N° 1453 - Proposition de résolution de M. Alain Bocquet tendant à la création d'une commission d'enquête sur la situation de la sidérurgie française et européenne dans la crise économique et financière, et sur les conditions de sa sauvegarde et de son développement



Document
mis en distribution

le 20 février 2009


N° 1453

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 février 2009.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête sur la situation de la sidérurgie française et européenne dans la crise économique et financière, et sur les conditions de sa sauvegarde et de son développement,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire,
à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Alain BOCQUET, Michel VAXÈS, Marie-Hélène AMIABLE, François ASENSI, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Marie-George BUFFET, Jean-Jacques CANDELIER, André CHASSAIGNE, Jacques DESALLANGRE, Marc DOLEZ, Jacqueline FRAYSSE, André GERIN, Pierre GOSNAT, Maxime GREMETZ, Jean-Paul LECOQ, Roland MUZEAU, Daniel PAUL et Jean-Claude SANDRIER,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Il y a crise aujourd’hui de la sidérurgie française et européenne, mais il n’y a pas crise des profits qu’elle continue d’engranger, en premier lieu au sein de ses groupes leaders, ni des dividendes qu’ils continuent de verser en masse à leurs actionnaires.

ArcelorMittal vient d’annoncer 6,4 milliards d’euros de résultat net (bénéfices), après 7,5 milliards en 2007, et maintient un plan de suppression de 9 000 postes dans le monde, dont au moins 1 400 en France puisqu’un porte-parole du groupe déclarait le 11 février 2009, que ce « sera peut être plus élevé ».

Des centaines de millions, des milliards d’euros ou de dollars… autant d’argent en moins pour le maintien des sites, l’amélioration des moyens de production, l’essor de la recherche et le renouvellement des technologies (alors que quelques années suffisent à bouleverser la qualité des aciers présents sur les marchés), la rémunération des salariés… et donc leur apport à la vitalité de l’économie (consommation des ménages) au moment où la France est en récession.

Le gel des recrutements, le gel des investissements productifs ont été depuis trois mois dans la sidérurgie, parmi les premières mesures immédiatement décidées et appliquées. Quand il faut trancher entre l’intérêt de l’entreprise et l’intérêt de l’actionnaire, le choix préjudiciable à l’économie nationale, des tenants d’un capitalisme que le Président de la République promet de « moraliser » est vite fait ; et il s’opère toujours aux dépens des salariés. Aucune disposition n’a été prise depuis plus de vingt ans pour y remédier !

Témoins et victimes des stratégies des grands groupes mises en œuvre à grande échelle sur l’ensemble des sites français, européens et dans le monde, les salariés de la sidérurgie, leurs représentants élus, les syndicats, les élus territoriaux en charge des bassins d’emploi où ces ravages s’abattent, contestent les arrêts intermittents ou prolongés des hauts-fourneaux (jusqu’aux plus modernes d’entre eux !), les arrêts de lignes de production ou de galvanisation, les fermetures d’aciéries, les délocalisations d’activités de gestion, les renvois de personnels intérimaires, les non-renouvellements de contrats à durée déterminée (CDD), le recours imposé à l’épuisement des droits à congés, RTT, heures supplémentaires, le chômage partiel qui divise les salaires par deux et dont l’État (c’est-à-dire le contribuable) doit payer une part ; les liquidations de milliers d’emplois…

« C’est la mort lente de l’outil de travail », dénonce un salarié de ArcelorMittal Mardyck. Mais ce constat pourrait être celui des travailleurs de Fos, de Gueugnon, de Gandrange et Florange, de Dunkerque, d’Isbergues… et de combien de sites européens !

