N° 3246 - Rapport de M. Olivier Dassault sur la proposition de résolution de M. Philippe Cochet et plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'appauvrissement de la France en raison de l'expatriation des patrimoines et des contribuables (3135)




Document mis

en distribution

le 11 juillet 2006

N° 3246

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 5 juillet 2006.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 3135) de M. Philippe COCHET, tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’appauvrissement de la France en raison de l’expatriation des patrimoines et des contribuables,

PAR M. Olivier DASSAULT

Député.

——

INTRODUCTION 5

I.- LE RÔLE DE LA FISCALITÉ DANS L’ATTRACTIVITÉ DU TERRITOIRE ET LE PHÉNOMÈNE DE DÉLOCALISATION DES CONTRIBUABLES ET DES PATRIMOINES 7

II.- LA FRANCE AU DÉFI DE LA MOBILITÉ DES CAPITAUX ET DE LA CONCURRENCE FISCALE : DES FAIBLESSES ET DES CONTRAINTES TOUT À FAIT DIAGNOSTIQUÉES 10

1.- L’attractivité « externe » du site France 10

2.- L’attractivité « interne » du site France 12

III.- PANORAMA DES DONNÉES DISPONIBLES SUR LES DÉPARTS DE CONTRIBUABLES FRANÇAIS À L’ÉTRANGER 14

1.- Typologie des Français qui vivent hors de nos frontières : des données générales qui ne peuvent révéler la mesure du déterminant fiscal 14

2.- Les chiffres de la délocalisation fiscale des contribuables français : des statistiques imparfaites, relativement datées, mais suffisamment illustratives et difficiles à améliorer 16

IV.- LES EFFETS ATTENDUS DES ACTIONS CORRECTRICES ENGAGÉES 19

EXAMEN EN COMMISSION 25

INTRODUCTION

L'Assemblée nationale a été saisie d'une proposition de résolution n° 3135 présentée par M. Philippe Cochet, tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’appauvrissement de la France en raison de l’expatriation des patrimoines et des contribuables.

La France a plus d’atouts qu’elle ne le croit, mais moins qu’elle ne le pourrait. Dans un monde heureusement libéré d’idéologies sectaires, et alors que les sources des mutations économiques et sociales sont renouvelées et démultipliées, il appartient indéniablement au législateur d’être au service du rayonnement et de l’attractivité de notre pays, pour lui offrir les chances qu’elle mérite.

Jadis appréhendé comme une prérogative de puissance publique ou comme un instrument économique, la fiscalité doit désormais être considérée comme un élément substantiel de l’attractivité de notre territoire et de notre compétitivité économique.

A l’évidence, l’environnement fiscal n’est pas encore le meilleur argument de notre pays pour attirer créateurs, étudiants ou entrepreneurs. Regretter, ou déplorer, le départ hors de France de contribuables ou de leurs patrimoines, c’est s’interroger utilement sur une situation plus préoccupante qu’on ne le dit, plus grave qu’on ne le croit ; non pour se lamenter, mais pour répondre aux inquiétudes, relever les défis, constater la réalité et en prendre la mesure et, surtout, adapter notre droit fiscal afin de conserver celles et ceux qui ont réussi, mais aussi celles et ceux qui veulent entreprendre et réussir.

L'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et les articles 140 et suivants du Règlement de l'Assemblée nationale posent deux conditions à la recevabilité d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête :

– d'une part, « cette proposition doit déterminer avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission doit examiner la gestion »  (1) ;

– d'autre part, « si le garde des sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, celle-ci ne peut être mise en discussion » (2). Sur ce dernier point, votre Rapporteur n'a pas reçu, à ce jour, la réponse de la Chancellerie à la demande du Président de l’Assemblée nationale. Néanmoins, ce motif de rejet peut raisonnablement être écarté.

Seul le critère de précision mériterait donc examen pour apprécier la recevabilité juridique de la proposition. Elle satisfait cette exigence puisqu’elle détermine précisément les faits concernés. Son article unique apporte les éléments nécessaires à l’interprétation de l’intitulé : l’expatriation des patrimoines et des contribuables doit s’entendre des départs de contribuables hors de France motivés par des considérations fiscales, entraînant la fuite de ces patrimoines. La commission d’enquête n’aurait donc pas un objet extensif tendant à appréhender l’intégralité des expatriations, dont, bien heureusement, l’origine n’est pas nécessairement fiscale, ni l’ensemble des stratégies d’optimisation ou de fraude fiscale par transfert de sommes à l’étranger, ni enfin à traiter des délocalisations d’entreprises en elles-mêmes. Les travaux seraient circonscrits à l’analyse des déterminants et des effets des expatriations des contribuables, entraînant par voie de conséquence une perte de richesses pour notre pays.

Loin de constituer une réaction à un épiphénomène révélateur d’une situation à expertiser, comme le sont beaucoup de demandes de création d’une commission d’enquête, cette proposition de notre collègue s’inscrit dans une réflexion légitime que nombre d’entre nous animent depuis plusieurs années sur une tendance de fond, particulièrement inquiétante pour notre économie, et dont les implications concrètes sont chaque jour plus pressantes en faveur de réformes d’envergure.

Ce sujet mérite amplement d’être traité dans le cadre de travaux législatifs et une commission d’enquête pourrait apparaître comme un moyen privilégié de produire une photographie exhaustive du phénomène de l’expatriation pour raisons fiscales, aboutissant à des propositions pertinentes. Cependant, si les conditions juridiques permettant l’ouverture d’une commission d’enquête sont réunies pour ce thème tout à fait mobilisateur, il n’en va pas de même en termes d’opportunité, mais aussi d’utilité dans le débat public.

En effet, d’une part, de nombreuses études ont déjà été produites, tant théoriques qu’empiriques. Les imperfections qu’elles peuvent manifester s’avèrent souvent structurelles et ne pourraient que difficilement être palliées dans le cadre de travaux d’une commission d’enquête. Il convient de les rappeler. D’autre part, ces études et les témoignages des principaux acteurs de ce sujet ont fait l’objet d’une attention particulière au cours de la présente législature. Le dispositif des mesures adoptées donne un visage à la réforme fiscale qui demeure à achever. Même si le dynamisme du mouvement de réforme doit encore être soutenu, il convient sans doute de laisser le temps aux contribuables d’intégrer le nouvel environnement fiscal qui leur est proposé. Des modifications de comportements micro-économiques devraient en résulter, et il s’agit d’en tenir compte avant d’élaborer de nouvelles propositions.

I.- LE RÔLE DE LA FISCALITÉ DANS L’ATTRACTIVITÉ DU TERRITOIRE
ET LE PHÉNOMÈNE DE DÉLOCALISATION DES CONTRIBUABLES
ET DES PATRIMOINES

La problématique de l’attractivité du territoire est duale et recouvre deux facettes. Ce sont deux questions auxquelles il faut simultanément répondre. Le territoire est-il suffisamment attractif pour attirer les capitaux étrangers et une main d’œuvre à haute valeur ajoutée ? L’est-il suffisamment pour conserver en France les capitaux domestiques, les investissements, le potentiel humain, qui, conjointement, alimenteront également la croissance future ?

Schématiquement, l’attractivité regroupe donc les aspects de compétitivité économique et de localisation des bases d’imposition. Son niveau se mesure au travers des mouvements de personnes et de capitaux, un déficit en ce domaine pouvant générer un appauvrissement du territoire.

