N° 3839 - Rapport d'information de M. Bernard Deflesselles déposé par la commission des affaires européennes sur la politique spatiale européenne




No 3839

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 octobre 2011.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES(1)

sur
la politique spatiale européenne,

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Bernard DEFLESSELLES,

Député

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La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pierre Lequiller, président ; MM. Michel Herbillon, Jérôme Lambert, Didier Quentin, Gérard Voisin vice-présidents ; M. Jacques Desallangre, Mme Marietta Karamanli, MM. Francis Vercamer secrétaires ; M. Alfred Almont, Mme Monique Boulestin, MM. Pierre Bourguignon, Yves Bur, Patrice Calméjane, Christophe Caresche, Philippe Cochet, Jean-Yves Cousin, Bernard Deflesselles, Lucien Degauchy, Michel Diefenbacher, Jean Dionis du Séjour, Marc Dolez, Daniel Fasquelle, Pierre Forgues, Mme Marie-Louise Fort, MM. Jean-Claude Fruteau, Jean Gaubert, Hervé Gaymard, Guy Geoffroy, Mmes Annick Girardin, Anne Grommerch, Pascale Gruny, Elisabeth Guigou, Danièle Hoffman-Rispal, MM. Régis Juanico, Robert Lecou, Michel Lefait, Lionnel Luca, Philippe Armand Martin, Jean-Claude Mignon, Pierre-Alain Muet, Jacques Myard, Michel Piron, Mmes Chantal Robin-Rodrigo, Valérie Rosso-Debord, Odile Saugues, MM. André Schneider, Philippe Tourtelier.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

I. LES AMBITIONS SPATIALES EUROPEENNES 13

A. LE DOMAINE SPATIAL CONSTITUE L’UN DES RARES SECTEURS INDUSTRIELS OÙ EST AFFIRMÉ LA PRÉFÉRENCE COMMUNAUTAIRE 13

B. LA NÉCESSITÉ DE RESTRUCTURER L’EUROPE SPATIALE. 14

C. LA QUESTION DU FINANCEMENT DEVIENT CRUCIALE 15

II. LES PERSPECTIVES DE LA POLITIQUE SPATIALE EUROPÉENNE 17

A. COMMUNICATION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE 17

1. Ligne politique générale 17

2. Domaines d’action prioritaires définis par la communication 19

3. Espace, compétitivité et stratégie « Europe 2020 » 20

4. Dimension internationale de la politique spatiale de l'Union européenne 21

5. Gouvernance 21

6. Programme spatial européen 22

B. ANALYSE DU RAPPORTEUR 22

III. LES QUESTIONS EN SUSPENS 25

A. LE DÉPLOIEMENT DE LA CONSTELLATION GALILEO 25

B. LE FINANCEMENT DES PROGRAMMES EN COURS 26

C. LA GOUVERNANCE DES PROGRAMMES 28

D. PROPOSITION DE DÉCISION DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL RELATIVE AUX MODALITÉS D’ACCÈS AU SERVICE PUBLIC RÉGLEMENTÉ OFFERT PAR LE SYSTÈME MONDIAL DE RADIONAVIGATION PAR SATELLITE ISSU DU PROGRAMME GALILEO 28

E. L’EUROPE SPATIALE MILITAIRE 30

CONCLUSION 35

TRAVAUX DE LA COMMISSION 37

ANNEXE : PROPOSITIONS DU CENTRE D’ANALYSE STRATÉGIQUE , OCTOBRE 2011 39

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Il n’est sans doute pas nécessaire aujourd’hui d’insister sur l’apport de la politique spatiale à la croissance et à la recherche européennes et sur son importance pour l’avenir et l’indépendance de l'Europe.

La politique spatiale européenne (PSE) est en cours de mutation. Née à l’extérieur du cadre communautaire, elle y a été incluse par le traité de Lisbonne qui fait du domaine spatial une compétence partagée.

Il était donc légitime que la Commission européenne adopte le 4 avril dernier une communication intitulée « Vers une stratégie spatiale de l’Union européenne au service du citoyen », qui précise la politique que l’Union européenne devrait mettre en œuvre dans ce domaine.

La France, qui a été l’initiatrice et le moteur de la politique spatiale européenne ne peut qu’approuver les ambitions spatiales de l’Union européenne. Elles semblent en phase avec les aspirations françaises exprimées par le Centre d’analyse stratégique dans son rapport du mois d’octobre 2011 qui développe la vision suivante, partagée par le rapporteur : l’Union européenne « a su développer des compétences et une industrie de pointe, mettre en place l’Agence spatiale européenne (ESA), dont les succès sont reconnus, et créer un modèle original fondé sur la primauté des activités civiles. L’évolution institutionnelle due à l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne constitue une formidable occasion de donner un nouvel élan à la politique spatiale européenne, qu’il incombe désormais à l’Union européenne (UE) de définir. Celle-ci pourrait se fixer comme objectifs de répondre aux besoins de ses citoyens, de contribuer à la défense et à la sécurité européennes, de faire progresser la connaissance scientifique, de participer pleinement à la quête de la vie dans l’univers et à l’aventure humaine que constitue l’exploration du système solaire et enfin de promouvoir la compétitivité par une politique industrielle orientée vers le développement des technologies européennes, en particulier des technologies critiques. »

Certes, le document élaboré par la Commission européenne se situe en deçà des ambitions françaises mais dans le contexte budgétaire difficile que nous traversons, il constitue une base programmatique tout à fait acceptable… s’il se traduit dans les faits.

Il est vrai que la position éminente de l’industrie spatiale française et le fait que, seule en Europe, la France ait conçu ses propres missiles nucléaires stratégiques nous portent à être très favorables au développement de l’industrie spatiale. Ce point de vue français n’est pas nécessairement partagé par les vingt-six autres Etats de l’Union européenne, qui ne sont sans doute pas tous prêts à relayer l’ensemble de nos ambitions.

Mais, il serait pour le moins paradoxal qu’au moment où l’Union européenne se voit reconnaître par les traités des compétences nouvelles, elle renonce à les exercer. En effet, les perspectives financières proposées par la Commission européenne pourraient conduire à restreindre le rôle de l’Union européenne. Elles se trouvent en contradiction avec les termes de la communication du 4 avril 2011 qui prend acte du rôle crucial de l’espace pour le bon fonctionnement de l’économie et de la société et confirmait les principales priorités pour l’Union européenne que sont l’achèvement de Galileo, la mise en œuvre de GMES, la protection des infrastructures spatiales ainsi que les actions à poursuivre en matière d’exploration spatiale. La communication invitait également les acteurs de la politique spatiale à poursuivre l’élaboration d’une politique industrielle spatiale, en coopération étroite avec les Etats membres et l’Agence spatiale européenne, l’ESA.

Il est vrai que la politique spatiale coûte cher, mais nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation curieuse où la Commission européenne affirme dans une communication des ambitions intéressantes et un trimestre plus tard présente des perspectives financières sur la période 2014-2020 dans lequel un programme majeur, le GMES, n’est pas financé.

Le rapporteur tient également à souligner qu’il en est de même, dans un autre domaine, pour ITER, qui constitue un programme essentiel de la recherche mondiale et qu’il serait absolument inconcevable que les engagements financiers de l’Union européenne relatifs à ce programme ne soient pas respectés.

Il n’est évidemment pas possible de se voir reconnaître des compétences et de ne pas prévoir les moyens financiers nécessaires pour les exercer.

I. La politique spatiale : une compétence partagée de l’Union européenne et des Etats membres

L’entrée en vigueur du traité de Lisbonne constitue un jalon fondamental dans l’organisation institutionnelle du secteur spatial au niveau européen. Il fait de l’espace une compétence partagée entre l’Union européenne et ses Etats membres (art. 4). Le traité prévoit (art. 189) que l’Union européenne peut « élaborer une politique spatiale, promouvoir des initiatives communes, soutenir la recherche et le développement technologique ».

Dans ce cadre, le Parlement européen et le Conseil peuvent établir les mesures nécessaires, à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des Etats membres.

La principale nouveauté introduite par l’article 189 est la possibilité octroyée à la Commission de proposer des mesures dans le domaine de la politique spatiale, sans devoir attendre d’être saisi par le Conseil.

En effet, la politique spatiale européenne existait bien avant le traité de Lisbonne ; sa gouvernance s’est organisée depuis 2003 autour de l’accord-cadre régissant la coopération entre l’Union européenne et l’Agence spatiale européenne, qui a entraîné la création d’un secrétariat conjoint UE-ESA.

Jusqu’à la signature de cet accord-cadre, la politique spatiale européenne reposait sur l’Agence spatiale européenne. Née en 1975 et située à Paris, l’ESA compte dix-huit Etats membres, dont deux (Norvège et Suisse) n’appartiennent pas à l'Union européenne. Le Canada, la Hongrie, la Pologne et la Roumanie participent également à certains projets de coopération avec l’ESA, organisation entièrement indépendante. Elle entretient des relations étroites avec l’Union européenne à travers l’accord-cadre régissant l’organisation et les projets communs des deux institutions : l’ESA se concentre ainsi sur les activités scientifiques de cette politique (lancements, recherche, exploration…) tandis que l’Union gère ses applications et sa coordination entre les différents acteurs.

D’autres agences nationales ou transnationales, telles qu’EUMETSAT (European Organisation for the Exploitation of Meteorological Satellites), collaborent à la politique européenne de l’espace.

La résolution intitulée « faire progresser la politique spatiale européenne », adoptée lors du 5e Conseil « Espace » du 26 septembre 2008, tenu sous la présidence française de l’Union européenne, rappelait que la politique spatiale européenne repose sur trois piliers : l’Union européenne, l’Agence spatiale européenne et les Etats membres. Elle proposait d’engager de nouvelles initiatives, notamment en matière de contribution des technologies spatiales à la lutte contre le changement climatique, à la compétitivité, à l’emploi et à la sécurité de l’Europe.

La présidence française de l’Union européenne a permis de réaliser une avancée significative en matière de contribution des technologies spatiales à la défense et à la sécurité de l’Europe. L’Union européenne avait refusé jusqu’alors toute immixtion dans le domaine militaire, bien que les technologies spatiales soient par nature duales.

La déclaration du Conseil du 8 décembre 2008 sur le renforcement des capacités de la politique européenne de sécurité et de défense prévoit le développement de l’information et du renseignement spatial, par la mise à disposition d’imagerie des satellites Cosmo-Skymed et Hélios 2 au Centre satellitaire de l’Union européenne (CSUE), la préparation d’une nouvelle génération de satellites d’observation (programme MUSIS) et la prise en compte des besoins militaires dans la surveillance de l’Espace.

Par ailleurs, sur le plan politique, le projet de code de conduite de l’Union européenne sur les opérations spatiales a été officiellement publié lors de ce même Conseil.

