N° 1583 - Rapport de M. Loïc Bouvard sur le projet de loi , adopté sans modification par le Sénat, autorisant l'approbation d'un accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'Ukraine relatif à la coopération policière (ensemble un échange de lettres) (1417)




Document

mis en distribution

le 10 mai 2004

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N° 1583

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 5 mai 2004.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR :

- LE PROJET DE LOI n° 1365, autorisant l'approbation de l'accord entre la France et la Russie relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure et de lutte contre la criminalité,

- LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant l'approbation d'un accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'Ukraine relatif à la coopération policière (ensemble un échange de lettres),

PAR M. LOÏC BOUVARD,

Député

--

Voir les numéros :

Sénat : 424 (2002-2003), 131 et T.A. 54 (2003-2004)

Assemblée nationale : 1417

SOMMAIRE

___

INTRODUCTION 5

I - LA SITUATION INTÉRIEURE ET DE SECURITÉ EN FÉDÉRATION DE RUSSIE
     ET LES COOPÉRATIONS DANS CE DOMAINE
7

A - LA SITUATION POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE 7

1) Un gouvernement contrôlé par la Présidence 7

2) Une situation économique et financière qui s'améliore 7

B - L'ÉTAT DE LA CRIMINALITÉ ET LES MOYENS DE LUTTE 8

1) Un niveau de criminalité très élevé 8

2) Une organisation des forces de sécurité en mutation 10

C - LES COOPÉRATIONS EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ 11

1) Une coopération bilatérale en matière de sécurité, à amplifier 11

2) Une coopération policière s'exerçant surtout dans le cadre

    de l'Union européenne 11

II - LA SITUATION INTÉRIEURE ET LA SÉCURITÉ EN UKRAINE
     ET LES COOPÉRATIONS DANS CE DOMAINE
13

A - LA SITUATION POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE 13

1) Une alternance possible 13

2) Une situation économique encore instable 13

B - L'ETAT DE LA CRIMINALITÉ EN UKRAINE ET LES MOYENS DE LUTTE 14

1) Un développement inquiétant de la criminalité 14

2) Des forces de polices relevant d'instances multiples 15

3) Les réformes entreprises 16

C - DES RELATIONS FRANCO-UKRAINIENNES À DÉVELOPPER 17

1) Des échanges bilatéraux limités 17

2) Une coopération policière franco-ukrainienne difficile à établir 17

3) Une coopération multilatérale relativement étendue 17

III - DES ACCORDS DE COOPÉRATION CLASSIQUES EN MATIÈRE POLICIÈRE 19

A - DES ACCORDS DE COOPÉRATION CLASSIQUES 19

1) Le champ d'application des deux accords 19

2) Les autorités compétentes pour leur mise en œuvre 20

B - DES MODALITÉS PRÉCISES DE COOPÉRATION 20

1) L'échange d'informations et d'expérience professionnelle 20

2) L'organisation de la coopération 20

C - LA CONFIDENTIALITÉ ET LA PROTECTION DES DONNÉES 21

1) L'organisation de la transmission des données nominatives 21

2) Le refus de coopérer 21

3) La durée des accords 22

CONCLUSION 23

EXAMEN EN COMMISSION 25

ANNEXE 1 : Etude d'impact 27

ANNEXE 2 : Les structures du ministère de l'Intérieur en Russie 29

Mesdames, Messieurs,

Deux accords bilatéraux relatifs à la coopération policière, de rédaction très semblable sont soumis pour approbation à l'examen de la Commission.

Il s'agit d'une part de l'accord entre la France et la Fédération de Russie relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure et de lutte contre la criminalité signé le 10 février 2003 qui vient d'être ratifié par la Fédération de Russie et d'autre part de l'accord entre la France et l'Ukraine relatif à la coopération policière, signé le 3 septembre 1998 ratifié par l'Ukraine le 9 novembre 1998, assorti d'un échange de lettres des 7 mars et 2 août 2003 et approuvé par le Sénat lors de la séance du 5 février 2004.

Après avoir examiné la situation intérieure et de sécurité de ces deux pays et les coopérations bi et multilatérales existantes dans ces domaines, votre Rapporteur examinera les principales dispositions de ces instruments classiques.

I - LA SITUATION INTÉRIEURE ET DE SECURITÉ
EN FÉDÉRATION DE RUSSIE ET LES COOPÉRATIONS
DANS CE DOMAINE

A - La situation politique et économique

1) Un gouvernement contrôlé par la Présidence

Vladimir Poutine a été réélu au 1er tour de l'élection présidentielle à une très large majorité de plus de 70 % des voix. Il gagne ainsi près de 20 points par rapport à sa première élection en l'an 2000. Grâce à une très forte mobilisation des ressources administratives, le taux de participation (64,3%), qui constituait la principale inconnue du scrutin, est largement supérieur à celui des législatives de décembre 2003. Parmi les adversaires du Président Poutine, seul le candidat soutenu par le Parti communiste a dépassé la barre des 5%.

Néanmoins, avant le scrutin, des critiques ont été formulées principalement sur le traitement inégal accordé par les télévisions aux différents candidats. L'OSCE a d'ailleurs regretté la couverture médiatique inéquitable de la campagne et déploré l'absence de véritable pluralisme.

Le nouveau gouvernement russe, dont la composition a été annoncée, voit sa structure entièrement refondue, selon un schéma occidental : le nombre de vice-premiers ministres passe de 6 à 1, le nombre de ministres de 24 à 16, dont 14 sont titulaires d'un ministère. Les ministères sectoriels hérités de l'URSS, ainsi que les petits ministères économiques autonomes (Impôts, Propriété d'Etat, Politique anti-monopole, etc.) disparaissent par absorption, de même que toute une série d'agences et de comités.

Cette réorganisation s'inscrit dans le cadre de la réforme administrative, qui prévoit notamment une nouvelle répartition des tâches entre les différents étages de l'administration (ministères, agences, commissions) et implique une plus grande responsabilité des ministres et un renforcement de leurs compétences.

S'agissant des questions de sécurité, on constate que les ministres de la Défense, de l'Intérieur, de la Justice et des Situations d'urgence sont tous confirmés à leurs postes.