Bien que surgie dans le débat au cours d’une période récente en France, la question de l’attractivité et de ses enjeux en termes de richesses a fait l’objet ces dernières années de très nombreuses publications (3). Le troisième objet qui serait assigné à la commission d’enquête serait « d’énumérer et de recenser les facteurs déclenchants de l’expatriation de nos citoyens ». L’ensemble de ces publications s’y sont attaché, tendant notamment à apprécier dans quelle mesure la fiscalité constitue un déterminant de l’attractivité fiscale d’un territoire et quelle serait l’architecture d’un système fiscal optimal en économie ouverte. Formulant des propositions en vue d’assurer à la France la place qu’elle mérite, leurs auteurs ont suggéré certains aménagements de la fiscalité, notamment patrimoniale, qui pour certains ont été mis en œuvre. Votre Rapporteur, dans le souci de répondre à la demande initiée par notre collègue, tentera ici de présenter succinctement l’état de la réflexion sur l’attractivité et les phénomènes de localisation qu’elle est supposée induire.

La liberté de circulation des capitaux et la baisse des coûts de transport donnent un sens nouveau à la question de la localisation des activités et des personnes. L’intégration économique et financière internationale, particulièrement la construction d’un marché commun européen, facilite la mobilité de certaines assiettes et accroît la valeur des élasticités-prix de celles-ci, impliquant de repenser l’arbitrage efficacité/équité de la fiscalité.

Le déficit d’attractivité peut ouvrir un cercle vicieux : la délocalisation des bases d’imposition est suivie de celle des activités, tandis que l’appauvrissement des capacités d’investissement et des recettes fiscales conduit à reporter le poids du financement sur les facteurs les moins mobiles, alors que l’Etat est privé des marges financières lui permettant de baisser les taux pour encourager au maintien des bases encore présentes (4).

Le maintien sur son territoire des contribuables et des activités est devenu un enjeu majeur qui doit faire l’objet d’une attention particulière alors que toute une génération d’entrepreneurs arrive à l’âge de la retraite. Notre collègue M. Philippe Cochet rappelle utilement que les transmissions d’entreprise en cours et à venir sont fondamentales. Le monde économique avancé est plus que jamais fondé sur le développement des PME et TPE, les « gazelles ». Loin d’être négligée, cette question a fait l’objet de nombreux travaux, notamment de la part de la Commission européenne. Il convient de citer ici sa recommandation sur la transmission des petites et moyennes entreprises (94/1069/CE) du 31 décembre 1994, partant du constat que les transmissions présentent de meilleures chances de survie que les créations et permettent de conserver plus d’emploi qu’une entreprise nouvelle n’en crée. Le rapport final du projet MAP 2002, paru en août 2003 et intitulé « Transmission d’entreprise – la continuité grâce à un nouveau départ », a fait le point sur la mise en œuvre de ce projet dit « Best » et proposé de nouvelles mesures. Dans son avis du 14 mars 2006, la Commission européenne réévalue ses estimations à 690.000 PME qui changeront de main chaque année dans les dix ans à venir avec une incidence potentielle de 28 millions d’emplois (5). Elle souligne notamment les évolutions législatives de la France pour faire face à ce phénomène. Nous y reviendrons.

Il convient d’insister sur le fait qu’une pression fiscale trop élevée provoque trois réactions : les départs à l’étranger d’épargnants, le développement d’une fraude fiscale entraînant avec elle la délocalisation des activités financières(6), et des pertes de recettes fiscales directes mais aussi indirectes (imposition des capitaux des épargnants, des revenus du travail et de la consommation des contribuables « exilés »). La question des pratiques frauduleuses a été en grande partie réglée avec l’adoption de la directive épargne, entrée en vigueur au 1er juillet 2006, qui permet l'échange d'informations entre pays européens sur l'épargne des non-résidents placée dans leurs banques (7). En revanche, la question des départs et des pertes de recettes reste ouverte.

La capacité d’un pays à retenir sur son sol les contribuables les plus fortunés est une notion relative. Elle dépend bien entendu des régimes auxquels ceux-ci sont susceptibles d’être soumis dans les autres pays offrant par ailleurs des conditions de vie et de travail équivalentes. C’est tout le débat sur la concurrence fiscale dommageable en Europe, qui s’est notamment traduit, suite au rapport de Mme Dawn Primarolo de novembre 1999 identifiant 66 mesures fiscales dommageables, par un « paquet fiscal » comportant un code de conduite. Ce sont ces travaux qui ont abouti à la directive épargne précitée. Mais cette capacité dépend aussi de l’attractivité intrinsèque de l’économie du pays et de la perception qu’en ont les acteurs.

Concernant l’attractivité intrinsèque du territoire, les travaux récents du courant de la nouvelle économie géographique ouvrent des pistes intéressantes (8). Ils définissent l’existence de forces d’agglomération, en outre renforcées par la présence de biens publics, qui peuvent être suffisamment puissantes pour freiner la délocalisation. Les pays les plus avancés bénéficieraient d’une rente d’agglomération et pourraient ainsi maintenir un écart positif d’imposition, sous réserve qu’il soit soutenable. Quand l’ouverture du pays est très grande, cette rente s’amenuiserait et le risque de délocalisation vers les pays concurrents deviendrait très élevé. Or, plus les pays concurrents disposent d’un niveau de développement similaire, plus ce risque serait fort, un écart d’imposition pouvant en revanche rester soutenable par rapport à des « petits » pays. L’essentiel serait donc de pouvoir déterminer cet écart de fiscalité internationalement soutenable.

S’agissant enfin de la perception des acteurs, cette donnée oblige à revoir l’analyse que proposent les indicateurs traditionnels. Quelle est exactement la situation économique d’un pays telle que ressentie par les investisseurs ? Les chiffres des investissements directs étrangers n’appréhendent que la dimension financière des décisions de localisation. Ils intègrent les opérations de restructuration et les rachats d’entreprises, y compris ceux qui s’achèvent par un dépècement en règle. Autre exemple, une large part des flux du Luxembourg correspondraient à des transits de capitaux liés à la fiscalité avantageuse dont bénéficient certaines holdings luxembourgeoises. Les grands indices de compétitivité, tels ceux de l’IMD de Lausanne ou du Forum économique mondial, volatiles et parfois contradictoires, ne permettent pas de saisir la réalité économique, les créations nettes d’emplois, le niveau de vie et les biens publics, tout ce qui peut aussi concourir à la décision d’investir et de développer des activités. Les enquêtes auprès des investisseurs peuvent alors se révéler précieuses et orienter l’action publique. Quelle est exactement la situation de la France dans ce jeu qui paraît souvent à sommes nulles ?

II.- LA FRANCE AU DÉFI DE LA MOBILITÉ DES CAPITAUX ET DE LA CONCURRENCE FISCALE : DES FAIBLESSES ET DES CONTRAINTES TOUT À FAIT DIAGNOSTIQUÉES

Le débat sur l’appauvrissement de la France est récurrent.

Les indicateurs classiques présentent des résultats mitigés. Rappelons en premier lieu le coup de tonnerre provoqué par le rapport annuel 2003 du Forum économique mondial sur la compétitivité qui a classé la France au 26ème rang en 2003, sur 102 pays classés, pour l’indice macro-économique (Growth Competitiveness Index). Dans son rapport 2005-2006, notre pays est relégué au 30ème rang (27ème en 2004), marquant donc un recul constant. En matière de fiscalité, la France occupe une position plutôt défavorable : parmi les pays de l’OCDE, son taux de prélèvements obligatoires demeure sensiblement plus élevé que celui de ses partenaires (45,8% du PIB en 2003, inférieur cependant à ceux de la Belgique, du Danemark et de la Suède). Le rôle des prélèvements sociaux doit être pris en compte dans ce résultat. Enfin, la croissance du PIB en 2005 ne s’est élevée qu’à 1,2%, inférieure donc à la moyenne des pays de l’OCDE (+2,7%) et à celle de la zone euro (+1,4%).