Le financement de la politique spatiale européenne bénéficie de plus de 2,6 milliards d’euros alloués par la Commission européenne, 1 milliard dédié spécifiquement au programme de navigation par satellite Galileo, qui bénéficie également de 2,4 milliards d’euros supplémentaires depuis décembre 2007. Dans le cadre du 7e programme cadre de recherche et développement (PCRD, 2007-2013), l’Union européenne apporte également 1,43 milliard d’euros supplémentaires au secteur spatial.

Les Etats membres de l’Union investissent pour leur part 3 milliards d’euros chaque année via l’Agence spatiale européenne, tandis qu’un montant équivalent est alloué aux divers programmes nationaux à travers l'Union européenne. Enfin, des fonds privés alimentent également le fonctionnement de la politique spatiale européenne.

II. Une politique spatiale fruit d’un compromis entre des aspirations divergentes

Il n’est pas possible d’examiner la politique spatiale européenne sans avoir à l’esprit que l’Europe spatiale est née d’une initiative française.

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la politique spatiale française s’est focalisée sur la recherche militaire pour concevoir des missiles militaires.

Quelques années plus tard, avec en arrière-plan la course à l’espace entre les Etats-Unis et l’URSS, le Général de Gaulle a créé le Centre National d’Etudes Spatiales (CNES). L’espace est devenu un domaine stratégique essentiel pour la politique étrangère et de défense française, les perspectives commerciales se situant au second plan.

La politique française a donc eu pour but essentiel de donner à la France un accès à l’espace, indépendant de la puissance américaine ou soviétique. Par l’intermédiaire du CNES, la France s’est lancée dans la construction du lanceur Diamant, programme couronné de succès qui a permis la mise en orbite du premier satellite français, Astérix A1 en 1965. Il a ainsi propulsé la France au rang de troisième puissance spatiale au monde. Si le CNES joue le rôle moteur dans la politique spatiale française, l’Allemagne, l’Italie ou encore le Royaume-Uni ont suivi l’exemple français en instituant à leur tour, des agences spatiales nationales, mais de moindre envergure.

Parallèlement à ces programmes nationaux, les Etats européens ont pris conscience des limites de leurs moyens techniques, financiers ou humains et ont commencé à envisager une certaine mutualisation de leurs ressources. Par exemple, la France a conclu des accords avec l’Allemagne, qui ont permis la fabrication du satellite européen de télécommunication, Symphonie. Sur le plan multilatéral, le CNES a participé aux organisations spatiales européennes : CERS/ESRO, au Centre européen pour la recherche spatiale et au CECLES/ELDO, Centre européen pour la construction de lanceurs spatiaux. Dans le cadre de l’ELDO, les Etats européens s’étaient accordés sur la création d’une fusée européenne à trois étages, Europa. Le premier étage était amené par le Royaume-Uni, le deuxième était de conception française, le troisième étage était réalisé par l’Allemagne tandis que l’Italie, la Belgique et les Pays-Bas se partagent la réalisation des stations de guidage et de télémesure. Ce projet a été un cuisant échec.

L’Europe spatiale est, il ne faut jamais l’oublier, le fruit de « l’impérialisme américain », selon la terminologie de l’époque : les pays européens ne disposant pas d’un lanceur assez puissant pour mettre en orbite le satellite Symphonie ont dû se soumettre à la volonté des Etats-Unis qui n’acceptaient de le lancer qu’à condition que celui-ci n’entre pas en concurrence avec les satellites de télécommunication américains. Le satellite européen devra donc se cantonner à une fonction expérimentale. Cette situation, jugée humiliante par le gouvernement français de l’époque, a emporté les dernières hésitations et a convaincu la France et l’Europe de se doter d’un lanceur lourd, permettant de s’affranchir de la tutelle américaine.

En outre dans le même temps le projet moins ambitieux Europa périclitait. Depuis l’élaboration du programme, le marché des satellites de télécommunication avait évolué. Le projet de lanceur pensé lors de l’élaboration du programme Europa n’était plus assez puissant. Les Etats européens ont tenté d’adapter le programme, mais des dissensions sont apparues entre les participants. Le Royaume Uni et l’Italie se sont retirés du programme dénonçant son coût trop élevé, la volonté française de substituer Kourou à Woomera (Australie) comme base de lancement et l’inadéquation de l’offre Europa avec la demande mondiale. C’est la recherche continuelle de la satisfaction des intérêts de chaque Etat qui a fait échouer cette coopération, aucun maître d’œuvre n’ayant été désigné.

Tirant les enseignements de l’échec du projet de lanceur Europa, la France a œuvré à la réorganisation du programme spatial européen et de ses institutions. Elle a proposé la création d’un lanceur issu de l’expérience réussie de la fusée Diamant afin de mettre fin à la dépendance européenne en matière spatiale. Toutefois, d’autres Etats, plus atlantistes, estimaient qu’il ne fallait pas s’opposer aux Etats-Unis mais plutôt s’allier à leur projet de Station Spatiale Internationale. Ainsi, dans cette optique, l’Allemagne souhaitait investir dans le module Spacelab, composante de la navette spatiale.

A la suite de délicates négociations, les pays européens sont parvenus à un compromis : une agence spatiale européenne unique a été instituée, la France a obtenu la construction de la fusée Ariane et l’Allemagne l’élaboration du module Spacelab. La simplicité dans la gestion du projet Ariane (maîtrise d’œuvre et financement essentiellement français) a permis un premier lancement dès le 24 décembre 1979. Le Spacelab, dans une même logique a été lui aussi rapidement mis en service. Dans cette première phase l’Europe spatiale est intergouvernementale, un pays dirige le programme qui l’intéresse. A cette époque la naissance des fusées Ariane résulte plus d’une volonté française que d’un engagement de l’Union européenne, ce qui explique la position prépondérante que garde notre pays au sein de l’Union européenne dans le domaine des lanceurs.

Dans les années 1980, un partenariat européen en matière spatiale s’est dessiné, sous l’égide de l’Agence Spatiale Européenne. Mais il reste assez précaire puisqu’il repose sur une juxtaposition de politiques nationales et le soutien volontaire de voisins européens. L’Europe spatiale est affaiblie par l’opposition de deux idéologies : l’une donne la priorité à l’indépendance européenne et l’accès du Vieux continent au nouveau marché prometteur de l’industrie spatiale. L’autre est tournée vers un partenariat avec la NASA en matière de recherche spatiale.

1961 : Création du CNES, construction du lanceur Diamants

1965 : La France parvient à mettre seule en orbite un satellite français « Asterix A1 »

1968 : Les Etats-Unis refusent d’envoyer dans l’espace un satellite européen (Symphonie) concurrent de leur technologie

1971 : Echec et abandon du projet Europa (lanceur)

1973 : Les Etats européens s’accordent sur la mise en place d’une institution unique dans le domaine spatiale, la construction de la fusée Ariane et du Spacelab

1975 : Signature de la convention portant création de l’ESA

Ce sont ces deux conceptions différentes du rôle de l’Europe dans l’espace qui ont jeté les bases de la politique spatiale européenne.

III. Les actions conduites dans le cadre de la politique spatiale européenne

L’action des Etats européens dans le domaine spatial se divise aujourd’hui en deux branches qui se différencient par leur objectif, mais aussi par leur cadre institutionnel.

1. Par l’intermédiaire de l’ESA les Etats sont partis au programme ISS (Station spatiale Internationale). En contrepartie de la construction du laboratoire « Colombus » et d’un vaisseau automatique de transfert de fret « ATV », les spationautes européens ont accès à la station et peuvent effectuer les recherches qu’ils souhaitent. La contribution européenne se traduit par le financement de 8.3 % du coût total de ce projet soit initialement 3 milliards d’euros. Toutefois, faisant l’objet de surcoûts successifs, le coût total de la station orbitale est évalué aujourd’hui à 100 milliards de dollars. Les Etats européens vont devoir adapter leur contribution en tenant compte du contexte financier actuel, du bilan coût/avantages mais aussi de leurs investissements dans d’autres projets spatiaux. Il faut noter que le coût de la station orbitale apparaît démesuré par rapport à ses retombées, justifiant ainsi à posteriori la pertinence des choix faits par la France en 1974.

Le programme GNSS se situe quant à lui dans un cadre bien différent, c’est le premier programme réellement européen et non issu d’une coopération intergouvernementale volontaire. Il a pour objectif de garantir l’indépendance de l’Union dans le domaine stratégique de la navigation par satellite, qui trouve ses applications dans de nombreux secteurs : transports, protection civile, agriculture, géodésie, services de recherches et de sauvetage…Elaboré à des fins civiles, ce programme offre incontestablement aux Etats de nouveaux outils militaires.

Le programme Egnos en service depuis 2009 est un système de renforcement satellitaire régional pour l’Europe améliorant les signaux provenant des systèmes de navigation par satellite existant, en particulier le GSM américain. Depuis le 1er avril 2009, Egnos est détenu et géré par l’Union Européenne tandis que l’ESA conserve son rôle d’agent, chargé de la conception de la passation des marchés.

Galileo est quant à lui un programme d’une toute autre envergure, constitué d’une constellation de trente satellites, il ambitionne de doter l’Europe d’un système de positionnement et de datation, de couverture mondiale et interopérable avec le GPS américain et le Glonass russe.

D’initiative largement française mais lancé par l’Union européenne en 1999, il est développé par la Commission européenne en collaboration avec l’ESA.

Le programme Galileo est le premier projet européen d’une telle ampleur. L’Union est propriétaire de tous les biens corporels ou incorporels créés ou mis au point dans le cadre des programmes et est responsable de leur gestion. Toutefois, cette communautarisation des moyens constitue aussi son point faible car la Commission européenne ne dispose pas des outils nécessaires à la gestion de grands projets industriels. En effet, cette constante recherche de compromis entre les différents acteurs, UE, ESA, Etats membres des deux organisations et Etats n’appartenant qu’à une seule de ces organisations, est à l’origine des tâtonnements de la Commission et donc de retards, aggravés par des règles de passation des marchés publics inadaptées à un secteur industriel oligopolistique.

Les premiers satellites ont été lancés en octobre 2011, et en 2014, un peu plus de la moitié des trente satellites devraient être mis en orbite. D’ici deux ans, le système Galileo sera donc opérationnel mais sera moins performant que prévu.

I. LES AMBITIONS SPATIALES EUROPEENNES

Le Conseil a approuvé le 4 avril 2011 la communication de la Commission « Vers une stratégie spatiale de l’Union européenne au service du citoyen ».

Ce document réaffirme le caractère prioritaire des programmes Galileo et GMES au sein de la politique spatiale européenne. La Communication vise également le développement d’un système de surveillance de l’espace dont la gouvernance et l’organisation doivent relever de l’Union européenne. L’importance pour l’Europe de continuer à disposer d’un accès indépendant à l’espace, élément indispensable pour faire de l’Europe un acteur à part entière sur la scène mondiale dans le domaine spatial est réaffirmé. Ce point est essentiel pour la France.