2) Une situation économique et financière qui s'améliore

Les bonnes performances macroéconomiques de la Russie, ces dernières années, l'amélioration de la situation financière et le rythme soutenu des réformes tendent à masquer un certain nombre de déséquilibres structurels (manque de diversification de l'économie, forte dépendance par rapport aux ressources naturelles, faiblesse de l'investissement) qui fragilisent l'économie et conduisent à s'interroger sur la persistance de la croissance.

Le PIB a augmenté de 7,3% et la production industrielle de 7%, l'excédent commercial atteint 11% du PIB, en hausse de 36%.

Les finances publiques, dont le déficit récurrent au cours des années quatre-vingt-dix a eu une part prépondérante dans le déclenchement de la crise financière, ont été largement assainies et le budget est excédentaire depuis 2000. Le budget pour l'année 2004 prévoit un excédent de 0,5% du PIB.

L'ambitieux programme de réformes adopté à l'été 2000 a entraîné de réels changements (voir étude d'impact en annexe 1). La réforme fiscale est bien avancée et a permis un allègement du fardeau pesant sur l'activité et une amélioration de la situation des finances publiques. Les améliorations sont également sensibles en matière d'endettement extérieur, estimé à 37,8 % du PIB.

B - L'état de la criminalité et les moyens de lutte

1) Un niveau de criminalité très élevé

La criminalité a augmenté de 9,1 % en Russie en 2003, avec 2 756 400 crimes (la définition des crimes n'est pas identique à celle de la France). En revanche, le nombre de crimes très graves (crimes de sang, banditisme organisé, etc.) a diminué de 19,8 %. La moitié des crimes est liée aux vols.

a) une situation nationale inquiétante en matière de stupéfiants

La situation en Fédération de Russie est particulièrement préoccupante car la consommation de drogues connaît une forte hausse, surtout chez les jeunes (25% des collégiens consommeraient des produits stupéfiants et 3 % de la population de l'héroïne), même si par ailleurs, une baisse légère de la consommation de cannabis a été constatée.

Cette situation est aggravée par le fait que, selon les experts russes eux-mêmes, les conditions sanitaires et de santé se sont dégradées. La Russie connaît le plus fort taux de personnes atteintes par le Sida par rapport aux autres Etats européens et une très forte majorité de ces personnes sont affectées par le virus à la suite d'injections intraveineuses d'héroïne. Le nombre de personnes atteintes par le Sida est passé de 29 190 en 1999 à 228 000 en 2002. Le taux de croissance de la propagation du virus du Sida en Russie est supérieur au taux de l'Afrique et l'on estime qu'en 2020, le nombre de morts pourrait se situer entre 400 000 et 500 000. Le gouvernement russe a lancé un vaste programme fédéral de prévention et de soins et a mis en place en juillet 2003 un comité national de lutte contre la drogue, chargé de coordonner toutes les actions menées en ce domaine.

La fabrication et la distribution des stupéfiants semblent être passées sous le contrôle de structures criminelles organisées, ayant souvent un ensemble d'activités intégrées (production de produits chimiques précurseurs, système financier de blanchiment etc.) et des ramifications internationales étendues.

Les saisies d'héroïne sont en augmentation constante grâce à des opérations conjointes menées par les services répressifs russes avec leurs homologues des Etats voisins (Tadjikistan, Biélorussie, Turkménistan). La Russie reste une zone sensible au regard du trafic international d'héroïne provenant principalement d'Afghanistan et des pays d'Asie centrale. On estime actuellement à 65% la quantité de drogue produite en Afghanistan qui emprunterait chaque année l'itinéraire du Nord passant par l'Asie centrale, la Russie, l'Ukraine, la Biélorussie, l'Europe orientale et occidentale.

Les gangs internationaux, organisés selon le principe du clan, de la famille, qui opèrent sur cette route, s'intègrent et se partagent les sphères d'influence, en développant des spécialisations. Les uns se chargent de la contrebande en provenance d'Afghanistan, les autres se spécialisent dans l'acheminement des drogues en provenance d'Asie centrale vers la Russie, les autres pays de la CEI et l'Europe, d'autres enfin écoulent les drogues directement dans ces pays.

En Russie, les organisations criminelles jouissent d'une prospérité croissante. Estimées à prés de 300, ces organisations s'implantent en premier lieu auprès des milieux d'origine russe à l'étranger, où elles exercent leurs activités pendant deux à trois ans avant de se reconvertir ailleurs dans d'autres activités : proxénétisme, blanchiment d'argent à travers des sociétés écrans, ou trafic de stupéfiants, dont Moscou est devenue la plaque tournante, voire même trafic de matières nucléaires.

b) l'impact en France

Sur le territoire français, les saisies d'héroïne se multiplient ; les données pour 2003 ne sont pas encore disponibles. Le rapport du Ministère de l'Intérieur intitulé « Usage et trafic des produits stupéfiants en France en 2002 » précise que 21 ressortissants russes ont été appréhendés au cours de cette année pour infraction à la législation sur les stupéfiants, dont un pour trafic international.

Ces organisations mafieuses sont largement présentes dans les pays d'Europe orientale frontaliers de la Russie d'où elles cherchent à établir des ponts vers l'Europe occidentale. Elles possèdent des points de contact en France où la police judiciaire centralise les données opérationnelles relatives à tous les aspects de cette criminalité.

Plusieurs investisseurs d'Europe de l'Est effectuent des placements avec de l'argent d'origine indéterminée, y compris dans notre économie légale, dont une partie (sous réserve de preuves concrètes) pourrait être liée à la reconversion de produits d'activités criminelles.

En février 2001 et juin 2002, l'Office Central pour la Répression de la Traite des Etres Humains (OCRTEH) démantelait deux réseaux internationaux de proxénétisme ayant leur source en Russie. Les jeunes femmes prostituées originaires de ce pays restent cependant encore minoritaires sur notre territoire (1% de l'ensemble des prostituées).

2) Une organisation des forces de sécurité en mutation

Le ministère de l'Intérieur est chargé de l'ensemble des questions de police, à l'exception du contrôle des frontières et de la lutte contre les ingérences étrangères. Il est organisé en directions dirigées par des vice-ministres, avec un effectif de civils de l'ordre de 1 300 000 fonctionnaires. Le Ministère de l'Intérieur est soutenu par une force militaire intégrée, les « troupes de l'intérieur », d'environ 200 000 agents et dont la fonction est principalement le maintien de l'ordre. Ses structures sont décrites en annexe 2.

