N° 3358 - Rapport de M. Jacques Remiller sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil relatif à la construction d'un pont routier sur le fleuve Oyapock reliant la Guyane française et l'État de l'Amapá (n°3080)




N
° 3358

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 octobre 2006.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI n° 3080, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil relatif à la construction d’un pont routier sur le fleuve Oyapock reliant la Guyane française et l’État de l’Amapá,

PAR M. JACQUES REMILLER,

Député

——

INTRODUCTION 5

I – UNE VOLONTÉ FORTE DE RENFORCER LA COOPÉRATION ENTRE LA FRANCE ET LE BRÉSIL 7

A – LE BRÉSIL S’AFFIRME EN TANT QUE PUISSANCE RÉGIONALE ET MONDIALE ÉMERGENTE 7

1) Un contrepoids aux Etats-Unis dans une Amérique du Sud qui doit être stable 7

2) Une vocation mondiale 8

B – LA FERME VOLONTÉ FRANÇAISE DE DÉVELOPPER UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE AVEC LE BRÉSIL 9

1) Des relations constantes au plus haut niveau 9

2) Une coopération exemplaire 10

C – LA COOPÉRATION TRANSFRONTALIÈRE, EXPRESSION DE LA SOLIDARITÉ ENTRE LA FRANCE ET LE BRÉSIL 11

1) Une coopération nécessaire pour éviter des tensions entre deux régions au développement inégal 11

2) Une coopération transfrontalière qui associe acteurs étatiques et locaux 12

II – UN PROJET UTILE ET EMBLÉMATIQUE 15

A – UN PONT QUI A VALEUR DE SYMBOLE 15

1) Un projet politique soutenu au plus haut niveau 15

2) Une portée concrète évidente 16

B – UN ACCORD QUI RÉPOND À L’ENJEU 16

1) Un accord classique 16

2) Le coût et le calendrier des travaux 19

CONCLUSION 21

EXAMEN EN COMMISSION 23

Mesdames, Messieurs,

La France est voisine du Brésil. Cette assertion pourrait paraître, à première vue, singulière ; elle n’en est pas moins l’expression d’une réalité puisque la Guyane française est frontalière de la région de l’Amapá, l’un des Etats de la République fédérative du Brésil.

On sait que la France entend depuis plusieurs années – en particulier sous l’impulsion du Président de la République – mener une politique active de coopération avec ce grand pays émergent qu’est le Brésil. En témoignent les importantes initiatives prises par MM. Chirac et Lula da Silva en matière de financement de l’aide au développement en septembre 2004, qui ont abouti à la mise en place d’une contribution de solidarité sur les billets d’avion dont les recettes doivent servir à alimenter le Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme.

Si la proximité de nos deux pays est politique, elle est donc également physique et le projet de loi dont l’Assemblée nationale est saisie aujourd’hui rend compte de cette volonté de donner tout son sens à ce lien géographique.

L’Assemblée nationale doit ainsi se prononcer, sous le n° 3080, sur un projet de loi autorisant l’approbation de l’accord signé en 2005 à Paris entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil relatif à la construction d’un pont routier sur le fleuve Oyapock reliant la Guyane française et l’Etat d’Amapá.

Soutenu par les plus hautes autorités des deux pays, ce projet d’ouvrage représente un enjeu important dans nos relations bilatérales avec le Brésil. Il permettra de renforcer notre coopération transfrontalière tout en affichant clairement la dimension américaine de la France. Il s’agit aussi de mieux insérer la région de la Guyane dans son environnement géographique tout en ouvrant aux Etats brésiliens voisins l’accès au dispositif administratif, scientifique, universitaire et technique français implanté en Guyane.

Les enjeux qui s’attachent à ce projet de pont sont donc importants du point de vue politique, économique et humain. Le dispositif contenu dans l’accord semble parfaitement en mesure, d’un point de vue juridique et technique, de permettre la mise en œuvre de ce projet.

I – UNE VOLONTÉ FORTE DE RENFORCER LA COOPÉRATION
ENTRE LA FRANCE ET LE BRÉSIL

A – Le Brésil s’affirme en tant que puissance régionale et mondiale émergente

1) Un contrepoids aux Etats-Unis dans une Amérique du Sud qui doit être stable

Depuis plusieurs années, le Brésil exprime clairement sa volonté de voir émerger, sous son impulsion, une Amérique du Sud qui soit stable et en mesure de constituer un contrepoids aux Etats-Unis. Parallèlement, ce pays entend aussi s’affirmer comme une grande puissance émergente, capable de peser dans les affaires du monde. C’est ainsi que le Président Lula da Silva a placé la politique étrangère au cœur de son projet; selon ses termes, le Brésil doit être une « nation mieux respectée, capable de défendre ses intérêts internationalement ».

