N° 379 - Rapport de M. Bernard Roman sur la proposition de loi constitutionnelle de M. Jean-Marc AYRAULT et plusieurs de ses collègues visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections locales aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne résidant en France (341)




Document mis
en distribution
le 22 novembre 2002

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N° 379

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 novembre 2002.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE (N° 341) DE M. JEAN-MARC AYRAULT, ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES, visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections locales aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne résidant en France.

PAR M. BERNARD ROMAN,

Député.

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Élections et référendums.

I. - UN DÉNI D'INTÉGRATION 7

A.  UNE CITOYENNETÉ INCOMPLÈTE 7

1. L'assimilation de la citoyenneté à la nationalité 7

2. L'émergence progressive d'un droit de cité pour les étrangers résidents en France 9

3. La brèche introduite pour les résidents communautaires 12

B. UN STATUT DISCRIMINATOIRE INJUSTIFIÉ 13

1. La France, lanterne rouge de l'Europe 13

2. Une limite à l'intégration 14

II. - POUR UNE CITOYENNETÉ DE RÉSIDENCE 16

A. LA PROPOSITION DE LOI 16

1. Un objet large 16

2. Des conditions souples 17

B. L'EXAMEN EN COMMISSION 18

TABLEAU COMPARATIF 23

____________________________________________

MESDAMES, MESSIEURS,

L'intégration des étrangers en situation régulière et de leurs descendants répond à la fois à un impératif de cohésion nationale et aux exigences républicaines d'égalité et de fraternité. Si l'actuel Gouvernement affiche des intentions louables en faveur de l'intégration de nouveaux immigrés, il ne semble pas vouloir s'attacher à répondre à l'ensemble des difficultés des résidents étrangers installées durablement en France.

Comme les citoyens français, ils paient des cotisations sociales et des impôts. Ils participent à la vie économique et sociale. Ils peuvent être délégués du personnel ou membres des comités d'entreprises, devenir délégué syndical et participer aux élections prud'hommales. Ils peuvent diriger une association, siéger dans les conseils d'administration des structures publiques et dans les instances des établissements scolaires et universitaires. Ils contribuent à la vie de la cité et à la vie de la nation, mais, sauf s'ils sont ressortissants communautaires, leurs droits s'arrêtent à la porte des bureaux de vote. Ils n'ont ainsi aucun droit de regard sur les décisions qui touchent à leur vie quotidienne. Ces hommes et ces femmes, « attachés à leur racine mais insérés dans nos cités », que nous sommes allés chercher, le plus souvent parce que nous avions besoin d'eux, et qui, pour la plupart, finiront leur vie sur notre sol, méritent de se voir reconnaître le droit de vote et d'éligibilité aux élections locales. Parfois désireux de conserver leur nationalité étrangère, choix qu'il convient de respecter, ils n'en sont pas moins soucieux de participer davantage à la vie de la cité.

Accorder aux résidents étrangers le droit de vote et d'éligibilité aux élections locales constituerait un signe de reconnaissance et de confiance ainsi qu'un facteur supplémentaire d'intégration de leurs enfants. Ces enfants, auxquels nous demandons de respecter les lois de la République, ont du mal à s'imprégner d'une citoyenneté qui s'arrête aux limites de leur cadre familial et ne comprennent pas pourquoi leurs parents continuent de dépendre, dans leur vie quotidienne, de règle sur lesquelles ils ne sont pas consultés. Enfin, il s'agit de faire vivre notre démocratie locale, grâce à la participation de tous ceux qui y sont impliqués.

La reconnaissance du droit de vote aux résidents étrangers pour les élections locales figurait déjà parmi les « 110 propositions » de François Mitterrand à l'élection présidentielle de 1981. En juin 1985, revenant sur la question, comme il le fit tant de fois, il s'étonnait :

« Comment, dans une société qui se croit civilisée, est-il concevable que vivent des hommes et des femmes dépendant des conditions qui leur sont créées sans qu'ils puissent émettre leurs avis sur ces questions-là ? (...) La participation des immigrés qui se trouvent en France depuis un certain temps (...) à la gestion locale pour disposer des droits correspondant à ceux des citoyens dès lors que leur vie en est affectée, me paraît être une revendication fondamentale qu'il faudra réaliser. »

Sous la précédente législature, notre Assemblée avait adopté, le 3 mai 2000, une proposition de loi constitutionnelle qui aurait permis d'accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales à l'ensemble des résidents étrangers, mais elle n'a pas pu être adoptée en raison de l'opposition du Sénat.

Faisant usage de la faculté qui leur est offerte, pour la première fois sous cette nouvelle législature, par l'article 48, alinéa 3 de la Constitution, de demander l'examen en séance publique d'une proposition de loi, les députés du groupe socialiste ont choisi de poser à nouveau la question du droit de vote et d'éligibilité des étrangers aux élections locales, sur laquelle certains membres de l'actuelle majorité ont pris une position favorable.

À ceux qui nous accuseront d'agiter à nouveau un chiffon rouge, je rappellerai la phrase que François Mitterrand prononça en juin 1990 sur cette question essentielle :

« C'est comme si vous reprochiez aux socialistes du XIXe et du XXe siècle d'avoir agité en permanence les droits de la femme, les droits de l'enfant, le droit à la retraite, le droit au repos, le droit à la sécurité sociale. Ils les ont agités, en effet, jusqu'au moment où ils ont eu gain de cause ».

I. - UN DÉNI D'INTÉGRATION

Après la Révolution française, le concept de citoyenneté s'est progressivement confondu avec celui de nationalité. Dans l'optique républicaine initiale, les discriminations légales visant les étrangers n'étaient pas considérées comme des entorses à la démocratie, toute personne étrangère étant normalement citoyenne d'une autre nation. Mais cette conception ne saurait être de mise dans une société ouverte dans laquelle des personnes étrangères se sont installées durablement.

A.  UNE CITOYENNETÉ INCOMPLÈTE

Comme l'a souligné Danièle Lochak (1), la notion de citoyenneté est susceptible de plusieurs acceptions. Elle peut recouvrir un statut, celui de national ; un ensemble de prérogatives, dont le droit de vote et d'éligibilité constitue la quintessence ; un certain type de comportements, qui manifestent la participation à la vie de la cité.