L'adoption et la mise en œuvre, tout récemment, d'une nouvelle législation en matière de lutte contre le blanchiment qui se veut conforme aux recommandations du Groupe d'Action Financière Internationale (GAFI), ont valu à la Russie de ne plus figurer sur la liste noire de cette organisation courant 2002.

En 2003, un nouveau département de police fiscale a été mis en place sous la direction d'un vice-ministre, à la tête du « service fédéral de la police économique fiscale ». Cette réforme tarde également à démontrer son efficacité, ne serait-ce que dans la reprise des anciens dossiers de la police fiscale.

Actuellement la Fédération de Russie saisit de façon plus automatique les avoirs financiers des « blanchisseurs ». Mais elle souhaite créer une structure de lutte anti-blanchiment à l'échelle de la CEI. L'idée est de mettre en place un groupe régional qui serait une déclinaison du GAFI.

La répression de la délinquance liée au trafic de stupéfiants est depuis peu monopole du Comité d'Etat Russe de la Lutte Anti-Drogue. Cette structure sera dotée d'un effectif de 40.000 hommes et peut être comparée au service américain chargé de la répression du trafic de stupéfiants (DEA). Il compte s'attaquer à la corruption touchant la police et aux « gangs de caucasiens » trafiquant l'héroïne afghane de façon exponentielle.

La délinquance financière est désormais réprimée par le Service Fédéral de Répression du Crime Economique. Il comptera 33.000 hommes et sera divisé en deux départements, l'un consacré au crime économique et l'autre aux infractions fiscales.

Les Gardes-Frontières disparaissent. Les 175.000 hommes qui composaient ce service seront rattachés à la direction du FSB (ex KGB).

Un projet de création d'un service fédéral de police criminelle comparable au FBI américain, dont certains craignent qu'il ne soit également rattaché au FSB est en cours d'élaboration.

C - Les coopérations en matière de sécurité

1) Une coopération bilatérale en matière de sécurité, à amplifier

La relance du dialogue politique franco-russe, conjuguée à la nécessité d'accroître nos échanges sur les nouvelles menaces et les moyens d'y répondre, ont abouti à la mise en place du Conseil de Coopération pour les Questions de Sécurité (CCQS), dont la troisième session s'est tenue le 5 mars 2004 à Paris, avec les ministres des Affaires étrangères et de la Défense des deux pays. A ce nouveau cadre de dialogue au niveau ministériel s'ajoutent la mise en place de groupes d'experts dans les domaines de la non prolifération, de la lutte contre le terrorisme et de la lutte contre la criminalité, ainsi que sur les questions de défense.

La visite d'Etat du Président Vladimir Poutine en France, du 10 au 12 février 2003, a donné une nouvelle impulsion aux coopérations institutionnelles entre nos deux pays, avec la signature de plusieurs accords dans le domaine judiciaire, en liaison avec les avancées de la réforme de la justice en Russie, en matière de sécurité intérieure et de lutte contre la criminalité, ainsi que dans le domaine du tourisme.

Il n'existe pas pour l'heure de contacts personnalisés entre les spécialistes de police judiciaire des deux pays. Côté russe, les services équivalents aux offices centraux de la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) française ne sont pas identifiés avec clarté. Les fonctions de direction de ces structures paraissent d'ailleurs instables, certains directeurs ne demeurant en poste que pour de brèves périodes. On peut espérer une amélioration suite à la réorganisation en profondeur des services de lutte contre le crime organisé qui se met en place actuellement.

La coopération bilatérale entre la France et la Russie s'exerce à travers les échanges de renseignements opérationnels, via la délégation du Service de coopération technique internationale de police (SCTIP), qui ont lieu régulièrement entre les services d'enquête français et leurs homologues. Ils concernent des éléments mettant en cause des membres du crime organisé russe. La coopération en matière de lutte contre les stupéfiants s'est traduite par la signature d'un accord bilatéral le 4 juillet 1989 et se place dans le cadre plus général de la lutte contre la criminalité organisée.

2) Une coopération policière s'exerçant surtout dans le cadre de l'Union européenne

Avec l'élargissement de l'Union européenne, les relations Union européenne-Russie sont à un tournant, comme le montrent les récents sommets de Saint-Pétersbourg (31 mai 2003) et de Rome (6 novembre 2003). La densité et la complexité grandissantes des relations Union européenne-Russie ont par ailleurs montré l'utilité d'une étroite concertation franco-russe.

La coopération en matière de lutte contre le crime organisé, et plus généralement en matière de justice et affaires intérieures, est une priorité fixée par l'Accord de Partenariat et de Coopération entre l'Union européenne (APEC) et la Russie, entré en vigueur en 1997, ainsi que de la Stratégie commune de l'Union européenne à l'égard de la Russie adoptée en 1999.

Un « Plan d'action pour la lutte contre la criminalité organisée » a été adopté en avril 2000. La France a proposé la création d'un Conseil de sécurité intérieure regroupant les quinze Ministres traitant des affaires de justice et affaires intérieures (JAI) et les ministres russes compétents.

Un accord de coopération entre Europol et la Fédération de Russie a été signé au sommet Union européenne-Russie du 6 novembre 2003, pour établir des « échanges d'informations techniques et stratégiques » afin de lutter contre toutes les formes de crime organisé (trafic de drogue et d'être humains, immigration illégale, blanchiment d'argent et terrorisme).

La Russie et l'Union européenne ont décidé, au sommet de Saint-Pétersbourg du 31 mai 2003, de structurer leur coopération dans le cadre d'espaces communs dont l'espace de liberté, de sécurité et de justice consacré aux questions JAI. Une contribution conjointe franco-allemande préconise le renforcement de la coopération opérationnelle et technique en matière de lutte contre la criminalité organisée et la gestion des frontières et des flux migratoires.

La Russie relève du programme communautaire TACIS. Ce programme apporte notamment son soutien à la mise en œuvre du Plan d'action pour la lutte contre la criminalité organisée.

