N° 2875 - Rapport de M. Bruno Bourg-Broc sur le projet de loi autorisant l'approbation de la convention internationale pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (n°2605)



Document

mis en distribution

le 13 mars 2006

N° 2875

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 21 février 2006.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI n° 2605, autorisant l'approbation de la convention internationale pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel,

PAR M. BRUNO BOURG-BROC,

Député

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INTRODUCTION 5

I - LES CONVENTIONS DE L'UNESCO RELATIVES A LA PROTECTION DES BIENS CULTURELS 7

II - LE NOUVEL INSTRUMENT RELATIF AU PATRIMOINE CULTUREL IMMATÉRIEL 11

CONCLUSION 13

EXAMEN EN COMMISSION 15

ETAT DES RATIFICATIONS DE LA CONVENTION 17

Mesdames, Messieurs,

L'Assemblée nationale est saisie du projet de loi autorisant l'approbation de la convention internationale pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (n° 2605).

Cette convention a été adoptée par l'UNESCO le 17 octobre 2003. Elle vise à compléter les instruments existants tendant à la protection et à la sauvegarde du patrimoine culturel de l'humanité, dont le présent rapport rappellera le contenu avant de présenter celui de la convention dont l'approbation est soumise au Parlement.

I - LES CONVENTIONS DE L'UNESCO RELATIVES
A LA PROTECTION DES BIENS CULTURELS

A l'heure actuelle, quatre textes internationaux conclus dans le cadre de l'UNESCO visent à protéger le patrimoine culturel :

- la convention de l'UNESCO pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé du 14 mai 1954 et ses deux protocoles ;

- la convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriétés illicites des biens culturels du 14 novembre 1970 ;

- la convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel du 16 novembre 1972 ;

- la convention sur le patrimoine culturel subaquatique du 2 novembre 2001.

Les pillages d'_uvre d'art et la destruction de chefs d'_uvre du patrimoine historique constatés durant les deux guerres mondiales, ainsi que le pillage des sites archéologiques ont motivé l'adoption de ces différentes conventions internationales. Celles-ci sont fort utiles et, malheureusement, la période contemporaine continue d'en souligner la nécessité : les destructions opérées à Dubrovnik et à Sarajevo lors de la guerre en ex-Yougoslavie, la destruction des statues de Bouddha de Bamiyan en 2001 ou plus récemment le scandale des acquisitions frauduleuses du département d'archéologie du musée américain du Getty en attestent.

· La convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé

La prise de conscience de l'intérêt d'assurer la protection et la reconnaissance de la neutralité des trésors culturels en temps de paix comme en temps de guerre remonte aux premières années du XXe siècle. Adoptée à la suite des destructions massives infligées au patrimoine culturel au cours de la seconde guerre mondiale, la convention est le premier traité international à vocation universelle destiné à la protection du patrimoine culturel en cas de conflit armé. Elle s'applique aux biens meubles ou immeubles, y compris les monuments d'architecture, d'art ou d'histoire, les sites archéologiques, les _uvres d'art, les manuscrits, les livres et autres objets d'intérêt artistique, historique ou archéologique, ainsi que les collections scientifiques de toute nature, sans égard à leur origine ou propriétaire.

Les Etats parties à la convention bénéficient de la mise en place d'un réseau composé de plus de cent Etats qui se sont engagés à adopter des mesures préventives pour assurer cette protection non seulement en période d'hostilités, mais également en temps de paix, par des mesures variées : sauvegarde et respect des biens culturels en cas de conflit armé (cette obligation s'applique également aux conflits de caractère non international) ; octroi d'une protection spéciale pour un nombre restreint de refuges destinés à abriter des biens culturels meubles en cas de conflit armé, de centres monumentaux et d'autres biens culturels immeubles de très haute importance ; emploi du signe distinctif de la convention pour certains bâtiments et monuments importants ; création d'unités spéciales chargées de la protection du patrimoine culturel au sein des forces armées ; pénalisation des violations de la convention et promotion de celle-ci auprès du grand public, et des professionnels du patrimoine culturel, des militaires ou des services chargés de faire respecter la loi.

Conclue à La Haye le 14 mai 1954, cette convention est entrée en vigueur le 7 août 1956. Un protocole, spécifique aux biens meubles, a été adopté au même moment. Il vise à prévenir l'exportation de biens culturels d'un territoire occupé et exige le retour de ces biens dans le territoire de l'État d'où ils ont été exportés. Ce protocole interdit également expressément que les biens culturels soient retenus au titre de dommages de guerre.