1. L'assimilation de la citoyenneté à la nationalité

· De l'universalisme à l'exclusivité

Sur le plan des droits civiques et notamment politiques, la discrimination communément admise entre nationaux, détenteurs d'une parcelle de la souveraineté nationale, et étrangers n'a pas toujours été évidente. La dimension universelle de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, affirmée dès son article 1erLes hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune ») ne la reconnaît pas. Malgré certaines ambiguïtés, il est incontestable que les révolutionnaires s'adressaient aux hommes et non pas aux Français, à tous les temps, tous les pays, toutes les nations et tous les peuples. Les premières constitutions de la France n'ont d'ailleurs pas établi de liens exclusifs entre nationalité et citoyenneté.

La Constitution du 3 septembre 1791 admet ainsi libéralement que les étrangers qui résident en France depuis cinq ans accèdent sans naturalisation à la citoyenneté française. L'Acte constitutionnel du 24 juin 1793, établit le suffrage universel, écarté en 1791 au profit d'une solution censitaire. Or, les étrangers sont admis à l'exercice du suffrage dans des conditions plus libérales encore qu'en 1791 : « Tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt-et-un ans accomplis ; tout étranger âgé de vingt-et-un ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année, y vit de son travail, ou acquiert une propriété, ou épouse une Française, ou adopte un enfant, ou nourrit un vieillard ; tout étranger enfin, qui sera jugé par le corps législatif avoir bien mérité de l'humanité ; est admis à l'exercice des droits de citoyen français » (article 4).

Après 1793, les concepts de citoyenneté et de nation vont se rejoindre toujours davantage. Le suffrage censitaire est instauré et la condition de résidence qui permet à un étranger de devenir citoyen français passe à sept années consécutives en 1795 (article 10 de la Constitution du 5 fructidor an III), puis à dix années en 1799 (article 3 de la Constitution du 22 frimaire an VIII). Comme le souligne Roger Brubaker (2) : « A partir de là, citoyen et étranger seront deux catégories exhaustives corrélées, exclusives l'une de l'autre : on sera citoyen ou étranger, sans qu'une troisième voie soit possible ».

Le code Napoléon exclut les étrangers des droits civils (succession, adoption, ...), sauf en cas de réciprocité, et des droits politiques. Citoyenneté et nationalité se confondent et l'accès à cette dernière est limité, puisque la filiation devient le critère principal pour l'acquérir. Sous la restauration, ce sont « Les Français [qui] sont égaux devant la loi » (article 1er de la Charte du 4 juin 1814, 59 de l'Acte additionnel du 22 avril 1815 et 1er de la Charte du 14 août 1830). Si la Constitution du 4 novembre 1848 s'adresse de nouveau aux « citoyens » et rétablit le suffrage universel sans condition de cens, seuls les Français sont électeurs (article 25). Ce principe ne sera plus remis en cause.

· La Constitution du 4 octobre 1958

L'article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958, dont rédaction est très proche des articles 3 et 4 de celle du 27 octobre 1946, dispose que « La souveraineté nationale appartient au peuple, qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum », et que « Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques ».

L'interprétation de cette dernière disposition a fait l'objet de nombreuses discussions. En se référant aux travaux préparatoires de la Constitution, certains auteurs (3) avaient soutenu que cette disposition n'avait rien d'exclusif, car, en 1958, les constituants souhaitaient laisser la porte ouverte aux ressortissants de la Communauté. Selon cette interprétation, les constituants, pour réserver l'exclusivité du droit de vote aux nationaux français, auraient dû préciser que seuls ceux-ci avaient le droit de vote. Le Conseil constitutionnel a clairement rejeté cette analyse tout en ouvrant la voie à une distinction entre les élections politiques mettant en cause la souveraineté nationale et les élections locales.

Dans une décision du 18 novembre 1982 (4) relative à l'instauration de quotas par sexe pour la constitution des listes aux élections municipales, le juge constitutionnel, établissant une distinction entre les élections politiques et les élections corporatives, a considéré que le quatrième alinéa de l'article 3 de la Constitution devait s'appliquer à toute élection faisant intervenir les citoyens en tant que tels, indépendamment de toute autre qualité ou particularité, sans distinguer entre les élections locales et les élections nationales.

Dans sa décision du 9 avril 1992 (5) relative au traité sur l'Union européenne signé à Maastricht le 7 février 1992, le Conseil constitutionnel a confirmé la caractère exclusif du critère de nationalité posé au quatrième alinéa de l'article 3 de la Constitution, mais il a quelque peu infléchi sa jurisprudence antérieure. Il a, en effet, considéré que l'octroi aux citoyens de l'Union européenne du droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales était contraire au quatrième alinéa de l'article 3, uniquement parce que les élections municipales sont liées aux élections sénatoriales qui participent à l'exercice de la souveraineté nationale. Il a ainsi écarté une violation directe de l'article 3 pour retenir une contrariété aux dispositions combinées des articles 3, 24 et 72  en tenant le raisonnement suivant :

-  le principe de la libre administration des collectivités territoriales par des conseils élus implique que leurs organes délibérants procèdent d'une élection au suffrage universel direct ;

-  le Sénat ayant, constitutionnellement, un rôle de représentation des collectivités territoriales, ses membres doivent être élus par un corps électoral qui soit lui-même l'émanation de ces collectivités et donc de leurs organes délibérants ;

-  la désignation des conseillers municipaux a une incidence sur l'élection des membres du Sénat ;

-  le Sénat ayant la qualité d'assemblée parlementaire, il participe de l'exercice de la souveraineté nationale.

Dès lors, « le quatrième alinéa de l'article 3 de la Constitution implique que seuls les nationaux français ont le droit de vote et d'éligibilité aux élections effectuées pour la désignation de l'organe délibérant d'une collectivité territoriale de la République et notamment pour celle des conseillers municipaux ou des membres du Conseil de Paris ».