II - LA SITUATION INTÉRIEURE ET LA SÉCURITÉ EN UKRAINE
ET LES COOPÉRATIONS DANS CE DOMAINE

A - La situation politique et économique

1) Une alternance possible

Le régime politique ukrainien est encore loin de respecter les standards démocratiques européens. Cependant, l'Ukraine se signale au sein des Etats de la CEI par le dynamisme de sa vie parlementaire. La vie politique ukrainienne est dominée par des groupes politico-financiers claniques rivaux, mais unis par la volonté de préserver le système. Le débat politique intérieur se focalise actuellement sur l'élection présidentielle d'octobre 2004, qui pourrait conduire à l'alternance.

En dépit de la désunion de l'opposition, en particulier de la défection des communistes, l'ancien Premier ministre réformateur Iouchtchenko, qui dirige les forces nationales-démocrates modérées, reste favori des sondages. Cependant, le précédent des législatives de mars 2002, à l'issue desquelles l'opposition avait été privée par diverses manœuvres de sa victoire relative, et l'attitude de l'administration présidentielle laisse planer un doute persistant sur la volonté du pouvoir en place de respecter les règles du jeu démocratique.

2) Une situation économique encore instable

Après avoir connu une sévère dégradation de sa situation économique avec une chute de 65% du PIB entre 1990 et 1999, l'Ukraine a renoué depuis trois ans avec les taux de croissance positifs (+ 6% en 2000, + 9 % en 2001, + 4,6 % en 2002). La politique de la Banque nationale, qui a notamment veillé à la stabilité du taux de change, a permis une maîtrise de l'inflation (- 0,6 % en 2002, et 25,8 % en 2000). Ces résultats globalement satisfaisants se révèlent cependant insuffisants au regard des immenses besoins de rattrapage. La corruption est un handicap.

En dépit de la forte augmentation des revenus réels de la population (+ 20 % en 2002), le niveau de vie reste en moyenne peu élevé. Un quart de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté et la répartition des richesses demeure très inégale. Les perspectives démographiques restent par ailleurs préoccupantes en raison du déficit de naissances et de la surmortalité masculine.

B - L'état de la criminalité en Ukraine et les moyens de lutte

1) Un développement inquiétant de la criminalité

La période de transition que connaît la société ukrainienne facilite les activités des groupes mafieux nationaux, particulièrement actifs dans toute l'Europe orientale, qu'il s'agisse de criminalité violente (assassinats, extorsions de fonds, séquestrations, rackets, enlèvements), de trafics divers (stupéfiants, véhicules volés, cigarettes, alcool, armes et matières nucléaires), ou de la traite des êtres humains (prostitution et immigration illégale).

Au plan interne, l'usage et le trafic de drogues en Ukraine ont connu un développement galopant. L'Ukraine est un pays producteur de drogue, consommée localement et également exportée vers les pays baltes et la Russie.

Au niveau du trafic international les analyses montrent que les stupéfiants saisis dans ce pays ont pour destination finale le marché européen. En raison de ses installations maritimes l'Ukraine est devenue un lieu de transit privilégié, non seulement pour les drogues provenant des pays du Croissant d'or (Iran, Afghanistan, Pakistan) et d'Asie centrale (Turkménistan, Kazakhstan, Tadjikistan) mais aussi pour celles arrivant d'Amérique du sud. Plus de 400 groupes de trafiquants seraient identifiés.

Les autorités ukrainiennes annonçaient avoir démantelé, en 2003, 9 laboratoires de production d'opium et deux filières en provenance de Moldavie et de Pologne ; 217 kg de paille de pavot, 12 kg d'herbe de cannabis, 2,5 kg d'opium, 1 kilo d'héroïne et presque 1 kilo d'amphétamines auraient été saisis. Malgré ces efforts, selon les chiffres officiels, le nombre de toxicomanes augmente constamment. On compterait officiellement 70.000 toxicomanes, et 500.000 selon certains observateurs.

Quant au blanchiment d'argent, ce phénomène est difficile à appréhender dans sa totalité. Un projet de loi concernant la répression des faits de blanchiment d'argent est en discussion au parlement ukrainien.

Les autorités ukrainiennes affirment que le crime organisé a été maîtrisé dans leur pays : 1 079 groupes criminels auraient été neutralisés en 1997 et la criminalité serait globalement en baisse. Environ 70 % des infractions pénales relevées seraient des délits contre la propriété. Les chiffres officiels indiquent un niveau relativement faible de délinquance violente contre les personnes.

Cependant les observateurs décrivent une criminalité organisée en expansion, versée dans la corruption et la délinquance économico financière. Deux niveaux de délinquance co-existent : la délinquance de droit commun (trafics de véhicules volés ou de stupéfiants et l'extorsion de fonds, ponctués régulièrement de règlements de compte entre bandes rivales), et le crime organisé caractérisé par la collusion de membres du monde politique et des milieux d'affaires tirant bénéfices de fraudes et contrebandes diverses.

L'implantation certaine de groupes criminels ukrainiens dans plusieurs capitales de l'Europe de l'Est a été observée. Le taux d'élucidation officiel des infractions atteindrait 90 %. Cependant en réalité seulement 20 % de la délinquance serait effectivement constatée.

2) Des forces de polices relevant d'instances multiples

Les questions de sécurité intérieure relèvent en Ukraine de la compétence de multiples ministères et services d'Etat.

a) le ministère de l'Intérieur et les troupes de l'Intérieur

En 2003, le ministère de l'Intérieur employait au total 324.000 personnes dont 272.000 relevaient la Milice, équivalent de la sécurité publique en France. Les principales divisions de ce ministère sont : état-major, lutte anti-mafia et criminalité organisée, politique criminelle, police judiciaire crimes économiques, criminalité organisée, trafic de stupéfiants, mineurs, Interpol, renseignement, travail social et administration de la police, troupes de l'intérieur (voir ci-dessous), sécurité publique, immigration, circulation et sécurité routière, pompiers, direction générale des enquêtes et expertise criminalistique, ressources humaines, services financiers, approvisionnements et bâtiments.

Cette structure est ensuite reproduite au niveau de chacune des 27 directions régionales dont celles constituées par Sébastopol et par Kiev. Chaque direction est divisée en districts (18 à 60 districts) eux-mêmes subdivisés en sections dès lors que l'on dénombre plus de 12.000 habitants. Ces structures sont en pleine évolution, et de nombreux responsables du ministère ou des directions régionales ont déjà été renouvelés.

