N° 3181 - Rapport de M. Antoine Herth sur la proposition de loi de M. Antoine Herth relative à la fixation des rendements des vins à appellation d'origine contrôlée pour la campagne 2006-2007 (3172)



Document

mis en distribution

le 26 juin 2006

N° 3181

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 juin 2006

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ECONOMIQUES, DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE SUR LA PROPOSITION DE LOI, relative à la fixation des rendements des vins à appellation d'origine contrôlée pour la campagne 2006-2007 (n° 3172),

PAR M. ANTOINE HERTH,

Député.

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SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

I.- UN SECTEUR VITICOLE QUI S'ENFONCE DANS LA CRISE 7

A.- LE CONSTAT 7

1. L'ensemble de l'Union européenne est concerné 7

2. La France est particulièrement touchée 8

B.- QUELLE(S) SOLUTION(S) APPORTER ? 10

1. Préparer la réforme de l'Organisation commune du marché vitivinicole 10

2. Utiliser les mécanismes de régulation existants 12

II.- L'URGENCE D'UNE RÉPONSE ADAPTÉE POUR LA CAMPAGNE PRÉSENTE ET A VENIR 13

A.- LE MÉCANISME DE DISTILLATION DE CRISE DOIT JOUER PLEINEMENT 13

1. Une offre de Bruxelles tardive et insuffisante 13

2. Un engagement fort du gouvernement en faveur des viticulteurs 14

B.- LA NÉCESSAIRE PARTICIPATION DE TOUS LES ACTEURS CONCERNÉS A LA DISTILLATION DE CRISE 15

1. Les leçons des précédentes distillations 15

2. L'implication totale des professionnels : un impératif 16

a) Dans le secteur des vins de table 16

b) Dans le secteur des vins à appellation d'origine contrôlée 17

EXAMEN EN COMMISSION 19

Article 1er : Possibilité pour le gouvernement de fixer les rendements autorisés pour les vins AOC pour la campagne 2006 / 2007 19

Article 2 : Gage 20

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION 22

MESDAMES, MESSIEURS,

La viticulture traverse une crise grave. Des changements profonds sont à l'œuvre, caractérisés par une baisse de la consommation intérieure dans les pays producteurs mais également par une évolution des goûts des consommateurs. Parallèlement, les pays traditionnellement producteurs doivent faire face à la montée en puissance de nouveaux concurrents aux pratiques différentes, parfois plus en phase avec les attentes des marchés émergents.

Les méventes de ces dernières années ont entraîné dans la plupart des pays viticoles de l'Union européenne, et tout particulièrement en France, une situation de surproduction qui déstabilise le marché et met en danger nombre d'exploitations viticoles.

Des mécanismes de marché existent au niveau communautaire, qui devront sans doute être rénovés dans le cadre de la prochaine réforme de l'OCM vitivinicole mais qui, pour l'heure, doivent être mobilisés afin de permettre aux viticulteurs de faire face à la crise.

C'est pourquoi la France a sollicité, dès le mois de décembre 2005, l'application de l'article 30 du règlement (CE) n° 1493/1999 portant organisation commune du marché vitivinicole. En réponse, la Commission européenne a autorisé le 7 juin 2006 l'ouverture d'une distillation de crise portant :

- sur 1,5 million d'hectolitres pour les vins de table, au prix de 1,914 euro par degré/hectolitre ;

- et sur 1,5 million d'hectolitres pour les vins de qualité (AOC) au prix de 3 euros par degré/hectolitre.

Cette offre étant inférieure (en termes de volume et de prix) à la demande formulée par le gouvernement français, celui-ci a annoncé qu'il apporterait une aide de trésorerie aux viticulteurs s'engageant dans la distillation afin de leur permettre d'obtenir une somme équivalant à 2,90 euros par degré/hectolitre en vin de table et 3,35 euros par degré/hectolitre en AOC.

La réussite de la distillation de crise dépend cependant en grande partie de la participation de tous les producteurs à ce mécanisme. Or, cette participation est facultative. A cet égard, les aides octroyées par le gouvernement constituent une incitation intéressante mais non suffisante. En effet, si pour les vins de table, les prix du marché sont inférieurs à 2,90 euros par degré/hectolitre, les prix des vins à appellation d'origine contrôlée se situent largement au-dessus des 3,35 euros par degré/hectolitre.

La seule volonté d'assainir durablement le marché, notamment en vue de la prochaine campagne de production, pourrait donc ne pas suffire à convaincre les viticulteurs AOC de se soumettre à la discipline collective. Les expériences passées montrent à cet égard que certaines régions viticoles - et en particulier le bordelais - ont tendance à systématiquement « passer leur tour » et créent ainsi un déséquilibre au sein de la filière.

