N° 2878 - Rapport de M. Jean-Pierre Nicolas sur la proposition de loi , adoptée par le Sénat, relative aux obtentions végétales (n°2869)



Document

mis en distribution

le 23 février 2006

N° 2878

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 février 2006

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES, DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE SUR LA PROPOSITION DE LOI, ADOPTÉE PAR LE SÉNAT, relative aux obtentions végétales (n° 2869),

PAR M. Jean-Pierre NICOLAS,

Député.

--

Voir les numéros

Sénat : 181, 191 et T.A. 64 (2005-2006)

Assemblée nationale : 2869

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 5

I.- LA RÉFORME EN COURS DU CADRE JURIDIQUE DE LA PROTECTION DES OBTENTIONS VÉGÉTALES 7

A.- UN PEU D'HISTOIRE... 7

B.- LES CHANGEMENTS INTERVENUS AUX NIVEAUX INTERNATIONAL ET EUROPÉEN DEPUIS LE DÉBUT DES ANNÉES 1990 8

1. La révision de la convention UPOV en 1991 8

2. La création d'un régime communautaire de protection des obtentions végétales en 1994 9

C.- LE PROJET DE LOI RELATIF AUX OBTENTIONS VÉGÉTALES ET MODIFIANT LE CODE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE ET LE CODE RURAL 10

II.- L'URGENCE D'UN ALLONGEMENT DE LA DURÉE DES CERTIFICATS D'OBTENTION VEGETALE 11

A.- UN RÉÉQUILIBRAGE NÉCESSAIRE AVEC LE DROIT COMMUNAUTAIRE 11

B.-  UNE RÉPONSE PONCTUELLE A UNE SITUATION D'URGENCE 13

TRAVAUX DE LA COMMISSION 15

I.- DISCUSSION GÉNÉRALE 15

II.- EXAMEN DE L'ARTICLE 16

Article unique 16

TABLEAU COMPARATIF 19

MESDAMES, MESSIEURS,

La sécurité et la qualité sanitaires des produits issus de l'agriculture sont aujourd'hui une préoccupation constante dans les pays occidentaux. Parallèlement, la sécurisation des récoltes et la régularité des productions restent un enjeu majeur dans les pays en développement. Qui peut apporter une réponse à ces situations a priori si différentes ? La sélection variétale, dont le rôle dans l'amélioration tant qualitative que quantitative des végétaux est essentiel. Ce rôle doit être reconnu, promu et protégé. Tel est l'objet des COV - certificats d'obtentions végétales - qui, pendant une période déterminée, confèrent à leurs détenteurs un droit exclusif sur l'exploitation commerciale des variétés végétales qu'ils ont « créées ». La rémunération perçue par les obtenteurs sur les concessions ou licences octroyées en vue de la production et de la commercialisation de ces variétés protégées, leur permet, d'une part, de rentabiliser les recherches qu'ils ont menées et, d'autre part, de financer les suivantes.

La France s'est toujours située à l'avant-garde dans le secteur semences et plants, que ce soit dans le domaine économique - puisque nous sommes la 1ère puissance productrice de semences en Europe et la 4ème dans le monde - ou dans le domaine juridique puisqu'elle était à l'origine de la création de l'Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV). Aujourd'hui cependant la France accuse un retard certain en matière de transcription des textes internationaux et européens de protection des obtentions végétales et, dans certains secteurs pourtant porteurs (blé, pommes de terre), la recherche variétale est désormais mise en péril.

Le droit national n'a en effet intégré ni les modifications apportées par la révision de la convention UPOV de 1991 ni les possibilités offertes par les règlements communautaires, s'agissant en particulier de la durée de protection des obtentions végétales, pénalisant ainsi de facto les obtenteurs détenteurs de COV français par rapport aux obtenteurs bénéficiant de COV communautaires. Il en est ainsi notamment pour les variétés de pomme de terre, protégées pendant 30 ans au niveau communautaire contre 25 ans seulement en France.

Il apparaît donc aujourd'hui nécessaire de soutenir nos sélectionneurs et nos entreprises semencières en leur garantissant un retour sur investissement suffisant, indispensable à la poursuite des efforts de recherche. De nombreux obtenteurs nationaux, confrontés à une concurrence de plus en plus vive, peinent en effet à rentabiliser leurs recherches, alors que parallèlement ils permettent à un nombre important de PME et de coopératives de vivre. En outre, si l'excellence de la recherche française doit être préservée, c'est non seulement au profit des industriels semenciers mais également de l'ensemble des filières agricoles, qui bénéficient des retombées de ces recherches, et in fine du consommateur, de plus en plus exigeant sur la qualité et la présentation des produits.