Par ailleurs, les troupes de l'Intérieur sont rattachées au ministère de l'intérieur, et chargées essentiellement du maintien de l'ordre et des gardes des bâtiments ou des points sensibles. Ce service est divisé en unités spéciales : unités motorisées, unités opérationnelles, brigades d'hélicoptères, brigades de surveillance et protection des ambassades, unités de surveillance du complexe militaro-industriel, unités de surveillance et de protection des établissements d'étude du complexe militaro-industriel ou scientifique, unités de montagne, unité de plongeurs, unité de transfert des prisonniers et protection des tribunaux. Six grandes directions assurent le maillage territorial de ce service, qui représenterait 30.000 personnes.

b) une pléthore de services annexes

Le service de sécurité dispose en son sein d'une direction chargée de la lutte contre la corruption et le crime organisé. Ses compétences sont notamment le trafic international de stupéfiants, le blanchiment d'argent, les réseaux d'immigration illégale, et les règlements de compte, ainsi que la recherche du renseignement mais dispose également de pouvoirs judiciaires. Plusieurs directions sont chargées de la lutte contre le terrorisme.

Le Comité d'Etat de contrôle aux frontières, créé afin de regrouper toutes les troupes travaillant sur la question du contrôle aux frontières, s'inquiète de l'élargissement de l'Europe. Il craint que l'immigration clandestine en transit ne se transforme en immigration installée en Ukraine, bloquée par les nouvelles frontières plus étanches de l'Union européenne. L'immigration la plus forte qui est constatée provient notamment de Chine (37%), d'Inde (21%), d'Afghanistan, du Vietnam.

Le Comité d'Etat des minorités ethniques et des migrations est chargé de la gestion des minorités ethniques estimées à 22% de la population, ainsi que la gestion des centres de rétention. Selon ce service, 50.000 immigrants clandestins traverseraient chaque année l'Ukraine en direction de la future Union européenne élargie (Pologne, Hongrie, Roumanie).

Le Service des Douanes possède un statut de ministère et dispose d'un effectif de 18.000 personnes. Les préoccupations majeures du service sont liées notamment à l'élargissement de l'Union européenne, aux accords de réadmission en cours, et au manque de moyens nécessaires à la construction et à la modernisation de postes de contrôle. Les problèmes de fonctionnement résideraient essentiellement dans le perfectionnement du système d'information, de l'équipement, ainsi que dans les moyens de contrôle et d'audit.

La Procurature (Service du Parquet), dirigée par des magistrats, dispose également de groupes d'enquête chargés notamment de traiter en propre les enquêtes mettant en cause des membres de services de sécurité. Elle traite également les commissions rogatoires internationales. La Procurature représente 12.000 fonctionnaires. Pour l'année 2002, 76.000 plaintes ou dossiers auraient été déposés contre des agents de sécurité de l'Etat. 12.000 infractions auraient été découvertes contre des membres de la Milice, le plus souvent pour des motifs de corruption. 5 500 dossiers ont été examinés et ont abouti à des sanctions disciplinaires ou pénales (236 dossiers).

Enfin, le ministère de l'Organisation des secours et de la protection de la population des conséquences de la catastrophe de Tchernobyl, et le ministère des Affaires étrangères, disposent d'un département chargé spécifiquement des questions de sécurité.

3) Les réformes entreprises

Un nouveau code pénal et un nouveau code douanier ont été adoptés respectivement en 2001 et 2002. Un projet de code de procédure pénale est en cours d'élaboration. Toutefois il semblerait que l'instabilité politique générée par l'absence chronique de majorité politique cohérente, freine la modernisation d'un système légal jugé obsolète par la majorité des spécialistes. Les réformes législatives adoptées paraissent encore notoirement insuffisantes et les cadres juridiques d'action souffrent toujours d'imprécisions et de vides juridiques nuisibles à l'efficacité des services et à la protection des citoyens.

C - Des relations franco-ukrainiennes à développer

1) Des échanges bilatéraux limités

Les relations politiques de haut niveau entre la France et l'Ukraine ont connu une certaine impulsion à partir de 1996 mais la France continue à souffrir d'un déficit de visites ministérielles en Ukraine par rapport à ses principaux partenaires. D'une manière générale, la fréquence des contacts politiques et, partant, l'ampleur de la coopération bilatérale restent en-deçà du niveau envisagé dans le traité d'entente et de coopération signé entre les deux pays le 16 juin 1992.

2) Une coopération policière franco-ukrainienne difficile à établir

La coopération policière a été considérée par les observateurs français jusqu'à ce jour comme étant limitée à de simples échanges de vues et d'informations entre professionnels.

La coopération avec les autorités ukrainiennes a été longue et difficile à mettre en œuvre. La création d'une délégation du SCTIP en Ukraine devrait permettre de faciliter les échanges professionnels entre les deux pays dans le domaine de la sécurité intérieure et de donner un nouvel élan à la coopération technique et opérationnelle limitée jusque là à des échanges ponctuels et institutionnels via Interpol.

Plusieurs échanges de renseignements ont eu lieu. Un attaché de sécurité est d'ailleurs en poste à Kiev depuis septembre 2003. Les futures actions (missions, invitations et formation), relatives à la coopération policière devraient porter sur l'immigration clandestine et la lutte contre le crime organisée. Deux projets concernent le soutien à la lutte contre l'immigration clandestine et la formation et les échanges dans la lutte contre la criminalité organisée.

3) Une coopération multilatérale relativement étendue

L'Ukraine a ratifié les conventions de l'ONU de 1961, 1971 et 1988 sur le contrôle des stupéfiants et les substances psychotropes ainsi que les livraisons surveillées. De même ont été ratifiées les conventions européennes, d'entraide répressive de 1957 et d'entraide judiciaire de 1959. Elle est membre de l'OIPC Interpol depuis 1992.

a) la coopération dans le cadre de l'Union européenne

Les relations entre l'Ukraine et l'Union Européenne sont régies par un Accord de Partenariat et de Coopération (APC), entré en vigueur le 1er mars 1998, qui a instauré une coopération à grande échelle. L'Union européenne est le premier bailleur de crédits internationaux en Ukraine (plus d'un milliard d'euros entre 1991 à 2001). L'intervention de la Commission européenne est menée dans le cadre du Plan Justice Affaires Intérieures (JAI). L'Ukraine voudrait être rayée de la liste noire de Schengen et insiste pour une plus grande souplesse dans la délivrance des visas.