La destruction de biens culturels au cours des conflits qui se sont déroulés à la fin des années 80 et au début des années 90, notamment en ex-Yougoslavie et en ex-URSS, a montré que certaines améliorations devaient être envisagées dans la mise en _uvre de la Convention de La Haye. Le deuxième protocole, issu du processus de réexamen de la convention entamé dès 1991 a créé deux niveaux de protection : la protection de base de la Convention de La Haye pour les États parties et un niveau plus élevé de protection pour les États qui y sont parties.

Ce protocole améliore les mesures de sauvegarde de la convention en les définissant. Il étend les dispositions de la convention liées au respect des biens culturels et à la conduite des hostilités. Il crée une nouvelle catégorie de protection renforcée pour les biens culturels particulièrement importants pour l'humanité, biens qui sont protégés par des dispositions légales adéquates au niveau national, et qui ne sont pas utilisés à des fins militaires. Il définit les sanctions à apporter pour les violations graves commises à l'encontre des biens culturels et précise les conditions dans lesquelles la responsabilité pénale individuelle est engagée. Enfin, il crée un comité intergouvernemental principalement chargé de veiller à la mise en _uvre de la convention et du deuxième protocole, d'octroyer, de suspendre et d'annuler la protection renforcée, et de considérer et d'octroyer une assistance internationale.

Ce deuxième protocole, adopté à La Haye le 26 mars 1999, est entré en vigueur le 9 mars 2004.

· La Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels

Cette convention, qui complète le premier protocole de la Convention de La Haye, vise à lutter contre le trafic illicite d'objets culturels. L'importation, l'exportation et le transfert de propriété des biens culturels effectués contrairement aux dispositions prises par les Etats parties en vertu de cette convention sont déclarés illicites et passibles de sanctions pénales ou administratives. Tout Etat partie dont le patrimoine culturel est mis en danger par certains pillages archéologiques ou ethnologiques peut faire appel à la coopération des États concernés.

Conclue à Paris le 14 novembre 1970, cette convention est entrée en vigueur le 24 avril 1972.

· La Convention pour la protection du patrimoine mondial culturel

Cette convention définit les types de sites naturels ou culturels pouvant être inscrits sur la liste du patrimoine mondial. Celle-ci est actualisée chaque année par le Comité du patrimoine mondial. Elle fixe les devoirs des Etats parties dans l'identification de sites potentiels, ainsi que leur rôle dans la protection et la préservation des sites. En signant la convention, chaque pays s'engage non seulement à assurer la bonne conservation des sites du patrimoine mondial qui se trouvent sur son territoire, mais aussi à protéger son patrimoine national. Les Etats parties sont encouragés à intégrer la protection du patrimoine culturel et naturel dans les programmes de planification régionaux, à mettre en place du personnel et des services sur leurs sites, à entreprendre des études scientifiques et techniques sur la conservation et à prendre des mesures pour conférer à ce patrimoine une fonction dans la vie quotidienne des citoyens.

La convention crée un fonds du patrimoine mondial et fixe les conditions et les modalités de l'assistance financière internationale. Elle stipule l'obligation pour les Etats parties de rendre compte régulièrement au Comité du patrimoine mondial de l'état de conservation de leurs biens inscrits. Ces rapports sont cruciaux pour le travail du Comité car ils lui permettent d'évaluer la situation des sites, de prendre des décisions concernant les besoins en programmes spécifiques et de régler les éventuels problèmes constatés. Enfin, la Convention encourage les Etats parties à sensibiliser le public aux valeurs des biens du patrimoine mondial et à améliorer leur protection par des programmes d'éducation et d'information.

Conclue à Paris le 16 novembre 1972, elle est entrée en vigueur le 17 décembre 1975.

· La Convention sur la protection du patrimoine culturel subaquatique

Cette convention, conclue à Paris le 2 novembre 2001, cherche à lutter contre les pillages et destructions du patrimoine subaquatique et à compléter les dispositions de la convention de 1982 sur le droit de la mer des Nations unies, dans laquelle était reconnue l'obligation des Etats de protéger les objets de caractère archéologique ou historique. Elle renforce la protection internationale amorcée dans la convention de 1982, à travers l'adoption par les Etats Parties, en fonction de leurs moyens, de mesures juridiques, administratives et opérationnelles appropriées. La convention ne réunit toutefois que six Etats parties à ce jour, alors qu'il en faut vingt pour qu'elle puisse entrer en vigueur.

