N° 2939 - Rapport de M. Alain Bocquet sur la proposition de résolution de M. Alain Bocquet et les membres du groupe Député-e-s Communistes et Républicains sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur, (n° E2520) (2923)



Document

mis en distribution

le 13 mars 2006

N° 2939

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 8 mars 2006.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES, DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (N° 2923) DE M. ALAIN BOCQUET ET DES MEMBRES DU GROUPE DÉPUTÉ-E-S COMMUNISTES ET RÉPUBLICAINS SUR LA PROPOSITION DE DIRECTIVE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL relative aux services dans le marché intérieur (n° E2520),

PAR M. ALAIN BOCQUET,

Député.

--

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 5

I.- UNE PROPOSITION INACCEPTABLE DANS SON PRINCIPE 9

A.- LA FIN D'UNE CERTAINE IDÉE DE L'EUROPE 9

1. Une proposition de directive ultralibérale 9

a) Le principe du pays d'origine (PPO) : la consécration du dumping 9

b) Un champ d'application en trompe l'_il 12

c) Le contrôle : mission impossible 13

2. La fin de l'harmonisation, le triomphe de la résignation 13

B.- DES ANNÉES DE PALINODIES 14

1. Une genèse discrète et consensuelle 14

2. Le début de la contestation grâce à la vigilance des mouvements sociaux 15

3. L'opposition des autorités françaises, tardive et ambiguë 16

4. Après le non français, le rapport de forces évolue 19

5. Un « compromis » tout aussi inacceptable 20

II.- UN REMÈDE PIRE QUE LE MAL ? LE COMPROMIS DU PARLEMENT EUROPÉEN : DES AVANCÉES TRÈS INSUFFISANTES 22

A.- LE PRINCIPE DU PAYS D'ORIGINE A-T-IL DISPARU ? 22

1. La suppression affichée du principe du pays d'origine 22

a) Le dispositif de remplacement 22

b) La portée de cette disparition reste douteuse 22

B.- UN CHAMP D'APPLICATION ENCORE TROP LARGE 24

1. Les exclusions votées par le Parlement européen 24

a) Une liste d'exclusions allongée mais incomplète. 24

i. Articulation avec d'autres instruments juridiques 24

ii. Exclusions sectorielles 25

b) D'importantes ambiguïtés subsistent 25

2. La question des services publics 28

C.- LA QUESTION DU CONTRÔLE 29

1. Les améliorations cosmétiques proposées par le Parlement européen 29

a) L'État de destination est rendu responsable théoriquement du contrôle 29

b) Mais il est privé des moyens effectifs d'assurer ce contrôle 29

c) Les espoirs illusoires fondés sur la coopération administrative 31

2. Les perspectives de dumping social ne sont pas écartées 32

a) L'urgence d'un dispositif anti-dumping 32

b) Le dumping social, une réalité 33

c) Le déplacement du problème vers les faux indépendants 35

CONCLUSION 36

A.- DES DIFFÉRENCES MAJEURES AVEC LA RÉSOLUTION ADOPTÉE LE 15 MARS 2005 PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE 36

B.- LE RETRAIT DE LA PROPOSITION DE DIRECTIVE EST INDISPENSABLE 37

1. La procédure de codécision exige l'accord du Parlement européen et du Conseil 37

a) Première lecture 37

b) Deuxième lecture du Parlement européen 38

c) Deuxième lecture du Conseil 38

2. De prochaines étapes menaçantes 38

C.- REFUSER L'EXPRESSION D'UNE POLITIQUE ULTRALIBÉRALE 40

EXAMEN EN COMMISSION 43

MESDAMES, MESSIEURS,

La construction européenne est en crise : le chômage persiste, sur fond de bas salaires, précarité, inégalités sociales accrues à l'intérieur des États membres ou entre les partenaires de l'Union européenne, au mépris des aspirations démocratiques et sociales des peuples.

Toutes les tentatives, même timides, visant à réguler par l'élaboration concertée de normes sociales partagées un libre marché commun des biens, des personnes et des capitaux créé par le Traité de Rome en 1957, se sont heurtées à la primauté de la concurrence économique, à la forte pression libérale et aux réalités nouvelles de l'élargissement aux Pays d'Europe centrale et orientale (PECO). L'Acte unique de 1986, puis le traité de Maastricht en 1992, ont subordonné les politiques publiques et sociales à l'impératif de « compétitivité » des entreprises et de rentabilité des placements financiers. C'est cette logique qui a été majoritairement mise en échec par le vote du 29 mai 2005.

A l'élaboration d'un socle de valeurs communes, sous la forme de charte, de recommandations, ou de codes de conduite, ne saurait faire contrepoids à la mise en place d'une zone de libre échange élargie où les agents économiques doivent pouvoir opérer sans entraves en profitant des différentes opportunités offertes par chaque État membre. C'est tout le sens de la proposition de directive relative aux services dans le marché intérieur, dite Bolkestein, portant sur la « libre prestation de services », qui, plutôt que de participer à une démarche d'harmonisation par le haut, conçoit les dispositifs et acquis sociaux nationaux comme autant d'exceptions à justifier au cas par cas, selon l'appréciation de juges européens en s'attachant d'abord au respect du caractère non discriminatoire et proportionnel de la mesure.

Comment, en empruntant un tel chemin, peut-on espérer combler le déficit démocratique et « faire vivre le modèle européen dans un monde de justice » pour reprendre les termes du rapport rendu en 2004 à Romano Prodi, Président de la Commission, par une table ronde ayant pour objet d'examiner « un projet durable pour l'Europe » ? Une réorientation et une redéfinition de la construction européenne sont indispensables si on ne veut pas en rester à des déclarations d'intention contredites par les faits.

Il faut replacer le développement des capacités humaines, individuelles et collectives, au c_ur du projet européen. Cela passe par :

- une réforme des traités, modifiant les pouvoirs institutionnels, et des procédures démocratiques pour faire des parlements européen et nationaux, des partenaires sociaux et des citoyens, de véritables acteurs de la politique européenne ;

- une démarche d'harmonisation, par la délibération et sans uniformisation, pour créer un espace social commun qui garantisse des droits égaux au plus haut niveau, empêche le dumping social ou fiscal et renforce les capacités de négociation et d'intervention des salariés et de leurs organisations ;

- une définition positive des services publics qui n'en fasse pas des exceptions au marché mais l'ossature démocratique propre à apporter une réponse juste et durable aux besoins collectifs inaliénables (eau, énergie, santé, éducation, logement, transports, culture, communication...) dans le respect de l'environnement et de l'aménagement des territoires ;

- une transformation du statut et du rôle de la Banque centrale européenne (BCE) afin qu'elle impulse, sous le contrôle des parlements, une relance concertée des dépenses favorables à l'emploi, aux salaires et à la recherche. L'objectif n'étant pas seulement d'assurer la croissance des richesses, mais de faire émerger un système de sécurité d'emploi et de formation, c'est-à-dire de permettre un accès effectif de chacun et chacune à la formation tout au long de la vie et à un parcours professionnel continu reposant sur des droits et des revenus relevés ;

- une vision de l'Europe ouverte aux peuples des autres continents, participant activement à l'avènement d'un monde de paix et de co-développement solidaire.

La proposition de directive relative aux services, préparée par le commissaire Frits Bolkestein, et adoptée par l'ensemble de la Commission en janvier 2004 va absolument à l'encontre de cette vision de l'Europe.

Le vote du Parlement européen le 16 février 2006 atténue certains des points les plus ultralibéraux du projet initial : c'est le résultat des longues luttes et de la mobilisation sans relâche des forces de progrès dans l'ensemble de l'Union européenne.

Commentant le référendum français du 29 mai 2005, suivi du référendum aux Pays-Bas, M. John Monks, secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats affirmait : « Il est clair que ce vote a changé le paysage européen. Tout le monde a compris après cela qu'il fallait remettre le social au c_ur des politiques européennes. Même Tony Blair a été très sensible au vote français et c'est pour cela qu'il a lancé le débat sur le modèle social européen. Ce n'est pas non plus un hasard si le Parti populaire européen (PPE-DE) soutient les amendements de la directive Bolkestein ».

Toutefois, une analyse précise de la proposition initiale et des amendements du Parlement européen montre que ces avancées sont illusoires et que la directive est en réalité inamendable, tant ses principes sont nocifs et contraires aux intérêts et aux besoins des peuples.

Les solutions de compromis adoptées par le Parlement européen sont si ambiguës, qu'elles consistent finalement pour les députés européens à se dessaisir de leurs compétences au profit des juges de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) et d'une jurisprudence qui privilégie le principe du pays d'origine (PPO).

Dans ces conditions, il n'y a pas d'autre solution qu'un message clair, appelant au retrait d'un texte inacceptable, en cohérence avec la volonté majoritaire exprimée par les Français le 29 mai.

I.- UNE PROPOSITION INACCEPTABLE DANS SON PRINCIPE

La proposition de directive, adoptée par la Commission européenne le 13 janvier 2004 (1), et sur laquelle le Parlement européen s'est prononcé en première lecture le 16 février 2006 (2) vise plusieurs situations inégalement réglées par le droit existant :

- l'établissement d'un prestataire dans un autre État membre ;

- le déplacement temporaire d'un prestataire dans le pays de son client ;

- l'offre de services à distance ;

- le déplacement du client dans le pays d'origine du prestataire.

La proposition initiale de la Commission distingue l'établissement (défini comme « l'exercice effectif d'une activité économique, au moyen d'une installation stable du prestataire, pour une durée indéterminée ») et la prestation de services.

Ce faisant, elle décline l'article 43 du traité CE : « les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre sont interdites » ; « la liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises [...] dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants ». Ces dispositions sont d'applicabilité directe.

La libre prestation de services vise en revanche les seuls cas de fourniture transfrontalière de services sans établissement. Mais l'hésitation est parfois possible, et la jurisprudence souvent subtile. Le caractère temporaire de la prestation n'est pas clairement défini.

Cette incertitude est particulièrement problématique au regard de l'importance de l'enjeu de la proposition : l'application du principe du pays d'origine à la libre prestation de services.

En vertu de l'article 50 alinéa 3 du Traité CE « le prestataire peut, pour l'exécution de sa prestation, exercer, à titre temporaire, son activité dans le pays où la prestation est fournie, dans les mêmes conditions que celles que ce pays impose à ses ressortissants ». La jurisprudence de la CJCE a, là aussi, reconnu l'effet direct de ces dispositions du traité CE.

En matière de libre établissement, la proposition maintient le principe du pays d'accueil. Pour toute activité de service exercée au sein d'une infrastructure stable et de manière permanente par le prestataire dans un État membre, celui-ci doit respecter l'ensemble des obligations et de la réglementation en vigueur du pays de destination.

Dans une perspective de simplification administrative à outrance, la proposition prévoit l'allègement, voire la suppression des régimes d'autorisation, faisant de leur absence un principe essentiel.