Six priorités semblent aujourd’hui orienter l’action diplomatique du Brésil. On observe, en premier lieu, la volonté de renforcer le marché commun du cône sud (Mercosul en portugais, Mercosur en espagnol) qui associe, outre le Brésil, l’Argentine, le Paraguay et l’Uruguay. C’est le modèle de l’Union européenne qui inspire clairement le Président Lula da Silva qui, en s’appuyant sur une partenariat étroit avec l’Argentine, désire achever l’union douanière en 2006 et engager une réelle coordination des politiques macro-économiques entre les pays membres. C’est dans ce contexte que les institutions du Mercosul ont été renforcées avec un secrétariat exécutif, la création du comité des représentants permanents et l’installation d’un tribunal des différends à Assomption au Paraguay le 13 août 2004.

Mais les ambitions brésiliennes vont bien au-delà de cette région du cône sud. Ce pays se voit comme le moteur de l’intégration et le leader de l’Amérique du Sud. A l’origine du sommet des chefs d’Etat d’Amérique du Sud qui s’est tenu à Brasilia en 2000 ou à Guayaquil en 2002, le Brésil a joué un rôle essentiel dans la création, le 9 décembre 2004, de la Communauté Sud-américaine des Nations, qui s’est réunie en octobre 2005 à Brasilia. De même, ce pays est très actif pour obtenir que des relations plus intenses s’instituent entre le Mercosul et la Communauté andine des nations ; ainsi un accord-cadre de libre-échange a été signé en avril 2004 avec cette organisation. Enfin, cette volonté de s’imposer au sein du continent s’est illustrée dans l’intervention du Brésil dans le règlement de crises régionales en Colombie, au Venezuela, en Bolivie et à Haïti ; le commandement de la MINUSTAH (Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti) est assuré par un Brésilien.

2) Une vocation mondiale

La diplomatie brésilienne est également très active en matière commerciale. Depuis plus de dix ans, le Brésil mène une politique d’ouverture, jugée équilibrée vis-à-vis de ses différents partenaires pour élever ses exportations et joue un rôle moteur dans les négociations de la future zone de libre-échange des Amériques. Avec l’Union européenne, les négociations d’un accord d’association se sont ouvertes en 1999. Ces deux négociations sont de grande importance pour le Brésil puisqu’elles portent sur plus de 70 % de ses échanges actuels. Elles butent encore sur les questions agricoles et les réticences brésiliennes en matière d’accès aux produits industriels, de services et de marchés publics. Enfin, membre du groupe de Cairns1, le Brésil s’est illustré dans la lutte contre les subventions à l’exportation en matière agricole et, en particulier, contre la politique européenne en ce domaine.

Le Brésil se présente aussi comme l’un des principaux promoteurs de ces relations entre les pays du Sud qui constitue l’une des grandes nouveautés sur la scène internationale depuis quelques années. Il entend ainsi conclure des partenariats stratégiques avec les autres grands pays émergents. La création en juin 2003 d’un forum de dialogue avec l’Afrique du Sud et l’Inde – baptisé IBSA – illustre clairement cette volonté du Brésil de développer ce type de relations. Le Président Lula da Silva a également souhaité s’appuyer, dans le cadre de cette coopération Sud-Sud sur « les racines » du Brésil, c’est-à-dire les pays d’Afrique.

Cette coopération avec les autres pays du Sud s’inscrit dans un projet plus vaste. Le Brésil veut être reconnu comme une puissance à part entière, porte-parole des pays pauvres et émergents. C’est pourquoi il est candidat à un siège de membre permanent du Conseil de sécurité et qu’il veut associer les pays émergents à la définition de règles internationales plus équitables en proposant, par exemple, « une alliance contre la pauvreté et la faim dans le monde » dans une déclaration conjointe avec les Présidents Chirac et Lagos du Chili ainsi que M. Kofi Annan, à Genève, le 30 janvier 2004. Comme on l’a déjà évoqué, le Brésil s’est engagé en faveur de modes innovants de financement du développement comme la contribution assise sur les billets d’avion ; il a décidé de participer à la mise en place d’une Facilité Internationale pour l’Achat de médicaments (FIAM) lors de la Conférence de Paris qui s’est tenue du 28 février au 1er mars 2006 à l’initiative de la France.