Certains auteurs ont soutenu que la décision du Conseil permettrait d'introduire le droit de vote des étrangers aux élections locales sans réviser la Constitution. Selon MM. Louis Favoreu et Loïc Philip,  « Le Conseil constitutionnel a ouvert une brèche par laquelle pourrait parfaitement se glisser le droit de vote des étrangers au niveau local à condition de déconnecter les élections sénatoriales des élections locales (6) ». En tout état de cause, le juge constitutionnel a distingué la notion de souveraineté de celle de citoyenneté

2. L'émergence progressive d'un droit de cité pour les étrangers résidents en France

La distinction entre nationaux et étrangers s'est progressivement affaiblie pour l'accès aux droits économiques et sociaux, le critère de la résidence en France l'emportant sur celui de la nationalité. Le Conseil constitutionnel a consacré l'existence d'un véritable statut constitutionnel des étrangers et ceux-ci ont progressivement acquis des droits leur permettant de participer à la vie de la cité.

· Le statut constitutionnel des étrangers

Dans un contexte marqué par la progression des idées racistes et xénophobes, le juge constitutionnel a été amené à définir les contours d'un « un véritable statut constitutionnel des étrangers ». La décision du Conseil constitutionnel du 13 août 1993, rendue sur la loi n° 93-1027 du 24 août 1993 relative à la maîtrise de l'immigration (7) et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France, a constitué à cet égard un important tournant. Si le Conseil constitutionnel a estimé que, s'agissant de leurs conditions d'entrée et de séjour, les étrangers sont placés dans un cadre juridique différent de celui des nationaux, il a cependant considéré qu'appartenait au législateur « de respecter les libertés et droits de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République », parmi lesquels figurent la liberté individuelle et la sûreté, et notamment la liberté d'aller et venir, la liberté du mariage, et le droit de recours.

Pour les étrangers résidant en France de manière stable et régulière, le Conseil constitutionnel a consacré deux séries de droit : le droit de mener une vie familiale normale avec pour corollaire le droit au regroupement familial et les droits à la protection sociale. Dans une décision du 22 janvier 1990 (8), le Conseil constitutionnel avait affirmé que le législateur ne pouvait, sans méconnaître le principe constitutionnel d'égalité, exclure du bénéfice de l'allocation supplémentaire du fonds national de solidarité, des étrangers résidants régulièrement en France. Dans sa décision du 13 août1993, il a affirmé avec force que les étrangers travaillant régulièrement sur le territoire français avaient droit aux prestations des régimes obligatoires de sécurité sociale.

· La participation à la vie de la cité

Depuis 1946, les étrangers ont, par ailleurs, conquis des droits leur permettant de participer à la vie de la cité :

-  sur le plan civil : ils peuvent, depuis 1981, diriger une association, et ont la possibilité d'être administrateurs dans des structures publiques telles que les caisses de sécurité sociale, les offices publics des HLM et les offices publics d'aménagement et de construction depuis 1982. En outre, ils ont progressivement acquis le droit de siéger comme parents d'élèves dans les instances des établissements scolaires entre 1976 et 1984.

-  dans l'entreprise : en 1946, les étrangers se sont vu reconnaître le droit d'élire les représentants du personnel, sans toutefois pouvoir être éligibles ; en 1972, ils on pu siéger dans les comités d'entreprise et être délégués du personnels, à condition de « savoir lire et écrire en français » ; l'éligibilité, enfin, est devenue sans condition avec les lois Auroux.

-  en matière syndicale : depuis 1968, les étrangers peuvent adhérer à un syndicat et être délégué syndical ; en 1975, ils obtenu le droit de participer aux élections prud'homales ainsi que celui d'exercer des fonctions d'administration et de direction d'un syndicat, sous diverses conditions, supprimées en 1982 ; cependant, ils restent exclus de la fonction de juge prud'homal.

· Les tentatives d'association à l'exercice de la démocratie locale

Ainsi, les étrangers résidents en France ont progressivement acquis un droit de cité. De nombreuses collectivités territoriales ont ressenti le besoin de les associer aux décisions qu'elles prennent. Un certain nombre de communes ont ainsi cherché à faire participer leurs résidents étrangers aux réunions de leurs assemblées délibérantes ou à les associer aux structures officielles de concertation et de consultation prévues par le code général des collectivités territoriales. Mais l'épanouissement des initiatives prises en ce domaine s'est heurté parfois à la censure du juge.

Le juge administratif a ainsi systématiquement censuré les délibérations des communes organisant les élections de « conseillers associés » représentant les résidents étrangers, ainsi que les délibérations prises par les conseils municipaux en présence de ces conseillers, alors même qu'ils n'avaient qu'un rôle purement consultatif (9). De même, le juge administratif a fait une interprétation restrictive de l'article L. 2141-1 du code général des collectivités territoriales, qui pose le principe du droit des habitants à être informés des affaires de la commune et consultés sur les décisions qui les concernent. Cette disposition de portée générale a été interprétée par le juge comme excluant la possibilité de consulter les étrangers résidant dans la commune. Lors de l'examen du projet de loi relatif à la démocratie de proximité, l'Assemblée nationale avait, à l'initiative de M. René Dosière, adopté une disposition précisant expressément que la consultation prévue à l'article L. 2141-1 du code général des collectivités territoriales était ouverte à toute personne concernée par les décisions communales. Elle avait également retenu une disposition permettant aux autorités communales et intercommunales de consulter les habitants et non plus seulement les électeurs de la commune ou des communes membres de l'établissement public de coopération intercommunale dans le cadre du référendum local institué par les articles L. 2142-1 et L. 5211-49 du code général des collectivités territoriales. Malheureusement, le Sénat s'y est opposé.

Soulignons enfin que plusieurs villes, dont Lille, ont prévu d'associer les résidents étrangers aux comités consultatifs et conseils de quartiers institués par la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, aucune disposition n'excluant une telle participation.

Ces initiatives ont une portée limitée. Néanmoins, elles traduisent un réel besoin de participation des résidents étrangers et de communication des municipalités. Leur bilan est positif en termes d'intégration et d'enrichissement de la démocratie locale. Elles constituent un pas sur le chemin d'une démocratie locale et citoyenne, ouverte à l'ensemble des résidents.