Tout régime d'autorisation ne peut être qu'exceptionnel et soumis à la réunion de trois critères cumulatifs : il doit être non discriminatoire, objectivement justifié par une raison impérieuse d'intérêt général et l'objectif poursuivi ne doit pas pouvoir être réalisé par une mesure moins contraignante. Dans les cas où elle est prévue, la procédure d'autorisation est par ailleurs strictement encadrée par la proposition de directive.

La proposition de directive interdit aux États membres de subordonner l'accès à une activité de service, ou son exercice, à un certain nombre d'exigences, discriminatoires ou manifestement incompatibles avec la liberté d'établissement.

D'autres exigences, non discriminatoires, devront être évaluées pendant la période de transposition. Si elles sont nécessaires, et proportionnées à l'objectif poursuivi, les États pourront les maintenir. Dans le cas contraire, elles devront être supprimées.

Ce système soumet encore davantage les États membres aux décisions de la Commission, qui exige communication de toute nouvelle réglementation avant d'y donner ou non son aval.

Cette simplification excessive porte de lourdes menaces.

Certains régimes d'autorisation participent en effet de politiques publiques, ainsi des procédures d'autorisation préalable à l'installation des pharmaciens qui constituent un instrument de la politique de santé publique. D'autres soutiennent des libertés fondamentales, comme la carte de presse, qui contribue à garantir l'indépendance des journalistes. Par ailleurs, le principe d'autorisation tacite en cas d'absence de réponse, posé par l'article 13 de la proposition de directive va à l'encontre de la règle applicable en France. En droit français, le principe est que le silence de l'administration vaut rejet. Il a été confirmé par la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.

Concernant la prestation temporaire de services, l'article 16 de la proposition de directive, le plus controversé, dispose que : « Les États membres veillent à ce que les prestataires soient soumis uniquement aux dispositions nationales de leur État membre d'origine qui relèvent du domaine coordonné ».

Il s'agit des dispositions nationales relatives à l'accès à une activité de service et à son exercice, notamment celles qui régissent le comportement du prestataire, la qualité ou le contenu du service, la publicité, les contrats et la responsabilité du prestataire.

Lorsqu'un prestataire veut fournir ses services dans un autre État membre, sans s'y établir durablement, les seules règles auxquelles il sera donc soumis seront celles de son État membre d'origine.

C'est la marque du renoncement à toute construction européenne fondée sur une harmonisation économique et sociale par le haut, et la porte ouverte à une concurrence dommageable, notamment pour des milliers de PME et d'artisans.

Parmi les différentes dérogations générales, transitoires, et individuelles, , les principales concernent la directive de 1996 sur le détachement des travailleurs ; la directive sur la reconnaissance des qualifications professionnelles ; les règles sur le droit des contrats de la convention de Rome pour les contrats avec les consommateurs ; les exigences spécifiques liées aux caractéristiques du lieu de la prestation (ex : les règles de sécurité des bâtiments), qui sont nécessaires pour maintenir l'ordre public, la santé publique ou la protection de l'environnement. Ces dérogations ne constituent toutefois que des remparts illusoires.

La proposition de directive soulève en effet des problèmes majeurs, faisant obstacle à toute cohésion sociale.

Les risques de dumping social résultent du principe du pays d'origine lui-même, de l'articulation insuffisante de la proposition de directive avec les autres instruments communautaires, et du système de contrôle prévu, inapplicable. Ainsi, la directive sur le détachement des travailleurs ne couvre que les situations de « détachement temporaire », notion qui n'est pas clairement définie.

La généralisation du principe du pays d'origine entraînerait aussi les États membres dans une concurrence juridique dommageable. Afin d'inciter des entreprises à s'établir sur leur territoire, pour opérer ensuite dans d'autres États membres, les États pourraient être poussés à alléger les règles de protection des consommateurs ou de l'environnement.

Enfin, le Conseil d'État a dénoncé dans son avis du 18 novembre 2004 l'atteinte portée aux principes de territorialité de la loi française, et d'égalité devant la loi, qui ont valeur constitutionnelle et relèvent des conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

Un problème particulier se pose, notamment en matière pénale, dans la mesure où le champ des pratiques répréhensibles n'est pas le même partout en Europe. Dans le cas de pratiques interdites en France, mais pas dans d'autres États membres, de deux prestataires, l'un français, l'autre non, seul le premier pourrait être sanctionné par le juge pénal français. À l'inverse, une entreprise française qui fournirait des services dans d'autres États membres pourrait être jugée dans ces pays selon la loi française, mais selon une interprétation et une jurisprudence qui pourraient profondément diverger, ce qui constituerait une atteinte grave au principe d'égalité.

De ce fait, et compte tenu de la primauté du droit communautaire, l'adoption en l'état de la proposition de directive pourrait placer la France dans l'obligation d'adapter certaines dispositions de son droit pénal, ou de modifier des principes à valeur constitutionnelle.

Une telle insécurité juridique va de plus à l'encontre des objectifs de simplification pour les entreprises et de fluidité du marché, pourtant affichés par la Commission.

L'article 50 du traité définit les services comme « les prestations fournies normalement contre rémunération, dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes ». Les services comprennent aussi bien des activités de caractère industriel, commercial, artisanal, et libéral.

En pratique, tous les services publics, sauf la justice, la police et l'armée sont donc concernés par cette définition.

La proposition de directive ne prévoit que quatre dérogations explicites (article 2, champ d'application). Elles portent sur

- les services financiers (banque, crédit, assurances, retraites professionnelles ou individuelles, investissements et paiements) ;

- les services et réseaux de communications électroniques ;

- les services de transport, à l'exception des transports funéraires et des transports de fonds ;

- les services participant à l'exercice de l'autorité publique.

Les deux premières exceptions s'expliquent par l'existence de directives sectorielles, tandis que les deux dernières trouvent une base législative dans les articles du traité : sont donc exclus du champ d'application de la directive les secteurs déjà libéralisés. On peut imaginer meilleures garanties...

Dans la proposition initiale de la Commission, c'est l'État d'origine qui doit s'assurer que ses ressortissants respectent ses règles sur le territoire d'autres États membres, ces derniers n'étant pas nécessairement informés de la présence des prestataires de services, en l'absence de déclaration préalable, interdite.

L'article 24 interdit à un État membre d'accueil d'imposer à une entreprise détachant des salariés d'avoir un représentant sur place ; l'entreprise n'était pas obligée de se faire enregistrer auprès des autorités publiques, ni même de fournir une adresse légale. Les autorisations sont, sauf exception, supprimées en matière de libre établissement.

En cas de litige, les tribunaux de l'État membre d'accueil devraient contrôler l'application des règles du pays d'origine.

Comment croire que la France puisse contrôler efficacement les prestataires français délivrant leurs services dans vingt-quatre autres États membres ? Et comment envisager et admettre que notre pays ne soit pas en situation de pouvoir contrôler les prestataires lettons, portugais ou autres, offrant leurs services en France.

Les mécanismes d'assistance mutuelle, l'encouragement au développement de codes de conduite communautaires, la coopération administrative demeureront vains si les États ne peuvent identifier facilement les prestataires de services opérant sur leur territoire.

Cette situation est d'autant plus inquiétante que le système de contrôle prévu par la proposition de directive risque de multiplier les contentieux et recours, à l'encontre de l'objectif de simplification affiché.

Ce système était à la fois irréaliste (le contrôle étant concrètement impossible dans ces conditions), et problématique au regard de principes aussi fondamentaux que la souveraineté nationale ou l'égalité devant la loi. Le Conseil d'État avait mis en garde contre ces atteintes.

Cette directive exclut pour longtemps toute harmonisation du droit du travail en Europe, de la protection des consommateurs, de l'environnement. C'est la fin de toute une ambition, et le champ laissé libre aux moins disants. La Commission prend prétexte d'une trop grande hétérogénéité des situations dans les vingt-cinq États membres, et des obstacles trop nombreux à l'achèvement du marché intérieur des services, et renonce au lent travail de rapprochement des législations. Elle fait le choix de la compétition des territoires et des modèles sociaux.

Décréter la généralisation du principe du pays d'origine au nom de la confiance mutuelle est irréaliste. Cette dernière ne peut se fonder que sur une lente harmonisation par le haut des législations.

Outre une harmonisation à la baisse des législations, la directive risque aussi d'entraîner une modification profonde des rapports sociaux. Quel sens pourrait alors garder le droit de grève, même sans remise en cause formelle, si le dumping social se généralise ?

Rappelons que la commission de l'emploi et des affaires sociales du Parlement européen avait largement rejeté le projet initial de la Commission (32 pour, 6 contre, 9 abstentions), votant un texte vidant le principe du pays d'origine de son contenu, puisqu'il ne devait être applicable que lorsque préexistait une harmonisation minimale entre les règles prévues par les différents États membres. À défaut, les parlementaires avaient souhaité que les États membres de destination déterminent les conditions d'accès et d'exercice du service.

Le renoncement induit par cette proposition de directive, qui fait de la concurrence la règle et de la sauvegarde des acquis des exceptions à justifier au cas par cas est d'autant plus dangereux que l'article 15 de la proposition initiale plaçait les législations nationales sous le contrôle de la Commission, obligeant les États membres à lui communiquer les projets de modifications réglementaires ou législatives rendues nécessaires pour l'application de la directive. La Commission pouvait alors prendre une décision demandant à l'État membre concerné de les supprimer. Il y a là une mise sous tutelle inacceptable contre laquelle le Parlement européen s'est élevé. Il n'y a à ce jour aucune garantie que la Commission prenne en compte cette protestation.

La proposition de directive relative aux services dans le marché intérieur s'intègre dans la stratégie de Lisbonne, définie au Conseil européen des 23 et 24 mars 2000 et qui prétend faire de l'Union européenne l'économie de la connaissance la plus compétitive du monde d'ici 2010. Alors que s'engage le cycle actuel de négociation sur les services à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), les chefs d'État et de gouvernement des Quinze demandent à la Commission de s'attaquer au marché intérieur des services.

Au printemps 2001, les lignes directrices de négociation du cycle global de Doha sont adoptées. La Commission européenne recense les obstacles à la libéralisation du marché des services. Notons le manque de rigueur de ce recensement impressionniste, la rareté des études économiques proposées par la Commission, et une absence quasi totale d'études d'impact sectorielles, malgré les demandes et les promesses répétées.

Le 13 février 2003, le Parlement européen adopte une résolution se félicitant des « propositions visant à créer un instrument horizontal pour garantir la libre circulation des services » et approuvant le principe du pays d'origine.

Le 13 janvier 2004 enfin, le rapport de la direction générale marché intérieur est soumis à la Commission réunie en collège. Il est approuvé par tous les commissaires après très peu de débats, selon Margot Wallström, actuellement vice-présidente de la Commission.

De février à mai 2004 se tiennent six réunions du comité des représentants permanents, le Coreper ; à aucun moment le texte n'est remis en cause. En mars puis en novembre 2004, la proposition de directive est présentée aux ministres européens en charge du marché intérieur et aux chefs d'État et de gouvernement. Ils estiment que l'examen du projet doit être une priorité absolue.

