N° 2406 - Proposition de loi de M. Hervé de Charette tendant à l'amélioration des droits de la défense dans la procédure de la garde à vue



N° 2406

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er avril 2010.

PROPOSITION DE LOI

tendant à l’amélioration des droits de la défense
dans la procédure de la
garde à vue,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Madame et Messieurs

Hervé de CHARETTE, Olivier JARDÉ, Jean-Marc ROUBAUD, Jean-Pierre DECOOL, Jean-Yves COUSIN, Charles de COURSON, Valérie ROSSO-DEBORD, François-Michel GONNOT, François ROCHEBLOINE, Jean ROATTA, Francis HILLMEYER, Yvan LACHAUD, Raymond DURAND et Claude LETEURTRE,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le système français de garde à vue est aujourd’hui sévèrement critiqué par l’ensemble des professionnels du droit. Pratiquée de manière trop systématique, son dispositif est devenu inadapté aux exigences des droits de la défense, puisque le régime actuel ne permet qu’une visite d’une demi-heure par un avocat. C’est pour pallier ces défauts que nous vous présentons cette proposition de loi.

En premier lieu, la décision de recourir à la garde à vue doit être plus strictement encadrée. La garde à vue est une possibilité et non une obligation, décidée par un officier de police judiciaire pour les besoins de l’enquête. Nous proposons de poser clairement ce principe en limitant explicitement cette mesure coercitive aux cas où elle est véritablement nécessaire, c’est-à-dire pour des personnes soupçonnées sur la base d’indices sérieux de faits passibles d’une peine supérieure à un an de prison (article 1er). Nous suggérons en outre de créer une retenue judiciaire, signalée au procureur, ne pouvant donner lieu qu’à une audition et d’une durée maximale de six heures, pour les personnes soupçonnées de faits passibles d’une peine inférieure à cinq ans d’emprisonnement (article 2). Cette formule plus flexible donnera lieu à l’assistance d’un avocat, dans les mêmes conditions que celles de la garde à vue.

Nous proposons en second lieu de renforcer l’office de l’avocat au cours de la garde à vue, afin de respecter pleinement les droits de la défense (article 6). Nous souhaitons que l’avocat puisse utiliser toute la gamme d’interventions lui permettant de préparer une réelle défense, c’est-à-dire avoir pleine connaissance des griefs imputés au mis en cause, accès à toutes les pièces du dossier, et puisse assister le mis en cause lors de tous les interrogatoires et confrontations. Parce que la garde à vue est un moment de particulière vulnérabilité pour le mis en cause, nous voulons que la loi affirme clairement que les éléments incriminants obtenus en garde à vue sans l’assistance d’un avocat, ne puissent être utilisés seuls comme éléments de preuve fondant une condamnation. Enfin, dans un souci de recherche de la vérité comme de protection, nous proposons l’enregistrement de toutes les auditions des gardés à vue, jusqu’à présent réservé aux seules affaires criminelles et aux mineurs (article 8).

Enfin, nous voulons mettre fin aux dérogations, prévues explicitement par la loi du 9 mars 2004, qui imposent l’absence de l’avocat jusqu’à 48 ou 72 heures dans le cadre des gardes à vue pour les matières de criminalité organisée, de trafics de stupéfiants et de terrorisme. Si la garde à vue prolongée est, dans ces cas précis, justifiée par un souci d’efficacité de la justice, elle ne saurait cautionner une limitation abusive des droits de la défense (articles 6 et 9).