3. La brèche introduite pour les résidents communautaires

L'instauration d'une citoyenneté européenne par le traité de Maastricht a remis en cause le lien unissant droit de vote et nationalité. Mais, les étrangers non originaires de l'Union européenne n'ont pas bénéficié de cette extension des droits politiques.

Prévu par l'article 8 B du traité de Maastricht, le droit de vote des ressortissants communautaires aux élections européennes et municipales a donné lieu à de fortes controverses dans notre pays. Dans sa décision précitée du 9 avril 1992 précitée (10), le Conseil constitutionnel a considéré que l'octroi du droit de vote et d'éligibilité aux ressortissants des États membres n'était en rien contraire à la Constitution, en ce qui concerne les élections européennes, dès lors que le Parlement européen « ne constitue pas une assemblée souveraine dotée d'une compétence générale et qui aurait vocation à concourir à l'exercice de la souveraineté nationale » ; il appartient à « un ordre juridique propre qui, bien que se trouvant intégré au système juridique des différents États membres des communautés, n'appartient pas à l'ordre institutionnel de la République française ». En conséquence, la loi ordinaire n° 94-104 du 5 février 1994 a ouvert aux citoyens de l'Union européenne résidant en France le droit de vote et d'éligibilité aux élections au Parlement européen.

L'instauration du droit de vote et d'éligibilité des ressortissants communautaires aux élections municipales a conduit à la révision constitutionnelle du 25 juin 1992. L'octroi de ce droit fut largement contesté par les nationalistes de droite et de gauche. En conséquence, le Constituant a prévu des conditions restrictives pour sa mise en oeuvre. L'article 88-3 de la Constitution prévoit ainsi que les résidents communautaires étrangers ne peuvent exercer des fonctions de maire ou d'adjoint et leur interdit de participer à la désignation des électeurs sénatoriaux ou à l'élection des sénateurs. Enfin, à la demande du Sénat, il a été précisé, afin de laisser la porte ouverte à d'éventuelles restrictions ultérieures, que ce droit de vote et d'éligibilité « peut être accordé », et non pas « est accordé », aux ressortissants d'un pays de l'Union européenne, ses conditions d'application étant déterminées par « une loi organique votée dans les mêmes termes par les deux assemblées ».

La révision de la Constitution n'a pas calmé les oppositions. L'article 8 B du traité de Maastricht, prévoyait encore l'élaboration d'une directive pour fixer les modalités d'application du droit de vote et d'éligibilité des ressortissants communautaires. En juin et octobre 1994, deux résolutions, adoptées par le Sénat et l'Assemblée nationale, dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution, demandèrent que, dans la négociation de la directive précitée, le Gouvernement subordonne son accord sur le texte à la condition que des dispositions soient prévues pour:

-  que la proportion d'étrangers communautaires élus dans les conseils municipaux reste inférieure à celle des nationaux ;

-  que l'exercice du droit de vote par les électeurs communautaires puisse être subordonné à une durée minimale de résidence et que des conditions dérogatoires puissent être fixées dans les communes où la proportion des résidents communautaires dépassait sensiblement la moyenne nationale.

La directive n° 94/80/CE du Conseil du 19 décembre 1994 n'a pas retenu ces restrictions, mais fait prévaloir le principe de non-discrimination, du moins entre les ressortissants de l'Union européenne. Elle a fixé, par ailleurs, au 1er janvier 1996, la date limite d'entrée en vigueur des dispositions prévues à l'article 8 B précité du traité de Maastricht. Mais, cette échéance n'a pas été respectée. La loi organique devant permettre la mise en _uvre de ces dispositions n'a été adoptée que tardivement en 1998, sous le gouvernement de M. Lionel Jospin (11).

B. UN STATUT DISCRIMINATOIRE INJUSTIFIÉ

1. La France, lanterne rouge de l'Europe

La reconnaissance du droit de vote aux étrangers communautaires résidant dans notre pays a créé une rupture d'égalité entre étrangers et conduit à stigmatiser davantage encore les personnes venant de pays extérieurs à l'Union européenne. Pourtant, comme le soulignait M. Alain Tourret, « ces nouveaux électeurs (communautaires) paraissent finalement moins proches de la culture française que les ressortissants des anciennes colonies et dépendances » (12).

En outre, si aucun pays membre de l'Union européenne ne propose une égalité totale de droits entre les nationaux et les étrangers, certains n'ont pas hésité à s'engager dans la voie de la reconnaissance du droit de vote et d'éligibilité aux élections locales à tous les résidents étrangers. C'est le cas de l'Irlande, depuis 1963 sous réserve d'une durée de résidence de six mois, de la Suède, depuis 1975, du Danemark depuis 1981, après trois années de résidence, et, enfin des Pays-Bas, depuis 1985, après cinq années de résidence. En Finlande, depuis 1981, tous les étrangers scandinaves sont électeurs ou éligibles aux élections municipales et régionales ; ce droit a été étendu en 1996, aux autres résidents étrangers à condition qu'ils puissent se prévaloir de deux années de résidence ininterrompue dans le pays.

Le Royaume-Uni accorde, pour sa part, depuis 1948 le droit de vote et d'éligibilité aux résidents « citoyens du Commonwealth ». En s'inspirant du modèle britannique, la France aurait pu donner à l'ensemble des ressortissants de ses anciennes colonies, résidant sur son territoire, un droit de vote et d'éligibilité au moins pour les élections locales.

Des avancées ont eu lieu, d'ores et déjà, en Espagne et au Portugal. En Espagne, le droit de vote et d'éligibilité peut être accordé, sous réserve d'accords de réciprocité, aux résidents étrangers pour les élections municipales. Au Portugal, les résidents étrangers de langue portugaise ont depuis longtemps le droit de vote et d'éligibilité sous réserve de réciprocité ; plus récemment, ce droit été reconnu aux résidents originaires des pays non lusophones, sous réserve de réciprocité également.

