N° 1051 - Proposition de résolution de M. Jean-Paul Garraud tendant à la création d'une commission d'enquête sur la politique nationale de protection des mineurs contre la pornographie



Document

mis en distribution

le 20 février 2009


N° 1051

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 juillet 2008.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête sur la politique nationale de protection des mineurs contre la pornographie,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Madame et Messieurs

Jean-Paul GARRAUD, Jean-Pierre DECOOL, Jacques REMILLER, Nicolas DHUICQ et Marie-Christine DALLOZ,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La pornographie est devenue omniprésente dans notre vie quotidienne : le sexe est en permanence représenté, exhibé ou suggéré, sur les écrans de télévision, de cinéma ou d’ordinateur, dans les films ou la publicité pour les produits de la vie courante les plus anodins.

La conscience des effets de la pornographie sur les enfants et les adolescents.

Pourtant, notre société a déjà pris conscience de son impact nocif et traumatisant sur les enfants et les adolescents. Le rapport de la mission d’évaluation, d’analyse et de propositions relative aux représentations violentes à la télévision que Mme Blandine Kriegel a remis au ministre de la culture et de la communication, en novembre 2002, est sans ambiguïté à cet égard.

On peut y lire notamment que « pour se développer normalement, la sexualité a besoin d’étapes adaptées à la maturation psychique de l’enfant ou de l’adolescent. La représentation visuelle brutale ou répétée de scènes pornographiques à un stade trop précoce peut créer une émotion capable d’influer sur le cours normal de l’évolution du cerveau, perturber son équilibre intérieur et, en tout cas, imprimer durablement sa conception de la sexualité. Avant d’avoir acquis une maturité sexuelle, l’adolescent peuple son imaginaire à partir de données tactiles agréables, de phrases lues, entendues ou chuchotées, d’intonations de voix, de gestes saisis ici ou là, de regards significatifs et d’échanges affectifs. Quand l’image pornographique – d’où qu’elle vienne – fait irruption dans sa conscience, son pouvoir émotionnel s’impose d’emblée, sans représentation ni explication. Elle brûle ces étapes. Les psychologues et les médecins savent, de par leur exercice clinique, qu’elle obligera par la suite à corriger en permanence l’image, voire à l’effacer pour en limiter l’impact. Pire, elle impose plus gravement que les mots, une certaine image de la sexualité. Elle donne une fausse représentation des hommes et surtout des femmes qui peuvent se sentir agressées. »

Il est également clairement établi que la pornographie vue par l’enfant peut le conduire à des comportements pervers puisqu’en effaçant les limites entre l’imaginaire et la réalité, en banalisant les scènes agressives et les actes interdits, voire en les érigeant en normes, on invite le spectateur à y participer, on lui donne l’illusion de l’avoir réalisé et d’avoir transgressé l’interdit : la transgression devient alors permise.

Un dispositif législatif et réglementaire étoffé.

Conscient des dangers que nous venons d’exposer, notre pays s’est doté d’un important dispositif législatif et réglementaire destiné à protéger les mineurs contre les images, messages ou contenus à caractère violent ou pornographique.

L’article 227-24 du code pénal punit de trois ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende « le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et qu’en soit le support un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire commerce d’un tel message lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur ».

L’article 14 de la loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 prévoit un dispositif de protection des mineurs dans le domaine des publications et l’article 15 de la loi du 30 septembre 1986 constitue la pierre angulaire du dispositif législatif et réglementaire de protection des mineurs en ce qui concerne les services de communication audiovisuelle, les pouvoirs de contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel sur le contenu des programmes étant renforcés. L’article 32 de la loi du 17 juin 1998 applique, quant à lui, aux documents tels que vidéocassettes, vidéodisques ou jeux électroniques un dispositif inspiré de celui de la loi du 16 juillet 1949.

Enfin, faut-il encore ajouter que la commission de classification, qui relève du ministère de la culture et de la communication, visionne et émet un avis sur tous les films qui sortent en salle et sur leurs bandes-annonces et qu’au vu de cet avis, le ministre de la culture délivre ensuite le visa qui peut être accompagné d’une interdiction en salle aux mineurs de 12 ans, de 16 ans, de 18 ans, ou encore d’un avertissement au public. Le refus de visa emporte interdiction totale de l’œuvre. L’article 5 du décret du 23 février 1990 précise que : « En cas de diffusion de l’œuvre (qui fait l’objet d’une mesure d’interdiction ou d’une inscription sur la liste des œuvres à caractère pornographique) par un service de communication audiovisuelle, le public doit être préalablement averti de cette interdiction ou de cette inscription, tant lors du passage à l’antenne que dans les annonces des programmes diffusées par la presse, la radiodiffusion et la télévision. »

L’exposition croissante des mineurs à la pornographie.

