N° 602 - Rapport de M. Gilbert Gantier sur le projet de loi autorisant la ratification d'un accord entre la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord relatif à l'établissement d'une ligne de délimitation maritime entre la France et Jersey(48)




Document

mis en distribution

le 12 février 2003

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N° 602

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 5 février 2003.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR :

- LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant la ratification d'un accord entre la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord relatif à l'établissement d'une ligne de délimitation maritime entre la France et Jersey,

- LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant la ratification de l'accord relatif à la pêche dans la baie de Granville entre la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (ensemble quatre échanges de notes),

PAR M. GILBERT GANTIER,

Député

--

Voir les numéros :

Sénat : 135, 136, 300 et T.A. 103, 104 (2001-2002)

Assemblée nationale : 48, 49

Traités et conventions

SOMMAIRE

___

INTRODUCTION 5

I - LES LACUNES DE LA DÉLIMITATION MARITIME ET DE LA DÉFINITION
      DES ZONES DE PÊCHE AVEC JERSEY
7

A. L'ABSENCE DE LIGNE DE DÉLIMITATION MARITIME ENTRE
     LA FRANCE ET JERSEY
7

B. LA DÉLIMITATION DES ZONES DE PÊCHE, ISSUE D'ACCORDS
     SUCCESSIFS, EST COMPLEXE ET INSATISFAISANTE
8

1) Les lacunes de l'accord du 10 juillet 1992 8

2) Le « modus vivendi » défini par l'échange de lettres
    du 16 août 1994
10

3) Le différend de 1998 sur la délimitation maritime 10

II - LA CLARIFICATION APPORTÉE PAR LES ACCORDS
      DU 4 JUILLET 2000
11

A. L'IMPORTANCE ÉCONOMIQUE DES ACTIVITÉS DE PÊCHE DANS
     LA BAIE DE GRANVILLE
12

B. LA DÉLIMITATION DE LA FRONTIÈRE MARITIME 12

C. LES DISPOSITIONS DE L'ACCORD DE PÊCHE
     DANS LA BAIE DE GRANVILLE
15

CONCLUSION 19

EXAMEN EN COMMISSION 21

Mesdames, Messieurs,

La France et le Royaume-Uni ont signé le 4 juillet 2000 à Saint-Hélier deux accords : le premier relatif à l'établissement d'une ligne de délimitation maritime entre la France et Jersey, et le second relatif à la pêche dans la baie de Granville ainsi que quatre échanges de lettres et une déclaration qui marquent l'aboutissement de dix ans de négociations.

Les îles anglo-normandes (Aurigny, Guernesey, Jersey et Sercq), situées à une quinzaine de kilomètres des côtes françaises, constituent quatre enclaves britanniques au sein des eaux françaises, bien qu'elles se situent à environ 80 kilomètres au sud des côtes anglaises.

Ces îles bénéficient de particularismes juridiques et ne sont pas pleinement soumises à la législation du Royaume-Uni ; on soulignera qu'elles ne sont pas engagées par l'adhésion du Royaume-Uni à la Communauté européenne, en 1972.

Le premier accord vise à combler une lacune ancienne, qui, si elle n'a pas, pendant longtemps, été perçue comme une source de difficultés, présente aujourd'hui des inconvénients du fait de l'accroissement de l'effort de pêche et du caractère important de cette activité pour l'économie de la région : c'est l'absence de ligne de délimitation précise entre les espaces maritimes des deux pays.

La signature de cet accord de délimitation va de pair avec celle d'un accord relatif à la pêche dans la baie de Granville, et quatre échanges de lettres et une déclaration qui marquent l'aboutissement de dix ans de négociations. Ce deuxième accord vise à moderniser le régime de la pêche qui repose jusqu'à présent sur des textes très anciens, certains remontant à 1839 et 1943.