Le Brésil entend se poser sur le plan international comme le promoteur intransigeant du désarmement. Alors qu’il a été longtemps considéré comme un pays du « seuil nucléaire », le Brésil a ratifié le Traité de non-prolifération, ainsi que le Traité d’interdiction des essais nucléaires en 1998.

B – La ferme volonté française de développer un partenariat stratégique avec le Brésil

Depuis plusieurs années, la France a pris la mesure de l’importance du Brésil sur le continent sud-américain et plus largement dans le monde. C’est pourquoi notre pays entend développer un partenariat stratégique avec le Brésil en s’appuyant sur un dialogue politique approfondi, une coopération très riche en matière culturelle, scientifique et technique et la présence de grandes entreprises françaises dans des secteurs les plus importants de l’économie brésilienne.

1) Des relations constantes au plus haut niveau

Les relations politiques entre la France et le Brésil s’établissent au plus haut niveau. Ainsi le Président de la République s’est rendu au Brésil les 24, 25 et 26 mai 2006, en visite d’Etat, dix mois après la visite en France du Président brésilien Lula da Silva. Ces deux rencontres ont traduit la forte volonté des deux pays de renforcer leur coopération bilatérale dans les secteurs politique, économique et culturel, et, tout particulièrement, dans le domaine des hautes technologies.

Les relations entre la France et le Brésil sont généralement qualifiées de dynamiques et aboutissent à des initiatives internationales de premier plan. La France a reconnu le Brésil comme son partenaire privilégié en Amérique du sud et comme acteur global dans les affaires mondiales. Elle en a tiré les conséquences en soutenant l’ambition brésilienne d’accéder à un siège permanent au Conseil de sécurité.

Dans un contexte international tendu où semblent se confronter des visions divergentes de l’organisation de la société mondiale, les deux pays insistent sur des valeurs partagées qui doivent dicter les relations entre les Etats. Ils agissent en faveur de la promotion des principes démocratiques et des droits de l’homme, du renforcement du droit international et du multilatéralisme, du développement et du respect de la justice sociale, de la défense de la paix et de la sécurité. Ces valeurs partagées s’expriment aussi, comme on l’a évoqué, dans un attachement mutuel à la non prolifération des armes de destruction massive et au désarmement, à la protection de l’environnement et de la diversité culturelle.

Depuis 1995, cette volonté d’établir un « nouveau partenariat » politique avec le Brésil s’est traduite par des rencontres régulières entre chefs d’Etat. M. Cardoso, à l’époque Président du Brésil, s’est rendu en France pour une visite d’Etat en mai 1996 ; le Président Chirac est allé ensuite au Brésil en mars 1997. Ils se sont également rencontrés, entre autres, en Guyane en novembre 1997 puis au Sommet de Rio en juin 1999. Les entretiens entre les Présidents Chirac et Lula da Silva en marge des 58e et 59e Assemblées générales des Nations unies en septembre 2003 et 2004 et du Sommet de Guadalajara en mai 2004 ont permis de renforcer ces liens et de faire avancer la coopération entre les deux pays de manière très concrète. L’année du Brésil en 2005, dont la visite du président Lula da Silva a constitué le point d’orgue, a été marquante à tous points de vue dans les relations entre la France et ce pays.

2) Une coopération exemplaire

A l’évidence le Brésil est le premier partenaire de la France en Amérique latine pour la coopération qu’elle soit culturelle, scientifique ou technique. Notre coopération scientifique et technique est considérée comme exemplaire et fondée sur le partenariat et le cofinancement.

Les crédits d’intervention destinés au Brésil en 2006 s’élèvent à 4,5 millions d’euros (2) et portent principalement sur :

– la recherche et l’innovation technologique ; la France est le deuxième partenaire scientifique du Brésil après les Etats-Unis ;

– l’accompagnement, en matière de coopération technique, des priorités du gouvernement brésilien que sont les politiques sociales, l’agriculture familiale durable, la réforme de l’Etat mais aussi l’aide à l’Afrique ;

– un nouveau partenariat pour le plurilinguisme et la diversité culturelle.