En Belgique, la Constitution a été révisée le 11 décembre 1998 pour ouvrir la possibilité d'étendre le droit de vote aux résidents étrangers non communautaires, mais aucune loi n'a été votée pour donner une suite à cette révision (13). L'Italie, dès 1988, a accordé le droit de vote et d'éligibilité aux résidents communautaires et a signé la convention du Conseil de l'Europe sur la participation des résidents étrangers aux élections locales (14), mais ne l'a pas appliquée. En Allemagne, le programme de gouvernement entre le SPD et les Verts prévoyait l'introduction du droit de vote pour tous les résidents étrangers après un an de résidence.

La France, qui a fermé le dossier du droit de vote des étrangers aux élections locales, fait désormais partie des « lanternes rouges » en Europe, avec l'Autriche, la Grèce et le Luxembourg.

2. Une limite à l'intégration

Au-delà du principe d'égalité, l'élargissement du droit de vote à tous les étrangers pour les élections locales serait un facteur puissant d'intégration.

· Les éléments d'une politique d'intégration

Notre politique d'intégration ne doit pas uniquement viser les nouveaux arrivants, elle doit également s'adresser à ceux qui vivent en France depuis un certain temps. Bien entendu, la reconnaissance du droit de vote et d'éligibilité aux élections locales constitue un élément d'une politique plus globale.

Il importe bien sûr de renforcer la lutte contre les discriminations dont les étrangers sont victimes sur le plan professionnel ou dans leur vie quotidienne. Le précédent gouvernement s'est ainsi attaché à mettre en _uvre un certain nombre de dispositifs à cette fin. Sur le plan juridique, il a aménagé la charge de la preuve en matière de discriminations à l'emploi ; sur le plan institutionnel, il a créé un certain nombre de services spécifiques : le groupe d'étude et de lutte contre les discriminations, le 114, numéro d'appel téléphonique gratuit à la disposition des personnes victimes ou témoins de discriminations à caractère racial, et les commissions d'accès à la citoyenneté. Ces structures doivent être renforcées.

En outre, il appartient aux pouvoirs publics de permettre aux étrangers résidents en France de pouvoir s'intégrer sans avoir à renier leurs racines. Dans le domaine de la pratique religieuse, une conception ouverte et dynamique de la laïcité doit conduire à garantir à tous, croyants comme non-croyants, la liberté de conscience et le respect des convictions. La mise en place du Conseil français du culte musulman par le gouvernement de M. Lionel Jospin constitue de ce point de vue une avancée à laquelle il faudra donner une suite. Dans le même esprit, il importe que l'enseignement d'éducation civique dispensé dans les établissements scolaires du premier et du second degré contribue à lutter contre le racisme et à promouvoir les valeurs de la démocratie et de la République.

D'autres mesures sont également à prendre. Il convient ainsi de réformer la double peine. En effet, les conséquences qui sont attachées au prononcé des peines d'interdiction du territoire à l'encontre des étrangers condamnés pour crimes ou délits sont souvent très douloureuses. Pour certains étrangers, dont l'histoire personnelle est liée de façon indissoluble à la France, l'éloignement est assimilable à un véritable bannissement.

L'amélioration de la procédure de naturalisation constitue également un élément important de la politique d'intégration. Mais pour les étrangers régulièrement installés en France qui ne peuvent ou ne veulent pas acquérir la nationalité française, il est indispensable de construire une « citoyenneté de résidence », qui pourrait être acquise au terme de cinq ans de résidence et ouvrirait l'accès à un certain nombre de droits, dont le droit de vote et éligibilité aux élections locales.

· L'indispensable reconnaissance du droit de vote

Comme le soulignait il y a vingt ans Mme Catherine Wenden-Didier « On peut se demander si la présence d'une population importante d'étrangers qui participent à la vie économique et dont on cherche à développer l'insertion sociale et culturelle n'entraîne pas l'apparition d'une nouvelle conception de la citoyenneté (...) accordée aux résidents et non pas seulement aux nationaux (...). Le statut de l'étranger, fondé sur le principe de l'exclusion des droits politiques, n'est plus adapté à cette présence immigrée d'un type nouveau ».

La conception classique d'une citoyenneté attachée à la nationalité n'est plus de mise dans une société ouverte où l'immigration est durable. D'après les statistiques du ministre de l'intérieur, au 31 décembre 2000, 3 242 367 étrangers étaient titulaires d'une autorisation de séjour en France et 84,7 % d'entre eux disposaient d'un titre d'une durée de validité de dix ans.

Tout le monde peut admettre qu'au niveau local, la citoyenneté se fonde sur la résidence et non la nationalité. Les conseils des collectivités territoriales doivent être l'expression de l'ensemble des habitants dont ils gèrent la vie quotidienne. D'ailleurs, le nombre de conseillers est fixé en fonction de la population de la collectivité, indépendamment de la nationalité des habitants. Dans certaines de nos banlieues, la proportion d'habitants n'ayant pas le droit de vote et d'éligibilité peut représenter entre 20 à 40 %.

Enfin, comme le soulignait très justement, le rapport présenté par notre collègue Noël Mamère en avril 2000 (15), l'instauration du droit de vote des étrangers aura des incidences positives sur la participation de la seconde génération, voire de la troisième. « Permettre aux parents étrangers d'enfants français de voter donnerait un sens, par effet de miroir, à la participation politique de la seconde génération». En effet, « donner aux parents le droit de vote, c'est rétablir une reconnaissance sociale et une dignité aux yeux de leurs enfants, c'est engager un processus d'usage d'un droit (16)(...). Il est difficile de demander aux jeunes des banlieues de respecter les lois de la République et d'être des citoyens, et d'interdire à leurs parents de voter : "Le jour où ils feront voter mon père, j'irai voter", nous répondent-ils parfois ».

Cette forme d'exemplarité vis-à-vis des enfants français de résidents étrangers n'est pas à négliger. Le droit de vote n'est certes pas une condition suffisante à l'intégration, mais le placer au début plutôt qu'en fin de processus comme semble le suggérer une partie de la majorité, est significatif de la manière dont nous souhaitons aborder l'intégration et apporter des réponses à ses blocages actuels.