Les enjeux de ce dernier accord sont importants. L'évolution du droit de la mer, notamment à travers la convention internationale de Montego Bay de 1992, donne aux Etats côtiers des droits exclusifs pour la gestion et l'exploitation des ressources halieutiques situées dans les eaux relevant de leur juridiction. Cette évolution aurait pu conduire les autorités britanniques ou jersiaises à remettre en cause certains droits de pêche anciens, à caractère coutumier.

Le régime en vigueur, complexe et ancien, bénéficie davantage aux pêcheurs normands et bretons, qui pêchent couramment dans les eaux jersiaises, qu'aux pêcheurs de Jersey qui ne fréquentent que peu les eaux françaises. Aussi le présent accord, qui garantit l'accès des pêcheurs français à une large part des eaux territoriales jersiaises, est-il satisfaisant.

Il convient de relever que les accords relatifs à la baie de Granville sont accompagnés d'un échange de notes relatif à Guernesey. Il vise avant tout à préserver le statu quo et à ménager l'avenir. Ce point, essentiel pour les professionnels de la pêche français, a été l'un des plus difficiles à négocier et n'a pu être définitivement réglé que dans les jours précédant la signature de l'accord.

I - LES LACUNES DE LA DÉLIMITATION MARITIME ET DE LA DÉFINITION DES ZONES DE PÊCHE AVEC JERSEY

Le statut des îles anglo-normandes, issu de différents épisodes historiques, les place aujourd'hui encore dans une situation de particularisme et donc de dérogation au droit international de la mer comme à la réglementation communautaire.

Les îles situées au large du Cotentin, qui relevaient du duché de Normandie - fief de Jean d'Angleterre jusqu'en 1202 - ont été placées lors de la dépossession de celui-ci sous la dépendance directe de la Couronne britannique, qui leur a octroyé une constitution particulière en 1214. Les îles ont gardé depuis un statut original au sein du Commonwealth, au terme duquel la Reine d'Angleterre est gardienne des privilèges qui leur ont été accordés, et qui forment la coutume.

Le tracé des eaux territoriales des Iles anglo-normandes a été établi par un Order in Council du 23 septembre 1964. Les Etats de Jersey et Guernesey gardent encore aujourd'hui le droit de réglementer la pêche dans les eaux ainsi délimitées, auxquelles la réglementation communautaire ne s'applique pas.

A. L'absence de ligne de délimitation maritime entre la France et Jersey

La question de la délimitation maritime entre la France et Jersey ne s'est pas posée pendant longtemps.

Les conditions de pêche dans la baie de Granville ont longtemps été définies par le premier accord franco-britannique signé dans ce domaine, en 1839. Cet ancien accord a suffi à garantir les pratiques respectives des différents pêcheurs, quel que soit leur pays d'origine, le caractère restreint et artisanal de cette activité ne suscitant pas d'incidents entre les pêcheurs. Mais le développement croissant de la pêche après la deuxième guerre mondiale a rendu nécessaire de préciser les zones et conditions de pêche dans de nouveaux textes. Ainsi, un accord franco-britannique était conclu à Londres en 1951 sur les droits de pêche aux abords des îlots des Ecrehous et des Minquiers. Parallèlement, la Cour internationale de Justice de La Haye rendait, en 1953, à la demande des deux pays, un arbitrage sur la souveraineté de ces groupes d'îlots ; d'un commun accord, il avait été décidé que cet arbitrage aurait une portée de principe, mais n'affecterait pas les droits de pêche découlant de l'accord de 1951.

Un échange de notes effectué entre les deux pays au mois de février 1965 précisait les droits d'usage des navires de pêche français dans les limites des zones de pêche britanniques.

L'ensemble de ces textes successifs établissait le principe de la détermination de zones exclusives de 3 milles marins autour des îles et le long de la côte française, ainsi que de l'existence d'une mer commune située entre ces zones.