Notre coopération porte l’accent sur l’enseignement du français et les échanges culturels. Trois lycées français à Sao Paulo, Rio et Brasilia comptent en tout 2 150 élèves dont 1 000 Français. Les Alliances françaises du Brésil forment le réseau le plus ancien et le plus dense du monde avec pas moins de 74 implantations dans 52 villes différentes ; elles accueillent 28 000 élèves. Les échanges artistiques – théâtre, arts plastiques, musique, danse – et la formation des professionnels de la culture sont particulièrement intenses et ont bénéficié d’un nouvel élan avec l’organisation de l’année du Brésil en France en 2005. On constate aussi que dans le domaine de l’édition, les relations entre éditeurs et écrivains des deux pays sont étroites ; le Brésil est ainsi le premier marché pour le livre français en Amérique du Sud.

En matière scientifique, la coopération s’articule autour de formations d’excellence entre universités et passe, pour beaucoup, par des partenariats de haut niveau entre les organismes de recherche des deux pays. Les thèmes abordés sont divers : la biodiversité amazonienne, les changements climatiques, les mathématiques fondamentales et appliquées, le génome, les sciences sociales et humaines. L’accent est également porté sur les technologies innovantes.

Dans ce contexte très dynamique, la coopération transfrontalière revêt une importance toute particulière car elle permet de réunir ces deux pays sur des projets éminemment concrets qui concernent très directement les populations locales.

C – La coopération transfrontalière, expression de la solidarité entre la France et le Brésil

1) Une coopération nécessaire pour éviter des tensions entre deux régions au développement inégal

Malgré ses difficultés propres, la Guyane, qui compte 200 000 habitants, demeure relativement plus développée, notamment en termes d’équipements publics et sociaux, que son voisin, l’Etat d’Amapá. Situé à l’extrême nord-est du Brésil, l’Amapá, dont la population s’élève à plus de 370 000 habitants, s’étend sur 143 000 km², soit un quart du territoire de la France métropolitaine. Il est bordé au nord par la Guyane française et le Surinam, et au sud et à l’ouest par l’Etat de Pará, dont il est séparé par le fleuve Amazone. La plus grande partie du territoire de l’Amapá est recouverte par la forêt amazonienne. Il est traversé par plusieurs fleuves dont l’Oyapock qui marque la frontière avec la Guyane et se jette dans l’Atlantique. La première richesse de l’Etat d’Amapá est le manganèse, exploité depuis la fin des années cinquante, mais on y trouve aussi de l’or, des diamants ou du fer.

La principale difficulté qui apparaît à la frontière entre la Guyane et le Brésil est la pression migratoire, en progression constante ces dernières années. En 2004, 2472 Brésiliens ont été reconduits depuis la Guyane, 2772 en 2005 et déjà 1735 pour les cinq premiers mois 2006. Ces personnes qui viennent des Etats brésiliens du Pará, du Roraima et de l’Amapá, proches de la Guyane émigrent pour des raisons essentiellement économiques, partant à la recherche d’un travail urbain ou sur les sites d’orpaillage. Cette situation difficile s’accompagne d’une hausse forte et rapide de la délinquance dans la zone frontalière de Saint Georges de l’Oyapock. Ainsi, l’état comparatif des cinq premiers mois des années 2004, 2005 et 2006 fait apparaître un doublement en trois ans des délits de voie publique et des vols de véhicules.

 

2004

2005

2006

Délits de voie publique

50

66

103

Vols de véhicules légers

34

39

64

(Source : ministère des Affaires étrangères)

En 2004, 74 % des auteurs étaient de nationalité brésilienne, 80 % en 2005, 68 % sur les cinq premiers mois de 2006.

Sans jeter l’opprobre sur cette population qui traverse la frontière pour échapper à une triste condition, on doit constater que les conditions objectives dans lesquelles s’opèrent ces migrations sont telles qu’elles engendrent des violences et des règlements de compte notamment dans le secteur de l’orpaillage pratiqué clandestinement, sans aucune précaution, notamment en matière environnementale (3), et contre lesquelles les forces de gendarmerie luttent activement.

2) Une coopération transfrontalière qui associe acteurs étatiques et locaux

La coopération transfrontalière repose sur l’accord cadre de coopération du 28 mai 1996, qui prévoit la tenue périodique de commissions mixtes transfrontalières. La dernière réunion de cette commission mixte s’est déroulée à Macapa dans l’Amapá au mois de février 2002 ; la prochaine devrait avoir lieu à Cayenne en 2007.

Cette coopération transfrontalière porte sur les principaux domaines suivants :

– La coopération éducative qui passe par des formations en français et une action en faveur du bilinguisme ainsi que par l’enseignement professionnel et la formation technique.