II - LE NOUVEL INSTRUMENT RELATIF
AU PATRIMOINE CULTUREL IMMATÉRIEL

· La nécessité d'un nouvel instrument international protégeant le patrimoine culturel immatériel

Le dispositif existant protège avant tout le patrimoine bâti. De nombreux Etats, principalement africains et océaniens, ont demandé qu'un instrument international spécifique soit mis en place pour protéger le patrimoine culturel immatériel. Un tel instrument entre pleinement dans la sphère de compétence de l'UNESCO, puisque celle-ci a vocation à protéger le patrimoine quelle que soit sa nature.

Cette demande est d'autant plus légitime que les biens culturels figurant au titre de la convention de 1972 sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO se trouvent pour plus du tiers d'entre eux concentrés dans dix Etats, dont cinq se trouvent en Europe occidentale (dans l'ordre : l'Italie, l'Espagne, l'Allemagne, la France et la Grande Bretagne). La France, avec 30 biens inscrits, se trouve pour sa part au cinquième rang (le Havre reconstruit par Auguste Perret a été inscrit sur la liste en 2005). En revanche, quatorze pays africains, dix asiatiques et dix océaniens n'ont aucun bien figurant sur la liste.

L'adoption de la convention par l'UNESCO en 2003 répond à cette lacune : 120 pays ont voté pour, aucun n'a voté contre et 8 se sont abstenus (l'Australie, le Canada, le Danemark, les Etats-Unis, la Grande Bretagne, la Nouvelle-Zélande, la Russie et la Suisse).

· Le champ d'application de la convention

La convention définit le patrimoine culturel immatériel comme « les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel ». Elle concerne les traditions et expressions orales, les arts du spectacle, les rites, les pratiques sociales, les savoir faire de l'artisanat traditionnel, mais aussi les langues en tant que facteur indispensable à la transmission du patrimoine culturel immatériel. Elle a vocation à s'appliquer à l'ensemble des biens recensés par les Etats parties dans le cadre d'inventaires nationaux.

Cette notion correspond en droit français à celle de « patrimoine ethnologique immatériel » au sens du décret n° 80-277 du 15 avril 1980 instaurant un Conseil du patrimoine ethnologique, actuellement en cours de modification pour le mettre en conformité avec les stipulations de la convention dont l'approbation est soumise au Parlement.

· Les mesures de sauvegarde prévues par le texte

La Convention sera gérée par une Assemblée générale des Etats parties et par un Comité intergouvernemental de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. Ce Comité aura la charge de sélectionner et de mettre en _uvre des projets de sauvegarde ; il constituera une liste du patrimoine culturel immatériel nécessitant une sauvegarde urgente. Il aura également la charge d'établir une liste représentative du patrimoine culturel immatériel mondial sur le modèle de la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO établi en application de la convention de 1972.

Un Fonds du patrimoine culturel immatériel sera mis en place et sera financé soit sur la base d'une contribution obligatoire représentant 1 % de la contribution obligatoire de l'Etat concerné à l'UNESCO, soit sur la base d'une contribution volontaire. Ce fonds permettra de financer ou de contribuer au financement d'opérations de sauvegarde de biens culturels immatériels particulièrement menacés. Enfin, la convention prévoit le développement de la coopération internationale entre les Etats parties dans le but d'améliorer la sauvegarde et la conservation du patrimoine culturel immatériel.

CONCLUSION

La convention entrera en vigueur le troisième mois suivant le dépôt du trentième instrument de ratification ou d'approbation. Cette condition sera remplie en avril prochain, puisque le cap des trente ratifications ou approbations a été franchi le 20 janvier dernier. Il importe donc que la France puisse approuver rapidement ce texte, qui rejoint ses préoccupations en faveur de la diversité culturelle. L'adoption par l'Assemblée générale de l'UNESCO de la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles le 20 octobre dernier en atteste, puisque notre pays y a joué un rôle très actif et qu'il a été suivi par une très large majorité des pays de la communauté internationale. Il importe donc que la France puisse rapidement approuver ces deux textes qui correspondent à ses engagements sur la scène internationale en faveur de la spécificité de la culture dans le contexte de la mondialisation. Pour ces raisons, votre Rapporteur vous propose d'adopter le présent projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du mardi 21 février 2006.