L'objectif de la présente proposition de loi est de permettre au gouvernement de disposer d'un moyen de pression sur les producteurs en l'autorisant, à titre exceptionnel, à fixer les rendements autorisés pour les vins à appellation d'origine contrôlée pour la prochaine campagne de production, et donc, s'il le faut, à les revoir à la baisse. Ainsi, s'il s'avérait que la profession viticole n'était pas capable de s'organiser afin de répondre à la demande de distillation de crise (utilisation incomplète du quota alloué, non participation de certaines régions productrices), le gouvernement disposerait de la possibilité de limiter lui-même les rendements pour la campagne 2006-2007 et donc d'enrayer la spirale de la surproduction.

La proposition de loi ne fait toutefois qu'anticiper sur le dispositif envisagé par la future ordonnance relative à l'Institut national de l'origine et de la qualité, qui devrait en effet prévoir que le gouvernement puisse désormais intervenir en cas de crise grave au sein d'une filière AOC afin de modifier les conditions de production des produits concernés.

I.- UN SECTEUR VITICOLE QUI S'ENFONCE DANS LA CRISE

Le vignoble communautaire est le premier vignoble mondial et représente à peu près la moitié des surfaces de vigne dans le monde.

Toutefois, d'après la Commission de Bruxelles, la consommation de vin dans l'Union européenne diminue de 750 000 hectolitres par an et les États membres exportent, en volume, à peine 7,5 % de leur production. Des excédents considérables se sont accumulés sur les marchés viticoles des Vingt-cinq, entraînant une baisse des prix et une augmentation préoccupante des stocks. Ainsi, les excédents structurels sont estimés à 15 millions d'hectolitres, soit 8,4 % de la production communautaire.

En dépit de l'ouverture d'une distillation de crise de près de six millions d'hectolitres, environ 180 millions d'hectolitres de vins étaient encore en stock dans l'Union européenne à la fin de la campagne 2004-2005, volume bien supérieur au volume estimé de la consommation sur cette même campagne (130 millions d'hectolitres).

Dans un document de travail publié en février 2006 en vue de la préparation de la réforme de l'OCM vitivinicole, la Commission européenne observe que « depuis le début des années 2000, le déséquilibre du marché semble réapparaître du fait de la conjugaison d'une augmentation de l'offre, d'une réduction globale de la demande intérieure et d'une concurrence mondiale accrue ».

En effet, parallèlement à ces difficultés internes, les pays de l'Union européenne sont confrontés à la concurrence des nouveaux pays producteurs. La production des pays de l'hémisphère sud est en constante augmentation, et leur part de marché à l'exportation est passée de 1,7 % au début des années 1980 à 10 % en 1995 et 21 % aujourd'hui.

EXPORTATIONS DE VINS DES 6 PRINCIPAUX PAYS PRODUCTEURS
(FRANCE, ITALIE, ESPAGNE, AUSTRALIE, CHILI ET ÉTATS-UNIS)

(en milliers d'hectolitres)

En France, la viticulture occupe 3,3 % de la surface agricole utilisée. Hors subvention, elle représente 12 % de la valeur de la production agricole : la viticulture est ainsi la première contributrice à la valeur de la ferme France (1).

Toutefois, la baisse de la consommation de vin en France et le recul des exportations ont entraîné au cours des deux dernières années une accumulation des stocks, une baisse des revenus des vignerons et une chute de près de 40 % du prix du foncier viticole. De plus en plus d'entreprises viticoles sont en difficulté, et ce, quels que soient les modes de production et les régions productrices.

Ainsi, en dépit d'une baisse de la production viticole française à 53 millions d'hectolitres en 2005 (due notamment à une production en baisse des AOC à 23 millions d'hectolitres), les difficultés d'écoulement des produits sur le marché intérieur demeurent. Les cours des vins de table et des vins de pays sont au plus bas depuis 8 ans, se situant sous la barre des 3 euros le degré/hectolitre au début de la campagne 2005-2006 (2).

Sur le marché mondial, la situation des vins français est fragile : si depuis 1998, la tendance est globalement à une régression en volume, sur la campagne 2004-2005, les exportations françaises de vin ont non seulement reculé de 6,6 % en volume mais également de 6,5 % en valeur.

Dès la mi-campagne 2005-2006, VINIFHLOR a observé une activité et des cours en baisse et surtout une augmentation des stocks importante dans tous les vignobles (3) :

+ 11 % en Alsace, en dépit d'une récolte en baisse de plus de 8 %,

+ 15 % en Aquitaine (récolte en baisse de 6 %),

+ 10 % en Bourgogne (récolte en baisse de 4 %),

+ 9 % en Provence-Alpes-Côtes-d'Azur (récolte en baisse de 3,8 %),

+ 33,2 % en Languedoc-Roussillon (récolte en baisse de 10,6 %),

+ 39 % en Rhônes-Alpes (récolte en baisse de 14 %).