Néanmoins, la consommation des ménages a progressé en 2005 de 1,9% et l’apport de l’investissement à la croissance (3,6% d’augmentation) s’est élevé à 0,7 points de PIB, contribution la plus forte enregistrée depuis 2000. Les recettes fiscales ont pour leur part atteint un niveau record, contrastant avec un sentiment d’appauvrissement. Leur rythme de croissance reste en effet très supérieur à celui de la richesse nationale, malgré les baisses d’impôt opérées, avec une variation de 3,8% par rapport à 2004 (évolution spontanée de 4,5%). À noter en particulier que les droits de mutation ont spontanément progressé de 10,8% et que l’impôt de solidarité sur la fortune a progressé de 17,7%. Le nombre de contribuables assujettis à l’ISF a d’ailleurs plus que doublé depuis 1998, s’établissant en 2005 à 394.518, pour un produit de 3,08 milliards d’euros (9).

Concernant les investissements étrangers, les résultats sont plutôt positifs. La France prend en effet en 2005 la quatrième position des investissements directs étrangers (IDE), avec plus de 40 milliards d’euros. Selon les chiffres de l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII), la France a accueilli 664 projets, chiffre en hausse de 12,4% par rapport à 2004. Sur l’ensemble du premier trimestre 2006, ils seraient en progression à 15 milliards d’euros, contre 10,8 milliards au premier trimestre 2005. Parallèlement, l’étude 2006 de KPMG, Choix concurrentiels, Le Guide de KPMG sur les coûts des entreprises à l’échelle internationale, place la France en bonne position : elle a avec les Pays-Bas les meilleurs résultats parmi les pays européens, sa situation s’améliorant par rapport à celle des États-Unis (avantage de 4,4%). L’étude la place au troisième rang mondial en termes de coût d’implantation des entreprises. Le séminaire gouvernemental sur l’attractivité du territoire, tenu le 22 mai dernier avec une partie des dirigeants d'entreprises françaises et étrangères composant le Conseil stratégique de l'attractivité (10), a constitué l’occasion de rappeler ces bons chiffres et d’appeler à la poursuite de l’amélioration du cadre d’accueil des talents et des investisseurs étrangers.

La confiance des investisseurs dans l’avenir économique de la France paraît plus mesurée. Les résultats du Baromètre Ernst et Young 2006 de l’attractivité du site France (11), La France en mal d’image ?, sont à cet égard éloquents. Si la France demeure la deuxième destination pour les investisseurs étrangers (17,5% des IDE), elle n’est jamais citée en première position sauf pour le critère de qualité de vie. D’un côté, la proportion des points de vue positifs a augmenté de 14 points pour atteindre 36%, de l’autre le taux d’opinions négatives a lui aussi augmenté de 7 points et s’établit à 30%. 9% des sondés trouvent ainsi que l’attractivité du site France s’est fortement dégradée. 40% des investisseurs pensent que l’attractivité de la France va s’améliorer (5 points de plus) ; 32% sont convaincus de sa future détérioration (9 points de plus). Les implantations existantes dénotent cependant une certaine stabilité, 76% des investisseurs interrogés n’envisageant pas de transférer partiellement ou totalement leur implantation, contre « seulement » 20% à en avoir le projet alors qu’ils étaient 31% en 2005. À noter que 35% des répondants considèrent essentiel d’alléger la fiscalité.

Les analystes d’Ernst et Young en concluent que « les réformes annoncées par les acteurs publics ne provoquent pas encore la réconciliation du site France avec ses clients ou ses relais d’opinion. » Ils citent en exemple le Royaume-Uni « mélange de flexibilité et de performance financière », mais aussi le modèle suédois, « sélectif et protecteur, sans doute moins séduisant pour la communauté financière, mais efficace et lisible ».

La présente proposition de commission d’enquête tendrait à démontrer aussi que cette efficacité et cette lisibilité manquent pour les investisseurs français, alors que les points faibles de la France ont fait l’objet d’analyses approfondies ayant débouché sur des réformes importantes. En somme, la France douterait de sa propre attractivité. Cette analyse est-elle véritablement celle des investisseurs français eux-mêmes ? S’agissant du rôle joué par la fiscalité, quels sont les éléments qui dégradent la situation de notre pays au regard de ses principaux partenaires et sont susceptibles de provoquer une fuite des contribuables ?

De nombreux efforts ont été produits pour renforcer l’attractivité externe de la France, et la fiscalité peut à cet égard constituer un outil d’appel des investisseurs étrangers, en capitalisant par ailleurs les autres atouts du territoire. Ainsi en va-t-il de la mise en place de l’exonération des suppléments de rémunération des cadres « impatriés ». Ces outils fiscaux, plutôt efficaces, s’avèrent néanmoins à double tranchant. Ils peuvent inciter des contribuables français à obtenir artificiellement un statut de non résident, d’autant que l’installation dans un pays voisin peut bénéficier d’un régime spécial (12). Dans un tel contexte, le départ à l’étranger présente des avantages immédiats auxquels la fiscalité interne doit être en mesure de faire face.

La grande majorité des études sur l’attractivité « interne » de la France démontrent la concentration des impositions sur un petit nombre de contribuables, tant en termes de montants des recettes, qu’en termes de nombre d’impôts qui les affecte. Toutes ne présentent pas des positions alarmistes. Le rapport du Conseil des impôts de 2004 (13) propose ainsi une approche relativement optimiste, considérant notamment que les effets de la fiscalité ont un impact marginal sur la délocalisation des personnes. Il met en exergue cependant, d’une part, le cas particulier du cumul de l’ISF avec l’impôt sur les plus-values en cas de cession d’une entreprise ou de droits ou parts, d’autre part « certaines limites du régime de l’exonération des biens professionnels […] qui conduisent à des situations inéquitables ou inefficientes ». Il conclut en revanche que l’impôt sur le revenu ne produit pas ce type d’effets, sauf dans certains cas très limités d’agents pour lesquels le lieu de résidence est sans lien avec l’activité du fait d’un mode de vie totalement international (mannequins, sportifs, financiers) et qui bénéficient généralement dans cet autre pays d’un régime de faveur en tant qu’impatriés.

Le rôle cumulatif de l’ISF apparaîtrait bien comme le plus problématique, s’agissant du profil des redevables et de l’impact potentiel de leur départ hors de France. Seules des raisons encore dogmatiques et idéologiques, paralysantes pour le courage politique, peuvent justifier le caractère durable de cette spécificité française.

Il convient en effet de rappeler que la plupart des États ont supprimé leur impôt sur la fortune ; seuls l’Espagne, la Finlande, le Luxembourg et la Suède l’ont conservé. Autre sujet d’inquiétude, la répartition du produit de l’ISF, 2,8 milliards d’euros payés par 394.518 contribuables, reste très concentrée sur les dernières tranches du barème : 1,25% des assujettis correspondant aux deux dernières tranches acquittent ainsi 25,5% du produit de l’impôt. Pour les assujettis à la dernière tranche, la part des biens meubles dans l’assiette de l’ISF s’élève à 91% (14). On conçoit bien, dès lors, dans quelle mesure ces actifs peuvent faire l’objet de plusieurs impositions (à l’entrée dans le patrimoine, au cours de sa détention, comme à sa sortie), pour des montants non négligeables.

