'action mécanique, l'océan Austral apparaît comme « une véritable fenêtre sur les eaux abyssales », selon l'expression de Paul Treguer, de l'UBO-IUEM de Brest, en raison du brassage des eaux et de leur plongée vers le fond.

Un débat dans le milieu scientifique a eu lieu en 2002 sur le rôle de l'océan austral. Il a conduit à estimer à la baisse sa contribution comme puits de carbone qui serait de 18 % du puits océanique global. Mais, au sud du front polaire, la contribution est très faible. Le bilan global est, de plus, susceptible de s'inverser lors du phénomène El Niño. En outre, le réchauffement de l'océan devrait conduire à diminuer sa capacité à absorber le CO2.

Au-delà de ces évaluations, certains chercheurs estiment possible de stimuler la production primaire de l'océan pour augmenter sa capacité à capter le carbone. Il s'agirait notamment de stimuler la production de phytoplancton en accroissant la teneur en fer de l'océan. Emise en 1931 par Gran, l'idée a été reprise par John Martin en 1988 avec sa fameuse phrase « Give me a half tanker of iron and I will give you an ice age13 ». L'apport de fer dans les eaux superficielles dépend à la fois des vents (apport éolien) et de l'apport des eaux profondes ou des plateaux continentaux. Or, dans l'océan austral, il y aurait un déficit de fer.

Cette hypothèse a depuis fait l'objet de plusieurs importantes expérimentations. La première a eu lieu en mer de Weddell en 1988 dans des flacons d'eau de surface, puis une dizaine en plein mer : 2 dans le Pacifique équatorial (1993 et 1995), 5 dans l'océan austral (1999, 2000, 2002, 2004) et 2 dans le Pacifique subarctique (2001 et 2002). Elles ont toutes été relativement concluantes puisque l'addition de fer dans des zones dépourvues a conduit à une floraison planctonique et à une absorption de CO2.

Au cours de l'année 2005, les chercheurs français ont mené une expérience à plus grande échelle au large des Kerguelen en s'appuyant sur une zone naturellement alimentée en fer par l'érosion du plateau continental. Elle doit permettre de mieux comprendre l'impact de l'addition de fer dans la durée et sur de grandes surfaces.

Aujourd'hui, on peut considérer que l'addition de fer a montré son efficacité sur l'accroissement de la production primaire de l'océan, mais on ne mesure pas les conséquences d'une telle manipulation à grande échelle car la production primaire n'entraîne pas mécaniquement un stockage de long terme du CO2 dans les sédiments et surtout peut avoir des effets inverses de stérilisation et de réémission de gaz à effet de serre.

L'amplification polaire du changement climatique qui conduit les hautes latitudes à se réchauffer deux à trois fois plus vite que les régions tempérées est susceptible de provoquer la disparition progressive des zones englacées : la banquise arctique estivale, l'inlandsis groenlandais et la calotte glaciaire antarctique.

L'opinion publique mondiale a été largement alertée sur le risque de disparition progressive de la banquise arctique au cours de l'été dans les cinquante prochaines années.

Cette inquiétude est motivée par une conjonction de facteurs qui ont été présentés par les chercheurs à votre rapporteur :

- La diminution de la surface de la banquise. Depuis 1979, la surface englacée diminuerait de 9 % par décennie.

- La diminution de l'âge de la glace. En Arctique, une partie de la banquise est pérenne d'une année sur l'autre. Permanente en apparence, elle n'est pourtant pas immobile et l'on ne trouve guère dans ces régions de glace de mer ayant plus de 4 ou 5 ans. La superficie de cette glace pluriannuelle diminuerait, elle aussi, de 8 à 10 % par décennie. Les simulations issues des observations par satellite montrent un rajeunissement constant au sein même de la glace pérenne, celle-ci devenant de plus en plus jeune.

- La diminution de l'épaisseur. La banquise est normalement épaisse en moyenne de 2,5 à 3 m. Mais des sondages récents effectués aussi bien par les sous-marins militaires américains que par des navires scientifiques tendraient à montrer une très forte diminution de l'épaisseur de l'ordre de 40 % au cours des trente dernières années.

Ces grandes données sont corroborées par un ensemble de témoignages des professionnels de l'Arctique qui remarquent des évolutions sensibles de leurs conditions habituelles de travail.

Les incertitudes dans les données collectées et dans les prévisions restent cependant très importantes.

C'est pourquoi la Commission européenne a apporté son soutien au programme scientifique DAMOCLES (Développement de la modélisation et des capacités d'observation de l'Arctique pour des études environnementales à long terme). Ce programme international qui s'étalera de 2005 à 2009 rassemble un très grand nombre de centres de recherche. Il est couplé au programme américain SEARCH. Il est dirigé par le chercheur français Jean-Claude Gascard. Il a pour objectif, grâce à l'installation de nouveaux capteurs autonomes dans l'ensemble du bassin arctique, de mesurer de manière précise un grand nombre de facteurs : pression atmosphérique, courants, salinité, température de l'eau et de l'air...

Il doit permettre de modéliser l'environnement arctique et de prévoir son évolution. Au-delà de 2009, il devra vraisemblablement être poursuivi sous la forme d'un observatoire européen du changement climatique dans cette région.

La géométrie et le volume de la glace des calottes sont régis par l'équilibre entre les quantités de neige tombée et évacuée.

Le Groenland regroupe 9 % des glaces mondiales sur une surface de 1,7 million de km² et une épaisseur moyenne de 2 000 m.

Il est situé à une latitude beaucoup plus basse que l'Antarctique et en large partie au sud du cercle polaire.

Les scientifiques savent qu'historiquement il a été soumis à des variations brutales et que sa calotte de glace a sans doute dans le passé disparu sinon en totalité, du moins dans de grande proportion.

La dynamique de la calotte est très différente de celle de l'Antarctique car les précipitations y sont beaucoup plus importantes en proportion de la surface. La fonte y est également beaucoup plus importante l'été, au moins la moitié des précipitations est évacuée de cette manière.

Les observations conduiraient à estimer que la calotte groenlandaise est aujourd'hui en déséquilibre. Elle perdrait de sa masse, en raison de la fonte et d'une accélération de l'écoulement des glaciers. Son profil général serait d'ailleurs en train de changer pour devenir plus pentu.

Des études récentes sur le Groenland14 auraient montré un amoindrissement significatif de la calotte, entre 1992 et 2002, qui paraîtrait s'accélérer. Sur ces dix ans, le Groenland aurait perdu 80 km3 par an de glace pour un volume de 3 M km3. Au-delà de 20 % de perte, le mouvement serait irréversible. La fonte du Groenland aurait entraîné une hausse du niveau de la mer de 15 mm depuis 15 ans. Le point de non-retour serait atteint avec un réchauffement global de 3°C, probable au cours ou à la fin du 21e siècle.

Ces évaluations suscitent d'importants débats dans la communauté scientifique pour deux raisons principales :

- Il y a un manque d'information sur l'état naturel du Groenland dans une période chaude telle que la nôtre, c'est pourquoi des forages supplémentaires sont nécessaires. Il faut pouvoir répondre à la question sur l'état de calotte il y a 120 000 ans environ.

- Les chercheurs s'accordent pour accepter le sens général des évaluations actuelles : une perte de masse du Groenland. Mais son ampleur et sa vitesse exacte sont très discutées en raison pour l'instant du manque de moyens satellitaires. En effet, les données spatiales restent relativement imprécises et lacunaires pour l'instant, et sans série longue. Cette situation devrait changer prochainement grâce aux données de deux missions combinées, l'une portant sur le calcul de la gravité et donc de la masse (GRACE-NASA), l'autre portant sur le volume des glaces y compris de mer et côtière (Cryosat-ESA).

La gravimétrie consiste à mesurer la gravité terrestre. Celle-ci est fonction de la répartition des masses entre la surface et le centre de la Terre. Plus elles sont lourdes et proches de la surface, plus la gravité est importante. La gravité est mesurée en tenant compte des variations naturelles de champ de gravité liées au diamètre plus faible de 21 km entre les pôles et l'équateur et aux hétérogénéités de la surface : montagne, océan, glace... Elle se traduit donc par un ellipsoïde traduisant une gravité plus forte aux pôles qu'à l'équateur. Elle n'a longtemps été mesurée qu'à travers les perturbations d'orbite des satellites mais avec une faible précision. Un premier progrès, multipliant par quatre la précision des mesures, a été effectué par le satellite Champ (Challenging Minisatellite Payload for Geoscience and applications), lancé en 2001, qui permettait de distinguer les effets de la gravité.

Depuis peu, les satellites Grace (Gravity Recovery and Climate Experiment) lancés par la NASA permettent une mesure fine du champ de gravité. Par comparaison des mesures faites lors des passages successifs, ils permettront d'évaluer l'augmentation ou la diminution des masses des glaces et donneront ainsi une idée plus précise des bilans.

La mission de Cryosat est de surveiller l'épaisseur des glaces continentales et des glaces de mer afin de mieux comprendre le lien entre la fonte des glaces polaires et l'élévation du niveau des mers en corrélation avec le changement climatique.

La mission de Cryosat est prévue pour durer trois ans. Le satellite sera positionné à 700 km d'altitude, de telle sorte qu'il puisse observer jusqu'à 88° de latitude Nord ou Sud.

Les mesures sont faites grâce à un altimètre radar très perfectionné (SIRAL pour Synthetic Aperture Radar Interferometric Radar Altimeter) assurant un positionnement très précis au satellite et permettant donc de connaître toute évolution de l'altitude de la surface et donc les variations d'épaisseur de la glace (continentale ou de mer).

La glace de mer ou banquise est relativement fine, quelques mètres au plus. Elle joue pourtant un impact très important sur le climat par son effet sur la température des océans et la circulation des eaux chaudes et froides. Cryosat sera à même de détecter et de préciser les différences d'épaisseur de la glace d'une année sur l'autre et tout au cours de l'année.

Une réponse précise devrait donc pouvoir être donnée dans les 5 à 10 prochaines années.

Dans le cas de l'Antarctique, l'opinion publique a aussi été fortement sensibilisée lors du décrochement de gigantesques icebergs au cours des 10 dernières années.

L'interprétation qu'il convient de donner à ces mouvements reste difficile. Ils s'expliquent vraisemblablement dans plusieurs cas par la dynamique naturelle de la calotte antarctique qui vêle régulièrement de très grands icebergs tabulaires. Dans d'autres cas, en revanche, tout particulièrement dans la Péninsule dans le cas de la dislocation de la plate-forme de Larsen B, il s'agirait plutôt de l'impact du changement climatique.

Plus généralement, le bilan de masse de l'Antarctique est très mal connu. En 2003, Frédérique Rémy (LEGOS, livre cité ci-dessus) notait une incertitude de l'ordre de 20 à 30 %. De nombreux mécanismes échappent aux connaissances actuelles et à nos capacités de modélisation.

Comme pour l'Arctique, la communauté scientifique attend beaucoup des observations satellitaires pour comprendre les phénomènes en cours et les mesurer.

Le passé apporte aussi des éléments pour les scénarios de l'avenir. C'est par exemple le cas du fonctionnement de l'Antarctique au cours du dernier maximum glaciaire il y a 18 000 ans. La température était inférieure de 10°C et les précipitations moitié moins importantes. Les parties ouest et est ont réagi différemment.

L'Ouest était plus important qu'aujourd'hui en volume et en surface. Le volume de glace et la forme de la calotte dépend en effet très largement du niveau de la mer. Si celui-ci est plus faible, la glace peut s'appuyer sur le socle rocheux, s'étendre plus largement et soutenir un volume plus important en amont. Son altitude était plus élevée de 80 m par rapport à aujourd'hui comme l'a montré le forage de Byrd.

En revanche, à l'Est, l'altitude était plus faible d'environ 200 m car dans cette zone véritablement continentale et non pas archipélagique, le volume de la calotte dépend essentiellement de l'importance des précipitations plus faibles en période glaciaire en raison de l'assèchement de l'atmosphère.

Cela suggère qu'un mécanisme inverse est susceptible de se produire : amincissement et réduction en surface de la calotte occidentale en même temps que s'affaibliraient les plates-formes glaciaires flottantes et épaississement de la calotte orientale en raison de l'augmentation des précipitations.

Cependant, en raison de l'isolement et de l'inertie thermique du continent, le réchauffement ne peut pas avoir un impact rapide sur l'Antarctique. En effet, au cours de la dernière déglaciation, l'essentiel de la fonte s'est produite au Nord : les calottes d'Amérique et d'Asie ont totalement disparue tandis que l'Antarctique connaissait relativement peu de changement. Sur les 120 m d'élévation du niveau de la mer, 10 m seulement seraient liés à l'Antarctique. Certains retraits glaciaires ou quelques manchotières fossiles comme celle proche de Terra Nova Bay suggèrent des modifications réelles, mais limitées au regard de l'ensemble du continent.

L'hypothèse la plus probable est donc, dans l'état actuel de nos connaissances et compte tenu des observations réalisées, que la Péninsule antarctique continue de connaître un réchauffement rapide qui n'affecterait toutefois pas dans un horizon proche l'équilibre général des masses du continent, la calotte de l'est se renforçant. En revanche, les glaciers des îles subantarctiques reculent très rapidement.

Pour votre rapporteur, trois éléments doivent donc être soulignés :

- le très grand intérêt de ces recherches qui visent à répondre à des questions fondamentales sur l'avenir du climat et donc la nécessité, pour les équipes françaises, d'y prendre toute leur part ;

- le soutien financier indispensable aux équipes de recherche qui doivent pouvoir rester au plus haut niveau international alors que la concurrence se fait plus forte. Les équipes de glaciologie, notamment, ont besoin de moyens pour effectuer de manière automatique les analyses traditionnelles et pour progresser dans de nouveaux champs. Elles ont besoin de puissance de calcul. Elles doivent pouvoir accueillir de jeunes chercheurs en thèse ou en post-doctorat. Leurs moyens sur le terrain (logistique et système de forage) doit aussi leur permettre d'avoir la meilleure position possible dans les programmes internationaux. C'est l'ensemble de ces facteurs qui permet au final d'avoir accès à la matière à analyse et d'être les premiers à publier les résultats dans les grandes revues ;

- la nécessité de mettre en place, au moins au niveau européen, des observatoires de long terme des régions polaires. Les programmes d'observation doivent se poursuivre au-delà d'un premier PCRD ou d'une mission de l'ESA.

Les recherches biologiques françaises en milieu polaire ne sont pas toujours considérées à leur juste niveau car elles sont souvent éclipsées par les recherches menées sur les glaces ou l'océan, plus gourmandes en crédit et plus portées par le réchauffement climatique.

Cette appréciation traditionnelle est mal fondée. Si l'on se réfère à la base de données établie par l'IPEV des publications scientifiques dans les revues à audience internationale indexées au Journal Citation Report (JCR) et issues des programmes qu'il soutient, on s'aperçoit que depuis 1998 les sciences de la vie représentent la moitié des publications. L'impression est sans doute liée au fait que les sciences de l'univers ont obtenu depuis 2000 un plus grand nombre de publications dans Nature (10 contre 5) et Science (9 contre 3). Cependant les sciences de la vie semblent publier dans un éventail plus large de journaux qui sont souvent d'un niveau supérieur moyen à celui des sciences de l'univers.

Ces excellents résultats s'expliquent par un héritage historique exceptionnel, par une recherche innovante et par le développement de thématiques de recherche adaptées aux grandes questions scientifiques.

Les biologistes en milieu polaire bénéficient tout d'abord d'un héritage exceptionnel lié à l'histoire des implantations françaises et à celle de la recherche dans ses régions.

Le premier atout pour les chercheurs français est d'avoir accès à des lieux de recherche hors du commun.

Votre rapporteur voudrait ici revenir sur la position de nos différentes bases dans les îles subantarctiques et en terre Adélie.

Les îles subantarctiques forment un gradient exceptionnel de territoires aux différentes latitudes des Kerguelen, à la limite du front polaire, jusqu'à des îles situées dans des zones plus tempérées, au niveau de la convergence subtropicale. Cela jette les bases de premières études comparatives liées à l'adaptation soit au sein d'une même espèce, soit entre espèces proches.

C'est dans ces îles que se concentrent tous les prédateurs supérieurs de l'océan austral puisque ce sont les seules terres à plusieurs milliers de kilomètres à la ronde. Il y a donc une concentration très forte d'individus d'espèces différentes. Il n'est pas rare de trouver des colonies de plusieurs centaines de milliers d'individus. Comme l'a affirmé un chercheur à votre rapporteur : « La biomasse est la vraie richesse de ces îles ».

Les animaux y sont très accessibles puisque n'ayant jamais eu de prédateurs terrestres, ils n'ont développé aucune méfiance vis-à-vis de l'homme. Ce ne sont pas les quelques périodes de chasse qui ont modifié leurs comportements.

Il y a 52 espèces d'oiseaux15. L'archipel de Crozet est, en termes du nombre d'espèces, le plus riche au monde avec 38 espèces différentes. Il abrite aussi sur l'île aux cochons la plus grande colonie au monde de manchots royaux avec plus de 550 000 couples au début des années 1990. Dans le cas de colonies aussi nombreuses, leur comptage se fait par imagerie satellitaire. En effet, la densité moyenne d'une colonie est régie par la règle selon laquelle le manchot royal couve seul un œuf hors de distance des coups de bec ou d'aileron de ses voisins, soit 65 cm équivalant à la longueur de deux ailerons. Il reste alors à borner les limites extérieures de la colonie pour connaître le nombre d'occupants.

Ces régions sont riches en espèces endémiques. Plusieurs exemples sont très significatifs. Votre rapporteur voudrait en citer deux, parmi les insectes : les charançons de Kerguelen, les coléoptères ectemnorrhinines ne se trouvent que dans l'archipel. Aucune espèce proche n'existant ailleurs dans le monde, on suppose qu'il s'agit d'une relique de la faune présente en Antarctique dans un lointain passé et que ces charançons auraient quitté, pour une terre au climat plus clément, le continent devenu trop froid. Un second exemple est constitué par les mouches et papillons sans ailes, ce qu'on appelle l'aptérisme. Les scientifiques pensent que cette adaptation - l'abandon de la capacité de voler - leur permet de constituer des réserves de graisse de l'ordre de 40 à 45 % de leur poids, à la place des muscles des ailes, pour faire face aux rigueurs du climat.

En terre Adélie, la base Dumont d'Urville est exceptionnellement bien située pour l'étude de la faune. C'est la base de l'Antarctique la plus proche d'une colonie de manchots empereurs, qui a été découverte en 1950. C'est un cas unique. Elle est accessible à pied, alors que dans la plupart des cas les manchotières sont assez éloignées et les chercheurs doivent s'y rendre avec des moyens logistiques lourds. Cette proximité est plus particulièrement appréciable pour les observations hivernales, alors qu'il est difficile de se déplacer. L'extraordinaire documentaire animalier que constitue La marche de l'empereur, n'a pu être tourné que grâce à cette proximité. Il faut en effet savoir qu'il n'y a que 35 colonies de manchots empereurs sur l'ensemble du continent antarctique, pour une population totale évaluée entre 135 000 à 175 000 couples16.

La base Dumont d'Urville fournit aussi l'accès à d'autres espèces emblématiques de l'Antarctique, comme les manchots Adélie et différentes espèces de pinnipèdes.

Certaines espèces présentent elles aussi des particularités tout à fait extraordinaires. Ainsi, le moucheron antarctique peut survivre aux températures extrêmes du continent en acceptant la présence de particules de glace dans son corps. D'autres insectes continentaux survivent grâce à la très forte présence de glycérol, d'alcool ou de sucre dans leur sang. En matière de flore, il faut enfin citer les lichens endolithiques qui survivent grâce à la lumière filtrant à travers certaines roches qui les protègent en même temps du froid.

L'inventaire ne serait pas complet si n'était pas évoquée la faune marine de l'Antarctique, dont Dumont d'Urville fournit également un bon échantillon et qui permet de comprendre de manière approfondie les logiques d'adaptation aux conditions extrêmes.

Ces sites exceptionnels auraient pu rester sous-exploités par les chercheurs. Il n'en est rien.

La recherche biologique française dans ses régions bénéficie de près de 50 ans de travail continu sur les mêmes colonies. En effet, dès le départ, les scientifiques français ont progressivement constitué une base de données des populations des différentes espèces présentes. La base prend ainsi en compte des données homogènes sur 40 ans pour le manchot empereur en terre Adélie ou le grand albatros à Crozet. Ce sont 27 espèces d'oiseaux de mer et de pinnipèdes qui sont suivis annuellement.

Elle rassemble des données de comptage des populations dans le temps pour chaque colonie dans les différents sites. Le nombre de couples, le succès de la reproduction, la survie des jeunes et des adultes et leurs conditions physiques sont évidemment suivis avec précision. Toutes ces données peuvent être corrélées avec des observations météorologiques. Cette base comporte également des informations individuelles. La plupart des espèces de prédateurs supérieurs dans ces régions sont des animaux longévifs qui vivent plusieurs dizaines d'années et se reproduisent lentement. Cette spécificité s'explique par le ralentissement du métabolisme en raison du froid, mais aussi par la nécessité de s'adapter à l'abondance des proies. Si elle est constante sur le moyen terme, elle peut varier fortement d'une année à l'autre. Les espèces doivent donc pouvoir donner la priorité à la survie des adultes sur la reproduction. Par exemple, les albatros à sourcils noirs se reproduisent pour la première fois à l'âge de 10 ans. Ils ont un poussin par an. Les grands albatros peuvent, quant à eux, vivre 70 ans, ils ont un poussin tous les deux ans. Les mêmes individus sont ainsi suivis depuis plusieurs dizaines d'années pour certains, ce qui est évidemment exceptionnel. Il n'est pas rare que le même grand albatros ait vu passer deux ou trois générations de chercheurs !

Aujourd'hui, cette base de données continue sur 40 à 50 ans et est gérée au laboratoire de Chizé. Elle est entièrement informatisée et permet de faire des sorties selon les desiderata des chercheurs.

Très peu de pays au monde disposent d'informations aussi précises. Les chercheurs français ne se comparent guère qu'aux Britanniques du BAS qui sont présents depuis une durée similaire aux Malouines, en Géorgie du Sud, aux Sandwich du Sud, et à Rothera dans la Péninsule (du nord au sud).

Ces données sont évidemment indispensables pour toute analyse dans le long terme des interactions entre les populations des différentes espèces et l'environnement, et pour l'étude des espèces elles-mêmes, compte tenu de leur longévité.

Deux grandes thématiques de recherche sont développées : l'adaptation des animaux au changement climatique et les mécanismes particuliers qu'ils ont développés pour survivre dans ces milieux extrêmes.

En raison du réchauffement beaucoup plus rapide dans les zones polaires qu'ailleurs sur la planète, la faune et la flore y sont soumises de manière beaucoup plus intense. Elles constituent donc des témoins importants.

En matière de faune, l'un des outils principaux est la base de données démographiques sur longue période. Celle-ci a d'ores et déjà permis de montrer un changement de régime climatique entre la fin des années 1960 et le milieu des années 1980, lié à une hausse de la température. Les évolutions démographiques sont très nettes sur le manchot empereur, le manchot royal, le manchot Adélie, le gorfou sauteur, plusieurs espèces d'albatros, le fulmar, l'éléphant de mer et le phoque à fourrure. Le plus étonnant est sans doute que les évolutions ne sont pas univoques. Ainsi, plusieurs espèces voient leur population baisser : le manchot empereur, le gorfou sauteur, l'albatros à sourcils noirs et l'éléphant de mer. Au contraire d'autres espèces ont l'air de profiter de l'évolution climatique de cette période pour se stabiliser à un niveau plus élevé de population : le manchot royal, le manchot Adélie ou le phoque à fourrure. Enfin, quelques-unes ne montrent pas de tendance marquée comme le fulmar. Il est très intéressant de noter que lorsque les données de plusieurs îles sont disponibles pour la même espèce (y compris des îles étrangères), leur comparaison est profitable car l'intensité des évolutions n'est pas identique.

L'évolution de la population du manchot empereur a fait l'objet d'une publication dans Nature en 2001. Les chercheurs de Chizé y montraient qu'en l'espace de 4 à 5 ans (1975-1980), le nombre d'oiseaux reproducteurs avait brutalement chuté, passant d'une fourchette comprise entre 5 et 6 000 à une fourchette comprise entre 2 et 3 000 environ. Cette évolution s'explique par une surmortalité des adultes liée à la réduction de l'étendue de la glace de mer qui a entraîné une diminution de l'abondance du krill17. La surmortalité est encore plus marquée chez les mâles qui jeûnent pendant 3 mois et demi l'hiver pour assurer la couvaison et peuvent perdre jusqu'à 30 % de leur poids.

En revanche, cette réduction de la glace de mer a vraisemblablement été favorable au manchot Adélie, bien qu'elle soit sans doute trompeuse, car une poursuite du réchauffement entraînerait certainement une diminution de la population des manchots Adélie.

Ce mécanisme explique également, pour une large part, l'évolution des populations des autres oiseaux puisqu'ils vont se nourrir dans le front polaire, dont la position varie en fonction de la température. Plus il fait froid, plus il se déplace vers le nord, et inversement.

La flore est elle aussi soumise à ces évolutions climatiques. La flore spécifique à l'Antarctique est très peu nombreuse. Elle est plus importante dans les îles subantarctiques avec un fort taux d'endémisme.

Le principal risque pour la flore est celui d'invasion due au réchauffement du climat. En effet, auparavant, elle était soumise à des invasions de plantes importées volontairement ou non par les hommes travaillant sur les bases scientifiques, mais la rigueur du climat empêchait toute diffusion. Par exemple une plante ou un insecte ne pouvait pas survivre hors de la serre servant à fournir la nourriture fraîche de la base. On constate depuis plusieurs années une progression constante en milieu sauvage des espèces échappées. Ce sont le plus souvent des espèces très communes et très résistantes de nos régions qui trouvent un milieu favorable à leur épanouissement. Dotées d'un métabolisme plus actif que les espèces locales, elles ont tendance à les remplacer. Par exemple, aux Kerguelen où la température moyenne a augmenté de 1,3°C en 50 ans, la mouche bleue de nos régions, Calliphora vicina, a commencé à coloniser l'île principale à partir de la base dans les années 1980, exerçant une pression toujours plus forte sur l'espèce locale qui n'a pas d'ailes (cf. ci-dessus). Ainsi, dans des milieux déjà très dégradés par l'homme parce qu'il y a introduit et une faune (chat, rat, mouton, vache, lapin) et une flore étrangères (par exemple le pissenlit), la suppression d'un élément peut avoir un effet aggravant sur le milieu, comme par exemple la suppression du lapin lorsque celui mange les pissenlits.

Un autre exemple est fourni par l'introduction des vaches sur les îles Saint-Paul et Amsterdam pour fournir des vivres frais aux navires de passage. Sur ces îles existaient, lors de leur découverte, une végétation arbustive très dense jusqu'à 250 m d'altitude, constituée essentiellement de Phylica arborea (arbuste endémique de 3 à 4 m de haut). Cette végétation a quasiment entièrement disparu en raison du surpâturage, des incendies et des navires qui s'arrêtaient faire du bois. Elle est aujourd'hui entièrement protégée grâce aux clôtures et à un programme de replantation.

La meilleure solution reste donc l'augmentation des précautions pour éviter les invasions, notamment par les touristes (pédiluves, vêtements spéciaux) et une connaissance précise des milieux pour tenter leur restauration.

L'adaptation des animaux aux milieux extrêmes est un autre grand thème de recherche.

Sur le continent antarctique, les manchots comme les poissons doivent vivre et se reproduire dans des conditions où normalement aucune vie n'est possible.

C'est tout particulièrement vrai pour les poissons vivant sur la côte de terre Adélie. Des recherches sont entreprises depuis 1996, visant à faire un inventaire des espèces présentes et à étudier dans le long terme les conditions pélagiques et le fonctionnement de la chaîne alimentaire. Vivant à des températures d'eau où elles devraient geler, les espèces de poissons présentes ont dû mettre en place des adaptations. Deux évolutions majeures ont été mises en évidence : le déclin, voire la disparition totale, de l'hémoglobine du sang et la sécrétion d'une protéine antigel.