Enfin, il est désormais urgent d'intervenir puisque certaines variétés, dont les pommes de terre Charlotte et Mona Lisa, mais également le blé tendre Galaxie et l'orge Flika, vont prochainement tomber dans le domaine public si leurs COV ne sont pas prolongés. A titre d'exemple, le certificat de la Mona Lisa arrive à échéance le 6 avril 2006. Sans modification du droit français, l'obtenteur de cette variété subira une perte de 225 000 euros par an pendant 5 ans par rapport aux royalties que lui aurait procurées un COV communautaire. Quant au blé Galaxie et à l'orge Flika, les menaces sont encore plus rapprochées puisque leur protection s'achève le 6 mars 2006.

La proposition de loi des sénateurs Jean Bizet et Brigitte Bout, adoptée en première lecture par la Haute Assemblée le 8 février 2006, apporte une première réponse à la situation des entreprises obtentrices en prévoyant l'allongement de la durée des COV de 25 à 30 ans. D'autres réponses devraient ensuite être présentées dans le projet de loi relatif aux obtentions végétales et modifiant le code de la propriété intellectuelle et le code rural. Toutefois en attendant l'examen par notre assemblée de ce texte adopté en première lecture par le Sénat le 2 février 2006, je vous demande, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la présente proposition de loi afin que les nouvelles dispositions relatives à la durée des COV français puissent entrer en vigueur dans les plus brefs délais.

I.- LA RÉFORME EN COURS DU CADRE JURIDIQUE DE LA PROTECTION DES OBTENTIONS VÉGÉTALES

Dans la période de reconstruction économique de l'après-guerre et à l'aube du lancement du vaste chantier de modernisation de l'agriculture européenne, les sélectionneurs ont entrepris de protéger leurs découvertes afin de préserver leurs capacités de recherche et de développement. C'est ainsi qu'à l'initiative de la France s'est conclue le 2 décembre 1961 une première convention relative à la protection des obtentions végétales imposant la mise en place dans les États parties de systèmes nationaux de protection des variétés nouvelles (1) .

A l'origine de la création de l'Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV), cette convention conférait aux sélectionneurs un droit exclusif sur tous les éléments de production ou de multiplication des variétés obtenues par eux, conformément aux principes de protection de la propriété intellectuelle. Cet instrument permettait ainsi concrètement d'assurer la protection des « créateurs » de nouvelles variétés végétales à l'image de la protection dont bénéficiaient les inventeurs dans le domaine de la recherche industrielle par le biais des brevets.

Aujourd'hui les progrès de la recherche agronomique ont effectivement conduit à l'élaboration de variétés végétales nouvelles, plus économes en intrants car plus résistantes aux maladies et présentant de meilleurs rendements grâce notamment à une meilleure adaptabilité aux sols difficiles ou une plus grande précocité. La convention internationale pour la protection des obtentions végétales a donc pleinement joué son rôle en permettant de faire progresser la recherche dans les pays signataires, dont le nôtre. Ainsi, à titre d'exemple, on estime que certaines variétés françaises sélectionnées ont un rendement plus de deux fois supérieur au rendement de variétés équivalentes non travaillées.

La sélection française est en effet une des plus performantes du monde. Elle compte aujourd'hui près d'une centaine d'établissements de recherche « obtenteurs », quelque 250 établissements producteurs, environ 20 000 agriculteurs multiplicateurs et autant de distributeurs. L'ensemble du secteur génère ainsi un chiffre d'affaires annuel avoisinant les 2 milliards d'euros (2) et permet à la France de se hisser à la 1ère place des producteurs de semences de l'Union européenne et à la quatrième au niveau mondial (3).

De plus, si la protection des droits des obtenteurs est un élément indispensable à la recherche variétale, les applications pratiques tirées de cette recherche se révèlent également essentielles pour les agriculteurs qui bénéficient ainsi de plantes plus productives et mieux adaptées aux conditions environnementales difficiles. Les investissements consacrés à la recherche sont donc déterminants pour les exploitants et pour l'industrie agroalimentaire. Rappelons que près de 5 000 variétés sont aujourd'hui mises à la disposition des agriculteurs pour l'ensemble des espèces et qu'environ 600 variétés nouvelles sont créées chaque année.