– La coopération scientifique et universitaire qui comprend les biotechnologies, la phytopathologie (c’est-à-dire l’étude des maladies des plantes) et la vigilance sanitaire ; dans ce domaine on peut évoquer l’ouverture du pôle universitaire de Guyane à la coopération avec les universités brésiliennes, les actions du CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), la mise en place d’une station de réception d’images satellitaires SEAS de l’Institut de Recherche pour le développement (IRD). La coopération scientifique et universitaire s’appuie aussi sur le pôle « recherche et formation » de Guyane qui associe le pôle universitaire de cette région et l’ensemble des institutions scientifiques françaises installées en Guyane (CNRS (4), INRA (5), IRD, CIRAD, ONF (6), Institut Pasteur) et sur la présence de plusieurs de ces institutions en Amazonie dans le cadre de la coopération bilatérale franco-brésilienne.

– La coopération technique et institutionnelle porte, quant à elle, sur les secteurs de la santé, de la sécurité, de l’environnement et du développement durable.

La coopération transfrontalière n’est pas l’apanage des seuls Etats. Les collectivités territoriales peuvent aussi signer de telles conventions, en application des dispositions du code général des collectivités territoriales pour ce qui concerne la France. Ainsi le conseil régional et le conseil général de Guyane ont conclu le 11 juin 1996 à Macapa une convention de coopération décentralisée avec l’Etat d’Amapá dans laquelle les partenaires français et brésilien se sont engagés à développer des projets de coopération.

Le conseil régional de Guyane a mené des actions dans les domaines de :

– l’agriculture en soutenant des échanges entre les organisations professionnelles agricoles ;

– l’éducation avec la formation de professeurs de français et de portugais, des stages en entreprise au Brésil pour des élèves du lycée professionnel de Cayenne ;

– l’environnement avec un projet d’échange d’expériences en matière de valorisation des ressources locales, dont l’objet est de procéder entre la Guyane et le Brésil à un échange d’expériences qui doivent aboutir à des projets concrets de développement durable dans différents secteurs : artisanat, pêche, valorisation du bois, valorisation alimentaire, médicinale et cosmétique des ressources naturelles, valorisation des potentialités éco-touristiques ;

– la santé avec une coopération organisée entre hôpitaux français et brésiliens.

Le conseil régional de Guyane participe aux travaux de la commission intergouvernementale transfrontalière franco-brésilienne, créée par l’accord-cadre du 28 mai 1996 évoqué précédemment. Cette commission traite de différents domaines : agriculture et pêche, échanges culturels, économie, éducation, environnement, immigration, transports, recherche, santé.

Enfin, pour l’avenir, on peut penser que de nouvelles possibilités en matière de coopération transfrontalière vont s’ouvrir à partir de 2007 puisque la Commission européenne a donné son accord pour que la région Guyane bénéficie à compter de cette date d’un volet transfrontalier avec le Brésil et le Surinam dans le cadre du programme Interreg (7).

Pour sa part, le conseil général de la Guyane n’a pas engagé d’opérations de coopération avec l’Etat d’Amapá. A notre connaissance, il a simplement accordé jusqu’à ce jour des subventions à des associations guyanaises qui participent à des manifestations dans l’Etat du Para : festival de danse et salon du livre de Bélèm.

*

*       *

Cette coopération transfrontalière, étatique ou locale, ne pourra que se trouver renforcée et facilitée par la création d’un pont entre le Brésil et la Guyane.

II – UN PROJET UTILE ET EMBLÉMATIQUE

A – Un pont qui a valeur de symbole

1) Un projet politique soutenu au plus haut niveau

Le projet de loi qui est soumis aujourd’hui à l’Assemblée nationale autorise l’approbation d’un accord auquel les plus hautes autorités brésiliennes et françaises attachent une grande importance. Le pont qu’il s’agit de construire au-dessus de l’Oyapock n’est pas un simple ouvrage permettant la traversée routière de ce fleuve. Il a véritablement valeur de symbole.