Ouvriers, techniciens et cadres de production, personnels administratifs et commerciaux, gestionnaires informatiques, salariés de PME sous-traitante contestent d’abord la volonté délibérée d’utiliser la crise bancaire et boursière, où sont engloutis des milliers de milliards d’euros, pour renforcer au cœur de ce qu’il est convenu d’appeler « l’économie réelle » : l’exploitation des salariés, la surpression sur les salaires (déjà pénalisés puisque progressant par exemple de 3 % en 2005 quand les bénéfices du CAC 40 s’élevaient à + 30 %, les dividendes versés aux actionnaires à + 26 % !) ; la remise en cause des droits acquis, la dégradation quotidiennement présente des conditions de travail et de sécurité au sein des entreprises, la santé au travail dont les effets dramatiques, intolérables, de l’exposition à l’amiante…

Alors qu’une large part des profits des grands groupes se réalise aussi dans les placements, les spéculations sur les marchés financiers, les rachats d’actions, tout cela au détriment des investissements productifs, la volonté de ce patronat affairiste et des milieux boursiers d’être les profiteurs de la crise après en avoir été les fauteurs, suscite une hostilité, un rejet lucide, croissant et légitime.

C’est ce qu’exprime avec une force impressionnante depuis l’été 2008 le mouvement social, dans sa détermination à ne pas régler la facture de la crise du système, ni comme contribuables, ni comme citoyens, ni comme salariés.

Et c’est le souffle qui porte « les Vendredis de la colère » des sidérurgistes de Dunkerque.

Pour dénoncer l’utilisation opportuniste et cynique par les multinationales de la sidérurgie, de la situation mondiale financière actuelle, les salariés et leurs représentants mettent en avant un certain nombre de constats sur lesquels il serait urgent et indispensable qu’une commission d’enquête parlementaire se penche et s’exprime.

1)  Leurs analyses rejoignent d’ailleurs celle développée par des experts financiers. Témoins, les propos de Marcel Genet, président de Laplace Conseil, cabinet de conseils spécialisé dans l’industrie des métaux, rapportés par le quotidien économique Les Échos du 28 novembre 2008.

Pour Marcel Genet, la stratégie d’ArcelorMittal fonctionne bien ! « Il a été le premier à annoncer des baisses massives de production, de l’ordre de 35 % (…). En outre, toute une série d’usines acquises ces dernières années par Mittal avaient besoin d’être rationalisées. Et ce n’était pas possible, politiquement et socialement, dans la conjoncture précédente. Cette fois-ci, c’est l’occasion ! ». Les stratégies étaient prêtes. Manquaient les circonstances !

Et l’analyse, à la mi-février 2009, des organisations syndicales, évoquant à propos des décisions industrielles d’ArcelorMittal une « stratégie financière pour pouvoir maintenir un prix élevé de l’acier et préserver les marges », rejoint les propos de Laplace Conseil qui, fin novembre 2008, constatait que les prix de l’acier avaient baissé « mais pas de façon excessive. Prenez le prix des bobines à chaud en Europe. C’est un bon indicateur. Il est passé de 500 euros à 800 euros la tonne entre janvier et juillet de cette année. La crise l’a fait redescendre à 650 euros. C’est une nette baisse par rapport au pic irrationnel de cet été. Mais on reste en hausse de 30 % par rapport au début de l’année. Dans ces conditions, les sidérurgistes vont annoncer des résultats financiers en recul ces prochains trimestres, mais ils resteront significativement bénéficiaires. »

2)  Autre élément d’interpellation, l’évolution de la production d’acier brut qui, si elle ralentit, n’en continue pas moins de progresser partout !

Elle avait été de 1344 millions de tonnes en 2007, dont 209 millions en Europe. Et 2007 constituait d’ailleurs la cinquième année de hausse supérieure à 7 %. Cet élan est loin d’être brisé !

Le 22 octobre 2008, L’Usine Nouvelle écrivait : « Pour les neuf premiers mois de l’année 2008, la production mondiale d’acier continue de progresser mais ralentit nettement, atteignant 1036 millions de tonnes, en hausse de 4,6 % par rapport à l’année précédente (…). En Europe la production d’acier progresse très modérément, avec une hausse de 1,2 % sur neuf mois. » Progression donc et non chute libre à laquelle on voudrait faire croire !

Et d’ailleurs, deux mois plus tard, le site internet spécialisé E 24 « L’économie on-line » indiquait le 18 décembre 2008 : « (…) La croissance de la production sur les 11 premiers mois de 2008 est ramenée à 0,9 %, à 1 224 millions de tonnes ».

