N° 2975 - Proposition de loi de M. Jean-Pierre Brard tendant à interdire la nomination des personnes ayant leur domicile fiscal hors de France à des fonctions de représentation nationale ou territoriale ou aux distinctions nationales



N° 2975

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 novembre 2010.

PROPOSITION DE LOI

tendant à interdire la nomination des personnes ayant leur domicile fiscal hors de France à des fonctions de représentation nationale ou territoriale ou aux distinctions nationales,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Jean-Pierre BRARD, Jean-Jacques CANDELIER, Jean-Paul LECOQ, Daniel PAUL, Jacqueline FRAYSSE, Patrick BRAOUEZEC, André GERIN, François ASENSI, Jean-Claude SANDRIER, Jacques DESALLANGRE et Marie-Hélène AMIABLE,

député-e-s.


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. » (article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen)

« Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. » (article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen)

Le socle de la République française est d’une extrême clarté : la contribution à l’impôt est indispensable, et ce pour tous les citoyens (article 13). De surcroît, cette contribution doit être répartie en fonction des facultés de chacun (article 13).

Or, c’est justement en raison de leurs facultés élevées que certains se soustraient délibérément à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et violent nos valeurs fondamentales en émigrant à l’instar des privilégiés qui élurent domicile à Jersey (Angleterre) ou Neuchâtel (Suisse) dès le 15 juillet 1789. Toutefois, ce refus de participer financièrement à la vie de la France ne s’accompagne généralement pas d’un désir de couper les liens avec le pays natal. Ainsi, un expatrié sur deux vote, et donc constate la nécessité de la contribution publique et y consent librement (article 14). Las, leur consentement n’a vocation qu’à soumettre les autres citoyens français à la fiscalité, tandis qu’eux-mêmes s’en jugent exemptés. De surcroît, les expatriés fiscaux continuent de bénéficier des avantages offerts par l’État français, sans pour autant concourir à leur financement. Ainsi, ils bénéficient par exemple de la couverture offerte par la sécurité sociale. Mieux encore, le chef de l’État a promis la gratuité complète de la scolarité à l’étranger, c’est-à-dire dans la patrie même où ils ont fui la France !

En effet, au-delà de ce mépris affiché, s’exprime la complicité de l’État qui soutient les émigrés fiscaux contre la Déclaration de 1789. En effet, il est de bon ton depuis des décennies de récompenser chefs d’entreprises, artistes et sportifs qui, repus par les gains amassés en France, s’en vont les digérer à l’étranger.

Ainsi en est-il de ce quadruple champion du monde des pilotes de Formule 1, déserteur fiscal en Suisse depuis 1983 et récompensé par la légion d’honneur en 1985. De surcroît, ne craignant manifestement pas le ridicule, le ministre de l’économie des finances et de l’industrie, et chargé à ce titre du recouvrement de l’impôt, l’a sollicité en juin 2006 pour un rapport.

De même, le patron d’une grande chaîne d’hypermarchés, née dans le quartier des « Hauts Champs » à Roubaix, s’est évadé vers les plaines belges en 1981 avant d’être récompensé par la Nation en recevant la Légion d’honneur en 2004. Ainsi, l’acteur de La Piscine et de Borsalino, déserteur fiscal en Suisse depuis 1999, a-t-il été récompensé par la Légion d’honneur en 2005, et nommé parrain du pavillon français à l’exposition universelle de Shanghai.

De même, une mannequin et actrice, dont les photographies font la promotion de certaines galeries huppées dans les couloirs du métro, a-t-elle fui ses responsabilités fiscales pour s’établir en Grande-Bretagne en 2000, tout en devenant modèle pour Marianne la même année.

Sont donc attribués les plus hauts honneurs aux personnes qui ont précédemment quitté la France et lui ont soustrait leur légitime contribution fiscale. Le mépris pour la contribution financière à la vie de la Nation est actuellement un critère très intéressant pour qui prétend accéder à un ordre national.