Face à la concentration de la distribution, d'une part, et à la mondialisation des marchés, la filière viticole française n'a semble-t-il pas encore trouvé la riposte. Sont notamment mis en cause le manque d'organisation de la filière (éparpillement des metteurs en marché, absence de mise en commun des moyens de promotion) et une certaine inadéquation à l'évolution de la demande (image moins attractive du vin auprès des jeunes consommateurs, rapport qualité/prix parfois jugé insatisfaisant, complexité du produit, multiplicité des appellations). On constate en effet que la production française est aujourd'hui trop segmentée, la profession pas assez organisée et pas assez tournée vers l'aval. S'agissant plus précisément des AOC, l'offre manque de lisibilité pour le consommateur. On dénombre ainsi aujourd'hui près de 440 appellations d'origine contrôlée réparties sur 12 grands bassins de production : la Bourgogne compte ainsi une centaine d'AOC et Bordeaux 57. En outre, avec plus de 45 % de la production française en AOC, l'offre aujourd'hui excède largement les besoins du marché.

Le lancement par le gouvernement d'un plan viticulture reposant, d'une part, dans son volet structurel, sur les conclusions du rapport Pomel (4) et, d'autre part, dans son volet conjoncturel, sur des aides d'urgence (5) ne doit pas faire oublier que l'avenir de la viticulture et le dénouement de la crise actuelle se jouent aussi au niveau communautaire.

Les organisations communes de marché (OCM) ont été créées dès 1962 pour soutenir les marchés dans les différents secteurs de la production agricole et selon des mécanismes qui diffèrent en fonction des produits concernés. Chaque produit ou groupe de produits fait ainsi l'objet d'un règlement destiné à orienter les productions, à stabiliser les prix et à garantir la sécurité des approvisionnements.

L'organisation commune du marché vitivinicole a été réformée à plusieurs reprises pour s'adapter à l'évolution des marchés et devrait à nouveau l'être prochainement. Dans cette perspective, la France a produit, conjointement avec l'Espagne, la Grèce, l'Italie et le Portugal, un mémorandum afin de faire part de sa vision de la future OCM vitivinicole à la Commission européenne et aux autres Etats membres. Elle souligne notamment le fait que cette OCM est peu onéreuse (moins de 3 % du budget du FEOGA garanti) pour une filière qui génère 7 % de la valeur ajoutée agricole de l'Union européenne. Tout en affirmant la nécessité de s'adapter au contexte de plus en plus compétitif du marché mondial en favorisant des mesures structurantes propres à dynamiser la filière, elle prône néanmoins une conservation et une adaptation des outils de gestion de crise et de régulation des marchés. Le mémorandum propose d'ailleurs que « la distillation de crise [soit] rendue obligatoire sur leur territoire par les États membres qui le souhaitent ».

ÉVOLUTION ET RÉPARTITION DES DÉPENSES DE L'OCM VIN

(millions €)

Source : Rapports annuels FEOGA Garantie, Budget 2005 et Projet de budget 2006.

La Commission européenne a fait connaître ses propositions de réforme le 22 juin 2006 dans une communication intitulée « Vers un secteur vinicole européen durable ». La presse avait cependant déjà fait état des principales options retenues dans le projet mis au point par Mme Mariann Fischer Boel, commissaire européen chargé de l'agriculture, pour mettre fin à la crise de surproduction et créer « un régime vitivinicole s'appuyant sur des règles claires et simples garantissant un équilibre entre l'offre et la demande » (6).

Un vaste plan d'arrachage visant à supprimer 400 000 hectares de production sur cinq ans est ainsi envisagé, de même que la suppression des mécanismes actuels de gestion des marchés et, à plus ou moins court terme, la libéralisation des droits de plantation. Notons qu'une autre variante du projet prévoirait néanmoins le maintien d'une enveloppe de crédits à répartir entre les États-membres producteurs afin de financer divers instruments d'intervention dont un mécanisme de filet de sécurité visant à pallier la suppression de la distillation de crise. Enfin, une modification des pratiques œnologiques est également proposée, ainsi que l'introduction, dans les plans de développement rural, de mesures en faveur des viticulteurs (préretraites, mesures agri-environnementales).