En outre, il confirme l’inscription des affaires spatiales au cœur de la « stratégie Europe 2020 pour une croissance durable », en particulier au sein de l’initiative « pour une politique industrielle à l’ère de la mondialisation ». La France souhaite comme la Commission que l’Union européenne mène une politique industrielle spécifique au secteur spatial visant le développement d’une base industrielle solide et équilibrée (intégrant les PME), afin de renforcer notre compétitivité mondiale.

Enfin, cette stratégie propose des évolutions institutionnelles pour la gouvernance des affaires spatiales en Europe. La France soutient l’approche de la Commission, fondée sur le renforcement des liens entre les trois « maîtres d’ouvrage » de la politique spatiale européenne que sont les Etats membres, l’Agence spatiale européenne et l’Union européenne, cette dernière ayant la vocation et le mandat, de par les traités, de coordonner les efforts européens pour l’utilisation et l’exploration de l’espace.

La France souhaite, comme la Commission, que l’Union européenne mène une politique industrielle spécifique au secteur spatial visant le développement d’une base industrielle solide et équilibrée (intégrant les PME) et le renforcement de notre compétitivité mondiale, comme le prévoit l’article 189 du TFUE qui stipule que l’Union élabore une « politique spatiale afin de promouvoir, entre autres, la compétitivité industrielle ».

L’industrie spatiale est en effet caractérisée par une forte concentration et une grande dépendance vis-à-vis de la commande publique.

La Commission européenne souligne que « dans le cadre des programmes spatiaux de l’Union, il conviendra de mieux utiliser le cadre réglementaire européen concernant notamment les échanges commerciaux, ainsi que les instruments financiers pour soutenir la recherche et l’innovation et définir le type de procédure de marchés le plus approprié et les critères d’octroi applicables quand l’Union européenne contribue au financement. La possibilité d’adopter des dispositions spécifiques dans le cadre d’actes législatifs particuliers pourrait être examinée. »

Cette proposition est particulièrement importante, dans la mesure où elle traduit la prise de conscience par la Commission européenne que la conduite du programme Galileo avec les règles traditionnelles de passation des marchés est impossible, le domaine spatial étant par nature oligopolistique.

Cette prise en compte de la spécificité de l’industrie spatiale a déjà été largement réalisée par les Etats.

Le Conseil ministériel de Berlin (5-6 décembre 2005) a adopté une résolution relative à la préférence européenne en matière de lanceurs pour les missions de l’ESA. En mars 2006, la France a décidé, à titre national, d’appliquer ce principe aux missions institutionnelles françaises. Le sommet franco-italien du 30 novembre 2007 a adopté une déclaration commune sur la préférence européenne en matière d’accès à l’espace.

L’affirmation de préférences communautaires et nationales n’exclut pas pour autant l’Europe de la coopération mondiale.

En effet, l’exploration spatiale constitue un domaine dans lequel toute mission ne peut se concevoir que dans le cadre d’une coopération au niveau mondial. La première conférence sur l’exploration spatiale, dont le principe avait été décidé lors du 5e Conseil espace (septembre 2008), s’est tenue en octobre 2009 à Prague. Lors de la 2e conférence sur l’exploration (octobre 2010), tenue sous présidence belge de l’Union européenne, a été décidée la création du forum politique qui sera chargé de définir les grandes lignes d’un programme mondial d’exploration, d’identifier les objectifs scientifiques et d’établir une cartographie des compétences. L’Italie devrait accueillir la première réunion du forum vers la fin 2011.

Le rapporteur se félicite également que pour la Commission européenne, « l’ESA continue à évoluer vers un modèle d’organisation permettant de faire coexister dans une même structure d’une part les programmes militaires et civils et, d’autre part, un volet intergouvernemental et un volet "Union" ».

« Pour la mise en œuvre des programmes Galileo et GMES, l’ESA est déjà tenue au respect de la réglementation de l’Union européenne. Elle poursuivrait son rapprochement de l’Union et continuerait de se doter, en tant que de besoin, de structures de gestion destinées exclusivement aux programmes de l’Union. Le modèle devrait être souple, afin de s’adapter au gré des ressources financières que les différents acteurs mobiliseront sur les différents programmes dans le futur. Le modèle devrait enfin être à géométrie variable, pour permettre la participation de la Suisse et de la Norvège à certains programmes tout en offrant la possibilité d’une participation limitée à quelques Etats membres. »

La voie proposée à ce sujet par la Commission est très intéressante, car elle évite l’écueil de certaines politiques suivies par la Commission européenne qui n’utilise pas les organisations intergouvernementales existantes (par exemple Eurocontrol) et tend à créer ses propres structures. Il est clair aux yeux du rapporteur que si le pilotage politique appartient aux institutions de l'Union européenne, la conduite de la politique spatiale relève naturellement de l’ESA.

Lors du Conseil ministériel de La Haye de novembre 2008, il a été décidé que le montant des contributions des Etats membres aux programmes de l’Agence se situerait à plus de 10 milliards d’euros, soit une augmentation de près de 20 % par rapport à l’exercice précédent. Ces contributions sont destinées à des programmes couvrant les domaines de l’accès à l’espace (développement de la filière lanceurs, financement du Centre spatial guyanais), du développement durable (GMES), de la météorologie (satellite géostationnaire de troisième génération), des télécommunications spatiales, de l’exploration du système solaire et de la sécurité, avec notamment le lancement d’un programme préparatoire de surveillance de l’espace (SSA : Space Situational Awareness).

Sur les deux programmes européens en cours, seul Galileo a été intégré dans le cadre financier pluriannuel 2014-2020 de l’Union européenne, le programme GMES n’y est pas inclus, ce qui est inquiétant et contraire à la communication sur la politique d’avril 2011.

Le système Galileo, qui devrait être mis en service à partir de 2013, est financé, sous réserve de l’absence de surcoûts.

L’approvisionnement de la phase de déploiement et d’exploitation (FOC/full operational capacity) s’est fait sur la base de l’appel d’offre lancé le 1er juillet 2008 pour les six lots suivants : satellites, lanceurs, conception et ingénierie du système, infrastructure de contrôle au sol (contrôle des satellites), infrastructure de mission sol (fourniture des signaux et messages de navigation), infrastructure de mission opération (deux centres de contrôle des satellites situés en Allemagne et en Italie). Un premier lot de 14 satellites a été attribué à l’industriel allemand OHB. Le lot lanceur a été confié à Arianespace.

Le cadre financier pluriannuel prévoit une enveloppe de 7 milliards d’euros pour le financement de Galileo, en phase avec les besoins exprimés actuellement.

L’initiative GMES (Global Monitoring for Environment and Security) de surveillance mondiale de l’environnement et de la sécurité, lancée en 1998, n’est pas financée au-delà de 2014.

Son objectif est de mettre en place les six services thématiques suivants liés à l’information environnementale : la surveillance des territoires, des océans, de l’atmosphère, du climat, la gestion des urgences et l’appui à la sécurité. Depuis septembre 2008, cinq services sont en phase pré-opérationnelle.

Le financement communautaire de GMES (de son côté l’ESA finance la majeure partie du développement des « Sentinelles ») a été assuré pour la période 2007-2013 par la Commission européenne à hauteur de 1,2 milliard d’euros. Un financement additionnel de 1,07 milliard d’euros a été mis en place dans le cadre du dispositif GIO (GMES Iinitial Operations) couvrant la période 2011-2013, mais rien n’est prévu pour la période 2013-2020.

Ce dispositif GIO, adopté dans un règlement de la Commission le 16 juin 2010, constitue la première base légale de l’Union européenne identifiant une ligne de financement spécifique à GMES.

Le règlement 911/2010 du Conseil et du Parlement européen adopté le 13 septembre 2010, renforce les pouvoirs de coordination de la Commission et crée un Conseil des partenaires, instance de concertation entre Etats membres et la Commission chargée de préparer les plans de mise en œuvre annuels et pluriannuels.

Or, actuellement ce programme n’est pas financé au-delà de 2014 et si cette question n’est pas réglée ou si la part financée par les Etats augmente il apparaîtra nécessaire d’accorder plus de place aux contributeurs dans la gouvernance du système qui de communautaire pourrait devenir intergouvernemental.

Pour le rapporteur, il serait regrettable de remettre en cause un programme emblématique de l’Union européenne.

II. LES PERSPECTIVES DE LA POLITIQUE SPATIALE EUROPÉENNE

La Commission dans sa communication « Vers une stratégie spatiale de l’Union européenne au service du citoyen », focalise l’action de l’Union européenne sur Galileo/EGNOS, GMES (renforcement des volets changement climatique et sécurité), l’espace et la PSDC, la sécurité des infrastructures spatiales et l’exploration spatiale. En outre, la Commission entend mener une politique industrielle spatiale (fondée sur des approches différenciés pour chaque sous secteur stratégique, notamment les lanceurs « qui méritent une attention particulière »), renforcer ses coopérations internationales et améliorer la gouvernance spatiale européenne (renforcement du partenariat Union européenne-Etats membres; évolution de la relation UE-ESA, coordination des acteurs spatiaux). Cette communication fait largement écho à des positions défendues par la France.

Le Vice-président de la Commission européenne en charge de l’industrie et de l’entreprenariat, M. Antonio Tajani, entendait initialement faire adopter cette communication en octobre 2010 afin de présenter, moins d’un an après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, les intentions de la Commission en matière spatiale, en particulier dans l’optique de la préparation du prochain cadre financier pluriannuel (débutant en 2014). Cette communication fut retardée par la crainte d’un engagement dans des domaines ayant potentiellement de fortes conséquences budgétaires, alors même que les premières réflexions sur les prochaines perspectives financières commençaient à peine.

Cette communication a finalement pu être adoptée le 4 avril 2011 mais apparaît effectivement en contradiction avec les perspectives financières proposées par la Commission européenne.

La Commission met en exergue la capacité des dispositifs et des applications spatiaux à répondre à des impératifs sociétaux (bien-être des citoyens, environnement, changement climatique, sécurité publique, aide humanitaire et développement ; transports, société de l’information), économiques (innovation, compétitivité, croissance, emplois) et stratégiques (place de l’Union sur la scène internationale). Ils constituent de ce fait des instruments naturels de l’ensemble des politiques internes et externes de l’Union. L’espace contribue donc directement à la stratégie Europe 2020, en particulier au travers de l’initiative phare « Une politique industrielle à l’ère de la mondialisation » (ayant fait l’objet d’une communication, adoptée en octobre 2010, réservant une part notable aux activités spatiales).

Les propositions de la Commission européenne sont encore vagues mais conduisent à traiter de problématiques intéressantes et pour certaines novatrices.