Le 5 juin 2004, dans le cadre du Forum social, l'ensemble des syndicats belges et le mouvement altermondialiste rassemblent plusieurs milliers de manifestants à Bruxelles. La presse dénonce « une véritable bombe contre le modèle social européen ». La Confédération européenne des syndicats se déclare « préoccupée ».

Le 11 novembre 2004, le Parlement européen organise une audition d'experts sur la directive. Les ordres professionnels font déjà le siège des députés.

Attac proteste : « des services essentiels comme l'éducation, les soins de santé et tous les services relevant des systèmes nationaux de protection sociale pourraient être soumis aux mêmes formes de concurrence économique que les marchandises ». Les associations familiales dénoncent un texte qui ne tient aucun compte de la spécificité des services aux familles et aux personnes tels que ceux actuellement développés dans le domaine sanitaire et social par des structures associatives.

En réponse une question de M. Jean-Claude Lefort, député, le 2 décembre 2004, à l'Assemblée nationale, Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux Affaires européennes, déclarait notamment que « cette proposition de directive justifie un accueil globalement positif », et qu'« il faut une harmonisation préalable avant toute application du principe du pays d'origine ».

En janvier 2005, dans un document de travail, Mme Evelyne Gebhardt, rapporteure de la commission du marché intérieur (IMCO) du Parlement européen, considère que la directive services devrait plutôt préparer l'harmonisation ou la reconnaissance mutuelle à un haut niveau de qualité. Mme Gebhardt déclare : « La Commission dit que c'est compliqué d'harmoniser, qu'il faudrait trente directives. Pourquoi pas ? ». À la fin du mois, les autres commissions spécialisées du Parlement européen commencent à examiner la proposition.

En France, le Conseil économique et social rend le 19 janvier 2005 un avis très critique à l'encontre de la proposition de directive services. Il dénonce l'absence d'étude d'impact et appelle au « respect de quelques principes de base comme la poursuite de la coordination et de l'harmonisation réglementaire, la préservation du modèle social européen ». Il dénonce « une rupture » dans le processus de construction du marché intérieur reposant de longue date « sur l'harmonisation par le haut des droits nationaux, secteurs par secteurs ».

M. Michel Barnier, ministre des Affaires étrangères, demande le 31 janvier 2005 « la remise à plat » de la proposition qu'il avait soutenue en tant que commissaire. Le 2 février 2005, en réponse à une question au Gouvernement de M. Pierre Cohen, le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin déclare : « cette directive est inacceptable [...] Nous utiliserons tous les moyens dont nous disposons pour nous opposer à cette directive : tel est le message donné par M. le Président de la République ce matin en Conseil des ministres ».

Le même jour, la Délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale adopte à l'unanimité, sur le rapport de Mme Anne-Marie Comparini une proposition de résolution considérant « que ce projet de directive est inacceptable et [demandant] résolument son retrait pour une remise à plat ».

Le 10 février 2005, c'est au tour de l'Association des maires de France de juger le texte « inacceptable en l'état » et de demander « l'exclusion des services d'intérêt général, qu'ils soient ou non économiques, du champ d'application » de cette directive, « contraire aux principes de subsidiarité et de cohésion sociale et susceptible de porter atteinte à la cohésion territoriale ». M. Jacques Pélissard (UMP) souhaite qu'une directive cadre sur ce thème précède toute directive générale sur les services.

M. Poul Nyrup Rasmussen, président du Parti socialiste européen (PSE), affirme que « la directive a été mal conçue depuis le début, en mélangeant la libéralisation de services qui n'ont rien à voir entre eux, des professions réglementées aux soins de santé. Une révision partielle de la proposition de directive n'est tout simplement pas suffisante ».

Dans le même temps, Mme Danuta Hübner, commissaire européen en charge des politiques régionales déclare : « Prévenir les délocalisations, en France ou en Allemagne par exemple, les stopper par des règles artificielles travaillerait contre la compétitivité des entreprises. Ce que nous devons faire, au contraire, c'est faciliter les délocalisations au sein de l'Europe. Ainsi, les sociétés européennes seront globalement plus fortes, car elles pourront abaisser leurs coûts ».

La Commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale examine le 1er mars 2005 le rapport de M. Robert Lecou sur la proposition de résolution présentée par la Délégation pour l'Union européenne. Après des discussions difficiles, la Commission renonce à réclamer le retrait de la proposition de directive, pour se contenter de souhaiter la réécriture.

Le 3 mars 2005, M. Charlie Mc Creevy déclare que la Commission européenne souhaite l'exclusion de la santé et de tous les services d'intérêt général financés publiquement, une bonne articulation avec la directive sur le détachement des travailleurs et la clarification du principe du pays d'origine. M. Philippe de Buck, secrétaire de l'UNICE (la représentation du patronat européen) s'inquiète de la révision de la directive : « le principe du pays d'origine est un élément clé du marché intérieur ».

Le 7 mars 2005, le chancelier allemand Gerhard Schröder rassure : « [Le Président français et moi-même] préférerions que le projet ne soit pas seulement modifié, mais qu'on en formule un nouveau ou qu'il y ait une version profondément transformée ».

Le 8 mars 2005, M. Charlie Mc Creevy intervient au Parlement européen. Il apparaît que la Commission n'a aucune intention de retirer la proposition de directive.

La commission des affaires économiques du Sénat adopte à son tour le 9 mars 2005 une proposition de résolution demandant « la réécriture » de la proposition de directive. Elle se prononce contre un retrait pur et simple, en dépit des nombreux aspects inacceptables, estimant qu'il convient de conserver un texte sur le marché intérieur des services.

Le 9 mars 2005, le Parlement européen adopte par 514 voix pour, 110 contre et 20 abstentions une résolution très fade sur la révision à mi-parcours de la stratégie de Lisbonne. Il souligne le rôle des services d'intérêt général dans la promotion de l'insertion sociale, de la cohésion territoriale et d'un marché intérieur plus efficace et invite le Conseil européen de printemps à s'engager à adopter un cadre juridique communautaire sur les services d'intérêt général afin de garantir leur qualité et leur accès à tous les Européens, étant entendu que les principes de subsidiarité et de proportionnalité doivent s'appliquer aux services d'intérêt général.

M. José Manuel Barroso, président de la Commission précise beaucoup plus clairement, le 14 mars que « si nous devons avoir un marché unique des services, il devra être basé essentiellement sur le PRINCIPE DU PAYS D'ORIGINE. Nous n'abandonnerons pas ce principe ».

Le 15 mars 2005 à l'Assemblée nationale, en réponse à une question de M. Jean-Claude Sandrier, le ministre de l'Emploi, du Travail et de la Cohésion sociale, M. Jean-Louis Borloo affirme que « la France demande l'examen d'une nouvelle directive sur la base d'un consensus sur le modèle social européen ».

L'Assemblée nationale adopte le même jour une résolution refusant de conclure au retrait de la directive, malgré une accumulation d'objections fondamentales. Les groupes UMP et UDF votent pour, les groupes communiste et socialiste votent contre.

La ministre Claudie Haigneré indique que le Gouvernement a lancé une série d'études d'impact sectorielles sur l'application du texte.

Présentant son rapport public le lendemain, le Conseil d'État rend public l'intégralité de son avis sur le projet de directive, remis le 18 novembre 2004 au Gouvernement. Critiquant les conséquences de l'application généralisée du principe du pays d'origine, le Conseil d'État note le risque « particulièrement élevé » d'une « multiplication des procédures contentieuses », contraire à l'objectif d'achèvement du marché intérieur. Il met en garde contre des atteintes aux principes d'égalité devant la loi, et de souveraineté nationale. Il recommande d'inverser la logique et de dresser une liste positive de cas dans lesquels le principe du pays d'origine pourrait être appliqué dans des conditions satisfaisantes plutôt que de le généraliser.

Le 19 mars 2005, une grande manifestation à Bruxelles à l'appel de la Confédération européenne des syndicats et de l'ensemble des syndicats français à l'exception de Force ouvrière (FO), rassemble plus de soixante mille manifestants.

M. John Monks, secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats (CES) proclame : « nous ne voulons pas de ... ce Frankestein de directive qui, si elle était entérinée, ouvrirait une course vers le bas, rabaissant le niveau des salaires, des conditions de travail, des services publics, plutôt que de construire une Europe aux normes élevées ».

Les dirigeants des nouveaux États membres réaffirment leur attachement à la proposition de directive. Le Premier ministre suédois, M. Göran Persson demande le 22 mars 2005 que la Commission européenne retire sa proposition de directive sur les services. Quant au premier ministre britannique, M. Tony Blair, il estime qu' « il y aura des amendements, mais ils ne devraient pas affecter ce qui constitue l'essentiel de la directive ».

Le Conseil européen réuni à Bruxelles les 22 et 23 mars 2005 rappelle que la directive ne sera pas retirée ; seule la Commission peut le faire, et le texte doit rester sur l'agenda européen de la stratégie de Lisbonne. Il faut retravailler le texte pour parvenir à un consensus. Le marché des services doit préserver le modèle social européen.

La directive Bolkestein devenue un enjeu majeur de la campagne référendaire, France 2 déprogramme une émission prévue avec M. José Manuel Barroso.

La Commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale rejette la création d'une commission d'enquête sur l'ouverture à la concurrence des services publics de l'énergie, des postes et télécommunications et des transports ferroviaires, demandée par M. Daniel Paul et le groupe des député-e-s communistes et républicains.

Se voulant rassurante, Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes répond le 29 mars 2005 à une question de votre rapporteur que « la proposition de directive sera remise à plat en vue de prévenir toute atteinte au modèle social européen et aux services publics ».

Le 6 avril 2005, une filiale de l'entreprise de BTP lettone L-P Baltic, dont les chantiers de Vaxholm avaient été bloqués, légalement, pendant plus de trois mois par les syndicats suédois pour cause de dumping salarial a fait faillite. Les salaires de certains ouvriers étaient quatre fois inférieurs à ceux versés par les entreprises suédoises.

La commission du marché intérieur (IMCO) du Parlement européen se réunit le 19 avril.

Mme Evelyne Gebhardt propose une distinction entre les services couverts par la directive et les services d'intérêt général qui devraient faire l'objet d'une directive distincte ; précise que la directive ne concerne pas le droit du travail, ni la santé ; propose que le principe de reconnaissance mutuelle ne s'applique pas aux dispositions juridiques ou conventionnelles du pays de destination en matière de protection des consommateurs, ni de protection de l'environnement. Propose que ce soit le pays de destination qui se charge du contrôle du prestataire et des services qu'il fournit, au lieu du pays d'origine.

Le 29 mai 2005, le peuple français se prononce par référendum contre le traité établissant une constitution pour l'Europe, rejeté à une nette majorité.

Le 1er juin 2005 aux Pays-Bas, le non l'emporte également par référendum, à 63 %.