Il en est de même pour les espèces de manchots. Les manchots sont des endothermes, c'est-à-dire des organismes à sang chaud qui maintiennent leur température interne élevée et constante indépendamment des variations de la température ambiante, à la différence des ectothermes, ou organismes à sang froid, qui laissent dériver leur température interne au gré des fluctuations ambiantes, et donc l'intensité de leur activité physique. Le manchot empereur a une température interne de 38°C. Il doit produire assez de chaleur pour la maintenir alors même qu'il doit affronter des températures inférieures à zéro de plusieurs dizaines de degrés ou qu'il doit faire de longues plongées dans une eau proche de zéro degré, ce qui accroît de près de 190 % ses pertes de chaleur.

L'éventail des moyens déployés par les manchots est très important : réduction de la surface d'échange de chaleur, revêtement très isolant, système cardiovasculaire très spécifique, protection en groupe (la tortue) ou enfouissement sous la neige (manchot Adélie), mécanismes spécifiques de croissance des juvéniles...

Ces recherches sur le fonctionnement énergétique des animaux polaires sont directement liées à des études sur les hommes. En effet, ces mécanismes de mobilisation énergétique et donc des ressources en lipides, glucides et protéines de l'organisme peuvent nous apprendre beaucoup pour traiter certaines maladies humaines comme l'obésité. Les manchots sont des oiseaux qui comme les hommes ne disposent pas de tissus adipeux bruns permettant aux mammifères de supporter les températures les plus froides. A la suite des études sur les manchots, des études sur l'homme vont avoir lieu à Concordia.

Par ailleurs, dans le cadre de leur adaptation à ces milieux, le point commun de la plupart de ces espèces est que la reproduction se déroule à terre à plusieurs centaines de kilomètres des lieux de nourrissage. Les couples doivent donc couver et nourrir leurs juvéniles en alternance et subir de longues périodes de jeûne : période de couvaison ou d'alimentation du ou des jeunes et durée du trajet nécessaire au ralliement de la zone de pêche, la plupart du temps dans le front polaire, à plusieurs centaines de kilomètres des colonies. Ils ont donc développé des mécanismes particuliers de gestion de leur digestion et de mobilisation de leurs ressources énergétiques pour se passer de manger pendant plusieurs semaines tout en nourrissant leurs petits. Ce mécanisme est encore plus mobilisé lors du phénomène El Niño. Par exemple, le mâle manchot royal doit pouvoir attendre plus longtemps le retour de la mère partie se nourrir alors que l'œuf éclôt. Ce phénomène particulier a conduit à la mise en évidence d'un peptide très puissant dans l'estomac du mâle, la sphéniscine (du nom latin du manchot Spheniscus). Il permet à la nourriture de rester dans un bon état de conservation pendant deux ou trois dernières semaines de couvage. Le mâle peut ainsi nourrir le poussin en attendant la femelle. Ce peptide a de nombreuses applications biomédicales.

Le milieu de recherche et les spécificités des espèces ont conduit les scientifiques à innover. Aujourd'hui, bien loin des outils traditionnels du naturaliste, les chercheurs ont inventé des instruments permettant de suivre les animaux au cours de leurs déplacements en mer. De plus, ils développent des technologies de pointe d'analyse physiologique et génétique, ce qui conduit à proposer certaines évolutions de l'organisation de ce secteur pour pouvoir amplifier encore l'effort de recherche.

Les chercheurs s'intéressent essentiellement dans ces régions aux prédateurs supérieurs : oiseaux, mammifères, grands poissons car, placés au sommet des écosystèmes, ils en sont les reflets fidèles. La qualité et la productivité de l'ensemble du milieu ont une incidence sur l'état de santé et l'importance des populations des prédateurs. Ils sont aussi les animaux les plus accessibles à terre.

Mais la terre, lieu de reproduction, n'est évidemment pas le milieu de vie principal d'animaux entièrement dépendants du milieu marin pour leur nourriture. Ils ne trouvent sur les îles aucune subsistance. Il y a une forte ségrégation spatiale. L'étude à terre des animaux n'offre donc qu'un champ limité d'observation. Il fallait trouver des solutions pour pouvoir les suivre en mer.

Depuis longtemps, les marins savaient que les grands albatros couvraient d'immenses distances. Ainsi, les 13 rescapés du trois-mâts français Tamaris, après leur naufrage aux îles Crozet le 4 août 1887, avaient-ils accroché au cou d'un albatros une plaque de fer gravée avec leur position, s'en servant de pigeon voyageur ou de bouteille à la mer. 5 000 km et 45 jours plus tard, l'albatros fut retrouvé mort sur une plage australienne. Des secours furent organisés mais trop tard. A leur arrivée, les naufragés avaient disparu sans laisser de trace.

Les chercheurs de Chizé ont été les premiers au monde à installer un appareillage sur les oiseaux leur permettant d'être suivis à distance. Le premier suivi satellitaire du grand albatros a été réalisé en 1989 et a donné lieu à la une de Nature en 1990. Pour la première fois il était possible de savoir où allaient les oiseaux en mer. Il a dès lors été possible de mesurer les trajets très importants faits par les animaux pour se nourrir, soit 5 à 7 000 km en moyenne sur 15 à 20 jours, et jusqu'à 16 000 km, et la diversité des zones de pêche. Depuis cette première expérience avec une balise Argos d'environ 200 g, les moyens techniques ont beaucoup progressé, le suivi satellitaire s'effectuant avec des balises d'environ 20 g, GPS, ce qui permet de suivre des oiseaux plus petits et d'avoir un signal par seconde avec une précision métrique, contre un signal toutes les deux heures avec une précision de 350 m environ.

Cette technique a notamment permis d'expliquer pourquoi une espèce d'albatros à Crozet était menacée de disparition depuis les années 1970 en raison de la diminution très forte du nombre de femelles. Les chercheurs ont montré que, contrairement aux mâles, en dehors de la période de reproduction, elles se rendaient vers les zones subtropicales de l'Océan indien, à 1000 km au nord, où elles étaient des victimes accidentelles de la pêche à la palangre. Une politique efficace de protection a alors pu être proposée.

Savoir où vont les animaux n'est toutefois plus une information suffisante. Les chercheurs ont souhaité savoir où, quand et en quelle quantité ils s'alimentaient. C'est pourquoi, ils ont mis au point une sonde stomacale couplée à la balise GPS. A chaque fois que l'oiseau plonge pour se nourrir, la sonde détecte une baisse de température et la transmet. Ces travaux menés sur le grand albatros ont été publiés dans Science en 2003. Cette étude a permis d'apprendre que ces oiseaux, pesant 10 kg pour 3,5 m d'envergure, pouvaient capturer des seiches pesant jusqu'à 2 kg, les chercheurs évaluant le poids de la proie en fonction du temps que met l'estomac à revenir à sa température initiale de 39°C. Les mêmes études ont aussi permis de comprendre pourquoi les grands albatros peuvent couvrir d'aussi grandes distances. Ceci a été obtenu par la combinaison d'un émetteur GPS, d'un enregistreur de rythme cardiaque et d'un émetteur posé à une patte pour savoir si l'oiseau est en vol, sur l'eau ou à terre. Les chercheurs ont pu ainsi montrer que les grands albatros volaient en zigzag en vol plané, portés par le vent, ce qui leur permettait de ne pas consommer plus d'énergie lors de ces phases de vol qu'au repos sur leur nid. Les phases les plus gourmandes en énergie sont les décollages et le vol battu.

Ce type d'instrument permet aussi de connaître les changements interannuels des zones d'alimentation. L'équipement des pétrels, oiseaux dont l'odorat est exceptionnel, a permis de mieux comprendre comment ils trouvent leur zone de pêche et retrouvent leur terrier. Ils sont vraisemblablement capables de détecter la molécule de diméthyl sulfate - à forte odeur de soufre - émise par le zooplancton lorsqu'il broute le phytoplancton à plusieurs dizaines de km en chassant en remontant le vent. L'expérience a été faite sur le manchot royal entre 1992 et 2001 à l'occasion du phénomène El Niño (El Niño South Oscillation, ENSO). En 1993, les manchots n'avaient que 338 km à faire en moyenne pour se rendre sur le front polaire pour pêcher (trajet aller) et, en 1996, 437 km. Ce fut de nouveau le cas en 2000 avec une distance moyenne de 366 km. Mais au cours de l'ENSO, les manchots royaux avaient à parcourir 526 km en 1997 et 642 km en 1998, ce qui a bien sûr eu un impact important sur la reproduction.

Une instrumentation plus complète permettant de connaître la profondeur à laquelle l'oiseau pêche a été mise au point et équipe maintenant les manchots. Grâce à ce nouvel instrument, il est possible de suivre le succès de la pêche en fonction de la profondeur sur le trajet du manchot vers le front polaire et retour. Ces travaux n'ont pas encore fait l'objet d'une publication.

Est également en cours actuellement une expérience d'instrumentation sur des éléphants de mer dans le cadre d'un programme international. Il s'agit d'équiper des éléphants de mer de balises capables de mesurer la pression et donc la profondeur de la plongée, mais aussi la température, la conductivité et donc un certain nombre de caractéristiques du milieu environnant. Les études sont menées sur des animaux vivant à Kerguelen et qui en fait vont s'alimenter sur la côte de l'Antarctique ! Les résultats sont très importants car ils ont révélé que les éléphants de mer plongeaient jusqu'à 1 500 m de profondeur une fois par jour sur leur trajet vers le continent. Près de 7 000 profils océaniques de température et de salinité ont été établis qui, outre les renseignements qu'ils donnent aux biologistes, seront transmis aux océanographes.

Pour toutes ces études sur les animaux, une demande est effectuée au Comité d'éthique du CNRS de la région Midi-Pyrénées et doit obtenir l'aval du Conseil scientifique de l'IPEV. Sur le Spitzberg s'ajoute un avis norvégien, et dans les TAAF l'autorisation du préfet. Ces dispositifs doivent toujours être justifiés et proportionnés, ne pas provoquer de gêne sur les animaux et ne pas induire un comportement anormal qui ne serait pas dans l'intérêt des scientifiques. Ils jouent un rôle important pour la connaissance des espèces, de leur milieu de vie et en définitive de leur conservation.

Les chercheurs s'interrogent toutefois sur la nécessité de maintenir tous ces différents filtres et de devoir redemander chaque année des autorisations pour les mêmes programmes sur les mêmes animaux. Ne faut-il pas, en effet, réfléchir à un allégement du dispositif qui ne nuise pas à la protection des espèces mais qui tienne compte du caractère routinier de certaines opérations et de la confiance que l'on peut légitimement accorder au personnel scientifique dans le cadre de programmes pluriannuels ?

La recherche biologique dans les régions polaires utilise de plus en plus d'instruments scientifiques extrêmement pointus pour connaître de l'intérieur le métabolisme et expliquer certaines adaptations. Elle fait appel à la recherche d'hormones, de molécules et de gènes spécifiques.

Des recherches sur le rôle des hormones dans les mécanismes d'adaptation sont réalisées à Chizé, notamment dans le cadre des recherches menées en Arctique sur la mouette tridactyle. Ce programme franco-norvégien vise à comprendre pourquoi cet oiseau commun de nos littoraux a une fécondité deux à trois fois plus faible (un seul poussin au lieu de deux ou trois) en Arctique. Certes, la réponse est bien évidemment la situation climatique particulière et l'environnement général, mais les chercheurs veulent expliquer les mécanismes énergétiques et hormonaux qui agissent sur le niveau de la reproduction, la date de la ponte et la régulation de la population. Les mouettes pourraient en effet pondre autant qu'à nos latitudes mais compter des pertes importantes chez les poussins. Ils doivent donc disposer pour ce faire de moyens adaptés à la caractérisation de ces hormones.

En matière de recherche moléculaire, un bon exemple peut être trouvé dans les recherches menées à Lyon par le laboratoire de physiologie intégrative cellulaire et moléculaire sur l'adaptation au froid du manchot. Comme votre rapporteur l'a indiqué ci-dessus, les oiseaux, et donc les manchots, ne disposent pas de tissus adipeux bruns dans lesquels les mitochondries18 produisent de la chaleur. Dans ces tissus, la thermogenèse est provoquée par un découplage des oxydations lié à la présence d'une protéine particulière dite UCP1. Les manchots ont mis au point d'autres mécanismes thermogènes dont le siège principal est le muscle squelettique. Y a été caractérisée une protéine homologue à l'UCP1. Le laboratoire a pu montrer qu'elle était issue d'un mécanisme d'adaptation liée à la nécessité pour le manchot juvénile devenant adulte de se préparer à la vie en mer, où le stress thermique est beaucoup plus important. A la suite de biopsies musculaires, il a été possible de montrer que ce sont bien les immersions successives qui provoquent l'apparition de cette UCP. L'expression de cette protéine est détectable par des techniques de biologie moléculaire comme la RT-PCR (reverse transcription et amplification par réactions de polymérisation en chaîne) qui est corrélée avec l'augmentation d'ARN messagers codant la protéine. Ces recherches suggèrent également un rôle important d'une autre protéine de la membrane interne des mitochondries (le transporteur des nucléotides adényliques - ANT).

Les recherches génétiques sont de plus en plus utilisées sur les animaux polaires. L'objectif par le séquençage de leur ADN est de comprendre les particularités génétiques qui par exemple expliquent leur résistance au froid. C'est notamment le cas de certaines espèces de poissons. L'analyse génétique permet aussi de comprendre l'histoire des espèces entre celles qui, dans une même famille, sont restées au nord du front polaire, et celles situées au sud, qui ont dû s'acclimater aux conditions climatiques nouvelles. Elle peut également fournir des indications sur l'évolution du front polaire. Celui-ci a vraisemblablement été situé beaucoup plus au Nord à une époque expliquant pourquoi certains poissons disposent de mécanismes génétiques d'adaptation alors qu'ils sont maintenant situés au nord du front.

La génétique est aussi une puissante aide pour l'étude des populations si l'on se rappelle que dans cet immense océan, où il y a très peu de terres, on trouve les mêmes espèces dispersées dans des îles ou sur la côte à plusieurs centaines ou milliers de kilomètres les unes des autres, alors même qu'elles sont philopatrides et que leur taux de dispersion est donc faible. La génétique a ainsi récemment permis de montrer que le gorfou sauteur n'était pas formé d'une seule espèce mais de deux, l'une vivant au niveau du front polaire, l'autre au niveau de la convergence subtropicale (il y a une différence de température de l'eau de 10°C entre les deux). Cette séparation était jusque là une hypothèse issue de l'observation des chercheurs français (Pierre Jouventin) qui avaient noté les différences dans les dimensions des crêtes jaunes orangées au-dessus des yeux et des chants, alors même que les autres caractéristiques biométriques utilisées par la taxinomie traditionnelle étaient semblables. Ils avaient mis à profit le gradient des territoires français. En effet, le Gorfou sauteur du Sud est caractéristique de Kerguelen et Crozet, tandis que celui du Nord se trouve à Amsterdam. Il aura fallu trente ans pour transformer une hypothèse en certitude scientifique à la suite de l'analyse génétique d'échantillons de sang et de plumes des différents spécimens.

Plus encore que la détermination d'espèces séparées, les données obtenues autorisent d'émettre des hypothèses sur l'histoire de ces populations et l'évolution du front polaire. Le groupe commun des gorfous sauteurs aurait été séparé en deux au cours de la transition du plio au pleistocène qui s'est traduite par une remontée vers le nord du front polaire de 7° en latitude, il y 1,8 million d'années. Cela aurait causé l'isolement des îles du Sud et un processus de spéciation au Nord. Ensuite, au Nord, les gorfous sauteurs originaires de l'île de Gough dans l'Atlantique Sud auraient colonisé l'île d'Amsterdam après sa formation, il y a 690 000 ans. Au Sud, les gorfous des Kerguelen et de Crozet (Océan indien) auraient colonisé les Malouines (Atlantique Sud) à une époque récente. Il s'agirait donc de migrations tout à fait exceptionnelles dans le sens du courant du front polaire (est en ouest) sur plusieurs milliers de kilomètres.

Ces migrations sont d'autant plus probables qu'on en connaît d'autres cas. Par exemple, les phanérogames (plantes à fleurs) à Crozet et Kerguelen, qui sont originaires de Terre de Feu, à 15 000 km de là.

L'ensemble de ces nouvelles techniques d'instrumentation et d'analyse au service des sciences de la vie a plusieurs implications importantes pour les laboratoires. Votre rapporteur en distingue au moins sept : le coût des recherches, le caractère multidisciplinaire des équipes, la taille critique des laboratoires, la coopération avec les équipes françaises et avec les équipes étrangères, les impacts économiques et les enjeux sociétaux.

· Le coût de la recherche

L'époque où le chercheur naturaliste n'avait besoin que de bonnes chaussures de marche, un sac à dos, du papier, des crayons et quelques bagues pour mener son activité de recherche est bien révolue. La recherche sur la faune et la flore polaire est aujourd'hui une recherche de pointe nécessitant des moyens techniques extrêmement perfectionnés : informatique, instrumentation miniaturisée, satellites, séquençage des gènes...

Ces moyens techniques indispensables à une recherche de niveau international sont évidemment beaucoup plus onéreux. Dégager les moyens financiers adaptés à cette nouvelle réalité est donc une question incontournable.

· Le caractère multidisciplinaire des équipes

La mobilisation de tous ces savoir-faire n'est également possible que dans des équipes ou des centres multidisciplinaires où, à côté des connaissances traditionnelles sur les milieux et les espèces, il est possible de disposer de compétences techniques, pour les instruments, et scientifiques pour mener à bien les nouvelles dimensions de la recherche dans ces régions.

· La taille critique des laboratoires

Des moyens financiers importants et un caractère multidisciplinaire marqué impliquent automatiquement des laboratoires ayant une certaine taille critique, ou intégrés dans des centres plus larges pour rentabiliser des équipements onéreux et disposer des capacités techniques de gestion et de soutien. Cette dimension est aussi indispensable au développement de la coopération internationale.

· La coopération au niveau national

Au cours des auditions, votre rapporteur a entendu la plupart des chercheurs expliquer leur déception qu'une politique plus active de coopération au niveau national ne soit pas mise en place, notamment au travers de la zone atelier créée il y a une quinzaine d'années. Plusieurs ont également exprimé le souhait que le suivi des espèces à travers la base de données fasse l'objet d'un Observatoire de recherche en environnement (ORE) reconnu par le CNRS.

Ils ont plus généralement appelé de leurs vœux une meilleure coordination entre l'IPEV et les organismes de recherche financeurs, tout spécialement le CNRS et son nouveau département consacré à l'environnement et au développement durable (EDD).

On peut également en espérer des financements plus importants et mieux coordonnés.

· La coopération au niveau international

Que ce soit dans la zone antarctique ou dans la zone arctique, les conditions géographiques sont une puissante incitation à la collaboration internationale pour progresser dans la connaissance des espèces et de leurs milieux. Après une période marquée par l'étude des colonies et des espèces présentes à côté des bases nationales, doit maintenant s'ouvrir une période d'échange entre scientifiques de différentes nationalités travaillant sur les mêmes espèces. Que ce soit dans le suivi à long terme ou pour des études génétiques des populations, l'intérêt qu'il y a à confronter les données françaises avec les données obtenues par nos différents homologues est évident. Les enjeux que sont l'adaptation au changement climatique et la préservation de la biodiversité sont à cette échelle.

· Les impacts économiques

Ces recherches ont également un important impact économique à deux niveaux très différents.

Le premier niveau est celui de la gestion des pêches. La grande pêche australe est un enjeu économique d'envergure. Elle pose des problèmes de gestion et de conservation dans lesquels les scientifiques, quelle que soit leur spécialité, jouent un rôle majeur en donnant une vision de l'état de l'écosystème et en proposant des solutions techniques adaptées à la conservation des espèces.

Le second niveau est celui de la mise en évidence et de l'exploitation économique de protéines ou de molécules susceptibles d'être utilisées à des fins médicales ou vétérinaires. Cette dimension est souvent occultée mais peut constituer dans l'avenir un développement important de la recherche et une source connexe de financements.

· Les enjeux sociétaux

Enfin, les recherches biologiques en milieu polaire sont devenues symboliques d'enjeux sociétaux majeurs tels que le changement climatique et la préservation de la biodiversité. Certains s'en désolent, mais le public s'identifie volontiers avec l'ours polaire ou le manchot empereur, la menace pesant sur l'animal étant perçue comme une menace pour l'homme. Cette perception est aussi une exigence croissante d'éthique dans les études menées sur les animaux. Au-delà de la sensiblerie, l'amplification polaire du changement climatique place ces espèces en position de témoins avancés et accentue la demande de la société vis-à-vis de la recherche.

Les régions polaires, et tout particulièrement l'Antarctique, sont des lieux extrêmement privilégiés pour l'observation de la terre et de l'espace.

La France entretient dans les régions polaires plusieurs observatoires et mène des missions ponctuelles.

Les observations de sismologie sont menées par l'université de Strasbourg I, sous la direction de M. Michel Cara.

En terre Adélie depuis 40 ans, à Kerguelen depuis 1983, à Crozet et à Amsterdam, ces activités sont regroupées au sein d'un Observatoire de recherche en environnement (ORE).

L'objectif est l'observation à très large bande et grande dynamique des mouvements du sol. Ses observations sont effectuées en continu. Leur stabilité et leur homogénéité sont fondamentales pour leur utilité scientifique.

Les observatoires font partie d'un réseau international et les données recueillies sont mises à la disposition de la communauté scientifique mondiale.

Ces stations sont également très précieuses pour l'alerte avancée dans l'Océan indien en cas de raz-de-marée.

Le CEA y maintient également des observatoires dans le cadre du traité de non-prolifération nucléaire afin de détecter d'éventuels essais.

L'objectif est actuellement d'installer une station sismologique de niveau international à Concordia afin de compléter le réseau dans une zone sur laquelle très peu d'informations sont disponibles. Elle doit permettre de progresser dans la connaissance de la structure de la terre et des séismes. Une antenne de sismomètres y sera installée pour l'observation des phases sismologiques faiblement énergétiques. En effet, le Dôme C est particulièrement intéressant pour étudier la propagation des ondes sismiques sur l'axe Nord-Sud, car elle est plus rapide que sur un plan équatorial, ce qui s'explique par l'action du noyau de la Terre.

Il s'agirait aussi, en partenariat avec l'Australie et les Etats-Unis, dans le cadre du projet GAMSEIS, d'étudier le socle rocheux et notamment la chaîne montagneuse sous-glaciaire de Gamburtsev, car c'est peut-être à partir de cette zone que se sont développés les glaciers, il y a 25 à 30 millions d'années. Pour ce faire, les Australiens et les Américains déploieraient 25 stations sismiques autonomes qui seraient prolongées par une dizaine de stations vers Concordia. Elles devraient bien sûr être suffisamment peu consommatrices en énergie, pour fonctionner durant tout l'hiver, ce qui est techniquement très difficile. Elles pourraient donc disposer de petites éoliennes.

L'observation du magnétisme terrestre et de la gravité est aussi placée sous la responsabilité de l'université de Strasbourg I.

Sur Kerguelen, Crozet, Amsterdam et en terre Adélie, sont effectuées des mesures absolues du champ magnétique terrestre et de ses variations. Elles visent à mieux connaître l'intérieur de notre planète. Ces mesures sont transmises mondialement via le réseau Intermagnet. Dumont d'Urville se trouve à proximité du pôle magnétique, là ou les lignes de champ terrestre sont verticales. De plus, le pôle magnétique est en déplacement assez rapide vers le Nord (il était situé à l'intérieur du continent au milieu du 19e siècle). Il est donc très intéressant de le suivre, les pôles magnétiques s'étant déjà inversés plusieurs fois dans l'histoire de la Terre.

Une station devrait être construite sur Dôme C et exploitée en collaboration avec l'Instituto Nazionale di Geofisica y volcanologia (INGV) de Rome. L'objectif est de disposer d'une station de niveau international intégrable au réseau Intermagnet.

De manière non permanente, un programme de recherche vise également à effectuer des mesures du champ de gravité absolue dans les îles subantarctiques et en Antarctique grâce à un gravimètre absolu portable. Elles doivent permettre des mesures de marégraphie et contribuer à la connaissance du géoïde local19. Elles devraient aussi permettre d'apprécier les variations interannuelles et de les comparer aux mesures effectuées depuis l'espace.

La découverte du trou de la couche d'ozone en 1985 à Halley Bay par Joe Farman, Brian Gardiner et Jon Shanklin (cf. Farman et al., Nature, 1985) a ouvert tout un champ de recherches, visant à la fois à le mesurer et à en comprendre toujours plus finement les mécanismes.

· La quantification du trou de la couche d'ozone

Depuis 1985, le trou de la couche d'ozone stratosphérique20 est un phénomène récurrent et saisonnier (au printemps austral). La couche d'ozone peut diminuer de 60 à 70 % au-dessus de l'Antarctique.

Les mécanismes conduisant à l'apparition du trou d'ozone sont maintenant bien identifiés :

- augmentation de l'abondance des composés halogénés dans la stratosphère sur longue période,

- masses polaires isolées en hiver en raison du vortex (cf. ci-dessous projet Vorcore),

- refroidissement intense (température inférieure à -80°C),

- activation des composés chlorés,

- perte d'ozone de 4 à 5 % par jour à partir de septembre, aboutissant à la destruction totale ou quasi totale à une altitude comprise en 14 et 22 km.

Variabilité interannuelle du trou de la couche d'ozone

Source : Sophie Godin-Beekmann (IPSL-SA, CNRS-UMPC-UVSQ)

La France participe au réseau international de surveillance à travers un Observatoire de recherche en environnement (ORE) placé sous la responsabilité du Service d'aéronomie (IPSL-UPMC-CNRS). Ce réseau scientifique a été créé à la suite de la signature du protocole de Montréal de 1987, qui organise le retour à leur niveau naturel des émissions de CFC21.

L'impact du trou de la couche d'ozone peut être très important puisqu'il provoque l'augmentation du rayonnement UV reçu sur terre qui est la cause de cancers de la peau, de cataractes, de troubles immunitaires et de dommages sur l'ensemble des organismes vivants.

Les mesures effectuées par les chercheurs visent donc à suivre l'évolution de ce phénomène et tentent de prévoir sa résorption. Elles doivent permettre de mesurer l'impact du protocole de Montréal et, compte tenu de son succès, des autres accords internationaux qui l'ont renforcé.

Evolution prévisible du trou de la couche d'ozone en Antarctique

Source : Sophie Godin-Beekmann (IPSL-SA, CNRS-UMPC-UVSQ)

· La compréhension des mécanismes

Le projet Vorcore est l'un des projets significatifs des recherches menées en France sur la basse stratosphère arctique et antarctique par ballon-sonde de longue durée.

L'objectif du projet Vorcore était d'étudier la dynamique du tourbillon antarctique avec des ballons-sondes pour comprendre la formation du trou d'ozone au printemps austral, mesurant l'imperméabilité du vortex polaire et donc sa porosité à petite échelle.

Il est un bon exemple de la complémentarité des recherches entre l'Arctique et l'Antarctique. Une campagne de tests a été menée en Arctique entre 2000 et 2002 et la campagne de mesure a eu lieu en septembre 2005 à partir de la station américaine de McMurdo. Il est donc aussi un bon exemple de la coopération internationale et de la qualité des relations entretenues avec plusieurs partenaires. La NSF a en en effet accepté d'emmener, sur la station américaine, neuf Français lors de la première rotation de fin septembre. Huit autres stations ont accepté de faire des lancers de ballons couplés au passage des ballons Vorcore pour compléter les mesures.

Les campagnes arctiques de 2000 à 2002 se sont déroulées à partir de la base suédoise de Kiruna. Elles ont été confrontées à des difficultés pour obtenir les autorisations de survol des différents territoires.

27 ballons ont été lancés du 5 septembre au 25 octobre, dont le dernier a été détruit le 1er février. Ils ont volé 63 jours en moyenne et recueilli 150 000 observations.