La nouvelle stratégie proposée prévoit les actions suivantes :

– mener à bien les projets Galileo et GMES et développer une gamme de services innovants pour les entreprises, les administrations et le grand public ;

– améliorer le système GMES afin d’obtenir des informations plus précises sur le changement climatique ;

– renforcer les capacités européennes en matière de surveillance maritime, de contrôle des frontières et d’intervention dans les situations de crise, en Europe et ailleurs ;

– mettre en place un système protégeant les satellites de communication et les autres infrastructures spatiales essentielles des radiations solaires, des débris spatiaux et des astéroïdes ;

– engager l’Union européenne dans l’exploration spatiale ;

– garantir à tous les pays de l’Union européenne un accès à l’espace et à la station spatiale internationale ;

– élaborer une politique industrielle spatiale avec l’Agence spatiale européenne et les pays de l’Union européenne ;

– renforcer les investissements dans la recherche spatiale et les technologies novatrices ;

– appliquer les progrès technologiques réalisés dans le domaine spatial au transport, à l’environnement, à la sécurité, à la défense et aux technologies de l’information.

Les quatre premières propositions sont la traduction de la poursuite du programme Galileo, mais les autres sont particulièrement intéressantes, car elles impliquent une restructuration de l’Europe spatiale. A cet égard, la Commission européenne doit rester une autorité réglementaire et ne pas remplir, comme cela a été le cas avec Galileo, un rôle de maître d’œuvre industriel, pour lequel elle ne dispose pas des moyens adéquates, infrastructures, règles juridiques et culture d’entreprise.

La communication rappelle le caractère stratégique, notamment du point de vue économique, des programmes de radionavigation de l'Union européenne et qu’ils ont fait l’objet d’un examen à mi-parcours (adopté par la Commission le 18 janvier 2011, et ayant donné lieu à des conclusions du Conseil « Transports » le 31 mars). Une proposition législative, encadrant la poursuite du programme au-delà de 2013, est attendue en 2011.

La communication rappelle le besoin de rendre GMES pleinement opérationnel à l’horizon 2014 et met en avant deux axes de développement du programme : le changement climatique (pour lequel il serait nécessaire que l'Union européenne « [complète] les infrastructures d’observation spatiales existantes et [garantisse] la pérennité de celles d’entre elles qui sont nécessaires pour mettre en œuvre et suivre les politiques de lutte contre le changement climatique et d’adaptation à ce dernier ») et la sécurité (cette dimension du programme devrait être renforcée, notamment en identifiant « comment les capacités existantes d’observations duales (tant civiles que militaires) peuvent contribuer au programme GMES »). La composante « S » (sécurité) du programme GMES, comme indiqué dans le précédent rapport établi par la Commission des affaires européennes, est essentielle. Le 7e Conseil « espace » de novembre 2010 recommande que « dans le cadre du programme GMES, l’attention se tourne sur la réponse aux besoins spécifiques des politiques de sécurité et des services chargés de la surveillance maritime, du contrôle des frontières et de l’appui aux actions extérieures de l’Union européenne ».

Cette approche officialise le caractère dual (à la fois civil et militaire) de ces programmes, longtemps nié par les autorités européennes, en particulier au sein du Parlement européen. Outre le renforcement de GMES dans le domaine de la sécurité, la communication estime que « dans le cadre de la politique européenne de sécurité et de défense, les besoins de l’Union européenne en matière de sécurité pourraient être couverts, soit par [des] capacités nationales utilisées de manière coordonnée, soit par la mise en place de capacités communes ». Elle ajoute que « pour assurer ses missions de sécurité sans dépendre d’infrastructures et de services des pays tiers ainsi que la continuité des missions développées par les Etats membres, l’Union doit entamer des discussions avec ceux-ci, afin d’examiner les options possibles ». Toutefois, elle précise que « l’opportunité d’utiliser des infrastructures commerciales […] doit aussi faire partie de cette réflexion ».

Compte tenu de la dépendance croissante de nos sociétés et de nos économies à l’égard des infrastructures spatiales, la Commission estime que leur protection dépasse les intérêts de leurs seuls propriétaires. Outre les capacités limitées de certains Etats membres, l’Union reste dépendante d’Etats tiers dans ce domaine. Aussi, il est nécessaire de mettre en place un dispositif européen, fédérant les capacités existantes et permettant l’acquisition de celles manquantes. Dans ce cadre, « l’Union devrait définir l’organisation et la gouvernance d’un tel système en tenant compte de sa nature duale et de la nécessité d’en assurer une exploitation durable ».

Après avoir fait référence aux conclusions du Conseil « espace » de septembre 2008, la communication estime « que l’intervention de l’Union européenne permettrait d’établir un lien plus étroit entre exploration spatiale et défis sociétaux et économiques en fédérant les intérêts des différents Etats membres ». Quatre domaines prioritaires ont été identifiés : les technologies critiques, la Station spatiale internationale (avec laquelle, l’Union pourrait « explorer des options de collaboration », « afin de garantir une participation de tous les Etats membres »), l’accès à l’espace (un accès autonome impliquant « de disposer d’une capacité européenne renforcée pour mener des missions autonomes à partir du port spatial européen de Kourou ») et la création d’un forum international de haut niveau (pour identifier les « domaines ouverts à la coopération internationale » et « renforcer la dimension politique des discussions »).

Rappelant que l’article 189 TFUE prévoit notamment la promotion de la compétitivité industrielle et que l’espace est un secteur moteur de croissance, d’innovation et d’emplois hautement qualifiés, la Commission « considère qu’il est indispensable de définir à court terme, en étroite collaboration avec l’ESA et les Etats membres, une politique industrielle spatiale différenciée selon les besoins spécifiques de chaque sous-secteurs ». Cette politique viserait « le développement solide et équilibré de la base industrielle dans son ensemble, y compris des PME, une plus grande compétitivité mondiale, une non dépendance pour des sous-secteurs stratégiques tels que les lanceurs, qui méritent une attention particulière ». Pour cela, une coordination des approches de l’ESA, de l'Union européenne et des Etats membres est nécessaire. Dans le cadre des programmes de l'Union européenne, « il conviendra de mieux utiliser le cadre règlementaire européen » concernant notamment les échanges commerciaux, les instruments financiers pour la recherche et l’innovation ou les procédures de marché public.

La Commission européenne estime qu’il conviendra de soutenir la recherche en matière « de technologies critiques » (non-dépendance) et de « rupture » (avancées majeures) notamment au bénéfice de l’exploration spatiale. Ces dimensions seront incluses dans la proposition de « Cadre stratégique commun pour le financement de la recherche et de l’innovation ».

La communication met en exergue la contribution des télécommunications par satellite à l’Agenda numérique européen et leurs besoins d’accès au spectre radioélectrique. Par ailleurs, leur apport au maintien d’un accès indépendant de l’Europe à l’espace (du fait de l’activité de lancement qu’il génère) est reconnu dans le cadre de la politique industrielle. Toutefois, la Commission ne semble pas prévoir d’action concrète dans le domaine des télécoms par satellites.

La Commission considère que la coopération internationale est consubstantielle des activités spatiales et peut permettre la promotion de technologies et de valeurs européennes. Aussi, elle entend renforcer les « dialogues spatiaux » établis avec les Etats-unis et la Russie et en développer de nouveaux, avec des puissances spatiales existantes ou émergentes, telles que la Chine (avec laquelle le conflit de fréquence concernant Galileo doit trouver une solution). Elle évoque également la coopération avec l’Afrique (en particulier au travers de Galileo et d’EGNOS), le code de conduite pour les activités extra atmosphériques et le GEOSS.

La Commission européenne estime que la compétence partagée dont est dotée l’Union implique un partenariat renforcé avec les Etats membres, sous forme de dialogue politique et de coordination. Elle considère que l’article 189 TFUE donne mandat à l'Union européenne de « coordonner les actions de ses Etats membres et d’assurer plus efficacement une telle complémentarité ». En outre « toute action nouvelle [doit s’appuyer] sur les capacités existantes et l’identification conjointe des besoins de capacités nouvelles ».

La Commission estime que « l’implication croissante de l'Union européenne dans l’espace requiert une réévaluation des ses relations avec l’ESA et une adaptation progressive du fonctionnement de cette dernière, pour tirer profit des atouts des deux organisations ». Pour la Commission « l’ESA devrait continuer à évoluer vers un modèle d’organisation permettant de faire coexister dans une même structure, d’une part les programmes militaires et civils, et, d’autre part, un volet intergouvernemental et volet « Union ». Ce modèle devrait également être à géométrie variable (pouvant aussi bien inclure la Suisse et la Norvège que de mener des programmes à quelques Etats membres). Ces évolutions « nécessitent à terme une révision de l’accord-cadre » UE-ESA.

Coordination des programmes spatiaux en Europe : la communication constate la fragmentation de la gestion des programmes spatiaux en Europe, le cloisonnement des investissements institutionnels et la multiplication des acteurs qui ne « facilitent pas l’optimisation des processus décisionnels et l’efficacité de la mise en œuvre ». Aussi la Commission souhaite proposer « une meilleure coordination des interventions des différents acteurs, afin de donner une réponse cohérente aux besoins des utilisateurs et aux citoyens et d’assurer une gestion saine et efficace des ressources publique »

Il est exact que les modalités d’affectation des budgets spatiaux, l’impossibilité de s’engager au-delà du cadre financier pluriannuel pour les budgets de l'Union européenne, ainsi que l’absence de coordination des calendriers respectifs entre l'Union européenne et l’ESA, rendent très complexe la mise en oeuvre d’une politique spatiale européenne et nécessitent, d’autant plus, une prévision budgétaire et une gestion rigoureuses des programmes spatiaux.

La Commission étudie la possibilité d’une proposition établissant un tel programme et agira en fonction des réponses institutionnelles (Parlement européen, Conseil) que sa communication entraînera.

Cette communication permet à la Commission européenne de se prononcer formellement sur les domaines d’action qu’elle entend développer dans les prochaines années dans le domaine de la politique spatiale, en particulier dans le cadre de la préparation de prochaines perspectives financières. Le report intervenu lors de la préparation de cette communication (repoussant son adoption d’octobre 2010 à avril 2011) témoigne d’approches contradictoires, voire conflictuelles, au sein de la Commission ainsi que d’une certaine appréhension à l’égard des conséquences budgétaires significatives qu’un sujet comme l’espace peut engendrer.

Néanmoins, cette communication reprend un nombre important de sujets et de positions défendues par la France, dans le cadre de la Présidence française de l’Union européenne, de contacts bilatéraux réguliers avec la Commission ainsi qu’au travers de la « contribution des autorités françaises aux réflexions sur les futures implications de l’Union européenne dans les activités spatiales » diffusée en mai 2010. Cela semble particulièrement net dans les domaines suivants :

– la gouvernance, la Commission reprenant largement les thèses de la France en termes de renforcement du partenariat entre l'Union européenne et ses Etats membres, d’évolution de la relation UE-ESA ou du besoin d’une meilleure coordination entre acteurs spatiaux européens ;

– la politique industrielle spatiale, pour laquelle la Commission souhaite définir des actions à court terme, répondant à la demande de la France de développer des approches sectorielles, en particulier dans un domaine comme l’espace, dans le cadre d’une politique industrielle communautaire plus large ;

– la sécurité des infrastructures spatiales, la Commission estimant, en écho avec les conclusions du Conseil « espace » de septembre 2008, que l'Union européenne doit définir la gouvernance et assurer la pérennité d’un système de surveillance de l’espace ;

– la lutte et l’adaptation au changement climatique, la Commission considérant, comme la contribution des autorités françaises, que l'Union européenne pourrait, dans le cadre de GMES, compléter ou pérenniser les capacités spatiales européennes existantes dans ce domaine ;

– l’exploration spatiale, pour laquelle la Commission reprend les grandes lignes politiques définies lors de la présidence française de l’Union, notamment la création d’une plateforme politique de haut niveau.

