N° 2041 - Rapport de M. André Santini sur la proposition de loi PROPOSITION DE LOI RELATIVE A LA COOPERATION ...1684




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le 27 janvier 2005

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N° 2041

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 26 janvier 2005.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE LOI, ADOPTÉE PAR LE SÉNAT (n° 1684), relative à la coopération internationale des collectivités territoriales et des agences de l'eau dans les domaines de l'alimentation en eau et de l'assainissement,

PAR M. André SANTINI,

Député.

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Voir les numéros :

Sénat : 67, 347 et T.A. 100 (2004-2005).

Assemblée nationale : 1684.

INTRODUCTION 5

I. -  LES DOMAINES DE L'EAU ET DE L'ASSAINISSEMENT : ENJEUX DE DÉVELOPPEMENT À L'ÉCHELLE MONDIALE 6

A. DES BESOINS MONDIAUX CONSIDÉRABLES 6

1. Disposer d'eau : un problème quantitatif 6

2. Construire des réseaux d'eau potable et d'assainissement performants : un problème qualitatif 7

B. LA NÉCESSITÉ D'UNE AIDE DES PAYS DÉVELOPPÉS 7

1. L'action des instances internationales et européennes 8

a) Les instances internationales 8

b) Les institutions européennes 9

2. Le rôle de la France 10

a) Un modèle de gestion de l'eau et un savoir-faire à exporter 10

b) Des problèmes internes qui ne doivent pas être oubliés 11

II. -  UNE PRIORITÉ DE LA COOPÉRATION DÉCENTRALISÉE 13

A. PRINCIPES ET RÉALISATIONS DE LA COOPÉRATION DÉCENTRALISÉE 13

1. Les principes : la loi du 6 février 1992 13

2. Les réalisations dans les domaines de l'eau et de l'assainissement 13

B. PERMETTRE UNE ACTION FINANCÉE PAR LES BUDGETS DE L'EAU ET DE L'ASSAINISSEMENT 14

1. Donner une base légale à des pratiques utiles 14

2. Les précisions apportées par le Sénat 16

DISCUSSION GÉNÉRALE 19

EXAMEN DES ARTICLES 21

Article premier (article L. 1115-1-1 [nouveau] du code général des collectivités territoriales) : Financement des actions de coopération décentralisée dans les domaines de l'eau et de l'assainissement 21

Article 2 (article L. 213-6 du code de l'environnement) : Actions de coopération internationale des agences de l'eau dans les domaines de l'eau et de l'assainissement 25

TABLEAU COMPARATIF 31

MESDAMES, MESSIEURS,

L'eau est une ressource rare et précieuse à l'échelle planétaire. La situation de la France métropolitaine, à des latitudes tempérées, lui garantit des ressources en eau abondantes et assez peu soumises à fluctuations. Il n'en est pas de même pour de larges parties du monde : les zones aréiques et endoréiques représentent plus de 40 % de la surface terrestre. Pour ces espaces, les situations de stress hydrique, voire de pénurie hydrique, sont monnaie courante. Mais d'autres espaces, en dépit de précipitations abondantes, connaissent aussi des problèmes relatifs à l'eau. Car l'eau n'est pas seulement une manne inégalement répartie sur le globe ; c'est aussi une ressource dont la gestion détermine les possibilités d'utilisation. L'existence de réseaux d'approvisionnement en eau potable, celle de réseaux d'assainissement, sont des conditions pour un développement humain, sanitaire et économique satisfaisant.

Il rentre donc pleinement dans les missions d'aide aux pays en développement d'apporter à ces pays des compétences techniques, une expertise, des moyens, dans les domaines de l'approvisionnement en eau et de l'assainissement. L'action doit être à la fois une action de construction et d'entretien des réseaux (qui requiert une immobilisation de capital et une surveillance constante) et une action d'analyse de la qualité de l'eau et d'action chimique sur cette eau (qui requiert des techniciens compétents). C'est pourquoi l'aide qui peut être apportée par les pays développés est particulièrement précieuse.

L'engagement de l'État français en faveur de l'aide aux pays en développement a été confirmé par une perspective d'augmentation des crédits dégagés pour cette aide. Consacrer une fraction de l'ordre de 0,7 % du pib national demeure l'objectif à moyen terme.

Parallèlement aux aides directement versées par l'État français, les collectivités territoriales peuvent conclure des conventions avec d'autres collectivités étrangères, depuis 1992. Cette coopération internationale à l'échelon des collectivités est appelée « coopération décentralisée » et son succès incite à en élargir les possibilités. C'est ce que permettra de faire la proposition de loi, présentée par M. Jacques Oudin, notre ancien collègue sénateur, et plusieurs de ses collègues, adoptée par le Sénat le 22 juin 2004, et dont nous sommes aujourd'hui saisis, dans le domaine spécifique et particulièrement sensible de l'approvisionnement en eau et de l'assainissement. Cette proposition de loi, s'est largement inspirée d'un système original et à ma connaissance unique en Europe, mis en œuvre dès 1986 par le Syndicat des eaux d'Ile de France, syndicat mixte desservant 144 communes de la région parisienne que je préside, et consistant à prélever à l'époque un centime de franc par mètre cube d'eau vendu.

Il est proposé, à la fois, de donner aux collectivités la possibilité de consacrer une fraction de leurs recettes de redevances d'eau et d'assainissement à des actions de coopération décentralisée dans ce domaine et de permettre aux agences de l'eau de faire de même.

I. -  LES DOMAINES DE L'EAU ET DE L'ASSAINISSEMENT : ENJEUX DE DÉVELOPPEMENT À L'ÉCHELLE MONDIALE

Les pays en développement ont des infrastructures embryonnaires ou insuffisantes dans les domaines de l'eau et de l'assainissement.

Les besoins des pays en développement peuvent être utilement épaulés par l'aide apportée par les pays développés, et notamment par la France.

A. DES BESOINS MONDIAUX CONSIDÉRABLES

Les besoins mondiaux concernent aussi bien la recherche d'une quantité suffisante que la constitution de réseaux d'approvisionnement et d'assainissement performants et sûrs.

1. Disposer d'eau : un problème quantitatif

Les besoins annuels en eau d'un homme sont estimés à 1 500 mètres cubes. Entre 1 500 et 1 000 mètres cubes, l'insuffisance est qualifiée de stress hydrique, car elle met à l'épreuve l'organisme et favorise le développement de pathologies. En deçà de 1 000 mètres cubes d'eau par an, on parle de pénurie hydrique et les risques pour l'organisme sont renforcés. Il est donc vital que les pays en développement, et tout particulièrement ceux se situant dans des zones sèches, disposent de réseaux d'approvisionnement en eau qui permettent d'éviter une pénurie d'eau.

Le manque d'eau peut aussi avoir des conséquences sur la production agricole. Le secteur agricole représente plus de 80 % de la consommation totale d'eau. Toute politique visant à réaliser des économies d'eau est amenée à se tourner vers ce secteur.

Un certain nombre de pays sont déjà dans une situation critique, leur consommation annuelle étant supérieure au niveau de leurs ressources annuelles renouvelables. L'indice d'exploitation de la ressource renouvelable (exprimé en pourcentage) permet de mesurer cette situation. Par exemple, la Libye est à 386 %, Israël à 112 %, l'Égypte à 102 %. L'évolution démographique tendra à multiplier dans le futur le nombre de pays qui seront ainsi menacés. Les réponses apportées par ces pays, notamment en puisant dans les nappes phréatiques souterraines, sont souvent de court terme et tendent à épuiser les gisements d'eau fossiles.

2. Construire des réseaux d'eau potable et d'assainissement
performants : un problème qualitatif

Les maladies liées à l'eau sont nombreuses et leurs conséquences parfois dramatiques. Certaines de ces maladies tiennent à des problèmes liés aux eaux de surface. La malaria (ou paludisme) est véhiculée par des anophèles qui se développent le long des cours d'eau en zone tropicale. C'est une des premières causes de mortalité infectieuse à l'échelle mondiale (un million de mort chaque année, dont neuf dixièmes en Afrique). L'onchocercose (ou cécité des rivières) se développe dans les eaux courantes et claires et son véhicule est un ver parasite ; les bilharzioses sont dues à des schistosomes présents dans les eaux courantes et stagnantes. D'autres maladies sont pour leur part la conséquence d'une qualité insuffisante de l'eau à usage alimentaire : choléra, fièvre typhoïde, shigelloses, certaines formes d'hépatite (A et E)...

En complément du problème de la qualité de la ressource se pose celui de l'existence et de la qualité des réseaux d'approvisionnement.

Les rapports sur le développement humain prennent en compte le critère de la proportion de personnes sans accès durable à de l'eau potable. Les chiffres montrent la pertinence de ce critère pour les pays en développement. En 2000, dix-sept pays pâtissent d'un taux supérieur à 50 %. Sur ces dix-sept pays, une large majorité - onze - sont africains. Trois pays ont même des taux supérieurs à 70 % (1). En moyenne, le taux de population ayant accès à de l'eau potable est de 72 % pour les pays en développement. Cependant, la moyenne tombe à 54 % pour les pays africains.