Après avoir été révisée en 1972 et 1978, la convention internationale pour la protection des obtentions végétales a connu une troisième révision, le 19 mars 1991. Le texte alors adopté vise à préciser et élargir les droits des obtenteurs en généralisant la notion de certificat d'obtention végétale, par opposition à celle de brevet (4), et en proposant un cadre juridique plus strict pour la mise en _uvre de « l'exception de l'agriculteur » (utilisation des semences de ferme) jusqu'alors plus ou moins laissée à la libre appréciation des États parties (5).

L'article 15 (point 2) de la convention rend en effet facultative la mise en _uvre de cette exception et l'assortit en tout cas de restrictions visant à sauvegarder « les intérêts légitimes de l'obtenteur ». Ce dernier point, qui se traduit concrètement par l'instauration d'une « rémunération équitable » (6) en échange de l'utilisation des semences de ferme, pratique ancestrale des agriculteurs, a suscité la polémique et entraîné le report à plusieurs reprises de l'examen du projet de loi autorisant la ratification de cette révision de la convention UPOV, déposé au Sénat depuis décembre 1996. L'intervention d'un accord interprofessionnel dans le secteur du blé tendre en 2001 a cependant permis de débloquer cette situation. Les producteurs de blé tendre sont en effet les principaux utilisateurs de semences de ferme (7). L'accord qu'ils ont signé avec les obtenteurs sur la rémunération de ces derniers en échange de l'utilisation des semences de ferme et les quatre années de mise en _uvre réussie de cet accord lèvent ainsi les derniers doutes quant à l'applicabilité en France de la convention UPOV de 1991, et en particulier de son article 15.

Le projet de loi autorisant la ratification de la révision de la convention UPOV de 1991 est en cours d'examen par les deux assemblées (8). Rappelons que le texte de la convention révisée est entré en vigueur le 24 avril 1998, un mois après que cinq États (dont trois au moins déjà parties aux précédentes conventions) ont déposé leurs instruments de ratification (article 37 de la convention). Il n'est toutefois pas anodin que la France, à l'origine de la création de l'UPOV et à la pointe de la défense du système des COV à l'Organisation mondiale du commerce (9), ratifie cette nouvelle version de la Convention. A cet égard, la ministre déléguée aux affaires européennes, Mme Catherine Colonna, rappelait lors de l'examen au Sénat du projet de loi autorisant la ratification de la convention de 1991 tout l'intérêt que la France avait à participer à ce système international de protection des obtentions végétales, que ce soit « l'importance économique de la recherche variétale [dans notre pays], l'intérêt des résultats de cette recherche pour l'activité agricole, les éléments d'une meilleure sécurité juridique pour les obtenteurs,[ou] la forte mobilisation que notre pays a su créer autour de la convention depuis ses débuts ».

Avant même que la Communauté européenne ne devienne un membre à part entière de l'UPOV, le 29 juillet 2005, la plupart des États qui la composent étaient parties à la convention internationale pour la protection des obtentions végétales. Un système spécifique de protection des obtentions végétales, applicable sur tout le territoire de ses États membres, n'en a pas moins été mis en place par la Communauté au milieu des années 1990.

A cet égard il convient de bien noter que les textes communautaires relatifs aux obtentions végétales ne se substituent pas aux réglementations nationales puisqu'ils se contentent d'établir un régime de protection alternatif aux régimes de protection organisés par les États membres au niveau national. Ce système est géré par l'Office communautaire des variétés végétales chargé d'instruire les demandes de certificats d'obtention délivrés par la Communauté et de tenir à jour la liste variétés végétales protégées, publiée dans un bulletin officiel bimestriel (10).

Les principes qui régissent le système communautaire de protection des obtentions végétales, issus du règlement (CE) n° 2100/94 du Conseil du 27 juillet 1994 instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales, sont identiques à ceux qui régissent notre système national puisqu'ils découlent des dispositions de la convention internationale pour la protection des obtentions végétales. Les modalités concrètes de mise en _uvre de ce système, issues de plusieurs règlements d'application, diffèrent cependant sur plusieurs points de celles fixées au niveau national, en particulier s'agissant de la question de la durée des COV et de l'autorisation des semences de ferme. D'une part, les certificats d'obtention végétale délivrés par la Communauté ont des durées supérieures aux COV français qui se situent au niveau des minima mentionnés dans la convention de 1991. D'autre part, un dispositif spécifique renvoyant à des accords entre professionnels, tout en prévoyant une redevance minimale en cas d'absence d'accord, a été mis en place au niveau communautaire pour aménager « l'exception de l'agriculteur ».