En plus de répondre une exigence morale, ces adaptations sont nécessaires pour mettre la loi française en conformité avec les exigences de la Cour Européenne des droits de l’homme, qui conclut à la violation du procès équitable et du droit à l’assistance d’un défenseur du fait de l’absence d’un avocat au cours des interrogatoires de police, dans ses arrêts Salduz et Dayanan contre Turquie, les 27 novembre 2008 et 13 octobre 2009. Cette réforme permettra à la France d’éviter de futures condamnations par la Cour de Strasbourg, et de conserver sa stature morale auprès de nos partenaires européens. C’est, de plus, une réforme qui s’inscrit dans notre tradition républicaine et l’esprit de notre Constitution. Dès 1981, le doyen Georges Vedel exprimait ainsi sa pensée : « La garde à vue viole les droits de la défense parce qu’elle permet qu’un suspect soit interrogé sans l’assistance d’un avocat. »

C’est pour toutes ces raisons que nous vous invitons à adopter cette proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Après l’article 62-1 du code de procédure pénale, il est inséré un article 62-2 ainsi rédigé :

« Art. 62-2. – L’officier de police judiciaire peut, aux seules fins de procéder à son audition, placer en retenue judiciaire toute personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction punie d’une peine d’emprisonnement inférieure à cinq ans. Il en informe dès le début de la retenue judiciaire le procureur de la République qui peut à tout moment de la procédure ordonner la levée de cette mesure. La durée de la retenue judiciaire ne peut excéder six heures.

« Sur instructions du procureur de la République, les personnes à l’encontre desquelles les éléments recueillis sont de nature à motiver l’exercice de poursuites sont, à l’issue de la retenue judiciaire, soit remises en liberté, soit déférées devant ce magistrat.

« Lorsqu’il est indispensable pour les nécessités de l’enquête de procéder à de nouvelles investigations, la retenue judiciaire peut être transformée en garde à vue, sur autorisation écrite du procureur de la République. Ce magistrat peut subordonner cette autorisation à la présentation préalable de la personne retenue. Le temps écoulé au titre de la retenue judiciaire s’impute alors sur le délai de garde à vue.

« Pour l’application du présent article, les ressorts des tribunaux de grande instance de Paris, Nanterre, Bobigny et Créteil constituent un seul et même ressort. »

Article 2

Dans la première phrase de l’article 63 du même code, après les mots : « une infraction », sont insérés les mots : « punie d’au moins un an d’emprisonnement ».

Article 3

L’article 63-1 du même code est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi modifié :

a) Après le mot : « placée », sont insérés les mots : « en retenue judiciaire ou » ;

b) Après le mot : « durée », sont insérés les mots : « de la retenue judiciaire ou » ;

c) Les mots : « par l’article 63 » sont remplacés par les mots : « respectivement par les articles 65-1 et 63 » ;

2° Au deuxième et au troisième alinéa, après le mot : « personne », sont insérés les mots : « retenue ou » ;

3° Au cinquième alinéa, après les mots : « à l’issue », sont insérés les mots : « de la retenue judiciaire ou » ;

4° Au dernier alinéa, après le mot : « intervenir », sont insérés les mots : « au plus tard dans un délai d’une heure à compter du moment où la personne a été placée en retenue judiciaire ou ».

Article 4

Au début du premier alinéa de l’article 63-2 du même code, après le mot : « placée », sont insérés les mots : « en retenue judiciaire ou ».

Article 5

L’article 63-3 du même code est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi modifié :

a) Dans la première phrase, après le mot : « placée », sont insérés les mots : « en retenue judiciaire ou » ;

b) Dans la deuxième phrase, après les mots : « en cas », sont insérés les mots : « de transformation de la retenue judiciaire en garde à vue ou » ;

c) Dans la deuxième phrase, après le mot : « prolongation », sont insérés les mots : « de cette dernière » ;

2° Au deuxième alinéa, après le mot : « personne », sont insérés les mots : « retenue ou ».

3° Au troisième alinéa, après le mot : « personne », sont insérés les mots : « retenue ou » ;

4° Le quatrième alinéa est ainsi modifié :

a) Dans la première phrase, après le mot : « personne », sont insérés les mots : « retenue ou » ;

b) Dans la deuxième phrase, après le mot : « maintien », sont insérés les mots : « en retenue judiciaire ou ».