Les réseaux peuvent parfois exister mais être très déficients. À Alger, la vétusté des réseaux est la cause de pertes sur réseau supérieures à 50 %. Une amélioration de la gestion et une remise en état des réseaux permettrait de réaliser d'importantes économies d'eau. C'est par exemple ce qui a été obtenu à Fès (au Maroc) où, entre 1991 et 1995, le rendement du réseau est passé de 51 % à 67 %.

B. LA NÉCESSITÉ D'UNE AIDE DES PAYS DÉVELOPPÉS

Les instances internationales et européennes ont progressivement pris en compte le lien entre l'aide aux pays en développement et l'action plus ciblée dans les domaines de l'approvisionnement en eau potable et de l'assainissement.

La France, en raison de l'originalité et de l'efficacité de son modèle de gestion ainsi que de son savoir-faire en la matière, se doit d'aider au premier chef les pays en développement, sans pour autant négliger les actions à mener sur le territoire national.

1. L'action des instances internationales et européennes

a) Les instances internationales

Les grands sommets tenus au niveau de l'Organisation des Nations unies ont envisagé la dimension environnementale à partir de 1972, avec la conférence de Stockholm qui est à l'origine de la création du Programme des Nations unies pour l'environnement (pnue). Mais c'est la conférence sur l'eau des Nations unies de 1977 qui a mis la question de l'eau au centre des enjeux environnementaux et de développement. Les années 1980 furent déclarées « décennie de l'eau potable et de l'assainissement » par l'Assemblée générale des Nations unies. L'année 2003 a par la suite été proclamée année de l'eau douce et la décennie 2005-2015 décennie internationale d'action « l'eau source de vie ».

En mars 1997 eut lieu à Marrakech le premier forum mondial de l'eau, organisé par le Conseil mondial de l'eau (2). Depuis lors, le forum mondial de l'eau, qui réunit des opérateurs privés, des collectivités territoriales et des États, a lieu tous les trois ans (3). Le forum de La Haye, en mars 2000, a rappelé qu'il faudrait un investissement supplémentaire annuel de 100 milliards de dollars dans le secteur de l'eau si l'on souhaite assurer le besoin mondial en infrastructures d'approvisionnement et d'assainissement. Or le niveau actuel de l'investissement annuel à l'échelle mondiale est de 80 milliards de dollars. Il y a donc un besoin d'investissement de près de 120 % supérieur à l'investissement effectif.

L'une des cibles de l'objectif de développement du millénaire est la réduction de moitié d'ici à 2015 de la proportion de personnes sans accès durable à de l'eau potable. Une autre cible, liée à l'eau de manière plus indirecte, est l'arrêt de la croissance et le début de la réduction de l'incidence de la malaria et des autres maladies infectieuses dans les mêmes délais.

Après le premier sommet mondial du développement durable, organisé par l'Organisation des Nations unies à Rio en juin 1992, le deuxième sommet, qui a eu lieu à Johannesburg en septembre 2002, a pris l'engagement supplémentaire de réduire de moitié d'ici à 2015 la proportion de personnes n'ayant pas accès à un assainissement de base.

La réalisation de l'objectif de développement du millénaire et des objectifs fixés lors du sommet mondial du développement durable suppose de mobiliser des fonds substantiels provenant de sources publiques et privées, locales et internationales, et de mettre en place des mécanismes de financement novateurs. C'est ce qui ressort du rapport Financer l'eau pour tous, rédigé en mars 2003 par un panel mondial sur le financement des infrastructures de l'eau présidé par M. Michel Camdessus. Ce rapport insiste sur l'importance de cette question ainsi que sur la nécessité de prendre des mesures d'urgence dans ce domaine. Il indique en outre que tous les fonds doivent être doublés, quelle que soit leur source.

Le troisième forum mondial de l'eau, qui s'est tenu à Kyoto en mars 2003, a été l'occasion de mettre une nouvelle fois en lumière la nécessité de relever ce défi majeur. Ses conclusions ont toutefois été limitées, en raison du manque de confiance affiché par les différents acteurs (publics, privés et ong) et du manque de clarté de leurs rôles respectifs. En outre, aucune décision majeure n'y a été prise en ce qui concerne la mise à disposition de fonds en vue d'investissements dans le secteur de l'eau.

b) Les institutions européennes

Le programme « Solidarité Eau » a été la première manifestation de la prise en compte active au niveau communautaire du lien entre l'eau et l'aide au développement. Ce programme européen a été lancé en 1984 sous l'impulsion du Conseil des ministres de l'environnement. Il promeut la concertation entre les acteurs de la coopération internationale dans le domaine de l'eau. Pour cela, il facilite les initiatives locales de coopération internationale et prévoit la constitution de comités nationaux qui mobilisent des représentants des collectivités territoriales, des organismes professionnels de l'eau, des associations de solidarité internationale, du secteur de la recherche et des pouvoirs publics.

Le 12 mars 2002, la Commission européenne a adopté une communication sur la gestion de l'eau dans les pays en développement (4), qui affirme l'inscription de l'eau dans les priorités définies par la politique de développement européenne. Cette communication insiste sur la nécessité d'intégrer la gestion durable des ressources en eau dans les stratégies de développement national et régional et d'aider les pays partenaires à élaborer des solutions durables.

Le sommet de Johannesburg a été l'occasion pour l'Union européenne de développer une initiative européenne pour l'eau dont les objectifs sont concordants avec ceux fixés par l'objectif de développement du millénaire et par le sommet mondial du développement durable.

La Commission européenne a proposé le 23 avril 2003, dans le cadre d'une communication au Conseil et au Parlement européen (5), la création d'un Fonds européen pour l'eau, lequel serait doté d'un budget d'un milliard d'euros, afin d'aider les populations des pays signataires de l'accord de Cotonou à accéder à l'eau potable et à des conditions d'hygiène satisfaisantes. La dotation partielle de ce Fonds a finalement été permise par une décision du Conseil du 22 mars 2004 (6) qui a débloqué une première tranche de la somme conditionnelle d'un milliard d'euros prévue au titre du neuvième Fonds européen de développement. Le Fonds, renommé Facilité pour l'eau, permettra de cofinancer des actions dans le domaine de la distribution et de l'assainissement de l'eau. Ses décisions de financement devraient être prises conjointement avec les partenaires au sein de l'Union européenne et des pays concernés.

2. Le rôle de la France

a) Un modèle de gestion de l'eau et un savoir-faire à exporter

La politique de l'eau en France est largement décentralisée. Elle est mise en œuvre à la fois par les collectivités locales et les instances de bassin. Les communes assurent l'approvisionnement et l'assainissement, en vertu de leur rôle d'échelon de proximité. Les instances de bassin sont compétentes pour la gestion de l'eau sur une aire géographique plus large.

La gestion de l'eau est assurée, en application de la loi de 1964, à l'échelle du bassin hydrographique, voire du groupe de bassins, par un comité de bassin (7) (chargé de définir la politique de l'eau) et par une agence de l'eau (8) (destinée à financer cette politique).

Le bassin est l'échelle pertinente de planification. Les schémas directeurs d'aménagement et de gestion de l'eau (sdage), prévus par la loi sur l'eau de 1992, sont élaborés par le comité de bassin et approuvés par le préfet coordonnateur du bassin. Ces schémas doivent prévoir une coordination avec les autorités étrangères lorsque les bassins sont transfrontaliers.

Le recours croissant à la délégation de service public a conduit à un paradoxe en matière d'approvisionnement en eau et d'assainissement : si le maire est responsable de l'eau et de l'assainissement, les grandes sociétés privées sont les principaux opérateurs et les acteurs compétents. En raison des objectifs de qualité exigés par les communes, inscrits dans le cahier des charges, les sociétés privées ont acquis une excellence qui a été renforcée par le recours à des technologies sophistiquées, mises en place pour répondre à des normes sanitaires européennes de plus en plus strictes. Ce savoir-faire, doublé d'une longue tradition de négociation avec les collectivités locales, a permis à l'industrie française de l'eau d'occuper la première place dans le monde tout en assurant en France ses obligations de service public. Cette solide assise sur le marché national a favorisé la conquête de marchés à l'étranger.

L'industrie française de l'eau se répartit principalement entre trois groupes. Véolia dessert environ 40 % des abonnés, Lyonnaise des Eaux-France 22 %, saur-cise 16 %. L'expansion des entreprises françaises s'est réalisée principalement par l'obtention de contrats internationaux et par croissance externe (acquisition de sociétés, alliances entre groupes concrétisées par l'instauration de filiales communes, prise de participation dans les entreprises...).

