N° 2577 - Proposition de résolution de M. Jean-Marc Ayrault tendant à la création d'une commission d'enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies



N° 2577

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 juin 2010.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête
sur les mécanismes de spéculation
affectant le fonctionnement des économies,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut
de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Jean-Marc AYRAULT, Henri EMMANUELLI, Jérôme CAHUZAC, Pierre-Alain MUET, Christian ECKERT, Jean-Pierre BALLIGAND, François BROTTES, Dominique BAERT, Gérard BAPT, Claude BARTOLONE, Gérard CHARASSE, Pierre BOURGUIGNON, Thierry CARCENAC, Alain CLAEYS, Jean-Louis DUMONT, Aurélie FILIPPETTI, Annick GIRARDIN, Marc GOUA, David HABIB, François HOLLANDE, Jean-Louis IDIART, Jean LAUNAY, Patrick LEMASLE, Victorin LUREL, Pierre MOSCOVICI, Henri NAYROU, Alain RODET, Michel SAPIN, Michel VERGNIER, et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche (1) et apparentés (2),

députés.

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(1)  Ce groupe est composé de Mesdames et Messieurs : Patricia Adam, Sylvie Andrieux, Jean-Marc Ayrault, Jean-Paul Bacquet, Dominique Baert, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, Claude Bartolone, Jacques Bascou, Christian Bataille, Delphine Batho, Jean-Louis Bianco, Gisèle Biémouret, Serge Blisko, Patrick Bloche, Daniel Boisserie, Maxime Bono, Jean-Michel Boucheron, Marie-Odile Bouillé, Christophe Bouillon, Monique Boulestin, Pierre Bourguignon, Danielle Bousquet, François Brottes, Alain Cacheux, Jérôme Cahuzac, Jean-Christophe Cambadélis, Thierry Carcenac, Christophe Caresche, Martine Carrillon-Couvreur, Laurent Cathala, Bernard Cazeneuve, Jean-Paul Chanteguet, Alain Claeys, Jean-Michel Clément, Marie-Françoise Clergeau, Gilles Cocquempot, Pierre Cohen, Catherine Coutelle, Pascale Crozon, Frédéric Cuvillier, Claude Darciaux, Pascal Deguilhem, Michèle Delaunay, Guy Delcourt, Michel Delebarre, François Deluga, Bernard Derosier, Michel Destot, Julien Dray, Tony Dreyfus, Jean-Pierre Dufau, William Dumas, Jean-Louis Dumont, Laurence Dumont, Jean-Paul Dupré, Yves Durand, Odette Duriez, Philippe Duron, Olivier Dussopt, Christian Eckert, Henri Emmanuelli, Corinne Erhel, Laurent Fabius, Albert Facon, Martine Faure, Hervé Féron, Aurélie Filippetti, Geneviève Fioraso, Pierre Forgues, Valérie Fourneyron, Michel Françaix, Jean-Claude Fruteau, Jean-Louis Gagnaire, Geneviève Gaillard, Guillaume Garot, Jean Gaubert, Catherine Génisson, Jean-Patrick Gille, Jean Glavany, Daniel Goldberg, Gaëtan Gorce, Pascale Got, Marc Goua, Jean Grellier, Élisabeth Guigou, David Habib, Danièle Hoffman-Rispal, François Hollande, Sandrine Hurel, Monique Iborra, Jean-Louis Idiart, Françoise Imbert, Michel Issindou, Éric Jalton, Serge Janquin, Henri Jibrayel, Régis Juanico, Armand Jung, Marietta Karamanli, Jean-Pierre Kucheida, Conchita Lacuey, Jérôme Lambert, François Lamy, Jack Lang, Colette Langlade, Jean Launay, Jean-Yves Le Bouillonnec, Marylise Lebranchu, Patrick Lebreton, Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Michel Lefait, Jean-Marie Le Guen, Annick Le Loch, Patrick Lemasle, Catherine Lemorton, Annick Lepetit, Bruno Le Roux, Jean-Claude Leroy, Bernard Lesterlin, Michel Liebgott, Martine Lignières-Cassou, François Loncle, Victorin Lurel, Jean Mallot, Louis-Joseph Manscour, Jacqueline Maquet, Marie-Lou Marcel, Jean-René Marsac, Philippe Martin, Martine Martinel, Frédérique Massat, Gilbert Mathon, Didier Mathus, Sandrine Mazetier, Michel Ménard, Kléber Mesquida, Jean Michel, Arnaud Montebourg, Pierre Moscovici, Pierre-Alain Muet, Philippe Nauche, Henri Nayrou, Alain Néri, Marie-Renée Oget, Françoise Olivier-Coupeau, Michel Pajon, George Pau-Langevin, Christian Paul, Germinal Peiro, Jean-Luc Pérat, Jean-Claude Perez, Marie-Françoise Pérol-Dumont, Martine Pinville, Philippe Plisson, François Pupponi, Catherine Quéré, Jean-Jack Queyranne, Dominique Raimbourg, Marie-Line Reynaud, Alain Rodet, Marcel Rogemont, Bernard Roman, René Rouquet, Alain Rousset, Patrick Roy, Michel Sainte-Marie, Michel Sapin, Odile Saugues, Christophe Sirugue, Pascal Terrasse, Jean-Louis Touraine, Marisol Touraine, Philippe Tourtelier, Jean-Jacques Urvoas, Daniel Vaillant, Jacques Valax, André Vallini, Manuel Valls, Michel Vauzelle, Michel Vergnier, André Vézinhet, Alain Vidalies, Jean-Michel Villaumé, Jean-Claude Viollet et Philippe Vuilque.