Article 6

L’article 63-4 du même code est ainsi modifié :

1° La première phrase du premier alinéa est ainsi rédigée : « Dès le début de la retenue judiciaire ou de la garde à vue, la personne est assistée d’un avocat, si elle en fait la demande. » ;

2° Au troisième alinéa, après le mot : « personne », sont insérés les mots : « retenue ou » ;

3° Après le troisième alinéa, il est inséré trois alinéas ainsi rédigés :

« L’avocat peut consulter sur place le dossier de la personne retenue ou gardée à vue. Le dossier doit comporter, sous peine de nullité de la procédure, le procès-verbal d’interpellation ainsi que les procès-verbaux des diligences effectuées avant l’interpellation.

« Dès le début de la retenue judiciaire, la personne ne peut être entendue qu’en présence de son avocat, à moins qu’elle ne renonce expressément à ce droit. Sous peine de nullité de la procédure, l’avocat est avisé par tout moyen de la possibilité d’assister aux auditions de la personne, au moins une heure avant celles-ci. Le dossier est mis à la disposition de l’avocat avant chaque audition.

« Dès le début de la garde à vue, la personne ne peut être entendue, interrogée ou assister à tout acte d’enquête, qu’en présence de son avocat, à moins qu’elle ne renonce expressément à ce droit. Sous peine de nullité de la procédure, l’avocat est avisé par tout moyen de la possibilité d’assister aux auditions, aux interrogatoires de la personne ou à tout acte d’enquête, au moins deux heures avant ceux-ci. Le dossier est mis à la disposition de l’avocat avant chaque audition, interrogatoire ou tout acte d’enquête. » ;

4° Le quatrième alinéa est supprimé ;

5° Le cinquième alinéa est ainsi rédigé : « L’avocat ne peut faire état des auditions, des interrogatoires et de tout acte d’enquête auprès de quiconque pendant la durée de la garde à vue. » ;

6° Le sixième alinéa est ainsi rédigé : « Lorsque la retenue judiciaire est transformée en garde à vue ou lorsque cette dernière fait l’objet d’une prolongation, la personne, qui a renoncé au préalable à être assistée par un avocat, est immédiatement informée par un officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, du droit d’être ainsi assisté dans les conditions fixées à l’article 63 1. » ;

7° Après le sixième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé : « Aucune condamnation ne pourra être prononcée contre une personne retenue ou gardée à vue sur le seul fondement des déclarations qu’elle a faites lors de la retenue judiciaire ou de la garde à vue, sans avoir été en mesure de bénéficier de l’assistance d’un avocat dans les conditions prévues par le présent article. » ;

8° Le dernier alinéa de l’article 63-4 du même code est supprimé.

Article 7

L’article 64 du même code est ainsi modifié :

1° Dans la première phrase du premier alinéa, après le mot : « personne », sont insérés les mots : « retenue ou » ;

2° Après la deuxième phrase du premier alinéa, il est inséré une phrase ainsi rédigée : « Il mentionne expressément la présence de l’avocat de la personne retenue ou gardée à vue aux auditions, interrogatoires et actes d’enquête, ainsi que, le cas échéant, les motifs de son absence. » ;

3° Dans la deuxième phrase du premier alinéa, après les mots : « les motifs », sont insérés les mots : « de la retenue judiciaire ou ».

Article 8

I. – L’article 64-1 du même code est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, les mots : « pour crime » sont supprimés ;

2° Le septième alinéa est supprimé.

II. – À l’article 67 du même code, les mots : «, à l’exception de celles de l’article 64-1, » sont supprimés.

Article 9

L’article 706-88 du même code est ainsi modifié :

1° Le sixième alinéa est supprimé ;

2° Le huitième alinéa est supprimé.

Article 10

Les charges qui pourraient résulter de l’application de la présente loi pour l’État sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


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