Enfin, si les lanceurs et le maintien d’un accès indépendant de l’Europe à l’espace ne font pas l’objet d’une partie spécifique au sein de cette communication, il semble toutefois important de noter que la Commission considère que les objectifs de la politique spatiale de l’Europe rendent intrinsèquement nécessaires le maintien d’un accès indépendant de l’Europe à l’espace (partie 1). En outre, dans le cadre de l’exploration spatiale, elle estime que « l’accès indépendant de l'Union européenne à l’espace implique également le renforcement de la capacité européenne à mener des missions indépendantes depuis le port spatial de l’Europe à Kourou » (partie 2.4). Enfin, au sein de la politique industrielle, elle affirme que les lanceurs constituent un sous-secteur stratégique « nécessitant un attention particulière » et pour lequel il faut veiller à la non dépendance de l’Europe (partie 3.1). Ces éléments constituent les marques d’une évolution notable – à consolider – des réflexions de la Commission à l’égard de ce secteur central de la politique spatiale, alors même que son approche naturelle l’incitait traditionnellement à une approche fondée uniquement sur la mise en concurrence.

Le rapporteur se félicite de l’évolution de la sensibilité de la Commission européenne sur ce point car il ne pourra pas y avoir d’Europe indépendante sans maîtrise de la totalité de la chaîne spatiale. Une approche basée uniquement sur les coûts serait suicidaire si elle aboutissait à abandonner des pans sentiers de la technologie spatiale.

III. LES QUESTIONS EN SUSPENS

Le programme Galileo constitue un projet stratégique dont le besoin et les hypothèses de départ restent parfaitement d’actualité. Il se situe au centre des objectifs d’innovation, de croissance et de création d’emplois endossés par le Conseil européen dans le cadre de la stratégie « Europe 2020 » et sa mise en œuvre est vitale pour la crédibilité de l’Union européenne.

Le système Galileo aurait dû être opérationnel dès 2008. Toutefois de nombreux retards dans la réalisation du projet et les surcoûts successifs ont amené à décaler le calendrier prévu initialement.

Le déploiement de Galileo était prévu en quatre phases :

– une phase de définition qui s’est déroulée de 1999 à 2003 a permis d’élaborer l’architecture du système et de fixer les services offerts ;

– une phase de développement et de validation (IOV) pilotée par l’ASE qui devait s’étendre de 2002 à 2005 et qui comprend le développement des satellites et des composantes terrestres du système ainsi que la validation en orbite ;

– une phase de déploiement qui aurait dû se dérouler en 2006 et en 2007 avec la construction et le lancement de 26 satellites et la mise en place complète de la partie terrestre de l’infrastructure ;

– une phase d’exploitation (FOC), qui devait débuter en 2008 et comprendre la gestion du système ainsi que son entretien et son perfectionnement constant.

Comme on a pu le constater a la lecture des deux derniers rapports présentés devant la Commission des affaires européennes, les événements ne se sont pas exactement déroulés comme prévus. En effet, la création puis la liquidation amiable de l’entreprise commune Galileo, le passage d’un financement public-privé à un financement exclusivement public, la rupture de contrat avec le maître d’œuvre industriel, le consortium ESNIS, et la négociation de nouveaux contrats a donné lieu à une augmentation sensible du coût du programme. Ce virage opéré en 2007 dans la gestion de Galileo a entraîné un retard de 5 ans dans la réalisation du projet. De ce fait, les fréquences attribuées par l’Union Internationale des Télécommunications (UIT) n’ont pas pu être occupées et la Chine menace aujourd’hui de se les approprier.

Au vu de ce constat, la Commission a décidé de jouer le rôle de gestionnaire de ce programme. Ainsi, la phase de déploiement et d’exploitation ne relève non plus de la logique intergouvernementale comme c’est le cas pour la phase de développement mais de la logique communautaire. On espérait que cette clarification des compétences résoudrait les principaux problèmes que rencontre la réalisation de cet ambitieux projet.

En remplaçant la logique de contrat unique avec le consortium ESNIS par celle de contrats différenciés directs avec les maîtres d’œuvre des six segments, la Commission européenne, qui s’est engagée à financer l’intégralité du projet, s’expose inévitablement à des surcoûts. De plus, les conditions de sélection des maîtres d’œuvre des lots sont définies, comme suit, dans le règlement GNSS : un industriel ne peut être candidat qu’au plus sur deux lots, au moins 40 % de la valeur des activités doivent être sous-traitées à des entreprises indépendantes des maîtres d’œuvre des lots. Appliquer les règles de concurrence à un secteur de technologie de pointe comme celui-ci peut provoquer l’éviction des entreprises les mieux qualifiées. Enfin, le principe du retour proportionnel à l’investissement des Etats joue aussi un rôle important. Cette logique compromissoire semble contraire à celle de base : la mutualisation des moyens et l’économie d’échelle.

Pour que le système Galileo soit pleinement opérationnel et atteigne les objectifs qui lui sont fixés en terme de fiabilité, de haute précision et de continuité de service, la phase de déploiement de la constellation doit être menée à son terme. Ainsi, les Autorités françaises, à l’instar du rapporteur (point 6), sont particulièrement attachées au déploiement d’une constellation complète à hauteur de 30 satellites, comme prévu initialement. Elles considèrent que ce déploiement pourra se faire à un rythme qui tienne compte des réalités budgétaires.

Par ailleurs, le gouvernement français souhaite, comme le rapporteur, la phase intermédiaire de déploiement à dix-huit satellites (Initial operational capability, IOC) soit atteinte en 2014. Il s’agit de montrer aux investisseurs potentiels, aux fabricants de récepteurs et aux concepteurs d’application que le programme entre en phase d’opérationnalité. Il en va donc de la crédibilité du programme et de son développement futur.

Les chiffres annoncés dans la communication de la Commission concernant la phase d’achèvement de l’infrastructure et ceux relatifs à l’exploitation nécessitent des précisions, notamment concernant les raisons qui justifient un surcoût.

Le gouvernement français souhaite notamment obtenir des explications sur les raisons qui ont conduit à réviser le surcoût relatif à la phase d’achèvement de l’infrastructure, passant de 1,5 milliard à 1,9 milliard d’euros et les bases qui ont conduit à l’estimation des coûts d’exploitation. Il considère par ailleurs qu’une étude approfondie et exhaustive devrait être conduite, afin d’identifier l’intégralité des sources d’économie et de limitation de risques envisageables. La Commission devrait poursuivre son examen concernant les options possibles de réduction des coûts.

En particulier, le gouvernement français estime avec de nombreux autres Etats membres, que, compte tenu de l’évolution du marché mondial et de l’attente des utilisateurs, il doit être envisagé que la première génération du service « Safety of Life » du programme GNSS soit mise en œuvre exclusivement dans le cadre d’EGNOS. Cette évolution pourrait entraîner des économies importantes. De même, les Autorités françaises considèrent qu’il est indispensable, afin de limiter les risques dans le déploiement et donc de mieux contrôler les coûts de pouvoir bénéficier d’une double source d’approvisionnement pour les lanceurs et les satellites.

Enfin, Galileo et EGNOS étant des programmes de l’Union, gérés, à ce stade, par la Commission européenne, le gouvernement français considérant, ainsi que le rapporteur, que les Etats membres n’ont pas vocation à en assumer les éventuels surcoûts. Au contraire, elles estiment que l’Union se doit de renforcer ses capacités et méthodes de contrôle et de prévision des coûts, ainsi que de développer des instruments budgétaires communautaires mieux adaptés à la conduite de tels projets emblématiques.

En ce qui concerne le financement de la R&D dans le domaine du GNSS le gouvernement français estime que l’impossibilité d’augmenter les ressources disponibles dans le cadre du 7e PCRDT devrait encourager la Commission à utiliser et améliorer, en partenariat avec la BEI, des instruments financiers adaptés aux spécificités des entreprises, en large partie des PME, impliquées dans les applications GNSS. En toutes hypothèses il sera nécessaire que l’Union européenne effectue un effort budgétaire supplémentaire d’un milliard d’euros par an si nous voulons que l’Union européenne maintienne son rang actuel dans un domaine vital pour notre avenir.

« Au total, en euros constants 2011, le budget de l’Europe spatiale passerait en flux annuel de 4,1 milliards d’euros aujourd’hui à 5,3 milliards d’euros en 2020. Cette augmentation devrait correspondre, selon les hypothèses retenues, à une hausse significative mais pas considérable de la part des dépenses spatiales dans le PIB européen.

Le développement d’un programme sécurité et d’un nouveau lanceur exigerait qu’il passe à 5,7 milliards d’euros à l’horizon 2030. La participation à la préparation d’une mission d’exploration humaine vers Mars représenterait, dans le cadre d’un programme mondial, un budget annuel supplémentaire d’un milliard d’euros, soit un total de 6,7 milliards d’euros. »

Source : Centre d’analyse stratégique, octobre 2011.

Le gouvernement français souhaite que la Commission traite aussi la question des modalités de transition entre la gouvernance de la phase de déploiement et la gouvernance qui sera mise en place lors de la phase d’exploitation. Les autorités françaises sont particulièrement attachées à ce que soit tenu compte des structures existantes dans la phase d’exploitation. Sur ce point, elles indiquent qu’elles seront particulièrement attentives à ce que le rôle et l’expérience d’opérateur confié, dans le cadre d’EGNOS, à l’European Satellite Services Provider (ESSP-SAS, qui a obtenu la certification des autorités de sécurité de l’aviation civile) soient reconnus. Un changement d’opérateur n’est pas souhaitable à court et moyen terme car cela risquerait d’interrompre la fourniture des services. Le retour d’expérience sur cette exploitation en cours devra être effectué et des changements à apporter au schéma seront probablement nécessaires pour améliorer la gouvernance. Il faut cependant éviter tout changement radical d’opérateur.

Le PRS (Public Regulated Service) est, parmi les différents services offerts par les systèmes européens de radionavigation par satellite, le service qui est à la fois le plus sécurisé et le plus sensible. Il doit assurer, au profit de ses usagers, une continuité de service même dans les situations de crise les plus graves. Les conséquences d’une infraction aux règles de sécurité lors de l’utilisation de ce service ne sont pas limitées à l’utilisateur concerné, mais s’étendent potentiellement à d’autres utilisateurs. L’usage et la gestion du PRS font ainsi appel à la responsabilité commune des Etats membres pour leur propre sécurité et celle de l’Union Européenne.