Les obtenteurs titulaires de COV communautaires bénéficient donc non seulement d'une reconnaissance valable dans tous les Etats membres de l'Union européenne mais également de la possibilité de rentabiliser leurs recherches sur de plus longs termes ainsi que d'un système de rémunération obligatoire pour l'utilisation des semences de ferme (11). Rien n'empêche toutefois la France d'adopter des dispositions similaires.

La ratification par la France de la révision de la convention internationale pour la protection des obtentions végétales de 1991 ainsi que l'alignement souhaité du droit interne sur le droit communautaire s'agissant des COV rendent nécessaires des adaptations du code rural et du code de la propriété intellectuelle.

Dès décembre 1996 un projet de loi relatif aux obtentions végétales a été déposé au Sénat. Après plusieurs reports dus notamment à la question des semences de ferme (12), celui-ci a finalement été adopté en première lecture par le Sénat le 2 février 2006.

En raison du délai entre son dépôt et son examen, le projet de loi a dû subir quelques modifications mais son objet demeure identique à celui du texte d'origine. Ses principales dispositions sont les suivantes :

- préciser la notion de variété végétale, de nouveauté et de certificat d'obtention végétale (notamment par rapport au brevet) ;

- augmenter la durée des certificats d'obtention végétale délivrés en France pour les porter au même niveau que dans le régime de protection communautaire et les étendre aux « variétés essentiellement dérivées » de variétés protégées ;

- actualiser les dispositions relatives aux droits des obtenteurs et au régime de sanction de la contrefaçon ;

- introduire en droit interne le principe d'une rémunération équitable pour les semences de ferme.

Le texte devrait être inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale le 23 mars 2006.

Alors que tous les projets de loi nécessaires à la transposition en droit interne des normes internationales et communautaires relatives à la protection des obtentions végétales sont actuellement en cours d'examen dans les deux assemblées, près de 15 ans après l'adoption de la convention de 1991 et presque 10 ans après leur dépôt, quel objectif poursuit donc la proposition de loi relative aux obtentions végétales déposée en urgence par les sénateurs Jean Bizet et Brigitte Bout ?

II.- L'URGENCE D'UN ALLONGEMENT DE LA DURÉE DES CERTIFICATS D'OBTENTION VEGETALE

Rappelons que sur la durée des certificats d'obtention végétale, l'article 19 de la convention internationale pour la protection des obtentions végétale ne fixe que des minima (20 ans en règle générale et 25 ans pour les arbres et la vigne), sur la base desquels les Etats peuvent prévoir des protections plus longues.

S'agissant des COV communautaires, leur durée a été fixée par l'article 19 du règlement (CE) 2100/94 à 25 ans pour le droit commun et à 30 ans dans le cas des variétés de vignes et d'arbres. Ce même article 19 prévoit cependant qu'une prorogation de cinq ans au maximum de ces durées peut être accordée pour certains genres ou espèces déterminés par décision du Conseil statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission. C'est ainsi qu'en 1996, la durée de protection des obtentions végétales pour les pommes de terre a été étendue à 30 ans (13).

Il est à cet égard instructif de se pencher un instant sur les considérants du règlement de 1996 ayant procédé à cet allongement de la durée de protection pour les pommes de terre. Y sont notamment soulignées les « difficultés liées à la sélection des pommes de terre [qui] entraînent des dépenses relatives aux activités de recherche s'étendant sur une période plus longue que celle de la très grande majorité des autres espèces de plantes agricoles ». Il y est également précisé que « l'expérience sur le marché a montré qu'une nouvelle variété de pommes de terre ne révèle sa valeur commerciale qu'à longue échéance par rapport aux espèces de plantes agricoles nécessitant également des activités de recherche portant sur une longue période ». En conséquence, « une rémunération équitable des activités de recherche n'est possible qu'à un stade relativement tardif de la protection », impliquant la prorogation de cinq ans de la durée initiale de la protection communautaire des obtentions végétales pour les pommes de terre.

Alors que les conditions de recherche et de développement sont identiques dans l'ensemble de l'Union européenne, les COV délivrés en France restent néanmoins limités au niveau des minima de la convention UPOV de 1991. L'article L. 623-13 du code de la propriété intellectuelle fixe en effet des durées de protection égales à 20 ans pour le droit commun et à 25 ans « lorsque la constitution d'éléments de production de l'espèce exige de longs délais », l'article R. 623-56 du code de la propriété intellectuelle précisant les espèces auxquelles cette dernière protection s'applique, au nombre desquelles les pommes de terre (14).