En outre, sur les 5.485 redevables dont la cotisation était plafonnée en 2005, 2.124 voyaient cet avantage lui-même plafonné au titre du mécanisme du « plafonnement du plafonnement ». Cette fiscalité concentrée et très progressive sur les valeurs mobilières n’est pas sans effet pour les entreprises dont ces redevables détiennent les parts, titres ou actions, puisqu’elles se trouvent parfois dans l’obligation de distribuer des dividendes importants pour couvrir le montant d’ISF dû par ces derniers, sous réserve qu’elles en aient la possibilité.

D’autres études plus critiques du système fiscal français en matière d’attractivité rejoignent cette analyse sur le problème du cumul des impositions. Selon les comparaisons internationales effectuées dans le rapport Croissance équitable et concurrence fiscale du Conseil d’analyse économique en 2005, le taux d’imposition marginal pour les salariés les plus productifs et les plus mobiles serait plus élevé que celui de la Belgique, de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Espagne, du Luxembourg, de l’Irlande, de la Suisse, du Royaume-Uni, des États-Unis et du Japon. Pour être à nouveau attractive, la France devrait donc baisser son taux marginal d’imposition d’au moins quinze point de pourcentage. À l’exception du Japon, c’est la France qui présenterait aussi les taux marginaux d’imposition sur le revenu des capitaux investis en actions les plus élevés. À cela s’ajoute une fiscalité assez élevée des mutations.

Sans céder au mythe de l’impôt unique idéal (15), ce constat de multiplicité et de superposition des impositions pose manifestement problème pour retenir les contribuables les plus fortunés. Au-delà de nos intuitions ou de nos constatations empiriques, un environnement concurrentiel couplé à une fiscalité relativement concentrée sur les acteurs les plus mobiles se traduit-il par des départs massifs ?

III.- PANORAMA DES DONNÉES DISPONIBLES SUR LES DÉPARTS DE CONTRIBUABLES FRANÇAIS À L’ÉTRANGER

Le premier objet de la commission d’enquête qu’il nous est proposé de créer serait « d’établir précisément la réalité de l’expatriation des patrimoines et des contribuables depuis 1988 […] ». Des données chiffrées sont disponibles pour nous éclairer sur la réalité des départs à l’étranger. Elles sont de deux ordres : d’une part celles relatives aux Français établis à l’étranger, d’autre part celles que l’administration fiscale peut extraire en matière de départ à l’étranger de contribuables français. Ces informations, pour imparfaites qu’elles soient, ne peuvent être améliorées qu’à la marge, rendant le mécanisme de la commission d’enquête disproportionné par rapport aux résultats à escompter.

L’étonnement fait parfois naître l’espoir : l’accroissement régulier de la population française expatriée n’est pas un indicateur négatif. L’ensemble de nos voisins connaissent un phénomène identique, qui s’explique en partie par l’internationalisation des compétences et des savoirs, le développement de la mobilité étudiante, les atouts de l’expérience professionnelle à l’étranger dans une carrière et la possibilité de voyager à grande vitesse à faible coût. À titre d’exemple, le nombre de Suisses établis hors de leur pays s’élevait fin décembre 2005 à 634.216 personnes, soit plus de 3,5 fois plus qu’en 1990. Ils représentent en particulier la plus grande communauté résidant en France (16). Malgré un fort accroissement, seulement 2% des Européens vivraient en dehors de leur pays, mais il convient d’en déterminer le « profil fiscal », exercice peu aisé.

En France, la direction des Français de l’étranger et des étrangers en France (DFAE) produit un certain nombre de statistiques, consultables sur le site du ministère des Affaires étrangères, dont les dernières données portent sur l’année 2004. La population française inscrite sur les registres consulaires s’élevait à 1.252.229 personnes, en hausse de 2,4% par rapport à 2003, alors que la progression s’était établie à 11,2% l’année précédente. L’évolution sur dix ans affiche une hausse de 39,5%. La population rajeunit (28% de la population a moins de 18 ans), particulièrement en Europe.

L’ensemble de ces chiffres ne concerne néanmoins que les inscrits, l’ensemble des Français hors de France étant estimé à 2,2 millions. À l’inverse, ils recouvrent l’ensemble des Français résidant à l’étranger et non les départs enregistrés annuellement. Leur pertinence pour analyser les phénomènes de départ est donc à nuancer. Certains éléments s’avèrent néanmoins intéressant : ces chiffres sont en progression constante mais régulière et modérée, 33% sont des cadres supérieurs et professions intellectuelles, trois fois plus que les entrepreneurs, mais ce chiffre tombe à « seulement » 27% en Europe occidentale (contre plus de 50% en Europe de l’Est et en Asie-Océanie). Surtout, 15 pays totalisent 70% de la population française établie hors de France : neuf appartiennent à l’Europe occidentale, la Suisse occupant la première place, et deux appartiennent au Maghreb.

Un questionnaire diffusé dans certains postes consulaires en 2003 et 2004, ayant donné lieu à 4.000 réponses, apporte des précisions complémentaires, mettant en lumière le fait qu’il y a « des caractéristiques spécifiques du Français dans les postes ». Les Français installés à Londres sont essentiellement des actifs, pour beaucoup venus chercher une première expérience professionnelle (surreprésentation de la tranche d’âge 25-34 ans) avec beaucoup de diplômés de l’enseignement supérieur court. Ceux de New York sont plutôt des cadres de haut niveau, 72% ayant un diplôme de l’enseignement supérieur long, travaillant dans les finances ou l’industrie et installés, en famille, depuis plusieurs années. Les Français de Tunisie sont plus intégrés (double nationalité) et 25% sont retraités. Les Français installés à Berlin sont assez jeunes, près d’un quart d’entre eux étant des enfants.

Autre source d’information intéressante enfin, une étude TNS Sofres réalisée du 2 mars au 8 avril 2005 auprès de 2.120 Français vivant à l’étranger (17) tente de dresser un tableau des motivations, des profils et du degré de satisfaction des expatriés. 45% indiquent être partis par envie de quitter la France ; ils sont 51% parmi les créateurs d’entreprises. 25% ne veulent plus revenir en France, ce chiffre s’élevant à 45% pour les créateurs d’entreprise. Le Royaume-Uni arrive en tête des destinations. Cette enquête ayant été réalisée sans constitution préalable d’un panel représentatif, il convient d’en manier les résultats avec prudence. Il n’en demeure pas moins que certains écarts de résultats selon les catégories sont parlants. Un nouveau sondage de la TNS Sofres (18), réalisé du 13 mars au 20 avril 2006 auprès de 1.814 français majeurs travaillant ou étudiant à l’étranger et reconduisant l’enquête de 2005, affiche 28% de répondants ne souhaitant pas revenir en France.

L’ensemble de ces données indique que le problème des retours est aussi important que celui des départs.

Néanmoins, les données disponibles sont encore insuffisantes pour isoler le rôle de la fiscalité dans les décisions de délocalisation et ne permettent pas de disposer de profils d’expatriés assez fins pour tirer des conclusions. Sauf à réaliser un recensement des « exilés fiscaux », enquête à laquelle ne se prêteraient sans doute pas l’ensemble de ceux-ci, ce sont donc les chiffres de l’administration fiscale qui pourraient seuls constituer des données pertinentes.