L'effort le plus important (50 à 60 M euros) qui sera consenti à la frontière occidentale de l'Ukraine dans le cadre du Programme Indicatif National 2004 - 2006 doit être mentionné.

S'agissant de la lutte contre le terrorisme, la délégation de l'Union européenne s'interroge à ce stade sur les opérations susceptibles d'être engagées et rencontre actuellement des difficultés à définir des actions concrètes dans ce domaine. Le volet « lutte contre le blanchiment » comprend une importante dotation en équipement ainsi que la mise à disposition sur deux ans d'un expert technique.

L'intervention européenne repose sur le programme BUMAD (Belarus, Ukraine and Moldova Anti-Drug) qui vise à réduire dans ces trois pays le trafic et la consommation de drogue en provenance d'Afghanistan. Cette opération, programmée sur deux ans, est dotée d'une enveloppe totale de 5 M euros financée à hauteur de 90 % par l'Union européenne et 10 % par le PNUD qui en assure la mise en œuvre.

b) la coopération dans le cadre de l'OSCE

En matière d'affaires intérieures, l'OSCE privilégie la lutte contre le trafic des êtres humains en finançant des numéros verts gratuits et accessibles 24 h sur 24, la mise en place de centres de consultations et d'informations dans les régions à risque (Odessa, Kharkiv, Louhansk, Oujhorod, Sébastopol, Temopil), l'amélioration de la prise en charge sociale et judiciaire des victimes et des « témoins ». Les ONG sont très étroitement associées à cette coopération. Elle s'efforce de promouvoir la règle de droit au sein des forces armées et la constitution d'une police militaire, par l'organisation de sessions de sensibilisation dans les garnisons. Elle participe à la lutte contre la corruption en liaison avec les services du Procureur Général et des autres organes de maintien de l'ordre.

c) le rôle du Conseil de l'Europe

Le Conseil de l'Europe poursuit ses actions engagées précédemment en matière d'organisation de la police et de respect de règles déontologiques, ainsi que de lutte contre le crime organisé et la corruption.

III - DES ACCORDS DE COOPÉRATION CLASSIQUES
EN MATIÈRE POLICIÈRE

A - Des accords de coopération classiques

Si la France a noué une coopération multiforme en matière de sécurité intérieure avec une soixantaine de pays, elle s'efforce depuis quelques années d'harmoniser et de rendre cohérente cette coopération en négociant des accords types. A ce jour, la France a signé des accords intergouvernementaux de coopération en matière de police ou de sécurité intérieure avec les pays suivants : Afrique du Sud, Algérie, Allemagne, Belgique, Bulgarie, Chine, Colombie, Espagne, Royaume-Uni, Grèce, Hongrie, Italie, Luxembourg, Macédoine, Malte, Maroc, Mexique, Pays- Bas, Pologne, Roumanie, Fédération de Russie, Slovaquie, Tadjikistan et Ukraine.

Ces accords, pour l'essentiel, permettent de donner une base juridique à une coopération opérationnelle et technique. Ils contribuent à accélérer le développement de ces coopérations dans un pays considéré comme essentiel. Leur signature conduit à un resserrement des liens opérationnels ou de formation avec l'Etat cosignataire. Ils ont un impact sur la situation de sécurité intérieure française. De plus, la conclusion de tels accords permet à la France d'harmoniser ses relations avec l'ensemble des pays concernés dans le domaine de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée transnationale.

Les accords franco-russe et franco-ukrainien soumis à examen s'inscrivent dans ce cadre. Sur le fond, ils reprennent les dispositions habituelles en matière de lutte contre le terrorisme, le trafic de drogue et la criminalité organisée, point sur lequel un accent particulier est mis.

La négociation de ces deux accords n'a d'ailleurs pas posé de difficultés particulières si ce n'est que l'accord franco-ukrainien a dû être complété par un échange de lettres du 7 mars et du 2 août 2002, destinées à corriger deux erreurs matérielles à l'article 7 de l'accord et à introduire une clause de sauvegarde protectrice de la souveraineté nationale.

1) Le champ d'application des deux accords

Les deux accords contiennent un engagement réciproque de coopération technique et ou opérationnelle dans le respect des législations de chaque Etat. L'accord franco-russe prévoit également que les parties s'accordent mutuellement assistance.

Les domaines de coopération sont précisés dans chacun des accords et sont quasi identiques : lutte contre le terrorisme, la criminalité organisée, le trafic illicite de stupéfiants, la lutte contre l'immigration illégale. Plus récent l'accord franco-russe est plus précis, il vise expressément la criminalité économique, le blanchiment des produits du crime, le financement du terrorisme, les atteintes à la sûreté de moyens de transport, la criminalité dans le domaine informatique. L'accord franco-russe élargit clairement le domaine de l'accord franco-ukrainien puisqu'il vise expressément le vol et le trafic illicites de biens culturels et d'objets d'art et le vol et le trafic illicites d'armes, de matière nucléaire et de substance toxique.

2) Les autorités compétentes pour leur mise en œuvre

Les deux instruments énumèrent les autorités compétentes pour les mettre en œuvre notamment les ministères de l'intérieur de chacun des pays (article 6 de la convention franco-ukrainienne et article 3 de la convention franco-russe).

B - Des modalités précises de coopération

1) L'échange d'informations et d'expérience professionnelle

Les deux accords établissent et encadrent les modalités de transmission d'informations ou d'offres d'assistance. Les catégories d'informations pouvant faire l'objet d'échanges sont énumérées par domaine d'intervention.

Dans l'accord franco-russe, l'article 11 fixe les aspects principaux de la coopération technique pour chacun des onze domaines qui entrent dans le champ d'application de l'accord. Sont concernés la formation générale et spécialisée, les échanges d'informations et d'expériences professionnelles, le conseil technique, l'échange de documentation spécialisée et, en tant que de besoin, l'accueil réciproque de fonctionnaires et d'experts. L'article 12 prévoit une programmation régulière de la coopération technique.

Dans l'accord franco-ukrainien, les modalités d'échanges d'informations figurent aux articles 2 à 5 pour chacun des domaines de coopération. Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, les parties procèdent à des échanges d'informations relatives aux groupes de terroristes, aux modes d'exécution et aux techniques et s'informent mutuellement au sujet des groupes terroristes.