Or, le manque à gagner résultant de ces dispositions se chiffre en milliers d'euros. Ainsi, on estime que les pertes financières que subiraient les obtenteurs des variétés de pommes de terre Charlotte et Mona Lisa à l'expiration de leurs COV atteindraient respectivement 670 000 et 225 000 euros par an (15). La prolongation de la protection dont ils bénéficient sur la base des durées communautaires correspond donc à une très forte attente.

Plus généralement, le handicap de compétitivité des entreprises semencières françaises par rapport à leurs concurrentes dû à ce différentiel de protection appelle une réforme. Il est temps en effet de procéder à un alignement du droit national sur le droit communautaire alors que la compétition devient plus rude pour les entreprises françaises. L'allongement de la durée de protection des obtentions végétales qui en résulterait rendrait ainsi possible une augmentation de 20 à 25 % des ressources des obtenteurs. Ces nouveaux revenus potentiels permettraient alors de financer de nouvelles recherches. Rappelons ici que dans les entreprises semencières, le poste « recherche et développement » représente 10 à 15 % du chiffre d'affaires (contre 2 à 3 % dans la plupart des entreprises), la mise au point d'une nouvelle variété végétale nécessitant en général plus de 10 années de recherche pour un coût moyen de 100 millions d'euros.

Ces éléments justifient pleinement le dépôt d'une proposition de loi. Toutefois, dans la mesure où le contenu de son article unique est identique à celui de l'article 9 du projet de loi relatif aux obtentions végétales adopté le 2 février en première lecture au Sénat, d'aucuns pourraient s'interroger sur sa finalité. Celle-ci est pourtant simple : le temps presse désormais pour certaines variétés protégées qui sont sur le point de tomber dans le domaine public.

Si la proposition de loi relative aux obtentions végétales déposée notamment par Jean Bizet, par ailleurs rapporteur au nom de la Commission des affaires économiques et du Plan du Sénat sur le projet de loi relatif aux obtentions végétales, intervient aujourd'hui et est examinée dans les plus brefs délais par les deux assemblées, c'est que l'urgence le justifie.

En effet, de nombreuses variétés végétales vont tomber très prochainement dans le domaine public, leur exploitation commerciale sera donc libre de tout droit. La pomme de terre Mona Lisa qui bénéficie d'un certificat d'obtention végétale depuis le 6 avril 1981 en fait partie : ses droits arriveront en effet à échéance le 6 avril 2006. De même, le blé tendre Galaxie et l'orge Flika perdront leur protection le 6 mars 2006.

Or, la situation dans le secteur de la pomme de terre et du blé justifie une adoption en urgence d'une nouvelle disposition législative permettant de garantir un même niveau de protection par les COV français et communautaires. Le contenu de cette nouvelle disposition, qui fait donc l'objet de l'article unique de la proposition de loi sénatoriale n° 2869, est le suivant :

- tout d'abord, dans l'esprit de l'article 9 du projet de loi relatif aux obtentions végétales, la proposition de loi modifie l'article L. 623-13 du code de la propriété intellectuelle afin d'allonger la durée des COV délivrés en France à 25 ans pour le droit commun et 30 ans si la constitution des éléments de production de l'espèce exige de longs délais, c'est-à-dire pour les arbres forestiers, fruitiers ou d'ornement, la vigne, les légumineuses fourragères pérennes, les pommes de terre et les lignées endogames utilisées pour la production de variétés hybrides ;

- elle prévoit ensuite la prolongation de la durée des COV en cours à due proportion des durées désormais fixées par l'article L. 623-13, dans les mêmes termes que le 1° de l'article 17 du projet de loi relatif aux obtentions végétales.

En effet, si le projet de loi relatif aux obtentions végétales (et plus particulièrement ses articles 9 et 17) devait être adopté par le Parlement, il apparaîtrait particulièrement injuste pour les variétés végétales Charlotte, Mona Lisa, Flika ou Galaxie que ses dispositions ne leur soient pas appliquées pour des raisons d'examen tardif du texte, alors qu'elles le seraient par ailleurs à toutes les autres variétés protégées par des COV au moment de leur entrée en vigueur.