Les régions polaires, et pour notre pays les bases antarctiques, sont des points d'appui privilégiés pour observer les relations entre la terre et le soleil, tout particulièrement l'ionosphère.

Celle-ci se situe au-dessus de 90 km d'altitude et constitue une zone électrisée sous l'effet du soleil. Elle a des effets météorologiques et technologiques importants : les orages magnétiques peuvent provoquer de gigantesques pannes électriques, surtout en Amérique du Nord où le pôle magnétique est situé à l'intérieur du territoire canadien.

Les aurores boréales et australes en sont sans doute la plus belle manifestation. Les pôles géographiques sont les lieux les plus propices pour leur observation car ils sont les plus proches des pôles magnétiques qui concentrent les particules ionisées émises par le soleil.

Pour les mesurer, des radars « SUPERDARN » sont utilisés. Ils font l'objet d'une coopération internationale pour couvrir les pôles Nord et Sud.

Dans l'hémisphère Sud, la France exploite déjà un radar aux Kerguelen. Concordia sera le lieu d'installation de deux radars transhorizon HF pour les secteurs de longitude entre Kerguelen et la Tasmanie et entre la Nouvelle-Zélande et la base britannique de Halley Bay. Ils fonctionneraient en paire, l'un avec un radar de la base pôle Sud et l'autre avec la base chinoise Zongshan. Ils seront construits et exploités dans le cadre de la coopération franco-italienne sur Concordia.

Le réseau international Superdarn en Antarctique


(
Source : IPSL-CNRS-UVSQ-Centre d'étude des environnements terrestres
et planétaires)

Les objectifs scientifiques des programmes de mesures optiques dans le visible des aurores australes au Dôme C (Projet ALFA pour Auroral Light Fine Analysis) sont :

- l'étude des échanges d'énergie et de matières dans les arcs transpolaires ;

- l'analyse fine des émissions lumineuses dans l'ionosphère (entre 150 et 300 km d'altitude) ;

- l'interaction des électrons de haute énergie avec l'ionosphère ;

- la formation d'irrégularités de densité dans les régions de précipitation des électrons ;

- les mouvements du plasma associés aux courants électriques alignés avec le champ magnétique.

Les recherches astronomiques sont, depuis juillet 2006, reconnues par le SCAR comme un des grands domaines de recherche en Antarctique. Il prend une expansion croissante dont les États-Unis ont d'ores et déjà pleinement pris la mesure au pôle Sud tandis que la France et l'Italie ont un atout majeur à jouer avec la station Concordia.

Les réflexions sur le développement de l'astronomie en Antarctique ont commencé au début des années 1990 et la première campagne de test du site de pôle Sud a eu lieu en 1993-1994.

Depuis lors, des projets majeurs se sont développés sur la base américaine.

Votre rapporteur en retiendra deux qui lui semblent particulièrement significatifs par leur rayonnement scientifique : l'étude du fond cosmologique et la détection des neutrinos.

· L'étude du fond cosmologique de l'univers

La question de la mesure du rayonnement fossile de l'univers est une question scientifique et philosophique fondamentale puisqu'elle vise à connaître l'état de l'univers primordial et à se rapprocher le plus possible du moment de sa naissance, le « Big Bang ».

Les premières mesures ont été réalisées par le satellite COBE, de la NASA, en 1992. Cette découverte a permis aux chercheurs américains John Mather et Georg Smoot d'obtenir le prix Nobel en 2006. Ils ont effectué la première observation précise du fond diffus cosmologique, le rayonnement lumineux apparu 300 000 ans après le Big Bang. Le rayonnement fossile avait été découvert par hasard en 1964 par Arno Penzias et Robert Wilson, du laboratoire Bell. Mais ce rayonnement était à l'époque impossible à mesurer depuis la terre, ce qui a conduit au projet du satellite COBE. Les résultats majeurs de ces observations furent, pour ses auteurs, la confirmation de la théorie du Big Bang (un univers en expansion à partir d'un point initial) et la publication d'une carte du ciel du fond diffus cosmologique mettant en évidence les variations de température (anisotropies). Elles permettraient d'expliquer pourquoi l'univers n'est pas homogène, mais constitué de vide et d'îlots de matière.

Plus récemment, les mesures effectuées par le satellite WMAP (Wilkinson Microwave Anisotropy Probe) ont été très largement diffusées. Il offre une nouvelle image de l'univers primordial infiniment plus précise que celle de COBE. Il montre une polarisation et une orientation de la lumière. Il permet de préciser la répartition de la matière dans l'univers : 4 % de matière ordinaire, 22 % de matière sombre et 74 % d'énergie noire. Il permet de préciser le scénario de formation des premières étoiles et galaxies.

Par rapport à ces recherches menées dans l'espace, l'Antarctique apparaît extrêmement complémentaire. En effet, les conditions très particulières qui y règnent permettent de travailler avec une précision équivalente à celles de l'espace. Il offre également l'avantage de pouvoir utiliser du matériel disposant des derniers perfectionnements et réparables rapidement.

Plusieurs expériences ont eu lieu à partir de pôle Sud, notamment en 2000, Boomrang, à partir d'un ballon de mesure.

Par ailleurs, dans le cadre d'une collaboration entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis, le télescope QUEST (Q and U Extra-Galactic Survey Telescope) a été déployé en 2004-2005 sur DASI, intrféromètre consacré à la mesure des anisotropies de température et de polarisation.

Dans ce domaine, sur Concordia, dans le cadre de Brain, une équipe franco-italienne a installé des bolomètres. Ces détecteurs sont constitués d'un cristal dont la température varie en fonction de l'énergie des particules qui le frappent. Ils sont placés dans un cryostat qui les refroidit à une température proche du zéro absolu22.

Ces expériences permirent à l'époque de produire des images du fond cosmologique beaucoup plus rapidement, pour un coût beaucoup plus faible, et compte tenu de l'usage d'un matériel à jour des dernières avancées technologiques, beaucoup plus précises que n'avait pu le faire le satellite COBE en plusieurs années d'utilisation.

Aujourd'hui, ces recherches sont poursuivies sur place afin de continuer à préciser les mesures, sous la direction personnelle d'un des deux titulaires du prix Nobel, dans la perspective du lancement de la mission européenne Planck en 2008. La technologie du satellite a d'ailleurs fait l'objet d'un test dans l'Arctique à partir d'un ballon (mission Archéops) lancé de Kiruna (Suède).

· La recherche des neutrinos : le projet Ice Cube

Un autre exemple illustrant l'importance des recherches en astronomie menées en Antarctique est le programme international de détection des neutrinos.

Sous la direction des États-Unis et à l'initiative de l'université de Madison (Wisconsin, Pr Francis Halzen), un très important programme de recherche est en cours sur les neutrinos. Il est financé à hauteur de 295 millions de dollars par la National Science Foundation (NSF) à laquelle sont associés plusieurs pays : Suède, Belgique, Allemagne, Royaume-Uni et Pays-Bas.

Ce projet, dénommé Ice Cube, devrait voir sa construction achevée en 2009.

Les neutrinos sont des particules élémentaires, de masse pratiquement nulle, engendrées par des réactions nucléaires. Le soleil et d'autres phénomènes astronomiques produisent des neutrinos à basse énergie, les cataclysmes cosmiques comme les trous noirs, les supernovae ou le Big Bang produisent des neutrinos à haute énergie. Ce sont ces derniers qui sont recherchés.

Une fois engendrés par ces cataclysmes, les neutrinos se déplacent à la vitesse de la lumière et ne s'arrêtent pas. Leur masse étant virtuellement nulle, ils n'interagissent que très rarement avec d'autres particules, ce qui leur permet de se déplacer en ligne droite jusqu'aux frontières de l'univers traversant tous les corps : étoiles, planètes ou champ magnétiques, comme si ceux-ci n'existaient pas. Ainsi, des trillions de neutrinos traversent la terre toutes les nanosecondes. Or, pour les astrophysiciens, chacune de ces particules est un messager potentiel d'informations sur son origine.

Les neutrinos sont cependant extrêmement difficiles à détecter. Cela n'est possible que lorsqu'ils entrent en collision avec une molécule. La collision désintègre le noyau et le neutrino se transforme en une autre particule appelée muon. Le muon poursuit son déplacement sur la même trajectoire que le neutrino mais peut être reconnu grâce au cône de lumière bleue qu'il engendre - radiation de Tcherenkov - Il peut être comparé à l'onde produite dans l'air par une balle.

Réussir à détecter les muons nécessite de surveiller un volume très important d'une substance parfaitement transparente et plongée dans l'obscurité.

Au début des années 1980, les États-Unis ont tenté la création d'un détecteur au large d'Hawaï en utilisant les profondeurs de l'océan. Mais l'instabilité de la météorologie et de la mer ont empêché la pleine réussite de l'expérience. La glace de l'Antarctique paraît beaucoup plus prometteuse. Une première génération existe déjà, il s'agit d'« AMANDA », pour Antarctic Muon and Neutrino Detector Array.

La nouvelle génération sera le détecteur Ice Cube qui sera constitué de 5.000 détecteurs photomultiplicateurs enchâssés dans 1 km3 de glace, entre 1 400 et 2 400 mètres de profondeur sous le pôle Sud. Il sera ainsi possible de profiter de l'obscurité mais aussi d'une glace d'une clarté cristalline. Ces capteurs auront pour mission de multiplier le signal par une centaine de millions de fois et de l'envoyer vers la surface, où ils seront traités par ordinateur. Il sera ainsi possible de connaître leur direction et leur origine et donc d'étudier l'événement cosmique qui les a engendrés.

Cette expérience a des parallèles à l'étranger : Auger en Argentine, Antares au large de Toulon, ou encore Nemo et Nestor au Sud de l'Italie.

Ces recherches menées en Antarctique se rattachent elles aussi à un des domaines les plus en pointe aujourd'hui en physique fondamentale. Raymond Davis a d'ailleurs obtenu le prix Nobel de physique 2002 pour ses recherches sur les neutrinos. Il avait été l'un des premiers, en 1968, à construire une cuve remplie de 600 tonnes d'un solvant riche en chlore et placée à 2 300 m sous terre, dans la mine de Homestake aux Etats-Unis, pour détecter les neutrinos émis par le soleil. Ne trouvant pas tous les neutrinos attendus, il émit l'hypothèse de leur oscillation, résultats qui furent confirmés en 1998 par l'expérience japonaise « Super Kamikande » avec un détecteur beaucoup plus important23.

Les recherches sur les neutrinos ne se rattachent pas qu'à la physique des particules, certains émettent l'hypothèse selon laquelle, après le Big Bang, un fond de neutrinos serait présent à côté du fond cosmologique déjà détecté24.

Pour la station Concordia, deux questions se posent : Le site est-il aussi bon qu'espéré ? Quels sont les projets de développement de l'astronomie ?

· La qualification du site

Le Dôme Concordia apparaît comme l'un des meilleurs sites au monde pour l'astronomie.

Le site franco-italien semble réunir toutes les conditions idéales pour un observatoire astronomique : clair, froid, sec, propre, sombre, faiblesse des précipitations, peu de vent, peu de turbulence, peu d'activité sismique, accessible, mesures continues possibles et stabilité climatique.

L'atmosphère est très stable en raison de l'altitude de 3 300 m, loin de toute pollution.

Le vent est faible, moins de 2,5 m/s et de direction constante. Les résultats sont nettement meilleurs que dans les grands sites du Chili. C'est aussi une différence majeure avec le site de pôle Sud qui est soumis aux vents catabatiques car son altitude n'est que de 2 830 m alors que Concordia se situe au sommet d'un dôme.

La température, toujours inférieure à -30°C, permet d'envisager des performances élevées dans l'infrarouge.

Durant l'été austral, la stabilité des images est inférieure à 0,5 s d'arc pendant 4 heures, soit deux fois mieux que le meilleur site terrestre connu, Cerro Paranal, au Chili, où se trouve le VLT européen. La scintillation est très faible, offrant un ciel coronal.

Pendant l'hiver austral, c'est-à-dire de nuit, le ciel est clair 95 % du temps.

Cependant, entre 0 et 30 m, la qualité du site est moins bonne et il sera nécessaire de s'en abstraire. La couche d'inversion des températures est responsable de ces perturbations (0-150 m), avec un maximum entre 0 et 30 m.

Ces turbulences doivent être précisées notamment pour savoir si elles sont stables tout au long de l'année en altitude et en épaisseur. Si tel était le cas, cela ne serait pas un handicap majeur.

En effet, les grands instruments sont par construction au-dessus de cette turbulence.

L'enjeu est donc désormais de savoir si ces excellentes conditions se confirmeront et pourront conduire à l'installation d'un, voire plusieurs, grands instruments. La réponse est maintenant attendue très rapidement.

· La définition d'une stratégie pour l'astronomie à Concordia

La préfiguration de l'astronomie européenne en Antarctique fait l'objet d'un réseau européen : ARENA (Antarctic Research, a European Network for Astrophysics). Il est coordonné par Nicolas Epchtein, du Laboratoire universitaire d'astrophysique de Nice (LUAN).

Ce réseau inscrit au 6e PCRD bénéficie d'un budget de 1,3 M€ sur 36 mois entre 2006 et 2008. La France en reçoit 36 % et l'Italie 31 %. Ce réseau est largement ouvert puisque, en dehors des deux pays leaders à Concordia, sont également présents : l'Allemagne, l'Espagne, la Belgique, le Portugal, le Royaume-Uni et l'Australie, regroupant 15 laboratoires et 120 scientifiques. Lors de la première conférence annuelle à Roscoff, le Japon et la Nouvelle-Zélande avaient aussi envoyé des délégués.

De nombreux projets émergent de cette réflexion. Ils devront être classés par priorité mais montrent le très grand intérêt de la communauté scientifique pour le site : imagerie grand champ, haute résolution angulaire en optique, photométrie de précision, interférométrie...

Pour votre rapporteur, il est clair qu'au-delà de la question de qualification du site, il faut formuler une stratégie crédible de montée en puissance scientifique et logistique du site de Concordia en prenant en compte l'ensemble des contraintes d'ingénierie (énergie, communications, transports, robotique, environnement).

Il faut donc se tourner pour commencer vers des projets de haut niveau scientifique mais compatibles avec la logistique actuelle pour ensuite développer des projets de plus grande dimension qui pourraient, à l'horizon de 10-15 ans, rivaliser avec les sites des Andes.

Cette stratégie doit aussi pleinement prendre en compte la volonté chinoise de s'installer sur le Dôme A de manière permanente à partir de l'API 2007-2008. S'inspirant de la dynamique franco-italienne sur Concordia, la Chine souhaite non seulement réaliser un forage glaciaire de grande profondeur mais aussi développer une station astronomique profitant de l'altitude supérieure du site (4 083m) et espérant des conditions similaires, voire meilleures, que celles du Dôme C.

Il n'y a pas lieu aujourd'hui de dramatiser la concurrence chinoise mais elle doit être prise très sérieusement. En effet, il n'est pas certain que les Chinois aient vraiment atteint le Dôme A proprement dit l'an passé, et l'expédition a connu un grave incident nécessitant l'intervention d'urgence de moyens américains et l'évacuation d'un des membres de l'expédition. En outre, le Dôme A est sans doute l'un des lieux les moins accessibles de la planète et il faudra mettre en place une logistique fiable et conséquente avant de pouvoir y construire une station permanente dans laquelle il sera possible d'hiverner. Il faudra également plusieurs années d'observation pour valider la qualité astronomique du site et démarrer des travaux scientifiques.

Ceci étant, pour votre rapporteur, la concurrence chinoise amène cinq propositions :

- La station Concordia doit tout d'abord démontrer son potentiel scientifique en astronomie.

- Plus particulièrement, une réflexion doit être menée sur son apport spécifique par rapport à Pôle Sud, station sur laquelle des moyens matériels considérables sont déjà disponibles.

- Elle doit ensuite démontrer une capacité logistique croissante, éventuellement en examinant d'autres voies qu'aujourd'hui.

- L'Europe doit aussi définir une stratégie d'ordre politique pour positionner sa recherche au plus haut niveau mondial.

- L'ensemble de ces points doivent être traités dans un temps contraint.

· Les projets scientifiques à Concordia

Les projets scientifiques sont regroupés au sein du projet Stella Antarctica. Labellisé API, il est coordonné par Eric Fossat, du LUAN. Il distingue deux grandes questions scientifiques : les exoterres et les premiers instants de l'univers.

La première détection d'une exoplanète a eu lieu il y a moins de 10 ans. Depuis lors, plus de 100 systèmes planétaires ont été découverts. Mais aucune exoterre n'a été directement observée, ni aucun système planétaire semblable au nôtre. Ces planètes sont petites, froides, peu lumineuses et proches de leur étoile. L'instrument d'observation doit donc être spécifique et extrêmement précis. Cette recherche requiert une grande résolution angulaire dans l'infrarouge. Cela suggérerait l'utilisation d'un réseau de télescopes interférométriques au sol.

Ce projet pourrait se développer en deux étapes après la qualification : un premier projet de taille contenue pour valider le potentiel et étudier par spectroscopie la nature, la composition des atmosphères d'exoplanètes déjà connues et permettant l'exploration des disques de poussières et de gaz où se forment les planètes. Puis pourrait être construit un dispositif de beaucoup plus grande ampleur permettant de recenser les exoterres.

La seconde grande question est la polarisation du rayonnement électromagnétique fossile du Big Bang. Il présente une composante très faible - modes dits de type B - qui correspond à l'empreinte laissée par les ondes de gravitation. Sa mesure est très difficile en raison de sa faible intensité et de la grande taille angulaire de ce qui est recherché dans le ciel. Elle nécessite de disposer d'un fond de ciel micro-ondes très stable, comme c'est le cas à Dôme C.

Les projets les plus proches sont l'instrument ASTEP (Antarctica Search for Transiting Extrasolar Planets) qui sera installé en 2008 sur Concordia. Il s'agit d'un instrument de 40 cm de diamètre pour détecter les exoplanètes. C'est un instrument de qualification qui pourrait être suivi en 2012 d'un plus important : Ice-T, coordonné par l'Allemagne.

En 2008, va également être installé un télescope infrarouge italien (IRAIT - International Robotic Antarctic Infrared Telescope).

En matière de sismologie stellaire, la France souhaite mener l'expérience SIAMOIS (Sismomètre interférentiel à mesurer les oscillations des intérieurs stellaires). Elle doit permettre, par une observation photométrique de longue durée et de grande précision, de connaître la structure interne des étoiles en coordination avec le satellite Corot. Ces conditions sont réunies sur Concordia puisque le ciel est disponible à l'observation à 90 % pendant plusieurs mois consécutifs. Siamois s'intéressera plus spécialement aux étoiles brillantes de faible masse, détectées par Corot. Le programme devrait se dérouler sur six hivernages à partir de 2010, pour un coût de 860 000 €.

Par ailleurs, dans la perspective de la mission spatiale Darwin visant à découvrir les exoplanètes et rechercher de la vie, les chercheurs français envisagent une mission Alladin, basée sur le principe de l'interférométrie à frange noire. Elle aurait pour but de démontrer au sol le fonctionnement technique attendu de Darwin et de valider les concepts scientifiques. Il regrouperait deux télescopes dans un outil d'un diamètre de 40 m, simulant le vol en formation dans l'espace des satellites de la mission Darwin.

Les scientifiques imaginent pour le futur un gigantesque interféromètre infrarouge composé de 36 télescopes sur une surface de 1 km², dont le coût serait similaire aux grands instruments des Andes.

Si c'est en 1912 que fut trouvée la première météorite, c'est seulement en 1969, après la découverte simultanée de quatre météorites, que l'on comprit que l'Antarctique était un formidable collecteur. En effet, les météorites emprisonnées par la glace de manière statistique25 sont progressivement concentrées par les grands glaciers et resurgissent dans certaines zones, notamment lorsque la glace remonte en raison du relief.

Deux tiers de la collection mondiale est aujourd'hui originaire de l'Antarctique !

Sur Concordia, il ne s'agit pas seulement d'en collecter en grand nombre mais au contraire d'en découvrir de nouveaux types. En effet, le site de Concordia subit très peu de mouvements horizontaux, raison pour laquelle il a été choisi pour le forage glaciaire.

Cette caractéristique exploitée pour la datation de la carotte est aussi un grand avantage pour permettre de mesurer le flux de météorites et sa composition au cours du temps sur notre planète et éventuellement montrer des variations.

Le site de Concordia permet ensuite d'accéder à des météorites qui n'ont été que peu transformées au cours de leur chute à travers l'atmosphère, en raison des particularités de celle-ci aux pôles.

La campagne d'été 2006 a été un grand succès avec la collecte de 1 500 grains de 20 à 50 micromètres de diamètre.

Enfin, la pureté du lieu et son caractère très préservé permettent de trouver des météorites de très petite dimension - submillimétrique ou micrométrique - puisque le milieu de recueil n'est constitué que de neige. Ces météorites sont aussi dans un excellent état de conservation par rapport à leur séjour sur terre puisqu'elles ne sont pas contaminées par d'autres poussières, compte tenu de l'éloignement de Concordia de tout courant de transport. L'équipe de recherche française, dirigée par Jean Duprat, espère pouvoir montrer l'existence de micrométéorites cométaires, c'est-à-dire issues du système solaire externe. Elles devraient pouvoir donner des informations sur les conditions de formation des planètes, il y a 4,5 milliards d'années.

La France a installé depuis 1964 des moniteurs à neutrons à Kerguelen, et depuis 1968 en terre Adélie, avec une interruption pour celle-ci de 1977 à 1982. Ils servent à mesurer les particules de haute énergie émises par le soleil et venant des autres étoiles. Ces observatoires sont intégrés dans un réseau international (International Space Environment Service - ISES).

(Source : Observatoire de Paris-Meudon - LESIA)

Au plan français, l'objectif serait de les transformer en ORE pour stabiliser l'activité de recherche.

Les instruments placés dans les bases françaises servent à compter les particules permettant de surveiller leur provenance et leur énergie.

Les particules primaires du rayonnement cosmique (85 % de protons) n'atteignent pas le sol. Leurs collisions avec les particules de l'atmosphère créent des particules secondaires, des composantes nucléoniques formées de protons et de neutrons. Elles peuvent être détectées au sol si l'énergie cinétique des particules d'origine dépasse 0,5 Gev.

Avant d'atteindre l'atmosphère, les rayons cosmiques sont déviés par le champ magnétique terrestre. Celui-ci forme une « coupure géomagnétique » qui limite la capacité qu'a une particule d'atteindre le sol. Les moins énergétiques n'atteignent la surface qu'aux hautes latitudes.

Chaque station est aussi caractérisée par une « direction asymptotique », c'est-à-dire la déviation que subit la particule, en fonction de son énergie, pour arriver verticalement à la station. Par exemple, les particules de basse énergie arrivant verticalement aux Kerguelen viennent de régions de la sphère céleste situées au-dessus du Brésil. La propagation est tellement complexe que deux stations proches comme McMurdo et Dumont d'Urville ont des directions asymptotiques opposées.

Ces moniteurs à neutrons donnent des indications précieuses sur l'activité du soleil. Car le rayonnement cosmique en est très dépendant. Une forte activité solaire provoque sa réduction en raison d'un phénomène de répulsion provoqué par le champ magnétique héliosphérique (échelle de temps d'un an), une réduction temporaire en raison d'éjections de particules (échelle de temps d'un jour) et enfin par la production de certaines particules relativistes pendants certaines éruptions (échelle de quelques minutes)26.

Ces observations magnétiques sont directement utiles pour la santé humaine car l'exposition au rayonnement naturel est maintenant surveillée, notamment celle du personnel naviguant des compagnies aériennes. Cette surveillance est organisée par la directive européenne n°96-29 EURATOM du 13 mai 1996 sur l'exposition aux rayonnements ionisants. Ces données sont consignées en France dans le système SIEVERT (Système informatisé d'évaluation par vol de l'exposition au rayonnement cosmique dans les transports aériens). Ce service mis en place par la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) au profit des professionnels est aussi disponible à titre informatif et pédagogique pour tous. Les routes aériennes les plus exposées sont celles passant par le grand Nord, c'est-à-dire celles en direction de l'Amérique du Nord ou de l'Asie en partance de l'Europe. Les occupants des bases polaires sont aussi exposés.

Dans le futur, la mesure du rayonnement sera aussi importante pour protéger les avions des pannes électroniques.

De manière plus fondamentale, la connaissance des modulations du rayonnement solaire et la mesure de l'isotope 10 du béryllium (10be) dans les carottes de glace devraient permettre de progresser dans la restitution de l'activité solaire du passé.

Ainsi, l'Antarctique se révèle une zone d'observation scientifique tout à fait exceptionnelle. Cela amène votre rapporteur à trois conclusions sur ces aspects :

- Il est souhaitable de soutenir et de pérenniser les activités d'observation sur nos bases car elles sont essentielles à la compréhension de notre planète. Le trou de la couche d'ozone n'a-t-il pas été découvert au hasard de mesures habituelles de la stratosphère ? Ces activités n'ont d'ailleurs de sens que si elles sont permanentes, sans interruption et d'un niveau scientifique international permettant de s'intégrer dans les réseaux d'information.

- Notre pays doit prendre toute sa part dans le travail scientifique sur l'ozone stratosphérique dans les régions polaires car le succès du protocole de Montréal, dont on fêtera les 20 ans à l'occasion de l'API, en fait un modèle pour la gestion commune de problèmes globaux. Son objectif de retour aux émissions naturelles en est le symbole. Il devrait inspirer la gestion de la question du changement climatique.

- Enfin, la France et l'Italie doivent pleinement prendre conscience des qualités exceptionnelles du site de Concordia pour l'astronomie et développer une stratégie de montée en puissance en deux phases : programmes visant à l'excellence scientifique mais peu gourmands en logistique, puis positionnement de la station pour l'accueil de grands instruments européens avec une logistique adaptée à un horizon de 10-15 ans, tout en tenant compte des opportunités déjà offertes sur Pôle Sud et la concurrence possible du site du Dôme A.

PRÉPARER LES MISSIONS SPATIALES EN ANTARCTIQUE

En raison des conditions extrêmes de l'Antarctique et de l'organisation des bases, il est possible d'y préparer les missions spatiales. Il est également nécessaire de mener dans les régions polaires des opérations de préparation et de vérification des missions satellitaires ou robotisées.

Votre rapporteur a déjà montré ci-dessus l'intérêt de la complémentarité entre l'Antarctique et l'espace en matière de recherche astronomique et de missions scientifiques spatiales.

Ce qui est vrai enastronomie est vrai également pour la préparation de missions d'observation. Les conditions climatiques extrêmes de l'Antarctique et tout particulièrement le froid et l'environnement électromagnétique font de ce continent une zone très intéressante d'essai des matériels robotisés ou non destinés à être envoyés dans l'espace ou sur d'autres planètes. En effet, ces matériels devront affronter des conditions extrêmes similaires à celle de l'Antarctique. Un matériel qui n'y fonctionne pas aura donc peu de chances de fonctionner dans l'espace.

Ainsi, l'IPSL, à travers le Centre d'études des environnements terrestres et planétaires, mène un test de longue durée de la stabilité d'un magnétomètre triaxial à vannes de flux destiné à être installé à la surface de Mars. Le magnétomètre est soumis à des variations thermiques comprises entre -70 et -30°C, assez comparables à celles attendues à la surface de Mars. Ces performances peuvent en outre être comparées à celle des enregistrements de l'observatoire, installé dans un environnement beaucoup plus stable.

Dans le cadre du réseau Arena, il a été également proposé par les chercheurs français de mesurer les particules glacées et le champ électrique dans la couche limite du Dôme C pour prévoir l'impact de ces phénomènes sur des matériels envoyés dans l'espace. Il s'agirait, grâce à des antennes électriques AIRS, de mesurer le champ électrique vertical, la conductivité électrique de l'atmosphère et l'écoulement des particules de glace chargées ainsi que leur distribution.

Malgré les progrès très spectaculaires des satellites, il reste nécessaire de mener des campagnes de préparation ou de validation des informations fournies. C'est tout particulièrement vrai en matière d'évaluation des glaces, qu'il s'agisse des inlandsis ou de la glace de mer. Votre rapporteur voudrait citer ici deux exemples caractéristiques de ce travail en vue du lancement du satellite Cryosat.