II. - POUR UNE CITOYENNETÉ DE RÉSIDENCE

A. LA PROPOSITION DE LOI

Entre octobre 1999 et janvier 2000, chaque groupe de la majorité plurielle avait déposé, à l'Assemblée nationale, une proposition de loi constitutionnelle sur la question du droit de vote des étrangers aux élections locales (17) . La proposition finalement adoptée le 3 mai 2000 (18) par notre assemblée prévoyait d'accorder le droit de vote et d'éligibilité aux étrangers résidant en France pour les seules élections municipales. En raison de l'hostilité du Sénat, qui dispose d'un droit de veto en matière constitutionnelle, cette proposition est restée lettre morte.

1. Un objet large

L'article unique de la présente proposition de loi prévoit d'insérer un nouvel article 72-1 dans le titre XII de la Constitution relatif aux collectivités territoriales. Cet article ouvre la possibilité d'accorder, aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne résidant en France, le droit de vote et d'éligibilité pour l'élection des conseils des collectivités territoriales. Ses conditions d'application seraient déterminées par une loi organique. Le choix retenu a été d'insérer un nouvel article dans le titre XII de la Constitution relatif aux collectivités territoriales plutôt que de modifier son article 3, qui figure dans le titre relatif à la souveraineté. En effet, il ne s'agit pas de remettre en cause la notion de souveraineté, mais de faire évoluer notre conception de la citoyenneté.

L'objet de la présente proposition de loi est plus large que celui de la proposition adoptée par l'Assemblée le 3 mai 2000, puisqu'il vise l'ensemble des élections locales. Il n'y pas lieu, en effet, de limiter le droit de vote et d'éligibilité des résidents étrangers aux seules élections municipales. Dans sa décision du 9 avril 1992 (19), le Conseil constitutionnel a, en effet, établi une distinction entre les élections nationales et l'ensemble des élections locales, estimant que ces dernières ne participaient pas à l'exercice de la souveraineté nationale. En outre, si la commune est l'échelon privilégié de la démocratie de proximité, les départements et les régions sont également dotées de compétences qui intéressent directement la vie quotidienne des résidents étrangers, compétences qui vont s'accroître avec le nouvel élan que le Gouvernement actuel entend donner à la décentralisation.

Par ailleurs, il convient d'observer que la présente proposition autorise les étrangers à exercer des fonctions exécutives. L'interdiction d'exercer ces fonctions n'apparaît pas justifiée : si les assemblées délibérantes de certaines collectivités sont composées d'une majorité de résidents étrangers, on voit mal pourquoi leurs exécutifs ne pourraient pas être choisis parmi eux.

Bien évidemment les résidents étrangers communautaires doivent avoir les mêmes droits que les résidents étrangers. C'est la raison pour laquelle le rapporteur estime souhaitable de modifier la rédaction de l'article 72-1, introduit par la présente proposition pour que ce dernier vise l'ensemble des résidents étrangers et non pas seulement les résidents étrangers non communautaires. En conséquence, il suggère de supprimer l'article 88-3 de la Constitution qui accorde actuellement aux résidents communautaires le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales, tout en les excluant des fonctions de maires ou d'adjoints et de la désignation des électeurs sénatoriaux et de l'élection des sénateurs.

2. Des conditions souples

La proposition de loi n'impose aucune condition de réciprocité. En effet, comme le soulignait M. Paul Oriol : « Le progrès de la démocratie en France n'a pas à être conditionné par le progrès de la démocratie ailleurs. Ni en Europe, ni en dehors de l'Europe. Il serait de plus paradoxal de punir des personnes en les excluant de la démocratie française sous prétexte que leur État d'origine n'est pas démocratique. Mieux vaut jouer sur la contagion  (20)».

Aucune condition de résidence particulière n'est par ailleurs exigée. L'exposé des motifs fait référence à une durée de cinq années. Celle-ci pourra être fixée par la loi organique prévue pour la mise en _uvre du nouvel article 72-1. S'agissant de la notion de résidence, on rappellera qu'en ce qui concerne les ressortissant communautaires, la loi organique n° 98-404 du 25 mai 1998 dispose que ces personnes sont considérées comme résidant en France si elles y ont « leur domicile réel » ou si leur résidence y a un « caractère continu ». Selon les termes utilisés par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 98-400 DC, « une telle définition doit être comprise comme visant le cas des personnes qui résident habituellement en France et qui y ont le centre habituel de leurs intérêts ». En pratique, pour les nationaux comme pour les autres citoyens de l'Union européenne, les conditions auxquelles est subordonnée l'inscription sur la liste électorale d'une commune sont celles posées à l'article L. 11 du code électoral : avoir son domicile réel dans la commune ou y habiter depuis six mois au moins, ou encore y être contribuable depuis cinq ans. Au nom du principe d'égalité, la même règle devrait être appliquée à l'ensemble des étrangers

Enfin, il convient de souligner que la réforme proposée devrait avoir une incidence sur les consultations locales que les collectivités territoriales pourront organiser. Ainsi le droit de pétition comme le référendum décisionnel prévus par l'article 5 du projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République devraient concerner également les résidents étrangers.

B. L'EXAMEN EN COMMISSION

Après l'exposé du rapporteur, plusieurs commissaires sont intervenus dans la discussion générale.

Après avoir rappelé que le précédent Gouvernement n'avait pas eu le courage d'inscrire à l'ordre du jour du Sénat la proposition de loi constitutionnelle présentée par les députés « verts » et adoptée par l'Assemblée nationale le 3 mai 2000, M. Thierry Mariani a contesté les arguments du rapporteur selon lesquels la France serait le pays de l'Union européenne le plus restrictif en matière de droit de vote des étrangers non communautaires. Il a illustré son propos en précisant que plusieurs pays, dont l'Espagne, n'avaient accordé le droit de vote aux élections locales aux personnes étrangères que sous réserve de réciprocité, tandis que d'autres, comme le Danemark, en subordonnaient l'exercice à la maîtrise de la langue. Rappelant ensuite que le processus de construction de l'Union européenne était fondé sur une communauté d'intérêts et de valeurs entre les différents pays membres, il a jugé pleinement légitime d'accorder des droits supplémentaires aux seuls étrangers originaires d'un pays communautaire résidant dans l'un des pays membres. Puis, après avoir souligné son indéfectible attachement au lien entre la nationalité et la citoyenneté, il a conclu son propos en se félicitant du dépôt de la proposition de loi constitutionnelle qui devrait permettre à l'ensemble des formations politiques représentées à l'Assemblée nationale de clarifier leurs positions respectives en cette matière.