Le caractère ancien de ce système juridique est apparu ces dernières années inadapté, insuffisamment clair et précis. Le fait qu'aucune délimitation du territoire maritime n'ait été faite officiellement donnait lieu à des incidents lors notamment des contrôles effectués sur les pêcheurs par les services d'inspection maritimes des deux pays. En particulier un incident, intervenu en 1998, a confirmé que la situation actuelle d'absence de délimitation présentait trop d'inconvénients.

La question de cette délimitation est étroitement liée à celle des droits d'accès des pêcheurs français et des pêcheurs de Jersey dans la baie de Granville.

B. La délimitation des zones de pêche, issue d'accords successifs, est complexe et insatisfaisante

Les Britanniques ont fixé unilatéralement, en 1965, une zone dans la bande des 6 à 12 milles à l'ouest de Guernesey et d'Aurigny dans laquelle ils ont accordé à la France des droits spécifiques de pêche, conformément à la Convention de Londres de 1964 qui limite ces droits à l'Etat riverain, ainsi qu'aux parties en mesure de prouver l'existence de pratiques de pêche entre 1953 et 1962.

De 1965 à 1969, des discussions franco-britanniques se sont déroulées pour rechercher un arrangement bilatéral qui fixerait la limite nord du régime de la baie de Granville.

Les négociations franco-britanniques sur les droits de pêche entre l'île de Guernesey et la côte française du Cotentin ont repris en mai 1988, et ont abouti à un accord sous forme d'échange de notes verbales, le 10 juillet 1992.

1) Les lacunes de l'accord du 10 juillet 1992

Cet accord entre la France et le Royaume-Uni concerne essentiellement l'île de Guernesey et le ban de la Schôle qui se situe au nord-ouest de Guernesey, à égale distance de cette île, de l'île d'Aurigny et de la côte du Cotentin.

L'accord devait permettre à certains pêcheurs français d'exercer leur activité dans une limite de 12 milles marins autour de Guernesey et sur le banc de la Schôle. Ses dispositions sont les suivantes :

- dans la limite de 12 milles autour de Guernesey, les autorités du bailliage peuvent exercer des contrôles techniques sur la pêche. Ces mesures devaient prendre en compte les dispositions adoptées par la Communauté européenne en matière de gestion et de conservation de la ressource. Cependant, ces contrôles ont été pratiqués avec une trop grande rigidité par les autorités de Guernesey, avec pour résultat d'empêcher de nombreux navires français de pêcher dans cette zone ce qu'ils faisaient de façon coutumière.

- les pêcheurs figurant sur une liste annexée à la note, peuvent dans certaines conditions, continuer leurs activités de pêche sur le banc de la Schôle jusqu'à leur retraite, ou au plus tard jusqu'au 1er janvier 2010.

L'application de cet accord a soulevé des difficultés, notamment en raison de divergences d'interprétation sur les « pratiques habituelles » des pêcheurs des deux parties. Les pêcheurs français souhaitaient retourner dans la zone dite du « Haricot » (autour du banc de la Schôle) et les pêcheurs de Guernesey estimaient avoir des droits autour des Roches Douvres et au large de Cherbourg. La pêche au homard de la part de pêcheurs guernesiais dans la bande des 6 à 12 milles autour des Roches Douvres a provoqué des réactions de la part des pêcheurs de Paimpol à l'été 1993. Des incidents ont opposé les pêcheurs des deux pays. De nombreux navires français ont été verbalisés et la Royal Navy a été renforcée par deux unités dans la zone.

En vertu de cet accord, les autorités de l'île de Guernesey disposent en outre du pouvoir d'engager des poursuites en cas d'infraction aux règlements applicables dans ces eaux. L'objectif était d'éviter le déroutement des navires en Angleterre, mais le montant des amendes infligées s'est avéré très lourd.

En plus des condamnations et des amendes, les autorités compétentes de Guernesey ont confisqué des casiers à un navire français en mars 1993, et les autorités françaises ont confisqué des casiers à un navire guernesiais en juin 1993.