L’utilisation du PRS par les Etats membres reste facultative. Le grand public n’aura pas accès à ce service exclusivement réservé au Conseil, à la Commission, aux Etats membres, et éventuellement, aux agences de l’Union européenne, aux Etats tiers et aux organisations internationales dûment autorisés. Son usage devra être strictement contrôlé pour des raisons de sécurité, contrairement aux autres services non sécurisés qui seront fournis par le système Galileo. Il s’avère indispensable de surveiller la fabrication des récepteurs et leur utilisation par la mise en place de procédures rigoureuses.

La proposition de la Commission contient les principales mesures suivantes :

– des principes généraux sur les modalités d’accès au PRS, notamment le fait que le Conseil, la Commission et les Etats membres y auront accès de manière illimitée dans toutes les parties du monde, et que l’accès au PRS des agences de l’Union européenne, des pays tiers et des organisations internationales sera possible après la signature d’un accord de sécurité ;

– l’obligation pour les organisations ou les Etats utilisateurs du PRS de désigner une « autorité PRS » pour contrôler la fabrication, la détention et l’utilisation des récepteurs PRS, et de faire appliquer des normes communes minimales, et la possibilité de déléguer cette responsabilité à l’Agence du GNSS européen ;

– des dispositions sur les conditions de fabrication et de sécurisation des récepteurs PRS, sur le contrôle des exportations, sur les stations de surveillance des signaux déployées autour du globe, et sur l’application des procédures prévues par l’Action Commune 2004/552/PESC.

Les autorités françaises sont favorables à la proposition de la Commission qui permet de garantir la mise en place d’un cadre de contrôle des utilisateurs du service PRS dès le début de la phase d’exploitation de Galileo prévue à partir de 2014, et souhaitent que le texte puisse être adopté dans les meilleurs délais.

Depuis le début du programme Galileo, le gouvernement français attache une très grande importance à la sécurité du système, dont le niveau devra être suffisamment élevé pour permettre l’utilisation des services fournis sans que la sécurité de l’Union et de ses Etats ne puisse être atteinte. Cette dimension est également très importante pour permettre l’utilisation du PRS par les services gouvernementaux.

Il estime que si chaque Etat membre doit bien rester maître des utilisations gouvernementales qu’il entend faire du PRS (qu’elles soient civiles ou militaires), il doit toutefois s’engager à appliquer les standards minimaux de sécurité au travers de la politique d’accès au PRS. La défense du territoire, des citoyens et des intérêts nationaux constituent, de façon générale, des domaines d’utilisation du service PRS pour des applications gouvernementales.

La proposition de la Commission, aborde la question du financement de l’accès au PRS, mais pour le gouvernement il importe en effet de tenir compte de l’évolution après 2006 du contexte de la gouvernance de Galileo, dont les sources de financement sont désormais publiques.

En ce qui concerne la fabrication des récepteurs PRS, les autorités françaises souhaitent que la décision intègre la possibilité qu’elle soit autorisée dans des pays tiers, à l’issue de négociations et sous réserve de la signature d’un accord de sécurité avec l’Union européenne. En revanche, la fabrication des modules de sécurité PRS (composants cryptographiques) devrait être exclusivement réservée aux Etats membres de l'Union européenne.

Le gouvernement français considère que la fabrication des récepteurs devrait être réservée aux Etats membres ayant établi une autorité PRS sur leur sol ou aux entreprises implantées sur le territoire d’Etats membres ou d’Etats tiers ayant établi une autorité PRS sur leur sol (objet également de l’amendement n°10 sur l’article 8 § 1). L’autorité PRS d’un Etat membre n’étant en mesure de contrôler que les entreprises établies sur le territoire national, les impératifs de sécurité exigent en effet d’interdire la fabrication de récepteurs PRS aux entreprises établies sur le territoire d’un Etat ne disposant pas d’autorité PRS sur son sol.

Par ailleurs notre Gouvernement souhaite qu’il soit indiqué dans la proposition que les règles de gestion doivent conserver le caractère anonyme des utilisations qui sont faites des récepteurs.

Le rapporteur, de même que le Gouvernement, n’est pas favorable à l’introduction d’actes délégués pour traiter des questions de sécurité relatives au programme Galileo.

Les différents conflits de part le monde illustrent abondamment la nécessité de bâtir l’Europe spatiale militaire. Les derniers textes que nous avons cités montrent que l’état d’esprit dominant à Bruxelles comme à Strasbourg a beaucoup évolué à ce sujet et que l’idée que le spatial européen serait purement civil est aujourd’hui de facto, si ce n’est de jure, abandonné.

La dimension sécurité dans les politiques de l’Union européenne s’est renforcée à la suite de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne et de la création du « service européen pour l’action extérieure".

Il est intéressant de noter que le Parlement européen dans son avis sur l’accès aux services PRS invite l’EDA (Agence européenne de Défense), en collaboration avec les Etats membres et l’ESA, « à examiner les moyens permettant de répondre aux besoins actuels et futurs en matière de gestion des crises, en assurant l’accès, pour un coût raisonnable, à des systèmes et des services spatiaux fiables, sûrs et réactifs […] qui tirent pleinement parti, s’il y a lieu, des synergies entre les usages civil et militaire ». Il invite « la Commission européenne et le Conseil de l’Union européenne à proposer des solutions lorsque c’est nécessaire ».

Les Etats membres disposent de capacités précieuses. Ils ont également reconnu la dimension européenne de l’espace pour la sécurité et la défense en démarrant le projet MUSIS (système multinational d’imagerie spatiale dédié à l’observation militaire). Dans l’esprit de la politique de sécurité et de défense commune, les besoins de l’Union européenne en matière de sécurité pourraient être couverts soit par ces capacités nationales utilisées de manière coordonnée, soit par la mise en place de capacités communes.

Pour assurer ces missions de sécurité, sans dépendre d’infrastructures et de services des pays tiers, ainsi que la continuité des missions développées par les Etats membres, l’Union doit entamer des discussions avec ceux-ci, afin d’examiner les options possibles. Dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune, l’Union pourrait notamment coordonner les infrastructures nationales dans des conditions à convenir avec les Etats membres propriétaires et identifier les besoins complémentaires afin de mieux servir les besoins opérationnels dans la gestion des crises et des interventions extérieures. Pour satisfaire ceux-ci, elle pourrait jouer un rôle dans le développement d’infrastructures nouvelles. L’opportunité d’utiliser des infrastructures commerciales pour les missions de sécurité doit aussi faire partie de cette réflexion.

Cette approche doit être poursuivie en tenant compte des politiques connexes conduites par l’Union et les Etats membres, telles les politiques de sûreté et de surveillance maritimes.

F. La question de la responsabilité doit être réglée.

La Commission européenne évoque dans sa communication la question de la responsabilité des opérateurs spatiaux et indique qu’il conviendrait de régler cette question.

La responsabilité des acteurs engagés dans les opérations spatiales, et notamment les Etats, est réglementée par le droit international et notamment par les :

– traité du 27 janvier 1967 sur les principes régissant les activités des Etats en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra atmosphérique, y compris la lune et les autres corps célestes ;

– convention du 29 mars 1972 sur la responsabilité internationale pour les dommages causés par les objets spatiaux.

Actuellement on distingue deux types de responsabilité : la responsabilité civile des engins spatiaux et la responsabilité civile du fait du produit.

La responsabilité civile des engins spatiaux prévue par la loi de 2008 recouvre actuellement: les dommages causés aux tiers durant les lancements et les premières opérations en orbite, même si la cause du dommage est le satellite lui-même et non le lanceur ou les services de lancements. Mais, la loi spatiale de 2008, ne s’est pas penchée sur l’exploitation proprement dite des satellites.

Il n’existe dans notre droit aucune législation sur les règles d’indemnisation devant intervenir en cas de défaillance d’un système satellitaires, autre que celles de la loi spatiale de 2008 qui vise les défaillances du matériel, par exemple la destruction d’une fusée mais non la question du signal émis par le satellite qui peut être absent ou erroné.

Cette défaillance peut avoir de graves conséquences, par exemple en matière de sécurité aérienne. EGNOS, société de droit français, exploite les satellites européens pour gérer la localisation des avions de ligne. Si une défaillance du signal venait à être à l’origine d’un crash nous nous trouverions dans une situation juridique difficile, dans la mesure où la Commission européenne en mettant à disposition ces satellites exclut toute action en responsabilité, or la légalité de cette disposition n’est pas évidente. Elle signifie en tous cas que les victimes ne pourraient mettre en cause qu’une société de droit français.

De même les transactions financières s’effectuent par satellites et nous pouvons imaginer les conséquences financières d’une défaillance du signal interdisant la réalisation de certaines transactions.

Le coût et la difficulté des expertises de ces systèmes impliqueraient, sans doute, le recours au juge pénal afin que la charge de la preuve et le montant des expertises soient supportés par le ministère public.

Aussi le rapporteur entend-il présenter une proposition de loi pour préciser la compétence des juridictions nationales et son articulation avec les juridictions communautaires, dès lors que la responsabilité de la Commission européenne peut être engagée conjointement avec d’autres acteurs.

Nous devons indiquer les limites de responsabilités en tenant compte de la nature particulière de l’activité spatiale et de l’impossibilité pratique de procéder rapidement au remplacement du matériel, qui peut être endommagé par des éléments extérieurs, débris ou météorites, sans qu’une faute ait été commise.

Il est nécessaire d’encadrer et de préciser les clauses licites d’exonération de responsabilité par l’opérateur et les obligations d’assurance. La jurisprudence française n’a jamais eu à se prononcer sur la validité de ces clauses, mais la garantie des vices cachés imposée par l’article 1643 du code civil peut remettre en cause leur validité

Il est également indispensable de préciser les différences de niveau de responsabilité selon si le service est ouvert (c’est-à-dire gratuit) ou commercial. Il en est de même si le service comporte ou non une garantie d’intégrité (c’est-à-dire une alerte en cas de défaillance du signal).

Il faut noter que la « loi spatiale de 2008 » organise un régime exorbitant du droit commun. Ce dispositif issu de la pratique requiert que chaque participant à l’opération spatiale, ou construction de l’objet spatial, supporte la part du dommage qui peut lui être causé par l’un de ses partenaires. Corrélativement, l’auteur du dommage n’en assume pas l’entière réparation, ni même la plus grande part.

CONCLUSION

Le 10 octobre dernier le Centre d’analyse stratégique a rendu un rapport sur la politique spatiale européenne qui développe un projet extrêmement ambitieux pour l’Europe présenté en ces termes : l’Union européenne « a su développer des compétences et une industrie de pointe, mettre en place l’Agence spatiale européenne (ESA), dont les succès sont reconnus, et créer un modèle original fondé sur la primauté des activités civiles. L’évolution institutionnelle due à l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne constitue une formidable occasion de donner un nouvel élan à la politique spatiale européenne, qu’il incombe désormais à l’Union européenne (UE) de définir. Celle-ci pourrait se fixer comme objectifs de répondre aux besoins de ses citoyens, de contribuer à la défense et à la sécurité européennes, de faire progresser la connaissance scientifique, de participer pleinement à la quête de la vie dans l’univers et à l’aventure humaine que constitue l’exploration du système solaire et enfin de promouvoir la compétitivité par une politique industrielle orientée vers le développement des technologies européennes, en particulier des technologies critiques. »

Pour financer de telles ambitions l’Union européenne doit trouver un milliard d’euros chaque année. Cet effort même par les temps difficiles que nous connaissons n’est pas insurmontable car il s’agit d’investissements pour l’avenir.