Rapporté à une année complète, ce chiffre témoigne que la production mondiale 2008 se situe exactement au niveau de celle de 2007. Et quant au prétexte de l’accumulation des stocks, les salariés du site de Florange (Lorraine) en ont pointé certaines limites en rappelant que « déjà payés par les clients, ils ne coûtent donc rien à l’entreprise ».

3)  Au sein du comité acier de l’OCDE, les représentants syndicaux dressent les mêmes constats :

« Depuis les années 2002, les capacités dans le monde, au niveau de la sidérurgie, ne font que se développer. On doit être à 1,3 milliard de tonnes, avec une prévision pour les années qui viennent à 1,5 milliard. Quand ont sait que dans les années 1980, on “restructurait” la sidérurgie ! On faisait 700 millions de tonnes en disant : “c’est fini ; l’acier est obsolète ; désormais ce sont les plastiques ; les voitures sont et seront en matériaux composites”… On voit qu’il y en a beaucoup qui se trompent et nous trompent, notamment ceux qui nous dirigent. »

M. Lakshmi Mittal lui-même ne dit rien d’autre, ainsi qu’en témoignent les propos ci-après, rapportés le 31 juillet 2008 par le Figaro : « la conjoncture actuelle, et plus particulièrement la crise du crédit (« crédit crunch »), et la reprise de l’inflation pourraient influencer la demande mondiale d’acier. Mais pour le moment, nous restons dans un marché sain, plutôt en sous-capacité. Pour les 4 à 5 ans à venir, nous estimons que la demande mondiale d’acier devrait progresser de 3 % à 5 % par an ; 3 % étant une hypothèse conservatrice, et 5 % pragmatique. Ce qui représente des besoins annuels supplémentaires compris entre 50 et 75 millions de tonnes l’année prochaine. L’essentiel de la demande supplémentaire vient des pays « Bric » (Brésil, Russie, Inde et Chine), du Moyen-Orient, de la Turquie et de l’Afrique du Sud. Or, la sidérurgie mondiale fonctionne à plein. La difficulté est plutôt de trouver de nouvelles capacités ».

4)  Cela interroge beaucoup la stratégie d’arrêt de l’outil de production, de fermeture de nombreux hauts-fourneaux en Europe. Et les choses vont plus loin encore puisque du fait de la réduction délibérée des capacités de production françaises et européennes, les organisations syndicales estiment, fin janvier 2009, qu’il y a « au moins 800.000 tonnes d’acier chinois qui viennent sur le marché européen ; marché porteur au niveau des prix de vente. Et donc on se fait manger au moins 1 % du tonnage par les industriels chinois qui profitent de ce que ArcelorMittal ne produit plus et ne sert plus les clients ».

Une analyse qu’illustre la situation dénoncée par les syndicats CGT et CFDT d’Isbergues. La Voix du Nord du 23 janvier rappelle qu’ils reprochent à leur direction « de perdre des contrats en refusant de baisser les prix ».

5)  Un peu partout en France, les arrêts de production représentent 40 à 50 % des capacités des sites. Pour les salariés, ce pourcentage énorme, est totalement injustifié et ils estiment partout, que ces arrêts sont disproportionnés y compris par rapport aux baisses prévisibles des carnets de commande des clients principaux. C’est notamment la confirmation qu’apporte la situation du secteur de l’automobile qui représente environ, cela dépend des bassins, 40 % de la production sidérurgique.

« Quand on recoupe nos informations avec celles des fédérations de l’automobile, on se rend compte que les reculs ne se situent pas à ce niveau là (40 ou 50 %) ! On sait aussi que des comparaisons alarmistes (mois sur mois par exemple) sont données. »

Une étude de janvier 2009 de la CGT amène à d’autres constats. Par exemple, pour l’Europe où 80 % des ventes se font en Europe de l’Ouest.