Les deux pays ont souhaité apaiser la situation en précisant les dispositions de l'accord dans un « modus vivendi ».

2) Le « modus vivendi » défini par l'échange de lettres du 16 août 1994

L'échange de notes en date du 16 août 1994 a tenté de préciser l'accord du 10 juillet 1992 : les autorités des deux pays sont convenues d'engager dans les meilleurs délais des conversations afin de parvenir à une position commune sur l'application de la conservation de la ressource halieutique dans la zone des 6 à 12 milles nautiques au sud, au nord, et à l'ouest de Guernesey, en vue notamment d'assurer une cohabitation harmonieuse entre chalutiers et arts dormants, et une spécification des espèces à pêcher dans la zone.

L'accord précise les droits des pêcheurs de Guernesey au large des Roches Douvres, et de ceux basés à Aurigny, dans le box de La Hague. Les pêcheurs français inscrits sur la liste A sont autorisés, dans certaines conditions, à pêcher dans la zone située à l'est de Guernesey et dénommée « le Haricot ». Enfin les pêcheurs français sont autorisés à pêcher dans la zone située au sud-est de la ligne de l'Etac de Sark, à condition de respecter les arts dormants.

L'accord prévoit également la restitution par les autorités compétentes des deux pays des casiers qui avaient fait l'objet d'une saisie.

L'application de cet accord s'est également avérée difficile en raison du désaccord sur les espèces susceptibles d'être pêchées. Plusieurs pêcheurs français ont été arrêtés et condamnés à des amendes, des casiers appartenant à des guernesiais ont été détruits, et Guernesey a décidé d'interdire la pêche dans la zone dite du Haricot.

L'accord a été dénoncé, à la fin de 1996, par les Britanniques, à la demande de l'Etat de Guernesey, qui s'est plaint du comportement des pêcheurs français.

3) Le différend de 1998 sur la délimitation maritime

A la suite de nouveaux incidents entre pêcheurs, les autorités britanniques ont décidé, le 12 novembre 1996, de ne pas renouveler le « modus vivendi ». Des conversations ont repris pendant quelque temps dans le but de redéfinir un régime de pêche procurant des avantages équivalents, mais ont été interrompues par Guernesey en 1998.

On mentionnera qu'un incident plus grave a eu lieu le 26 août 1998, un navire français de pêche ayant dépassé la limite des douze milles nautiques. Bien qu'un administrateur des affaires maritimes français hélitreuillé à bord ait signifié aux inspecteurs britanniques qu'ils se trouvaient en dehors des eaux sous juridiction britannique, le patron pêcheur du navire a été condamné à une amende au motif qu'il pêchait des pétoncles à l'intérieur de la zone de 12 milles autour de Guernesey.

Cette affaire a montré l'existence d'un différend entre la France et la Grande-Bretagne s'agissant de la portée de la sentence arbitrale de 1977 délimitant les frontières maritimes entre les deux pays dans la Manche. Cet arbitrage a tracé un axe médian dans la Manche avec une enclave pour les îles anglo-normandes dans la zone sous souveraineté française. La sentence n'a cependant tracé que la ligne de délimitation située au nord de Guernesey, jugeant que celle du sud concernant la baie de Granville devait être réglée par négociation bilatérale, en raison de ses particularités géographiques (présence de nombreux récifs, îlots et hauts fonds découvrants).

Les Britanniques considèrent que la décision de 1977 ne concernait que le plateau continental et non la colonne d'eau surjacente ; le bras de mer situé entre le nord des 12 milles de Guernesey et l'axe médian de la Manche constitue pour eux une zone grise. Pour la France il ne fait pas de doute que cette zone est incluse dans la zone économique exclusive française. Cette question qui mérite une clarification notamment dans le cadre des négociations avec Guernesey, a été mise de côté pour ne pas remettre en cause la dynamique des négociations des accords portant sur la baie de Granville qui se sont déroulées alors que les relations avec Guernesey devenaient plus tendues.