Le projet de construction d’un pont pour relier Saint-Georges de l’Oyapock, côté français, et la commune d’Oiapoque, côté brésilien, a été lancé en novembre 1997 par les présidents Jacques Chirac et Fernando Henrique Cardoso. Cette volonté présidentielle, régulièrement réaffirmée par la suite, a débouché sur la signature à Paris le 15 juillet 2005 par les présidents Chirac et Lula da Silva d’un accord bilatéral de construction du pont.8

On trouvera le témoignage de l’importance accordée à ce projet dans le texte que les présidents Chirac et Lula ont tenu à insérer dans leur déclaration conjointe adoptée le 25 mai 2006 à Brasilia :

« Les deux dirigeants ont salué l’approbation par le Congrès brésilien de l’accord relatif à la construction d’un pont routier sur l’Oyapock, signé le 15 juillet 2005, ainsi que l’avis favorable du Conseil d’Etat français sur ce texte et la présentation au Conseil des Ministres français du 10 mai du projet de loi autorisant son approbation par le Parlement français – cette construction devant contribuer à rapprocher encore davantage les deux pays dans le cadre amazonien. Ils ont souligné l’importance particulière qu’ils accordent à la coopération transfrontalière dans ses aspects sociaux, consulaires, environnementaux, économiques, commerciaux et relatifs aux conditions de travail, et ils ont annoncé la tenue de la Commission Mixte Transfrontalière en 2007. »

On mesure ici l’intérêt du projet mais aussi la nécessité pour le Parlement français de s’exprimer dans les meilleurs délais sur cet accord, le Congrès fédéral brésilien l’ayant déjà approuvé.

2) Une portée concrète évidente

L’Oyapock constitue la frontière naturelle entre la Guyane française et le Brésil. Le pont qu’il est envisagé de bâtir sur ce fleuve permettra de mieux insérer la région de la Guyane dans son environnement géographique mais aussi d’afficher clairement la dimension américaine de la France ainsi que notre volonté de jouer un rôle dans les débats régionaux qui portent notamment sur les questions d’environnement comme la biodiversité ou la gestion de la forêt amazonienne au moment où nous nous apprêtons à entrer dans l’Organisation du traité de coopération amazonienne (OTCA).

La mise en œuvre de cet ouvrage aura des conséquences très concrètes sur la vie des riverains de l’Oyapock. On constate déjà que l’ouverture d’un pont sur le fleuve Approuague, au cœur de la Guyane, a permis de relier Cayenne à Saint Georges d’Oyapock. L’affluence d’habitants de la capitale dans cette petite cité d’un peu plus de 2 000 habitants, lors des fins de semaine, a constitué un bouleversement. On peut être persuadé que le pont reliant la Guyane à Oiapoque, qui compte plus de 16 000 habitants, conduira à un désenclavement de Saint Georges d’Oyapock, côté français.

B – Un accord qui répond à l’enjeu

1) Un accord classique

On connaît deux précédents assez récents à un tel accord portant construction d’un pont transfrontalier ; il s’agit de l’accord entre la République française et la République fédérale d’Allemagne relatif à la construction d’un pont ferroviaire sur le Rhin à Kehl signé en 2005 et du traité entre la République française et la République fédérale d’Allemagne relatif à la construction d’un pont routier sur le Rhin entre Eschau et Altenheim signé en 1996. Le présent accord reprend l’économie générale de ces conventions.

L’accord bilatéral dont nous avons à connaître aujourd’hui est organisé en sept chapitres.

Le chapitre Ier porte « Dispositions générales » ; il contient les principales dispositions permettant la réalisation de l’accord. Le périmètre de l’opération routière objet de l’accord y est défini (article 2) ; il porte, outre la réalisation du pont, sur la création de routes d’accès et des équipements nécessaires dans le cadre du contrôle transfrontalier (douane, police). L’ouvrage et ses routes d’accès se raccorderont des deux côtés de la frontière à une infrastructure déjà existante, qui relie, côté français, Saint-Georges de l’Oyapock à Cayenne.

Il appartiendra au Brésil d’assurer la maîtrise d’ouvrage de la réalisation du pont (article 3). Mais chaque pays réalisera, sous sa maîtrise d’ouvrage, la route d’accès et les postes de contrôle situés sur son territoire.

La France et le Brésil appliqueront leur propre corpus réglementaire et législatif. Ainsi, pour la partie française, une enquête d’utilité publique sera menée dans l’objectif d’assurer la maîtrise foncière pour la réalisation de la voie d’accès (article 4). Cette enquête s’appuiera sur une étude d’impact globale de l’aménagement que constitue le franchissement du fleuve Oyapock dans son ensemble. Cette étude d’impact globale sera réalisée sous la direction de la structure binationale chargée de piloter la mise en œuvre du présent accord et appelée commission intergouvernementale (CIG).

Les chapitres II à IV contiennent les dispositions relatives au pont, aux voies d’accès et aux équipements de surveillance des sections transfrontalières. On y détaille les différents volets du périmètre de l’opération. Sont également précisées les modalités d’élaboration du programme et des études qui pourraient s’avérer nécessaires, l’organisation des appels d’offres, les principes d’application des garanties et de la réglementation technique. Enfin on y prévoit les modalités d’exécution et de réception des travaux.