Ainsi, si l'on doit avoir un regret à la lecture de la proposition de loi, il ne porte pas sur son contenu mais sur le fait que le sujet dont elle traite ait dû être disjoint du reste du projet de loi dont il constituait par ailleurs un aspect important. A cet égard on peut s'étonner que deux sénateurs aient été conduits à prendre l'initiative d'une proposition de loi devant être examinée en urgence sur une question pendante depuis 1996 ! Toutefois, un simple problème de calendrier ne doit pas conduire à pénaliser nos entreprises en empêchant l'adoption de dispositions qui leur seraient favorables. On ne peut donc que se féliciter de l'initiative prise par nos collègues sénateurs. C'est une mesure de bon sens.

Conscient de l'importance des intérêts en jeu pour les entreprises du secteur semences et plants et persuadé de la nécessité de régler d'urgence la question de la durée de nos certificats d'obtention végétale, votre rapporteur vous demande de bien vouloir adopter conforme cette proposition de loi afin que le texte puisse être promulgué dans les meilleurs délais et entrer en vigueur avant la date d'expiration des premiers COV concernés.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I.- DISCUSSION GÉNÉRALE

Lors de sa réunion du 22 février 2006, la Commission a examiné sur le rapport de M. Jean-Pierre Nicolas, la proposition de loi relative aux obtentions végétales (n° 2869).

Le rapporteur a indiqué à titre liminaire que la Commission des affaires économiques, et au-delà l'Assemblée nationale, entraient dans une période où elles allaient beaucoup débattre des questions ayant trait au monde végétal, qu'il s'agisse simplement de sélection variétale comme dans la proposition de loi des sénateurs Jean Bizet et Brigitte Bout ou, à un degré de complexité plus élevé, d'organismes génétiquement modifiés.

Il a par ailleurs noté que la proposition de loi n° 2869 s'inscrivait plus généralement au nombre des textes actuellement examinés par les deux assemblées relatifs aux obtentions végétales, rappelant que s'y ajoutaient : le projet de loi autorisant la ratification de la révision de la convention internationale pour la protection des obtentions végétales de 1991 et le projet de loi qui en découle, relatif aux obtentions végétales et modifiant le code de la propriété intellectuelle et le code rural.

Il a également signalé que la proposition de loi était à l'origine une simple reprise de deux articles du projet de loi relatif aux obtentions végétales adopté par le Sénat en première lecture le 2 février 2006, projet de loi qui devrait être bientôt examiné à l'Assemblée nationale.

Il a ensuite exposé les raisons pour lesquelles cette proposition de loi avait été déposée. Bien que le projet de loi relatif aux obtentions végétales date de 1996, il n'a pu être inscrit à l'ordre du jour que récemment, en raison notamment du débat relatif à l'utilisation des semences de ferme. Or, la disposition reprise dans la proposition de loi de M. Bizet et de Mme Bout doit impérativement entrer en vigueur avant début mars.

Indiquant que la proposition de loi avait pour objet d'aligner la durée des certificats d'obtention végétale français, qui protègent les droits de propriété intellectuelle des sélectionneurs, sur la durée des certificats d'obtention végétale communautaire, il a rappelé qu'un différentiel de cinq ans les séparait : que ce soit pour la durée de droit commun qui est de 20 ans en France et de 25 ans au niveau communautaire ou pour la durée spécifique à certaines espèces, comme les pommes de terre, qui est de 25 ans en France et de 30 ans au niveau communautaire.

Il a ensuite souligné que cet alignement ne vaudrait pas que pour l'avenir puisqu'il irait de paire avec une prolongation des certificats d'obtention végétale en cours. A cet égard, il a également noté que de nombreux certificats concernant notamment des variétés comme la pomme de terre Charlotte ou la Mona Lisa, mais aussi des variétés de blé et d'orge, arrivaient à échéance prochainement. Il en a conclu que ces variétés seraient exclues du bénéfice de cette prolongation de leur protection pour des raisons de calendrier sans la proposition de loi du Sénat. En effet, en tenant compte de la navette parlementaire, le projet de loi ne pourrait pas être adopté et promulgué dans les temps.

A cet égard, il a également indiqué que la proposition de loi avait été modifiée lors de son examen en séance au Sénat par un amendement déposé par Mme Bout afin de rendre ses dispositions d'application directe et faire en sorte qu'aucun décret ne conditionne leur entrée en vigueur.

En conclusion, il a demandé à la Commission d'apporter son soutien à cette proposition de loi afin de ne pas entraver l'initiative prise par les sénateurs qu'il a estimée de bon sens puisqu'elle devrait permettre de soutenir nos entreprises semencières, de les aider à rentabiliser leurs investissements sans être désavantagées par rapport à leurs concurrents européens et, plus généralement, de contribuer à l'excellence de la recherche française en matière végétale.