Ainsi, en dépit d'un constat partagé et d'objectifs communs, la France devra se battre pour défendre son « modèle viticole » et notamment plaider en faveur du maintien d'instruments de régulation du marché et de l'introduction de mesures préventives (7) dont la mise en œuvre pourrait relever du principe de subsidiarité.

La réglementation communautaire met à la disposition des Etats membres un certain nombre d'instruments afin de préserver l'équilibre du marché. Parmi ces « mécanismes de marché » figurent notamment les distillations visées au chapitre II du règlement (CE) n° 1493/1999 du Conseil du 17 mai 1999 portant organisation commune du marché vitivinicole (8). Celles-ci se regroupent en deux grands types :

- les distillations obligatoires, prévues aux articles 27 (prestations viniques) et 28 (cépages à double fin), dont les alcools peuvent, notamment, être livrés à l'intervention, à la charge du FEOGA ;

- les distillations volontaires, avec d'une part, les distillations dites « alcool de bouche » (article 29), dont les alcools ne sont pas pris en charge par le FEOGA et peuvent être écoulés librement sur le marché de la bouche et, d'autre part, les distillations de crise dont les alcools sont systématiquement livrés à l'intervention, à la charge du FEOGA (article 30).

L'article 30 du règlement (CE) n° 1493/1999 prévoit ainsi qu' « une mesure de distillation de crise peut être prise en cas de perturbation exceptionnelle du marché due à d'importants excédents et/ou à des problèmes de qualité ». Ce même article précise que cette mesure est facultative pour les producteurs et qu'elle peut être limitée à certaines catégories de vin ou à certaines zones de production. Les prix, les volumes et les catégories de vins auxquelles la distillation de crise s'applique sont fixés, au cas par cas, dans un règlement de la Commission ouvrant droit à la mesure.

La distillation fonctionne sur la base d'un système de contrats conclus entre les producteurs de vins et les distillateurs, communiqués à l'organisme d'intervention qui procède à leur agrément après réfaction éventuelle en cas de dépassement du contingent fixé lors de l'ouverture de la distillation (9).

L'alcool brut résultant de cette distillation ne peut être utilisé qu'à des fins industrielles ou en tant que biocarburant afin de ne pas perturber le marché de l'alcool de bouche (10).

Depuis son introduction sous sa forme actuelle par la réforme de 1999, la Commission a autorisé à quatre reprises le recours à une distillation de crise pour un volume moyen de près de 7 millions d'hectolitres par distillation (11). Commentant la décision de la Commission d'ouvrir une distillation de crise pour la présente campagne, Mme Mariann Fischer Boel, commissaire européen chargé de l'agriculture, a souligné que « la distillation de crise est hélas en train de devenir une des composantes régulières de notre organisation commune du marché du vin ». Selon les estimations de la Commission européenne, l'intervention, sous forme de distillation, épongerait en effet à l'heure actuelle environ 15 % de la production.

ÉVOLUTION DE LA PART DE LA PRODUCTION DISTILLÉE
DANS L'UNION EUROPÉENNE

Source : Direction générale de l'agriculture et du développement rural de la Commission européenne.

Après avoir répondu aux demandes de la France et de l'Italie, la Commission européenne devrait examiner dans les prochaines semaines les demandes de distillation de crise déposées par l'Espagne (pour 300 000 hectolitres) et par la Grèce (pour 470 000 hectolitres).

II.- L'URGENCE D'UNE RÉPONSE ADAPTÉE POUR LA CAMPAGNE PRÉSENTE ET A VENIR

Le 7 juin, la Commission européenne a répondu positivement à la demande des gouvernements français et italiens déposée en décembre 2005 d'ouvrir une distillation de crise.

L'offre de la Commission, qui doit encore se traduire sous la forme d'un règlement, consiste à recourir à la distillation de crise dans la limite de 3 millions d'hectolitres en France et de 2,6 millions d'hectolitres en l'Italie (12).

En France, la distillation de crise sera ainsi ouverte à partir du 29 juin 2006 pour 1,5 million d'hectolitres de vins de qualité payés 3 euros par degré/hectolitre et 1,5 million d'hectolitres de vins de table payés 1,914 euro par degré/hectolitre. Le budget total affecté par l'Union européenne pour la distillation de ces 5,6 millions d'hectolitres s'élève à 131 millions d'euros.

Alors que la France avait demandé une distillation à 3 euros pour 2 millions d'hectolitres de vins de table et une distillation à 5 euros pour 2 millions d'hectolitres d'AOC, les propositions de la commission sont apparues décevantes tant aux yeux des professionnels que des pouvoirs publics. Les syndicats généralistes et viticoles ont ainsi très mal accueilli l'offre de Bruxelles, estimant que celle-ci n'était pas en mesure de répondre à l'urgence de la situation : « la Commission européenne a pris le parti de l'irresponsabilité en proposant, très tardivement, des volumes et des niveaux de prix de distillation dérisoires au regard des stocks qui pèsent sur le marché » a déclaré la FNSEA dans un communiqué du 8 juin 2006.