Le pôle eau de Véolia (Véolia Waters) résulte de l'intégration de la Compagnie Générale des Eaux et de l'Américain USFilter et réalise un chiffre d'affaires de près de 13 milliards d'euros dont 61 % en Europe. Avec 70 000 salariés, il dessert plus de 100 millions d'habitants dans une centaine de pays. Il occupe la première place dans la production d'équipements de traitement d'eau et dans la gestion déléguée des services liés à l'eau. En France, Véolia Waters est le principal partenaire des collectivités locales dans le domaine de l'eau et de l'assainissement, avec 55 % des parts de marché et quelques 14 000 salariés ; il dessert 25 millions de personnes en eau potable et 19 millions en assainissement à travers 48 centres opérationnels et 134 agences. De son côté, Lyonnaise des Eaux-France est la filiale du groupe Suez-Environnement. Suez-Environnement dessert 125 millions d'habitants en eau potable et en assainissement à travers le monde ; il est présent dans des métropoles telles que Casablanca, Buenos Aires ou Sydney et se trouve à la première place pour l'ingénierie de traitement de l'eau et le traitement chimique de l'eau. La Lyonnaise des Eaux génère en France 2,13 milliards d'euros de chiffre d'affaires et emploie 8 000 salariés ; elle y dessert 14 millions d'habitants en eau potable et 9 millions d'habitants en assainissement.

La puissance de ces groupes français leur permet d'être à la pointe de la recherche dans le domaine de l'eau. Suez-Environnement dispose du premier budget de recherche privé sur l'eau à l'échelle mondiale.

C'est pourquoi donner aux communes, établissements publics de coopération intercommunale et syndicats mixtes, la possibilité de conclure des conventions de coopération internationale, est non seulement un moyen de permettre une exportation du modèle français de gestion de l'eau, mais aussi un moyen de compléter utilement la conquête de marchés par les grands groupes français.

b) Des problèmes internes qui ne doivent pas être oubliés

L'aide apportée à des collectivités étrangères ne doit pas détourner pour autant des problèmes d'approvisionnement en eau potable et d'assainissement sur le territoire national. Cette aide doit au contraire s'inscrire dans une dynamique de prise en compte et de résolution de ces problèmes.

Si l'approvisionnement en eau potable est achevé sur l'ensemble du territoire français, de nouveaux investissements sont nécessaires à court et moyen termes. Diverses analyses montrent l'état perfectible des réseaux de distribution d'eau potable : le rendement primaire moyen des réseaux français, de l'ordre de 70 %, signifie qu'il y a 30 % de pertes et fuites. La dégradation des eaux distribuées tient certes plus à la nature de la ressource même, touchée par des pollutions de toutes natures, qu'à la dégradation des réseaux. Cependant, la présence de plomb dans les branchements ou les joints entre canalisations oblige la France à envisager des mesures de dépose des tronçons incriminés, d'une part par souci de santé publique, d'autre part pour respecter les nouvelles normes communautaires. Au problème du renouvellement s'ajoute celui de l'interconnexion des réseaux, afin de mieux optimiser les ressources en eau et d'améliorer le rendement desdits réseaux. Il s'agit également d'éviter les prélèvements excessifs sur les nappes phréatiques, comme cela s'est produit pendant la période de sécheresse. Ainsi, dans le département du Lot, l'absence d'interconnexions suffisantes a conduit à prélever des eaux de qualité médiocre et a altéré la perméabilité de certaines nappes. La mise en place de réseaux interconnectés est un véritable enjeu de solidarité entre territoires et de sécurité des approvisionnements. Toutefois, cette priorité se heurte à la difficulté de trouver un maître d'ouvrage unique pour la réalisation des grandes interconnexions. Certains départements envisageraient pour cette raison des fusions de syndicats de distribution d'eau.

Pour ce qui est de l'assainissement, les réseaux sont encore incomplets dans les espaces ruraux français. L'assainissement est défini par l'article L. 2224-7 du code général des collectivités territoriales comme « tout service chargé en tout ou partie de la collecte, du transport ou de l'épuration des eaux usées ». L'article L. 2224-8 du même code prévoit que « les communes prennent obligatoirement en charge les dépenses relatives aux systèmes d'assainissement collectif, notamment aux stations d'épuration des eaux usées et à l'élimination des boues qu'elles produisent, et les dépenses de contrôle des systèmes d'assainissement non collectif » (9). Ces compétences obligatoires sont récentes, car issues de la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau. Cette loi a pris en compte la nécessité d'avoir un délai de mise en œuvre suffisant et l'article L. 2224-9 du code général des collectivités territoriales prévoit que « l'ensemble des prestations prévues à l'article L. 2224-8 doit en tout état de cause être assuré sur la totalité du territoire au plus tard le 31 décembre 2005 ». L'arrivée à échéance de ce délai dans moins d'un an rend d'autant plus nécessaire une accentuation de l'effort pour compléter les réseaux d'assainissement. Un décret en Conseil d'État devrait cependant intervenir dans les mois à venir pour préciser que les prestations concernées par cette échéance seront celles qui sont assurées sur le territoire des communes de plus de 2 000 habitants.

II. -  UNE PRIORITÉ DE LA COOPÉRATION DÉCENTRALISÉE

A. PRINCIPES ET RÉALISATIONS DE LA COOPÉRATION DÉCENTRALISÉE

1. Les principes : la loi du 6 février 1992

La France prend une part active dans l'aide publique aux pays en développement. L'État en est l'acteur au premier chef, mais les collectivités locales peuvent aussi contribuer, depuis la loi n° 92-125 du 6 février 1992 d'orientation pour l'administration territoriale de la République, à cette aide publique en agissant directement.

La coopération décentralisée est permise par l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales qui prévoit que « les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent conclure des conventions avec des collectivités territoriales étrangères et leurs groupements, dans les limites de leurs compétences et dans le respect des engagements internationaux de la France ». La coopération décentralisée repose donc sur des conventions liant la collectivité française à un partenaire clairement identifié, qui doit être une ou plusieurs autorités locales étrangères. L'article L. 1115-5 du même code précise d'ailleurs qu' « aucune convention, de quelque nature que ce soit, ne peut être passée entre une collectivité territoriale ou un groupement et un État étranger ». Si la conclusion de conventions de coopération avec des États est ainsi expressément interdite (10), il n'est en revanche pas nécessaire que les collectivités territoriales étrangères soient du même niveau dans l'ordonnancement juridique interne que les collectivités françaises avec lesquelles elles concluent un contrat. Les Länder, qualifiés de sujet de droit international par la loi fondamentale allemande, sont ainsi considérés comme des collectivités territoriales avec lesquelles peut être instaurée une coopération décentralisée.

2. Les réalisations dans les domaines de l'eau et de l'assainissement

La coopération décentralisée en matière d'eau et d'assainissement s'est développée à la fin des années 1990. À l'heure actuelle, six collectivités régionales, neuf collectivités départementales et vingt-six villes, communautés urbaines ou communautés d'agglomération pratiquent une coopération dans ces domaines (11). La plupart des collectivités étrangères concernées se situent en Afrique, là où les problèmes liés à l'eau sont les plus prononcés. La coopération peut permettre d'améliorer la gestion des eaux (par exemple, entre Marseille et Marrakech, depuis 2002 ; entre l'Hérault et le gouvernorat de Medenine, en Tunisie, depuis 1995 ; entre la Lorraine et la région de Fès, depuis 2002), d'aider au creusement et à la rénovation de puits (par exemple entre Issy-les-Moulineaux et Dapaong, au Togo, depuis 1989), ou bien encore à la construction de châteaux d'eau (par exemple entre la communauté d'agglomération d'Angers et la ville de Bamako, au Mali, depuis 2001). Les formes prises par cette coopération sont donc très diverses.

Certains services de distribution d'eau ou d'assainissement participent à des actions de coopération décentralisée avec les acteurs concernés de pays en développement, afin d'aider ces derniers à mettre en place une politique de l'eau potable et de l'assainissement. Ils participent également à des actions humanitaires dans les domaines de l'alimentation en eau et de l'assainissement. Certaines agences de l'eau (Rhin-Meuse, Seine-Normandie) ont aussi mené une politique de coopération internationale jusqu'à ce que la Cour des comptes, qui a contrôlé en 2002 les comptes de l'agence Rhin-Meuse, condamne cette pratique contraire au principe de spécialité des établissements publics que sont les agences de l'eau. Cependant, les agences de l'eau ont apporté trois millions d'euros d'aide d'urgence à l'Asie du sud à la suite du raz de marée du 26 décembre 2004, dans la mesure où une lettre commune du ministre de l'écologie et du développement durable et du ministre des affaires étrangères les y a autorisées.

B. PERMETTRE UNE ACTION FINANCÉE PAR LES BUDGETS DE L'EAU ET DE L'ASSAINISSEMENT

1. Donner une base légale à des pratiques utiles

L'action des collectivités territoriales à l'étranger en matière d'approvisionnement en eau et d'assainissement est déjà possible et bien développée. Cependant, elle ne peut à l'heure actuelle être financée que par le budget général de la collectivité territoriale.