Le 16 juin 2005, le gouvernement français dépose un amendement prétendument « anti-Bolkestein » au projet de loi en faveur des PME au Sénat, créant un nouveau chapitre au code du travail, sur le détachement transnational des travailleurs.

Lors de son intervention télévisée du 14 juillet 2005, le Président de la République proclame : « Le modèle social français [...] c'est une harmonisation permanente vers le haut ».

« Il faut faire attention qu'à l'occasion de l'incertitude créée [par le résultat du référendum] on ne voit par ressortir des directives qui nous inquiéteraient. Je pense à la directive " services " ou à la directive " temps de travail ". Il ne faudrait pas qu'elles ressortent en raison du flou actuel. J'y serai naturellement très attentif ».

En octobre 2005, la Commission européenne annonce qu'elle prendra position contre la Suède à propos de l'affaire Vaxholm, devant la CJCE.

« La Commission européenne doit comprendre qu'il n'y aura pas de directive sur les services si elle ne protège pas du dumping social » réagit le ministre suédois de l'Économie.

Le 24 novembre 2005 a lieu le vote en commission du marché intérieur au Parlement européen ; le principe du pays d'origine est maintenu, avec quelques exclusions sectorielles.

La Délégation pour l'Union européenne présidée par Pierre Lequiller se réunit à Bruxelles le 30 novembre 2005 avec les députés français au Parlement européen, et rencontre Mme Gebhardt, qui reproche aux élus UMP et UDF d'avoir voté contre ses amendements qui tentaient d'empêcher que le principe du pays d'origine régisse l'exercice d'une activité de service, et d'exclure les services d'intérêt économique général du champ de la directive.

Juste après la conférence ministérielle de Hong-Kong (OMC), la Commission présente le 22 décembre 2005 une étude affirmant que la libéralisation des services publics est bénéfique et profite aux consommateurs, aussi bien en termes de tarifs qu'en qualité du service rendu.

Le 31 décembre 2005, le Gouvernement inscrit par décret les jeux d'argent au nombre des secteurs stratégiques du patrimoine économique français, alors qu'ils entrent dans le champ de la proposition de directive.

Contrecoup de la mobilisation contre la proposition de directive « services », se tient le 26 janvier 2006 une conférence au Parlement européen sur la directive « détachement » de 1996, qui doit faire prochainement l'objet d'un bilan avant révision. La députée écologiste allemande, Mme Elisabeth Schröder est chargée d'un rapport.

Le Parlement européen et les parlements nationaux débattent le 1er février 2006 de la stratégie de Lisbonne. Selon le chancelier autrichien, qui assure la présidence de l'UE : « si une ample majorité sur cette directive se dégage à l'issue du vote en plénière en février au Parlement européen, une solution sera trouvée sur cette base, mais si tel n'est pas le cas, il n'y aura pas de nouvelle proposition ».

Les commissaires Mme Danuta Hübner et M. Joaquin Almunia plaident toujours pour la généralisation du principe du pays d'origine.

Le 2 février 2006, à quinze jours de l'examen de la proposition de directive au Parlement européen, la Commission émet finalement, dans l'affaire Vaxholm, un avis favorable au respect des conventions collectives négociées entre employeurs et syndicats.

Le 7 février 2006, le PSE présente son projet de directive cadre sur les services publics.

Mme Evelyne Gebhardt et M. Malcom Harbour font état le 9 février 2006 d'un compromis PSE-PPE sur la proposition de directive.

L'expression « principe du pays d'origine » disparaît ; il s'agit maintenant de décrire ce que les États membres doivent faire ou ne pas faire en cas de prestation de services temporaires : assurer un accès et un libre exercice de leur activité aux prestataires de services sur leur territoire, sans restrictions excessives. Les services d'intérêt économique général ne sont pas exclus du champ de la directive.

Six États membres (Royaume-Uni, Espagne, Pologne, Pays-Bas, République tchèque et Hongrie) mettent en garde la Commission contre une dilution de la directive services.

Par ailleurs, la Commission dresse alors un bilan positif de l'arrivée de travailleurs venus des dix États membres entrés dans l'Union en mai 2004, qui n'a pas perturbé les marchés du travail des anciens membres.

La mobilisation sociale ne faiblit pas : le 11 février 2006, 10 000 manifestants à Strasbourg, 30 000 à Berlin, défilent contre le projet de directive, et plus de 40 000 le 14 février à Strasbourg, avant le vote du Parlement européen les 14 et 16 février 2006. La dernière version du compromis PPE-PSE est adoptée.

Tirant le bilan de cette manifestation le 22 février 2006 devant l'Assemblée nationale, Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux Affaires européennes, soutient qu' « il n'y a donc plus aujourd'hui de risque de dumping social. C'est heureux, car ce n'était pas l'Europe que nous voulions. Non seulement il n'y a plus aujourd'hui de directive Bolkestein mais il n'y en a jamais eu ! ». Démentant cet optimisme, M. John Monks, secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats, écrit : « La bataille n'est pas terminée. [...] Nous ne devons pas nous démobiliser sur ce thème. Il y a des points à défendre, des questions pour lesquelles nous devons chercher de meilleures réponses, soit dans le cadre de la directive sur les services, soit dans d'autres dossiers qui y sont liés, et donc, d'autres batailles à livrer ».

II.- UN REMÈDE PIRE QUE LE MAL ?
LE COMPROMIS DU PARLEMENT EUROPÉEN : DES AVANCÉES TRÈS INSUFFISANTES

Le projet de directive remanié prétend supprimer le « principe du pays d'origine » en ce qui concerne les règles d'exécution du travail, principe qui avait alimenté le mythe de bataillons de plombiers polonais venant travailler en France aux conditions sociales de leur pays, pendant la campagne référendaire sur le traité établissant une constitution pour l'Europe.

Il établit le principe de la liberté d'établissement et de la libre prestation de services entre deux pays avec obligation pour le pays d'accueil de simplifier les formalités administratives.

Il distingue l'accès à une activité et son libre exercice.

Les conditions d'accès à une activité sont définies par le pays de premier établissement (ou pays d'origine). Tout prestataire autorisé à proposer ses services dans un État membre doit être également autorisé à le faire dans les autres États membres.

En revanche, les conditions d'exercice d'une activité sont celles du pays où cette activité s'exerce (ou pays d'accueil).

Le début du nouvel article 16 est ainsi rédigé :

« 1. Les États membres respectent le droit des prestataires de services de fournir un service dans un État membre autre que celui dans lequel ils sont établis.

L'État membre dans lequel le service est fourni garantit le libre accès à l'activité de service ainsi que son libre exercice sur son territoire ».

Suivent la liste des contraintes que les États membres ne peuvent imposer aux prestataires de services, et des quelques garanties qu'ils sont autorisés à maintenir.

« Nous avons obtenu que la règle soit celle du pays de destination, assurait Mme Evelyne Gebhardt (PSE). Certes, ce n'est pas écrit, mais nous avons retiré le principe du pays d'origine ».

Quant à M. Malcolm Harbour (PPE), il rassurait la droite du Parlement européen, minimisant les concessions faites aux socialistes : « Au vu de la jurisprudence européenne, c'est le principe du pays d'origine qui s'appliquera ». M. Graham Watson, président du groupe libéral, confirmait que « le compromis PSE-PPE sur le principe de libre circulation des services équivaut au principe du pays d'origine. »

La première ambiguïté tient au refus d'inscrire dans le texte de la directive le principe du pays de destination. Tous les amendements présentés en ce sens ont été rejetés, notamment le plus clair, proposé par le groupe GUE/NGL, qui proposait de remplacer l'article 16 de la proposition de directive par quelques lignes simples : « Les États membres veillent à ce que les prestataires soient soumis aux dispositions, réglementations et accords collectifs de l'État membre de destination en ce qui concerne l'accès à une activité de service et l'exercice de cette activité ». Cet amendement n°321 a été rejeté par 527 voix contre, 105 pour et 4 abstentions. La Gauche unitaire européenne (GUE) est le seul groupe dont tous les membres ont voté pour ce principe. Aucun député du groupe PPE-DE n'a voté pour. Les raisons de ce refus s'imposent d'évidence.

Rien n'est prévu non plus en faveur de l'harmonisation sociale vers le haut ; au contraire sont réunies toutes les conditions d'une concurrence dommageable et de la poursuite de délocalisations des sièges sociaux vers des pays où les conditions de travail et d'emploi seront plus faibles, où les collectivités publiques offriront le plus d'avantages : ce qui entraînera à terme, des difficultés pour l'État et les collectivités locales pour accomplir leurs missions.

D'autre part, le principe du pays d'origine reste inscrit dans les considérants de la proposition :

- considérant 6 : « il convient de prévoir une combinaison équilibrée de mesures relatives à l'harmonisation ciblée, à la coopération administrative, aux règles du pays d'origine et à l'incitation à l'élaboration de codes de conduite sur certaines questions » ;

- considérant 40 bis : « les règles du pays d'origine ne s'appliquent pas aux dispositions des États membres où le service est fourni qui réservent une activité à une profession particulière, par exemple l'exigence qui réserve le conseil juridique aux seuls avocats ».

Ensuite, la directive s'applique « sans préjudice du droit international privé, notamment le droit international privé régissant les liens d'obligation contractuels et non contractuels (conventions dites Rome I et Rome II) » (article 3.2) : des contrats fondés sur le principe du principe du pays d'origine sont donc possibles. Dans le cas des relations entre entreprises et consommateurs, la directive indique que c'est le droit du pays du consommateur qui s'applique. Mais dans le cas des contrats entre entreprises, le droit international privé (Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles) laisse en effet le libre choix du droit applicable aux parties contractantes. En l'absence de choix explicite, c'est le droit du pays d'origine qui s'applique entre l'entreprise prestataire et son client.

Enfin, la suppression du principe du pays d'origine n'est que de façade si le contrôle du respect des règles du pays d'accueil est impossible.

C'est sur les restrictions au champ d'application apportées par les députés européens que les avancées sont les plus nettes. À supposer que ces amendements subsistent lors des prochaines étapes de la procédure, ces exclusions restent cependant dangereusement ambiguës. Le cas des services d'intérêt économique général n'est pas réglé.

Rappelons d'emblée que 52 amendements de dérogations proposés par la Gauche unitaire européenne (GUE) aux articles 2 et 17 ont été rejetés par la droite du Parlement, qui a toutefois apporté les précisions suivantes :

i. Articulation avec d'autres instruments juridiques

La directive n'affecte théoriquement pas :

- le droit pénal des États membres ;

- les droits fondamentaux reconnus par la Charte des droits fondamentaux de l'UE (notamment droit de grève et droit syndical) ;

- le droit du travail (dispositions légales ou contractuelles) ;

- les règles nationales de sécurité sociale ;

- la promotion de la diversité culturelle ou linguistique, ni le pluralisme des médias.