Auditionné par la Commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire dans le cadre du suivi de l'application de la loi d'orientation agricole le jour même de l'annonce faite par Bruxelles, le ministre de l'agriculture et de la pêche, M. Dominique Bussereau, a affirmé que des solutions seraient trouvées par le gouvernement afin de compléter l'offre de Bruxelles, réitérant ensuite ses propos dans sa réponse au député François Liberti lors de la séance des questions au gouvernement le 8 juin 2006 (13).

Dans ce contexte, un « dispositif national exceptionnel », dont la mise en place a été annoncée dans un communiqué de presse du 8 juin 2006, doit permettre d'accorder une aide de trésorerie aux viticulteurs qui souscriront à la distillation avant fin août 2006 :

- pour les vins de table, cette aide permettra d'atteindre un revenu équivalent à un prix de 2,90 euros par degré/hectolitre. La subvention sera plafonnée à 5000 euros par viticulteur et conditionnée à une souscription à la distillation de 450 hectolitres maximum ;

- pour les appellations d'origine contrôlée, l'aide permettra d'atteindre un revenu équivalent à 3,35 euros par degré/hectolitre dans la limite également de 5000 euros par viticulteur.

L'enveloppe nécessaire à la mise en place de ces nouvelles aides devrait atteindre 15 à 20 millions d'euros.

La question se pose néanmoins de savoir si les souscriptions atteindront le volume alloué par Bruxelles.

En effet, si le ministère de l'agriculture et de la pêche estime qu'une aide à 2,90 euros est nettement incitative pour les vins de table qui s'échangent aujourd'hui sur le marché à un niveau inférieur, le doute existe s'agissant des vins à appellation d'origine contrôlée : en effet, seuls les prix de quelques AOC de la Vallée du Rhône se rapprocheraient des 3,35 euros le degré/hectolitre (14).

La participation de tous les acteurs à la distillation de crise est néanmoins indispensable à la réussite de cette opération : en échange des aides consenties, les pouvoirs publics sont en effet en droit d'attendre un engagement fort de la profession viticole. Seule une véritable discipline collective des AOC permettra à ces dernières de ne pas s'enfoncer plus avant dans la crise. C'est pourquoi, si tel n'était pas le cas, le gouvernement doit pouvoir disposer, le cas échéant, des moyens permettant d'éviter une nouvelle crise pour la prochaine campagne.

Pour faire face à l'apparition d'excédents sur les dernières campagnes, la France, comme la plupart des autres Etats membres a été conduite à demander l'ouverture de distillations de crise de manière régulière depuis 2000. Par ailleurs, afin de rendre l'opération plus incitative pour les producteurs, le gouvernement a souvent offert, parallèlement, des aides aux viticulteurs volontaires, aides coûteuses pour le budget national et parfois difficile à accepter pour nos partenaires européens, comme l'a souligné le sénateur Gérard César dans son rapport d'information sur l'avenir de la viticulture (15).

Toutefois, en dépit des efforts consentis par les pouvoirs publics, les viticulteurs restent réticents à se porter candidats à la distillation. Ainsi, pour la campagne 2001-2002, la distillation de crise ouverte pour la France en février 2002 n'a permis la livraison que de 2,3 millions d'hectolitres sur les 4 millions qui lui avaient été accordés.

Par ailleurs, l'effort de distillation apparaît inégalement réparti sur le territoire. Ainsi, pour s'en tenir au seul cas des AOC, lors de la campagne passée (2004-2005), alors que la Commission européenne avait ouvert une distillation de crise pour 1,1 million d'hectolitres de vin de qualité, moins d'un million d'hectolitres ont été distillés dont 180 000 hectolitres seulement dans le bordelais.

Les conséquences de cette situation sont fort simples à comprendre : non seulement le marché français n'est pas suffisamment assaini et les crises se reproduisent d'une campagne de production sur l'autre, mais notre position à Bruxelles est fragilisée, voir décrédibilisée, ce qui peut notamment expliquer que la demande des autorités françaises pour cette campagne ait mis autant de temps à aboutir et qu'elle ne soit finalement pas à la hauteur des besoins exprimés.

Comment en effet demander des outils de gestion de marché si on ne les utilise pas ensuite ?