(2)  Chantal Berthelot, Guy Chambefort, Gérard Charasse, René Dosière, Paul Giacobbi, Annick Girardin, Joël Giraud, Christian Hutin, Serge Letchimy, Albert Likuvalu, Jeanny Marc, Dominique Orliac, Sylvia Pinel, Simon Renucci, Chantal Robin-Rodrigo et Christiane Taubira.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Fin 2009, en pariant sur l’insolvabilité au moins partielle de l’État grec, de nombreux acteurs des marchés financiers ont réalisé de juteuses opérations, et ce, en vendant massivement des bons du Trésor grecs souvent à terme, et à découvert.

Réalisée sur des marchés souvent peu transparents grâce à des produits sophistiqués détournés de leur usage premier, cette spéculation est déstabilisante pour les économies européennes et mondiales.

Des interrogations fortes agitent l’opinion publique comme les experts concernant d’une part la sensibilité des marchés financiers aux rumeurs, d’autre part l’exploitation par certains acteurs de mécanismes financiers permettant d’auto-réaliser leurs prises de position sur les marchés. Les interrogations portent aussi sur les soupçons de conflits d’intérêts traversant les agences de notation et les banques, ces acteurs étant à la fois conseils des émetteurs de titres souverains et acteurs sur les marchés des dettes souveraines.

Ces interrogations se sont notamment exprimées à propos des produits dérivés censés permettre aux investisseurs de se couvrir contre les risques de défauts sur des titres souverains, les « Credit Default Swap » (CDS). Le fait qu’il soit possible d’acheter des CDS sur un titre souverain que l’on ne détient pas, c’est à dire de contracter une assurance sur un produit qu’on ne possède pas, pose évidemment question. L’acheteur de ce produit a en effet un intérêt objectif à ce que les doutes sur la capacité du pays emprunteur à rembourser sa dette se développent.

De même, la possibilité offerte de s’engager à vendre à terme des titres ou leurs dérivés tels que les CDS sans jamais avoir à justifier de leur possession met à disposition des spéculateurs des outils puissants pour parier sur la baisse de ces obligations d’État.

Par ailleurs, le High Frequency Trading (HFT – Trading à haute vitesse), qui offre la possibilité technique de passer des ordres massifs en millionième de seconde, est sans doute un facteur d’amplification de la spéculation, donc de déstabilisation accrue des économies.

L’utilité économique et sociale de ces outils de spéculation est largement inexistante. D’ores et déjà, plusieurs pays ont prévu de limiter voire d’interdire leur usage. En France, l’Autorité des Marchés Financiers a depuis 2008 prévu l’interdiction des ventes à nu à découvert sur les titres des banques. Mais cette interdiction n’a pas été étendue aux titres souverains.

Il semble pourtant clair que ces mouvements spéculatifs ont suscité une forte déstabilisation des économies.

À supposer que les marchés financiers aient tardé à prendre la mesure d’une dégradation objective de la situation d’endettement de certains États européens, ceci ne légitimerait en rien ni la possibilité qui serait aujourd’hui ouverte de spéculer sur cette situation, ni le refus de limiter les surréactions tardives des agences de notation ou de certains investisseurs alors même que les pays de la zone euro ont manifesté leur détermination à assurer qu’aucun pays de la zone ne connaîtra de défaut sur sa dette publique.

Plus largement, on peut s’interroger sur la légitimité de laisser certains acteurs financiers récemment sauvés in extremis de la faillite par des interventions s’appuyant sur des injections massives de fonds publics venir spéculer sans aucune entrave sur la fragilisation des États venus à leur sauvetage.

Il serait précieux pour le législateur de déterminer précisément quels acteurs spéculent contre les intérêts nationaux et européens, en connaissance de cause, et d’identifier plus précisément les méthodes utilisées, pour se donner les moyens de les encadrer.

Cinq axes principaux pourraient être examinés :

– Qui se livre aux attaques spéculatives, et à partir de quelles zones ou marchés ?

– Quelles sont les méthodes employées ? En quoi l’automatisation des décisions de ventes ou d’achats amplifie les mouvements spéculatifs ?

– Quel est le rôle des agences de notations dans les prises de positions des fonds spéculatifs et des acteurs de marché ?

– Peut-on considérer qu’il y a eu « délit d’initiés » ? Certains acteurs étaient-ils au courant de la réalité de solvabilité grecque en amont du déclenchement de la crise ? Certains acteurs ont pu mettre à profit leur connaissance au sujet de la valeur de certains titres, de la probable réaction des autorités monétaires et communautaires, et des délais avant les annonces des plans d’aide ?

– Deux ans après la crise des « subprimes », les bonnes décisions ont-elles été prises par les acteurs compétents au bon moment pour stopper ces mouvements spéculatifs ?

Dans une démocratie parlementaire, et compte tenu de ses missions essentielles de contrôle, il est clairement de la responsabilité du Parlement de contribuer au contrôle et à la régulation des marchés financiers et de ses acteurs, et de contribuer à la limitation, pour le moins, des abus dans ce domaine.

Les députés du groupe, socialiste, radical, citoyen et divers gauche veulent établir les responsabilités des différents acteurs dans la déstabilisation de nos économies, et en déduire les nouvelles règles prudentielles et les nouveaux modes de régulation qui s’imposent pour assurer que le fonctionnement des marchés financiers et ses acteurs restent au service de l’intérêt économique des nations.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

Il est créé, en application des articles 140 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, une commission d’enquête de trente membres afin de connaître les conditions exactes dans lesquelles se sont développés les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies, notamment ceux qui déstabilisent la monnaie et les titres souverains européens.


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