En cas de conflit de normes, priment en théorie sur la directive « services » :

- la directive 96/71/CE sur le détachement des travailleurs ;

- le règlement 1408/71/CE sur la sécurité sociale ;

- la directive de décembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles ;

- le droit communautaire sectoriel ;

- le droit international privé (notamment les conventions dites Rome I et Rome II).

ii. Exclusions sectorielles

- les services d'intérêt général ;

- les services sociaux ;

- les services qui poursuivent un objectif d'aide sociale ;

- les services de crédit ;

- l'ensemble des services de transport, y compris donc le transport de fonds, de personnes décédées, les transports urbains, taxis et ambulances ;

- les services portuaires ;

- les agences de travail temporaire ;

- les services juridiques déjà régis par le droit communautaire, notamment les services d'avocats ;

- les professions et activités qui participent à l'exercice de l'autorité publique (notamment les notaires) ;

- les services de sécurité ;

- les services audiovisuels ;

- les activités de jeux d'argent.

La clarification de ces ambiguïtés est une exigence essentielle. Ne serait-ce qu'en France, des millions d'usagers de ces services et de salariés de ces entreprises sont concernés.

* Le logement

Le dispositif d'exclusion du logement social n'est pas clair. En effet, le Parlement a adopté d'une part l'amendement n°252 du groupe PSE à l'article 2, qui exclut du champ d'application de la directive « les services sociaux, tels que les services de logement social, les services de garde d'enfants et les services familiaux », et d'autre part le considérant 7 ter (nouveau) indique que « la présente directive ne couvre pas le financement des logements sociaux, ni le système d'aides qui y est lié. Elle ne porte pas atteinte aux critères ou conditions fixés par les États membres pour assurer que les services de logements sociaux exercent effectivement une fonction dans un souci d'intérêt public et de cohésion sociale ».

Plusieurs incertitudes subsistent donc :

- qu'en est-il des services sociaux autres que les trois expressément mentionnés ?

- qu'en est-il de la gestion, au-delà du financement de ces services ?

- quelle sera la conception du « social » effectivement retenue par la CJCE, puisque toutes les garanties affichées par la directive doivent être conciliées avec le respect de la concurrence. Alors que la majorité a souhaité récemment élargir le champ du logement social pendant les débats sur l'Engagement national sur le logement, il n'est pas sûr que la Commission puis la CJCE en aient une conception aussi vaste...

* La culture

Le Parlement européen a certes voté l'exclusion du cinéma et de l'audiovisuel du champ de la directive, mais la culture ne se réduit pas à ces deux seuls secteurs.

La commission de la culture et de l'éducation du Parlement européen avait demandé, sur le rapport de Mme Marie-Hélène Descamps, du 22 avril 2005, l'exclusion des services de presse, des services culturels, des services des sociétés de gestion collective des droits de propriété intellectuelle et des services d'édition et de distribution de la presse écrite et électronique, outre l'exclusion de l'audiovisuel. Qu'adviendra-t-il par exemple des règles mises en place par la France pour l'octroi de la carte de journaliste, et des exigences déontologiques qui en sont le principe ?

La commission demandait également une dérogation pour l'enseignement supérieur.

Ces différentes dérogations n'ont pas été retenues.

Force est donc de reprendre son affirmation, partagée par tous : « l'Union européenne est plus qu'un marché, plus qu'une carte de géographie, c'est une histoire, une culture, et la culture n'est pas une marchandise ».

Ce n'est pas l'opinion du Parlement européen, qui a préféré voter un considérant 10 bis nouveau indiquant que si « l'encadrement des services audiovisuels doit donc tenir compte de considérations revêtant une importance culturelle et sociale, qui rendent inappropriée l'application des dispositions de la présente directive », c'est dans le respect « notamment des règles de concurrence ».

- Les activités sportives sont exclues du champ d'application, mais par un considérant seulement, et non par une mention dans le corps même de la directive. De plus, l'exclusion ne vaut que pour le monde sportif amateur.

* La santé

En ce qui concerne la santé, si le Gouvernement considère que l'exclusion est totale, des amendements contradictoires ont toutefois été adoptés aux articles 1 et 2 : exclusion des services publics de soins de santé, de l'accès au financement public des fournisseurs de santé OU des services de santé dans leur ensemble ? La perplexité augmente encore à la lecture du considérant issu de l'amendement 304 précisant quels services de santé sont exclus : « L'exclusion des soins de santé couvre les services de soins de santé et pharmaceutiques fournis par des professionnels aux patients pour évaluer, maintenir ou rétablir leur état de santé lorsque ces activités sont réservées à une profession réglementée dans l'État membre dans lequel ces services sont fournis ».

Surtout, en ce domaine comme en d'autres, les avancées du Parlement doivent être beaucoup relativisées. En effet, la proposition de directive ne fait souvent que transposer la jurisprudence de la CJCE. Que des secteurs soient exclus de cette directive ne signifie pas qu'ils soient épargnés par la libéralisation.

La directive Bolkestein prévoyait ainsi de supprimer les obstacles au remboursement des soins médicaux des patients qui voyagent : suppression des autorisations préalables pour les soins non hospitaliers et remboursement des soins hospitaliers au tarif le plus favorable pour le patient. Cela résulte de la jurisprudence de la CJCE.

M. Malcolm Harbour a déclaré que le PPE acceptait que ces dispositions ne figurent plus dans la directive services, mais souhaitait que la Commission propose un nouveau texte. C'est d'ailleurs ce que le Parlement a demandé à la Commission en juin 2005, en adoptant le rapport du conservateur britannique M. John Bowis ; ces questions seront traitées par le commissaire à la santé.

La directive sur la reconnaissance des qualifications professionnelles, actualisée en 2005 autorise déjà les médecins à effectuer librement des prestations s'ils sont légalement établis dans un autre État membre, à la seule condition de remplir une déclaration préalable annuelle, de faire la preuve de ses diplômes et de respecter le droit pénal du pays de destination. Or si les formations des généralistes sont harmonisées, ce n'est pas le cas de celles des spécialistes.

* Les transports

Alors que l'amendement n°306 à l'article 2 exclut l'ensemble des transports, le considérant 12 modifié par l'amendement n°20 indique que « les services de transports de fonds ou de transports des personnes décédées sont inclus dans le champ d'application de la présente directive étant donné que des problèmes de marché intérieur ont été constatés dans ces domaines ».

* Les droits fondamentaux et le droit pénal

Les amendements votés par le Parlement atteignent sur certains points des sommets d'ambiguïté, voire de contradiction.

Le considérant 12 bis nouveau indique quant à lui que « les règles de droit pénal ne devraient pas être affectées par la présente directive. Toutefois, les dispositions de droit pénal ne devraient pas être mal appliquées dans le but de contourner les règles établies dans la présente directive ».

Le considérant 7 quinquies nouveau affirme dans une première phrase que « la présente directive doit être interprétée de façon à concilier l'exercice des droits fondamentaux tels que reconnus dans les États membres et par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne avec les libertés fondamentales définies à l'article 43 et à l'article 49 du traité », c'est-à-dire les articles relatifs à la liberté d'établissement et à la libre prestation de services, autrement dit la libre concurrence.

Les services économiques d'intérêt général tels que la poste, la distribution d'eau ou d'énergie, le traitement des déchets ou les services sociaux à caractère économique restent en revanche partiellement inclus dans le champ de la directive dont la gauche voulait les exclure. « La pilule est peut-être un petit peu amère sur ce plan-là », a reconnu Mme Gebhardt.

Le nouvel article 16 (dispositif qui remplace le principe du pays d'origine) ne s'applique pas à ces services. Quelle concession peut-on voir là, alors que ces secteurs sont déjà libéralisés par d'autres directives sectorielles ?

De plus, l'amendement 400 qui apporte ces apparentes garanties n'implique qu'une exclusion partielle du champ de la directive. En effet, s'appliquent à ces secteurs les mesures de simplification administrative, et celles concernant les autorisations et exigences interdites ou à évaluer, ainsi que les règles sur la qualité des services.

Il n'y a là rien d'étonnant quand on connaît la position de la Commission sur les services publics. Dans son rapport sur les services d'intérêt général, fait à l'occasion du Conseil européen de Laeken, fin 2001 la Commission indiquait qu'il n'est « pas possible d'établir a priori une liste définitive de tous les services d'intérêt général devant être considérés comme non économiques ». C'est ce que M. Philippe Herzog nommait « la zone grise ». Seules les activités les plus régaliennes échappent à la définition de l'activité économique par la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE).

Le mode d'organisation des services publics, « Du fait qu'il repose sur une division du marché commun selon des frontières nationales, est a priori incompatible avec les règles communautaires de la concurrence, ce qui ressort de plus en plus clairement de la jurisprudence de la Cour. Il s'agit donc d'une structure qui a tendance à favoriser les abus de position dominante. Elle restreint ainsi la libre prestation des services et la libre circulation des marchandises. Elle s'accompagne en outre souvent de discriminations fondées sur la nationalité ».

M. Daniel Paul le rappelait dans son rapport sur la proposition de résolution du groupe communiste et républicain tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'ouverture à la concurrence des services publics dans les secteurs de l'énergie, des postes et télécommunications et des transports ferroviaires : dès 1992, dans son 22ème rapport sur la politique de concurrence, la Commission estimait que le mode d'organisation des services publics n'était pas compatible avec le développement du marché intérieur.

L'amendement 73 peut bien préciser que la présente directive ne s'applique pas aux services d'intérêt général tels que définis par les États membres, ces services d'intérêt général ne comprennent pas les services d'intérêt économique général. La Commission refusant par ailleurs de définir clairement l'étendue respective des services d'intérêt général et des services d'intérêt économique général, on peut véritablement s'interroger sur la portée de cette exclusion.

Le Parlement a exprimé le souhait de renverser la charge du contrôle de l'activité des prestataires de services. Elle incombe dorénavant à l'État membre d'accueil, qu'il s'agisse de nationaux ou de ressortissants d'autres États membres. Il y a là un progrès conforme en apparence aux demandes de l'Assemblée nationale et du Gouvernement français.

En réalité, l'amélioration apportée est faible : dans la mesure où le principe du pays d'origine subsiste, on va désormais demander à la France de contrôler qu'une entreprise portugaise applique bien le droit portugais sur le territoire français !

Aucune réponse n'est donc apportée aux objections formulées par le Conseil d'État, relatives à l'égalité devant la loi et à la souveraineté nationale.

Le régime d'autorisation change peu par rapport au projet de la Commission.

L'article 9 relatif aux régimes d'autorisation en matière de liberté d'établissement ne subit que des modifications formelles. Les États membres ne peuvent subordonner l'établissement de prestataires de services qu'à des régimes d'autorisation non discriminatoires, justifiés par des raisons impérieuses d'intérêt général, et seulement si l'objectif poursuivi ne peut être réalisé par une mesure moins contraignante.