Quant à la lutte contre les formes graves de criminalité internationale, chacun s'engage à prendre des mesures policières à la demande de l'autre Etat. Cette coopération peut prendre la forme de mesures policières coordonnées et d'assistance réciproque en personnels et matériels. L'envoi mutuel de spécialistes dans le but d'acquérir des connaissances professionnelles est également prévu.

2) L'organisation de la coopération

Les deux accords prévoient que la coopération peut être technique ou opérationnelle pourvu que celle-ci s'effectue dans le respect des législations nationales et soient compatibles avec les autres instruments internationaux conclus par les Parties.

Les articles 10 et 11 de l'accord franco-russe fixent certaines modalités de la coopération comme la mise à disposition de personnel et de matériel afin de mieux lutter contre les nouvelles formes de criminalité internationale. De même, l'échange d'informations et d'expérience professionnelle, le conseil technique, l'échange de documentation spécialisée et l'accueil réciproque de fonctionnaires et d'experts sont prévus.

L'utilisation de ces modalités figure également à l'accord franco ukrainien, domaine par domaine.

C - La confidentialité et la protection des données

1) L'organisation de la transmission des données nominatives

Les articles 14 et 15 de l'accord franco-russe et l'article 7 de l'accord ukrainien définissent les conditions dans lesquelles les données nominatives peuvent être transmises à l'autre partie. Elles concernent leur utilisation par la partie émettrice, y compris le délai à l'issue duquel elles doivent être détruites.

La partie émettrice garantit l'exactitude des informations et en assure la correction éventuelle. La Partie destinataire garantit la destruction des informations dès qu'elles n'ont plus d'usage.

Les personnes concernées par les informations transmises ont le droit d'interroger les autorités compétentes. Le registre des données communiquées et de leur destruction est tenu à jour.

Par ailleurs, l'accès aux données est défini par la législation interne de l'Etat auquel la personne intéressée a adressé la demande. La transmission des données n'est possible qu'après le consentement de la partie qui les a communiquées.

Les parties garantissent la protection des données contre tout accès non autorisé, toute modification et toute publication.

2) Le refus de coopérer

Pour l'accord franco-ukrainien, les conditions posées pour refuser de coopérer résultent d'échanges de lettres des 7 mars et 2 août 2002 : une coopération technique ou opérationnelle peut être refusée si une des parties estime qu'elle porte atteinte à sa sécurité à l'ordre public aux règles d'organisation et de fonctionnement de l'autorité judiciaire ou à d'autres intérêts essentiels de l'Etat. L'une des parties peut invoquer l'atteinte aux droits fondamentaux de la personne pour rejeter une demande.

L'accord franco-russe reprend les mêmes dispositions dans son article 13. La France peut refuser de donner suite à une demande de communication d'information relative à la coopération technique et opérationnelle dès lors que la communication de telles informations porterait atteinte au respect du secret de l'enquête ou de l'instruction.

3) La durée des accords

L'accord franco-russe est conclu pour une durée de trois ans renouvelable par tacite reconduction pour de nouvelles périodes de trois ans (article 13), l'accord franco-ukrainien pour une durée de cinq ans, renouvelable pour cinq ans (article 10 de l'accord).

CONCLUSION

Votre Rapporteur recommande l'approbation de ces deux accords avec la Fédération de Russie et l'Ukraine qui offrent un cadre cohérent à la coopération en matière de lutte contre la criminalité transnationale. Au regard de l'importance de ces pays et de l'élargissement de l'Europe, ils permettent de développer des actions de coopération pertinentes et, en outre, de renforcer les liens de la France avec ces deux pays.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné les présents projets de loi au cours de sa réunion du mercredi 5 mai 2004.

Après l'exposé du Rapporteur, M. Guy Lengagne, eu égard au récent élargissement, s'est interrogé sur la protection des Etats membres de l'Union européenne face aux différentes formes très préoccupantes de criminalité qui se développent fortement en Ukraine et en Russie.

M. Loïc Bouvard a reconnu que la question soulevée était fondamentale. Il ne s'est pas montré très optimiste quant à la lutte contre les réseaux mafieux qui disposent de moyens considérables. Toutefois, il a rappelé que l'Union européenne mettait en œuvre différents moyens techniques et financiers pour faire face à ces fléaux. A cet égard, il a rappelé que plusieurs accords entre l'Union européenne et respectivement la Fédération de Russie et l'Ukraine avaient été signés récemment.

M. Hervé de Charette a tout d'abord souligné que l'entrée des pays d'Europe centrale et orientale dans l'Union était en elle-même une sécurité dans la mesure où ils doivent ainsi se soumettre aux règlements et aux pratiques européens. S'ils n'étaient pas entrés, les problèmes de criminalité se poseraient avec plus d'acuité. Par ailleurs, il a estimé qu'il convenait de distinguer entre le niveau de corruption de l'Ukraine et celui de la Russie. Celle-ci étant engagée dans une démarche de reconstruction de l'Etat et la tradition policière y étant assez ancienne, la coopération avec ce pays ne sera pas sans résultats. S'agissant de l'Ukraine, la coopération avec cet Etat risque de très vite trouver ses limites.

M. Loïc Bouvard a également estimé qu'il y avait une réelle différence de situation entre la Fédération de Russie et l'Ukraine, Etat en reconstruction qui n'a pas encore réglé ses problèmes de corruption malgré les réformes en cours. Comme M. Hervé de Charette, il a considéré que l'élargissement de l'Union européenne était bénéfique pour les nouveaux adhérents, qu'il conforte, notamment sur le plan de la sécurité intérieure, ainsi que pour nos pays de l'Europe de l'Ouest.

Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a successivement adopté les projets de loi (nos 1365 et 1417).

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La Commission vous demande donc d'adopter, dans les conditions prévues à l'article 128 du Règlement, les présents projets de loi.

NB : Les textes des accords figurent en annexe aux projets de loi (nos 1365 et 1417).

ANNEXE 1

ETUDE D'IMPACT

I) Etat du droit et situation de fait existants et leurs insuffisances

Jusqu'à ce jour, la coopération avec la Fédération de Russie en matière de sécurité intérieure est fondée sur l'accord signé en février 1992 entre les Ministres de l'Intérieur. Un protocole a réactualisé ce document pour les années 1997 à 1999.