Sans relever de « blocages administratifs », il a d’abord fallu que la prise de conscience politique s’opère pour que l’administration se saisisse de la question des expatriations fiscales et tente de mettre au point des statistiques sur les départs, les retours, les pertes en bases imposables et en recettes fiscales.

Les premiers chiffres transmis par la direction générale des impôts (DGI) au sujet des « délocalisés de l’ISF », population représentative, ont à l’époque, en 1999, provoqué un grand émoi, qui a accéléré la réflexion sur les mesures à prendre, tout en nuançant certaines appréciations intuitives exagérées sur la fuite des cerveaux. Cette étude de la DGI, à laquelle notre collègue fait référence, portait sur les années 1997/1998 et concluait que 350 redevables de l’ISF partaient chaque année à l’étranger. L’apparition d’une tranche supplémentaire de 0,3 point, opérant un effet de progressivité de 20%, n’allait pas freiner ces départs. Si elle n’a pratiquement rien rapporté alors que la loi de finances pour 1999 attendait 2,5 milliards de francs de recettes supplémentaire, on calcule mécaniquement que la délocalisation de patrimoine aurait été, cette année-là, d’au moins 138 milliards de francs, soit 21 milliards d’euros (19).

Un observatoire des délocalisations, analysant les flux de départs de contribuables assujettis à l’ISF, a été créé : dès lors qu'un centre des impôts a connaissance du transfert hors de France du domicile d'un redevable à l'ISF, il en informe cet observatoire. Le nombre de délocalisations au regard de l’impôt sur le revenu fait également l’objet d’évaluations par la DGI, au moyen des dossiers transmis au centre des impôts de non-résidents et du fichier d’identification des personnes. Environ 33.600 contribuables se seraient ainsi délocalisés en 2002. Ces départs ont des motifs a priori d’ordre principalement professionnel, comme le soulignait déjà le rapport du Sénat précité de 2000 (20).

Les dernières données publiées datant pour l’essentiel de 2003, contenues dans le rapport du Sénateur Marini relatif à l’impôt de solidarité sur la fortune et dans celui du Conseil des Impôts (21), votre Rapporteur a jugé utile de les reproduire ici en procédant à quelques actualisations sur la base d’informations transmises à cet effet par le ministère de l’économie, des finances et de l’industrie.

NOMBRE DE DÉLOCALISATIONS LIÉES À L’IMPÔT DE SOLIDARITÉ SUR LA FORTUNE

Année

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003 (non définitif)

Nombre

370

363

350

359

367

383

370

(Source : Ministère de l’économie, des finances et de l’industrie)

Depuis 1997, le flux de départs apparaît relativement stable. En 2002, on dénombrait, parmi ces « délocalisés », 70 dirigeants d’entreprises et environ 25 déclarants de biens professionnels exonérés. Les pertes en droits et bases restent relativement stables depuis 1998. Les pertes de droits s’élevaient à 11,8 millions d’euros en 2002 et les bases liées à ces droits à environ 1,5 milliards d’euros, dont plus de 1 milliard d’euros de patrimoine financier et environ 300 millions d’euros de patrimoine immobilier. En 2003, le patrimoine moyen des contribuables ayant quitté la France s’établirait à 3 millions d’euros, en diminution par rapport à celui de 2002 (4,15 millions d’euros). Ils auraient acquitté en 2003 des droits s’élevant à 7,1 millions d’euros, soit 0,3% du rendement total de l’ISF.

Comme le soulignait M. Philippe Marini dans son rapport, ces chiffres ne couvrent que les droits correspondant à l’ISF et les bases imposables connues. L’impact potentiel en termes de recettes fiscales et d’investissement est donc très largement supérieur. En outre, ces contribuables ont en moyenne seulement 53 ans contre 66 ans pour l’ensemble des redevables de l’ISF.

DESTINATION DES REDEVABLES DE L’ISF DÉLOCALISÉS (2001)

 

Destination

Effectifs en %

Patrimoine moyen imposable (1)

Part mobilier

Part immobilier

Belgique

Suisse

États-unis

Royaume Uni

18%

16%

12%

11%

3,6

9,29

2,67

2,23

83%

91%

73%

69%

17%

9%

27%

31%

Ensemble des redevables

1,79

69%

31%

(1) En millions d’euros

Source : direction générale des impôts

 

Le tableau des destinations ne réserve guère de surprise.

Les pays frontaliers à fiscalité plus avantageuse, Suisse, Belgique et Royaume-Uni, constituent une destination privilégiée. La Belgique offre à cet égard un cadre de choix du fait de sa proximité, permettant aux dirigeants de céder leur entreprise en franchise de plus-values et d’échapper à l’impôt de solidarité sur la fortune. En 2003, la Suisse est la destination favorite pour 21,6% des redevables concernés, devant la Belgique (12%), le Royaume-Uni (10,8%) et les Etats-Unis (8%). En conséquence, la typologie des départs serait la suivante : les plus fortunés (54-55 ans) disposeraient d’un patrimoine moyen de 15 à 16 millions d’euros et partiraient en Suisse ou en Belgique et les moins fortunés (45 ans en moyenne) disposeraient d’un patrimoine moyen de 2,8 à 3,8 millions d’euros et partiraient au Royaume Uni ou aux États-Unis. Cependant, près de la moitié des départs concernent une autre destination et n’ont pas été étudiés.

Le flux des « retours » de redevables à l'ISF s’élèverait à 149 en 2003, avec des gains en droits à hauteur de 0,7 million d'euros pour des bases imposables d’environ 184 millions d'euros, soit des montants sans commune mesure avec ceux des départs, laissant supposer qu’il ne s’agit pas de personnes présentant le même profil. Le patrimoine moyen s’établit à 1,78 millions d’euros.

Le constat dressé par M. Philippe Marini dans son rapport de 2004 n’a pas évolué : « les données recueillies sont, malgré des améliorations notables, tardives et trop parcellaires. L'absence de suivi « en temps réel » des expatriations de contribuables empêche le gouvernement d'en tirer les conséquences en matière de politique fiscale (22)». Ces statistiques sont en effet soit insuffisantes, soit hasardeuses. Les chiffres sur le montant des patrimoines ne reposent que sur une extrapolation à partir de l’imposition des plus-values latentes lors du transfert du domicile fiscal hors de France ; une telle extrapolation n’est d’ailleurs plus possible puisque cette taxation a été supprimée. En effet, seules les bases imposables sont recensées par la direction générale des impôts, les contribuables n’ayant pas l’obligation d’évaluer leur patrimoine exonéré. Dès lors, on voit mal à quoi une commission d’enquête pourrait aboutir sur ce point.

S’agissant du nombre de départs liés à l’ISF - ou plutôt au montant total des impositions qui s’établit dès lors qu’un impôt sur la fortune existe - ils ne peuvent être tracés qu’à compter du moment où les redevables étaient assujettis à l’ISF. Or, plusieurs situations, dont les rapports du Conseil d’analyse économique et du Conseil des impôts précités notamment donnent plusieurs exemples, passent totalement au travers.

Rappelons-en au moins deux :

– un jeune créateur qui a monté sa société à actionnariat familial puis a fait entrer dans le capital des investisseurs extérieurs et finalement s’expatrie avant l’introduction en bourse. En effet, le résultat net étant encore négatif, la société ne verse pas de dividendes qui pourraient permettre aux actionnaires familiaux de payer l’ISF ;

– un chef d’entreprise bénéficiant de l’exonération d’ISF au titre des biens professionnels qui s’expatrie avant de cesser son activité. Le produit de la vente aurait pourtant pu être réinvesti en France, sous une forme ou une autre, et l’entreprise se porterait peut-être mieux, en admettant qu’elle a été maintenue, si la transmission s’était opérée dans de meilleures conditions.