« Les ventes des véhicules neufs en France en 2008 ont reculé d’à peine 0,7 % par rapport à 2007. Quand on compare ainsi, d’une année sur l’autre, ou sur une période de trois ans, les chiffres ne sont plus les mêmes ! Et on constate même que c’est + 1 % en 2008 sur 2007 pour les ventes des constructeurs français en France. Ou que le marché reste à l’un de ses plus hauts niveaux avec 14 000 voitures vendues de moins qu’en 2007, mais 50 000 de plus qu’en 2006 (chiffres des voitures neuves immatriculées en France). »

La crise offre aux grands groupes un effet d’aubaine sur lequel ils entendent surfer pour maintenir domination et niveaux de dividendes.

6)  Et puis il y a les profits. Comment concevoir par exemple qu’ArcelorMittal puisse au même moment annoncer 1 400 suppressions de postes en France, chez les « cols blancs », et des milliards d’euros de dividendes versés aux actionnaires.

Numéro 1 mondial de l’acier, ArcelorMittal (116,4 millions de tonnes produites en 2007, loin devant son dauphin Nippon Steel, 35,7 millions) gagne de l’argent plus vite que le métal ne fond : 6,5 milliards d’euros de bénéfices par exemple en 2006 et 1,8 milliard distribués aux actionnaires.

Cet aspect du problème posé à la sidérurgie française et européenne n’est pas le moins important. Au contraire, et il demanderait non seulement d’être examiné de près par une commission d’enquête parlementaire, mais également d’être mis en perspective avec la façon dont l’État, le Gouvernement, interviennent ou non dans l’évolution de ce secteur essentiel de l’industrie nationale.

Prompte par exemple à tirer «les leçons» de la casse de Gandrange (Lorraine), 575 suppressions d’emplois et fermeture de l’essentiel des installations du site, Mme Christine Lagarde, ministre de l’Économie, après avoir rappelé que le groupe Mittal avait « acheté le site de Gandrange pour un euro symbolique en 1999 », déclarait dès le 5 février 2008 à l’Assemblée nationale : « La France (…) est un grand pays industriel. Pour conserver une industrie sidérurgique, il est évident qu’elle doit maintenir son infrastructure. »

Ces propos péremptoires – mais où sont les mesures et choix politiques et économiques qui devraient les accompagner ? – faisaient suite à la visite effectuée sur les lieux le 4 février 2008 par Nicolas Sarkozy. Évoquant cette visite et ses retombées, Mme Lagarde croyait devoir se féliciter que « grâce à une intervention au plus haut niveau de l’État, celle du Président de la République, un délai de deux mois a été consenti par le groupe Mittal », dérisoire résultat (!) pour examiner d’autres scénarios que sa décision de casse du site.

« L’État mettra tous les moyens disponibles » promettait la Ministre avant de déclarer encore quelques jours plus tard, devant le niveau de profits affiché par ArcelorMittal : 7,5 milliards d’euros en 2007 (+ 30 % sur 2006) dont 3,1 milliards tombant dans les portefeuilles des actionnaires (2 milliards en dividendes, 1 milliard en rachats d’actions) : « Avec des profits de ce type, il semblerait légitime qu’ArcelorMittal investisse sur le territoire français notamment, dans des aciéries modernes et d’avenir ». Mais concluait-elle aussitôt : « il ne s’agit pas de contraindre un industriel à investir dans un secteur qui (…) n’a peut-être pas d’avenir ». Comment mieux signifier que le renard est fait pour demeurer libre dans le poulailler libre !

La suite de ce conflit économique et social illustre d’exemplaire façon les reculades successives du Gouvernement et de l’État puisque, le 7 avril 2008, Nicolas Sarkozy recevait les délégués syndicaux de Gandrange, et que ceux-ci ressortaient de l’entrevue avec la confirmation de la fermeture partielle du site et la seule promesse de 124 emplois créés.

« Des emplois seront créés mais Nicolas Sarkozy a abandonné toute remise en cause de la fermeture partielle du site. C’est la preuve que l’État n’est pas capable de s’opposer à Mittal », ne pouvaient que constater les délégués syndicaux.