L’article 5 définit les principales caractéristiques géométriques du pont, fruit d’un travail de concertation entre les deux parties au regard des fonctions qui seront assurées par le franchissement et des contraintes prévisibles. Le pont sera construit conformément à la réglementation du Brésil, maître d’ouvrage de cette partie de l’opération, sous réserve des adaptations proposées par la CIG (article 7).

L’article 8 détermine le processus de consultation des entreprises. Deux appels d’offres internationaux seront lancés : le premier portera sur le contrôle des études et des travaux du pont, le second sur les études d’exécutions et les travaux de réalisation de l’ouvrage. Là encore, la procédure de consultation et les marchés publics relèveront de la responsabilité du Brésil, maître d’ouvrage. Il faut observer que les dispositions relatives à la mise en concurrence au Brésil sont conformes aux obligations auxquelles les autorités françaises sont régulièrement soumises ; elles garantissent, selon le Gouvernement, l’égalité de traitement entre les entreprises quelle que soit leur origine. Le maître d’ouvrage choisira le lauréat des appels d’offres à partir des avis formulés par la CIG chargée de l’examen des offres ; la partie française, qui est représentée au sein de la CIG, reste donc associée dans cette phase ce qui constitue une garantie satisfaisante.

L’article 9 stipule que, lors de la réalisation du pont, le maître d’ouvrage doit informer la CIG du déroulement des travaux. C’est lui qui conservera la responsabilité de la gestion et de l’entretien du pont pendant la durée de garantie de l’ouvrage comme le prévoit l’article 11, les dépenses afférentes étant cependant partagées entre les deux parties. A l’issue de cette période, chaque Etat assumera l’entretien de la partie d’ouvrage sur son territoire en coordination avec l’autre.

L’article 10 prévoit que chacune des Parties s’assure de la disponibilité des terrains nécessaires à la construction du pont.

Les articles 12 à 21 contiennent les dispositions relatives aux voies d’accès et aux équipements de surveillance des sections transfrontalières. Là encore la répartition des rôles est clairement établie entre les deux parties.

Chaque Etat étudiera, réalisera et exploitera sous sa maîtrise d’ouvrage la voie d’accès sur son territoire suivant ses propres réglementations, sous réserve des éventuelles adaptations techniques proposées par la CIG.

Le chapitre V de l’accord arrête les conditions financières de réalisation de l’opération. L’objectif est de partager équitablement les dépenses entre la France et le Brésil. L’accord tel qu’il est rédigé a pris le parti de ne pas entrer dans le détail des financements compte tenu de la complexité et des différences des régimes des taxes et de leur application entre les deux Etats. Ainsi le présent accord ne précise pas explicitement la part des dépenses relatives à l’ouvrage d’art à la charge de chaque Etat. Toutefois, au titre de cet accord, les deux parties s’engagent à supporter le coût des études, des appels d’offres, de l’adjudication, de la construction et de la surveillance des travaux relatifs au pont sur une base équitable (article 22). C’est sur la base de l’état des dépenses produit par le maître d’ouvrage que la CIG est chargée d’en valider le coût net qui correspond à la stricte réalisation des prestations, hors les diverses taxes et coûts annexes dont l’autre Etat n’est pas redevable. Ce coût net sera au final réparti à parts égales entre la France et le Brésil.

Chaque Etat supportera aussi le coût de la voie d’accès sur son territoire ainsi que celui des équipements de surveillance des sections transfrontalières mais aussi les coûts des équipements dont il a demandé la réalisation, y compris ceux qui pourraient être situés sur le territoire de l’autre Etat.

Le maître d’ouvrage brésilien du pont assurera le préfinancement des dépenses liées à la réalisation du pont. La CIG validera, quant à elle, l’état des dépenses présentées par le maître d’ouvrage correspondant aux travaux réalisés ; elle déterminera aussi le montant dû par l’autre partie, qui dispose d’un délai de trois mois pour s’en acquitter.

Enfin chaque Etat assure la totalité du financement nécessaire à la réalisation de la voie d’accès sur son territoire. Dans l’hypothèse où un Etat demanderait des équipements particuliers sur le territoire de l’autre Etat, ce dernier en assurerait le préfinancement. La dépense, validée ensuite par la CIG, lui serait alors remboursée par l’autre partie dans le même délai de trois mois suivant la présentation de l’état de frais.