· La calibration de Cryosat sur la glace de mer

L'instrument « oiseau électromagnétique » (E-M Bird) de l'Alfred Wegener Institut (AWI) sera déployé au cours de l'année polaire internationale, au cours de la mission menée par Jean-Louis Etienne au pôle Nord.

Cet instrument est fait pour être déplacé entre 15 et 20 m au-dessus de la banquise afin de réaliser un profil continu de son épaisseur. Il est composé d'un altimètre laser qui permet de mesurer la distance entre l'appareil et la surface supérieure et d'un émetteur-récepteur électromagnétique qui, par induction à basse fréquence, permettra de connaître la profondeur sous la surface.

Outre les centres d'intérêt scientifique que sont l'étude de l'évolution de l'étendue et de l'épaisseur de la banquise boréale, l'objectif de cette mission est d'établir une valeur de référence qui pourra ensuite être comparée à celle obtenue par le satellite Cryosat par altimétrie laser dont l'innovation principale sera de prendre en compte toutes les discontinuités des glaces pour effectuer un bilan de masse beaucoup plus précis.

· La calibration de Cryosat sur la glace continentale

Cette mission a été en partie assurée par une équipe allemande de l'AWI. Elle a utilisé un radar aéroporté : Airborne SAR Interferometric Radar Altimeter System (ASIRAS). L'un des points à éclaircir était l'impact des discontinuités de la neige (tout particulièrement la couche supérieure) sur l'écho radar. La calibration de l'instrument lui-même a été réalisée sur un terrain parfaitement connu, une piste d'aviation, pour aboutir à une précision de l'ordre de 2 cm.

Plusieurs missions ont été menées de mars à fin septembre 2004 sur le Svalbard et le Groenland. Elles ont permis d'obtenir un profil de la calotte du Groenland sur deux sections à une profondeur d'environ 20 m. Comme point de repère un coin réflecteur avait été installé, comme ceux qui sont utilisés pour les satellites. Une équipe britannique à fait des confirmations de mesures au sol par un autre appareil tiré par un homme et monté sur un traîneau.

Ce programme de calibration va se poursuivre par une mission au Svalbard en 2007, puis en Antarctique en 2008. Il y aura ensuite des missions de vérification après le lancement de Cryosat en 2009, soit à partir de 2010.

Les conditions d'isolement des personnels dans les stations de l'Antarctique sont celles, sur terre, qui sont les plus comparables à celles rencontrées dans l'espace : isolement complet jusqu'à 9 mois consécutifs, nuit, froid extrême et donc confinement, vie en petite communauté voire, pour Concordia, une organisation de la base proche de celle qui est envisagée sur la Lune ou sur Mars. Les stations offrent donc une rare opportunité de mener ces programmes de recherche qui, sinon, doivent se réaliser dans des caissons.

A cet égard, Concordia est vraiment la station qui présente le plus grand intérêt pour les agences spatiales dans le monde. En effet, le climat des stations côtières permanentes, leur position géographique et leur organisation (bâtiments dispersés, nombre parfois important d'hivernants) sont certes des lieux d'étude intéressants pour le comportement mais elles sont très éloignées de ce que pourrait être la vie à bord d'un vaisseau spatial ou d'une station extraterrestre. En outre, plusieurs d'entre elles doivent faire face à un nombre croissant de touristes.

Parmi les trois seules stations permanentes à l'intérieur du continent Antarctique, Vostock et Pôle Sud n'offrent pas un intérêt aussi élevé. En effet, le principal inconvénient de la station Pôle Sud est sa très grande dimension. Elle n'est donc pas comparable à ce qui pourrait exister dans un futur proche. Elle ressemble plutôt à ce qui existera peut-être sur la Lune dans quelques décennies... De son côté, la station Vostock soufre d'une certaine rusticité qui rend malaisé ce type de recherche. Toutes deux ont aussi l'inconvénient d'être des stations anciennes dans lesquelles des études de contamination à partir d'un niveau zéro ne peuvent plus être menées.

A Concordia, au contraire, toutes les conditions sont réunies : plan de la station proche de ce qui pourrait exister dans l'espace, équipage réduit à 15 personnes, équipage multinational (franco-italien) et station récente dans laquelle les études médicales et biologiques sont menées depuis l'ouverture.

Le premier champ d'étude est le comportement humain dans des conditions de confinement.

Un premier programme de recherche porte sur l'adaptation psychosociale d'un groupe multiculturel dans un environnement isolé et confiné : les stratégies de « faire face », l'influence de l'environnement, la dynamique de groupe et les phénomènes de leadership. Dans ces stations, les délicats équilibres peuvent rapidement se dégrader. Un petit incident peut devenir obsessionnel pour un équipage et dégrader l'atmosphère pendant un temps très supérieur à la normale en l'absence d'événements plus importants susceptibles de détourner l'attention. De même en matière de leadership, les équipages scientifiques des stations antarctiques se comportent très différemment des équipages militaires des sous-marins nucléaires. La hiérarchie, la discipline et la distribution des tâches y est beaucoup moins rigide, pouvant compliquer l'exercice de l'autorité.

Un second programme porte plus précisément sur le comportement corporel, ou éthologie. L'approche éthologique se focalise sur le processus de coadaptation des membres d'une équipe restreinte à socialité contrainte par des conditions extrêmes. Elle étudie l'occupation de l'espace par les individus dans les lieux d'activités collectives en suivant son évolution au cours du temps. Elle met en lumière des périodes critiques au cours de la mission et des cycles de modification comportementale qui se manifestent par des comportements types.

En plus des retombées théoriques, ces recherches doivent permettre d'éviter la survenance de crises graves au sein des équipages en étant à même de les prévenir et de faciliter leur traitement par référence à des données types.

Elles sont fondées sur des méthodes de recueil d'informations différentes qui vont des questionnaires aux caméras. Celles-ci sont utilisées avec beaucoup de parcimonie. Les équipages sont en effet réticents à des études trop intrusives qui ne préserveraient pas la vie privée et seraient difficilement supportables dans un contexte de confinement où l'une des caractéristiques majeures du comportement au cœur de l'hiver austral est le renfermement dans un espace privé reconstitué et la réduction des interactions avec les autres membres. C'est d'ailleurs sans doute la raison pour laquelle la plus grande fête de l'année en Antarctique est la mi-hiver qui est depuis toujours l'occasion de grandes réjouissances.

Le caractère particulièrement délicat de ces recherches explique aussi que plusieurs directeurs d'instituts polaires étrangers y sont opposés dans leurs stations. Ils craignent qu'elles n'aient de graves conséquences sur les équipages alors même qu'il serait impossible d'intervenir depuis l'extérieur au cours de l'hiver austral. Ils préfèrent donc se fonder sur les processus très stricts de sélection des membres et sur leur expérience de direction en cas de difficultés plutôt que d'intégrer des équipes de spécialistes de la psychologie et du comportement.

Outre les études comportementales, la station Concordia permet de mener plusieurs importantes études d'ordre physiologique sur des populations soumises à ces conditions très particulières.

Sont tout d'abord réalisées sur Concordia des études de contamination biologique, c'est-à-dire cherchant à comprendre comment, à partir d'une situation initiale vierge, vont se développer dans ce milieu confiné des éléments pathogènes. Concordia offre un très bon lieu d'étude puisque rien ou presque ne peut survivre à l'extérieur compte tenu des températures. On comprend bien le parallèle qui peut être fait avec un vol spatial de longue durée ou une station extraterrestre où, là aussi, à partir d'une situation initiale, se développera un milieu nouveau résultant de la vie de l'équipage. Ces recherches sont donc d'un grand intérêt.

Un autre exemple de recherches menées à Concordia porte sur l'adaptation aux conditions propres au site dans la durée. En effet, Dôme C est situé à plus de 3 000 m d'altitude, soit un ressenti de plus de 4 000 m dans une atmosphère très sèche et très froide. Il est donc possible d'y mener des études sur l'adaptation à l'état d'hypoxie dans les premiers jours de l'hivernage, puis tout au long de celui-ci.

Dans la même logique, les agences spatiales ont compris l'intérêt d'utiliser soit l'environnement, soit les bases de recherche en Antarctique pour tester du matériel qu'elles utiliseront ensuite dans l'espace dans le cadre des missions d'exploration.

La NASA et la NSF ont, de longue date, identifié l'intérêt de l'Antarctique pour les matériels spatiaux susceptibles d'être utilisés dans l'exploration du système solaire.

En effet, la station de McMurdo est située à proximité des quelques vallées sèches de l'Antarctique. Ces vallées sont des sites absolument exceptionnels sur un continent recouvert en moyenne de 2 000 m de glaces. Ce sont des caractéristiques morphologiques et climatiques qui expliquent cette situation. Elles sont totalement protégées, même leur survol est interdit sauf autorisation expresse. On trouve également dans certaines d'entres elles, notamment dans la haute vallée de Beacon, des glaciers recouverts de blocs rocheux, produisant des formations très originales sur terre et offrant certaines analogies avec des sites martiens (Mars Crater Wall).

Ces sites ont été utilisés par le passé pour le test des « rovers » lunaires. Plus récemment, ils ont pu l'être pour ceux des rovers martiens.

Parmi les projets futuristes envisagés par la NASA, on note l'utilisation des lacs sous-glaciaires de l'Antarctique pour essayer, dans des conditions proches de la réalité, un « cryobot/hydrobot » qui serait capable de pénétrer sous la glace d'Europa, l'un des satellites de Jupiter, ou sous d'autres calottes glaciaires des corps célestes du système solaire.

Les conditions ne sont pour l'instant évidemment pas réunies puisque l'on ne dispose pas de technologies permettant d'éviter tout risque de contamination de ces lacs.

Pour l'Europe également, l'Antarctique peut offrir des possibilités nouvelles de test des matériels avant leur envoi dans l'espace, tout spécialement vers Mars.

L'expérience aujourd'hui la plus importante est le système de traitement des eaux de Concordia. En effet, les similitudes de la station avec une station spatiale, ou les conditions d'isolement d'un vol spatial de longue durée ont suscité l'intérêt de l'ESA. Elle correspond aussi aux obligations en matière de traitement des déchets des opérateurs polaires qui doivent les évacuer de l'Antarctique. Ils souhaitent aussi trouver les solutions in situ les plus performantes pour économiser la logistique.

Il fallait aussi trouver une solution performante pour la production de l'eau potable. Contrairement aux idées reçues, l'eau est en Antarctique une question difficile car le plus souvent les bases ne disposent d'aucune source d'eau douce liquide facilement accessible. La technique habituelle est la production à partir de la neige soit par fondoir, soit par puits. La technique du puits consiste à creuser jusqu'au niveau où la neige devient glace et injecter de l'eau chauffée pour faire fondre de la glace. Mais elle nécessite de changer souvent de site de pompage. La technique du fondoir implique la collecte journalière de neige en fonction de la consommation, ce qui peut devenir une vraie corvée car pour produire 2m3 d'eau, il faut collecter 4 à 5 m3 de neige. Un système de recyclage des eaux offre donc une très intéressante alternative.

Le principe du système de recyclage des eaux de Concordia est le traitement séparé des eaux grises et des eaux noires. Les eaux grises comprennent les eaux de lavage (corporel, sol, vaisselle, linge) et les eaux de cuisson. Les eaux noires rassemblent les déchets organiques (excréments humains, restes de repas, nourriture déclassée) et les boues issues des eaux grises. Pour assurer leur séparation, deux réseaux de collecte sous vide ont été installés.

Les tests ont aussi conduit à identifier les savons et produits de lavage susceptibles d'être admis par le système de recyclage et les doses utilisables. On ne choisit donc pas son gel douche à Concordia !

L'ensemble des rejets, par type, ont été modélisés par rapport à la population susceptible d'être présente sur la station : de 15 à 70 personnes. Ce sont donc 2,4 m3 d'eaux grises qui doivent pouvoir être traités.

Le traitement des eaux grises est assuré par une cuve pouvant recevoir toute la production journalière. Elle est brassée en permanence. Les eaux font l'objet de quatre filtrations, grossière d'abord, puis ultrafine (ultrafiltration - nano filtration), puis deux étages d'osmose inverse permettant d'éliminer les sels des produits de traitement. A l'issue de l'ultrafiltration, 90 % de l'eau sont récupérés. Les 10 % restants sont traités en eaux noires.

Cette unité a été mise en service en mars 2005. Elle avait, au préalable, été testée dans un lycée disposant d'un pensionnat au printemps 2004. Sa conception avait été achevée en juillet 2002 et sa construction fin 2003.

L'unité de traitement des eaux noires a aussi pour base une cuve susceptible de recevoir la production journalière (1,5 m3). Elle est brassée en permanence et fait elle aussi l'objet d'une filtration pour éliminer les particules abrasives susceptibles d'endommager les membranes. Le traitement des eaux noires fait ensuite appel à un réacteur anaérobie afin d'éviter tout échange avec l'extérieur, les injections d'air et les rejets de vapeur dans l'atmosphère et donc les odeurs. Le réacteur est composé de trois étages : liquéfaction (3 jours), méthanogénéïsation, nitrification (1,5 jour). L'eau issue du système est renvoyée vers le module de traitement des eaux grises tandis que le reliquat est congelé et rapatrié vers la côte puis dispersé en mer.

Par ces différents exemples, votre rapporteur souhaite souligner :

- la complémentarité croissante entre la recherche spatiale dans ses composantes scientifiques et technologiques et la recherche en milieu polaire ;

- le développement d'un nouveau corpus de recherche et d'activités ;

- leur caractère précurseur par rapport au calendrier des programmes d'exploration de notre système solaire.

Ainsi, à la fois complémentaires, novateurs et précurseurs, ces programmes méritent un réel soutien car ils sont également indispensables au succès des missions spatiales.

La présence de la France dans les régions polaires est ancienne. Les navigateurs français ont été parmi les pionniers, qu'il s'agisse de Bouvet et Kerguelen au 18e, de Dumont d'Urville au 19e ou Charcot au 20e siècle pour ne citer que les plus connus. Les Français ont aussi été parmi les premiers à se rendre au contact des peuples arctiques à la suite de Paul-Émile Victor et Jean Malaurie.

Une fois passé le temps de l'exploration et des premières découvertes, c'est une présence scientifique et permanente qu'il faut déployer pour mener des recherches dans ces milieux extrêmes.

A cet égard, la présence française se révèle très inégale au Nord et au Sud, appelant un certain rééquilibrage. Elle pourrait aussi être mieux coordonnée entre les différents intervenants.

Pour des raisons essentiellement historiques et territoriales, la présence française est très différente aux pôles Nord et Sud de notre planète.

La présence française en Arctique est faible.

Cette situation s'explique par la situation géopolitique propre à cette région. La France n'a, depuis l'abandon du Canada, revendiqué la souveraineté d'aucun territoire arctique. Or, toutes les terres au-delà du cercle polaire sont aujourd'hui sous la souveraineté d'un petit nombre d'états : États-unis, Canada, Islande, Norvège, Suède, Finlande et Russie. Il n'est donc pas possible d'y établir, sans convention internationale préalable, une base scientifique. Seuls quelques états bénéficient d'exception comme par exemple l'Allemagne, à laquelle la Russie a concédé une base sur l'Arctique à l'époque de la guerre froide, et qui l'a conservée.

L'établissement de bases scientifiques des pays tiers n'est possible que sur l'archipel du Svalbard qui est en partie internationalisé depuis le Traité de Paris dans les années 1920. Ce traité, s'il reconnaît à la Norvège le droit d'exercer les prérogatives de l'état souverain, permet aux autres états parties de s'y établir librement et d'y développer des activités scientifiques et économiques en franchise des impôts et taxes norvégiens.

La France y est présente à travers les bases scientifiques Charles Rabot, dans le village de Ny-Ålisund, et Jean Corbel (nom du scientifique qui a été à l'origine de la présence française à partir de 1963), à 6 km au sud-est. La première base permanente y a été installée par la Norvège en 1968 et a servi de point d'accueil pour un véritable village international de recherche.

Après un développement rapide autour de la personnalité de Jean Corbel, l'activité française a fortement diminué pour reprendre en suite progressivement à partir de 1974. En 1982, un groupe de recherche arctique a été créé et sera ensuite intégré à l'IFRTP, devenu IPEV.

La base Charles Rabot est un bâtiment de deux étages d'une superficie de 250 m² dans le village, tandis que la base Jean Corbel est une installation d'été capable d'accueillir une dizaine de personnes. La base Corbel est une base « propre », dont l'énergie est entièrement fournie par des sources renouvelables et non polluantes pour lui permettre de se spécialiser dans les études chimiques fines de l'atmosphère.

La France bénéficie aussi de points d'appui auprès d'autres pays pour mener certaines recherches comme aux États-Unis (Alaska), au Canada, au Groenland et en Suède (Kiruna). Au total, la France mène une vingtaine de programmes de recherche en Arctique.

Cette présence est peu importante au regard de ce que font d'autres pays comme l'Allemagne, pour ne pas prendre comme comparaison des pays comme les États-Unis ou la Russie.

Cette faiblesse est préjudiciable pour trois raisons principales :

- De très nombreuses thématiques de recherche menées dans un des deux pôles ont leur correspondant dans l'autre. C'est notamment le cas en glaciologie, mais c'est également le cas en océanographie ou en biologie. En effet quelques espèces d'oiseaux, comme le pétrel de Wilson, migrent chaque année des îles subantarctiques vers l'Alaska ou le Groenland.

- Pour l'Europe, les principaux enjeux politiques et économiques liés au changement climatique se situent en Arctique : évolution du Gulf Stream, affaiblissement de la banquise, déplacement des stocks de poissons, disparition d'espèces, ouverture de nouvelles zones d'explorations pétrolière et gazière, de nouvelles routes de communication et menaces sur les populations du grand Nord.

- L'équilibre de nos partenariats qui sont fondés sur des échanges de moyens et de connaissances, justifierait d'être, comme nos principaux partenaires, plus présent dans le grand Nord, comme un prolongement naturel de coopérations réussies en Antarctique.

Malgré l'intérêt scientifique et politique d'un tel développement, votre rapporteur doit faire le constat des limites budgétaires et humaines. En effet, l'IPEV n'est pas en mesure aujourd'hui de financer un plus grand développement de notre présence, une part croissante de ses moyens étant accaparée par l'affrètement du Marion Dufresne. En outre, en termes humains, les équipes de recherche intéressées sont elles aussi en manque de recrutement pour développer, autant qu'il serait possible et souhaitable, de nouvelles recherches.

Le renforcement de notre présence sera néanmoins indispensable si la France souhaite jouer durablement un rôle moteur dans la recherche dans ces régions et si elle veut donner corps à sa participation au Conseil arctique, organe politique réunissant les pays riverains.

Le Conseil arctique a été créé en 1996. Il réunit les huit membres riverains de l'Arctique : Canada, Danemark, États-unis, Finlande, Islande, Norvège, Suède et Russie. Cinq autres pays sont observateurs depuis 2000 : l'Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, la Pologne et l'Espagne (depuis 2006). Une quinzaine d'ONG et d'organisations internationales, ainsi que six associations des peuples du Nord y participent également comme observateurs. Il a pour objectif de protéger l'environnement arctique et de promouvoir de meilleures conditions de vie pour les peuples autochtones.

Notre pays souhaite pouvoir s'investir plus dans cet organisme et promeut la création d'un statut de membre associé lui permettant de participer pleinement aux groupes de travail. Ceux-ci sont au nombre de six :

- Arctic Council Action Plan (ACAP) - élimination des produits polluants dans l'Arctique (dioxine, mercure, pesticide) ;

- Arctic Monitoring and Assessment Programme (AMAP) - identification et évaluation des problèmes de pollution (activités pétrolières et gazières et polluants acidifiants) ;

- Conservation of Arctic Flora and Fauna (CAFF) - conservation de la biodiversité et utilisation des ressources vivantes ;

- Protection of the Arctic Marine Environment (PAME) - protection contre les activités terrestres et maritimes, notamment évaluation de l'impact de l'augmentation du trafic maritime ;

- Emergency, Prevention, Preparedness and Responses (EPRS) - prévention de la pollution, mesures de contrôle répondant aux situations d'urgence environnementale en Arctique ;

- Sustainable Development Working Group (SDWG) - relation pollution et santé des populations autochtones.

Votre rapporteur approuve cette orientation politique qui est conforme à nos intérêts diplomatiques, économiques et scientifiques.

A la grande différence de l'Arctique, la France bénéficie de positions enviées en Antarctique et dans l'océan austral.

En effet, pour des raisons là aussi historiques, la France dispose de plusieurs îles ou archipels : Kerguelen, Crozet, et Saint-Paul et Amsterdam.

Elle revendique aussi une portion du continent antarctique : la terre Adélie.

Très peu de pays disposent de telles possessions. Seuls sont comparables à certains égards les îles et bases britanniques, australiennes, néo-zélandaises et sud-africaines.

La France y déploie depuis une cinquantaine d'années des bases scientifiques sur chacune d'elles, menant une activité d'observatoire qui est mondialement reconnue aussi bien dans les sciences de la vie que dans les sciences de l'univers.

(Source : IPEV)

Les bases subantarctiques françaises et le Marion Dufresne :

- Kerguelen - La base de Port-aux-Français - 49°S-70°E

Kerguelen est le plus grand archipel subantarctique français avec 7 215 km², une superficie comparable à la Corse. La principale île est La Grande Terre, où culmine le mont Ross à 1 850 m. Le climat y est très pluvieux avec des vents violents. La première installation permanente date de 1949 autour de la station météorologique. Aujourd'hui, l'ensemble des installations représente une superficie de 9 000 m² permettant l'hébergement de plus de cent personnes en été et 60 personnes en hiver. Le CNES y est présent depuis 1994 avec une station de suivi des satellites.

- Crozet - La base Alfred-Faure - 46°S-51°E

L'archipel de Crozet est constitué de deux groupes d'îles distants de 100 km environ. L'île principale est celle de la Possession, d'une superficie de 140 km². La base Alfred-Faure y est installée depuis 1964. Elle accueille 15 personnes durant l'hivernage et une trentaine l'été. Les précipitations y sont très importantes (2,5 m/an).

- Amsterdam - Saint-Paul - La base Martin-de-Viviès - 37°S-77°E

L'île d'Amsterdam est d'une superficie de 58 km². La base Martin-de-Viviès y est installée depuis 1950. Une quinzaine de personnes peuvent y hiverner.

- Le Marion Dufresne II :

Le Marion Dufresne est le navire qui permet, quatre fois pas an, la desserte des districts austraux. Il assure le reste de l'année des missions scientifiques. D'une longueur de 120 m et d'une largeur de 20 m, il déplace 10 380 t. Il a été construit en 1995.

Il est la propriété des TAAF et est armé par la CMA-CGM.

Ce navire est à la fois :

. Un paquebot - 110 passagers - scientifiques et touristes,

. Un cargo avec 4 600 m3 d'emport (2 500 t) et 5 grues, dont 2 de 25 t,

. Un pétrolier pour le ravitaillement des bases,

. Un porte-hélicoptères,

. Un navire de recherche doté de 650 m² de laboratoires et d'un carottier latéral capable d'extraire les carottes sédimentaires les plus longues du monde (65 m) et d'un sondeur multifaisceaux.

Adapté pour la navigation dans l'océan austral, il n'est pas équipé pour naviguer dans les glaces. Il ne peut donc pas accéder à l'Antarctique sauf circonstances exceptionnelles. Sa zone d'action logistique est strictement limitée aux îles.

En matière scientifique, il est équipé de moyens automatiques de recueil de données sur ses parcours répétitifs annuels et effectue quelques campagnes dans les régions australes. Mais cette activité scientifique australe est très marginale dans l'activité océanographique.

Notre pays est aussi l'un des trois seuls, en coopération avec l'Italie, à disposer d'une base permanente à l'intérieur du continent antarctique. Seuls les Etats-Unis, à Pôle Sud, et la Russie, à Vostock, disposent de tels moyens. Toutes les autres stations de l'intérieur sont des camps d'été ne fonctionnant que quelques mois par an.

Les bases françaises en Antarctique :

La terre Adélie forme un secteur angulaire de 432 000 km² compris entre les 136e et 142e méridiens de longitude Est. Il a pour sommet le pôle Sud géographique et pour base la portion de côte de 350 km de long comprise entre les deux méridiens.

- La base Dumont d'Urville en terre Adélie - 66°S-140°E

La base Dumont d'Urville est située sur l'île des Pétrels dans l'archipel de Pointe Géologie, à 5 km du continent antarctique. Les Français y sont installés de manière permanente depuis 1956. Elle a été construite à l'occasion de l'année géophysique internationale dans le territoire revendiqué par la France et à proximité du pôle magnétique Sud, qui se trouve aujourd'hui en mer, au large.

Les conditions de vie n'y sont pas très confortables en raison de l'ancienneté des bâtiments et des vents catabatiques violents.

Les bâtiments représentent une superficie totale de 5 000 m². Une trentaine de personnes peuvent y hiverner. De novembre à mars, pendant l'été austral, ce sont cent personnes environ qui peuvent y opérer.

Une base annexe a été construite à Cap André Prud'homme, sur le continent. Elle est le point de départ des trois raids qui chaque année permettent d'apporter le fret jusqu'à Concordia (350 t par an au minimum). C'est le raid qui a permis le transport des 3 800 t nécessaires à la construction de Concordia.

- La base Concordia - Dôme C - 76°S-123°E

La base Concordia est le fruit d'une activité de recherche glaciologique qui avait débuté sous l'impulsion de Claude Lorius en 1974. Le projet de construction d'une base permanente s'est concrétisé par un accord franco-italien entre l'IPEV et le PNRA (Programme national de recherche en Antarctique) en date du 9 mars 1993.

Elle est la 3e base permanente à l'intérieur du continent. Elle est située à plus de 1 000 km de la côte et à 3 233 m d'altitude. La base antarctique la plus proche est la base de Vostok, à 560 km.

Elle est composée principalement de deux bâtiments cylindriques de trois étages posés sur la glace. La superficie totale est de 1 500 m². Elle peut abriter environ 15 personnes, dont 9 scientifiques, pour un hivernage de 9 mois, et 30 personnes l'été.

Les conditions climatiques y sont extrêmes : - 51°C en moyenne (record de - 84 °C) mais avec très peu de vent et de précipitations (- 10cm).

En dehors de la liaison par raid, Concordia est atteignable via les petits avions Twin Otter permettant l'emport d'une tonne de charge. Ce moyen sert essentiellement pour le transport des personnes. Environ 40 vols ont lieu chaque année.

C'est dire si notre pays bénéficie d'une position privilégiée et bien affirmée.

Cette présence dans ces terres éloignées est nécessairement très coûteuse, qu'il s'agisse d'assurer leur accessibilité, l'entretien des matériels et des bâtiments et leur mise en valeur par le développement d'activités de recherche. Elle est donc soumise au risque permanent de désintéressement et de désengagement de la métropole, où il peut être difficile de prendre pleinement conscience de l'isolement et de la dureté du climat.

L'île Crozet est distante de la Réunion de 2 850 km et les îles Amsterdam et St-Paul de 2 880 km. Les Kerguelen sont encore plus éloignées puisqu'il est nécessaire de franchir 1 420 km à partir de Crozet et 1 480 km à partir de St-Paul... La base Dumont d'Urville est, elle, située à 2 700 km de son port le plus proche : Hobart en Tasmanie. Concordia est, elle, distante de 1 100 km de la côte à partir des bases DDU ou Casey (Australie) ou Mario Zuchelli (Italie, 1 200 km).

Il faut aussi prendre en compte le climat qui rend, dans la majeure partie de l'année, extrêmement difficile ou impossible tout contact physique en raison du froid, du vent et de la force de la mer. Enfin, aucune de ces bases ne dispose de pistes pouvant permettre de recevoir des avions gros porteurs et longs courriers.

Il n'est donc guère envisageable de coopérer avec un autre partenaire pour la desserte logistique des îles. En Antarctique la situation est un peu différente compte tenu de la coopération avec l'Italie, mais nécessairement complexe en raison de l'isolement géographique de nos bases.