Christine Lagarde avait promis début 2008 l’intervention et la vigilance de l’État et du Gouvernement pour « conserver une industrie sidérurgique ». Anne-Marie Idrac, secrétaire d’État au commerce extérieur, concluait fin 2008, devant la même Assemblée nationale, après l’annonce de suppression de 1 400 nouveaux postes de « cols blancs » : « Nous resterons vigilants sur les modalités de ce plan de “départs volontaires”. Les directions départementales du travail et de l’emploi feront en sorte qu’un nouveau contrat de travail soit bien accordé à ces salariés afin qu’ils n’aillent pas grossir les rangs des demandeurs d’emplois. »

Cette « vigilance » gouvernementale résonne comme un glas ! Et le secrétaire d’État chargé de l’industrie et de la consommation, Luc Chatel, l’a confirmé avec cynisme, le 11 février 2009 à l’Assemblée nationale, en réponse à l’interpellation des députés communistes, en apportant comme seules mesures : l’intégration du bassin d’emploi de l’étang de Berre « dans le dispositif des contrats de transition professionnelle » permettant aux salariés « d’avoir accès à de la formation et de conserver pendant un an, une rémunération à hauteur de 80 % du salaire brut » ! Et l’annonce d’une revalorisation du chômage partiel.

Comment accepter que la page puisse être ainsi tournée ? Accepter cette absence totale de réponse politique sur les enjeux de fond, alors que des orientations sont à mettre en chantier pour maintenir et développer notre sidérurgie ? Comment accepter ce renoncement national à faire front, face aux exigences d’un groupe multinational ?

Faut-il en outre, le rappeler : le Président de la République avait annoncé en février 2008, en Lorraine sur le site de Gandrange, des aides directes de l’État. Il aura suffi de quelques mois pour que la réalité le rattrape par la manche !

« Ce sont les salariés d’ArcelorMittal à Gandrange, écrit le quotidien L’Humanité du 12 juin 2008, qui ont fait le plus les frais des mensonges d’État, avec des promesses d’aides publiques au maintien de l’usine sidérurgique, dont l’Élysée savait parfaitement qu’elles étaient interdites par les traités en vigueur, et celui de Lisbonne en particulier, alors en pleine ratification. Le veto de la Commission européenne, à qui le nouveau traité sur le fonctionnement de l’Union européenne confie tout pouvoir en ce domaine, n’a pas tardé : comment aurait-il pu en être autrement quand l’article 107 dudit traité déclare « incompatibles avec le marché intérieur » les « aides accordées par les États » « qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence, en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ».

Faute d’une politique industrielle forte, faute de décisions, d’orientations pour défendre nos atouts industriels, développer l’emploi et la formation, mettre le crédit bancaire, y compris avec la constitution d’un pôle public du crédit, au service de la création d’activité et de l’essor des entreprises, faute d’initiatives politiques tournées vers l’Europe pour revendiquer le repositionnement de la Banque centrale européenne, l’harmonisation au sein des 27 États de l’Union européenne, du droit du travail et de la fiscalité applicable aux entreprises pour casser toute tentative de dumping social dont les salariés ne peuvent que faire les frais – mais la France n’a rien fait avancer sur ces questions en 6 mois de présidence de l’Union européenne –, le sort de la sidérurgie française et européenne reste dans les mains de groupes tout puissants, eux-mêmes dans les mains des pools bancaires qui tirent les ficelles.

À propos d’ArcelorMittal, les syndicats mettent ainsi l’accent sur ces dominances des milieux bancaires qu’il revient à une commission d’enquête parlementaire d’analyser.

« Mittal annonce un plan d’économie de 4 milliards de dollars et annonce qu’il doit se désendetter rapidement de 10 milliards de dollars. La boulimie financière de Mittal a été telle que le groupe est quand même fortement endetté au regard des bénéfices bruts. Or les banques ont des assurances. Elles exigent que le ratio bénéfices bruts/surendettement ne soit pas supérieur à 3,5. S’il dépasse ce chiffre, elles augmentent les assurances pour les emprunts financiers. On pense que le groupe a de gros problèmes avec les banques. Il a acheté, ces neuf premiers mois de 2008, pour 14 milliards d’acquisitions externes. Toutes les semaines, il y avait l’achat d’une société, que ce soit au Mexique, en Europe centrale, au Moyen-Orient… » Les contraintes financières sont désormais telles qu’ArcelorMittal a dû annoncer successivement plusieurs décisions d’économies – où les salariés jouent le rôle de variable d’ajustement – qui seront notamment issues de gains de productivité, gains de gestion sur l’emploi et donc la suppression de 6 000 postes ; davantage même : 6 115 dans l’Europe des 27.