II.- EXAMEN DE L'ARTICLE

Article unique

Allongement et prolongation de la durée des certificats d'obtention végétale

L'article unique de la proposition de loi était initialement composé de deux paragraphes, le premier procédant à la modification des durées de COV actuellement en vigueur et le second précisant que cette modification s'appliquait aux COV en cours.

Au sein de l'article L. 623-13 du code de la propriété intellectuelle, le paragraphe I de l'article substituait ainsi respectivement aux chiffres vingt et vingt-cinq les chiffres vingt-cinq et trente.

La nouvelle durée de protection de droit commun passait ainsi à 25 ans et la durée applicable aux espèces nécessitant des recherches plus longues à 30 ans. Un décret devait néanmoins intervenir pour modifier dans le même sens les dispositions de l'article R. 623-56 du code de la propriété intellectuelle fixant la liste des espèces bénéficiant actuellement d'une protection de 25 ans et destinées à bénéficier d'une protection de 30 ans (les arbres forestiers, fruitiers ou d'ornement, la vigne, les graminées et légumineuses fourragères pérennes, les pommes de terre et les lignées endogames utilisées pour la production de variétés hybrides). En effet, la modification législative opérée par la proposition de loi des sénateurs Bizet et Bout, bien qu'indispensable à l'allongement de la durée des COV et à la prolongation de certains d'entre eux arrivant à échéance prochainement, n'était pas en elle-même suffisante...

Or, il est apparu au cours des travaux du Sénat que, même en cas d'adoption conforme du texte par les deux assemblées avant la fin du mois de février, ce décret n'aurait matériellement pas le temps de paraître avant l'expiration des premiers certificats d'obtention végétale, début mars. C'est pourquoi, lors de l'examen du texte en séance le 8 février 2006, le Sénat a adopté un amendement de Mme Brigitte Bout visant à modifier l'article L. 623-13 du code de la propriété intellectuelle (paragraphe I) de manière à rendre ses dispositions d'application directe.

Le paragraphe I de l'article unique de la proposition de loi propose donc une nouvelle rédaction de l'article L. 623-13 du code de la propriété intellectuelle, désormais composé de deux alinéas.

Le premier alinéa de cet article fixe la durée de droit commun des COV à vingt-cinq ans.

La Commission a rejeté un amendement de M. Yves Cochet visant à conserver la durée de droit commun des COV à vingt ans (amendement n° 1).

Le second alinéa de l'article détermine la liste des espèces pour lesquelles les certificats d'obtention végétale sont délivrés pour une durée de 30 ans, qui reprend celle de l'article R. 623-56 du code de la propriété intellectuelle.

La Commission a rejeté un amendement de M. Yves Cochet visant à supprimer cet alinéa (amendement n° 2).

La nouvelle rédaction proposée pour l'article L. 623-13 du code de la propriété intellectuelle est donc la suivante :

« La durée de la protection est de vingt-cinq ans à partir de sa délivrance. Pour les arbres forestiers, fruitiers ou d'ornement, pour la vigne ainsi que pour les graminées et légumineuses fourragères pérennes, les pommes de terre et les lignées endogames utilisées pour la production de variétés hybrides, la durée de la protection est fixée à trente ans. »

Le paragraphe II de l'article unique de la proposition de loi prévoit quant à lui l'application des dispositions du paragraphe I aux certificats d'obtention végétales délivrés avant l'entrée en vigueur du texte et toujours en vigueur au moment de sa promulgation, en précisant que ceux-ci sont prolongés « dans les limites fixées par l'article L. 623-13 du code de la propriété intellectuelle ». De la sorte, les COV en cours se verront octroyer cinq années de protection supplémentaires à partir de la date à laquelle ils auraient dû expirer.

La Commission a rejeté un amendement de M. Yves Cochet visant à supprimer ces dispositions (amendement n° 3).

Enfin, l'article unique de la proposition de loi a été complété par un paragraphe III précisant que ses dispositions s'appliquaient de plein droit dès la publication du texte.

Votre rapporteur estime que la proposition de loi ainsi modifiée et adoptée par le Sénat constitue une solution de sagesse, permettant de répondre par son dispositif même aux attentes du secteur semences et plants sans que celui-ci doive s'en remettre à une hypothétique intervention de l'administration. Il est donc désormais certain que si l'Assemblée nationale adopte ce texte sans modification, l'allongement de la durée de protection des variétés végétales et la prolongation des COV en cours seront effectifs dès sa publication.