En ce qui concerne la libre prestation de services (sans établissement), le nouvel article 16 interdit en effet aux États membres de subordonner l'accès à une activité de service ou son exercice sur leur territoire à des exigences qui ne satisfont pas aux principes suivants :

a.

la non-discrimination : l'exigence ne peut être directement ou indirectement discriminatoire en étant fondée sur la nationalité ou, en cas de personnes morales, l'État membre dans lequel elles sont établies,

b.

la nécessité : l'exigence doit être justifiée pour des raisons d'ordre public ou de sécurité publique ou de protection de la santé et de l'environnement,

c.

proportionnalité : les exigences sont propres à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi, elles ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif.

Il interdit également aux États membres de restreindre la libre circulation des services fournis par un prestataire établi dans un autre État membre. Cette interdiction de principe, qui découle du traité CE se traduit notamment par l'interdiction faite aux États d'imposer les exigences suivantes :

a.

l'obligation pour le prestataire d'avoir un établissement sur leur territoire ;

b.

l'obligation pour le prestataire d'obtenir une autorisation de leurs autorités compétentes, y compris une inscription dans un registre, une organisation professionnelle ou une association sur leur territoire, sauf dans les cas visés par la présente directive ou par d'autres instruments de la législation communautaire ;

c.

l'interdiction pour le prestataire de se doter sur leur territoire d'une certaine infrastructure ;

d.

l'application d'un régime contractuel particulier entre le prestataire et le destinataire qui empêche ou limite la prestation de services à titre indépendant ;

e.

l'obligation pour le prestataire de posséder un document d'identité spécifique à l'exercice d'une activité de service délivré par leurs autorités compétentes ;

f.

les exigences affectant l'utilisation d'équipements et de matériels qui font partie intégrante de la prestation de son service, à l'exception des dispositions relatives à la santé et à la sécurité au travail.

Ces interdictions étant posées, les États membres conservent le droit d'imposer des exigences concernant la prestation de services pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique, de protection de l'environnement et de santé publique, ainsi que celui d'appliquer leur réglementation concernant les conditions d'emploi, pour autant qu'elles sont conformes au droit communautaire.

Le contraste est révélateur entre la précision de cette liste d'interdictions et la définition plutôt floue des situations qui peuvent justifier des mesures protectrices.

Plusieurs considérants expriment clairement la philosophie de ces amendements : « Les dispositions en matière de procédures administratives ne visent pas à l'harmonisation de ces dernières mais ont pour objectif de supprimer les régimes d'autorisation, les procédures et les formalités » (Considérant 21 bis) ; « ces régimes d'autorisation et ces restrictions ne peuvent [...] être conçus de façon à entraver des services transfrontaliers qui répondent aux exigences des États membres. En outre, les principes de nécessité et de proportionnalité doivent toujours être respectés » (considérant 27 quinquies).

Qui appréciera si les raisons impérieuses d'intérêt général évoquées n'entravent pas les échanges ? La CJCE.

Or celle-ci a par exemple jugé que si les informations fournies dans les documents exigés par l'État d'établissement (d'origine) sont suffisantes pour assurer les contrôles dans l'État d'accueil, celui-ci ne peut imposer l'application de ses propres formalités (CJCE Finalarte 25 octobre 2001).

De même, aucune autorisation de travail ne peut être exigée des ressortissants d'États tiers régulièrement employés dans un autre État membre (CJCE Vander Elst 9 août 1994). Ces formalités sont contrôlées par le juge au prisme du principe de proportionnalité.

Différentes mesures de coopération administrative sont également prévues. Mais quelles seront les conditions concrètes de contrôle, déjà très difficile actuellement ; qu'en sera-t-il à l'avenir, alors que le régime mis en place le cas échéant par la directive sera particulièrement complexe ?

Tous les contournements restent possibles, et une entreprise française pourra toujours créer une filiale dans un autre État membre pour intervenir en France depuis cette base.

D'autant que la lutte contre le travail illégal n'est pas toujours une priorité des États membres.

La directive de 1996 sur le détachement des travailleurs comprend un article consacré à la coopération en matière d'information. Il n'avait pas été formellement transposé en droit interne avant la loi PME du 2 août 2005, qui a introduit l'article L. 342-6 dans le code du travail.

Si les amendements adoptés par le Parlement européen présentent quelques avancées, ils instituent surtout une incertitude généralisée, qui ne peut être que favorable au dumping social et propice à tous les contournements. D'autant qu'il n'existe toujours pas de définition claire du caractère temporaire de la période qui définit le détachement : aux juges du fond de l'apprécier. Il s'agit donc d'un « compromis au rabais », comme l'a dénoncé M. Francis Wurtz, président du groupe confédéral de la gauche unitaire européenne (GUE).

Dans ce contexte, le Gouvernement a éprouvé l'urgence soudaine d'insérer dans le droit français de prétendus remparts contre la course au moins disant social.

La loi du 2 août 2005 en faveur des PME a ainsi inséré dans le titre IV désormais intitulé « main-d'_uvre étrangère et détachement transnational de travailleurs » du livre III du code du travail un chapitre II sur « le détachement transnational de travailleurs » (articles L. 342-1 à L. 342-6).

L'objectif était d'achever, dix ans après..., la transposition de la directive 96/71 sur le détachement des travailleurs et d'offrir une meilleure protection aux salariés et aux entreprises françaises ouvertes à la concurrence des prestataires de services étrangers.

L'article L. 342-1 nouveau distingue trois hypothèses :

I. Un employeur établi hors de France peut détacher temporairement des salariés sur le territoire national, à condition qu'il existe un contrat de travail entre cet employeur et le salarié et que leur relation de travail subsiste pendant la période de détachement.

Le détachement s'effectue :

Soit pour le compte de l'employeur et sous sa direction, dans le cadre d'un contrat conclu entre celui-ci et un destinataire établi ou exerçant en France ;

Soit entre établissements d'une même entreprise ou entre entreprises d'un même groupe.

II. Une entreprise exerçant une activité de travail temporaire établie hors du territoire français peut détacher temporairement des salariés auprès d'une entreprise utilisatrice établie ou exerçant sur le territoire national, à condition qu'il existe un contrat de travail entre l'entreprise étrangère et le salarié et que leur relation de travail subsiste pendant la période de détachement.

III. Un employeur établi hors de France peut également détacher temporairement des salariés sur le territoire national pour réaliser une opération pour son propre compte, sans qu'il existe un contrat entre celui-ci et un destinataire.

Le rapporteur de ce projet de loi, M. Serge Poignant, donnait dans son rapport l'exemple de l'envoi de salariés en France pour réaliser des coupes de bois après l'achat de plantations par l'entreprise établie à l'étranger, ou de l'envoi de travailleurs pour procéder au démontage d'une usine française rachetée par une entreprise étrangère en vue de sa réinstallation à l'étranger.

Cette troisième hypothèse ne fait pas partie des cas de détachement envisagés par l'article 1er §3 de la directive « détachement ». Dans tous ces cas-là, les prestataires de services sont soumis directement à l'interprétation du traité CE par la CJCE. L'invocation de la directive « détachement » comme limitation aux mesures prévues par la directive Bolkestein trouve ici ses limites.

La loi française tente cependant d'apporter plusieurs garanties par rapport à ces directives.

Elle donne ainsi une définition plus précise du travailleur détaché, prévoyant que l'employeur doit répondre dans son pays aux formalités légales d'immatriculation, et exercer son activité hors de France, afin d'éviter les activités organisées aux seules fins du détachement vers la France. De même, le salarié doit travailler habituellement pour l'employeur (afin d'éviter les recrutements ad hoc) ; enfin, le détachement doit avoir lieu pour une durée limitée.

La directive 96/71 n'empêche pas (mais n'oblige pas non plus, sauf dans le secteur du BTP) les États membres à imposer également aux entreprises nationales ou non des conditions de travail et d'emploi fixées dans des conventions collectives. Or les salaires sont souvent fixés par voie conventionnelle. Le code du travail a fait le choix de cette obligation.

Cependant, compte tenu des difficultés de preuve, il ne peut y avoir là que v_ux pieux sans coopération efficace entre les États membres.

De plus, il est exclu que la législation sociale de l'État membre où s'exécute la prestation s'applique intégralement : cela priverait de tout effet utile la libre prestation de services, principe fondamental du traité CE.

Il faut donc sérieusement relativiser l'exclusion du droit du travail du champ d'application de la directive relative aux services. La lutte contre le dumping social, la situation française le montre, n'est pas près d'être efficace.

D'après la Délégation interministérielle à la lutte contre le travail illégal (DILTI), le nombre de salariés détachés en France, en très forte croissance, atteindrait 95 à 120 000 personnes, bien au-delà des déclarations effectuées. Les déclarations préalables de prestation de services ont progressé de plus de 80 % entre 2001 et 2003.

Depuis 2003 les contrôles d'entreprises détachant leurs salariés en France ont progressé de 73 %, mais ne concernent encore qu'un nombre restreint de travailleurs : 148 entreprises en 2006, 562 en 2005.

Dans ces conditions, le travail non déclaré demeure la principale cause de travail illégal : 71 % des cas en 2004, 79 % en 2005.

Plusieurs exemples récents ont marqué les esprits : alors que la libéralisation du marché des services est constamment présentée comme un avantage pour les PME, ce sont d'abord les plus grands groupes qui profitent des failles du système, laissant les sous-traitants de énième rang employer des salariés sous-payés et hébergés dans des conditions indignes.

- En novembre 2005, EDF a recouru à Alstom après un appel d'offres, qui sous-traite à l'entreprise polonaise Zrew une partie des travaux de redémarrage de deux tranches de la centrale thermique de Porcheville, dans les Yvelines.

La CGT soutient une trentaine de travailleurs polonais, dont elle s'est procuré les contrats de travail : salaire de base de 1 500 zlotys par mois soit 400 euros (environ 3 euros de l'heure) et prime prévue par la convention collective de l'entreprise de 1 350 euros par mois soit 45 euros par jour selon Alstom.

Or d'après la directive détachement, la rémunération de base des salariés est soumise au droit du pays d'accueil, hors indemnités de déplacement et primes. Ces ouvriers relèvent donc de la convention de la métallurgie, où les salaires de base sont supérieurs au Smic.

- 6 février 2006 : SAFE, société sous-traitante de deuxième rang des Chantiers de l'Atlantique à Saint-Nazaire a renvoyé huit de ses ouvriers polonais, peintres caréneurs qui réclamaient leurs salaires impayés (fixés à 5,5 euros de l'heure pour 64 heures par semaine).

- Fin décembre 2005 : trente ouvriers polonais occupent le chantier du tribunal de Thonon-les-Bains (maîtrise d'_uvre du ministère de la Justice) pour récupérer deux mois d'arriérés de salaires à raison de 45 heures hebdomadaires.

- Août 2005 : quinze ouvriers polonais, sous contrat pour un détachement de trois mois renouvelable, commencent une grève de la faim devant la mairie de Saint-Nazaire : Kliper, autre société sous-traitante de deuxième rang des Chantiers de l'Atlantique leur doit deux mois de salaires. Le dirigeant de l'entreprise, reparti en Pologne, les avertit de leur licenciement pour motif disciplinaire et dépose son bilan.