Jugeant que les nombreuses hésitations des élus socialistes en matière de droit de vote des étrangers devaient rendre la position du rapporteur inconfortable, M. Jean Leonetti a rappelé que la première proposition sur ce sujet figurait parmi les 110 propositions de leur candidat à l'élection présidentielle de 1981 et a observé qu'aucune mesure concrète n'avait pourtant été prise depuis lors. Puis, réagissant aux propos du rapporteur sur l'existence d'une « citoyenneté de résidence », il a fermement contesté cette notion, insistant sur son attachement au lien entre nationalité et citoyenneté et estimant inopportun d'accorder la citoyenneté à des personnes dont le séjour sur le territoire de la République peut être temporaire, voire précaire. Il a ajouté que la conception française de la nationalité et de la citoyenneté était fondée sur le partage d'une communauté de destin et observé que la possibilité offerte aux étrangers d'accéder à la nationalité française constituait le meilleur moyen de garantir leur participation à la vie publique dans le respect des valeurs républicaines. Considérant que l'amélioration du processus d'intégration des étrangers dans la communauté nationale constituait le véritable défi à relever, il a souligné qu'elle supposait, notamment, le renforcement de la lutte contre les discriminations et le développement d'une véritable politique de naturalisation s'appuyant, le cas échéant, sur la mise en place d'un « contrat d'intégration ». Il a conclu en soulignant que le dispositif proposé aurait également pour regrettable effet d'affaiblir l'intérêt de l'appartenance à l'Union européenne puisque les citoyens communautaires ne bénéficieraient plus d'avantage spécifique par rapport aux étrangers ressortissants d'un État non membre, résidant sur notre territoire.

M. Étienne Blanc a exprimé sa préférence pour une politique d'intégration totale des étrangers, par le biais des procédures d'acquisition de la nationalité, plutôt que pour une intégration partielle et incomplète, telle que proposée par le rapporteur, se limitant à l'octroi du droit de vote. Il a indiqué qu'une telle proposition allait, en outre, à l'encontre des règles de droit international, fondées sur le principe de réciprocité et ajouté que la suppression de ce principe ferait perdre à la France un réel pouvoir d'influence et de négociation. Il a, enfin, exprimé ses réserves sur la proposition émise par le rapporteur de supprimer, par coordination avec le dispositif, l'article 88-3 de la Constitution relatif au droit de vote des ressortissants communautaires, observant que la rédaction actuelle de l'article comprenait, outre une condition de réciprocité, une restriction tout à fait pertinente destinée à interdire les fonctions exécutives locales aux ressortissants communautaires, restriction qui ne figure pas dans la proposition de loi constitutionnelle du groupe socialiste.

Évoquant le cas de l'ambassadeur d'un pays étranger en France, qui a acquis la nationalité française lorsqu'il était étudiant pour avoir le droit de voter, M. Alain Marsaud a plaidé pour une politique de l'intégration qui passe par les procédures d'acquisition de la nationalité française ; faisant référence à l'exposé des motifs de la proposition de loi, il s'est déclaré peu convaincu par l'argument selon lequel les jeunes immigrés de la deuxième génération attendraient que l'on reconnaisse le droit de vote à leurs parents avant de s'impliquer eux-mêmes dans le débat civique.

M. Jean-Luc Warsmann, président, s'est étonné que le groupe socialiste demande à l'Assemblée nationale de se prononcer sur une nouvelle proposition de loi constitutionnelle sur le droit de vote des étrangers aux élections locales alors qu'il n'a jamais tenté, lorsqu'il était au pouvoir, d'inscrire à l'ordre du jour du Sénat la proposition adoptée en mai 2000.

En réponse aux différents intervenants, le rapporteur a ensuite apporté les précisions suivantes :

- La majorité et l'opposition ont des conceptions différentes de la République et, partant, des visions diamétralement opposées sur la place qu'il convient d'accorder aux étrangers en France. S'il peut être justifié de limiter l'accès aux élections européennes aux étrangers ressortissants d'un pays membre de l'Union européenne, une distinction entre catégories d'étrangers n'a pas lieu d'être pour les élections locales. La distinction entre deux catégories d'étrangers, les résidents communautaires et les autres, conduit à faire de ces derniers des citoyens de seconde zone, ce qui est inacceptable. La proposition de loi concerne trois millions deux cent mille personnes, à qui l'on donne le droit actuellement de participer à la vie économique et sociale de la Nation, mais pas celui de prendre part à la définition de leur destinée locale.

- Un grand nombre d'étrangers résidant en France participent à la vie de la Nation et souhaiteraient pouvoir voter aux élections locales, sans pour autant acquérir la nationalité française.

- Il convient de bien distinguer notions de citoyenneté et de souveraineté ; le Conseil constitutionnel a ainsi établi une différence entre les élections nationales et les élections locales, lesquelles ne participent pas de l'exercice de la souveraineté. Il est possible de faire participer les étrangers aux élections locales, sans pour autant porter atteinte à la conception française de la souveraineté nationale.

- Il ne faut pas davantage confondre la citoyenneté de résidence avec la citoyenneté de passage. Le groupe socialiste propose de mettre en _uvre un statut de « citoyen de résidence » pour les étrangers régulièrement et durablement installés en France. Ce statut pourrait être acquis au terme de cinq ans de résidence régulière.

- La France est en retard par rapport à ses partenaires de l'Union européenne. Onze États sur quinze ont progressé en matière de droit de vote des étrangers aux élections locales. Des avancées ont eu lieu, d'ores et déjà, en Espagne et au Portugal : sous réserve d'accords de réciprocité, le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales peut y être accordé aux résidents étrangers. En Finlande, depuis 1981, tous les étrangers scandinaves sont électeurs ou éligibles aux élections municipales et régionales et ce droit a été étendu, en 1996, aux autres résidents étrangers, sous réserve d'une résidence ininterrompue dans le pays de deux années. En Allemagne, l'octroi du droit de vote aux étrangers aux élections locales fait partie des engagements du Chancelier Schröder.