OBJECTIFS FIXÉS POUR LA NOUVELLE DISTILLATION DE CRISE
EN AOC, COMPTE TENU DES DISTILLATIONS DÉJÀ EFFECTUÉES

(* en millier d'hectolitres)

 

Estimation des surstocks par région *

Projection des volumes à distiller par région *

Part attendue de chaque région dans la distillation

Bordeaux

1066

595

40 %

Beaujolais

158

87

6 %

Loire rouges

74

41

3 %

Rhône

307

171

11 %

Provence

256

143

10 %

Languedoc-Roussillon

670

375

25 %

Midi-Pyrénées

157

88

5 %

Total
(rouges + rosés)

2688

1500

100 %

Source : Ministère de l'agriculture et de la pêche

Pour les vins de table, comme indiqué précédemment, le niveau des cours devrait à lui seul constituer une incitation suffisante.

En effet, les cours des vins de table sont en forte baisse depuis le début du mois de mars. En outre, d'après les informations obtenues par votre rapporteur auprès de VINIFHLOR, au cours des quatre dernières semaines connues (15 mai - 15 juin), le cours moyen enregistré est passé de 2,81 à 2,65 euros par degré/hectolitre, avec 70 % des transactions à moins de 2,90 euros par degré/hectolitre. Ainsi, les projections du ministère de l'agriculture et de la pêche font état d'un volume de distillation en vin de table qui pourrait être excédentaire par rapport au volume autorisé et qui se reporterait in fine sur le mécanisme de distillation alcool de bouche prévu à l'article 29 du règlement (CE) n° 1493/1999.

Par ailleurs, s'agissant de l'organisation de la production, il convient de saluer ici le rôle des coopératives, qui détiennent majoritairement la production de vins de table : celles-ci ont en effet une tradition de discipline collective ancienne, qui rend la question de la participation des viticulteurs à la distillation secondaire, comparée au secteur des AOC.

Enfin, il faut reconnaître qu'il n'existe pas de réel moyen de pression sur ces productions qui ne bénéficient pas d'un « agrément » public.

Pour les AOC, le prix proposé par la Commission de Bruxelles, même avec une aide de trésorerie de l'État français en parallèle, n'est pas attractif.

En estimant que le degré d'alcool est en moyenne de 12,5 et en convertissant les prix des vins AOC (exprimés sur le marché en euros par hectolitre) en prix en euros par degré/hectolitre afin de permettre la comparaison avec le prix proposé pour la distillation de crise (3,35 euros par degré/hectolitre), VINIFLHOR arrive aux résultats suivants (16) :

- Côtes de Provence : 7,37€/°.hl ;

- Côtes du Rhône 6,96 €/°.hl ;

- Coteaux du Tricastin 5,28 €/°.hl ;

- Côtes du Ventoux 5,84 €/°.hl ;

- Bordeaux (bas de fourchette) : 6,24€/°.hl ;

- Touraine : 6,16€/°.hl ;

- Corbières : 4,32€/°.hl ;

-  Minervois : 4,69€/°.hl ;

- Cahors : 5,60€/°.hl

Au vu de ces quelques chiffres, on comprend aisément que l'objectif de destruction des volumes de vin excédentaires ne puisse être atteint que si chaque viticulteur en AOC est intimement convaincu de la nécessité de la distillation, pour les autres comme pour lui. Dans le cas contraire, les vins en excédent continueraient à peser sur le marché et à générer des pertes. La recette attendue de la distillation peut ainsi s'analyser comme une compensation - partielle - pour une perte de recette de toute façon inévitable.

L'objectif de la présente proposition de loi est donc de donner au gouvernement les moyens de faire en sorte que la distillation atteigne pleinement son but - assainir le marché en vue de la prochaine campagne - et que tous les acteurs soient mobilisés pour réaliser cet objectif. Inciter les professionnels à être solidaires et à participer au mécanisme de distillation de crise est une bonne chose ; pouvoir réagir en vue de la prochaine campagne si les professionnels ne tenaient pas leurs engagements est indispensable.

La mise en œuvre de la distillation de crise devrait être à l'ordre du jour de la première réunion du Conseil national de la viticulture le 11 juillet 2006. L'objectif est qu'un premier bilan de la participation à la distillation soit tiré fin août 2006.

Il va de soi qu'il appartient avant tout aux acteurs du marché de s'organiser avec les outils dont ils disposent pour faire correspondre l'offre et la demande. Toutefois, dans la mesure où des mécanismes de régulation existent en cas de crise, ils doivent être utilisés et si cette utilisation implique la mobilisation de deniers publics en faveur des professionnels, il apparaît normal que le gouvernement puisse en contrôler la bonne utilisation.

