N° 2652 - Proposition de résolution de Mme Élisabeth Guigou tendant à renforcer la lutte contre les paradis fiscaux et à donner en ce domaine au Parlement de véritables moyens d'information et de contrôle



N° 2652

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 juin 2010.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à lutter contre les paradis fiscaux et à donner
au Parlement de véritables moyens d’information et de contrôle,

présentée par Madame et Messieurs

Élisabeth GUIGOU, Jacques MYARD et Daniel GARRIGUE,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La crise financière et ses conséquences ont fait, une nouvelle fois, ressortir le rôle déstabilisateur des opérateurs financiers agissant à partir des paradis fiscaux.

Alors que la plupart des États sont confrontés à des déficits et à des niveaux d’endettement sans précédent, une part importante des ressources fiscales leur est soustraite en raison de l’opacité de ces juridictions et de ces centres financiers.

La crise montre l’urgence d’une véritable régulation financière. Or ces territoires abritent des structures – hedge funds, trusts, fiducies – qui échappent à toute règle et qui contribuent à la spéculation et à la déstabilisation des marchés financiers et des monnaies.

On ne peut enfin ignorer le rôle que jouent les paradis fiscaux dans le blanchiment de l’argent du crime et de la traite des êtres humains. Est-on certain que même en Europe, les États ou juridictions non coopératives européennes qui prétendent être à l’écart de ces mouvements, refusent systématiquement l’argent de la corruption qui vient des autres continents – Asie ou Afrique, en particulier ?

Le G20 de Londres du 2 avril 2009 et les déclarations qui l’ont conclu ont souligné qu’il était « essentiel de protéger les finances publiques et les normes internationales face aux risques que représentent les juridictions non coopératives ». Les conclusions du sommet ont même prévu que des sanctions pourraient être imposées aux pays qui ne se plieraient pas aux standards internationaux de transparence fiscale.

Dans le même temps, l’OCDE a publié une liste comportant trois volets – liste blanche des États respectant un minimum de normes de transparence fiscale, liste grise de 42 paradis fiscaux et centres financiers s’étant engagés à appliquer ces normes, mais ne les mettant pas en œuvre, liste noire de 4 États et territoires qui ne se sont pas engagés. Deux autres listes devaient être établies, l’une relative au respect des règles financières relevant du Conseil de stabilité financière, l’autre portant sur la lutte contre le blanchiment d’argent et dépendant du Groupe d’Action Financière (GAFI).

La démarche engagée par l’OCDE, liant la sortie des listes à la signature de conventions de coopération fiscale, et les initiatives de certains États, dont la France, prévoyant des sanctions fiscales contre les personnes installées dans des paradis fiscaux, marquent certes une avancée. Mais celle-ci reste encore trop limitée pour que l’on ne redoute pas de connaître un rapide relâchement comme ce fut déjà le cas après l’adoption d’une première série de listes relativement rigoureuses au début des années 2000.

En effet, même si leur nombre s’est sensiblement accru depuis un an, les conventions de coopération fiscale bâtie sur le modèle OCDE ne comportent qu’une procédure d’information sur demande qui renvoie sur le pays demandeur la charge de définir les éléments sollicités. Ces conventions n’ont en tout état de cause qu’une valeur bilatérale. Leur multiplication, qui résulte pour partie de conventions entre juridictions non coopératives et qui n’est pas toujours suivie de ratification, peut même faciliter une sortie anticipée et abusive des listes de l’OCDE.

D’autre part, la capacité pour les services fiscaux nationaux de cerner les informations dont ils demandent la communication, dépend elle-même très largement des données qu’ils peuvent recueillir, particulièrement de leurs établissements bancaires et financiers nationaux, eux-mêmes largement implantés dans les paradis fiscaux. À l’heure où la transparence devrait être la règle, la France a autorisé depuis 2007, la constitution de fiducies qui n’ont d’autre but que de protéger l’anonymat de leurs utilisateurs. Ces structures compliquent sérieusement le travail de Tracfin, comme l’ont reconnu ses dirigeants lors de leur audition par la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée Nationale.

À l’échelle de l’Union européenne, la refonte de la directive épargne qui prévoit l’échange automatique d’information, est aujourd’hui au point mort et la mise au point des nouveaux instruments de régulation financière tarde à se concrétiser.

Enfin, l’établissement de nouvelles listes par le Conseil de stabilisation financière et surtout, par le GAFI ne paraît pas se situer, jusqu’ici, à la hauteur des enjeux.

Dans ces conditions, il nous paraît indispensable de demander au Gouvernement et plus largement, aux pouvoirs publics, de faire preuve, sur ces dossiers, de beaucoup plus d’exigence.