Après l'exposé du Rapporteur, M. Jean-Claude Guibal a fait part de son intérêt pour ce texte qu'il a jugé séduisant et vertueux dans son inspiration. Toutefois, quels sont les moyens concrets mis en _uvre pour protéger le patrimoine culturel immatériel ? Les caractéristiques de ce patrimoine ne s'opposent-elles pas à toute protection efficace ? Dispose-t-on d'exemples de biens pouvant entrer dans le champ d'application de la convention ?

Le Rapporteur a apporté les éléments de réponse suivants :

-  la protection apportée par la convention résulte à la fois de l'inscription sur la liste des biens par le comité qu'elle institue et par l'engagement de moyens, soit directement par les Etats, soit par le fonds institué par la Convention et qui sera alimenté par les Etats parties ;

-  les mesures de sauvegarde peuvent être la réalisation d'enregistrements audiovisuels ou de disques par exemple ;

-  de nombreux pays de tradition orale, notamment africains, pourront bénéficier des mesures de protection mises en _uvre par la convention ;

-  en France les « géants du Nord » ont d'ores et déjà été inscrits sur la liste du patrimoine culturel mondial immatériel ; l'école équestre du cadre noir ou les polyphonies corses pourraient les y rejoindre ultérieurement.

M. Roland Blum, Vice-Président, a informé la Commission que le projet de loi autorisant la ratification de la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles devait être examinée par le Conseil des ministres le 22 mars prochain.

Suivant les conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté le projet de loi (n° 2605).

*

* *

La Commission vous demande donc d'adopter, dans les conditions prévues à l'article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte de la convention internationale figure en annexe au projet de loi (n° 2605).

ETAT DES RATIFICATIONS DE LA CONVENTION

pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel

conclue à Paris le 17 octobre 2003.1

 

Etats

Date du dépôt de l'instrument

Type d'instrument

1

Algérie

15/03/2004

Approbation

2

Maurice

04/06/2004

Ratification

3

Japon

15/06/2004

Acceptation

4

Gabon

18/06/2004

Acceptation

5

Panama

20/08/2004

Ratification

6

Chine

02/12/2004

Ratification

7

République centrafricaine

07/12/2004

Ratification

8

Lettonie

14/01/2005

Acceptation

9

Lituanie

21/01/2005

Ratification

10

Bélarus

03/02/2005

Approbation

11

République de Corée

09/02/2005

Acceptation

12

Seychelles

15/02/2005

Ratification

13

République arabe syrienne

11/03/2005

Ratification

14

Emirats Arabes Unis

02/05/2005

Ratification

15

Mali

03/06/2005

Ratification

16

Mongolie

29/06/2005

Ratification

17

Croatie

28/07/2005

Ratification

18

Egypte

03/08/2005

Ratification

19

Oman

04/08/2005

Ratification

20

Dominique

05/09/2005

Ratification

21

Inde

09/09/2005

Ratification

22

Viet Nam

20/09/2005

Ratification

23

Pérou

23/09/2005

Ratification

24

Pakistan

07/10/2005

Ratification

25

Bhoutan

12/10/2005

Ratification

26

Nigeria

21/10/2005

Ratification

27

Islande

23/11/2005

Ratification

28

Mexique

14/12/2005

Ratification

29

Sénégal

05/01/2006

Ratification

30

Roumanie

20/01/2006

Acceptation

31

Estonie

27/01/2006

Approbation

32

Luxembourg

31/01/2006

Approbation

1Conformément à son article 34, cette Convention entrera en vigueur trois mois après la date du dépôt du trentième instrument de ratification, d'acceptation, d'approbation ou d'adhésion, mais uniquement à l'égard des Etats qui auront déposé leurs instruments respectifs de ratification, d'acceptation, d'approbation ou d'adhésion à cette date ou antérieurement. Elle entrera en vigueur pour tout autre Etat partie trois mois après le dépôt de son instrument de ratification, d'acceptation, d'approbation ou d'adhésion

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N° 2875 - Rapport fait au nom de la commission des affaires étrangères sur le projet de loi n° 2605 autorisant l'approbation de la convention internationale pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (M. Bruno Bourg-Broc)


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