A ce coût difficilement compressible s'ajoutent les frais d'entretien des bases elles-mêmes qui sont très éprouvées par le climat. En Antarctique, où les équipes d'hivernage sont laissées sans aucun secours possible pendant plusieurs mois, la sécurité ne peut être négligée.

Enfin, au-delà de ces données intangibles dans cette partie du monde, il faut ajouter que, comme pour l'Arctique, l'intérêt international pour l'Antarctique va croissant. De plus en plus de pays souhaitent y être présents de manière temporaire ou permanente.

La Chine a ainsi la volonté d'installer dans l'avenir une base continentale permanente sur le sommet de la calotte de glace antarctique, point le plus inaccessible et le plus élevé, le Dôme Argus, à 4 083 m d'altitude.

L'isolement des bases françaises fait que notre pays y est peu confronté dans sa zone mais cette évolution est très sensible dans la Péninsule et même dans la partie proche de l'Afrique du Sud. Dans la zone subantarctique, il est évident que plusieurs pays seraient immédiatement intéressés par nos bases si nous ne devions plus les utiliser.

Plus globalement, la France doit être attentive, en s'appuyant sur ses positions acquises, à rester dans le peloton de tête des nations antarctiques, alors qu'un plus grand nombre y est actif.

Votre rapporteur préconise donc de conforter la présence française dans l'océan austral et en Antarctique, et de poursuivre le développement concomitant de nos activités en Arctique en coopération avec nos partenaires, procédant ainsi à un certain rééquilibrage.

Notre présence ne doit pas seulement être confortée et développée, elle doit aussi être mieux coordonnée. Votre rapporteur reste frappé par la complexité de l'organisation de notre présence. Certes, la France n'est pas seule à être confrontée à cette difficulté, mais les visites effectuées à l'étranger conduisent tout de même à penser que, sans être totalement unifiée, la situation y est plus simple du fait de l'existence de un ou deux acteurs majeurs.

En France, de très nombreuses administrations ou institutions interviennent dans le domaine polaire en partageant toujours avec d'autres leurs compétences. Les principales sont : l'outre-mer et les TAAF, la recherche et l'IPEV, et le ministère des affaires étrangères. Les ministères de tutelle n'ont pas, en général, une vision précise de ce que devrait être la stratégie française dans ces régions. Les TAAF ne sont pas compétentes en Arctique, puisqu'il n'y a pas de territoire français, et même dans les zones subantarctique et surtout antarctique, la compétence est-elle de jure ou de facto partagée avec l'IPEV, l'essentiel de l'activité étant la recherche ? De même, le ministère des affaires étrangères conduit la délégation française dans toutes les conférences dépendant du traité de l'Antarctique. Mais les questions relatives à l'Arctique ne sont pas suivies par les mêmes directions (Europe du Nord et Amérique du Nord).

En fait, aucune administration n'a en charge la formulation d'une vision synthétique et stratégique de notre présence au pôle Nord et au pôle Sud. Pourtant, comme votre rapporteur le soulignait, la France et ses chercheurs y retrouvent largement les mêmes intervenants étrangers. Les partenariats se développent naturellement avec la confiance et la connaissance mutuelle, du ponctuel et du temporaire vers des relations globales et bipolaires. C'est le cas avec les États-unis et avec l'Allemagne, de plus en plus avec l'Italie. La Russie est demandeuse de coopération en Arctique avec la France en raison du succès de celles entreprises en Antarctique. Une telle approche pourrait également se développer avec plusieurs autres pays.

Il est également frappant de constater que les recherches en milieu polaire sont loin de n'avoir qu'une dimension scientifique car elles sont très symboliques et politiques. Comme dans le spatial, la présence aux pôles est la marque d'une nation puissante et scientifiquement développée. Au-delà de la seule présence, certaines découvertes peuvent avoir une dimension politique marquée. En Russie, le programme lunaire avait le même nom Vostok que la station continentale en Antarctique établie en 1957, nom qui était celui d'un des deux vaisseaux27 de Fabian von Bellingshausen. Aujourd'hui, la Russie tient à montrer sa capacité technologique retrouvée en étant la première à entrer dans un lac sous-glaciaire et à en tirer les enseignements. La Chine, de son côté, focalise ses ambitions sur le Dôme A. Cette région est en effet celle sur laquelle les espoirs des scientifiques se concentrent pour reconstituer le climat au-delà d'un million d'années. On comprend toute l'importance symbolique qu'aurait pour la Chine la paternité d'une découverte aussi importante au moment où elle se développe si vite, alors que, en tant que pays en développement, elle n'a pas d'obligation de réduction de ses émissions dans le cadre du protocole de Kyoto qui doit être renégocié d'ici 2012.

En dehors des grandes nations, il est également évident que la présence en Antarctique est un élément de visibilité important. A cet égard, l'exemple de la Belgique est intéressant, puisque ce pays a décidé de construire une station neuve28 pour l'année polaire internationale dans la région où avait été construite celle de l'année géophysique internationale et ainsi de renouer avec la tradition belge d'exploration d'Adrien de Gerlache à bord du navire Belgica. N'aurait-il pas été pourtant plus facile pour ce pays de s'associer à un autre disposant déjà d'une station ? N'aurait-il pas été politiquement symbolique de s'intégrer à une coopération européenne déjà existante comme sur Concordia ? Force est de constater que cela n'a pas été le cas. Sans doute le symbole national d'une station belge unie et indépendante en Antarctique est-il trop important alors que ce pays connaît de forte dissensions.

Les régions polaires offrent aussi aux micro-états l'occasion de développer une action internationale, comme Monaco avec l'action du Prince Albert II, dans la continuité de l'action scientifique de son grand-père.

Face à ces enjeux, votre rapporteur estime que la France devrait se doter d'un véritable « pilote » de notre présence aux pôles. Il aurait pour responsabilité de développer une vision synthétique, politique et stratégique de notre action et de nos partenariats au Nord et au Sud. Il serait chef de file des délégations françaises dans l'ensemble des réunions et conventions internationales traitant de l'Arctique ou de l'Antarctique.

Plusieurs solutions sont envisageables.

La première serait de confier cette mission au directeur de l'Institut Paul-Émile Victor, organisme intervenant au Nord et au Sud et négociant les partenariats. Votre rapporteur y serait favorable. Cependant, l'IPEV a une mission essentiellement technique d'opérateur en lien avec le monde de la recherche. De plus son directeur, chercheur de formation, n'est pas nécessairement familiarisé avec les aspects politiques, juridiques et diplomatiques. Il lui faudrait, en outre, s'appuyer sur une équipe plus étoffée.

La deuxième option serait de créer un poste d'ambassadeur pour les questions polaires comme cela se fait pour d'autres sujets transversaux et de grandes thématiques comme les droits de l'homme ou l'environnement. Cela permettrait de donner une continuité et une visibilité à la présence française dans les questions arctiques et une unité plus affirmée pour les réunions internationales ayant trait à l'Antarctique. Elle serait également conforme aux caractères diplomatiques et juridiques marqués de ces négociations. Cet ambassadeur aux questions polaires pourrait s'appuyer pour les questions techniques sur les administrations compétentes, et bien évidemment sur l'IPEV pour toutes les questions de recherche.

Une grande partie des difficultés de l'organisation administrative française dans la zone australe s'expliquent non seulement par la compétence de plusieurs administrations, mais surtout par le fait qu'elles obéissent à des philosophies et poursuivent des objectifs différents et parfois contradictoires.

_ Les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF)

Les TAAF sont une collectivité territoriale spécifique inscrite à l'article 72-3 de la Constitution, issu de la loi constitutionnelle n°2003-276 du 28 mars 2003 qui dispose : « La loi détermine le régime législatif et l'organisation particulière des Terres australes et antarctiques françaises ». Elle constitue désormais une collectivité sui generis différente des collectivités d'outre-mer (COM) définies par l'article 74 de la Constitution. La collectivité avait été créée par la loi n°55-1052 du 6 août 1955 et résulte de la séparation des îles subantarctiques de Madagascar. Elle n'a ni population permanente, ni assemblée élue. Elle est dirigée par un préfet administrateur supérieur29 dont les missions et pouvoirs sont définis par un décret du 18 septembre 1956, modifié en 2003. La collectivité est dotée d'un Conseil consultatif de 7 membres nommés pour cinq ans30. Les TAAF ont été dotées d'un budget de 38 millions €, en 2006, et de 40 personnes. Elle est basée à Saint-Pierre de la Réunion depuis 1997. Sur ce budget, une part importante des recettes, soit 1/3 environ, est fournie par la vente de services à l'IPEV.

Principaux éléments du budget des TAAF en 2006
(Budget primitif en milliers d'euros)

Recettes

 

Prestations aux organismes de recherche

9 334

- dont IPEV

dont Marion Dufresne

- Autres organismes

7 144

6 544

2 190

Subvention de l'Etat

dont - dotation de fonctionnement

- subvention d'investissement

6 600

5 208

592

Droits de pêche et pêche illicite

dont - droits de pêche

- produits exceptionnels pêche illicite

5 688

5 080

608

Produits philatéliques

1 700

Dépenses

 

Navires

dont - Marion Dufresne

- Astrolabe

- Osiris

13 100

11 500

850

750

Personnel

2 557

Constructions

1 447

Matériels et outillage

1 185

La collectivité a pour missions principales d'affirmer la continuité de l'appropriation française de ces territoires et d'en assurer la mise en valeur.

En effet, pour une terre sans maître comme l'étaient ces îles isolées, le droit international exige non seulement une prise de possession mais également une occupation et des activités étatiques permanentes ou du moins régulières manifestant l'exercice de la souveraineté et le lien avec la métropole. Ce fut longtemps la raison de notre présence sur place, qui avant d'être scientifique était militaire. L'administrateur supérieur a d'ailleurs longtemps été un officier général de la Marine nationale.

En outre, en tant que chef de la collectivité, le préfet a la mission d'en assurer le développement économique. Plusieurs tentatives infructueuses, avant sa création, sont restées célèbres dans l'histoire des îles subantarctiques, qu'elles soient fondées sur la chasse, la pêche ou l'élevage car certaines se sont achevées de manière dramatique. Sur les îles elles-mêmes, on trouve les restes archéologiques de ces activités. Il en subsiste aussi des traces par les espèces invasives qui y ont été introduites dans l'espoir d'une rentabilité : moutons, vaches, saumons et truites...

Aujourd'hui, la principale ressource est l'organisation durable des pêcheries à la légine sur Crozet et Kerguelen (6 000 t environ) et à la langouste sur Saint-Paul et Amsterdam (400 t environ) dont les TAAF tirent une part importante de leurs recettes (5 M€). La seule pêche à la légine représente un chiffre d'affaires de l'ordre de 30 millions d'euros. Elle est organisée dans une zone économique exclusive (ZEE) de près de 1,8 million de km², soit trois fois la surface du territoire métropolitain. Le préfet a compétence pour fixer le total admissible de capture (TAC) et attribuer les quotas. Des scientifiques, notamment du Muséum national d'histoire naturelle (MNHN) et du laboratoire de Chizé interviennent comme conseillers scientifiques, que ce soit pour l'évaluation des stocks, la définition des méthodes de pêche et la réduction des prises accidentelles d'espèces protégées. Les oiseaux ont beaucoup souffert de la pêche à la palangre car ils venaient manger les appâts sur les hameçons lors de leur mise à l'eau et coulaient ensuite avec. Il a donc fallu imposer la mise à l'eau des lignes uniquement la nuit. Malheureusement, certaines espèces, comme les pétrels à menton blanc, pêchent la nuit et sont donc toujours victimes de cette technique. D'autres solutions sont donc à trouver.

Dans le cas des orques, la situation est très inquiétante. Très intelligentes, elles ont compris qu'elles pouvaient s'alimenter sur les lignes des pêcheurs à la légine lorsqu'ils les remontent à la surface, ne laissant que la tête accrochée à l'hameçon et provoquant des pertes très importantes (+ 30 %). Dès lors, les pêcheurs peu scrupuleux éliminent-ils les orques. Des bateaux pirates ont même été arraisonnés avec de la dynamite à bord à cet effet ! Cette pratique est bien évidemment interdite sur les bateaux pêchant légalement dans notre ZEE. Mais, sur Crozet, où toute la population d'orques avait été identifiée et suivie lors de campagnes successives depuis 1964 grâce à la photographie de leur nageoire dorsale qui, par ses encoches et cicatrices, leur sert de carte d'identité, une chute brutale a été constatée. En 1988-1989, il y avait 93 individus, mais seulement 43 en 1998-2000. De même, entre 1981 et 1990, neuf jeunes avaient été observés contre seulement un seul entre 1991 et 2000. La population est gravement déstabilisée et la réduction du nombre des femelles fait craindre sa disparition.

Face à une pêche illicite très importante - sans doute le double du quota autorisé - à partir de 1996, le Gouvernement a décidé de mobiliser des moyens militaires de la Marine nationale. C'est le préfet de La Réunion qui a autorité en matière d'action de l'État en mer dans la zone sud de l'océan Indien. Il a autorité générale de police administrative en mer et est responsable du respect des lois, de la sauvegarde des droits souverains, du maintien de l'ordre public et de la sécurité des personnes et des biens. Le commandement maritime de La Réunion lui apporte son concours dans ces missions. Pour la surveillance des pêches, la Marine mobilise trois bâtiments, les frégates Nivôse et Floréal et le patrouilleur Albatros, pour un total de 250 jours de présence en mer dans la ZEE. Un patrouilleur supplémentaire, l'Osiris, est financé par les TAAF et le Conseil régional. Ce navire avait été arraisonné et confisqué en 2003 par la Marine, sur les 23 arraisonnés depuis 1997. L'efficacité opérationnelle de la Marine a été fortement renforcée par la mise en place, en février 2004, d'une surveillance satellitaire. Le satellite Radarsat permet de prendre des clichés depuis l'espace où il est possible de dénombrer les navires présents, d'identifier les navires pêchant illicitement, de les localiser et d'intervenir rapidement. Si la pêche illégale a beaucoup diminué dans notre zone, elle s'est déplacée vers les eaux internationales en marge de celle-ci. Ce succès ouvre désormais la voie à des coopérations internationales avec les pays qui rencontrent les mêmes difficultés : l'Afrique du Sud (île Marion), l'Australie (île Heard et îles McDonald) avec laquelle un accord a été signé le 23 novembre 2003. Cette coopération est un vrai succès puisqu'elle permet aux deux pays de planifier conjointement leur action, les bâtiments français peuvent même patrouiller dans les eaux australiennes.

Cette mission est menée avec efficacité pour le plus grand profit des armateurs réunionnais et de l'emploi local avec 45 millions d'euros de chiffre d'affaires et 250 emplois à temps plein. Six armements, soit huit bateaux, sont autorisés à pêcher. Les exportations de la grande pêche australe sont devenues les deuxièmes plus importantes à partir de l'île de La Réunion.

Ce secteur n'a pas achevé son développement car d'autres stocks sont vraisemblablement exploitables dans ces zones.

Cependant, le développement économique n'offre pas des possibilités illimitées, notamment le tourisme, compte tenu des distances et de l'absence de liaisons aériennes.

Ces deux missions - affirmation de la souveraineté et mise en valeur économique - peuvent d'ailleurs parfois entrer en conflit avec le système antarctique qui exclut toute appropriation nationale et impose une protection très complète de l'environnement. Ainsi, n'est-il pas possible pour la collectivité des TAAF de lever une taxe sur des navires étrangers accostant en terre Adélie ou de développer du tourisme via des infrastructures permanentes. De même la logique de la recherche, notamment en biologie, tournée vers l'étude des animaux et leur préservation dans un environnement vierge de toute intervention humaine, peut paraître contradictoire avec la logique d'exploitation des ressources animales marines. Dans ce cas précis, une collaboration efficace s'est instaurée entre les TAAF et les chercheurs afin d'optimiser les périodes et les méthodes de pêche. Elle a donné de très bons résultats, les pertes d'oiseaux diminuant de manière très importante. Il en est de même du tourisme.

_ L'Institut polaire français Paul-Emile Victor (IPEV)

L'IPEV se trouve naturellement dans une logique très différente, car il s'agit d'une agence de moyens, dévolue à la recherche.

Ainsi, la localisation de la recherche n'obéit pas à une logique territoriale ou d'affirmation de souveraineté. Les chercheurs français mènent des recherches dans certaines zones pour des raisons logistiques et historiques de positionnement de notre présence. Mais la multiplication des coopérations et les facilités de communication conduisent au développement de recherches hors zone de souveraineté.

C'est tout particulièrement le cas de la station Concordia qui se trouve dans le secteur revendiqué par l'Australie et non en terre Adélie, à la différence de la petite station Charcot qui avait été installée 317 km à l'intérieur de la terre Adélie. La comparaison s'arrête cependant là puisque cette station ne pouvait accueillir que trois hommes dans 20 m² et n'a été utilisée que trois ans. Le positionnement de la station Concordia n'a pas été déterminé par la volonté de poursuivre la revendication d'une souveraineté sur une partie de l'Antarctique mais par des raisons scientifiques : le lieu du forage EPICA sur le Dôme C.

Cette position géographique surprend certains observateurs. En effet, il est peu d'autres exemples de pays possessionnés ouvrant une station en dehors de leur zone revendiquée. Le Royaume-Uni a même clairement donné mission au BAS d'affirmer la présence britannique, alors que celle-ci est contestée pour partie par le Chili et l'Argentine. Le BAS s'interdit donc certaines activités en dehors de cette zone et bien évidemment en Arctique, auquel il n'a pas le droit de consacrer plus de 5 % de son budget.

A ces divergences d'approches et d'objectifs, s'ajoute un partage d'une des missions les plus importantes de ces deux intervenants : la logistique. Celle-ci représente l'essentiel des budgets et est la source de conflits réguliers. Certes la convention du 28 avril 2003 a beaucoup amélioré les choses par rapport à celle de 1992, mais il y a encore certainement des progrès à faire, comme l'avait souligné la Cour des Comptes dans son rapport public pour 2005. La règle générale est que les TAAF assurent la logistique des bases subantarctiques tandis que l'IPEV assure celle de la terre Adélie. Mais le partage est en réalité plus complexe puisque, dans les bases subantarctiques, les TAAF assurent la logistique générale tandis que l'IPEV prend en charge celle des programmes scientifiques. De même en terre Adélie, les TAAF supportent 1/3 environ du poids financier de l'Astrolabe et d'autres éléments de la base, dont le salaire du chef de district. Cette situation s'accompagne de relations financières complexes marquées par des sous-affrètements et reversements entre les deux organismes, conduisant la Cour à demander une simplification et la suppression des doublons.

Sans modifier l'esprit de la coopération scientifique en Antarctique, votre rapporteur propose que l'IPEV reçoive deux nouvelles missions statutaires :

- affirmer la présence française dans les régions polaires et tout particulièrement dans les territoires sous souveraineté française ou revendiqués par la France, à travers les activités de recherche,

- participer au développement d'une coopération européenne structurée, tout en poursuivant une collaboration avec les autres partenaires étrangers.

Parallèlement, les TAAF pourraient voir préciser dans leurs missions que la valorisation du territoire passe par le développement de l'activité de recherche.

Ces deux entités seraient ainsi plus susceptibles de partager les mêmes objectifs alors qu'elles partagent souvent les mêmes moyens.

A cet égard, votre rapporteur soutient le principe d'une clarification des rapports entre les TAAF et l'IPEV.

La recherche en milieu polaire a elle-même besoin d'être mieux coordonnée et mieux soutenue financièrement.

L'IPEV a été constitué sous la forme juridique d'un groupement d'intérêt public (GIP) à la suite de la signature du contrat constitutif le 2 avril 1992.

Ce nouvel Institut avait pour objectif de donner plus de visibilité et de cohérence à la présence française dans les régions polaires. En effet, l'IPEV reprenait la gestion des infrastructures en terre Adélie, placées jusque là sous la responsabilité des expéditions polaires françaises (EPF, association loi 1901 héritière de Paul-Émile Victor). Il reprenait aussi les activités de recherche dans les TAAF, menées jusque là par la mission de recherche des Territoires. S'y ajoutaient, dès cette époque, la volonté de mener à bien le projet de station continentale à Dôme C et la prise en compte de missions océanographiques.

Le GIP a été prorogé pour douze ans, soit jusqu'en 2014, par arrêté ministériel du 8 décembre 2001 s'appliquant à compter du 8 janvier 2002.

A cette occasion, évoquons le nom de l'Institut. Il a abandonné sa première dénomination d'« Institut français pour la recherche et la technologie polaires - Expéditions Paul-Émile Victor » pour l'actuelle d'« Institut polaire français - Paul-Émile Victor ». Plus simple, il marque une évolution et une autonomisation progressive. Il s'éloigne de la mission liée strictement aux TAAF et à l'Antarctique. L'Institut prend aussi ses distances avec la période des « expéditions » menées sous la direction du personnage charismatique de Paul-Émile Victor. 

C'est le succès de l'IPEV qui a conduit à renouveler le GIP, ainsi en préambule est-il souligné : « Considérant que depuis sa création, le groupement a su mener, dans les zones polaires et sub-polaires, des opérations logistiques au bénéfice de programmes de recherche conduisant à des percées scientifiques majeures à fort rayonnement international.

« Considérant l'intérêt qui s'attache au renouvellement du groupement dans la mesure où il garantit une meilleure visibilité des programmes de recherche et de technologie polaires menés par la France et un meilleur suivi des moyens qui y sont affectés. »

L'IPEV se définit comme une agence nationale de moyens et de compétences au service de la recherche dans les milieux polaires arctique et antarctique dont l'isolement et l'environnement climatique justifie une technicité adaptée. A contrario, ce n'est donc pas un établissement de recherche.

Son objet est ainsi défini à l'article 2 de la convention constitutive :

. Il intervient dans une zone géographique particulière : les régions polaires arctique et antarctique et les zones subarctique et subantarctique.

. Il lui revient de :

« coordonner, soutenir et mettre en œuvre, en qualité d'agence de moyens, des programmes scientifiques et technologiques nationaux et internationaux, sélectionner et soutenir des actions scientifiques et technologiques ;

« organiser et animer des expéditions scientifiques » (recrutement du personnel scientifique et technique, affrètement de navires pour acheminer personnels et matériels sur les sites, organisation globale des missions de la métropole jusqu'au terrain) ;

« participer à la concertation scientifique et logistique internationale sur les régions polaires en entretenant des rapports permanents avec ses homologues étrangers ;

« encourager le développement de la connaissance scientifique et technologique et susciter l'intérêt du public pour ces régions ;

« réunir et gérer une documentation ouverte dans ces domaines ;

« mettre en place et assurer le fonctionnement d'observatoires de recherche ;

« également de réaliser des campagnes océanographiques au moyen des navires qui lui sont confiés ;

« Il participe dans les domaines de ses compétences au développement de la coopération européenne ».

Il met donc à la disposition des infrastructures d'accueil pour les scientifiques dans ces régions : construction, gestion et entretien de bases ou bâtiments, acquisition et maintenance d'équipements scientifiques.

Le GIP réunit l'ensemble des acteurs principaux amenés à intervenir dans les recherches en milieu polaire. Depuis le renouvellement et le retrait du ministère de l'outre-mer et l'adhésion du ministère des affaires étrangères et du Commissariat à l'énergie atomique, sont réunis au sein de l'IPEV, outre les deux derniers :

. Le ministère de la recherche,

. Les TAAF,

. Le CNRS,

. Le CNES,

. Météo-France,

. L'Ifremer,

. Les expéditions polaires françaises.

Leurs droits et obligations respectives sont réparties de la manière suivante :

. Ministère de la recherche - 49 %

. CNRS - 36 %

. CEA - 5 %

. Ifremer - 5 %

. Les autres : 1 % chacun, c'est notamment le cas des TAAF.

Les contributions financières à l'Institut ne sont pas exactement proportionnelles à ces quotes-parts.

Le conseil d'administration (article 17) est composé des membres désignés par les parties au GIP, auxquels s'ajoutent ceux désignés avec voix consultative par les ministères du budget, de l'environnement, de l'outre-mer, ainsi que le commissaire du Gouvernement nommé par le ministère de la recherche, le contrôleur d'Etat, le directeur de l'IPEV et deux personnalités qualifiées.

Le mandat d'administrateur est de quatre ans. Il est exercé gratuitement et personnellement.

La présidence du conseil d'administration revient à l'une des deux personnalités extérieures, aujourd'hui M. Jean Jouzel.

Composition du conseil d'administration au 31 décembre 2005 :

- M. Jean-Paul MONTAGNER, ministère de la recherche,

- M. Christian THIMONIER, ministère des Affaires étrangères,

- Mme Sylvie JOUSSAUME, CNRS,

- M. Jean-Yves PERROT, IFREMER,

- M. Yves CARISTAN, CEA,

- Mme Geneviève DEBOUZY, CNES,

- M. Jean-Pierre MAC VEIGH, Météo France,

- M. Michel CHAMPON, TAAF,

- M. Jacques SOYER, EPF.

Participants avec voix consultative :

- M. Jean-Pierre GUARDIOLA, ministère de l'outre-mer,

- Mme Laurence PETITGUILLAUME, ministère de l'environnement,

- Mme Florence GOURGEON, ministère du budget

- M. Philippe IMBERT, commissaire du Gouvernement,

- M. Jean-Claude MOREL, contrôleur d'Etat,

- M. Jean JOUZEL, président,

- M. Jacques DESCUSSE, personnalité extérieure

- M. Gérard JUGIE, directeur de l'Institut.

Le conseil d'administration se réunit au moins deux fois par an. Il a la responsabilité de toutes les décisions importantes concernant l'Institut.

Il nomme notamment le directeur pour un mandat de 4 ans, renouvelable. Celui-ci assure le fonctionnement de l'Institut sous l'autorité du conseil d'administration. Il a pouvoir d'engager l'Institut vis-à-vis des tiers (article 18).

L'Institut est aussi doté d'un Conseil des programmes scientifiques et technologiques polaires (article 19).

Son rôle est très important dans le fonctionnement de la recherche car il émet des avis et recommandations sur :

. la mise en œuvre des programmes scientifiques et les projets de campagnes en mer ou à terre confiés à l'Institut,

. les actions scientifiques et techniques de l'Institut,

. la politique de coopération scientifique et logistique de l'Institut au plan international.

Il a aussi le pouvoir de proposer d'autres thèmes de recherche.

Il doit également être tenu informé des moyens mis en œuvre pour traiter les données scientifiques et assurer la diffusion des résultats.

Enfin, il s'assure que les organismes qui proposent de nouveaux programmes possèdent les moyens suffisants en matériel et en personnel, pour mener à bien en métropole, le cas échéant avec le soutien de l'Institut, la préparation, l'interprétation et la publication des données scientifiques et technologiques recueillies.

Il est composé de 16 membres répartis de la manière suivante :

. Le président du comité de l'environnement polaire,

. Cinq proposés par le CNRS, l'IFREMER, Météo-France, le CNES et le CEA,

. Dix sur proposition du ministre de la recherche, dont cinq étrangers.

Leur mandat est de quatre ans, renouvelable une fois. Il s'exerce à titre gratuit.


Composition du Conseil des programmes scientifiques et technologiques polaires
:

- M. Edouard BARD, président, Collège de France,

- M. Eric BRUN, Météo France,

- M. Dorthe DAHL-JENSEN, Université de Copenhague,

- M. Patrick DUNCAN, CNRS-CEBC,

- Mme Thérèse ENCRENAZ, CNRS-Observatoire de Paris,

- Mme Françoise GAILL, CNRS-Université de Paris VI,

- M. François GUYOT, CNRS-Université de Paris VI,

- M. Jeronimo LOPEZ, Université autonome de Madrid,

- Mme Valérie MASSON-LAMOTTE, CNRS-CEA,

- M. Jean-Robert PETIT, CNRS-Université de Grenoble I,

- M. Jason PHIPPS MORGAN, Geomar Forschungszentrum

- M. Victor SMETACEK, Institut Alfred Wegener,

- M. Jorn THIEDE, Institut Alfred Wegener,

- M. Paul TREGUER, vice -président, CNRS-UBO-IUEM,

- M. Nigel G. YOCCOZ, Institut norvégien pour la nature,

- M. Alain PUGET, président du comité régional d'éthique pour l'expérimentation animale du CNRS-Midi Pyrénées.