Si les quelques 350 contribuables recensés sont relativement identifiables, il n’en est pas de même de tous ces actifs créatifs au gros potentiel entrepreunarial. Ce sont aussi et surtout ceux-là qu’il faut maintenir en France. Or, il n’est pas possible de disposer de données chiffrées fiables en la matière, ni sur la cause des départs, non repérable, ni sur les investissements (qu’auraient-ils été s’ils avaient été réalisés en France ?) et les emplois perdus à terme. C’est ce qui explique l’attention portée aux enquêtes d’opinion et aux déclarations à la presse d’expatriés, concernant leur réaction à la mise en œuvre de réformes fiscales.

Le départ à l’étranger est-il une décision si simple à mettre en œuvre et est-il irréversible ?

Selon la réponse à cette question, les chiffres pourront apparaître faibles ou très inquiétants. Ce que l’on peut avancer, c’est que l’article 4 B du code général des impôts qui définit la résidence fiscale empêche les non-résidents de trop investir en France, du fait du risque d’une requalification, ce qui contraint l’activité que les expatriés peuvent développer en France (23). Si la résidence fiscale se détermine au regard de quatre critères cumulatifs, c’est celui du centre des intérêts économiques qui est déterminant en la matière, c'est-à-dire le poids comparé des investissements en France et à l’étranger. Dès lors, le contribuable qui s’expatrie doit strictement limiter, non seulement le nombre de jours de présence en France, mais aussi sa détention de biens meubles et immeubles. Un départ n’est donc pas une décision neutre et on comprend que le phénomène demeure limité, même si progressivement des effets d’imitation peuvent se faire jour, notamment dans les zones frontalières. En revanche, le départ d’un contribuable s’accompagne généralement d’un départ définitif des capitaux, afin d’échapper à toute requalification fiscale.

Même limité, un tel phénomène est donc susceptible d’avoir des pertes indirectes importantes, ce qui justifie que plusieurs mesures ont notamment eu pour objet de le freiner. Il reste à espérer que ces mesures seront efficaces. Cela reste à démontrer.

IV.- LES EFFETS ATTENDUS DES ACTIONS CORRECTRICES ENGAGÉES

L’ensemble des études conduites en la matière ont permis d’identifier les causes de ces expatriations pour motifs fiscaux et donc « d’évaluer […] les grands axes de réflexion permettant à notre pays de mettre en œuvre de futurs outils pour, d’une part, faire cesser l’expatriation des patrimoines et des contribuables et, d’autre part, faciliter le retour des exilés fiscaux », tenant compte notamment « des politiques conduites par nos principaux partenaires européens » (24), ne serait-ce que du fait de leurs effets directs en termes d’attractivité relative. Toute modification de l’environnement, fiscal entre autres, dans un pays a en effet des répercussions immédiates, compte tenu de leur extrême mobilité, dans la localisation des capitaux, des entreprises et des personnes.

Les nouveaux ou futurs nouveaux États membres de l’Union européenne, s’ils attirent les entreprises et les investissements, connaissent peu d’installations de résidents français, celles-ci étant mues par d’autres considérations que la fiscalité. Ce sont donc les systèmes fiscaux des pays voisins qui comptent : ceux des pays à fiscalité traditionnellement plus attractive, qui revendiquent des taux d’imposition faibles, et ceux en mutation dans les pays qui, comme la France, ont réagi au risque de fuite de leurs bases imposables et de leurs investissements ou à la nécessité de drainer les investissements étrangers par diverses réformes. S’agissant de ces derniers, les grandes réformes opérées en Allemagne (baisses de l’impôt sur le revenu, suppression de l’avoir fiscal) ou aux Pays-Bas (réforme de 2001 supprimant l’ISF et instituant un impôt de 30% sur les revenus théoriques du capital supposés égaux à 4% de l’actif net hors résidence principale et entreprise personnelle) ont notamment retenu l’attention.

La France n’est cependant pas en reste : des mesures ont été adoptées et il n’est pas pertinent de confier à une commission d’enquête le soin d’apprécier notamment une « incidence [celle des transmission de PME à venir] sur les finances publiques si aucune action correctrice n’était engagée » (25) alors même qu’elle l’a été.

S’agissant de maintenir en France les acteurs les plus créatifs et les plus performants (cadres à hauts revenus, dirigeants et créateurs, chercheurs, investisseurs, etc.), il convient d’attacher une attention particulières aux freins jalonnant les différents stades de leur activité : intérêt à initier une démarche, puis à développer ses projets, à les conduire à maturité, enfin à procéder à la transmission des résultats et à demeurer sur le territoire en disposant des gains générés par l’opération.

Chacun de ces stades s’accompagne d’investissements dans l’économie et participent d’un cercle économique positif, créateur de richesses et d’emploi. Limitation des cumuls d’imposition dissuasifs, bien entendu refus d’une fiscalité confiscatoire, et priorité à l’entreprise, puisque « la délocalisation des entreprises et des hommes est d’autant plus intimement liée que les décisions de localisation des individus sont souvent liées à une problématique d’entreprise » (26).

En effet, les principales fortunes sont constituées de façon prépondérante de parts d’entreprises et les cadres à hauts revenus sont dépendants des décisions stratégiques des entreprises dans lesquelles ils travaillent. Sans dresser ici un état des lieux exhaustif de la politique conduite sous la présente législature en matière d’attractivité fiscale pour les personnes, votre Rapporteur tient à rappeler les principaux aménagements opérés, attestant de la prise de conscience et de la réaction des autorités politiques face aux départs fiscaux :

– impôt sur le revenu : dans le cadre de la politique de baisse de l’impôt pour tous les contribuables, un accent particulier a été porté sur les hauts revenus dans un objectif de compétitivité par rapport à nos voisins européens dans la loi de finances pour 2006. L’abattement de 20% a été supprimé, ainsi que son plafonnement par voie de conséquence, et la réintégration dans le barème permet enfin à ce dernier d'afficher la réalité de son taux marginal, qui passe de 48,09% à 40%. On sait à cet égard que la communication de taux bas n’est pas sans effet psychologique ;

– effets confiscatoires de l’impôt : la loi de finances pour 2006 (27) a mis en place une mesure de limitation de l’impôt au regard des revenus du contribuable. L'article premier du code général des impôts pose dorénavant le principe que l'ensemble des impôts directs est plafonné à 60% du revenu. Ce plafonnement intègre l'impôt sur le revenu, l'impôt de solidarité sur la fortune ainsi que les impôts locaux relatifs à la résidence principale ;

– transmission à titre gratuit d’entreprises : plusieurs mesures, notamment dans la loi pour l’initiative économique (28), ont abaissé son coût et facilitent désormais autant la transmission que la reprise. L’abattement sur les transmissions d’entreprise conditionné à un pacte de conservation a été étendu aux donations, y compris avec réserve d’usufruit, et porté à 75%(29). Les donations aux salariés ont également été favorisées par la création d’une exonération de droits de mutation en deçà de 300.000 euros. Enfin, le dispositif de réduction des droits de mutation en fonction de l’âge du donateur a été renforcé et réactualisé avec un relèvement des tranches d’âge opéré par la loi de finances pour 2006 ;