Souscrire à la distillation de crise doit rester un acte volontaire, comme le prévoit l'article 30 du règlement (CE) n° 1493/1999. Cependant, si la profession n'est pas capable d'utiliser les instruments dont elle-même réclame l'application pour réguler le marché, le gouvernement pourra en tirer les conclusions qui s'imposent et agir de manière préventive sur la campagne 2006-2007 en fixant directement les rendements autorisés pour les vins à appellation d'origine contrôlée, si besoin à un niveau inférieur au rendement de base prévu par les décrets de chaque appellation.

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du 22 juin 2006, la Commission a examiné, sur le rapport de M. Antoine Herth, la proposition de loi relative à la fixation des rendements des vins à appellation d'origine contrôlée pour la campagne 2006-2007 (n° 3172).

Article 1er

Possibilité pour le gouvernement de fixer les rendements autorisés
pour les vins AOC pour la campagne 2006 / 2007

Aux termes de l'article L. 641-3 du code rural, « chaque appellation d'origine contrôlée est définie par décret sur proposition de l'Institut national des appellations d'origine ». Ce décret détermine les conditions de production du produit et notamment, pour les vins AOC, le rendement de base de chaque appellation (17).

En application de ces dispositions, l'article R. 641-56 du code rural donne la possibilité aux différents comités nationaux compétents de fixer des conditions techniques de production de certains produits pour des campagnes déterminées. Aussi le comité national des vins et eaux-de-vie de l'INAO modifie-t-il chaque année, après avis du syndicat de défense de l'appellation d'origine concernée, les rendements plafonds autorisés pour chaque AOC (article D. 641-76 du code rural). Cette décision est ensuite simplement approuvée par arrêté conjoint des ministres chargés respectivement de l'agriculture, de l'économie et de la consommation, ces derniers ne disposant d'aucune latitude pour en modifier le contenu.

Le présent article prévoit de déroger au principe posé à l'article L. 641-3 en donnant la possibilité aux ministres compétents de fixer eux-mêmes les rendements autorisés pour les vins à appellation d'origine contrôlée pour la campagne 2006-2007. Cette disposition ne constitue toutefois qu'une anticipation du dispositif envisagé dans le cadre de la future ordonnance relative à l'Institut national de l'origine et de la qualité prévue à l'article 73 de la loi n° 2006-11 du 5 janvier 2006 d'orientation agricole. En effet, le projet d'ordonnance comprend dans sa rédaction actuelle un article 43 prévoyant qu' « à titre exceptionnel, et pour répondre à une situation de crise économique grave sur le marché et au sein d'une filière, les ministres chargés de l'agriculture, de l'économie et de la consommation peuvent prendre, après avis de l'INAO, et pour une durée déterminée, toute disposition utile modifiant une condition de production d'un produit AOC de la filière concernée ».

La Commission a adopté un amendement rédactionnel du rapporteur aboutissant à une formulation plus générale et plus proche de celle retenue dans le cadre de l'ordonnance précitée.

Elle a ensuite examiné un amendement de M. Philippe Feneuil visant à introduire l'avis de l'INAO dans la procédure ainsi instituée. Votre rapporteur a signalé que dans le projet d'ordonnance relative à l'Institut National de l'Origine et de la Qualité, il était effectivement prévu un avis préalable de l'INAO avant l'intervention du gouvernement. Il s'est cependant déclaré réservé sur l'utilisation du terme « avis » qui pouvait prêter à confusion et conduire à interpréter un éventuel non suivi de l'avis de l'INAO comme un désaveu de celui-ci. Il a exprimé sa préférence pour le terme de « consultation » et souhaité que l'auteur de cet amendement le redépose en séance, afin de revoir cette question de sémantique et d'entendre les explications du ministre.

Répondant à M. Claude Birraux sur l'opportunité de sous-amender directement cet amendement en commission, votre rapporteur, a indiqué qu'il était important pour les professionnels de pouvoir disposer d'éléments sur les intentions du ministre retranscrits au Journal Officiel.

Suivant l'avis de votre rapporteur, la Commission a donc rejeté cet amendement.

La Commission a ensuite adopté un amendement de précision de votre rapporteur indiquant qu'il s'agissait bien de fixer les rendements autorisés « pour les vins à appellation d'origine contrôlée » puis l'article 1erainsi modifié.

Article 2

Gage

Un gage, visant à compenser les pertes de recettes éventuelles pour l'État résultant de l'application des dispositions de la proposition de loi par la création d'une taxe additionnelles aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts, avait été initialement joint au dispositif principal par précaution.

Toutefois, il s'avère que celui-ci est parfaitement inutile dans la mesure où, tout d'abord, l'objectif même de la proposition de loi n'est pas de diminuer les recettes de l'État et où, ensuite, l'adoption même de cette proposition de loi n'aura pas pour conséquence directe de diminuer ces recettes.