Le chapitre VI détermine les conditions dans lesquelles fonctionnera la commission bilatérale instituée par l’accord du 5 avril 2001. Celle-ci voit d’ailleurs ses missions élargies par le présent accord ; elle prendra désormais le nom de commission intergouvernementale (article 25). Elle pourra, à sa demande, être assistée dans les tâches qui lui sont dévolues par une commission technique (article 26). Ces deux commissions seront composées d’un nombre égal de représentants français et brésiliens.

Les dispositions diverses et finales sont contenues au chapitre VII de l’accord. Il est prévu que sera préservée toute facilité d’accès au chantier du pont de part et d’autre de la frontière pour les employés de nationalité française ou brésilienne des entreprises françaises ou brésiliennes mandatées par le Brésil pour la réalisation de l’ouvrage. L’accord prévoit enfin des dispositions particulières lorsque les employés de ces entreprises n’ont pas la nationalité française ou brésilienne.

2) Le coût et le calendrier des travaux

La France financera une partie de l’opération dans les conditions suivantes :

Libellé

Montant

Observations

 

Etudes

Travaux

 

Voie d’accès côté français

 

250 000 €

   

Géotechnique

 

50 000 €

 

Route d’accès + plateforme aire de contrôle frontalier

 

4 000 000 €

longueur d’environ 5 km

Déplacement d’un site de l’armée de terre

 

1 200 000 €

sur la base de 1000 m² de hangars, bureaux et logements

Sous-total voie d’accès

250 000 €

5 250 000 €

à la charge de la France à 100 %

Equipements pour la surveillance transfrontalière (pour ceux qui sont nécessaires à la France)

Etudes

200 000 €

   

Aménagement Douane et Police de l’air et des frontières - réseaux divers

 

1 800 000 €

1 000 m² de bureaux et hangars

Sous-total équipements transfrontaliers

200 000 €

1 800 000 €

à la charge de la France à 100 %

Pont (partie française)

 

7 500 000 €

Payé à la République fédérative du Brésil

Voie d’accès

5 500 000 €

Equipements de surveillance transfrontalière

2 000 000 €

Pont (partie française)

7 500 000 €

Total financé par la France

15 000 000 €

Selon le Gouvernement, ces montants correspondent à ceux que l’on observe pour des opérations de même nature.

Le calendrier prévu pour la réalisation de ce projet est le suivant.

Pour la création de la route d’accès, la déclaration d’utilité publique devrait intervenir en novembre 2006, la consultation des entreprises en décembre 2006, la notification des marchés travaux en février 2007, le début de ces travaux en juillet 2007 et leur achèvement en septembre 2008.

Pour les bâtiments, c’est-à-dire le poste douanier et le déplacement du bâtiment de l’armée de terre, on a débuté par l’évaluation des besoins avec la rédaction d’un cahier des charges pour maîtrise d’œuvre en juillet 2006. Le choix du maître d’œuvre devrait intervenir en décembre 2006, la consultation des entreprises en juin 2007, la notification du marché de travaux en octobre et le début des travaux en décembre de la même année. Ils devraient s’achever en novembre 2008.

Enfin, pour le pont, la maîtrise d’ouvrage est assurée par le Brésil et l’accord du 15 juillet 2005 prévoit des phases de validation par la commission intergouvernementale. On peut supposer que le début des études, c’est-à-dire l’avant-projet technique, les études relatives à l’environnement, à l’eau et l’enquête publique, interviendrait en novembre 2006. Après cette phase assez longue, la consultation des entreprises aurait lieu en novembre 2007, pour un début des travaux en avril 2008. L’achèvement du projet pourrait avoir lieu mi-2009.

CONCLUSION

Dans l’histoire, la construction de ponts entre deux rives étrangères a toujours marqué le désir de se rapprocher et de travailler ensemble. Les relations entre la France et le Brésil sont aujourd’hui des meilleures. Gageons que ce pont sur l’Oyapock ne fera que renforcer ce lien profitable à nos deux pays.

C’est pourquoi il vous est proposé d’adopter le projet de loi n° 3080 autorisant l’approbation de cet accord.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du 10 octobre 2006, sur le rapport de M. Jean-Jacques Guillet, suppléant M. Jacques Remiller, empêché.

Après l’exposé du Rapporteur suppléant, et suivant ses conclusions, la Commission a adopté le projet de loi (no 3080).

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La Commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte de l’accord figure en annexe au projet de loi (n° 3080).

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