Il est urgent que la Commission européenne modifie la programmation budgétaire qu’elle a élaboré pour y intégrer les programmes GMES et ITER car il y va de la crédibilité de l’Union européenne qui ne peut pas soutenir un discours volontariste en matière de politique spatiale sans se donner les moyens de ses ambitions. En effet :

– Il n’y aura pas d’Europe de la recherche sans les programmes ambitieux que constituent Galileo et Iter ;

– Il n’y aura pas de défense et de diplomatie européenne sans indépendance spatiale ;

– Il n’y aura pas de politique d’envergure dans ces domaines sans mise en place des moyens financiers adéquats.

L’Europe peut demeurer une grande puissance spatiale et continuer d’exister sur la scène internationale au XXIe siècle, pour peu qu’elle en ait la volonté et qu’elle s’en donne les moyens. Elle dispose de solides atouts techniques. Elle est en mesure de jouer un rôle majeur au niveau mondial dans la gestion de l’environnement qui sera un sujet essentiel de préoccupation dans les décennies à venir. Elle peut enfin s’appuyer sur une partie de l’opinion publique qui a suivi en son temps la conquête de la Lune et les missions Apollo et qui lui est favorable, mais doit désormais convaincre les générations les plus jeunes de l’intérêt de l’espace. Les plans stratégiques spatiaux des principaux partenaires de la France présentent avant tout l’Espace comme un enjeu économique qui leur offre des débouchés commerciaux pour une industrie solide et compétente ou des perspectives de développement dans les services spatiaux. Une telle approche, dont il n’est pas question de nier la validité, d’autant qu’elle s’applique parfaitement à un pays comme la France, manque pour autant d’une vision européenne, qui ne saurait se réduire à la simple juxtaposition de 27 marchés nationaux. Unie, l’Europe offre un cadre approprié pour de grands projets. Nonobstant ses difficultés de gouvernance et de financement, les lanceurs, depuis plus de trente ans, et Galileo, aujourd’hui, en sont de bons exemples ; aucun Etat européen seul n’aurait pu se lancer dans de telles aventures. Unie, l’Europe peut aussi optimiser son outil industriel, surtout si elle admet le principe de la préférence européenne.

Source : Centre d’analyse stratégique, octobre 2011.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le 18 octobre 2011, sous la présidence de M. Pierre Lequiller, Président, pour examiner le présent rapport d’information.

L’exposé du rapporteur a été suivi d’un débat.

« M. Pierre Forgues. Ce rapport me laisse sur ma faim. En effet l’Europe a des programmes comme le GMES ou Galileo qui comportera 18 satellites. Je ne vois pas bien ce qu’il faut faire dans ce domaine dans la mesure où il n’y pas d’argent. C’est normalement l’Agence spatiale européenne (ESA) qui choisit parmi les projets qu’on lui présente, les pays réellement intéressés par ce secteur – Italie, France, Suisse, Allemagne – étant peu nombreux. Le système Galileo comportera donc 30 satellites. Je ne sais pas très bien ce qu’il convient de faire.

Le rapporteur. L’objectif était que Galileo compte 30 satellites en 2014. Il y a du retard compte tenu du fait que la Commission, qui est maître d’œuvre n’est pas calibrée pour gérer un tel projet. Le retard est imputable tant à des problèmes de gouvernance qu’à des difficultés techniques : on disposera de 18 satellites dans deux ans mais nous pouvons mettre en œuvre des services. Mais, surtout, on cherche de l’argent pour financer ce projet.

M. Pierre Forgues. La politique spatiale européenne n’est pas aisée à conduire, notamment du fait de l’Allemagne qui veut absolument des retombées industrielles. Mais il est difficile, quand on part de zéro d’être opérationnel immédiatement. La France est en avance sur ce dossier et il faut partager ces retombées.

Le rapporteur. Je partage tout à fait ces appréciations. La situation est en fait un peu erratique et il n’est pas de mon intention de la magnifier à tout prix. Il faut faire le constat qu’on veut peser dans ce dossier et qu’on est bon technologiquement, mais que le financement ne suit pas. La volonté des Allemands d’avoir des retombées a conduit au découpage des marchés de Galileo. Il faut rappeler qu’ils se sont trompés en 1974 quand ils optaient pour l’International Space Station (ISS) qui aboutit à un coût de 100 milliards alors que la France choisissait Ariane. Je n’arrive pas à faire rêver dans ce domaine. A part faire montre de volonté politique forte, je ne sais pas transformer le plomb en or.

Le Président Pierre Lequiller. Cette question de financement pourrait faire l’objet d’un des points du prochain rapport de Jean-Yves Cousin et de Pierre Bourguignon sur les perspectives financières de l’Union. Pour votre information, nous entendrons aussi bientôt le président de Thales.

M. Gérard Voisin. Je félicite le rapporteur pour son travail. A la récente réunion de la COSAC à Varsovie où Christophe Caresche et moi représentions la Commission, on a beaucoup discuté du problème des capacités financières nécessaires de l’Union pour poursuivre des objectifs en tout genre. Le risque de saupoudrage des crédits européens sur un certain nombre de domaines a été souligné. Ont été considérés comme prioritaires, la politique agricole commune (PAC) ainsi que les actions de politique économique et sociale, sur des projets évalués, à l’exclusion des programmes « monstrueux » financièrement tel que ceux du domaine spatial.

M. Pierre Forgues. Les retombées du spatial sont importantes.

Le rapporteur. L’Union européenne a une part de 8,3 % dans l’ISS. Il y a une base solide mais je ne veux pas cacher qu’il y a une quête permanente de moyens financiers pour plusieurs grands programmes. L’Europe peut-elle rester en dehors de ce secteur compte tenu de l’importance des marchés industriels et donc des emplois en cause ? Je me souviens qu’au départ de Galileo, Jacques Barrot, commissaire européen, s’arrachait les cheveux pour trouver les financements nécessaires.

M. Pierre Forgues. La Commission n’est pas assez sensibilisée aux problèmes spatiaux mais les gouvernements, comme beaucoup de députés, ne sont pas très motivés eux-mêmes et ne font pas pression sur la Commission pour que de vrais budgets soient attribués à ce secteur.

Le rapporteur. La Commission n’a pas tous les torts, même si on peut lui reprocher des problèmes de gouvernance. Elle a une vision mais de nombreux Etats traînent les pieds.

On peut faire un parallèle avec la politique de défense qui est essentiellement soutenue par deux Etats, la France et la Grande-Bretagne, les autres étant plus lointains. Dans le spatial, ce sont surtout la France et l’Allemagne qui sont en pointe.

Le Président Pierre Lequiller. Qui a la responsabilité de ce dossier à Bruxelles ?

Le rapporteur. Le Commissaire Antonio Tajani. »

ANNEXE :
PROPOSITIONS DU CENTRE D’ANALYSE STRATÉGIQUE , OCTOBRE 2011

www.strategie.gouv.fr

Proposition :

Fixer quatre objectifs à la politique spatiale européenne :

• répondre aux besoins des citoyens ;

• contribuer à la défense et à la sécurité européennes, grâce notamment au projet de surveillance de l'espace ;

• faire progresser les connaissances scientifiques et participer pleinement à la quête de la vie dans l’univers et à l'exploration du système solaire : Mars pourrait constituer un objectif dans le cadre d’un programme international qui viserait, dans un premier temps, une exploration robotique puis, dans 20 ou 30 ans, une exploration humaine ;

• définir une politique industrielle orientée vers la compétitivité et le développement de produits européens pour les technologies critiques. Répondre aux besoins des citoyens et à la mise en oeuvre des grandes politiques publiques en matière de télécommunication, de météorologie, de climatologie, de navigation-localisation, etc., en faisant de l'Europe un acteur profondément engagé, au niveau mondial, dans la prévention des risques, la gestion des ressources naturelles et dans celle du cycle du carbone. Pour peu qu’elle le veuille, l'Europe peut, grâce à sa maîtrise des techniques spatiales, jouer un rôle mondial.

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Les conditions d’une politique spatiale européenne

Proposition :

Promouvoir une nouvelle gouvernance européenne des activités spatiales s’appuyant sur l'Union européenne, les États membres et l'ESA, et intégrer progressivement l’ESA au sein de l'Union.

Le Traité de Lisbonne constitue une belle occasion d’impulser une nouvelle politique spatiale. Pour cela, l’Union européenne doit en priorité élaborer un schéma de gouvernance de la politique spatiale européenne simple, robuste et efficace, dans lequel chacun des trois grands maîtres d’ouvrage publics, formant le « Triangle spatial », trouve sa place et joue pleinement son rôle : l’Union européenne et ses institutions (Commission, Conseil, Parlement européen et Conseil européen), l’Agence spatiale européenne, les États membres et leurs agences nationales.

L’Union assume désormais la responsabilité de la définition de la politique spatiale européenne, dans laquelle l’Agence spatiale européenne devrait la conseiller. L'article 189 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne précise d’ailleurs qu’à cette fin l'Union établira “toute liaison utile” avec l'ESA. Celle-ci possède en effet toutes les compétences nécessaires pour aider la Commission à élaborer les programmes spatiaux de l'Union européenne.

L'Union européenne a également la possibilité de se doter d’un programme spatial adopté par le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne. Si la Commission a clairement un rôle à jouer dans l'élaboration et la structuration de la demande en matière de services spatiaux en Europe, l’expérience des programmes Galileo et GMES a montré les limites de la gestion directe de programmes spatiaux par ses services. Tout en conservant la responsabilité juridique et financière des programmes spatiaux européens, la Commission devrait donc déléguer son rôle de maître d'ouvrage à des agences comme l'ESA ou l'Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAR) – qui confieraient le rôle de maître d'oeuvre aux industriels – et déléguer la gestion opérationnelle des programmes à des agences ad hoc, dont Eumetsat constitue un excellent exemple.

Cela soulève la question d'un rapprochement institutionnel entre l'Union européenne et l'ESA. Ce rapprochement impliquerait de faire évoluer l'Accord-cadre UE-ESA actuel qui arrivera à son terme en 2016. Les difficultés juridiques d'un rapprochement entre l'Union européenne et l'ESA tiennent essentiellement à l'existence de membres de l'ESA qui ne sont pas membres de l'Union européenne (Norvège et Suisse), d'une part, et à des règles différentes de passation des marchés (retour géographique pour l'ESA, mise en concurrence pour l'Union européenne), d'autre part. Ces problèmes peuvent toutefois trouver des solutions sous forme d'une intégration partielle ou totale de l'ESA dans l'Union européenne. La meilleure solution consiste vraisemblablement à envisager une évolution progressive par étape : l'intégration complète de l'ESA dans l'Union européenne pourrait ainsi intervenir à l’horizon 2020, voire 2030.