La Commission a donc adopté l'amendement de votre rapporteur supprimant l'article 2.

La Commission a ensuite adopté l'ensemble du texte de la proposition de loi ainsi modifiée.

En conséquence, la Commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire demande à l'Assemblée nationale d'adopter la proposition de loi dont le texte suit.

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION

PROPOSITION DE LOI

relative à la fixation des rendements des vins à appellation d'origine contrôlée pour la campagne 2006-2007

Article unique

A titre exceptionnel et par dérogation à l'article L. 641-3 du code rural, les ministres chargés de l'agriculture, de l'économie et de la consommation peuvent fixer pour la campagne 2006-2007 les rendements autorisés pour les vins à appellation d'origine contrôlée, y compris en dessous du rendement de base fixé dans le décret de l'appellation considérée.

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N° 3181 - Rapport de M. Antoine Herth fait au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire sur la proposition de loi, relative à la fixation des rendements des vins à appellation d'origine contrôlée pour la campagne 2006-2007 (n° 3172)

1 () Source : ONIVINS, Faits et chiffres 2004.

2 () Source : Agreste conjoncture, novembre 2005.

3 () Onivins Infos, avril 2006.

4 () « Réussir l'avenir de la viticulture en France », propositions présentées par M. Bernard Pomel, préfet, chargé de la coordination nationale des comités de bassin viticole pour la mise en œuvre d'un plan national de restructuration de la filière vitivinicole française, mars 2006.

5 () Le gouvernement s'est engagé à consacrer près de 38 millions d'euros à des actions de restructuration et 40 millions d'euros à des prêts de consolidation.

6 () Déclaration de Mme Mariann Fischer Boel le 7 juin 2006.

7 () Ce type de mesures existe notamment en Australie,où par exemple, en 2005, d'après l'Organisation internationale de la vigne et du vin, l'équivalent de 1,5 à 2 millions d'hectolitres de vin n'ont pas été vendangés (chiffres rapportés dans Le Monde daté du 21 juin 2006).

8 () La distillation consiste à retirer du marché les excédents de production à un prix minimal garanti ; le vin est ensuite transformé en alcool destiné soit au marché de l'alcool de bouche soit à être utilisé dans l'industrie ou comme carburant.

9 () Pour la France, VINIFLHOR a ainsi indiqué dans un communiqué en date du 13 juin 2006 que les contrats devront être souscrits entre les producteurs et les distillateurs agréés pour les distillations communautaires et présentés pour agrément à la délégation nationale de VINIFLHOR de Libourne entre le 29 juin 2006 et le 28 juillet 2006. Ils seront ensuite agréés au 22 août 2006 après application éventuelle d'une réfaction en cas de dépassement des quantités maximales. Enfin, les vins devront être livrés en distillerie après agrément des contrats et au plus tard le 28 février 2007.

10 () L'article 31 du règlement (CE) n° 1493/1999 précise en effet que « l'alcool ne peut être écoulé dans le secteur de l'alcool comestible ».

11 () 6,6 millions d'hectolitres pour la campagne 2000/2001, 6,9 millions pour celle de 2001/2002, 8 millions pour celle de 2004/2005 et 6,3 millions sont attendus pour campagne 2005-2006.

12 () 2,5 millions d'hectolitres de vins de table et 100 000 hectolitres de vins de qualité.

13 () « Le Premier ministre m'a demandé de trouver dans les vingt-quatre heures les moyens supplémentaires pour compenser l'action de l'Europe qui n'est pas à la hauteur de la situation. Dans les vingt-quatre heures, j'annoncerai donc les mesures complémentaires et, dès demain, en informerai tous les députés, afin qu'ils puissent se faire l'écho, sur le terrain, des mesures de solidarité que le Gouvernement va prendre à la suite de cette déficience de la Commission européenne ».

14 () Agra Presse, n° 3060, 12 juin 2006.

15 () Rapport d'information n° 349 (2001-2002) fait au nom de la Commission des affaires économiques par le groupe de travail sur l'avenir de la viticulture (M. Gérard Delfau, président, M. Gérard César, rapporteur).

16 () Calculs réalisés sur la base des cours publiés par les interprofessions d'AOC pour le mois de mai 2006.

17 () Rappelons qu'aux termes de l'article D. 641-73 du code rural, « le rendement de base, tel qu'il est fixé dans les décrets définissant les appellations d'origine contrôlées, définit la quantité maximale de raisins ou l'équivalent en volume de vin récolté par hectare de vigne pour lequel est revendiquée une appellation d'origine contrôlée ».


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