Enfin, les statuts abordent les questions relatives aux brevets et à l'exploitation des résultats (article 21). Les dispositions sont peu détaillées mais mentionnent que les travaux effectués dans le cadre de l'Institut ou avec des partenaires extérieurs doivent faire l'objet de conventions précisant la propriété des résultats et que des contrats spécifiques seront conclus en vue de leur éventuelle exploitation.

« Simple » agence de moyens de création récente et de petite taille, l'IPEV semble, selon certains, devoir faire l'objet d'une réorganisation administrative et budgétaire.

A la suite d'une année d'investigations en France et au regard des différents modèles étrangers rencontrés, cinq grandes solutions sont envisageables pour cette réforme : le rattachement de l'IPEV aux TAAF, le rattachement d'une partie des compétences des TAAF à l'IPEV, le rattachement de l'IPEV à l'IFREMER, le rattachement de l'IPEV au CNRS, la constitution d'un grand institut polaire de recherche.

· Le rattachement de l'IPEV aux TAAF

La séparation des missions scientifiques australes de l'administration des TAAF, il y a maintenant 15 ans, semble toujours être un sujet de friction, puisque la recherche constitue l'essentiel de l'activité de ces territoires.

De fait, l'action concurrente de ces deux administrations et les relations complexes de coopération qui les lient sur ces territoires extrêmes sont la source de problèmes récurrents.

Dans son rapport public pour 2005, la Cour des comptes avait mis en lumière ces « nombreux conflits » liés à l'entremêlement des compétences et au partage des coûts. Elle appelait de ses vœux une clarification statutaire et budgétaire.

Cette situation a inspiré une première proposition de réforme : revenir à la situation antérieure où les missions scientifiques étaient clairement subordonnées au préfet administrateur supérieur. Elle aurait certains avantages comme une simplification attendue de certaines procédures et peut-être la disparition de certaines difficultés.

Pourtant, ce serait mettre de côté les raisons de fond, qui, en Antarctique, avaient conduit à la séparation et à la création d'un Institut autonome : statut spécifique de l'Antarctique, difficulté de développer la coopération scientifique entre une administration de nature préfectorale liée à un territoire particulier et les autres acteurs de la recherche française et internationale.

S'y ajoute la nécessité pour la France de développer sa présence dans l'Arctique. Les TAAF n'y sont pas compétentes et ne peuvent l'être puisque les bases sont situées sur des territoires sur lesquels s'exerce une souveraineté étrangère.

Par ailleurs, la spécificité des TAAF risque d'être diluée par le rattachement des îles Éparses et de Clipperton confortant plus leur mission de gestionnaire de zones de pêches que de développement de la recherche dans les zones polaires.

· Le rattachement de certaines compétences des TAAF à l'IPEV

Pour résoudre les difficultés évoquées ci-dessus, certains imaginent une deuxième solution qui rapprocherait l'IPEV du British Antarctic Survey (BAS) ou de l'Australian Antarctic Division (AAD) et qui consisterait à confier l'essentiel des missions des TAAF à l'IPEV. En effet, le BAS a dans ses missions l'affirmation de la souveraineté britannique sur des îles subantarctiques et sur une partie du continent, tout en ayant pour vocation principale la recherche. Cette mission s'exerce sous la tutelle vigilante d'un bureau du Foreign Office. Concrètement, le BAS est quasiment le seul intervenant britannique en Antarctique et dans les îles subantarctiques britanniques.

Dans le cas de l'IPEV, cela consisterait à lui confier l'ensemble des missions du préfet, la police des pêches et les missions de police administrative et judiciaire exceptées. Ces dernières missions seraient confiées au préfet de La Réunion.

Cette réforme rencontrerait, elle aussi des obstacles importants. Depuis la réforme constitutionnelle de 2003, les TAAF sont expressément mentionnées au dernier alinéa de l'article 72-3 de la Constitution. Leur organisation est fixée par la loi. Il convient également de se rappeler que la création des TAAF, il y a une cinquantaine d'années, avait pour but de renforcer la présence de la France dans ces territoires. Cet objectif est aujourd'hui toujours valide puisque l'intérêt pour ces régions est croissant et que la France y dispose d'atouts particuliers. S'ajoutent à ces difficultés d'ordre juridique et politique, des difficultés administratives liées aux champs de compétence des différents ministères et aux traditions françaises, dans lesquelles il n'est pas usuel de confier l'administration de territoires à une organisation scientifique.

· Le rattachement de l'IPEV à l'IFREMER

La taille et les moyens limités de l'IPEV par rapport à d'autres grandes agences ou établissements de recherche peuvent apparaître comme des arguments au rattachement de l'Institut polaire à de plus grands partenaires français.

Le premier d'entre eux serait l'absorption de l'IPEV par l'IFREMER. Trois arguments principaux plaident en ce sens : l'importance de l'activité océanographique de l'IPEV à travers le Marion Dufresne - la moitié de son budget -, la proximité géographique des deux institutions qui se trouvent sur le même site à Plouzané (Finistère) et, enfin, l'exemple allemand de l'Alfred Wegener Institut pour la recherche marine et polaire (AWI).

Pourtant là aussi, deux principales limites sont à prendre en compte. S'il est vrai que la moitié de l'activité de l'IPEV est aujourd'hui océanographique, il s'agit plus d'une situation subie que d'une situation voulue car elle ne correspond pas à sa vocation d'agence de recherche en milieu polaire. Il ne faut pas non plus perdre de vue que cette situation est récente, qu'elle ne doit pas perdurer et que le reste, c'est-à-dire l'autre moitié, de l'activité de l'IPEV n'a pas de rapport avec les activités de l'IFREMER. Il s'agit, en effet, d'opérations de logistique à terre ou en mer et de la sélection et du financement de recherches en milieu polaire.

En outre, à la différence de l'AWI en Allemagne, l'IPEV n'est pas un institut de recherche disposant d'importants moyens et de nombreux laboratoires. Il est donc à craindre, d'une part, que la fusion avec l'IFREMER ne se fasse au détriment de l'IPEV et que l'activité polaire ne soit pas portée à un niveau suffisant au sein de l'Ifremer. D'autre part, en tant qu'agence de moyens indépendante, l'IPEV s'adresse à tous les laboratoires de recherche susceptible d'être intéressés par le développement de leur activité aux pôles, l'intégration de l'IPEV à un seul organisme ferait courir le risque d'une appropriation progressive des moyens comme cela peut se produire à l'étranger.

Reste la gestion du Marion Dufresne, celle-ci pourrait passer à l'IFREMER. Il faut toutefois prendre garde à certains obstacles. Le Marion Dufresne est la propriété des TAAF car sa fonction originelle est d'assurer la desserte logistique des îles subantarctiques, ce qui réduit les plages possibles de son usage scientifique, même si celui-ci est désormais majoritaire (217 jours/an). Dès lors, le transfert de la gestion de ce navire à l'IFREMER ne serait pas forcément porteur de gains importants.

Une dernière solution serait l'augmentation de la part de l'IFREMER dans le tour de table du GIP-IPEV à un niveau plus conforme à celui de l'océanographie.

· Le rattachement de l'IPEV au CNRS

Une autre possibilité de rattachement serait de faire absorber l'IPEV par le CNRS en prenant exemple du système américain où l'équivalent de l'IPEV, l'Office des programmes polaires, est partie intégrante de la NSF que l'on peut, pour sa part, comparer au CNRS.

L'idée serait de constituer un ensemble plus cohérent et doté d'une assise plus importante qu'aujourd'hui, notamment en recherchant une synergie entre les missions actuelles de l'IPEV et les équipes de recherche qui dépendent du CNRS. Elle tirerait partie de la prépondérance du CNRS dans la recherche polaire française et dans le financement de l'IPEV.

Cependant, là aussi plusieurs désavantages doivent être considérés. Votre rapporteur en voit deux principaux. Premièrement, cela reviendrait à abandonner la logique partenariale à l'origine de l'IPEV et qui avait pour but d'impliquer dans la recherche en milieu polaire, par nature pluridisciplinaire, les principaux acteurs. Il y aurait le risque de ne réserver progressivement les crédits disponibles qu'aux seules unités du CNRS. L'exemple de la collaboration entre le CEA, le CNRS et l'Université ayant abouti aux découvertes en matière de paléoclimat ne parle en ce sens.

Deuxièmement, l'IPEV ne peut guère s'intégrer comme un département supplémentaire. Les équipes de recherche sont toutes aujourd'hui intégrées à d'autres instituts nationaux ou départements comme l'Institut national des sciences de l'univers (INSU) ou le département du développement durable et de l'environnement (DDE), et ces laboratoires n'ont que de manière exceptionnelle une activité majoritairement polaire.

· La création d'un grand institut polaire de recherche

Une dernière possibilité de réforme est souvent envisagée, celle de transformer l'IPEV en « grand » institut polaire de recherche.

L'objectif serait de constituer un ensemble avec un poids budgétaire, humain et scientifique plus significatif. Seraient attendus des moyens logistiques plus importants, des collaborations internationales améliorées et une meilleure coordination avec les laboratoires qui lui seraient rattachés.

Séduisante, cette proposition se heurte pourtant à la nature de la matière polaire elle-même et à l'organisation de la recherche française.

En effet, il n'y a guère de domaines scientifiques à proprement parler polaires. Les recherches qui se déroulent en milieu polaire sont toutes le prolongement de thématiques de recherche plus larges. Elles sont d'ailleurs menées par des équipes qui se rattachent à des laboratoires développant l'essentiel de leur activité en dehors du milieu polaire. C'est la marque d'une dynamique générale dans la recherche. Il serait donc très difficile de prendre ici ou là des équipes polaires pour constituer de nouveaux laboratoires et de mettre à mal les synergies qui se sont développées.

En outre, le paysage de la recherche française se prête assez mal à la création d'un nouveau grand établissement thématique aux côtés de l'INRA, de l'IFREMER ou de l'INSERM, d'autant que, comme votre rapporteur vient de l'expliquer, elle se traduirait par le transfert de laboratoires.

Parmi ces réformes, aucune ne fait consensus et ne s'impose aujourd'hui. Toutes ont des avantages, mais toutes ont également des inconvénients importants et nécessiteraient une forte volonté pour les imposer.

Elles font néanmoins ressortir un certain nombre de besoins récurrents :

- facilitation des relations entre l'IPEV et les TAAF,

- augmentation des moyens de l'IPEV,

- meilleure coopération avec le reste du monde de la recherche,

- accroissement de la visibilité de l'IPEV.

Dans ce contexte, il paraît au moins souhaitable de renforcer la capacité de pilotage de l'IPEV pour faire de l'Institut la véritable « tour de contrôle » de l'activité de recherche polaire française. En effet, seul le directeur de l'IPEV développe véritablement une vue d'ensemble dans sa dimension scientifique, mais aussi logistique et politique. C'est d'ailleurs le seul intervenant français à travailler avec tous nos partenaires au Nord et au Sud.

Aujourd'hui, l'IPEV sélectionne les programmes, en assure la logistique et les finance sur le terrain.

Il est nécessaire d'aller plus loin.

En effet, au cours de ses auditions, votre rapporteur a souvent entendu les laboratoires se louer de l'efficacité et de la compétence de l'IPEV mais pour aussitôt déplorer l'insuffisante continuité des moyens entre la zone polaire et la métropole, l'acquisition des données et l'exploitation des résultats et ensuite s'interroger sur la nature des missions de l'IPEV, « simple » agence de moyens ou véritable organisme définissant les orientations de la recherche française en milieu polaire.

La remarque est particulièrement pertinente car aujourd'hui l'IPEV fait beaucoup plus qu'une simple coordination opérationnelle mais n'a pas la responsabilité de piloter la recherche française dans ces régions et de définir une politique, alors même qu'il est le seul à pouvoir le faire.

Dès lors, votre rapporteur suggère de mettre la réalité et la nécessité en cohérence avec les missions statutaires.

L'IPEV doit se voir doter de la mission de définir les grands axes et de coordonner la recherche en milieu polaire en concertation avec les membres du GIP.

Cette mission devrait normalement être attribuée au Conseil des programmes scientifiques et technologiques. Il devrait également être plus représentatif des grands intervenants du secteur afin de s'assurer, comme le prévoient les statuts, qu'aux moyens mis en œuvre par l'IPEV correspondent effectivement des moyens à la disposition des laboratoires. A titre d'exemple, il paraît évident que le nouveau département de l'environnement et du développement durable du CNRS devrait y être représenté à partir de son renouvellement.

Dans la logique de cette évolution, il paraîtrait également pertinent d'assurer une programmation pluriannuelle coordonnée entre les moyens donnés par l'IPEV et les autres.

En effet, plusieurs activités de recherche, et pas seulement les observatoires, sont récurrentes ou pluriannuelles. Les moyens doivent avoir la même pérennité et offrir une réelle sécurité aux chercheurs, ou pour le moins que les financements soient de même durée.

Une labellisation IPEV des laboratoires, marquant cette coordination des moyens et l'implication dans la recherche en milieu polaire serait utile pour mieux afficher les relations qui existent ou se développent. Il ne s'agirait bien sûr pas d'une mixité au sens des UMR mais la marque concrétisant un partenariat. Pourrait ainsi apparaître un label « Laboratoire/Unité de recherche partenaire de l'IPEV ».

Cette labellisation pourrait s'étendre à des thèses. En effet, là aussi plusieurs scientifiques ont souligné leur souci de pouvoir former des jeunes aux recherches en milieu polaire. Ces candidats sont le plus souvent ceux qui, à l'issue d'un DEA, ont choisi d'hiverner dans les îles subantarctiques ou en terre Adélie ; ils y ont poursuivi un travail d'observatoire dont ils ne peuvent ensuite tirer tous les bénéfices par un travail de recherche.

Sans aller vers une systématisation du lien entre l'hivernage et l'entrée en école doctorale, il ne serait pas illogique d'avoir une vision prospective de l'avenir de ces jeunes qui ont le goût de la recherche et des régions polaires. Il pourrait donc être intéressant qu'un certain nombre de thèses « polaires » puissent se faire, sous la responsabilité des organismes compétents mais avec un partenariat de l'IPEV. Cette proposition est d'autant plus réaliste qu'elle pourrait s'inscrire dans le financement normal des programmes et qu'elle concernerait dix à vingt cas par an.

 

2000

2001

2002

2003

2004

2005

Total

Sciences de la Vie

2

6

   

4

4

16

Sciences de l'univers

6

2

6

5

4

2

25

Total

8

8

6

5

8

6

41

Entre 2000 et 2005, 41 thèses ont été soutenues dans le cadre de programmes soutenus par l'IPEV, dont 16 seulement dans les sciences de la vie. L'effort est donc à porter essentiellement dans ce secteur.

A titre de comparaison, l'Office des programmes polaires de la National Science Foundation a lancé en 2004 un programme post-doctoral polaire afin de capter les meilleurs chercheurs dans ce domaine. 6 postes sont financés chaque année. En 2004, il y avait eu 22 demandes et, en 2005, 36.

Les difficultés auxquelles fait face la recherche en milieu polaire ne s'expliquent pas seulement par certaines faiblesses de pilotage, de vision stratégique ou des problèmes administratifs, les résultats, le plus souvent au plus niveau mondial, le montrent suffisamment.

En revanche, votre rapporteur s'interroge sur l'équilibre entre moyens financiers et objectifs. Il s'est posé la question du surengagement. L'IPEV en fait-il trop ? S'est-il trop dispersé en développant sa présence en Arctique et en construisant la nouvelle base Concordia à l'intérieur du continent antarctique. Cette opinion est notamment soutenue par le Préfet des TAAF qui pointe les coûts et s'interroge sur la pertinence scientifique.

Votre rapporteur ne partage pas cette analyse. Au contraire, il s'est précédemment efforcé de montrer combien il était important d'être plus présent en Arctique, présence qui reste encore à ses yeux trop modeste, et combien il était stratégique d'être présent à l'intérieur de l'Antarctique au niveau européen aux côtés de la Russie, des États-Unis et prochainement de la Chine.

Votre rapporteur doit donc faire le constat préoccupant d'une recherche insuffisamment soutenue financièrement par les pouvoirs publics. Cette faiblesse du soutien se traduit par trois questions très importantes : la place devenue préoccupante de l'activité océanographique au sein de l'IPEV, l'insuffisance des moyens logistiques au regard de nos ambitions internationales et la question de la rénovation et de l'avenir de la base Dumont d'Urville.

La question du caractère essentiellement polaire ou océanographique de l'activité de l'IPEV, pour être iconoclaste, est désormais une question incontournable.

En 2007, l'activité du Marion Dufresne, navire océanographique et logistique, sera plus importante financièrement que l'activité polaire. Cette situation est l'aboutissement d'une progressive mais constante croissance des coûts d'affrètement du navire - + 25 % depuis 2002 - dont l'essentiel du coût revient à l'IPEV qui doit financer 217 jours de campagne océanographique depuis 2000. L'activité polaire a quant à elle cru de moins de 3 % sur la même période. Cela s'explique par la croissance des remboursements d'emprunt, d'une part, et par celle des coûts d'affrètement, d'autre part.

Il faut en effet rappeler que ce navire a été construit en 1995 pour une durée de 20 ans. Il a été financement par un emprunt de 33 M€. Une convention d'affrètement a été signée avec la CMA-CGM le 16 mars 1993 par les TAAF, qui en sont propriétaires. De 1993 à 2003, les TAAF en ont été l'unique affréteur. Le Marion Dufresne offre une capacité de 35 % supérieure à celle de son prédécesseur. Mais, dès 1998, les TAAF constataient la situation de surcapacité et les surcoûts attenants. L'idée d'un navire de substitution pour toutes les rotations où la pleine capacité du Marion Dufresne n'était pas nécessaire a été évoquée et expérimentée une fois en 1999. Mais cette voie n'a pas été poursuivie. En revanche, a été décidé de confier le navire à l'IPEV pour l'essentiel de l'année, soit 217 jours au lieu de 135, et remédier à sa sous utilisation scientifique.

Evolution des recettes et dépenses de l'IPEV (2002-2006)
(hors amortissement, contrats européens et prestations en nature)

 
 

2002

2003

2004

2005

2006

_ 02/06

 % _ 02/06

Dépenses (K€)

Dépenses "Siège"

1 501

1 520

1 418

1 505

1 399

-102

-6.80%

Dépenses "MD II"

8 239

8 379

8 380

9 046

9 769

1 530

18.57%

Dépenses "Polaire" (2)

9 961

8 606

8 995

9 703

10 229

268

2.69%

Total

19 701

18 505

18 793

20 254

21 397

1 696

8.61%

Recettes (K€)

Subvention Ministère de la Recherche

16 850

16 285

16 740

17 804

18 921

2 071

12.29%

Recettes Membres GIP

833

366

421

421

421

-412

-49.46%

Recettes Diverses (3)

201

129

238

289

171

-30

-14.93%

Ressources extérieures océanographiques

1 817

1 725

1 394

1 740

1 884

67

3.69%

Total

19 701

18 505

18 793

20 254

21 397

1 696

8.61%

(1) Salaires du personnel CNRS et mise à disposition du réseau informatique IFREMER

(2) Iles Subantarctiques, Dumont d'Urville, Concordia, Arctique, Astrolabe, Curieuse

(3) Prestations de services

Depuis 2002, le Marion Dufresne a absorbé 75 % de l'augmentation de la dotation de l'IPEV. Or, parallèlement et logiquement suite à son retrait du GIP, l'Outre-mer ne verse plus de subvention à l'IPEV depuis 2003.

Aujourd'hui, la recherche de contrats rémunérateurs pour le Marion Dufresne est nuisible à l'ensemble de l'activité scientifique puisqu'elle se fait au détriment du soutien dû aux programmes en zone polaire. Elle pourrait être nuisible à la qualité scientifique des programmes menés à bord et provoque un effet d'éviction au détriment des laboratoires nationaux qui ne peuvent payer l'affrètement du bateau. Cette situation induit aussi une mobilisation démesurée des responsables de l'IPEV au détriment du reste de l'activité, alors que les ressources à en attendre sont quasiment constantes d'année en année et sont comprises entre 1,7 et 1,9 M€.

L'activité polaire est déjà fortement pénalisée par l'effet de vases communicants entre le polaire et l'océanographique. Aujourd'hui ce sont les missions mêmes de l'IPEV qui sont menacées par cette croissance non maîtrisée des coûts du Marion Dufresne.

Dès lors, l'IPEV n'est sans doute plus le bon organisme gestionnaire pour le Marion Dufresne à moins de dénaturer le GIP. Même si l'Institut disposait du budget suffisant pour mener à bien la gestion du Marion et la conduite de l'activité polaire, son objet serait modifié par le fait que son activité deviendrait majoritairement océanographique et non polaire. La légitimité à gérer le Marion sera toujours plus faible vis-à-vis de l'opérateur principal de la flotte scientifique française, l'IFREMER.

Le retour intégral de la gestion du Marion aux TAAF paraît exclu car elles ne sont sans doute pas les plus outillées pour assurer la gestion scientifique du navire. Le désengagement complet de l'IPEV irait peut-être au-delà de ce qui serait nécessaire. Mais, la présence d'un troisième acteur qui prendrait le rôle prépondérant paraît indispensable. Cet acteur serait vraisemblablement l'IFREMER. L'essentiel ou la totalité du budget actuellement attribué à l'IPEV pour cette mission devrait lui être naturellement affecté.

Il faut avoir conscience qu'une telle solution ne résoudra pas toutes les difficultés et n'éludera pas la question des ressources budgétaires nouvelles mais elle clarifierait certainement une anomalie de plus en plus évidente aussi bien pour les missions de l'IPEV que pour la gestion de la flotte scientifique.

Au-delà même du problème financier se pose à plus long terme la question du remplacement d'un navire en service depuis maintenant 11 ans. L'expérience du Marion Dufresne devrait sans doute conduire à envisager une solution beaucoup moins coûteuse et véritablement proportionnée aux besoins de desserte de souveraineté des îles.

La question des moyens dévolus au Marion Dufresne est étroitement liée à la faiblesse structurelle des moyens logistiques affectés à la recherche polaire française.

D'un point de vue international, cette situation est clairement préjudiciable à notre pays et, pour tout dire, inacceptable, même si les responsables ont appris à « faire avec » ou plutôt « sans ».

Le constat est sans appel. La France est le seul grand pays polaire à n'avoir ni brise-glace, ni avion, ni hélicoptère - hors ceux basés sur les deux navires de liaison, le Marion Dufresne et l'Astrolabe. Aucune des bases françaises de l'océan austral n'est accessible par avion. Toutes les liaisons aériennes que la France souhaite avoir avec l'Antarctique doivent être réalisées par des appareils étrangers via la Nouvelle-Zélande, McMurdo ou Mario Zuchelli et peut-être demain via Casey, puisque l'Australie vient d'acheter un Airbus pour effectuer la liaison entre Hobart et cette station. Ensuite, les hommes et les petites charges sont transportés par de petits avions, en général pour la France affrétés par l'Italie, pour rejoindre Concordia ou Dumont d'Urville.

Tous les autres instituts polaires disposent soit en pleine propriété, soit via des affrètements, des moyens évoqués ci-dessus. L'absence de moyens gros porteurs est un réel handicap pour la gestion des programmes scientifiques puisque nous ne sommes pas autonomes ou ne pouvons guère proposer une collaboration complète sans la logistique adaptée.

On peut aussi s'interroger sur la sécurité des personnels alors que la France ne dispose d'aucun moyen pour les secourir dans de brefs délais. Est-il complètement normal, pour un pays comme le nôtre, de s'en remettre à des capacités étrangères ?

La logique de stricte nécessité et la coopération ont pour l'instant prévalu pour pallier ces difficultés mais cela peut-il durer alors que la France souhaite être un acteur important en Antarctique et le moteur d'une coopération européenne structurée autour de Concordia ?

La situation est d'autant plus préoccupante que les moyens logistiques dont nous disposons sont mis à l'épreuve.

L'Astrolabe arrive à la fin de son contrat d'affrètement et peu de solutions alternatives sont disponibles. Cette question doit être réglée en urgence. Le bon état général du navire permet d'envisager la reconduction pour cinq ans du contrat d'affrètement sous la condition que le prix proposé soit acceptable. C'est vraisemblablement la solution à privilégier. Dans le cas contraire, il faudrait envisager soit une solution nationale soit une solution en coopération avec d'autres pays intéressés par un accès à l'Antarctique dans cette zone.

Par ailleurs, plusieurs éléments du raid sont vieillissants et doivent être remplacés. D'autres devront être acquis pour accroître les capacités.

Enfin, il faut prendre en considération le développement futur de la station Concordia. Celle-ci devrait être de plus en plus gourmande en logistique, en énergie et en moyens de communication. C'est un réel défi pour l'IPEV puisque tout doit transiter par Dumont d'Urville et par le raid dont les capacités de transport conditionnent les projets futurs.

Dès lors, là aussi le constat s'impose d'un réel besoin de mise en perspective de nos objectifs scientifiques et politiques et des moyens actuellement disponibles.

Pour votre rapporteur, il est très clair qu'un effort très important doit être engagé pour le secteur polaire, mais modeste au regard d'autres besoins financiers, pour mettre au niveau international nos moyens logistiques et ainsi conforter notre atout principal sur l'Antarctique qu'est Concordia.

Une réflexion paraît également indispensable dans la zone subantarctique, et tout particulièrement à Kerguelen, où en dehors du passage du Marion Dufresne il est très difficile de beaucoup s'éloigner de la base puisque les équipes ne disposent d'aucun moyen maritime ou aérien pour se déplacer dans l'île ou dans l'archipel. En effet, le navire La Curieuse qui était affrété par l'IPEV à cette fin est aujourd'hui à quai depuis plusieurs années en raison de l'impasse budgétaire dans laquelle se trouve l'IPEV, liée à la pression financière croissante de l'affrètement du Marion Dufresne. C'est une solution coûteuse et qui dégrade la valeur du capital. Si l'IPEV ne devait pas retrouver rapidement les moyens de l'utiliser, il faudrait songer à s'en séparer.

L'IPEV doit enfin faire face au besoin de rénovation de la base historique de Dumont d'Urville. En effet, le développement de Concordia, la charge financière croissante de l'océanographie et une présence renforcée en Arctique ont conduit à repousser les travaux nécessaires.

· La rénovation de la base Dumont d'Urville

La rénovation de Dumont d'Urville ne peut plus être repoussée.

La situation géographique de la base est souvent oubliée. Beaucoup l'imaginent positionnée sur le continent. Or ce n'est pas le cas. La base est en réalité divisée en trois :

- La base elle-même qui occupe l'île des Pétrels ;

- La « piste » qui est le résultat de la réunion de plusieurs îles dont les deux principales sont l'île du Lion et l'île Cuvier. Aucune liaison terrestre ou sous forme de pont n'existe avec l'île des Pétrels. Toutes les liaisons doivent se faire par mer ou par air ;

- La base Prud'homme sur le cap du même nom, sur le continent Antarctique mais à 5 km de l'île des Pétrels est naturellement dénuée de tout lien « terrestre », hormis la banquise.

Ces ruptures sont une réelle difficulté logistique.

La base Dumont d'Urville souffre aujourd'hui de graves problèmes de vétusté et de salubrité, ne disposant pas des équipements adaptés au traitement des déchets.

Cette base a été construite pour l'année géophysique internationale de 1957-1958. Elle a été bâtie sur le site où s'est réfugié l'équipage de la base de Port-Martin après l'incendie, en janvier 1952. Cette première base avait été active durant les hivers 1950 et 1951.

Les premiers bâtiments, encore en service aujourd'hui datent de cette époque. Ils avaient été conçus pour durer trois ans et ont été prolongés après la décision prise en 1959 de transformer Dumont d'Urville en station permanente.