– cessions d’entreprises : des dispositifs spécifiques d’exonération des plus-values réalisées dans le cadre d’un départ à la retraite sont entrés en vigueur depuis le 1er janvier 2006 pour les plus-values professionnelles (exonération totale) et pour les plus-values mobilières (abattement d’un tiers par année de détention au-delà de la cinquième année révolue) (30). Ils s’appliquent spécifiquement aux PME ;

– plus-values de cession de valeurs mobilières : un abattement d’un tiers par année de détention au-delà de la cinquième année révolue a également été institué pour les titres détenus à compter du 1er janvier 2006, le régime spécifique aux dirigeants s’éteignant à compter de 2014 ;

– droits de succession : les abattements en ligne directe ou collatérale ont été sensiblement améliorés par la loi de finances pour 2005 (31), qui les a portés à des niveaux correspondant au patrimoine moyen des ménages (abattement global de 50.000 euros et abattement en faveur des enfants relevé à 50.000 euros) ;

– impôt de solidarité sur la fortune : deux réformes susceptibles d’avoir un impact direct sur le phénomène d’expatriation en limitant clairement les effets dissuasifs de cet impôt doivent être relevées. Elles consistent en deux abattements de 75%, créés, l’un pour les parts ou actions de sociétés qui font l’objet d’un engagement collectif de conservation d’au moins six ans (32), l’autre pour celles détenues par les salariés et mandataires sociaux en activité ou retraités sous réserve d’un engagement de conservation de six ans également. Ces abattements permettent, sans supprimer l’impôt, de traiter notamment de deux situations jusqu’alors très problématiques : les dirigeants non éligibles à l’exonération au titre des biens professionnels (fonction non éligible ou capital dispersé de type entreprises familiales qui avaient parfois intérêt à se délocaliser) et les dirigeants qui perdent cette exonération lors de leur départ à la retraite, motif certain d’expatriation. Rappelons également que dans le cas d’une cession partielle ou totale, un abattement trouvera à s’appliquer sur les plus-values, dès cette année pour les dirigeants de PME, à compter de 2012 pour les autres.

Substituer à une politique de « chasse aux fauteurs », une politique d’attractivité et de confiance est certainement l’orientation la plus « payante », au propre comme au figuré.

La suppression du mécanisme anti-communautaire d’imposition des plus-values latentes lors du transfert du domicile hors de France, parallèlement à l’instauration d’une exonération des plus-values mobilières sous condition de détention pour les dirigeants partant à la retraite, puis à terme pour tous les contribuables, en est un bon exemple. Elle suppose de toute évidence une convergence de mesures dans des domaines qui excèdent largement ceux de la fiscalité pour embrasser l’ensemble des politiques des territoires. Les départs les plus pénalisants n’étant souvent pas repérables, la vigilance doit demeurer de mise, ce que la présente proposition a tout le mérite de rappeler. Elle pointe aussi l’étendue des déterminants et l’impossibilité d’établir la totalité des équations à données multiples et variables de l’attractivité.

Néanmoins, les résultats des politiques entreprises pourront difficilement être appréhendés de façon complète par des données statistiques sur les flux. En tout état de cause, même partielles, ces données ne peuvent être obtenues dès à présent. Comme l’indiquait déjà le Sénateur Marini dans son rapport sur l’ISF (33) : « l'observatoire [des délocalisations] n'est informé que d'environ 35% des départs à la fin de l'année même de ces départs. 85% des départs sont connus à la fin de la première année qui suit. Il faut attendre la fin de la deuxième année qui suit pour parvenir à connaître 99 % des départs ».

*

* *

La proposition de notre collègue Philippe Cochet est parfaitement légitime compte tenu des enjeux économiques, budgétaires et sociaux qui la motivent. Toutefois, en dépit des inquiétudes et des préoccupations que partage votre Rapporteur, la création d’une commission d’enquête ne permettrait pas de disposer d’éléments complémentaires pertinents au-delà de ceux que l’exercice courant du contrôle parlementaire est en mesure d’obtenir.

Elle ne viendrait pour l’essentiel que s’ajouter à la production relativement abondante qu’a suscitée ce sujet ces dernières années, avant même que les conséquences des récentes réformes fiscales aient pu produire leurs effets. Il conviendra, en revanche, d’être particulièrement attentif aux résultats de ces nouveaux dispositifs, qui ne sont qu’une première étape, participant au rétablissement d’un climat de confiance, et nécessiteront d’être amplifiés et soutenus de manière pertinente dans un délai raisonnable.

Enfin, il convient d’avoir une approche globale de la question ; c’est-à-dire de faire une lecture politique et non comptable, comme l’ont fait nombre de parlements et de gouvernements en Europe. Cela signifie qu’il est désormais plus que nécessaire de mettre en évidence les effets secondaires ou induits des baisses d’impôts, et même de la suppression pure et simple de certaines taxations. En effet, il est certainement plus important aujourd’hui, pour stimuler à la fois notre croissance et notre compétitivité, d’encourager celles et ceux qui créent, qui entreprennent, qui consomment à rester en France, c’est-à-dire à rester partie prenante de notre dynamisme économique. La science économique a depuis longtemps démontré l’impact des externalités positives ou des coûts d’opportunité. Réduire une fiscalité décourageante, simplifier des systèmes fiscaux complexes et même parfois kafkaïens, abandonner une taxation idéologique et incompréhensible pour ceux qui la subissent et inefficace pour ceux qui sont censés en bénéficier, c’est faire le choix raisonnable de soutenir la consommation et la création d’emplois grâce aux retombées de la fiscalité indirecte, dont le produit garantit une augmentation des recettes fiscales.

Votre Rapporteur vous propose, en conséquence, le rejet de la présente proposition.

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa première séance du 5 juillet 2006, la Commission a examiné, sur le rapport de M. Olivier Dassault, la proposition de résolution de M. Philippe Cochet, tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’appauvrissement de la France en raison de l’expatriation des patrimoines et des contribuables (n° 3135).

Votre Rapporteur a précisé que les travaux de la commission d’enquête demandée auraient pour objet précis l’analyse des déterminants et des effets des expatriations des contribuables, entraînant par voie de conséquence une perte de richesses pour le pays. Le débat sur l’appauvrissement de la France n’est pas nouveau. Il est même récurrent. Si les chiffres de la consommation, de l’apport de l’investissement à la croissance et des recettes fiscales contrastent avec un sentiment d’appauvrissement, à l’évidence, l’environnement fiscal n’est pas le meilleur argument pour attirer créateurs, étudiants ou entrepreneurs. Le départ hors de France de contribuables ou de leurs patrimoines est très préoccupant, et il convient de répondre aux inquiétudes qu’il suscite et d’adapter le droit fiscal français afin de conserver celles et ceux qui ont réussi, mais aussi celles et ceux qui veulent entreprendre et réussir.

Un déficit d’attractivité ouvre un cercle vicieux. En la matière, il existe un constat partagé du handicap que constitue la somme globale des impositions en France, venant frapper successivement les mêmes revenus et causant la fuite des grandes fortunes. Le maintien des contribuables et des activités doit retenir toute l’attention, particulièrement dans un contexte où toute une génération d’entrepreneurs arrive à l’âge de la retraite, le nombre des transmissions à venir étant évalué à près de 700.000. Le rôle de l’ISF apparaît comme le plus problématique, s’agissant du profil des redevables et de l’impact potentiel de leur départ hors de France. Seules des raisons dogmatiques et idéologiques, paralysantes pour le courage politique, peuvent justifier le caractère durable de cette spécificité française. La France présente par ailleurs des taux marginaux d’imposition sur le revenu et sur celui des capitaux investis en actions parmi les plus élevés, ainsi qu’une imposition assez forte des mutations. Or, une pression fiscale trop élevée provoque manifestement des départs à l’étranger, nourrit la fraude fiscale et se traduit par des pertes de recettes fiscales directes mais aussi indirectes.