II - LA CLARIFICATION APPORTÉE PAR
LES ACCORDS DU 4 JUILLET 2000

La situation tendue évoquée ci-dessus rendait urgente un accord de pêche entre les deux pays ; et corrélativement, s'imposait une délimitation du territoire maritime entre la France et Jersey, qui n'avait donc jamais été faite auparavant.

Les autorités de Guernesey ayant interrompu les conversations en 1998, il n'a pas été possible d'apporter les mêmes clarifications en ce qui concerne les droits d'accès à la ressource pour les pêcheurs français comme guernesiais.

A. L'importance économique des activités de pêche dans la baie de Granville

La baie de Granville est caractérisée par une richesse et une diversité des ressources halieutiques, notamment grâce à sa faible profondeur et à l'hydrodynamisme entretenu par les marées. En outre, l'activité de pêche peut s'y dérouler toute l'année : les captures portent sur les mollusques (praires, coquilles Saint-Jacques et palourdes) et les crustacés (araignées de mer et les homards), ainsi que sur des espèces nobles de poissons, telles que les soles, les raies et les roussettes.

Les données transmises par le ministère de l'Agriculture font apparaître que la production totale française dans la baie est d'environ 38 000 tonnes en 2001, dont 30 000 tonnes pour les navires normands et 8 000 tonnes pour les navires bretons. La production de pêche de Jersey, estimée à 3 000 tonnes, est constituée de crustacés (araignées, crabes, homards) et de poissons. Plus de 9/10èmes des captures dans la baie sont donc le fait de navires français.

L'essentiel des navires impliqués dans la zone est fortement dépendant du golfe normand-breton, les navires de la côte Ouest du Cotentin étant particulièrement dépendants de la baie de Granville. En 2001, le nombre total de navires fréquentant la baie de Granville était d'environ 400, dont 120 navires bretons et 280 navires normands. La moitié de cette flotte est composée de petites unités de moins de 13 mètres. Entre 1990 et 2001, le nombre de navires fréquentant la zone a connu une légère diminution (environ 440 navires, soit une réduction de 10%) portant essentiellement sur des navires bretons. Cette flottille s'est réduite depuis trente ans du fait de la sortie de l'activité de pêche de nombreuses petites unités côtières, mais cette réduction a été compensée par une augmentation de la puissance globale de capture du fait du progrès technique.

La flottille jersiaise pêchant dans la zone de la baie de Granville est d'environ 25 unités. Jersey dispose de nombreuses petites unités pêchant dans ses eaux territoriales et ne fréquentant donc pas « la mer commune ». La flottille jersiaise a décru ces dernières années du fait de difficultés économiques et du non-renouvellement des marins partis en retraite. »

B. La délimitation de la frontière maritime

La ligne de délimitation maritime retenue par le premier des deux accords repose sur le principe de l'équidistance, qui est généralement applicable en ce qui concerne la délimitation des eaux territoriales entre Etats dont les côtes sont adjacentes ou se font face, sauf circonstances géographiques particulières qui rendraient l'équidistance inéquitable.

Le calcul de l'équidistance était cependant rendu difficile par la présence à l'est, au sud et à l'ouest de Jersey d'un certain nombre d'archipels, d'îles et d'îlots auxquels la France et le Royaume-Uni n'entendaient pas initialement donner la même valeur pour la fixation de la frontière. Ainsi a été reconnu un plein effet pour le continent, Jersey et les Roches Douvres, un effet de 75 % aux îles Chausey et un demi-effet aux Minqueirset aux Ecréhous. Certains rochers isolés dont l'appartenance est incertaine n'ont pas été pris en considération. Cette solution retenue en définitive est tout à fait satisfaisante pour la France.