Le plan de la base fut établi au début des années soixante et les constructions se sont schématiquement déroulées en quatre étapes correspondant à des types d'architecture bien identifiables :

- époque Marret - bâtiment en bois,

- époque AGI - bâtiments Fillod,

- implantation permanente - bâtiments Spair,

- époque actuelle.

L'entretien de la base a commencé à passer au second plan à partir du début de la construction de la piste d'atterrissage car ils ne permettaient plus d'acheminer le personnel en nombre suffisant pour se consacrer à ces travaux. La situation n'a fait que se dégrader depuis lors.

Le bâtiment Marret construit en 1952 a été utilisé pour la dernière fois en 1986. Il possède une valeur historique mais il est maintenant insalubre. Il menace de disparaître si son étanchéité n'est pas refaite.

Les bâtiments Fillod et Spair ont maintenant un besoin urgent de rénovation. Ces derniers sont sablés par le blizzard et la fibre de verre apparaît chaque jour un peu plus. Leurs toits en terrasse sont maintenant creusés par le poids de la neige et ne sont plus étanches et souffrent d'infiltrations sérieuses. L'été, l'eau ruisselle sur les appareils scientifiques. La corrosion et le durcissement des joints rendent indispensable le remplacement de la plupart des ouvertures - portes et fenêtres. Celles-ci sont de moins en moins nombreuses à pouvoir s'ouvrir car les joints, les fermoirs et les charnières ne peuvent plus se trouver sur le marché.

Outre le changement des ouvertures, la plupart des bâtiments Spair doivent être « réhabillés », c'est-à-dire la toiture refaite et les parois recouvertes d'un autre revêtement.

La salle commune qui sert de restaurant, de cuisine et de salle de détente doit être complètement rénovée. Elle date de 1965 et doit faire l'objet des travaux indispensables sur tous les bâtiments Spair de sa génération (mur, toit, ouvertures). S'y ajoute le remplacement du sol car celui-ci a joué et est maintenant défoncé. Il faudra aussi remettre aux normes sanitaires la partie cuisine.

Le logement des hivernants est lui aussi un bâtiment Spair datant de 1968. Des travaux y ont été menés en 1998 et 2000, notamment la toiture. Mais il reste à refaire les parois extérieures et la structure interne du bâtiment, notamment pour l'adapter à la féminisation des équipes.

Au-delà des bâtiments, beaucoup de réseaux doivent être refaits. C'est notamment le cas de celui de distribution de l'eau sanitaire qui doit être remplacé dès que possible puisqu'il est très corrodé et affaissé par endroit. Il en est de même du réseau d'évacuation des eaux usées.

En matière de traitement des déchets, deux problèmes doivent être traités. Une partie du tri des déchets et de leur traitement se déroule actuellement dans le bâtiment qui sert de salle commune et de cuisine. Mais il n'est pas équipé correctement pour ce travail, il n'offre qu'un local exigu. Les conteneurs extérieurs ne sont pas couverts et se remplissent régulièrement de neige. Il faudrait donc disposer de lieux spécifiques pour le traitement et l'entreposage des déchets.

A ces travaux urgents de remise en état de la base, s'ajoutent des travaux visant à l'adapter aux besoins actuels.

Il s'agit en premier lieu de réaliser aux abords de la piste d'atterrissage un véritable quai adapté pour l'accostage de l'Astrolabe. La plupart des matériaux nécessaires sont déjà présents sur le site depuis 2002, mais les crédits et les personnels pour le réaliser ont toujours manqué.

D'autres investissements moins importants sont à prendre en compte pour la gestion du flux logistique, comme le remplacement de certains véhicules. Le parc est vieillissant. Le 4x4 le plus récent a 12 ans ! Les véhicules chenillés sont âgés de 10 à 12 ans. La grue utilisée sur le quai se dégrade rapidement et doit être remplacée.

Au total, ce sont 7,1 millions d'euros d'investissement qui sont à prévoir les prochaines années sur Dumont d'Urville. C'est très important pour l'IPEV, dont le budget polaire est de l'ordre de 10 M€ par an. Certes tous les travaux n'ont pas le même degré d'urgence et il sera sans doute inévitable de reporter à plus tard tout ce qui peut l'être, mais cela signifie tout de même un effort spécifique important durant les cinq prochaines années. Une enveloppe exceptionnelle devrait être débloquée.

Située en terre Adélie, dans la zone où s'exercent plus particulièrement les responsabilités françaises en Antarctique, la base Dumont d'Urville est le symbole majeur de notre présence. Il est de notre devoir de disposer d'une station conforme à notre rang et non une suite désorganisée de bâtiments délabrés.

· L'articulation Dumont d'Urville - Concordia

Si les besoins de travaux et d'investissements sont importants, ils ne peuvent sans doute être satisfaits sans se poser la question de l'articulation de notre présence entre la côte et l'intérieur, c'est-à-dire entre Dumont d'Urville et Concordia.

Au cours des auditions, votre rapporteur a bien entendu les interrogations des équipes qui travaillent sur Dumont d'Urville et dans les îles subantarctiques et qui relèvent un moindre investissement de l'IPEV à leur profit. Il a aussi relevé les inquiétudes de ceux qui craignent que la base Dumont d'Urville ne soit perçue que comme le port de transit vers Concordia et finalement délaissée.

Ce malaise doit bien entendu être relativisé mais il illustre un besoin de clarification. La base de Dumont d'Urville doit-elle progressivement se spécialiser dans les sciences de la vie ? Garderait-elle d'autres activités que les observatoires dans les autres domaines ? Comment doit s'organiser la logistique vers Concordia ? Doit-on aller au-delà et, comme les Italiens pour Terra Nova Bay, n'ouvrir la base que pour l'été ou à l'inverse comme le font les Allemands, n'ouvrir leur base de l'intérieur - Kohnen - que l'été ? Doit-on au contraire maintenir DDU dans son format actuel tout en poursuivant le développement de Concordia ?

Votre rapporteur ne peut trancher ces questions. Trois points lui semblent cependant importants :

- Il n'est pas souhaitable de transformer l'une de nos bases en base d'été, car il y aurait de très nombreux inconvénients scientifiques, techniques et politiques pour une économie budgétaire limitée.

- La vocation de Dumont d'Urville en matière de science de la vie est évidente au regard de Concordia où il n'y a ni faune ni flore. Mais cette spécialisation relative ne veut aucunement dire une base au rabais en termes de moyens logistiques et scientifiques, au contraire. Les sciences de la vie ont désormais besoin de matériels performants et de laboratoires perfectionnés. Le temps du naturalisme d'observation, les grosses chaussures aux pieds et le carnet à la main est révolu. Ces chercheurs ont aussi besoin de moyens spécifiques pour se déplacer le long de la côte et en mer. Ils doivent aussi pouvoir mener des études de la faune sous-marine et du milieu océanographique. Affirmer cette vocation, cela veut dire donner des moyens à l'une des disciplines les plus dynamiques de la science polaire française.

- Il serait nécessaire d'établir un plan logistique de moyen terme de la desserte de nos deux bases. La desserte de Dumont d'Urville obéit à des contraintes très particulières de tirant d'eau, d'état de la mer et de la banquise compte tenu de son positionnement sur l'île des Pétrels au sein de l'archipel de Pointe Géologie. Cela rend impossible toute coopération logistique maritime avec des partenaires de proximité qui disposent de grands brise-glace. En revanche, des exemples étrangers de création d'un pool aérien entre l'Antarctique et un autre continent, puis de répartition par aéronefs de moindre tonnage, plaide en faveur d'une association plus étroite avec les États-Unis, la Nouvelle-Zélande et l'Italie, à l'Est, ou avec l'Australie, à l'Ouest. Cela pourrait relancer la question de l'aménagement d'une infrastructure aéroportuaire adaptée à Dumont d'Urville, par exemple sur la banquise si une zone propice était disponible.

Pour Concordia, le passage par Dumont d'Urville soulève certaines difficultés. La première est la définition du moyen de liaison entre Dumont d'Urville et Hobart, les TAAF contestant le partage des charges de l'Astrolabe dès lors qu'une grande partie de la cargaison est destinée à Concordia, hors de la terre Adélie. Le seul soutien de Dumont d'Urville modifierait bien évidemment les besoins logistiques. A contrario, le passage par Dumont d'Urville présente des inconvénients pour le ravitaillement de Concordia car l'accès y est difficile et limité en tonnage et, surtout, l'accès au continent est entièrement dépendant de l'hélitreuillage vers Cap Prud'homme et, pour les charges les plus lourdes, de l'état de la banquise. A Dumont d'Urville, il n'y a d'ailleurs aucune liaison fixe entre les lieux de débarquement - la piste d'atterrissage - et la base. Si le renforcement ou la mise en place d'autres voies d'approvisionnement est une solution, elle est conditionnée soit à la construction d'une piste d'aviation plus importante, soit à l'organisation d'un nouvel itinéraire de raid à partir d'un autre port.

Ainsi, votre rapporteur préconise de :

- réaffirmer la vocation polaire de l'IPEV en évitant que l'activité océanographique ne prenne le pas sur la mission polaire ;

- mettre au niveau de nos grands partenaires les moyens logistiques de l'IPEV ;

- rénover la base de Dumont d'Urville ;

- réfléchir à la complémentarité de la station Dumont d'Urville avec Concordia ;

- envisager une coopération internationale élargie pour la desserte de nos bases antarctiques ;

- accroître les moyens financiers de l'opérateur polaire français.

La recherche en milieu polaire, du moins en Antarctique, est clairement placée sous le sceau de la coopération internationale. C'est la philosophie et la raison d'être du traité de 1959.

L'état d'esprit reste également très marqué par la période des explorations et de l'aventure scientifique. En effet, un lourd tribut humain a été payé pour la découverte des régions polaires. Un grand nombre d'explorateurs sont morts dans ces régions dans des expéditions à vocation scientifique ou au secours d'explorateurs en difficulté. Il y a donc toujours un devoir de solidarité entre les bases et les chercheurs. Ce poids pèse d'ailleurs essentiellement aujourd'hui sur les opérateurs qui disposent des moyens logistiques les plus lourds et en nombre suffisant.

La recherche en milieu polaire, malgré les rivalités nationales et l'émulation entre chercheurs, est aussi marquée par la dynamique impulsée par les trois dernières années polaires internationales de 1882-1883, 1932-1933 et 1957-1958. Les progrès scientifiques et les découvertes effectués par le travail en commun dans ces régions ont imposé comme principe et méthode efficace la coopération internationale.

Ces trois aspects propres aux régions polaires viennent renforcer puissamment la dynamique de coopération internationale présente dans toutes les sciences aujourd'hui.

Pour votre rapporteur, au-delà de ces données générales, la France doit s'engager dans deux axes principaux en matière de coopération internationale : l'impulsion d'une dynamique européenne et la structuration des partenariats internationaux.

La dimension européenne de l'action de notre pays est fondamentale, la recherche en milieu polaire n'échappe pas à ce principe.

C'est à la fois l'expression d'une volonté politique à affirmer et une absolue nécessité matérielle. Il est toutefois indispensable de bien déterminer le cadre de la coopération, ses objectifs et ses limites et de concevoir une stratégie.

C'est bien entendu au sein de l'Union européenne que devrait pouvoir s'effectuer la mise en place d'une coopération structurée en matière de recherche en milieu polaire.

La plupart des partenaires européens y sont désormais présents, la Norvège et la Russie exceptées.

Le PCRD est un puissant vecteur de financement et de fédération de la recherche à travers des programmes majeurs comme EPICA pour les forages glaciaires ou désormais DAMOCLES pour la modélisation de l'océan Arctique et de son impact climatique.

Il fournit aussi des outils de préfiguration du futur en permettant à des réseaux de se constituer comme ARENA pour l'astronomie européenne en Antarctique.

Enfin, l'Union européenne donne un cadre de présentation, de sélection et de validation des infrastructures majeures de recherche au niveau européen, comme c'est actuellement le cas pour le projet de brise-glace polaire allemand Aurora Borealis.

Le niveau communautaire est donc indispensable, mais il n'est peut-être pas suffisant.

En effet, il n'est pas seulement attendu une coopération en matière de recherche mais également et peut-être surtout un partage des coûts logistiques et des infrastructures. Or, à la suite des contacts que votre rapporteur a pu prendre à Bruxelles auprès de la Commission, ce sont des sujets dans lesquels elle ne souhaite pas véritablement s'impliquer.

La Commission est hostile à la création d'une Agence polaire européenne. Sa seule évocation provoque un concert de protestations. En effet, la Commission ne veut pas voir naître un nouveau démembrement l'empêchant d'effectuer les nécessaires arbitrages et réallocations de moyens. Il est vrai que si l'idée peut paraître séduisante de transformer l'European Polar Board qui réunit les directeurs d'instituts polaires européens en une Agence, les choses ne sont pas mûres. Ni les états d'esprit, ni les coopérations de terrain ne permettent aujourd'hui de franchir cette étape. Ainsi, votre rapporteur, sans pour autant rejeter l'idée à terme, ne juge pas réaliste de vouloir dès maintenant la réaliser. Ce serait prématuré et sans doute contreproductif.

En outre, les opérateurs polaires ont l'habitude de fonctionner sur une base en fonction de ce que chacun peut apporter. Cette situation démultiplie donc les différences de moyens entre les grands pays ou ceux qui ont une forte tradition polaire et les autres. Les zones polaires ne sont pas complètement libres d'accès, soit que, comme au Nord, il s'agisse du territoire d'États souverains, soit que, comme au Sud, les coûts ne rendent le continent accessibles qu'à quelques-uns. C'est d'ailleurs le principe de fonctionnement du traité sur l'Antarctique qui, tout en étant ouvert à tous, ne permet qu'aux nations intéressées et capables d'y intervenir de gérer le continent.

Dès lors, il appartient aux grandes agences polaires de promouvoir elles-mêmes une dynamique de coopération européenne.

Votre rapporteur estime que la France pourrait déployer une stratégie européenne en plusieurs dimensions :

- Jouer pleinement le jeu des mécanismes communautaires visant à coordonner et structurer la recherche autour de projets fédérateurs. A cet égard, il paraît absolument nécessaire que l'IPEV devienne l'agence de compétences et de moyens pour la gestion des projets européens dirigés par la France. En effet, il n'est pas normal que certains grands programmes dans lesquels nous avons une contribution scientifique déterminante ne soient pas gérés par la France ou encore que les chercheurs qui gagnent une proposition européenne ne trouvent pas le soutien qu'ils peuvent légitimement attendre de leurs laboratoires ou universités. C'est en réalité à l'IPEV de jouer ce rôle et d'entretenir et de mettre à disposition les moyens adaptés pour assurer le suivi de ces programmes aux plans financier, technique et politique.

- Valoriser nos points d'appui et ouvrir nos bases aux nouveaux membres de l'Union. L'intérêt y est réel, des compétences y sont présentes, mais souvent les moyens financiers manquent. Aucun pays ne doit être exclu d'une dynamique de coopération européenne.

- Donner progressivement une cohérence européenne aux coopérations bilatérales.

La coopération européenne dans le domaine polaire ne se développera que si les limites pratiques et politiques à son développement sont dès le départ prises en compte. Dans le cas contraire la France s'exposerait à des déceptions et au découragement.

Au niveau politique tout d'abord, il convient de prendre en compte les missions dévolues aux différents opérateurs polaires par leur gouvernement. Car chez la plupart de nos partenaires, la recherche n'a pas qu'un objectif scientifique.

Ainsi, depuis la guerre des Malouines et la contestation de l'Argentine de certaines possessions australes du Royaume-Uni, ce pays a décidé de donner d'importants moyens au British Antarctic Survey au détriment de l'organisme historique, le Scott Polar Research Institute. Le BAS doit en revanche travailler quasi exclusivement dans la portion de l'Antarctique revendiquée par la Grande-Bretagne. Il n'a pas le droit d'utiliser plus d'une certaine proportion de ses moyens pour des recherches en dehors de cette zone ou en Arctique. Le SPRI a vu, lui, ses moyens beaucoup diminuer et a dû se focaliser sur l'Arctique.

Dans le cas de l'Allemagne, après la réunification, le gouvernement a demandé à l'Alfred Wegener Institut de mener une coopération active avec la Russie dans le domaine polaire.

Celle-ci s'est d'abord développée dans le cadre de l'étude de la mer de Laptev, rassemblant plus de 150 chercheurs russes et allemands. Cette zone est extrêmement intéressante puisque c'est un lieu important de formation de la banquise et de la dérive arctique en raison du déversement de plusieurs fleuves. Le programme de recherche germano-russe comprend l'étude du permafrost (évolution et évaluation de son rôle de puits ou de source de gaz à effet de serre), des effets des changements environnementaux (dynamique biogéochimique, réponse des écosystèmes arctiques), des interactions terrestres et marines dans la zone côtière, et des changements environnementaux dans un passé proche (100 ans) et lointain (5 millions d'années).

C'est à la suite du succès de cette première collaboration que l'Allemagne, à travers l'AWI, et l'Institut pour les sciences de la mer de Kiel ont ouvert un laboratoire à l'AARI de Saint-Pétersbourg. Ce laboratoire, nommé Otto Schmidt, du nom d'un scientifique russe, a été créé en 2000. Le principal objectif est de former des jeunes scientifiques russes à travers l'attribution de bourses dans les champs de la météorologie, de l'océanographie, de la chimie marine, de la biologie et des géosciences. Une école d'été et des échanges de professeurs sont en outre organisés. Le financement des bourses est assuré par le ministère allemand des sciences, pour 12 mois renouvelables. Au cours des six dernières années, 150 scientifiques provenant de 16 organismes de recherche russes ont bénéficié de ces bourses.

Le succès de ce programme a incité l'Institut polaire norvégien à venir s'y agréger. Ce laboratoire bilatéral norvégo-russe est dénommé Fram, nom du navire sur lequel Fritjof Nansen a effectué la première dérive transpolaire à la fin du 19e siècle. Il se consacre à l'étude du changement climatique en Arctique. Il fonctionne sur le même principe que le laboratoire Otto Schmidt et lui est quasiment intégré car il n'y a pas différence physique entre les différents locaux.

Les responsables russes, allemands et norvégiens ont d'ailleurs clairement indiqué à votre rapporteur que les locaux de ces laboratoires disposaient encore de deux pièces libres d'une dimension équivalente à celles occupées par les Norvégiens et qu'ils souhaitaient vivement que la France puisse y installer son drapeau. Pour votre rapporteur, la réponse paraît s'imposer d'elle-même, il nous faut donner suite à cette proposition. Il ne peut être que surpris et déçu que nous n'ayons pas encore pu proposer aux Russes une véritable collaboration.

Depuis 2002, l'université de Saint-Pétersbourg a ouvert un master en anglais à une vingtaine d'étudiants russes sur les systèmes environnementaux marins et polaires (POMOR) en partenariat avec les instituts allemands susmentionnés, l'université de Brême et l'institut de recherche sur la mer Baltique. Le premier semestre est consacré aux enseignements tandis qu'au cours du second un stage d'un mois dans une des institutions allemandes partenaires peut être effectué. A l'issue, les étudiants reçoivent le double diplôme des universités de Brême et Saint-Pétersbourg.

Elle attache également une importance beaucoup plus grande à l'Arctique par tradition et coopération avec les pays nordiques.

La Norvège, le Danemark, la Suède et la Finlande sont aussi des pays fortement présents avec des priorités qui leur sont propres en raison de leur forte tradition polaire et marine et à leur géographie.

Les liens du Danemark avec le Groenland font que ce pays est très présent dans les forages qui y sont réalisés. C'est pour lui une « priorité nationale » que de trouver de la glace ancienne montrant l'état de la calotte au moment où celle-ci pourrait avoir complètement disparu, il y a 120 à 125 000 ans.

Au niveau pratique, ensuite, il faut prendre en compte la géographie des implantations et les traditions scientifiques.

D'un point de vue logistique, sur un continent antarctique plus grand que l'Europe, il n'est pas possible de décréter une coopération par principe entre pays européens. Les implantations sont trop éloignées les unes des autres pour imaginer une mise en commun généralisée. Il est complètement impossible de desservir les bases de l'Ouest avec les mêmes moyens que les bases de l'Est. Aucune coopération logistique n'est donc possible par exemple entre la France et le Royaume-Uni sur ce plan, c'est également vrai avec l'Allemagne. De la même manière, le partage des moyens navals obéit à des contraintes spécifiques. Le brise-glace allemand Polar Stern ne peut pas accoster à Dumont d'Urville en raison de son tirant d'eau et de la situation insulaire de la base, il en est de même des brise-glace américains opérant en mer de Ross pour desservir McMurdo.

Ces difficultés ne devraient cependant pas exclure une réflexion commune sur l'équipement voir la constitution d'une sorte de centrale d'achat. Il est tout de même frappant de voir les différents opérateurs acquérir de petites quantités de matériels souvent identiques ou destinés aux mêmes fins, alors que des achats groupés apporteraient sans doute de substantielles économies. C'est tout particulièrement vrai pour les matériels les plus coûteux : les tracteurs de charge pour rejoindre les stations continentales, chacun fabriquant quelques prototypes avec ses propres spécificités à partir d'un modèle de série différent. N'est-il pas envisageable, alors que tous sont destinés aux mêmes missions dans des zones similaires, d'acquérir un modèle commun ?

Sur le Spitzberg la situation est complètement opposée puisque l'archipel est facilement accessible par voies aérienne et maritime et que toutes les bases scientifiques sont situées dans le même lieu.

Enfin, en termes scientifiques, les coopérations ne peuvent être menées que si des échanges scientifiques pertinents peuvent avoir lieu. Chaque pays a son ou ses domaines d'excellence et il faut jouer les synergies et les complémentarités. Il n'est donc pas réaliste d'avoir une coopération scientifique sur tout le champ de la recherche en milieu polaire. Il faut plutôt envisager des coopérations à géométrie variable selon les intérêts et compétences. En matière scientifique, la coopération ne peut à elle seule être un objectif.

Ces réflexions et les évolutions les plus récentes conduisent votre rapporteur à proposer comme axe d'effort principal la convergence de la coopération franco-italienne et de la coopération franco-allemande afin d'impulser une dynamique européenne.

La coopération franco-italienne est souvent méconnue dans le domaine scientifique. Elle est, en matière polaire, particulièrement importante puisque c'est grâce à une initiative franco-italienne qu'a pu être construite et qu'aujourd'hui fonctionne la base Concordia, seule base européenne permanente à l'intérieur du continent Antarctique. Cette coopération se fait à égalité entre les deux partenaires qui en sont légitimement très fiers.

Les coûts et le travail scientifique sont partagés, notamment toutes les activités récurrentes d'observation afin d'éviter tout doublonnage des moyens. La logistique est également partagée et s'opère donc par deux flux différents : Dumont d'Urville et le raid, d'un côté, Mario Zuchelli et l'avion C-30, de l'autre.

Cette coopération a fait l'objet d'un protocole d'accord bilatéral en date du 4 octobre 2005, visant à structurer la relation scientifique, et qui vient d'entrer en vigueur (9 janvier 2007), les deux pays ayant achevé les formalités internes d'approbation en novembre et décembres 2006. Il va désormais pouvoir être mis en œuvre.

La coopération franco-allemande s'est, elle, développée essentiellement sur le Spitzberg. La France et l'Allemagne ont en effet pris la décision de fusionner leurs bases de recherche et de privilégier le développement de programmes communs. Si elle correspond à un engagement financier moindre, cette coopération est tout autant symbolique puisque la France et l'Allemagne sont les deux seuls pays à avoir une telle démarche sur Ny-Ålesund. Dans ce petit village de chercheurs, elle a d'ailleurs eu un impact important, certains partenaires peinant visiblement à les considérer comme vraiment réunis et à accepter l'affichage d'une coopération de dimension européenne. Cette dynamique remet également en cause certaines habitudes puisque, comme à Concordia, il devient bien entendu inenvisageable d'effectuer les mêmes mesures deux fois...

Aujourd'hui, nos deux partenaires sont ouverts à la constitution d'un triangle Rome-Berlin-Paris sur les questions polaires. Il s'agirait pour l'Allemagne de s'installer progressivement sur Concordia et de profiter de cette infrastructure permanente. Les Italiens viendraient pour leur part s'adjoindre à la base franco-allemande au Spitzberg. En effet, ils y sont installés depuis 1997. Ce schéma suscite un réel intérêt et a reçu pour certaines composantes un appui officiel des ministres de la recherche.

Le chemin à parcourir pour le réaliser est cependant long et plusieurs obstacles sont à surmonter. Votre rapporteur voit trois pré-requis principaux pour en assurer le succès :

- La nécessité d'un projet scientifique de haut niveau, seul à même de justifier dans le long terme une présence élargie sur les deux sites, se combinant avec de vraies complémentarités et coopérations entre les partenaires ;

- De réelles économies financières grâce à la mise en commun des moyens, et, sur Concordia, une convention claire permettant la participation d'un troisième partenaire permanent. Dans le cas de Dôme C, il s'agit plutôt de partager les frais de fonctionnement, plutôt que de demander à l'Allemagne d'acheter une part du capital correspondant au coût de la construction, solution qui ne serait pas acceptable par Berlin ;

- Une dynamique de coopération ouverte et donc politiquement acceptable par les autres partenaires. Il s'agit là d'un point important. Comme votre rapporteur le mentionnait, ces deux coopérations sont déjà uniques en leur genre dans chacun des hémisphères, y adjoindre un troisième partenaire donnera un impact politique beaucoup plus fort qui gênera plusieurs pays. Ils pourraient en compliquer la réalisation. C'est notamment le cas de la Norvège qui n'est pas favorable au développement d'une entité de recherche européenne au Spitzberg, car elle lui échapperait, et qui préfère maintenir des liens bilatéraux. Il faut également prendre garde aux réactions de partenaires qui ne pourraient pas participer, au moins dans l'immédiat, comme le BAS ou d'autres pays européens qui pourraient se sentir marginalisés.

Ce schéma franco-italo-allemand, s'il doit être privilégié, ne doit pas être exclusif d'autres rapprochements qu'il pourrait d'ailleurs susciter. Le premier pays concerné pourrait être l'Espagne qui a marqué un fort intérêt pour une participation scientifique et opérationnelle à Concordia. Elle constitue un bon exemple de tierce partie pouvant apporter une assise supplémentaire à la présence européenne en Antarctique.

Cette dynamique trilatérale est aujourd'hui enclenchée, grâce à la signature d'une première convention visant à la réalisation d'un programme de recherche tripartite à Concordia. Si tous les détails n'en sont pas encore réglés et si elle ne constitue qu'un premier pas, c'est évidemment significatif des développements futurs.

Ce projet fait partie du programme international TAVERN. Il vise à quantifier les aérosols troposphériques et la variabilité des nuages fins pour établir avec précision le bilan radiatif du plateau de l'Antarctique de l'Est. Mené sous la responsabilité de l'AWI, il associe l'université de Bologne (Italie). Il conduira à l'installation d'un radome de 4 mètres de diamètre et d'un photomètre stellaire sur le site de Concordia. Ils seront mis en place à partir de janvier 2009, puis un technicien de l'AWI hivernera pour mener l'expérience durant l'hiver austral.

Ce sont là les raisons de fond qui conduisent votre rapporteur à souhaiter que le développement de la coopération européenne soit plus clairement indiqué dans les missions de l'IPEV.

Par nature et par tradition, la recherche en milieu polaire est internationale. Quelle est aujourd'hui le niveau de cette coopération ? Que peut-on attendre de l'année polaire internationale qui s'ouvre en mars 2007 dans ce domaine ?

Pour un pays comme le nôtre qui ne peut être présent au plus haut niveau dans tous les secteurs de recherche et qui n'a pas les moyens de mener une politique de coopération systématique avec tous les pays présents, votre rapporteur estime qu'il est souhaitable de poursuivre une triple stratégie d'excellence, de proximité géographique et de longévité de la coopération.

· L'excellence

Il s'agit tout d'abord de donner la priorité aux domaines dans lesquels la France apporte une réelle plus-value scientifique. Votre rapporteur en a déjà évoqué plusieurs : il s'agit bien évidemment notamment de la glaciologie, de la biologie et de l'astronomie. Il y a un véritable intérêt pour la France à conforter une position mondialement reconnue en prenant la tête de coopérations. Comme il a également déjà été souligné, cela veut dire également des moyens matériels et des personnels aussi bien pour la science que pour la logistique et la gestion du programme en coopération.