L'effondrement du régime soviétique a conduit au développement d'une criminalité organisée très importante contribuant à faire prospérer une oligarchie mafieuse enrichie grâce au blanchiment d'argent.

Néanmoins, la restauration de la "verticale du pouvoir" et de l'autorité de l'Etat a conduit à une stabilisation de la vie politique. Aussi, une vaste réforme de l'appareil d'Etat a été lancée et un décret du 4 juin 2000, a; notamment, engagé une réforme structurelle du ministère de l'Intérieur russe. Par ailleurs, le gouvernement russe s'est livré à un intense travail de réformes législatives dans le domaine de la lutte contre le blanchiment d'argent, affichant ainsi sa volonté de développer la coopération internationale en la matière.

Débutée tardivement, la coopération en matière de sécurité intérieure avec la Fédération de Russie a connu un réel développement ces deux dernières années. Si la coopération technique reste soumise à des difficultés budgétaires, les échanges de renseignements opérationnels sont devenus quotidiens.

Ainsi, pour formaliser ces échanges et pour asseoir cette coopération dans un cadre juridique clairement défini, il a été jugé important, de part et d'autre, de signer un accord franco-russe en matière de sécurité intérieure et de lutte contre la criminalité.

II) Bénéfices escomptés en matière

· d'intérêt général

Cet accord, dont l'objectif est d'améliorer la coopération en matière de sécurité intérieure, est une des réponses, sur le plan bilatéral, pour lutter plus efficacement contre la criminalité organisée et ses répercussions, en permettant notamment aux services de police de procéder à des échanges d'information pouvant porter sur des données à caractère personnel.

En outre, compte tenu de l'importance jouée par la Russie comme pays de transit ou de rebond pour divers flux irréguliers à destination de l'Europe de l'ouest et, depuis peu, compte tenu de l'augmentation de l'immigration illégale russe à destination de notre pays, la coopération policière avec les services de police russes constitue un enjeu important.

· de simplification des formalités administratives

Cet accord organise, dans un cadre juridique précis, des échanges d'informations et la communication de données entre les deux parties. Ces dispositions pourraient rendre plus aisées les demandes françaises en la matière et permettre de les voir traitées dans un délai écourté.

· de complexité de l'ordonnancement juridique

Cet accord bilatéral ne fait que compléter le dispositif contractuel établi par la France avec un certain nombre d'Etats pour mieux lutter contre la criminalité internationale.

ANNEXE 2

Les structures du ministère de l'intérieur en Russie :

a) le ministère de l'Intérieur :

- Ministre, cabinet, inspection générale des services

- Secrétaire d'Etat, Vice-ministre : direction juridique, direction de l'information et des relations publiques, direction des relations internationales ;

- Premier vice-ministre : directeur de la police criminelle, direction générale des recherches criminelles, direction générale de la lutte contre le crime organisé, direction du support technique opérationnel, BCN INTERPOL ;

- Vice-ministre : directeur du service fédéral des crimes économiques et fiscaux, direction générale de la lutte contre les crimes économiques, direction générale de la lutte contre les crimes fiscaux ;

- Vice-ministre : direction de l'ordre public, état-major, direction générale de l'ordre public, inspection générale de la sécurité routière, direction générale de l'intérieur pour les points sensibles, direction générale de la protection des biens et des locaux ;

- Vice-ministre : chef du comité d'instruction, comité d'instruction, centre d'expertise criminalistique ;

- Vice-ministre : direction générale de l'organisation et de l'inspection, direction de la mobilisation, centre d'information, institut des recherches scientifiques, direction du contrôle et des révisions détachement spécial de la police de la protection des biens ;

- Vice-ministre : direction générale du personnel, académie des cadres, direction de la formation professionnelle, centre des programmes sociaux ;

- Vice-ministre : direction de la logistique, état-major, direction des finances, direction médicale, direction de l'informatique et des communications, direction de la construction et de l'investissement immobilier, direction générale des moyens techniques, direction du patrimoine ;

- Vice-ministre : commandant des troupes de l'intérieur, état-major des troupes de l'intérieur, détachements, établissements de formation militaire ;

-Vice-ministre : chef de la direction générale pour le district sud ;

- Vice-ministre : responsable du service fédéral d'immigration, direction générale des passeports et des visas, direction générale de la sécurité du transport ;

b) le service fédéral de sécurité (FSB, ex KGB) :

Sa mission principale est relative à la sécurité intérieure de l'Etat et il est particulièrement investi dans la lutte contre le terrorisme. Il peut en fait, se saisir de toute affaire criminelle, s'il estime qu'elle est reliée à une question de « sécurité ». Il dirige le très important service des gardes-frontières, chargé du contrôle des frontières mais aussi de leur protection. Le FSB comme les gardes-frontières disposent d'unités lourdes, avec équipements militaires puissants : blindés, avions, bateaux. Comme les autres services fédéraux, il est soumis à l'autorité directe du président.

Ses effectifs ne sont pas connus, et son organigramme n'est pas accessible.

c) le service fédéral de lutte contre le trafic de stupéfiants :

Créé en 2003 par réemploi des forces de police fiscale, complètement dissoute, il tarde à avoir un réel fonctionnement opérationnel et semble n'être qu'une « coquille vide ». Dédié à la coordination de la lutte, il n'a toutefois pas accès aux enquêtes des services spécialisés du MVD ou du FSB. Tout d'abord installé comme « Comité d'Etat », il a été rebaptisé service fédéral à la faveur de la nomination d'un nouveau gouvernement en mars 2004. Il dispose d'un effectif de 40 000 personnes.

d) le service fédéral de protection :

Il a en charge la sécurité du chef d'Etat, c'est l'équivalent du S.P.H.P. français.

e) le ministère des situations d'urgence :

Il est responsable des questions de sécurité civile et dispose d'effectifs importants dont certains sont très proches d'éléments militaires. Il est référencé dans les structures dites de « force », compte tenu de sa capacité à intervenir dans les situations de crise et de son « autosuffisance » dans les zones instables.

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N° 1583 - Rapport commun sur les projets de loi autorisant l'approbation d'un accord France-Russie de coopération en matière de sécurité intérieure et d'un accord France-Ukraine relatif à la coopération policière (M. Loïc Bouvard)


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