De plus, en ce qui concerne les services de distribution d'eau ou d'assainissement ainsi que les agences de l'eau, les pratiques de coopération internationale et d'aide humanitaire dans ce domaine sont pour le moment entièrement dépourvues de base légale.

Prenant acte de ces pratiques, le projet de loi sur la politique de l'eau, enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 27 juin 2001 (document n° 3205 de la XIè législature), prévoyait l'introduction d'un nouvel article L. 2224-11-2 dans le code général des collectivités territoriales pour ouvrir explicitement la possibilité pour les gestionnaires de ces services publics de participer à de telles actions (12). Il était précisé que ces actions devaient s'inscrire dans le cadre des engagements internationaux de la France et pouvaient être menées tant par les collectivités locales que par les délégataires de ces services. La possibilité valait non seulement pour les communes mais aussi pour les établissements publics de coopération intercommunale et pour les syndicats mixtes. En revanche, les agences de l'eau ne bénéficiaient pas de la disposition dans ce projet de loi (13).

Mais ce projet de loi, voté en première lecture à l'Assemblée nationale le 10 janvier 2002, n'a ensuite jamais été inscrit à l'ordre du jour du Sénat. La reprise de ce projet de loi près de trois ans après son élaboration n'est plus pertinente, d'une part en raison des évolutions de l'approche de la politique de l'eau, d'autre part en raison de l'élaboration d'un nouvel avant-projet de loi sur l'eau, à l'initiative du ministère de l'environnement et du développement durable (14). La consultation du public à laquelle a donné lieu la préparation de cet avant-projet a confirmé à une très large majorité « l'aspiration à plus de solidarité au plan international ». Les premières propositions pour une réforme de la politique de l'eau, publiées en février 2004 par le ministère de l'écologie et du développement durable, ajoutent : « Ainsi, les services publics de l'eau potable et de l'assainissement pourraient mener des opérations de solidarité dans le cadre de leur budget et de leurs limites financières, sur la base du volontariat et dans la plus grande transparence. Ces interventions se feraient dans le respect des domaines de compétence des collectivités territoriales. Il est également proposé que les agences de l'eau interviennent dans le domaine de la coopération internationale, et notamment celui de l'aide humanitaire. »

Aussi, la présente proposition de loi, déposée par M. Jacques Oudin et plusieurs de ses collègues le 13 novembre 2003 et adoptée en première lecture par le Sénat le 22 juin 2004, qui s'inscrit dans le même mouvement que les propositions du ministère de l'environnement et du développement durable, offre l'occasion de combler un vide juridique et de renforcer la coopération décentralisée des collectivités françaises ainsi que l'engagement de la France en faveur des pays en développement.

La proposition de loi a pour objet de permettre de financer les actions de coopération décentralisée dans les domaines de l'approvisionnement en eau et de l'assainissement à partir des ressources provenant du budget propre aux services d'eau et d'assainissement (article premier). Elle doit aussi permettre aux agences de l'eau de consacrer une partie de leurs recettes à la coopération internationale (article second).

La proposition de loi autorise une affectation des ressources issues des services d'approvisionnement en eau et d'assainissement dans la limite de un pour cent en faveur d'actions de coopération internationale, tant pour les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale que pour les agences de l'eau. Dans la mesure où les six agences de l'eau ont un budget global de 2,23 milliards d'euros et les 15 000 services d'eau et d'assainissement ont un budget de près de 10 milliards d'euros, cela signifie que ces agences de l'eau et services d'eau et d'assainissement pourront consacrer au maximum 120 millions d'euros aux actions de coopération internationale.

Outre les conventions de coopération décentralisée respectant les règles définies par l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales, la proposition permet aussi aux collectivités territoriales françaises de mener des actions d'aide d'urgence et des actions de solidarité internationale. La nécessité d'agir parfois dans l'urgence, sans avoir encore conclu une convention, et la possibilité de venir en aide à des institutions n'ayant pas le statut de collectivités territoriales sont donc prises en compte.

Enfin, la proposition de loi permet aux agences de l'eau d'avoir recours à leur personnel pour mener ces actions de coopération internationale.

2. Les précisions apportées par le Sénat

La commission des lois du Sénat, lors de l'examen de la proposition de loi, a proposé diverses modifications du texte initial, qui ont toutes été adoptées par les sénateurs en première lecture le 22 juin 2004.

Sur le plan formel :

-  les sénateurs ont inséré les dispositions de l'article premier de la proposition de loi dans la partie du code général des collectivités territoriales consacrée à la coopération décentralisée (i.e. le chapitre IV du titre unique du livre premier de la première partie de ce code), et non, comme la proposition de loi le prévoyait initialement, dans la partie de ce même code consacrée aux services publics industriels et commerciaux (i.e. le chapitre IV du titre II du livre II du même code). Une telle insertion a le mérite de donner une vue d'ensemble du champ de la coopération décentralisée ;

-  les sénateurs ont modifié l'insertion dans le code de l'environnement d'un nouvel alinéa relatif à l'action internationale des agences de l'eau par l'article second de la proposition de loi, préférant un ajout dans l'article L. 213-6 du code précité à un ajout dans l'article L. 213-5 du même code.

Le Sénat a également adopté des modifications de fond :

-  sont étendues aux « syndicats mixtes chargés des services publics de distribution d'eau potable et d'assainissement » les possibilités reconnues par l'article premier aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale. Cet ajout permet d'élargir le champ des personnes morales pouvant ainsi participer à la coopération décentralisée en matière d'eau et d'assainissement et se justifie par le rôle important joué dans ce domaine par les syndicats mixtes ;

-  la possibilité pour les agences de l'eau de conclure des conventions de coopération internationale ne subit plus la restriction des « limites de leurs compétences » mais celle de « l'avis du comité de bassin » auquel est soumise la convention.

Les sénateurs ont enfin apporté des précisions :

-  les actions d'aide d'urgence qui peuvent être menées par les collectivités françaises le sont « au bénéfice » des collectivités et groupements étrangers. Il y a donc une meilleure différenciation entre les actions d'aide d'urgence et les actions de solidarité internationale, ces dernières ayant pour objet d'aider des acteurs qui ne sont pas des collectivités ;

-  le recours par les agences de l'eau à leurs agents pour leurs actions de coopération est qualifié de « concours » et non plus de « mise à disposition » et il doit se faire « suivant les règles statutaires en vigueur pour chaque catégorie de personnel ».

Par contre, une précision qui figurait dans la rédaction initiale ne figure plus dans le texte tel qu'il a été adopté par le Sénat. La mention de l'intervention possible des agences de l'eau « dans le domaine de la coopération internationale, notamment dans celui de la solidarité » a été remplacée par une rédaction qui ne mentionne pas explicitement la solidarité internationale. Il semble néanmoins que la rédaction actuelle ne doive pas empêcher les agences de l'eau d'aider des organisations qui ne seraient pas des collectivités territoriales.

Après l'exposé du rapporteur, plusieurs commissaires sont intervenus dans la discussion générale.

M. Christian Decocq a tout d'abord observé que la coopération internationale des collectivités territoriales dans le domaine de l'alimentation en eau constituait une modalité de la mondialisation qui devait être encouragée. Il a indiqué qu'il existait une véritable « école de l'eau » française, faisant montre d'un grand savoir-faire en matière d'exploitation de cette ressource naturelle, qui était malheureusement insuffisamment valorisée et exportée en dehors de nos frontières. Après avoir rappelé que les agences de l'eau avaient, notamment, pour mission de contribuer au développement international des activités françaises dans le domaine de l'exploitation de l'eau en finançant à cette fin des associations, il a fait savoir qu'il soutiendrait sans réserve toute disposition favorisant la diffusion internationale du savoir-faire français par les collectivités locales et, qu'en conséquence, les dispositions de l'article premier de la proposition de loi avaient sa faveur.

Abordant ensuite la possibilité pour les agences de l'eau de mener directement des actions de coopération internationale dans le domaine de l'eau avec le concours de leurs propres agents, prévue par l'article 2 de la proposition, il a fait observer que les agences de l'eau étant des établissements publics de l'État soumis à sa tutelle, ces dispositions pouvaient les placer dans une situation délicate en raison des contradictions susceptibles d'apparaître entre les éventuelles directives émanant de ladite tutelle et leur propre volonté d'agir. C'est pourquoi, il a jugé que s'il est envisageable que les agences de l'eau apportent une contribution financière, elles ne sauraient exercer des responsabilités opérationnelles aux termes d'un conventionnement de coopération décentralisée, et il a fait part de son intention de voter contre l'adoption de cet article.