· La proximité géographique

Les coopérations doivent aussi, du moins en Antarctique et pour la logistique, obéir à des critères de proximité. Les États-Unis, l'Italie, l'Australie et la Nouvelle-Zélande sont les quatre pays dont les installations sont les plus proches des nôtres. Sans avoir une démarche exclusive à leur égard, ils doivent être privilégiés. Autant votre rapporteur a relevé l'excellent niveau de notre coopération avec les deux premiers lors de ses déplacements, autant avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande cela paraît moins évident. Avec ces deux pays, il y a donc une réflexion à mener sur la logistique, même si la Nouvelle-Zélande est sans doute peu demandeuse compte tenu de la proximité de sa base de Scott de la base américaine de McMurdo. La logistique antarctique australienne est en revanche localisée au même endroit, à Hobart, que la logistique française.

Il peut également y avoir un intérêt scientifique à les associer au développement de Concordia, notamment dans sa dimension astronomique. Une expérience avec une équipe australienne a été malheureuse en raison d'un manque de respect de l'éthique scientifique mais ne doit pas pour autant décourager toute coopération.

Avec les États-Unis, la coopération s'est beaucoup développée ces dernières années. Le rôle de l'actuel directeur de l'IPEV a été important dans cette évolution. Il a su imposer notre pays vis-à-vis de partenaires anglo-saxons échaudés par certains événements passés. Aujourd'hui, une réelle confiance et une réelle estime marquent nos relations bilatérales. Il est frappant de noter aussi bien à la National Science Foundation que dans les laboratoires les mentions élogieuses des travaux français. Sur le plan logistique, la France peut bénéficier dans certaines conditions des moyens logistiques américains, notamment de places sur la liaison aérienne Christchurch (Nouvelle-Zélande) - McMurdo. La France fournit aux États-Unis une aide technique sur certains points, comme par exemple les techniques de forage de la glace pour l'installation de l'expérience Ice Cube.

La coopération avec les États-Unis se poursuit aussi en Alaska où certains chercheurs français peuvent mener à bien des programmes.

Cette riche relation n'est cependant pas encore formalisée, à la connaissance de votre rapporteur, dans un accord général de coopération ou par la création d'un laboratoire commun qui soit le ciment d'une collaboration durable quelles que soient les péripéties ultérieures. C'est pourtant une démarche qui pourrait être poursuivie sur plusieurs thématiques scientifiques, compte tenu des liens existant déjà, notamment dans le domaine de la glaciologie. Des coopérations plus poussées pourraient aussi voir le jour sur la biologie, les positions françaises étant fortes dans ce domaine.

_ La longévité

La longévité de la coopération, c'est-à-dire son caractère stable et pérenne, est enfin un des principaux éléments à rechercher pour développer des liens utiles. A cet égard, les liens développés avec les savants russes en matière de glaciologie semblent un exemple à suivre.

Ils sont issus des liens personnels forts qui unissaient Claude Lorius à plusieurs chercheurs intervenants à Vostok dans son domaine de recherche. C'est à travers ces liens qu'a été atteint le record de profondeur - 3623 m en 1998 - et, qu'ensuite ont été retranscrites les 420 000 dernières années du climat et de l'atmosphère, recouvrant quatre cycles glaciaires complets. Ce forage a aussi permis de découvrir le lac sous-glaciaire de Vostok, grand comme la Corse. Ces expériences ont pu progressivement être transformées en un lien durable allant au-delà des individus, entre le LGGE en France et l'AARI en Russie, sous la forme d'un groupement de recherche européen (GDRE).

Il a été créé en décembre 2004 par le CEA, le CNRS, le LGGE et l'IPEV. Ses principaux objectifs sont :

- poursuivre les études des archives climatiques de la carotte de Vostok,

- développer et réaliser des mesures géophysiques et microbiologiques dans les trous de forage existants.

Dans ces deux domaines, le GDRE a déjà obtenu des résultats importants. Une nouvelle méthode de datation, basée sur la quantité d'air piégée, a fait l'objet de publications de haut niveau. Elle permet en effet de connaître très précisément l'insolation locale et de retrouver la date exacte par calcul astronomique. Elle apporte un niveau de précision, jusque là inconnu dans l'analyse de ces carottes.

En matière de microbiologie, beaucoup de travaux ont été effectués sur les glaces de regel du lac de Vostok. Les premières analyses ont montré qu'elles contenaient très peu de biomasse, mais que les bactéries qui s'y trouvaient étaient thermophiles.

2007 est une année importante, marquant le 50e anniversaire de la base de Vostok (16 décembre 1957) et de renouvellement pour le GDRE.

Votre rapporteur souhaite vivement qu'il puisse être renouvelé compte tenu du grand intérêt des recherches menées en commun.

L'AARI est aujourd'hui demandeur d'une coopération structurée plus large avec la France.

Votre rapporteur est favorable à cette évolution. Il s'agirait à la fois de développer les liens en Antarctique mais avec d'autres bases que celle de Vostok, celle de Mirny a été citée, et de mettre en place une coopération en Arctique. A notamment été proposée la participation de la France au laboratoire germano-norvégo-russe portant sur la région de la mer de Laptev : système côtier, naissance de la dérive transarctique et étude de la banquise.

Cette participation serait également cohérente avec la participation technique de la France au projet de brise-glace Aurora Borealis. Pour l'instant, seule la Russie s'est véritablement engagée financièrement aux côtés de l'Allemagne. La France devrait fournir la technologie des carottages océaniques de grande longueur mise en œuvre sur le Marion Dufresne. Cette contribution est importante car l'un des objectifs principaux du navire est de pouvoir effectuer seul des forages sédimentaires dans le grand Nord.

Votre rapporteur regrette cependant que la France n'ait pu être à même d'affirmer un engagement plus fort auprès de l'Allemagne. Justifié sur le plan scientifique, ce geste aurait une portée symbolique alors que les Allemands attendent de notre part une participation significative à leurs grandes infrastructures de recherche de niveau européen.

La situation financière de la recherche en milieu polaire ne permet pas, à moyens constants, de dégager des financements, d'autres sujets étant prioritaires.

Cependant, dans le cadre du nouveau quinquennat et de la réévaluation globale de la relation franco-allemande par le prochain Président de la République, votre rapporteur souhaite que ce dossier fasse l'objet d'un réexamen. Nos relations avec l'Allemagne et la Russie, particulièrement dans le domaine scientifique, et l'intérêt d'être significativement plus présent en Arctique, une zone stratégique de plus en plus accessible, et dans des domaines scientifiques où la France joue les premiers rôles, sont des arguments qui devraient peser.

L'objectif de l'Allemagne est aussi de faire de l'Aurora Borealis une infrastructure de recherche fédératrice au niveau européen en l'utilisant comme université flottante, rejoignant nos propres objectifs en matière de coopération européenne.

Au-delà de coopérations bilatérales ou multilatérales ponctuelles ou sur quelques années, se pose la question de la mise en réseau des observatoires et des résultats des recherches dans les régions polaires.

Ce point paraît particulièrement d'actualité à la veille de l'année polaire internationale d'autant que plusieurs domaines de recherche sont déjà organisés au niveau mondial pour recueillir et mettre les données à disposition.

C'est le cas notamment de plusieurs réseaux géophysiques : sismique, magnétisme terrestre et spatial, suivi de la couche d'ozone.

L'idée de faire fonctionner en réseau les stations en Antarctique a aussi beaucoup progressé dans le domaine de l'analyse de l'atmosphère comme l'a montré récemment le programme Vorcore qui consistait à effectuer des mesures à partir d'un ballon tournant autour du continent au sein du vortex. Non seulement, les ballons ont été lancés à partir de McMurdo, base américaine qui a assuré leur mise en place en tout début de saison en priorité sur d'autres activités, mais ensuite les chercheurs français ont pu bénéficier du concours d'autres stations le long de la côte, qui ont lâché des ballons pour effectuer des mesures complémentaires au moment du passage de l'instrument français.

Ce concept peut-il s'étendre à d'autres domaines de recherche, notamment la biologie ?

Chaque pays a profité de sa position pour étudier les animaux qui se trouvaient sur ses possessions ou à la proximité de sa base créant une tradition nationale d'observation de certaines espèces. C'est le cas en France, où les chercheurs ont eu accès à une biodiversité très riche. L'exceptionnelle proximité de la base Dumont d'Urville avec une colonie de manchots empereurs est désormais connue du grand public, mais les possessions françaises offrent quasiment sans exception des conditions de travail hors du commun pour les biologistes. Un processus similaire peut être observé dans d'autres pays possédant des îles australes : Royaume-Uni (Géorgie et Sandwich du Sud), l'Australie (Macquarie), la Nouvelle-Zélande (Campbell, Auckland et Bounty) et l'Afrique du Sud (Prince Édouard et Marion).

Or, dans plusieurs cas, les espèces présentes sur une île ou dans une colonie côtière sont aussi présentes dans un autre lieu malgré les distances qui les séparent et leur caractère généralement philopatride. Il paraîtrait donc d'un grand intérêt, alors que plusieurs espèces risquent d'être menacées par le changement climatique, de mettre en place un réseau d'observation élargi aux principaux pays concernés.

Il faut rappeler ici que l'Antarctique est grand comme une fois et demie l'Europe, et n'est peuplé au maximum que de 5 000 chercheurs travaillant dans une cinquantaine de stations

La France devrait, si elle s'en donne les moyens, jouer un rôle important dans ce domaine puisqu'elle dispose sans doute de la base de données la plus ancienne (40-50 ans), la plus précise et la plus large en nombre d'espèces dans l'océan austral.

Ces réflexions pourraient s'étendre à l'océan arctique qui forme lui aussi une unité écologique assez homogène.

Les régions polaires sont des régions stratégiques pour notre pays et pour l'Europe pour deux raisons principales :

. Elles sont au cœur des grandes évolutions climatiques qui détermineront notre avenir et permettent des recherches de très haut niveau susceptibles de modifier notre manière de vivre ou notre vision du monde.

. En raison du réchauffement climatique et du progrès technologique, ces régions sont de plus en plus accessibles pour y développer des activités économiques. Les passages du Nord-Ouest et du Nord-Est et les ressources des régions arctiques et de l'océan austral sont des enjeux majeurs.

Les régions polaires sont des régions particulièrement fragiles car soumises à l'amplification du changement climatique. Certaines de leurs caractéristiques majeures ainsi que leur faune et leur flore sont menacées.

Les activités humaines d'exploitation des ressources ainsi que le tourisme doivent être régulées.

En Antarctique, si le traité de Washington et le protocole de Madrid préservent pour 40 ans encore le continent de toute exploitation minière, il ne peut empêcher un accroissement rapide du tourisme.

Notre pays, qui a joué un rôle déterminant en 1989 pour la protection du continent, doit s'opposer à une croissance non maîtrisée du tourisme marquée par l'utilisation de navires de plus de 3 000 passagers et le développement d'infrastructures permanentes à terre.

Votre rapporteur est également opposé au développement d'un tourisme en terre Adélie, qui se fondrait sur l'utilisation à des fins commerciales des moyens logistiques dévolus à la recherche et imposerait aux scientifiques de participer à l'attraction.

Les régions polaires, à travers les carottages glaciaires de Vostok et d'EPICA à Concordia, ont déjà conduit à un bouleversement des connaissances en permettant de reconstituer l'évolution du climat depuis 850 000 ans et en démontrant l'action de l'homme. Ces données sont aussi le mètre étalon des modèles climatiques visant à prévoir l'évolution future du climat.

La recherche climatique dans les régions polaires doit être encore fortement soutenue car elle doit permettre à l'avenir de nouvelles découvertes importantes :

- à travers des forages glaciaires permettant de connaître le climat de la terre au-delà de 1,2 million d'années et de reconstituer des phases critiques anciennes (Eémien) ou plus récentes pour comprendre les variabilités futures du climat ;

- à travers l'océanographie en permettant de comprendre les déterminants de la circulation océanique globale, tout particulièrement la formation des eaux froides de fond, et les capacités de l'océan à absorber le carbone ;

- à travers le suivi des grandes régions englacées pour prévoir leurs évolutions et leurs conséquences sur le climat et la biodiversité.

Dans tous ces domaines, la progression des connaissances est indispensable.

Les recherches biologiques françaises en milieu polaire sont parmi les plus performantes au monde. Elles ont pu se développer en mettant à profit un réseau de bases formant un gradient exceptionnel de l'Antarctique à la convergence subtropicale en passant par le front polaire et donc idéales pour l'étude de la faune et de la flore. Cette recherche a aussi su mettre en place une base de données sur plus de 40 ans permettant aujourd'hui de mener des études de grande valeur.

Les deux thématiques principales que sont l'adaptation au changement climatique et aux milieux extrêmes présentent un très grand intérêt, aussi bien pour l'avenir de la biodiversité que pour la santé humaine. Elles sont donc au cœur d'enjeux sociétaux et offrent un réel potentiel économique.

Aujourd'hui cette recherche est innovante et toujours plus tournée vers les technologies de pointe, proches des techniques biomédicales.

Ses moyens financiers et son organisation (équipes pluridisciplinaires et plus nombreuses) doivent donc être adaptés. Cette recherche doit aussi mettre en place de plus fortes synergies nationales pour développer ses collaborations internationales.

Un grand nombre d'observatoires géophysiques sont implantés dans les régions polaires, soit parce qu'ils permettent de compléter le réseau mondial, soit parce que les régions polaires offrent des conditions uniques d'observation comme pour les relations entre la Terre et le Soleil ou le suivi de la couche d'ozone.

Ces activités d'observatoire sont emblématiques du travail en réseau de la communauté scientifique et de l'esprit de coopération pour l'observation de phénomènes physiques de grande dimension.

La France doit donc pleinement soutenir ces activités afin de maintenir dans la longue durée ces recherches à un niveau international.

L'astronomie est devenue la nouvelle frontière des recherches polaires françaises. Les responsables scientifiques et politiques doivent prendre conscience que Concordia pourrait très rapidement être qualifiée comme l'un des meilleurs sites sur terre pour l'astronomie, en concurrence ou en complément de l'espace.

Les États-Unis, sur la base pôle Sud, ont pleinement pris ce virage et y soutiennent des recherches fondamentales de premier plan, comme l'étude du fond cosmologique de l'univers et la détection des neutrinos, pour prendre deux domaines scientifiques nobélisés respectivement en 2006 et 2002.

Notre pays, en coopération avec l'Italie, doit donc développer une stratégie scientifique et logistique qui prenne en compte les activités déjà réalisées à Pôle Sud et celles qui pourraient se développer au Dôme A lorsque les Chinois y auront construit une base permanente.

Votre rapporteur propose dans un premier temps de développer des projets à haute valeur ajoutée scientifique, mais soutenables dans l'état actuel de la logistique pour, dans un second temps, placer Concordia en position de recevoir de grands instruments internationaux avec une logistique qui aurait été adaptée.

Aujourd'hui, beaucoup de missions spatiales ont besoin d'être préparées ou validées par des travaux dans les régions polaires.

L'Antarctique est de plus en plus reconnu comme un lieu très favorable à la préparation des missions de longue durée pour l'exploration du système solaire, que ce soit pour le matériel ou pour les hommes.

Cette dimension scientifique et technologique est réellement prometteuse même si les calendriers des programmes d'exploration ne la rendent pas prioritaire aujourd'hui.

La France doit être plus présente dans les régions polaires en raison de leur caractère stratégique.

Historiquement fortement présent au Sud, notre pays y a construit une légitimité scientifique internationale qui doit conduire à conforter nos positions.

Traditionnellement moins présente en Arctique, la France a recommencé à y développer son activité de recherche. Cette évolution doit être nettement renforcée compte tenu de l'intérêt scientifique et politique de ces régions et du caractère bipolaire de la plupart des thématiques scientifiques et des collaborations internationales.

La présence française dans les régions polaires souffre dans sa dimension bipolaire d'un manque de direction et de permanence.

Votre rapporteur propose donc de désigner un pilote coordinateur de la présence française aux deux pôles, soit en confiant cette mission à l'Institut polaire français - Paul-Émile Victor, soit en la confiant au ministère des affaires étrangères à travers la création d'un poste d'ambassadeur itinérant thématique aux questions polaires.

Dans les régions australes, la France souffre des dissensions entre les deux principaux acteurs que sont les TAAF et l'IPEV. A l'instar de la Cour des comptes, votre rapporteur propose de mieux séparer les missions (notamment en matière de logistique) et de rapprocher les objectifs (valorisation des territoires par la recherche, gestion durable des ressources, défense des intérêts français dans ces régions).

Votre rapporteur propose ensuite de mieux coordonner la recherche en milieu polaire.

Si le modèle d'un institut polaire, agence de compétences et de moyens, semble adapté au paysage français de la recherche et à nos objectifs, il doit dans l'avenir être doté de vrais moyens et de vrais pouvoirs de coordination.

Il doit pouvoir être le lieu où se forgent les priorités et où se bâtit la cohérence de notre action de recherche dans ses moyens, au niveau national comme dans ses partenariats au niveau international.

Il doit pouvoir aider à la formation des jeunes chercheurs, alors même qu'aux États-Unis son homologue est d'ores et déjà engagé dans la sélection de post-doctorants.

Il doit enfin être un réservoir de moyens humains pour la gestion des programmes européens et internationaux.

S'il est impossible de chiffrer les moyens que la France consacre à la recherche en milieu polaire compte tenu de l'organisation de sa recherche, il est en revanche évident qu'elle ne consacre pas assez de moyens à la logistique polaire.

Aujourd'hui, d'institut polaire, l'IPEV est en passe devenir un institut majoritairement océanographique spécialisé dans les carottages de grande profondeur en raison du coût croissant du Marion Dufresne. Si cette évolution devait se confirmer, l'Institut perdrait progressivement sa spécificité polaire.

Le poids de ce navire océanographique, malgré le soutien important du ministère de la recherche, pèse sur l'ensemble du budget de l'IPEV. Il est aujourd'hui urgent de trouver une solution cohérente avec le rôle principal de l'IFREMER dans la gestion de la flotte scientifique française.

Ce fardeau empêche l'IPEV d'entamer la rénovation désormais urgente de la station Dumont d'Urville, dont un grand nombre de bâtiments sont très vétustes.

A cette occasion une réflexion scientifique et logistique de long terme doit être menée pour penser notre présence à Dumont d'Urville compte tenu de la mise en service de Concordia.

Il empêche enfin de prendre conscience que la France est le grand pays antarctique qui dispose des moyens logistiques les plus faibles, sans véritable brise-glace, et sans avion.

Enfin, votre rapporteur estime indispensable la formulation d'une stratégie de coopération en Europe et au niveau international.

Une stratégie européenne est indispensable dans un domaine de recherche fondamentale particulièrement coûteux en logistique et se déployant sur de vastes zones. Elle l'est également parce que, isolés, les pays européens pèsent peu face aux grands du polaire que sont les Etats-Unis, la Russie et demain la Chine.

Si l'idée d'une agence européenne doit être abandonnée à moyen terme en raison de l'opposition de la Commission et du niveau actuel des coopérations, il est possible de formuler une stratégie en trois volets.

Le premier serait l'exploitation des synergies que l'on peut attendre des grands programmes européens (EPICA, DAMOCLES). Le deuxième serait la pleine prise en compte des contraintes et impératifs politiques, logistiques et scientifiques de nos principaux partenaires. Le troisième serait l'amplification de la dynamique italo-germano-française de coopération bipolaire en la maintenant ouverte à d'autres pays européens.

Votre rapporteur souhaite à cet égard que le nouveau Président de la République revienne sur la décision française de ne participer que marginalement au projet allemand de brise-glace européen l'Aurora Borealis.

Au niveau international, votre rapporteur estime que la France doit avoir deux grandes priorités. D'une part, il faut qu'elle donne la priorité à des relations structurées et pérennes dans le temps qui sont les plus susceptibles d'offrir d'importantes perspectives de collaboration en se focalisant sur les grands partenaires. D'autre part, il est souhaitable que la France puisse exercer son leadership dans les domaines où elle se situe au premier niveau mondial, on pense notamment à la glaciologie, à la biologie ou peut-être demain à l'astronomie.

ANNEXES

EXAMEN DU RAPPORT DEVANT L'OFFICE

A l'issue de l'exposé du rapporteur, M. Henri Revol, sénateur, président, a souligné l'intérêt des recherches dans ces régions et a souhaité que ce rapport contribue à les faire connaître et donc à mieux les soutenir financièrement.

M. Claude Birraux, député, premier vice-président, rappelant le rapport de l'Office (1992) présenté par M. Jean-Yves Le Déaut, député, sur « les problèmes posés par le développement des activités liées à l'extraction des ressources minérales de l'Antarctique », a souhaité savoir quels étaient aujourd'hui les enjeux de la protection de l'environnement dans ces régions. Il a interrogé le rapporteur sur les différences entre les deux pôles face au changement climatique, sur les recherches sismiques et enfin sur l'impact de l'ouverture de l'année polaire internationale sur la recherche française.

M. Christian Gaudin, sénateur, rapporteur, a alors apporté les précisions suivantes :

- la France s'était opposée à la convention de Wellington de 1988, qui avait été négociée pour réglementer l'exploitation minière de l'Antarctique, alors que certains experts supposaient que le continent recelait des richesses similaires à celles des Andes, de l'Afrique du Sud et de l'Australie. Toute exploitation a été rendue impossible par l'adoption du protocole de Madrid en 1991. Depuis lors, c'est le développement du tourisme qui paraît poser le plus de difficultés, car il entraîne des risques de contamination. Se pose aussi la question de la préservation de sites exceptionnels comme les lacs sous-glaciaires, notamment celui de Vostok, alors que les chercheurs ne disposent sans doute pas encore de techniques leur permettant d'effectuer des prélèvements sans le polluer ;

- la relation entre les deux pôles est essentielle. Le Nord réagit beaucoup plus rapidement au réchauffement ;

- les bases françaises des îles subantarctiques, de terre Adélie et prochainement de Concordia sont reliées au réseau international d'observation sismologique ;

- l'année polaire internationale s'ouvrira le 1er mars 2007. La dernière avait eu lieu en 1957-1958 et avait notamment conduit à la signature du traité sur l'Antarctique et au lancement des recherches à Dumont d'Urville sous la direction des Expéditions polaires françaises (EPF) de Paul-Emile Victor. La prochaine sera l'occasion de développer de nouveaux programmes de recherche en collaboration internationale. L'ouverture solennelle, le jeudi 1er mars, aura lieu sous l'égide de l'OPECST au Sénat.

M. Henri Revol, sénateur, président, a ensuite proposé d'approuver le rapport, qui a été adopté à l'unanimité des présents

PERSONNALITÉS ENTENDUES

Service d'aéronomie

· Mme Sophie GODIN-BEEKMANN

· Mme Florence GOUTAIL

· Mme Christine DAVID

· M. Gérard ANCELLET

· Mme Marie-Lise CHANIN

Laboratoire d'océanographie et du climat : expérimentations et approches numériques

· Mme Marie-Noëlle HOUSSAIS, projet Albion

· M. Jean-Claude GASCARD, projet Damoclès

· Mme Claire LO MONACO, projet Caraus

1 Découverte Gallimard, Paris, 159 p., 1ère édition 1987, 2e édition 2006.

2 Votre rapporteur suit ici la démarche de M. Alain GODARD et Mme Marie-Françoise ANDRÉ dans Les milieux polaires, Armand Colin, Collection U, Géographie, Paris, 1999, 455 p., chapitre I.

3 1 mille marin = 1 852 mètres.

4 Nom du navire de James Clark Ross qui l'a découvert.

5 Cité par Bertrand Imbert et Claude Lorius, Le grand défi des pôles, 2e édition 2006, p.30.

6 Jean-René Dupuy, AFDI, 1960.

7 Plus d'une centaine de lacs ont été découverts. Celui de Vostok a une superficie de 14 000 km².

8 National Science Foundation des Etats-Unis (équivalent du CNRS) - Office des programmes polaires.

9 Cf. M. Jean Jouzel et Mme Anne Debroise, Le climat : jeu dangereux, Paris, Dunod, collection Quai des sciences, 2004, 212 pages.

10 Dendrochronologie, documents historiques (dates des vendanges, etc.), sédiments lacustres, etc. Cf. Emmanuel Le Roy-Ladurie, Histoire du climat depuis l'an mil, Paris, Flammarion, 1983.

11 Cité par Frédérique Rémy, L'Antarctique, la mémoire de la Terre vue de l'espace, CNRS éditions, 2003, p.20.

12 La troposphère n'est épaisse que de 7 km aux pôles contre 20 km à l'équateur.

13 « Donnez-moi un demi vraquier de fer et je vous donnerai un âge glaciaire ».

14 Philippe Huybrechts, Université libre néerlandophone de Bruxelles, Nature et Geophysical Research Letter.

15 Votre rapporteur se réfère ici, ainsi qu'à de nombreuses reprises dans cette partie, aux 40e rugissants, un sanctuaire sauvage, de Charles-André Bost, Christophe et Dominique Guinet, Benoît Lequette et Henri Weimerskirsh, Gerfaut, 2003, 208 p.

16 Les manchots vivant dans les régions australes sont des oiseaux qui ont perdu la capacité de voler. Ils n'ont aucun point commun avec les 23 espèces de pingouins qui vivent dans l'Arctique et peuvent voler.

17 Le krill est une crevette pélagique qui joue un rôle central dans l'ensemble de la chaîne alimentaire de l'océan austral. Durant l'hiver, il vit sous la banquise qui lui fournit une protection.

18 Les mitochondries sont des éléments internes à la cellule, d'une taille de l'ordre du micromètre. Elles stockent l'énergie sous forme d'ATP à la suite d'un processus d'oxydation. L'ATP, ou adénosine triphosphate, est une molécule utilisée par tous les organismes vivants pour fournir de l'énergie. Il sert dans la synthèse des ARN.

19 Le géoïde est une représentation de la surface terrestre plus précise que l'approximation sphérique ou ellipsoïdale. Le géoïde étant une surface équipotentielle de pesanteur particulière, il sert de zéro de référence pour les mesures précises.

20 Le problème de l'ozone stratosphérique n'a aucun rapport avec les phénomènes de pic d'ozone constatés dans les régions urbaines fortement polluées. L'ozone situé au niveau du sol et celui situé au niveau de la stratosphère n'ont pas de lien. On le comprend mieux si l'on tient compte des différentes couches de l'atmosphère :

- troposphère : 0-12 km d'altitude

- stratosphère : 12 à 45 km d'altitude

- mésosphère : 45 à 90 km d'altitude

- à partir de 90 km : ionosphère.

21 Chlorofluorocarbone.

22 Zéro absolu : 0 kelvin (K) = - 273,16°C.

23 Jean Orloff, Université Blaise-Pascal Clermont-Ferrand, La Recherche, n°402, novembre 2006.

24 Julien Lesgourges (CNRS), La Recherche, novembre 2006, n°402

25 Il tombe 5 à 6 000 tonnes de météorites par an sur Terre.

26 Votre rapporteur se réfère ici à un article de MM Pierre Lantos et Christophe Marqué (CNRS, Observatoire de Paris-Meudon, Laboratoire de physique du Soleil et de l'héliosphère) et à une présentation de M. Karl Ludwig Klein du LESIA.

27 Le second était le Mirny, nom de la base côtière russe par laquelle transit le fret vers Vostok.

28 La station « Princesse Elisabeth ».

29 M. Michel Champon depuis janvier 2005.

30 Un chacun par les ministres de la défense, de l'Outre-mer parmi les membres de l'Office pour la recherche scientifique, l'éducation nationale parmi les membres du CNRS, aéronautique marchande et de la marine marchande, soit 2 par les transports, et 2 par l'outre-mer parmi les personnalités ayant participé à des missions scientifiques dans les îles australes et antarctiques. Parmi l'ensemble de ces personnalités, il est désormais usuel que soit nommé un sénateur, jusqu'à présent le sénateur honoraire Lucien Lanier.