Lakshmi Mittal (quatrième fortune mondiale estimée à 28,5 milliards d’euros), qui fin juillet, après avoir répercuté la hausse des prix des matières premières sur ses clients, se félicitait de la « puissance financière » du groupe et de sa capacité « à rechercher les opportunités pour améliorer davantage encore [son] autosuffisance en matières premières », entend désormais, rappellent les syndicats, « avoir à l’avenir 15 à 20 % de personnel flexible ». Un salarié sur cinq, au moins, éjectable !

La liquidation en cours du code du travail en France trouve là un écho singulier.

Le 4 juillet 2005, les députés communistes et républicains avaient déposé à l’Assemblée nationale une proposition de résolution n° 2433 « sur les conditions de la sauvegarde et du développement de la filière de production d’acier, en France et en Europe ».

Pour avoir refusé même d’en discuter, la majorité parlementaire, la même qu’aujourd’hui, a fait perdre quatre années précieuses en laissant dans les mains d’affairistes en quête de profits, un secteur majeur et stratégique de notre industrie, dont dépendent encore plus de 30 000 emplois directs, des dizaines de milliers d’autres, l’existence d’innombrables entreprises sous-traitantes, la vitalité de bassins d’emplois et les ressources des collectivités territoriales concernées.

C’est un enjeu énorme, renforcé dramatiquement par les circonstances présentes.

Faute d’informations suffisantes et fiables au sein des entreprises, les salariés et leurs représentants, s’interrogent sur la façon dont la situation économique, industrielle et celle de l’emploi risquent d’évoluer à court et moyen terme.

« On est dans le flou le plus complet, dénoncent les syndicats. On a des comités d’entreprise extraordinaires tous les mois, et tous les mois, on attend (…). Quelle est la réalité ? On ne sait pas. Quel est le surenchérissement des groupes face à cette situation ? » Les salariés posent ainsi de graves et d’incontournables questions.

Où va-t-on ? Qu’en est-il de l’ampleur réelle des difficultés ? Qu’en est-il de leur nature industrielle, commerciale, financière ? Qu’en est-il du rôle et de l’intervention des pouvoirs publics auprès des grands groupes mais aussi auprès des instances européennes et auprès du secteur bancaire ? Qu’en est-il de la détermination du Gouvernement à redresser la barre et à engager enfin, des orientations fortes en faveur de la préservation et du développement d’une industrie reconnue pour « stratégique » !

L’ensemble de ces interrogations renvoie bien évidemment à celle majeure, du pouvoir d’intervention des salariés dans la vie et la gestion des entreprises. L’ouverture de droits nouveaux pour accéder aux informations qui conditionnent la vie de l’entreprise et son évolution. La citoyenneté dans l’entreprise c’est aussi aujourd’hui de dire quelle place, quelle responsabilité cette société entend reconnaître au salarié dans la vie et les choix de développement de l’économie.

À la lumière des difficultés en cours, cet enjeu trouve naturellement sa place au cœur de cette proposition de création d’une commission d’enquête parlementaire qui après celle de 2005 déposée par les députés communistes et républicains, constitue une seconde chance donnée à la Représentation nationale de s’emparer de questions déterminantes pour l’industrie française et européenne.

C’est pourquoi nous vous invitons à adopter la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur la situation de la sidérurgie française et européenne dans la crise économique et financière, et sur les conditions de sa sauvegarde et de son développement.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application des articles 140 et suivants du règlement, est créée une commission d’enquête de trente membres chargée d’investiguer sur la situation de la sidérurgie française et européenne dans la crise économique et financière, et sur les conditions de sa sauvegarde et de son développement.


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