Après avoir fait état de son expérience en matière de coopération décentralisée dans le domaine de l'eau avec une commune mauritanienne, M. Guy Geoffroy a considéré que les dispositions de la proposition de loi lui semblaient équilibrées puisqu'elles garantissaient l'information de l'usager quant aux moyens financiers consacrés à ces actions, tout en permettant à l'ensemble des acteurs de l'exploitation et de l'alimentation en eau, qu'il s'agisse des collectivités territoriales ou des agences de l'eau, de mettre en œuvre de façon efficace et contrôlée leur volonté d'agir en faveur de la solidarité internationale.

Observant que l'accès aux ressources d'eau potable représentait un enjeu humanitaire fondamental pour les populations concernées, M. Jérôme Lambert a, à son tour, souligné la grande maîtrise technique des entreprises et des collectivités territoriales françaises en matière d'assainissement et d'exploitation de l'eau et émis le souhait que ce savoir-faire soit davantage valorisé afin de renforcer sa contribution à la croissance économique.

M. Robert Pandraud a observé que les initiatives menées par les collectivités territoriales en matière de coopération internationale dans le domaine de l'eau semblaient d'autant plus couronnées de succès que l'administration des affaires étrangères se gardait d'intervenir. Abordant le dispositif proposé par la proposition de loi, il l'a jugé satisfaisant puisque le contrôle des décisions des agences de l'eau était assuré par les comités de bassin et que l'information de l'usager sur les montants financiers consacrés à la coopération internationale était garantie.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

-  pour assurer la meilleure utilisation des ressources affectées à la coopération internationale, les collectivités territoriales préfèrent établir un contact direct avec les collectivités étrangères ou avec des organisations non gouvernementales, plutôt que de négocier avec les gouvernements étrangers ;

-  il est nécessaire de donner aux actions menées actuellement par les collectivités une base légale, que la première lecture du projet de loi sur l'eau lors de la précédente législature avait fait espérer et dont le raz de marée en Asie du sud-est a fait apparaître l'urgence ;

-  si les missions initiales des agences de l'eau ne comprennent pas l'action internationale, il est cependant possible d'étendre leur domaine de compétence sans craindre de dérive ou l'absence de coordination avec les collectivités territoriales, dans la mesure où l'action internationale des agences de l'eau sera contrôlée par leur comité de bassin, qui comprend des représentants des usagers et des collectivités territoriales.

La Commission est ensuite passée à l'examen des articles.

EXAMEN DES ARTICLES

Article premier

(article L. 1115-1-1 [nouveau] du code général des collectivités territoriales)


Financement des actions de coopération décentralisée
dans les domaines de l'eau et de l'assainissement

Le présent article vise à insérer dans le code général des collectivités territoriales un article L. 1115-1-1 qui permettra aux communes, aux établissements publics de coopération internationale (epci) ainsi qu'aux syndicats mixtes chargés des services publics de distribution d'eau potable et d'assainissement de pouvoir financer des actions de coopération avec des collectivités territoriales étrangères dans les domaines de l'eau et de l'assainissement au moyen des ressources affectées à ces services publics.

En l'état actuel du droit, la coopération des collectivités territoriales françaises et de leurs groupements avec les collectivités territoriales étrangères et leurs groupements est permise par le chapitre V du titre unique du livre Ier de la première partie du code précité (articles L. 1115-1 à L. 1115-7). Une telle coopération est dénommée « coopération décentralisée » et désigne l'ensemble des actions de coopération internationale menées par une ou plusieurs collectivités territoriales françaises et une ou plusieurs autorités locales étrangères dans un intérêt commun (15).

Si une modalité de coopération transfrontalière avait été ouverte par la loi n° 82-213 du 2 mars 1982, les actions de coopération décentralisée ont été permises par la loi n° 92-125 du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République, qui a autorisé la conclusion de conventions entre des collectivités françaises et des collectivités étrangères dans la limite des compétences des collectivités territoriales françaises et dans le respect des engagements internationaux de la France (16).

À ces exigences édictées par la loi, la jurisprudence administrative a eu l'occasion de préciser que la collectivité ne doit pas s'immiscer dans un conflit politique international. La décision du Conseil d'État Commune de Villeneuve-d'Ascq du 28 juillet 1995, est ainsi la jurisprudence de principe pour interpréter la liberté d'appréciation d'une collectivité désirant conclure dans son domaine de compétence des conventions de coopération avec des collectivités étrangères (17).

L'article L. 1115-1 du code précité autorise la conclusion de telles conventions pour « les collectivités territoriales et leurs groupements ». Il s'agit donc aussi bien des communes, départements et régions que de toutes les formes de groupements qui ont compétence pour agir en lieu et place de ces collectivités : epci à fiscalité propre ou non, syndicats mixtes, organismes ou institutions interdépartementaux institués en application de l'article L. 5421-1 du code précité, ententes interrégionales instituées en application de l'article L. 56211 du même code. Sont en revanche exclus les établissements publics spécialisés.

Les services publics de l'approvisionnement en eau et de l'assainissement relèvent de la compétence des communes (18). Pour cette raison, il est déjà possible pour les communes de conclure des conventions avec des collectivités étrangères dans ce domaine. Cependant, les services publics de l'approvisionnement en eau et de l'assainissement sont des services publics industriels faisant l'objet d'une instruction budgétaire et comptable particulière (19) et, même lorsqu'ils sont gérés en régie, ils doivent avoir un budget propre, distinct du budget communal (20). Aussi, la coopération décentralisée en matière d'eau et d'assainissement ne peut pas être financée par ce budget des services d'eau et d'assainissement, mais doit l'être par le budget général de la collectivité territoriale concernée. Par ailleurs, dans les cas où les communes choisissent de déléguer la gestion des services publics d'eau et d'approvisionnement (soit sous la forme d'une concession de service public, soit par affermage) (21), la collectivité territoriale ne peut pas non plus financer une action de coopération décentralisée dans le domaine de l'eau et de l'approvisionnement en ayant recours aux ressources provenant de ces services publics.

L'objet du présent article est de permettre qu'une fraction des ressources affectées aux budgets des services d'eau et d'approvisionnement puisse être utilisée pour mener des actions de coopération décentralisée dans le domaine de l'approvisionnement en eau et de l'assainissement. En cela, la proposition de loi est innovante car elle autorise un recours à des ressources spécifiques et cantonnées dans un budget particulier. Cela peut être justifié par la spécificité des actions de coopération internationale concernées.

De plus, le présent article ouvre cette possibilité non seulement pour les communes et les epci mais aussi pour les syndicats mixtes. L'ajout de la mention des syndicats mixtes, à l'initiative de la commission des lois du Sénat, est cohérent avec l'objet du présent article dans la mesure où les syndicats mixtes jouent un rôle important en matière d'approvisionnement en eau et d'assainissement.

Le présent article précise que les actions de coopération décentralisée seront menées, soit dans le cadre du dispositif législatif général défini à l'article L. 1115-1 du même code (c'est-à-dire par la conclusion de conventions qui respectent les limites des compétences des collectivités ainsi que les engagements internationaux de la France), soit dans des cas d'aide d'urgence ou d'actions de solidarité internationale.

Les aides d'urgence peuvent déroger au droit commun de l'article L. 1115-1 mais leur raison d'être est temporaire. Tout prolongement de ces aides temporaires doit donc se faire en respectant le cadre conventionnel, comme l'indiquait déjà la circulaire interministérielle du 20 avril 2001 relative à la coopération décentralisée (22). En ce qui concerne les actions de solidarité internationale, le terme désigne des actions qui permettent de venir en aide à des organisations étrangères ou internationales qui ne sont pas des collectivités territoriales. Il semble, par analogie avec les conditions qui s'appliqueront à l'aide d'urgence, que ces actions de solidarité internationale doivent être temporaires.

Autoriser les collectivités et leurs groupements à agir en mobilisant les ressources du service public d'eau et d'assainissement dans le cadre des aides d'urgence et des actions de solidarité internationale dans le domaine de l'eau est cohérent avec l'objectif d'aide aux pays en développement et de développement de leurs réseaux d'approvisionnement en eau et d'assainissement. En effet, lors des grandes catastrophes naturelles que connaissent ces pays, les problèmes d'approvisionnement en eau potable sont exacerbés. Ainsi, le raz de marée qui a touché l'Asie du Sud le 26 décembre 2004 a-t-il accentué provisoirement les risques de développement des maladies transmises par de l'eau contaminée. Dans le cas de ce raz de marée, les agences de l'eau, en l'absence de base législative mais à l'invitation du ministre de l'Écologie et du ministre des Affaires étrangères, ont participé à des actions de solidarité internationale, apportant trois millions d'euros d'aides aux ong actives sur le terrain.