La ligne de délimitation forme une vaste boucle qui s'appuie, à l'est, sur l'extrémité sud de la ligne de délimitation des secteurs de pêche entre le Cotentin et Aurigny (Royaume-Uni) définie par l'accord franco-britannique du 10 juillet 1992 déjà mentionné, et, à l'ouest, sur l'extrémité sud-est de la ligne de délimitation entre les Roches Douvres (France) et Guernesey définie également par l'accord du 10 juillet 1992. A l'est, la ligne de délimitation maritime descend vers le sud en contournant les Dirouilles et les Ecréhous, puis passe entre le plateau des Minquiers et les îles Chausey. Elle contourne ensuite le plateau des Minquiers par le sud, puis s'oriente vers le nord en remontant entre le plateau de Barnouic, puis le plateau des Roches Douvres d'une part et Jersey d'autre part.

La ligne de délimitation est constituée par des axes de loxodromie joignant quatorze points définis par des coordonnées géographiques exprimées dans le système de référence géodésique européen. Ces points sont fixés dans le tableau ci-joint, et la ligne de délimitation obtenue apparaît sur la carte qui suit.

Définition de la ligne de délimitation maritime

Coordonnées géographiques

C. Les dispositions de l'accord de pêche dans la baie de Granville

Le ministère des Affaires étrangères présente ainsi l'accord :

« L'accord définit un secteur à cheval entre les eaux territoriales françaises et jersiaises (mer commune) dans lequel les pêcheurs ont accès à la ressource sur un pied d'égalité. Il garantit des accès réciproques dans les zones comprises dans les trois à six milles de chacune des parties. Il met également en place une gestion concertée de la pêche ainsi qu'une procédure d'arbitrage ».

Les éléments essentiels de l'accord sont les suivants :

- L'accord intègre tout d'abord la délimitation de la frontière maritime entre les côtes françaises au large de la Normandie et de la Bretagne, et les côtes jersiaises, ce qui permet de donner le cadre de la mer commune et d'offrir une sécurité juridique aux activités de pêche ;

- Il assure la reconnaissance des droits historiques des pêcheurs français et jersiais ;

- Il définit les droits de pêche de la façon suivante :

-« maintien des droits de pêche français sur le plateau des Ecréhous et sur le banc de l'Ecrevière au Nord-Est de Jersey ;

- maintien du droit d'accès permanent des navires français sur le plateau des Minquiers ;

- reconnaissance d'un régime particulier concernant l'accès à huit zones (zones notées 1 à F dans l'accord, zone de bulots, zone entre les points F et E), qui sont situées, soit dans les 3 milles des eaux territoriales de Jersey, soit dans la bande des 3 à 6 milles des eaux territoriales jersiaises soit, enfin, dans la bande des 3 à 6 milles des eaux territoriales françaises » ; 

- Il prévoit la délivrance par chaque Partie, pour ses ressortissants, de permis de pêche ou d'accès.

Il est également prévu d'adopter à l'avenir, d'un commun accord, des règlements de pêche et la mise en place d'un mécanisme de suivi ; ainsi, une commission administrative mixte franco-jersiaise pourra prendre des décisions autonomes dans les domaines de conservation et de gestion de la ressource. Il s'agit là d'une initiative nouvelle qui paraît aujourd'hui indispensable au vu de la situation de raréfaction de la ressource halieutique, dans cette région comme de façon générale.

Enfin, l'accord prévoit la fixation conventionnelle du montant maximum des amendes et la mise en place d'une procédure de règlement des litiges.

Les deux parties se sont déclarées satisfaites du contenu de l'accord, notre pays en particulier voyant dans cet accord la préservation des droits des pêcheurs français tels qu'issus de la tradition.

Votre Rapporteur souligne néanmoins que le Comité régional des pêches maritimes de Basse-Normandie a adressé ses observations, au moment de l'examen des deux projets de loi par la Haute Assemblée, au Président et au Rapporteur de la Commission des Affaires étrangères du Sénat sur certains points de l'accord relatif à la pêche.