- Août 2005 : l'ACNET (Action de coordination nationale des entreprises de télécommunications) dénonce la cascade de sous-traitants mise en place par France Telecom pour des travaux d'entretien des lignes. Constructel a recouru à une autre entreprise, Viatel, qui emploie des travailleurs portugais payés selon les conditions du Portugal, soit deux fois moins qu'en France.

- Mai 2005 : le parquet du Havre enquête sur un chantier de maintenance de la raffinerie Total de Seine-Maritime. Selon la CGT, des salariés portugais embauchés par des entreprises de sous-traitance sont payés très en dessous du Smic.

- La commune suédoise de Vaxholm avait confié à une entreprise lettonne la construction d'une école en mai 2004. Les syndicats suédois se sont battus pour que les travailleurs détachés bénéficient des garanties des accords collectifs suédois. En février 2006, la Commission européenne cède enfin à la pression politique et sociale, et revient sur ses premières décisions pour accepter de soutenir le point de vue des syndicats.

Dans la version initiale, comme dans celle qui reprendrait les modifications votées par le Parlement européen, la directive n'accorde aucune garantie aux travailleurs indépendants.

Le texte précise même qu'une personne physique peut être considérée comme prestataire. De ce fait, les indépendants sont bien couverts par la directive. Un paragraphe du nouvel article 16 de la directive interdit de limiter les prestations à titre indépendant, ce qui conforte les entreprises dans leur stratégie de ne plus salarier leurs travailleurs, mais de les rémunérer comme artisans indépendants, sans versement de cotisations sociales et au tarif qu'elles souhaitent.

On peut donc craindre un contournement des garanties relatives apportées aux salariés détachés par la multiplication des faux indépendants, qui est une tentation récurrente de certaines entreprises, comme en témoigne la jurisprudence en France sur la requalification des contrats lorsque le lien de subordination est établi.

CONCLUSION

L'Assemblée nationale a déjà examiné trois propositions de résolution sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil (Com 2004 / 2 final / E 2520), présentée par la Commission européenne le 13 janvier 2004, et relative aux services dans le marché intérieur, dite « directive services » ou « directive Bolkestein ».

La première proposition de résolution (n° 2054), présentée par Mme Anne-Marie Comparini au nom de la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, a été votée à l'unanimité par les membres de la Délégation le 2 février 2005.

La deuxième proposition (n° 2048) a été déposée le 1er février par M. Jean-Marc Ayrault et les membres du groupe socialiste et apparentés.

M. Léonce Deprez et plusieurs de ses collègues ont présenté la troisième (n° 2096) le 15 février 2005.

Deux de ces propositions de résolution, la première et la troisième, sont identiques. La deuxième présente quelques différences, mais aboutit à la même conclusion. Toutes trois demandent le retrait de la proposition de directive pour une remise à plat approfondie.

La résolution finalement adoptée par l'Assemblée nationale le 15 mars 2005 présentait trois différences majeures avec ces propositions.

Elle n'appelait plus au retrait de la proposition de directive, mais se contentait d'appeler au simple réexamen d'un texte pourtant jugé inacceptable.

Elle réclamait l'harmonisation du droit applicable aux services, « oubliant » de préciser que cette harmonisation devait se faire par le haut (ce qu'indiquait le texte de la Délégation pour l'Union européenne).

Elle demandait que l'Union européenne prenne l'initiative de préparer une directive sur les services d'intérêt général, qui devrait être adoptée en même temps que celle sur les services. Logiquement, la proposition de la Délégation demandait en revanche que cette initiative soit prise rapidement, et soit déconnectée de la proposition de directive sur les services dont le rejet était réclamé.

C'est le retour à cette position sage, claire et alors adoptée par l'ensemble des groupes politiques, que demande la présente proposition de résolution déposée par le groupe des député-e-s communistes et républicains.

Des amendements ambigus ne sont pas une réponse adaptée aux enjeux, alors que sont en cause la protection des services publics, les garanties contre le dumping social, l'harmonisation par le haut comme méthode pour la construction européenne.

On trouve à plusieurs reprises des affirmations dans les documents de la Commission (par exemple sur le site de la direction générale commerce, consacré aux négociations de l'Accord général sur le commerce des services (AGCS) dans le cadre de l'OMC) selon lesquelles les services publics seraient au c_ur du modèle social européen.

À la Commission de démontrer maintenant l'importance qu'elle leur accorde.

Dans la procédure de codécision, l'initiative des textes appartient à la Commission, qui peut parfaitement retirer ses propositions, comme elle le fait régulièrement. Dans le cadre d'une initiative d'ampleur destinée à « mieux légiférer », la Commission a d'ailleurs annoncé récemment le retrait de très nombreux textes.

À l'inverse, la Commission n'est pas contrainte par le vote du Parlement en première lecture. On l'a vu avec l'exemple de la proposition de directive sur les services portuaires, contestée une première fois par le Parlement européen, et représentée par la Commission dans une version à peine modifiée, suscitant des manifestations de colère, et amenant le Parlement à rejeter le texte une deuxième fois le 18 janvier 2006.

Le Parlement européen conserve un rôle essentiel en fin de procédure. S'il refuse à la majorité absolue le projet proposé, le texte est définitivement rejeté.

La proposition de directive relative aux services est discutée dans le cadre de la procédure dite de codécision : l'accord du Parlement européen et du Conseil est également indispensable pour que la proposition dont la Commission a seule l'initiative puisse entrer en vigueur.

La Commission, dans le cadre de son droit d'initiative, présente sa proposition législative au Conseil et au Parlement européen.

Après le vote en plénière de l'avis du Parlement européen, le Conseil peut accepter le résultat de la première lecture du Parlement européen. Dans ce cas, le texte est définitivement adopté.

Si un accord n'est pas trouvé, le Conseil arrête sa position commune, dont le texte est transmis au Parlement européen, pour examen en deuxième lecture. La Commission informe le Parlement de sa position.

Si le Parlement européen adopte la position commune, le texte est définitivement adopté.

Si le Parlement européen la rejette, le texte est réputé non adopté, et l'examen du dossier ne pourra plus être repris que sur la base d'une nouvelle proposition de la Commission.

Si le Parlement européen adopte des amendements à la position commune, le résultat du vote est transmis au Conseil et à la Commission.

Si le Conseil accepte les amendements (à la majorité qualifiée, ou à l'unanimité si la Commission a rejeté les amendements), le texte est réputé adopté.

Dans le cas contraire, un comité de conciliation est convoqué, réunissant les délégations du Conseil et du Parlement. La Commission participe aux travaux mais pas aux votes.

Si le comité n'adopte pas de projet commun, le texte est réputé non adopté.

Si le comité approuve un projet commun, le Parlement européen et le Conseil doivent arrêter l'acte à la majorité absolue pour le Parlement européen et à la majorité qualifiée pour le Conseil ; à défaut, le texte est rejeté.

Contrairement à de nombreuses annonces, la proposition de directive n'a donc jamais disparu. Un retrait reste en revanche toujours possible. La Commission européenne a ainsi annoncé le 9 mars 2006 l'abandon de son projet de directive libéralisant les services portuaires, qui avait déclenché une fronde chez les dockers et avait été rejeté par le Parlement européen pour la deuxième fois en un peu plus de deux ans. La mobilisation contre la directive « services » est plus nécessaire que jamais. La procédure prévue est encore longue : le Parlement ne devrait pas se prononcer en deuxième lecture avant le printemps 2007.

M. José Manuel Barroso avait annoncé que le projet initial serait rééquilibré, et que la Commission reprendrait d'autant plus les amendements adoptés par le Parlement européen que ceux-ci seraient votés à une forte majorité. Or celle-ci n'est pas écrasante. La Commission a fait savoir que les grandes lignes retenues seraient connues avant le Conseil de mars, et son texte intégral fin avril. M. Charlie Mc Creevy, commissaire chargé du marché intérieur, soumettra un texte à la Commission le 4 avril.

On peut toutefois s'interroger sur les véritables intentions de la Commission.

Les députés ayant cherché à supprimer tout lien entre cette future directive et le droit social, M. Charlie Mc Creevy a en effet indiqué à ses collègues le 1er mars qu'il avait l'intention de présenter aux 25 États membres un rappel des limites impératives posées par la CJCE à l'usage de certaines obligations qui conduisent dans les faits à entraver les contrats de prestation de services impliquant le détachement de salariés. Cette démarche vise notamment à compenser la suppression des articles 24 et 25, très contestables, de la proposition de directive.

De même il envisage pour fin avril ou début mai une communication sur les services d'intérêt général à caractère social, que les eurodéputés ont également voulu exclure de la future directive ; L'objectif est de poser la question de l'opportunité d'un instrument législatif européen.

En revanche, il n'a manifesté aucun enthousiasme pour un texte sur les services d'intérêt général en général, affirmant attendre l'avis du Parlement européen sur le Livre vert de la Commission de 2004, prévu en juillet, ce qui est également l'échéance fixée pour le dépôt de nouvelles offres sur les services à l'OMC.

Alors que les clivages au sein de la Commission et surtout entre les États membres restent très marqués (six pays ont écrit à la Commission pour exprimer leur déception devant les reculs issus du compromis voté par le Parlement), que l'Unice dénonce les dérogations qui accordent « un pouvoir excessif aux États pour restreindre la prestation de services en invoquant des raisons multiples allant très au-delà de motifs justifiés d'intérêt public et qui peuvent conduire au protectionnisme », il est essentiel que notre pays prenne une position claire et qui ne joue pas sur les mots. Le seul message clair consiste à demander le retrait de la proposition de directive, émanation d'une Commission dont le programme est clair : accepter et accentuer la libéralisation des économies, sans se préoccuper outre mesure de la pérennité des services publics et du renforcement des droits sociaux.

Le Conseil européen devrait se prononcer avant l'été. Les prochaines réunions du conseil compétitivité auront lieu les 13 mars et 29 mai 2006.

Il faut, en posant des exigences politiques et sociales fortes, donner un coup d'arrêt à la politique de la Commission, qui témoigne chaque jour d'un libéralisme effréné, comme à l'interprétation univoque du Traité par la CJCE.

Présentant fin décembre 2005 un rapport de la Commission évaluant les réformes des services d'intérêt économique général (SIEG), tels que les télécommunications, les transports aériens et les services postaux, M. Charlie Mc Creevy estime qu'elles ont produit des avantages évidents pour les consommateurs européens en termes de prix réduits, de choix et de meilleurs services. « Logiquement », regrettant la lenteur du progrès actuel, les obstacles qui subsistent à la concurrence et à l'achèvement du marché unique européen, la Commission note qu'une concurrence renforcée dans ces industries est également essentielle pour les États membres ayant adhéré en 2004 pour parer aux pressions inflationnistes résultant du processus de rattrapage ... Dans le secteur de l'énergie, Mme Nelly Kroes a également estimé le 16 février qu'une concurrence accrue était le remède aux dysfonctionnements du secteur.