Une interrogation, qui avait été évoquée par M. Charles Guéné, rapporteur de la proposition de loi au Sénat, ainsi que par M. Xavier Darcos, ministre délégué à la Coopération, au développement et à la francophonie, lors de la première lecture de la proposition de loi au Sénat, concerne le montant de la fraction des ressources des services d'eau et d'assainissement pouvant être affectée à des actions de coopération décentralisée. Les interventions actuelles, encore rares, sont de l'ordre, au plus, de quelques millièmes de l'ensemble des recettes des services d'eau et d'assainissement. La commission des Lois du Sénat a cependant hésité entre le seuil de 0,5 % et celui de 1 %, avant de choisir finalement ce dernier. Le ministre délégué a pour sa part indiqué que le Gouvernement préfèrerait retenir un plafond de 0,5 % « afin de ne pas alourdir les charges des collectivités territoriales ». Choisir un seuil élevé a le mérite d'être un affichage positif en faveur d'un tel type de coopération décentralisée, et ne signifie nullement qu'il faille atteindre ce seuil qui représentera un maximum et non une obligation. De plus, un maximum élevé présente l'avantage de laisser aux communes, établissements publics de coopération intercommunale et syndicats mixtes une plus grande marge de manœuvre pour intervenir dans des situations d'urgence. Le Syndicat des eaux d'Île-de-France consacre ainsi 0,23 % de ses ressources (soit près de 850 000 euros) à des programmes d'aide au développement. En réponse au raz de marée de décembre 2004, ce Syndicat des eaux a pu conclure une convention avec la Croix- Rouge débloquant 150 000 euros pour l'aide d'urgence à l'Asie du Sud.

Le présent article pose aussi une autre question, qui est celle de l'utilisation de recettes issues de redevances pour services rendus pour des fins toutes autres que celles du service. M. Charles Guéné a répondu à ce problème dans son rapport (23) en invoquant trois arguments qui permettraient de ne pas considérer que la prise en charge d'actions de coopération décentralisée par des recettes issues des redevances d'eau et d'assainissement aurait pour effet de dénaturer ces redevances. Les deux premiers arguments tendent à montrer que les actions ainsi financées seraient en fait partie intégrante du service rendu : elles « auraient un lien étroit avec l'objet des services publics de l'eau et de l'assainissement » et elles « présenteraient un intérêt local, en raison de la relation de réciprocité qui serait ainsi créée ». Selon le troisième argument, les actions financées resteraient d'une importance modique au regard de l'ensemble des dépenses du service. Ce dernier argument se heurte à une objection forte : la dénaturation d'une redevance ne tient pas à l'ampleur de la fraction non consacrée aux services pour lesquels elle est acquittée. Le Conseil constitutionnel a ainsi requalifié une redevance en considérant « que, compte tenu de cette affectation, la redevance n'est pas uniquement la contrepartie d'un service rendu et qu'elle a, dès lors, le caractère d'une taxe que l'article 34 de la Constitution réserve à la loi » (24). Les deux premiers arguments sont par contre plus pertinents car ils montrent l'existence d'un intérêt, sinon direct, du moins médiat, pour les usagers des services d'eau et d'assainissement. En effet, la coopération internationale peut être une source d'apprentissage réciproque et contribuer à l'amélioration du service pour la collectivité française. La circulaire précitée du 20 avril 2001 indiquait ainsi déjà que « les actions de coopération décentralisée des services publics industriels et commerciaux sont légales si elles restent limitées à des échanges d'expériences et de savoir-faire, dont on peut supposer qu'ils peuvent bénéficier aux usagers du service ». Plus encore, dans les cas de coopération transfrontalière regroupant des collectivités situées sur un même bassin hydrographique ou établissant des échanges d'eau entre deux bassins hydrographiques, la bonne gestion de la ressource hydrique sur le territoire de la collectivité française est directement concernée.

Néanmoins, le caractère souvent indirect ou incertain de l'intérêt pour le service que représente une coopération décentralisée peut susciter la crainte que le Conseil constitutionnel ne requalifie les redevances d'eau et d'assainissement en impositions de toute nature dès lors qu'elles financeraient des actions de coopération décentralisée. Dans une décision sur la loi relative au prix de l'eau en 1984, le Conseil constitutionnel avait accepté de considérer les redevances d'assainissement comme des redevances « dès lors que leur assiette est directement liée au volume d'eau prélevé par l'usager du service d'assainissement et que leur produit est exclusivement affecté aux charges de fonctionnement et d'investissement du service » (25). Or, le second critère édicté dans ce considérant semble faire défaut aux dépenses de coopération internationale. De plus, comme l'indiquait déjà la circulaire du 20 avril 2001, si les échanges d'expérience et de savoir-faire peuvent éventuellement être bénéfiques pour les services d'approvisionnement en eau et d'assainissement en France, il n'en est pas de même des financements d'infrastructures à l'étranger qui seraient assurés par les recettes de ces services. Pour parer à l'incertitude quant à la nature de la somme prélevée sur les usagers, il serait possible de préciser que les ressources qui seront affectées à la coopération internationale seront prélevées sous la forme d'une taxe additionnelle facultative aux redevances d'eau et d'assainissement. Cette solution aurait un double mérite : elle permettrait de conserver à la somme acquittée pour les services d'eau et d'assainissement un caractère de redevance ; elle isolerait au sein de la facture reçue par l'usager le caractère spécifique du prélèvement finançant la coopération décentralisée. Or la Cour des comptes, dans son rapport particulier de décembre 2003 sur la gestion des services publics d'eau et d'assainissement, a justement émis une recommandation selon laquelle : « la présentation des factures d'eau doit être améliorée de manière à bien faire ressortir la destination finale des contributions de l'usager, l'évolution des tarifs et le prix global au mètre cube ». Il est cependant aussi possible de répondre à cette recommandation en précisant que la fraction de la redevance utilisée pour financer des actions de coopération décentralisée devra apparaître sur la facture de chaque usager sous la forme de centimes additionnels.

La Commission a adopté l'article premier sans modification.

Article 2

(article L. 213-6 du code de l'environnement)


Actions de coopération internationale des agences de l'eau
dans les domaines de l'eau et de l'assainissement

Le présent article a pour objet d'insérer un nouvel alinéa dans l'article L. 213-6 du code de l'environnement afin de permettre aux agences de l'eau de mener des actions de coopération internationale dans le domaine de l'eau et de l'assainissement.

Les agences financières de bassin, créées par la loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre la pollution, devenues depuis agences de l'eau (26), sont des établissements publics administratifs dotés de la personnalité civile et de l'autonomie financière. Elles sont au nombre de six, chacune d'elles couvrant un grand bassin hydrographique ou un groupement de bassins hydrographiques contigus (27). Elles tirent leurs ressources de deux types de redevances : une redevance pour détérioration de la qualité de l'eau assise pour chaque payeur sur la pollution qu'il émet, dite « redevance pollution » ; une redevance de prélèvement assise pour chaque utilisateur sur la quantité d'eau qu'il prélève, dite « redevance ressource ». Le produit de la redevance pollution est le plus important : il assure environ 80 % des ressources des agences. Sur la facture d'eau d'un usager, les redevances perçues par l'agence de l'eau représentent en moyenne 17 % du montant total et ont connu une forte hausse au cours de la dernière décennie (passage de 8 % à 17 % de 1991 à 1999). Disposant d'un personnel propre, chaque agence de l'eau est administrée par un conseil d'administration dont la composition est précisée au paragraphe II de l'article L. 213-5 du code de l'environnement (28).

L'article L. 213-5 du code de l'environnement indique que le rôle de chaque agence de l'eau est « de faciliter les diverses actions d'intérêt commun au bassin ou au groupe de bassins ». L'article L. 213-6 du même code définit plus précisément les missions de chaque agence de l'eau : d'une part, elle « contribue...à l'exécution d'études, de recherches et d'ouvrages d'intérêt commun aux bassins et à la couverture de ses dépenses de fonctionnement » ; d'autre part, elle « attribue des subventions et des avances remboursables...pour l'exécution de travaux d'intérêt commun au bassin ou au groupement de bassins » ainsi que « des subventions en capital...pour l'exécution de travaux d'alimentation en eau potable et d'assainissement dans les communes rurales ». Chaque agence définit un programme pluriannuel d'intervention qui prévoit la réalisation de travaux ainsi que la distribution d'aides aux organismes chargés de la gestion du service public de l'approvisionnement en eau. Pour l'année 2003, le budget global des agences de l'eau était de 2,23 milliards d'euros (alors que ce budget était de moins de 1 milliard d'euros en 1992) (29).

La coopération déconcentrée rendue possible depuis 1992 par l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales ne s'étend pas aux établissements publics spécialisés. Or, les agences de l'eau sont des établissements publics administratifs spécialisés et ne peuvent donc à ce titre conclure, en l'état du droit actuel, de conventions de coopération internationale. En dépit de cette impossibilité juridique, les agences de l'eau ont déjà mené des actions de coopération internationale. Ainsi, l'agence Seine-Normandie a dégagé au cours des dernières années une aide globale annuelle de 1 million d'euros pour des actions de solidarité tendant à l'amélioration de l'eau et de l'assainissement dans les pays en développement. Plus largement, le Réseau international des organismes de bassin, qui permet un échange d'expériences et la réalisation d'activités communes entre les organismes de bassin de différents pays, a été créé à l'initiative des six agences de l'eau françaises, qui y participent toutes.