Une observation principale concerne le maintien des droits de pêche français sur le plateau des Ecréhous, au nord-est de Jersey, et le maintien du droit d'accès permanent des navires français au Plateau des Minquiers.

Le comité régional indique que la définition géographique du nouvel accord comporte un changement de référence entre le nord et le sud de la zone qui a pour conséquence de restreindre les droits de pêche dans le nord des Minquiers.

Il relève donc que « ce tracé est contraire aux points déclinés précédemment sur le maintien des droits d'accès permanents dans les Minquiers et les dispositions de l'accord de 1951 sur la pérennité des droits de pêche quelque soit le résultat de l'arbitrage de souveraineté de 1953. Pour mémoire, c'est la France qui a procédé au balisage des Minquiers en 1865 en disposant 9 bouées sur le pourtour de l'archipel. Par ailleurs, les premières cartes sérieuses de la région ont été dressées par l'ingénieur français Beautemps-Beaupré à partir de 1835. Malheureusement, les négociateurs contemporains de l'accord de la Baie de Granville ont négligé l'aspect cartographique et n'ont pas considéré cet aspect particulier.

Dans son préambule, le ministre des Affaires étrangères précise que, malgré l'abrogation des accords antérieurs, les relations et les droits de pêche entre la France et Guernesey sont maintenus. L'accord antérieur visé dans ce propos est l'échange de notes du 24 avril 1965 relatif aux droits de pêche des français dans les parages de Guernesey et de l'Ile de Man. Ce maintien serait assuré par une déclaration unilatérale de la France, signée à Jersey le 4 juillet 2000. Cette déclaration, dont nous ignorons la validité juridique, n'est pas jointe au projet de loi, à l'accord et aux annexes.

Par ailleurs, les relations avec Guernesey ont fait l'objet d'un accord, désastreux dans ses effets, sous forme d'un échange de notes en date du 10 juillet 1992, dont certains points n'ont pas été respectés par Guernesey : il s'agit de la reconnaissance de « pratiques existantes » et de la possibilité de « concertation entre professionnels ».

CONCLUSION

On soulignera que les accords sont neutres quant à la situation avec Guernesey. Aucune solution n'a été trouvée quant à l'accès coutumier des navires français aux abords de l'île de Guernesey ; il convient de préciser que la pêche détient une importance plus grande pour l'économie de Guernesey que pour Jersey, aussi les autorités du Baillage sont-elles moins conciliantes sur la reconnaissance de droits de pêche aux Français.

Le premier accord sur la délimitation du territoire maritime a le mérite de combler un vide juridique ancien. Il devrait assurer une plus grande sécurité juridique tant aux Etats qu'aux particuliers qui fréquentent ces eaux, et donc aux pêcheurs des deux Etats.

Le second accord se substitue à une superposition de textes anciens et complexes, et devrait apporter une simplification. En conséquence, les contrôles maritimes devraient être facilités et les contestations évitées. L'accord permet en outre de préciser le champ d'application territoriale du statut dérogatoire des îles anglo-normandes en droit communautaire.

Le Gouvernement escompte que ces précisions auront pour effet de favoriser le maintien d'emplois parmi les artisans pêcheurs.

Pour ces raisons, votre Rapporteur propose de donner un avis favorable aux deux présents projets de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné les présents projets de loi au cours de sa réunion du mercredi 5 février 2003.

Après l'exposé du Rapporteur, et suivant ses conclusions, la Commission a adopté les projets de loi (nos 48 et 49).

*

* *

La Commission vous demande donc d'adopter, dans les conditions prévues à l'article 128 du Règlement, les présents projets de loi.

NB : Le texte des accords figure en annexe aux projets de loi (nos 48 et 49).

N° 0602 - Rapport sur les projets de loi sur la ligne de délimitation maritime entre la France et Jersey et autorisant la ratification de l'accord relatif à la pêche dans la baie de Granville  (Sénat, 1ère lecture) (M. Gilbert Gantier)


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