Exigence à l’égard de l’OCDE quant à l’appréciation portée sur le contenu des conventions, et quant au contrôle de leur mise en œuvre effective. L’évaluation par les pairs, beaucoup plus significative que la simple addition de conventions bilatérales, doit être développée avec rigueur et périodicité. Au delà, il est indispensable de faire évoluer le modèle OCDE vers le maximum de transparence, c’est-à-dire vers l’information automatique.

Exigence quant à nos propres contrôles et quant à l’exhaustivité et à la fiabilité des informations communiquées en particulier à Tracfin, par nos propres établissements bancaires ou financiers. Les trusts et fiducies qui ne sont créés que pour dissimuler l’identité de leurs propriétaires, – et faciliter ainsi des transactions opaques, voire illégales –, devraient être interdites. Au minimum ces structures devraient être obligés de donner l’identité de leurs détenteurs effectifs dans un registre public, afin que les autorités puissent exercer un réel contrôle en France comme dans l’Union européenne, et au delà, dans les pays tiers.

Exigence sur les autres dimensions de la lutte contre les paradis fiscaux, qu’il s’agisse de la régulation financière à l’échelle internationale ou dans le cadre de l’Union européenne, ou encore de la lutte contre le blanchiment d’argent.

Enfin, il nous paraît indispensable que le Parlement soit informé très régulièrement et très précisément sur les négociations en cours dans les différentes instances, et sur les conditions de mise en œuvre des conventions conclues avec les juridictions jusqu’ici considérées comme non coopératives.

Ce sont les raisons pour lesquelles nous vous proposons d’adopter la présente proposition de résolution.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement,

Vu les déclarations finales des G20 de Londres et de Pittsburg,

Considérant que l’existence des paradis fiscaux reste une source majeure de l’évasion fiscale et prive les États de ressources plus indispensables que jamais en période de crise, qu’elle offre un refuge permanent aux opérateurs qui spéculent contre les marchés financiers et contre les monnaies, et qu’elle est le vecteur privilégié du blanchiment d’argent.

Considérant que les engagements pris dans le cadre du G20 et les initiatives développées au sein de l’OCDE ou par certains États, dont la France, peuvent certes favoriser des avancées, mais que celles-ci ne seront significatives que si elles sont portées par une volonté de transparence et de fermeté systématique et continue – pour que l’on ne revienne pas en arrière comme ce fut le cas après l’avancée du début des années 2000.

Considérant que la gravité même de ce problème exige que le Parlement dispose en permanence des moyens nécessaires à son information et à son activité de contrôle,

1 – Affirme la nécessité d’une identification précise, exhaustive et régulièrement réactualisée, des paradis fiscaux, centres offshore et juridictions non coopératives dans le cadre de trois listes, la première fiscale et tenue à jour par l’OCDE, la seconde financière et prudentielle et établie par le Conseil de stabilité financière, la troisième relative au blanchiment, fixée par le GAFI.

2 – Considère que les conventions conclues conformément au modèle OCDE ne constitueront une véritable avancée que si leur application s’inscrit dans un contrôle périodique et systématique par les pairs sans distinction de zones géographiques. Ces conventions ne devront être qu’un dispositif transitoire vers un système de transparence multilatérale fondé à terme sur l’information automatique.

3 – Demande que la France et ses partenaires européens prennent des mesures fortes pour renforcer – particulièrement à l’égard des trusts et fiducies, dont les détenteurs effectifs devraient être systématiquement inscrits sur un registre public – et généraliser à tous les États les dispositifs d’échange automatique d’informations de la directive épargne ; pour encadrer le développement des fonds alternatifs – en écartant le passeport européen pour les opérateurs extérieurs à l’Union –, enfin, pour créer une véritable autorité de surveillance européenne.

4 – Demande également que les exigences fixées en matière de régulation financière et de lutte contre le blanchiment soient renforcées et portées au même rang de priorité qu’en matière de fiscalité.

5 – Souligne le rôle que doivent jouer les banques et établissements financiers français, particulièrement s’ils sont présents dans les territoires et juridictions non coopératifs, dans la communication d’une information exhaustive et fiable aux autorités chargées aussi bien du contrôle des activités bancaires et financières que de la lutte contre l’évasion fiscale et la criminalité financière.

6 – Demande, en conséquence, que le Gouvernement et les différentes autorités compétentes fassent preuve de la plus grande vigilance dans la mise en œuvre de ces dispositifs et que le Parlement soit informé de façon très régulière et très précise sur le fonctionnement réel de ces différents dispositifs et sur la qualité des résultats qu’ils permettent d’obtenir.


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