Le présent article a donc pour objet de légaliser des pratiques de coopération internationale des agences de l'eau déjà existantes, et constitue en quelque sorte une validation législative.

L'article L. 213-6 du code de l'environnement est ainsi complété par un troisième alinéa qui donne la possibilité pour chaque agence de l'eau de mener des actions de coopération internationale. Ces actions peuvent être financées par les ressources de chaque agence de l'eau, avec la même limite (de 1 % de l'ensemble des ressources) que pour le financement par le budget des services d'eau et d'assainissement de la commune. Comme pour la coopération décentralisée pratiquée par les communes, une convention doit être conclue avec la collectivité étrangère concernée et cette convention doit respecter les engagements internationaux de la France. En revanche, il n'est pas mentionné que cette convention doit respecter les limites de compétences des agences de l'eau. La suppression de cette mention (qui figurait dans la rédaction initiale de la proposition de loi) est allée de pair avec l'ajout de l'indication que les conventions conclues par les agences de l'eau sont « soumises à l'avis du comité de bassin ».

Le comité de bassin est un organisme dont la composition est similaire à celle d'une agence de l'eau et qui « est consulté sur l'opportunité des travaux et aménagements d'intérêt commun envisagés dans la zone de sa compétence, sur les différends pouvant survenir entre les collectivités ou groupements intéressés et plus généralement sur toutes les questions faisant l'objet des chapitres Ier à VII du présent titre (30) » (paragraphe III de l'article L. 213-2 du code de l'environnement). Créé en même temps que l'agence financière de bassin, le comité de bassin donne son avis conforme pour la fixation par l'agence de l'assiette et du taux des redevances qu'elle perçoit (article 14 de la loi du 16 décembre 1964).

Il est donc cohérent avec ses autres missions et avec l'architecture de ses rapports avec l'agence de l'eau que le comité de bassin donne son avis sur les conventions décentralisées conclues par l'agence de l'eau. M. Charles Guéné, rapporteur au Sénat, a expliqué que la commission des lois du Sénat n'avait pas souhaité préciser que cet avis devra être recueilli avant la signature de la convention, afin de permettre la mise en œuvre d'aides d'urgence. Dans ce dernier cas, le comité de bassin pourra en effet donner son avis a posteriori sur la convention.

Demeure cependant la question de savoir si le présent article permet aux agences de l'eau de mener des actions de solidarité internationale dans le domaine de l'eau et de l'assainissement. Ces actions de solidarité, qui peuvent être menées en partenariat avec des organismes qui ne sont pas des collectivités territoriales, doivent logiquement être permises de la même manière aux collectivités françaises et aux agences de l'eau. Or, si l'article premier de la proposition de loi mentionne explicitement cette possibilité, l'article second, qui prévoyait dans sa rédaction initiale que « les agences de l'eau peuvent intervenir dans le domaine de la coopération internationale, notamment dans celui de la solidarité », ne mentionne plus ce domaine de la solidarité. En dépit de l'absence de mention explicite, il demeure possible de considérer que l'article autorise encore, dans sa nouvelle rédaction, les agences de l'eau à intervenir par des actions de solidarité internationale. Mais ces actions de solidarité internationale doivent, tout comme la coopération avec les collectivités étrangères et les aides d'urgence, faire l'objet de conventions, soumises à l'avis du comité de bassin.

Le présent article pose par ailleurs les mêmes questions que le premier article de la présente proposition de loi.

Il faut se demander s'il est satisfaisant de fixer à 1 % du total des ressources des agences de l'eau le seuil de financement d'actions de coopération décentralisée. Du moins, il est cohérent de choisir un chiffre semblable, pour les agences de l'eau d'une part, pour les communes, les epci et les syndicats mixtes d'autre part.

L'autre question est celle de la dénaturation éventuelle des redevances perçues par les agences de l'eau du fait de l'affectation d'une partie du produit à des actions de coopération décentralisée. À l'inverse des redevances perçues par les organismes chargés des services d'approvisionnement en eau et d'assainissement, celles perçues par les agences de l'eau ont été requalifiées par le Conseil constitutionnel, qui a considéré « que, destinées à assurer le financement des dépenses de toute nature qui incombent aux agences, elles ne constituent pas davantage des rémunérations pour services rendus... ; qu'ainsi ces redevances doivent être rangées parmi les impositions de toute nature dont l'article 34 de la Constitution réserve au législateur le soin de fixer les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement » (31). Dans cette mesure, l'usage d'une partie des recettes issues de ces redevances pour des dépenses de coopération internationale ne pose aucun problème en termes de dénaturation puisque les redevances sont en fait déjà des impositions et ne subissent donc pas la contrainte de devoir être une contrepartie directe des prestations fournies.

La rédaction qui est proposée du nouvel alinéa de l'article L. 213-6 du code de l'environnement prévoit enfin que la coopération menée par une agence de l'eau puisse se faire « le cas échéant et suivant les règles statutaires en vigueur pour chaque catégorie de personnels, avec le concours de ses agents ». Cette disposition permet à l'agence de l'eau de faire participer à l'action de coopération son personnel, qui pourra être utilisé par la collectivité étrangère ou l'organisme concernés. Cette utilisation du personnel est rendue possible sans qu'il faille pour autant placer les agents concernés dans une nouvelle position statutaire. La rédaction garantit de ce fait un recours aussi bien au personnel titulaire qu'au personnel contractuel.

Le concours du personnel est une mesure utile dans la mesure où la transmission d'un savoir-faire passe avant tout par les hommes. Cependant, le personnel des agences de l'eau est en nombre réduit et oscille souvent entre 200 et 300 personnes (32). Il faut donc avoir conscience que l'envoi à l'étranger d'une partie du personnel peut très vite obérer les effectifs de chaque agence pour son action sur le territoire national.

La Commission a adopté l'article 2 sans modification.

La Commission a ensuite adopté l'ensemble de la proposition de loi sans modification.

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En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République vous demande d'adopter la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à la coopération internationale des collectivités territoriales et des agences de l'eau dans les domaines de l'alimentation en eau et de l'assainissement (n° 1684), telle que figurant au tableau comparatif ci-après.

TABLEAU COMPARATIF

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Texte de référence

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Texte adopté par le Sénat

en première lecture

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Propositions de la Commission

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Article 1er

Après l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales, tel qu'il résulte de la loi organique n° 

du prise en application de l'article 72-2 de la Constitution relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales, il est inséré un article L. 1115-1-1 ainsi rédigé :

Article 1er

(Sans modification).

Code général des collectivités
territoriales

Art. L. 1115-1. -  Les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent conclure des conventions avec des collectivités territoriales étrangères et leurs groupements, dans les limites de leurs compétences et dans le respect des engagements internationaux de la France.

« Art. L. 1115-1-1 -  Les communes, les établissements publics de coopération intercommunale et les syndicats mixtes chargés des services publics de distribution d'eau potable et d'assainissement peuvent, dans la limite de 1 % des ressources qui sont affectées aux budgets de ces services, mener des actions de coopération avec les collectivités territoriales étrangères et leurs groupements, dans le cadre des conventions prévues à l'article L. 1115-1, des actions d'aide d'urgence au bénéfice de ces collectivités et groupements, ainsi que des actions de solidarité internationale dans les domaines de l'eau et de l'assainissement. »

Ces conventions entrent en vigueur dès leur transmission au représentant de l'État dans les conditions fixées aux articles L. 2131-1 et L. 2131-2. Les dispositions de l'article L. 2131-6 sont applicables à ces conventions.


Code de l'environnement

Art. L. 213-6. - L'agence contribue, notamment par voie de fonds de concours au budget de l'Etat, à l'exécution d'études, de recherches et d'ouvrages d'intérêt commun aux bassins et à la couverture de ses dépenses de fonctionnement.

Article 2

L'article L. 213-6 du code de l'environnement est complété par un alinéa ainsi rédigé :

Article 2

(Sans modification).

L'agence attribue des subventions et des avances remboursables aux personnes publiques et privées pour l'exécution de travaux d'intérêt commun au bassin ou au groupement de bassins directement effectués par elles, dans la mesure où ces travaux sont de nature à réduire les charges financières de l'agence.

L'agence attribue des subventions en capital aux collectivités territoriales et à leurs groupements pour l'exécution de travaux d'alimentation en eau potable et d'assainissement dans les communes rurales.