Pourtant, ce critère ne figure nullement dans la lettre du Président de la République du 11 juillet 2008 relative aux ordres nationaux. Il y note « la trop faible représentation des personnes de rang modeste, de celles issues des minorités, des bénévoles du monde associatif... » et affirme que ces distinctions doivent « récompenser les citoyens qui servent notre pays avec le plus de détermination, d’efficacité, d’abnégation, de sens de l’intérêt commun ».

En cette période de turbulences pour l’Élysée, il est essentiel d’aider monsieur le Président de la République à tenir ses objectifs. C’est l’objet de la présente proposition de loi.

Aux fins de récompenser l’abnégation et le sens de l’intérêt commun, la première mesure à prendre est évidemment d’écarter des honneurs les personnes n’ayant ni cette abnégation, ni ce sens de l’intérêt commun réclamés par le Président.

Et nulle trace de ces deux qualités ne peut être décelée chez les déserteurs fiscaux. Quelle abnégation y a-t-il à se soustraire à ses obligations fiscales ? Quel sens de l’intérêt commun y a-t-il à refuser de concourir aux charges publiques ?

Dès lors, la présente proposition de loi tend à pénaliser ceux qui, refusant de servir la France, sont malgré tout honorés par elle.

Certains rétorqueront que la contribution symbolique, celle ayant trait à un prétendu rayonnement de la France, doit être récompensée. Ils auront tort. Le symbolique ne peut-être totalement dissocié du réel. Pour reprendre l’exemple de l’acteur de La Piscine, si sa contribution à la société du spectacle française est indéniable, sa contribution à l’impôt français est nulle. Pour reprendre l’exemple des sportifs de haut niveau, si leurs exploits forcent le respect, l’absence de contribution aux infrastructures dont ils ont bénéficié constitue une offense infligée à la jeunesse. Avant de participer aux circenses, il faut participer au panem.

Afin de remédier aux us et coutumes dévoyés des nominations honorifiques, l’article 2 de la proposition de loi prévoit d’écarter les déserteurs fiscaux des nominations à des fonctions de représentation nationale et territoriale. Quant à l’article 3, il a vocation à les écarter des distinctions nationales.

Les effets de ces articles se verront équilibrés par l’article 4, posant des exceptions pour les personnes dont l’exil n’a pas de cause fiscale, et l’article 5, permettant une régularisation de la situation.


PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Par organes de nomination sont entendus, au sens de la présente proposition de loi : l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics chargés d’une mission de service public et les personnes morales délégataires de service public.

Le domicile fiscal, au sens de la présente proposition de loi, est défini par l’article 4B du code général des impôts.

Par distinctions nationales sont entendus, au sens de la présente proposition de loi : la Légion d’honneur, la Médaille militaire et l’Ordre national du mérite.

Article 2

Les organes de nomination ne peuvent prendre de mesures individuelles portant nomination à des fonctions de représentation nationale ou territoriale qu’à l’égard des personnes ayant leur domicile fiscal en France.

Article 3

Les organes de nomination ne peuvent prendre de mesures individuelles portant nomination à des distinctions nationales qu’à l’égard des personnes ayant leur domicile fiscal en France.

Article 4

Ne sont pas concernées par la présente proposition de loi les personnes qui apportent la preuve soit que leur domiciliation fiscale à l’étranger ne leur apporte pas de gains substantiels soit que cette domiciliation répond à des considérations visées par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (vie familiale, droit au mariage...). Ne sont pas concernées, non plus, par la présente proposition de loi les personnes de nationalité étrangère.

Article 5

Les personnes ayant bénéficié de distinctions ou de nominations au sens de la présente proposition de loi sans être en conformité avec ses dispositions disposent d’un délai d’un an pour établir leur domicile fiscal en France, sous peine de se voir retirer leurs distinctions ou annuler leurs nominations.


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