Cette perspective d’une intégration, partielle ou totale, de l’ESA au sein de l'Union européenne, à échéance d'une ou deux décennies, peut donner lieu à une approche pragmatique dans l'intervalle. On pourrait imaginer que, dès à présent, des programmes financés par l’Union européenne ou par des États membres dans le cadre d'un accord multilatéral puissent être développés au sein de l'ESA, qui appliquerait alors les règles de gestion appropriées, celles de l'Union européenne ou celles fixées par l'accord multilatéral en question. Ce système permettrait de préserver la flexibilité nécessaire à la mise en œuvre de la politique spatiale européenne.

De même, au sein du « Triangle spatial », les coopérations entre l’ESA et les agences nationales, d'une part, et entre la Commission et les agences nationales, d'autre part,devraient être développées. Il s’agit, en créant les outils juridiques et contractuels adaptés, de permettre aux agences nationales d’apporter au programme spatial européen leurs compétences de maîtrise d’ouvrage et d’innovation, ainsi que leurs capacités spatiales (satellites, instruments, etc.) et leurs infrastructures au sol (centres de contrôle, de mission et de traitement des données, antennes, radars, base spatiale, stations de mesure, etc.).

Proposition :

Garantir l’autonomie de l’accès à l’espace aussi bien en termes de lanceurs que de technologies critiques et de services spatiaux

L'Union européenne doit viser à une autonomie complète aussi bien en matière de lanceurs que de technologies critiques ou de services spatiaux. Ce n'est qu'ainsi qu'elle pourra prétendre continuer à faire partie du club restreint des grandes puissances spatiales et préserver ce secteur économique. C'est d'ailleurs la politique retenue depuis toujours par les États-Unis et par l'Union soviétique puis la Russie. C'est aussi celle menée aujourd'hui par la Chine et c'est bien celle vers laquelle tend l'Inde, qui s’affirme déjà au travers d’une politique d’exploration spatiale propre qui s’inscrit dans la durée. C'est particulièrement vrai en matière d'accès à l'espace.

À l'évidence, l'Europe ne pourra continuer à mener une politique spatiale ambitieuse que si elle arrive à relever un triple défi, celui d'un accès autonome à l'espace, celui de la maîtrise des coûts et celui d'un niveau de charge de ses lanceurs qui ait un sens économique. Elle ne peut pas dépendre en ce domaine d'États tiers dont l'attitude serait fixée en fonction des considérations politiques ou économiques du moment, voire de leurs ambitions stratégiques.

Cela passe notamment par l'instauration d'une obligation de recourir à la filière européenne de lanceurs pour les satellites institutionnels européens, comme le font toutes les autres puissances spatiales. Cette obligation est indispensable à la pérennité économique de la filière spatiale européenne.

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.gouv.fr

Proposition :

Se doter de moyens financiers suffisants, clarifier les instruments budgétaires au regard des nouvelles compétences de l’Union européenne, et s’assurer d’une gestion rigoureuse des programmes spatiaux.

Il ne peut y avoir de politique spatiale ambitieuse sans les moyens correspondants. Parmi eux, les moyens financiers devront être clairement identifiables. Depuis une décennie, l’Europe a engagé des programmes spatiaux ambitieux dans les domaines de l’observation de la Terre (GMES) et de la navigation-localisation (Galileo), tout en maintenant son effort pour le programme scientifique, les lanceurs, la technologie et les télécoms. Conformément aux objectifs décrits plus haut, et dans le prolongement du plan à moyen terme de l’Agence spatiale européenne, qui présente trois scénarios pour l'Europe à l’horizon2020, on peut esquisser un certain nombre d’orientations à l’horizon 2030 :

– les programmes Science, Technologie et Télécommunications et applications augmenteraient légèrement ou seraient maintenus à leur niveau actuel en euros constants ;

– le programme de navigation-localisation Galileo passerait en phase opérationnelle et de renouvellement de la constellation de satellites pour un coût évalué à 1 milliard d'euros par an ;

– le programme d’observation de la Terre, dont GMES, se développerait fortement jusqu’en 2020 pour se stabiliser ensuite en euros constants ;

– un système autonome de surveillance de l’espace (SSA) pourrait être mis en oeuvre à l’horizon 2020. De plus, un projet innovant de constellation de satellites d’observation de la Terre destinés à la veille et la gestion de crise pourrait être mis en oeuvre à l’horizon 2030 ;

– une nouvelle famille de lanceurs serait développée pour l’horizon 2025 ;

– le programme Exploration verrait la poursuite de l’exploitation de la Station spatiale internationale jusqu’en 2020 et sans doute au-delà. La participation de l’Europe à la préparation d’une mission d’exploration humaine vers Mars nécessiterait un budget supplémentaire de l’ordre du milliard d’euros par an (conditions économiques 2011) à l’horizon 2030.

Au total, en euros constants 2011, le budget de l’Europe spatiale passerait en flux annuel de 4,1 milliards d’euros aujourd’hui à 5,3 milliards d’euros en 2020. Cette augmentation devrait correspondre, selon les hypothèses retenues, à une hausse significative mais pas considérable de la part des dépenses spatiales dans le PIB européen.

Le développement d’un programme sécurité et d’un nouveau lanceur exigerait qu'il passe à 5,7 milliards d’euros à l’horizon 2030. La participation à la préparation d’une mission d’exploration humaine vers Mars représenterait, dans le cadre d’un programme mondial, un budget annuel supplémentaire d'un milliard d’euros, soit un total de 6,7 milliards d’euros.

Le financement de la politique spatiale européenne sera, pour la plus grande part, public, qu'il soit affecté directement par les États membres à des programmes spatiaux, qu'il transite par celui de l'Agence spatiale européenne ou qu'il provienne du budget de l'Union européenne, même si les utilisateurs et le marché contribueront également au financement des activités spatiales. Quel que soit le niveau de financement retenu, il sera aussi essentiel que l'effort s'inscrive dans la durée, c'est-à-dire sur plusieurs décennies, sans se relâcher. À cet égard, mieux vaut se concentrer sur quelques objectifs bien choisis que de vouloir tout faire.

Les modalités d’affectation des budgets spatiaux, l’impossibilité de s’engager au-delà du cadre financier pluriannuel pour les budgets de l'Union européenne, ainsi que l’absence de coordination des calendriers respectifs entre l'Union européenne et l’ESA, rendent très complexe la mise en oeuvre d'une politique spatiale européenne et nécessitent, d’autant plus, une prévision budgétaire et une gestion rigoureuses des programmes spatiaux.

Budget intégrant l’ensemble des contributions nationales à l’Agence spatiale européenne et celui de la Commission européenne consacré à l’espace.

Centre d’analyse stratégique

Proposition :

Recourir à des coopérations internationales, pour l’exploration de Mars en particulier, répondant à des objectifs stratégiques propres à l’Union européenne.

La politique spatiale européenne doit s'appuyer sur des coopérations internationales. Si les programmes scientifiques donnent régulièrement lieu à des coopérations internationales, l'ampleur même des programmes d’exploration de l’univers, et de Mars en particulier, exclut qu'ils puissent être menés par un seul pays, fussent-ils les États-Unis. Mais cette ampleur, tant en termes de défis technologiques que de montants (plusieurs centaines de milliards d'euros) ou de durée (plusieurs dizaines d'années), suppose que soit préalablement défini un mode de gouvernance de ces projets qui ne pourra pas être le simple empilement d'accords bilatéraux entre un pays leader (les États-Unis) et les autres.

L’Union européenne doit s’y préparer en définissant ses objectifs stratégiques dans le cadre de la négociation de cette gouvernance, notamment en ce qui concerne les technologies qu’elle veut développer.

L'Europe peut demeurer une grande puissance spatiale et continuer d’exister sur la scène internationale au XXIe siècle, pour peu qu'elle en ait la volonté et qu'elle s'en donne les moyens. Elle dispose de solides atouts techniques. Elle est en mesure de jouer un rôle majeur au niveau mondial dans la gestion de l'environnement qui sera un sujet essentiel de préoccupation dans les décennies à venir. Elle peut enfin s'appuyer sur une partie de l’opinion publique qui a suivi en son temps la conquête de la Lune et les missions Apollo et qui lui est favorable, mais doit désormais convaincre les générations les plus jeunes de l’intérêt de l’espace.

Les plans stratégiques spatiaux des principaux partenaires de la France présentent avant tout l'Espace comme un enjeu économique qui leur offre des débouchés commerciaux pour une industrie solide et compétente ou des perspectives de développement dans les services spatiaux. Une telle approche, dont il n'est pas question de nier la validité, d'autant qu'elle s'applique parfaitement à un pays comme la France, manque pour autant d'une vision européenne, qui ne saurait se réduire à la simple juxtaposition de 27 marchés nationaux. Unie, l'Europe offre un cadre approprié pour de grands projets. Nonobstant ses difficultés de gouvernance et de financement, les lanceurs, depuis plus de trente ans, et Galileo, aujourd’hui, en sont de bons exemples. Aucun État européen seul n'aurait pu se lancer dans de telles aventures.

Unie, l'Europe peut aussi optimiser son outil industriel, surtout si elle admet le principe de la préférence européenne. Unie, elle peut susciter le soutien politique et celui de l'opinion publique qui lui permettront d'assurer un niveau de financement raisonnable pour les 244 activités spatiales. Enfin, unie et dotée de compétences et de moyens spatiaux reconnus à travers le monde, elle se donnera les attributs de puissance et de souveraineté qui lui permettront d'atteindre un poids politique qui la rende incontournable sur la scène mondiale.

En même temps qu’un atout économique, industriel, technologique et scientifique grâce à son très important effet de levier, la capacité spatiale constitue un attribut de puissance et de souveraineté pour les États. C'est évident pour les programmes de défense, mais cela ne l'est guère moins pour les applications civiles de l'espace, dont certaines revêtent désormais un caractère critique.

Ce n'est pas un hasard si le club des grandes puissances spatiales, même s'il s'est élargi en un demi-siècle, reste toujours aussi étroit. Cela tient à ce que la maîtrise de l'Espace n'est accessible qu'à des puissances qui ont des intérêts géostratégiques larges et un haut niveau technologique, car le “ticket d'entrée” reste très élevé. Si elle veut encore continuer à défendre pleinement sur la scène internationale ses intérêts géostratégiques, l'Europe se doit de compter parmi les grandes puissances spatiales.

Un corollaire immédiat de ce postulat est qu'elle doit préserver son autonomie, aussi bien en matière d'accès à l'espace que de compétences ou de technologies pour les satellites, et qu'elle doit donc entretenir un outil industriel performant.

C'est à cette vision de l'espace que la France doit s'efforcer de rallier ses partenaires européens.

1 () La composition de cette Commission figure au verso de la présente page.