« Dans le respect des engagements internationaux de la France et dans le cadre de conventions soumises à l'avis du comité de bassin, l'agence peut mener des actions de coopération internationale dans les domaines de l'eau et de l'assainissement, dans la limite de 1 % de ses ressources, le cas échéant et suivant les règles statutaires en vigueur pour chaque catégorie de personnels, avec le concours de ses agents. »

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N° 2041 - Rapport : sur la proposition de loi relative à la coopération internationale des collectivités territoriales et des agences de l'eau dans les domaines de l'alimentation en eau et de l'assainissement (André Santini)

1 () D'après les données du Rapport sur le développement humain du Programme des Nations unies pour le développement, en 2003, les trois pays ayant des taux supérieurs à 70 % sont le Tchad, l'Éthiopie et le Cambodge. Les autres pays dont les taux sont supérieurs à 50 % sont le Burkina Faso, la RDC, l'Angola, la Guinée, le Rwanda, l'Érythrée, Haïti, la Mauritanie, Madagascar, le Laos, la Papouasie Nouvelle-Guinée, la Guinée équatoriale, Fidji, Oman.

2 () Le Conseil mondial de l'eau est une ONG créée en 1996 par des acteurs importants dans le domaine de l'eau qui ont souhaité établir une sorte de think-tank pour aider à la réflexion. Son siège est à Marseille.

3 () Après Marrakech, il s'est tenu à La Haye en mars 2000, puis à Kyoto, Shiga et Osaka en mars 2003. Le prochain forum mondial de l'eau devrait avoir lieu en mars 2006 à Mexico.

4 () Communication « La gestion de l'eau dans les pays en développement : politiques et priorités de la coopération au développement de l'Union européenne » (COM/2002/0132).

5 () Communication « Création d'un Fonds européen de l'eau » (COM/2003/0211).

6 () Décision 2004/289/CE.

7 () L'article L. 213-2 du code de l'environnement précise la composition du comité de bassin et définit son rôle. Le comité de bassin est une assemblée composée, à parts égales, de représentants des collectivités territoriales, des usagers et de l'État. Souvent qualifié de « parlement de l'eau », le comité de bassin est consulté sur l'opportunité des travaux communs au bassin, sur les différends qui opposent les collectivités ou les groupements, ainsi que sur le taux et l'assiette des redevances perçues par l'agence de l'eau.

8 () L'article L. 213-5 du code de l'environnement précise le statut ainsi que la composition du conseil d'administration de chaque agence de l'eau, tandis que l'article L. 213-6 du même code en définit les missions. Etablissement public de l'État, l'agence de l'eau est chargée de susciter et de faciliter financièrement et techniquement des actions de lutte contre la pollution de l'eau, d'assurer entre les utilisateurs l'équilibre des ressources et des besoins en eau, et de promouvoir les études et la recherche. Ses ressources proviennent de la perception de redevances sur les prélèvements et la pollution des eaux.

9 () A côté des compétences obligatoires des communes en matière d'assainissement, il existe des compétences facultatives. Le deuxième alinéa de l'article L. 2224-8 du code général des collectivités territoriales autorise les communes à prendre en charge les dépenses d'entretien des systèmes d'assainissement non collectif.

10 () Il existe cependant des dispositions particulières, résultant de la loi n° 2000-1207 du 13 décembre 2000 d'orientation pour l'outre-mer, qui permettent à certaines collectivités d'outre-mer de traiter directement avec des États voisins.

11 () Les régions concernées sont le Centre, l'Île-de-France, le Limousin, la Lorraine, la Picardie et Rhône-Alpes. Les départements sont l'Ardèche, la Charente-Maritime, le Finistère, le Haut-Rhin, l'Hérault, l'Ille-et-Vilaine, l'Isère, la Lozère, la Martinique et la Seine-Saint-Denis. Enfin, les villes impliquées, soit en tant que communes soit en tant qu'EPCI, sont Angers, Évry, Lille, Lyon, Strasbourg, Aix-en-Provence, Besançon, Brest, Caen, Chambéry, Charleville-Mézières, Cherbourg-Octeville, Conflans-Sainte-Honorine, Épinal, Grenoble, Issy-les-Moulineaux, Laval, Limoges, Marseille, Montreuil, Mulhouse, Nantes, Paris, Poitiers, Saint-Dié des Vosges. On peut donc constater que les collectivités engagées dans la coopération en matière d'eau et d'assainissement sont réparties sur l'ensemble du territoire, même si les grandes villes sont nettement majoritaires.

12 () À l'article 30 paragraphe VIII du dit projet de loi : « Art. L. 2224-11-2.- Dans le cadre des engagements internationaux de la France, les collectivités ou établissements gérant des services publics de distribution d'eau et d'assainissement peuvent participer à des actions de coopération décentralisée ou à des actions humanitaires dans les domaines de l'alimentation en eau et de l'assainissement. ».

13 () À ce même article 30 paragraphe VIII : « Art. L. 2224-11-3.- Les dispositions de la présente section applicables aux communes sont également applicables aux établissements publics de coopération intercommunale et aux syndicats mixtes auxquels elles ont transféré leurs compétences en matière de distribution d'eau ou d'assainissement. ».

14 () Cet avant-projet de loi sur l'eau, qui devrait faire l'objet d'un examen parlementaire en 2005, est l' illustration d'un processus de concertation et de débats en continu : phase nationale début 2003 ; débat local au deuxième trimestre 2003 sous l'égide des comités de bassin ; consultation du grand public à l'automne 2003 ; conférence de synthèse le 16 décembre 2003.

15 () La coopération décentralisée couvre donc un champ plus large que la coopération transfrontalière, laquelle ne vise qu'une forme particulière de coopération correspondant aux relations de voisinage s'instaurant entre des entités partageant avec la France des frontières terrestres.

16 () Ce dispositif a été complété par la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire qui a intégré les dispositions dans le code général des collectivités territoriales ainsi que par la loi n° 99-533 du 25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire qui a permis le développement d'une coopération intercommunale communautaire plus poussée. La loi organique n° 2004-758 du 29 juillet 2004 relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales a enfin modifié la numérotation des dispositions du code général des collectivités territoriales relatives à la coopération décentralisée.

17 () L'un des considérants de la décision est ainsi rédigé : « Considérant, enfin, qu'il n'est établi ni même allégué que la commune ait entendu intervenir dans un différend de caractère politique... ».

18 () Les communes sont responsables de l'approvisionnement en eau depuis 1790. L'assainissement n'est devenu un service public communal obligatoire qu'en 1992.

19 () L'instruction budgétaire et comptable en question est l'instruction M 49, entrée en vigueur le 1er janvier 1992.

20 () Une dérogation est cependant prévue pour les communes et groupements de communes de moins de 3 000 habitants, qui peuvent prendre en charge les dépenses de leurs services d'eau et d'assainissement (dernier alinéa de l'article L. 2224-2 du code général des collectivités territoriales) ; qui peuvent regrouper en un budget unique les dépenses afférentes à l'approvisionnement en eau et celles relatives à l'assainissement (article L. 2224-6 du code général des collectivités territoriales).

21 () Ce qui est le cas pour 52 % des communes en ce qui concerne les services de distribution d'eau et pour 38 % des communes en ce qui concerne les services d'assainissement.

22 () Cette circulaire du ministre de l'Intérieur et du ministre des Affaires étrangères (NOR/INT/B/01/00124C) précise que les « interventions humanitaires d'urgence, si elles doivent se poursuivre, devront rentrer dans le droit commun conventionnel ». Elle ajoute : « Le cadre conventionnel doit en effet demeurer l'instrument de droit commun de la coopération décentralisée. ».

23 () Rapport du Sénat n° 347 du 16 juin 2004.

24 () Décision n° 77-100 L du 16 novembre 1977.

25 () Décision n° 83-166 DC du 29 décembre 1983.

26 () Ce changement de nom a été effectué par l'arrêté du 14 novembre 1991 modifiant l'arrêté du 14 septembre 1966 relatif aux circonscriptions des agences financières de bassin.

27 () Ces six agences sont l'agence Adour-Garonne, l'agence Rhône-Méditerranée-Corse, l'agence Loire-Bretagne, l'agence Rhin-Meuse, l'agence Seine-Normandie et l'agence Artois-Picardie.

28 () Soit un président nommé par décret, des représentants des collectivités territoriales, des représentants des usagers, des représentants de l'État (ces trois catégories à parité) ainsi qu'un représentant du personnel de l'agence.

29 () Le budget de chaque agence dépend de la superficie concernée, et s'élève à un peu moins de 110 millions d'euros par an dans le cas de l'agence Artois-Picardie et à un peu moins de 800 millions d'euros dans celui de l'agence Seine-Normandie.

30 () C'est-à-dire sur l'ensemble du titre « Eau et milieux aquatiques » du code de l'environnement.

31 () Décision n° 82-124 L du 23 juin 1982.

32 () L'agence Rhin-Meuse emploie 225 personnes, l'agence Adour-Garonne 260 personnes, l'agence Loire-Bretagne 300 personnes.


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