- La proposition de loi constitutionnelle adoptée par l'Assemblée nationale en mai 2000 n'a pas été inscrite à l'ordre du jour du Sénat, parce qu'elle ne pouvait, en tout état de cause, aboutir, compte tenu de l'hostilité de la seconde chambre. Dès lors, le gouvernement a privilégié des textes susceptibles d'être définitivement adoptés. Le groupe socialiste a décidé de reposer la question du droit de vote et d'éligibilité des étrangers aux élections locales parce qu'il souhaite réaffirmer clairement sa position en la matière et parce que les prises de position de certains membres éminents de la majorité, comme M. Philippe Douste-Blazy, peuvent causer des évolutions en la matière, d'autant que le Président de la République a mis l'accent sur la nécessité de développer une véritable politique d'intégration.

- Si l'Assemblée procède en séance publique à l'examen de l'article de la proposition de loi, des amendements pour exclure les étrangers de l'accès à des fonctions exécutives pourraient être débattus. Par ailleurs, il n'y a plus lieu de maintenir, à l'article 88-3 de la Constitution, une condition de réciprocité pour autoriser l'accès au droit de vote des étrangers communautaires, puisque tous les pays de l'Union accordent désormais le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales.

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À l'issue de la discussion générale, la Commission a décidé de ne pas procéder à l'examen des articles, et, en conséquence, de ne pas formuler de conclusions.

TABLEAU COMPARATIF

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Texte de référence

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Texte de la proposition de loi constitutionnelle

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Constitution du 4 octobre 1958

Art. 3. - La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum.

Article unique

Après l'article 72 de la Constitution, il est inséré un article 72-1 ainsi rédigé :

Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice.

Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret.

« Art. 72-1. -  Le droit de vote et d'éligibilité pour l'élection des conseils des collectivités territoriales peut être accordé aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne résidant en France. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. »

Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques.

La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.

Art. 88-3. -  Sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le Traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992, le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux seuls citoyens de l'Union résidant en France. Ces citoyens ne peuvent exercer les fonctions de maire ou d'adjoint ni participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l'élection des sénateurs. Une loi organique votée dans les mêmes termes par les deux assemblées détermine les conditions d'application du présent article.

 

N° 0379 - Rapport sur la proposition de loi constitutionnelle sur le droit de vote et d'éligibilité aux élections locales aux étrangers non européens résidant en France (M. Bernard Roman)

1 () « Comment définir la citoyenneté ? », in : Etranger et citoyen : les immigrés et la démocratie locale, 1996, sous la direction de MM. Bernard Delemotte et Jacques Chevallier, pages 13-14.

2 () Roger Brubaker, Citoyenneté et nationalité en France et en Allemagne, 1997, pages 80-81.

3 () MM. Olivier Duhamel et François Luchaire.

4 () Décision n° 82-146 DC du 18 novembre 1982.

5 () Décision n° 92-308 DC.

6 () Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, page 820.

7 () Décision n° 93-325 DC.

8 () Décision n° 89-269 DC du 22 janvier 1990

9 () Conseil d'Etat, 2 avril 1993, commune de Longjumeau, Recueil CE page 91, et Conseil d'État, 10 juillet 1996, Commune de Mons-en-baroeul, Recueil CE page 745.

10 () Décision n° 92-308 DC.

11 () Loi organique n° 98-404 du 25 mai 1998 déterminant les conditions d'application de l'article 88-3 de la Constitution relatif à l'exercice par les citoyens de l'Union européenne résidant en France, autres que les ressortissants français, du droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales, et portant transposition de la directive 94/80/CE du 19 décembre 1994.

12 () Rapport n° 2340 présenté M. Noël Mamère, 26 avril 200, page 30.

13 () Article 8 de la Constitution : « La qualité de Belge s'acquiert, se conserve et se perd d'après les règles déterminées par la loi civile. La Constitution et les autres lois relatives aux droits politiques, déterminent quelles sont, outre cette qualité, les conditions nécessaires pour l'exercice de ces droits.Par dérogation à l'alinéa 2, la loi peut organiser le droit de vote des citoyens de l'Union européenne n'ayant pas la nationalité belge, conformément aux obligations internationales et supranationales de la Belgique. Le droit de vote visé à l'alinéa précédent peut être étendu par la loi aux résidents en Belgique qui ne sont pas des ressortissants d'un État membre de l'Union européenne, dans les conditions et selon les modalités déterminées par ladite loi ».

14 () Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local, ouverte à la signature le 5 février 1992 et ratifiée à ce jour par six pays :l'Italie, le Danemark, la Finlande, les Pays-Bas, la Norvège et la Suède.

15 () Rapport n° 2340, page 22.

16 () M. Pierre Barge, Ligue des droits de l'homme-info, dossiers et documents, supplément au n° 86, page 2.

17 () Il s'agit de la proposition n° 2063, présentée par M. André Aschieri et plusieurs de ses collègues, tendant à compléter l'article 3 et à supprimer l'article 88-3 de la Constitution et relative au droit de vote et à l'éligibilité des résidents étrangers pour les élections aux conseils des collectivités territoriales, n° 1881, présentée par M. Bernard Birsinger et les membres du groupe communiste et apparenté, tendant à compléter l'article 3 de la Constitution et relative au droit de vote et d'éligibilité des étrangers non communautaires dans les élections municipales, n° 2042, présentée par M. Roger-Gérard Schwartzenberg et plusieurs de ses collègues, visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux résidents étrangers non citoyens de l'Union européenne, n° 2075, présentée par M. Kofi Yamgnane et les membres du groupe socialiste et apparentés, visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne résidant en France.

18 () texte adopté n° 505, session ordinaire de 1999-2000.

19 () Décision n° 92-308 DC.

20 () Paul Oriol, Les immigrés devant les urnes, pages 151-152.


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