Malgré cet arsenal législatif et réglementaire, force est de constater que les mineurs sont de plus en plus exposés à la pornographie. En 2005, 75 % des garçons avaient vu un film porno à 9 ans et 10 mois et 17,5 % des filles à 11 ans et 3 mois (Denise Stagnara, citée par L’Express du 13/04/2006). Confirmation : l’enquête ESPAD-2003 réalisée sur 9 764 adolescents a révélé que 80 % des garçons de 14-18 ans et 45 % des filles affirmaient spontanément avoir vu un film pornographique dans l’année. Cette dernière enquête a également montré la corrélation de la consommation de films X avec l’absentéisme scolaire et les conduites addictives (alcool, tabac). 870 films pornographiques sont accessibles par la télévision, chaque mois, toutes chaînes confondues et 11 % des enfants de moins de 11 ans des abonnés à Canal + visionnent du porno.

Ces données, pour le moins alarmantes, n’ont rien d’étonnant quand on considère la multiplicité des canaux par lesquels la pornographie atteint les mineurs :

– la télévision : films classés X ou « interdits aux moins de 16 ans » et autres films jouant avec l’univers pornographique et le banalisant ;

– les cassettes ou DVD et les revues,

– l’écran d’ordinateur (à la maison, à l’école ou dans un cybercafé) : sites, photos ou vidéo explicitement classés X (sollicitations involontaires ou recherche volontaire de sites) ou univers pornographique présent ou proposé (dialogues, messagerie instantanée, chats, blogs, sites, grands portails…) ;

– le téléphone et le téléphone portable : numéros téléphoniques de « dialogues » pornographiques, images et vidéos pornographiques téléchargeables sur les téléphones mobiles et accès internet sur les appareils de la nouvelle génération ;

– MP3, ipods : films X téléchargeables au format spécifique, paroles et clips de certaines chansons baignées dans l’univers porno ;

– la radio : émissions de libre antenne du soir, publicités pour la téléphonie pornographique, stars du X à l’antenne en pleine journée ;

– la presse grand public : banalisation de la pornographie, articles à connotation érotique ;

– les publications postées : mailings de publicités spécifiques pour du matériel pornographique par exemple.

Dans cet inventaire à la Prévert, il convient d’insister tout particulièrement sur la surexposition des mineurs à la pornographie générée par Internet, qu’il s’agisse des moteurs de recherche sur lesquels même les requêtes les plus banales peuvent susciter des résultats peu conformes à l’objet initialement recherché : les requêtes lancées sur le mot clé « fille » ou « garçon » peuvent rapporter, au gré des indexations, de nombreux sites à caractère pornographique, par exemple.

Moins encore qu’aucun autre dispositif publicitaire ayant cours sur l’internet, les messages électroniques publicitaires non sollicités, expédiés le plus souvent sur la base d’adresses collectées dans les espaces publics de l’internet, ne ciblent pas le public qu’ils atteignent, et risquent de toucher massivement un jeune public. Celui-ci est d’autant plus susceptible d’être heurté par le contenu de ces messages que ces derniers paraissent personnellement adressés à leurs destinataires.

La nécessité de refonder la politique nationale de protection des mineurs contre la pornographie.

Dans ces conditions, un certain nombre de questions méritent d’être posées : le dispositif législatif et réglementaire actuel de protection des mineurs contre la pornographie est-il appliqué ? Est-il adapté ? Doit-il évoluer, et le cas échéant, comment ? Que font les parents ? Peut-on les aider à mieux protéger leurs enfants, et par quels moyens ? Que font les acteurs économiques (éditeurs, opérateurs téléphoniques, fournisseurs d’accès, etc.) pour la protection des mineurs ? Les dispositifs techniques visant à limiter l’accès des enfants et des adolescents à la pornographie sont-ils efficaces ? Peuvent-ils être améliorés ? Que font nos partenaires européens et étrangers en la matière ? En particulier à l’heure de la mondialisation et des images satellites, qu’est-ce qu’une protection efficace des mineurs contre la pornographie ?

Telles sont les principales questions auxquelles devra répondre la commission d’enquête. Au demeurant, pourquoi une commission d’enquête ? Pour y voir clair sur un sujet, beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît, dans une société démocratique qui doit sans cesse concilier la liberté et la nécessaire protection de ses membres les plus vulnérables. Et pour définir les éléments indispensables (juridiques, techniques, scientifiques, budgétaires et matériels) d’une ambitieuse politique nationale de protection des mineurs contre la pornographie.

Aussi, nous vous demandons, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de résolution suivante.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application des articles 140 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête de trente membres chargée :

– d’évaluer le dispositif législatif et réglementaire en vigueur pour protéger les mineurs contre la pornographie ;

– d’établir quels sont les moyens techniques permettant d’atteindre une plus grande efficacité dans la protection des mineurs ;

– et de définir les outils indispensables d’une politique nationale de protection des mineurs contre la pornographie à la hauteur des enjeux.


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