Cet ultralibéralisme est également à l'_uvre dans la négociation en cours sur l'Accord général sur le commerce des services (AGCS). Au lieu de promouvoir à l'OMC un modèle social particulier, l'Union européenne, comme le dénonce M. Jean-Claude Lefort, prend à son compte le principe de libéralisation de tous les services à tous les niveaux, et celui de l'irréversibilité des libéralisations réalisées.

Les partisans de la réécriture, et du compromis adopté au Parlement européen argumentent en expliquant que sans cette directive, la Cour de justice des Communautés européennes pourrait donner libre cours à une jurisprudence libérale. C'est déjà le cas, et la proposition ne fait pour l'essentiel que consacrer cette jurisprudence. Avec ce compromis, on tente de dissimuler les effets et conséquences de la libéralisation qui n'est plus clairement affichée, mais le vide juridique est tel que seule la Cour de justice des Communautés européennes pourra trancher ces ambiguïtés.

C'est un coup d'arrêt à cette évolution qu'il faut donner, pour refuser, dans un geste politique fort et conforme au vote du 29 mai, la logique de domination des marchés financiers sur l'économie et sur la législation sociale.

« En refusant toute référence explicite au droit du pays de destination, le compromis PSE-PPE prête le flanc au harcèlement de la Commission et du Conseil », s'est inquiété M. Francis Wurtz au nom du groupe de la gauche unitaire européenne-gauche verte nordique (GUE-GVN).

« Ceux qui tentent aujourd'hui de rassurer les travailleurs sur l'avenir de leurs droits sociaux prennent une lourde responsabilité : la dernière mouture de la directive n'est pas un petit pas en avant, ce sont de grands pas en arrière qu'elle promet ».

La mobilisation pour le retrait de la proposition de directive sur les services, dite « directive Bolkestein », demeure donc de pleine actualité. C'est le sens de la proposition de résolution défendue par les député-e-s communistes et républicains, pour que la France, qui a encore son mot à dire, s'exprime à tous les niveaux et pèse en faveur de ce retrait.

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du 8 mars 2006, la Commission a examiné, sur le rapport de M. Alain Bocquet, la proposition de résolution de M. Alain Bocquet et les membres du groupe Député-e-s Communistes et Républicains (n° 2923) sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur, (n° E2520).

Après l'intervention du rapporteur, et s'exprimant au nom du groupe socialiste, M. Alain Gouriou a indiqué que son groupe s'associait à la demande de retrait de la proposition de directive relative aux services exprimée par le rapporteur dans sa proposition de résolution, et ce, pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, il a souligné la nécessité de tenir compte de la volonté du peuple français exprimée lors du rejet, par voie de référendum, le 29 mai 2005, du traité établissant une constitution pour l'Europe. Il a rappelé que le Gouvernement avait déclaré avant le référendum que le texte de la directive était inacceptable, et qu'il en avait demandé la « remise à plat », expression jugée ambiguë par les socialistes, ces derniers ayant préféré un retrait pur et simple du projet.

Il a ajouté que les eurodéputés socialistes français avaient également demandé le retrait de la directive, et que de surcroît, il s'associait à la remarque du rapporteur selon laquelle les limitations sectorielles du champ d'application de la directive étaient largement insuffisantes, notamment dans le domaine social.

Il a également illustré les différences de conception de la notion de « service public » existant entre les différents Etats membres de l'Union européenne, en évoquant la libéralisation des services postaux au Royaume Uni dont les conséquences dommageables étaient telles que dans certaines régions, le Gouvernement avait été contraint de mettre des crédits à disposition de Royal Post.

Il a précisé que les secteurs de l'éducation, de la culture et de la santé n'étaient pas clairement définis, et pourraient par conséquent entrer dans le champ d'application de la directive communautaire.

Enfin, il a fait état du risque d'une diminution globale de la protection des travailleurs, rappelant en conclusion que le groupe socialiste voterait en faveur de l'adoption de la proposition de résolution du rapporteur et de ses collègues du groupe communiste.

M. Alain Cousin, s'exprimant au nom du groupe Union pour un mouvement populaire, a rappelé que la libre circulation des services était partie intégrante de la stratégie de Lisbonne définie au Conseil européen de mars 2000, et que la Commission avait adopté en janvier 2004 la proposition, jugée depuis inacceptable par la France.

Les critiques formulées lors de la campagne référendaire concernaient le principe du pays d'origine, l'inclusion dans le champ d'application de la directive des services d'intérêt général, ainsi que des professions juridiques réglementées, du secteur social, médico-social et sanitaire, de la culture, et des transports notamment.

L'orateur a rappelé que le Président de la République avait demandé une remise à plat du texte début 2005 et que la Commission des affaires économiques avait adopté la proposition de résolution de M. Robert Lecou demandant son réexamen le 1er mars 2005.

L'orateur a souligné que la France était le premier exportateur européen de services, et que ce secteur représentait 7,5 millions d'emplois et concernait plus de 800 000 entreprises.

Il a rappelé que le 16 février 2006, le Parlement européen avait adopté un texte de compromis, tenant compte des objections formulées par la France, puisque ni le droit pénal, ni le droit du travail, ni la fiscalité ne seraient concernés, et remettant en cause, selon lui, le principe du pays d'origine. Le compromis adopté affirme également la primauté des directives sectorielles sur la directive « services », et précise que les motifs d'intérêt général doivent être préservés dans son application. Ont été retenus, plutôt que le principe du pays d'origine, les principes communautaires de liberté d'établissement et de libre prestation de services, tandis qu'ont été exclus les services d'intérêt général, l'aide sociale, le crédit, les transports - de fonds, de personnes décédées, le transport portuaire, les ambulances, notamment - les professions d'avocats et celles liées à l'exercice de l'autorité publique - notamment celle de notaire -, les jeux d'argent, le secteur audiovisuel, et les secteurs visés par des directives sectorielles, à l'instar de l'électricité. Il a ajouté que le système de contrôle avait été modifié, afin que les normes et les certifications relèvent de l'Etat membre de destination.

L'orateur a estimé que la gauche française était isolée dans ce débat par rapport à la gauche européenne. Précisant que le Gouvernement se félicitait du vote du Parlement européen, et qu'il ferait en sorte que la Commission européenne en tienne compte, il a indiqué que le groupe UMP se prononcerait contre l'adoption de la proposition de résolution du rapporteur.

En réponse aux différentes interventions, le rapporteur s'est tout d'abord félicité de la quasi-unanimité avec laquelle les socialistes, les communistes et les verts français avaient rejeté, au Parlement européen, le texte de compromis qui avait été présenté, consensus dont témoignait l'intervention, au nom du groupe socialiste, de M. Alain Gouriou.

Précisant qu'il ne nourrissait que peu d'espoir de convaincre le groupe UMP de l'opportunité de cette proposition de résolution, il s'est toutefois réjoui de la qualité des arguments échangés, ajoutant qu'il y avait là une occasion d'éclairer les dispositions de la directive qui demeuraient obscures.

Revenant sur ces dispositions, il a ajouté qu'elles s'avéraient perfectibles, regrettant en particulier l'absence dans le texte de toute référence à la notion de pays d'accueil, ce qui lui a semblé de nature à entretenir une grande ambiguïté juridique.

Il a rappelé que lorsque les règles du pays d'accueil s'imposeront, elles s'appliqueront sous réserve du droit communautaire et du droit de la concurrence.

Il a mentionné l'exemple du droit pénal, en théorie exclu du champ de la directive, mais il a cité un considérant rappelant que ces règles ne devraient pas être détournées afin de faire échec aux dispositions de la directive.

Il est également revenu sur le cas des directives sectorielles, comme la directive 96/92/CE concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité. Il a rappelé à cette occasion que celles-ci laissaient le champ ouvert à la libéralisation.

Il a estimé que dans ces conditions, le vote des citoyens français sur la ratification du Traité portant Constitution européenne le 29 mai 2005, n'était pas respecté.

Il a par ailleurs souligné que pour défendre le texte de compromis adopté par le Parlement européen, M. Malcolm Harbour et M. Graham Watson avaient affirmé que le principe du pays d'origine demeurait ancré dans la jurisprudence communautaire.

Le Président Patrick Ollier s'est également réjoui de la qualité des débats sur ce sujet, mais a fait part de son désaccord avec l'analyse du rapporteur.

Il a réfuté l'argument selon lequel le Gouvernement se satisferait d'un compromis en trompe-l'_il, rappelant l'engagement constant de ce dernier, ainsi que du Président de la République, pour demander une remise à plat du texte.

Il a estimé que le texte de compromis issu du Parlement européen différait radicalement de la proposition d'origine, et s'en est réjoui dans la mesure où la Commission des affaires économiques avait, à l'occasion de l'examen de la proposition de résolution de la délégation pour l'Union européenne sur la « directive services », déjà réclamé une remise à plat en vue d'un réexamen du texte.

Il a néanmoins admis que les v_ux de la Commission des affaires économiques de voir rapidement mise en _uvre une harmonisation du secteur des services et examinée une directive sur les services d'intérêt général n'avaient pour l'heure pas été suivis d'effet.

Répondant au rapporteur sur la question de l'impact de la directive sur les dispositions pénales nationales, il a réaffirmé que celles-ci ne seraient en aucune façon affectées.

Regrettant que Mme Evelyne Gebhardt n'ait pas répondu favorablement à l'invitation à venir s'exprimer devant la Commission, il a par ailleurs salué le maintien, dans le texte de compromis, du principe d'une déclaration préalable du prestataire de service auprès de l'Etat membre.

Le Président a en outre rappelé les dispositions introduites dans le code du travail à l'occasion de l'examen de la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, indiquant qu'elles avaient vocation à étendre et renforcer les garanties découlant de la directive 96/71/CE du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services.

Il a conclu en affirmant que la présente proposition de résolution ne lui paraissait plus justifiée compte tenu des avancées enregistrées par rapport au texte d'origine de la « directive services », et a affirmé sa confiance dans le Gouvernement français pour défendre auprès du Conseil européen, un texte de compromis qu'il a jugé satisfaisant.

Contrairement aux conclusions du rapporteur, la Commission a alors rejeté la proposition de résolution (n° 2923) relative aux services dans le marché intérieur.

--------

N° 2939 - Rapport de M. Alain Bocquet sur la proposition de résolution (n° 2923) de M. Alain Bocquet et des membres du groupe député-e-s communistes et républicains sur la proposition de directive du parlement européen et du conseil relative aux services dans le marché intérieur (n° e2520)

1 () Voir le site de la Commission européenne consacré à cette proposition : http://europa.eu.int/comm/internal_market/services/services-dir/index_fr.htm

2 () Voir le site de la commission du marché intérieur du Parlement européen : http://www.europarl.eu.int/comparl/imco/services_directive/default_en.htm


© Assemblée nationale