La Commission a adopté l'article unique sans modification.

·

· ·

En conséquence, la Commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire vous demande d'adopter la proposition de loi (n° 2869) relative aux obtentions végétales dans le texte adopté en première lecture par le Sénat.

TABLEAU COMPARATIF

___

Texte en vigueur

___

Texte de la proposition de loi

adoptée par le Sénat

___

Propositions de la Commission

___

Code de la propriété intellectuelle

Article unique

Article unique

 

Livre VI

Protection des inventions et des connaissances techniques

Titre II

Protection des connaissances techniques

Chapitre III

Obtention végétale

Section 1

Délivrance des certificats d'obtention végétale

 

I. - L'article L. 623-13 du code de la propriété intellectuelle est ainsi rédigé :

(Sans modification)

Art. L. 623-13.- La durée du certificat est de vingt ans à partir de sa délivrance. Elle est fixée à vingt-cinq ans si la constitution des éléments de production de l'espèce exige de longs délais.

« Art. L. 623-13. - La durée de la protection est de vingt-cinq ans à partir de sa délivrance.

 
 

« Pour les arbres forestiers, fruitiers ou d'ornement, pour la vigne ainsi que pour les graminées et légumineuses fourragères pérennes, les pommes de terre et les lignées endogames utilisées pour la production de variétés hybrides, la durée de la protection est fixée à trente ans. »

 
 

II. - La durée des certificats d'obtention, délivrés avant l'entrée en vigueur de la présente loi et en vigueur à cette date, est prolongée dans les limites fixées par l'article L. 623-13 du code de la propriété intellectuelle.

 
 

III. - Les dispositions du présent article s'appliquent de plein droit dès la publication de la présente loi.

 

---------

1 () Parmi les premiers pays signataires se trouvaient également l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, l'Italie, le Royaume-Uni et l'Irlande. L'UPOV compte aujourd'hui 60 membres, dont le dernier en date, l'Albanie, a adhéré en septembre 2005.

2 () Source : GNIS (Groupement national interprofessionnel des semences et plants), pour l'année 2003-2004.

3 () Derrière les Etats-Unis d'Amérique, la Chine et le Japon.

4 () Le COV protège en effet la variété elle-même et non la technique de production de cette variété.

5 () La pratique des semences de ferme consiste à resemer une partie de sa récolte. Avant 1991, elle était généralement tolérée lorsqu'elle ne donnait pas lieu à une production destinée à être commercialisée.

6 () Article 17 de la convention.

7 () Les semences de ferme concernent en effet essentiellement les plantes autogames, c'est-à-dire qui s'autofécondent et donc se reproduisent facilement, en conservant des caractéristiques identiques d'une génération à l'autre. D'autres accords sont néanmoins en cours de négociation, comme dans le secteur de la pomme de terre.

8 () Le Sénat l'a adopté le 2 février 2006 en première lecture et il devrait être examiné à l'Assemblée Nationale le 23 février 2006.

9 () L'Organisation mondiale du commerce a en effet prévu la mise en place d'un système de protection de la propriété intellectuelle dans le domaine végétal. Toutefois, pour mettre en _uvre ce système, on peut avoir recours soit au système des COV, promu par les pays européens, soit au système des brevets, soutenu par les Etats-Unis. Les enjeux sont de taille puisque l'on touche là à la question de la brevetabilité du vivant.

10 () Le siège de l'OCVV est en France, à Angers.

11 () Rappelons qu'en France, la pratique des semences de ferme est en principe illégale mais en pratique tolérée, les obtenteurs ayant renoncé jusqu'à récemment à faire reconnaître leurs droits par le biais d'accords interprofessionnels, préférant miser sur l'attractivité de leurs produits plutôt que sur l'attribution d'une rente par la voie contentieuse.

12 () Voir supra.

13 () Règlement (CE) n° 2470/96 du Conseil du 17 décembre 1996 prorogeant la durée de la protection communautaire des obtentions végétales en ce qui concerne les pommes de terre.

14 () En font également partie : les arbres forestiers, fruitiers ou d'ornement, la vigne, les légumineuses fourragères pérennes et les lignées endogames utilisées pour la production de variétés hybrides.

15 () Estimations basées sur les pertes prévisibles des redevances perçues pour la production et la commercialisation de ces variétés.


© Assemblée nationale