La commission d’enquête aurait pour objet d’établir la réalité du phénomène d’expatriations depuis 1988. Deux types de données chiffrées sont d’ores et déjà disponibles : celles relatives aux Français établis à l’étranger et celles afférentes aux départs dont l’administration fiscale a connaissance.

Une typologie des Français qui vivent hors de France peut être dressée, comme s’y essaye le rapport. Une étude TNS Sofres, réalisée du 2 mars au 8 avril 2005 auprès d’expatriés, présente à cet égard des résultats intéressants. Ainsi, 45% des sondés indiquent être partis par envie de quitter la France ; ils sont 51% parmi les créateurs d’entreprises. 25% des sondés ne veulent plus revenir en France, ce chiffre s’élevant à 45% pour les créateurs d’entreprise. Le Royaume-Uni arrive en tête des destinations, devant, bien entendu, la Belgique et le Luxembourg. Ces données générales demeurent cependant insuffisantes pour déterminer le rôle joué par la fiscalité et le profil précis des expatriés partis pour des raisons fiscales. Sauf à conduire une enquête auprès des « exilés fiscaux » qu’on imagine mal voir aboutir, les chiffres de l’administration fiscale constituent la source d’information la plus évidente.

Les premiers chiffres transmis par la direction générale des impôts (DGI) au sujet des « délocalisés de l’ISF » en 1999 avaient suscité de nombreuses réactions, imposant de prendre des mesures, mais nuançant aussi certaines appréciations exagérées. Cette étude concluait que 350 redevables de l’ISF partaient chaque année à l’étranger. Ce chiffre de 350 ne semble pas en lui-même important, mais cela représente un Français par jour, qui s’enfuit avec son patrimoine, ce qui, ainsi présenté, confère une autre connotation au phénomène. Le plus préoccupant ce n’est pas le nombre des Français qui s’expatrient, mais le volume que cela représente. L’apparition d’une tranche supplémentaire de 0,3 point qui devait générer 2,5 milliards de francs de recettes supplémentaires n’a pratiquement rien rapporté. La délocalisation de patrimoines aurait donc été, rien que pour cette année-là, si l’on calcule mécaniquement, d’au moins 138 milliards de francs, soit 21 milliards d’euros. Le nombre de délocalisations au regard de l’impôt sur le revenu s’établirait quant à lui à 25.000 contribuables par an, pour des motifs principalement professionnels.

Depuis 1997, le flux de départs et les pertes induites apparaissent relativement stables dans les statistiques de la DGI. En 2002, on dénombrait 70 dirigeants d’entreprises et environ 25 déclarants de biens professionnels exonérés, pour des pertes de droits de 11,8 millions d’euros, les bases étant estimées à 1,5 milliard d’euros. Cependant, ces chiffres ne couvrent que les droits correspondant à l’ISF et les bases imposables connues. L’impact potentiel en termes de recettes fiscales et d’investissement est donc très largement supérieur. Le flux des « retours » de redevables à l'ISF s’était élevé, la même année, à 138 personnes, avec des gains en droits à hauteur de 0,9 million d'euros pour des bases imposables de près de 182 millions d'euros, ce qui est sans commune mesure avec les chiffres des départs.

En recoupant diverses sources, publiques ou confidentielles, privées ou officielles, ce serait en réalité près de 150 milliards d’euros de richesses qui auraient quitté la France. Ce chiffre n’est pas celui transmis par l’administration fiscale qui, se basant sur l’imposition des plus-values latentes, d’ailleurs désormais supprimées, n’est pas en mesure d’évaluer correctement les patrimoines ayant quitté la France. De plus, seules les bases imposables sont recensées. Les statistiques ne peuvent donc que s’avérer insuffisantes et même hasardeuses, obstacle auquel se heurterait également une commission d’enquête. De même, les personnes non assujetties à l’ISF lors de leur départ, ces actifs créatifs qu’il faut maintenir en France, ne peuvent être identifiés, ni les effets à long terme de leur départ chiffrés. Les informations disponibles ne pouvant, sur ce sujet, être améliorées qu’à la marge, le mécanisme de la commission d’enquête se révèle disproportionné, ne permettant pas de disposer d’éléments complémentaires au-delà de ceux que l’exercice du contrôle parlementaire classique est en mesure d’obtenir.

De nombreuses études – théoriques ou empiriques – ont déjà été produites. Après une longue période de mépris, pour des raisons essentiellement dogmatiques, leurs résultats sont aujourd’hui largement pris en considération, notamment par la commission des Finances. Les mesures adoptées, tant pour l’impôt sur le revenu, que pour les droits de mutation, les plus-values ou l’ISF, donnent une consistance à la réforme fiscale qui demeure à achever. Même si le dynamisme du mouvement de réformes doit encore être soutenu, il convient sans doute de laisser le temps aux contribuables d’intégrer le nouvel environnement fiscal qui leur est proposé avant d’élaborer de nouvelles propositions pour aller plus loin, ce qui sera néanmoins nécessaire. Il conviendra donc d’être particulièrement attentifs aux résultats de ces nouveaux dispositifs, qui ne sont qu’une première étape, participant au rétablissement d’un climat de confiance. Ils nécessiteront d’être amplifiés et soutenus de manière pertinente dans un délai raisonnable.

La réflexion doit surtout s’orienter vers une approche globale de la question, à savoir une lecture politique et non comptable, impliquant de mettre en évidence les effets secondaires ou induits des baisses ou suppressions d’impôts, la science économique ayant démontré l’impact des externalités positives ou des coûts d’opportunité. Une fiscalité supportable et lisible soutient la consommation et la création d’emplois grâce aux retombées de la fiscalité indirecte.

La réalité des départs de contribuables et de patrimoines est donc assez précisément connue. Les mesures pour tenter d’y remédier ont été esquissées, pour certaines, expérimentées, pour d’autres, même si elles peuvent appeler certaines réserves. Si la proposition en est légitime, et si le sujet est essentiel, la création d’une commission d’enquête n’est donc pas le moyen adéquat de répondre aux questions posées.

M. Jean-Louis Idiart a indiqué qu’il était en plein accord avec le rejet proposé, et en total désaccord avec les propos du Rapporteur. Dans ce domaine, il convient de ne pas caricaturer ceux qui s’expatrient et qu’on présenterait presque comme des victimes. Le choix la majorité consiste à taxer par le biais des impôts indirects, mais, sur la question de l’ISF, l’opinion est largement faite, et favorable à ce type d’impôt.

M. Pierre Méhaignerie, Président, a rappelé qu’élu d’une région qui s’est industrialisée au cours de ces quarante dernières années, il constate sur le terrain que la transmission de petites entreprises se traduit souvent par une vente. Il serait suicidaire d’ignorer la réalité. L’ISF conduit à des départs d’entrepreneurs et de centres de décision. Il faudrait plutôt, pour répondre à l’exigence de justice, mettre en place un impôt minimum alternatif.

Après que votre Rapporteur, eut conclu au rejet de la proposition, la Commission a alors rejeté la proposition de résolution.

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N° 3246 – Rapport de M. sur la proposition de résolution de M. Philippe Cochet (n° 3135) tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’appauvrissement de la France en raison de l’expatriation des patrimoines et des contribuables

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