N° 3169 - Proposition de loi de M. Germinal Peiro relative aux droits civiques des handicapés mentaux



N° 3169

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 février 2011.

PROPOSITION DE LOI

relative aux droits civiques des handicapés mentaux,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Germinal PEIRO,

député.


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le droit français, en l’état des dispositions législatives actuelles, s’avère encore particulièrement restrictif et discriminatoire à l’égard des droits civiques des handicapés mentaux. Ainsi le code électoral ne leur reconnaît toujours pas une citoyenneté pleine et entière leur permettant de s’affirmer à l’égal de leurs concitoyens. Ces droits civiques, qui impliquent le vote et l’éligibilité, ne leur sont en effet pas expressément attribués ou ne peuvent l’être qu’à titre conditionnel.

Le handicap mental qualifie à la fois une déficience intellectuelle et cognitive variable, ainsi que les conséquences qu’elle entraîne en termes d’adaptation sociale. On estime actuellement à environ 700 000 le nombre de personnes majeures en situation de handicap mental dans notre pays, chiffre notamment reconnu par l’Association départementale des amis et parents d’enfants inadaptés (ADAPEI) et l’Association nationale d’aide aux handicapés mentaux (ANAHM). Ces individus représentent donc plus de 1 % de la population française et environ 2 % du corps électoral national. Les handicaps hétérogènes qui les frappent peuvent porter des noms très différents (trisomie, autisme, polyhandicaps, syndrome X-fragile…) et relever de causes et d’origines diverses (génétique, pathologique...). Dans l’ensemble, la prévalence de déficiences mentales « légères » concernerait plus de 500 000 personnes, soit l’immense majorité des situations (1).

Pourtant, malgré les assouplissements portés par la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, de nombreux handicapés mentaux adultes connaissent un régime de protection juridique, la curatelle ou la tutelle, afin de pourvoir à leur existence. Si la curatelle se limite à des conseils prodigués par un curateur (désigné par un magistrat, le juge des tutelles) pour les actes importants de la vie civile, la tutelle s’avère beaucoup plus lourde puisqu’elle implique une représentation continue par le tuteur (nommé par le juge) qui devient alors le représentant légal de la personne protégée.

Dans les deux cas néanmoins ces mesures emportent des conséquences importantes sur les droits civiques des personnes handicapées mentales.

S’agissant du droit de vote, les handicapés mentaux majeurs apparaissent alors souvent comme des « non-citoyens » ou à tout le moins des citoyens de rang inférieur, au même titre par exemple que des individus déchus ou privés de droits par des condamnations pénales (article L. 6 du code électoral).

Toutefois une distinction existe. Si ceux d’entre eux concernés par une mesure de curatelle peuvent librement exercer leur droit de vote, il n’en est pas de même pour ceux qui demeurent assujettis à la tutelle (article L. 5 du code électoral).

En ce qui concerne la reconnaissance du droit à l’éligibilité, le code électoral se montre encore plus sévère et exclusif puisque son article L. 200 dispose expressément que « ne peuvent être élus les majeurs placés sous tutelle ou sous curatelle ».

Certes, des initiatives récentes et significatives ont permis certaines avancées juridiques.

La loi ordinaire n° 2005-102 du 11 février 2005 « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapés », dite loi Handicap, était ainsi venue affirmer dans son article 2 le principe général « du plein exercice de la citoyenneté » au bénéfice des personnes handicapées (nouvelle rédaction de l’article L. 114-1 du code de l’action sociale et des familles). Elle avait permis pour la première fois d’inscrire dans le droit positif, à l’article L. 5 du code électoral, la reconnaissance aux majeurs sous tutelle à être autorisés par le juge à s’inscrire sur les listes électorales, et ainsi la possibilité d’exercer leur droit de vote personnel (article 71 de la loi du 11 février 2005).

La loi ordinaire n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, réaffirme cette prérogative mais conserve toutefois au juge des tutelles un pouvoir d’appréciation souverain sur chacun des cas soumis à son examen. Ainsi son article 12, applicable à partir du 1er janvier 2009 et actuellement codifié à l’article L. 5 du code électoral dispose que « lorsqu’il ouvre ou renouvelle une mesure de tutelle, le juge statue sur le maintien ou la suppression du droit de vote de la personne protégée ».

Mais néanmoins, aucun de ces deux textes législatifs promulgués n’a souhaité affirmer clairement le principe d’une reconnaissance inconditionnelle des droits civiques pour les personnes en situation de handicap mental. La tutelle ne distingue pas clairement la participation à la délibération collective par le suffrage universel et la gestion des autres intérêts personnels et patrimoniaux. Et l’autorité judiciaire conserve alors, s’agissant du droit de vote, le possibilité de retirer de manière abrupte et subjective à la personne sous tutelle une composante majeure de la citoyenneté.

Surtout, en ce qui concerne le droit à l’éligibilité, l’absence de progrès est encore plus évidente puisque aucune disposition législative nouvelle n’est venue proposer une quelconque évolution du code électoral qui proscrit en la matière toutes perspectives. La rédaction actuelle et inchangée de l’article L. 200 du code électoral demeure sans ambiguïté et pose ainsi une interdiction totale, absolue, au principe de la reconnaissance à l’éligibilité des individus assujettis à des mesures de protection juridique, et par voie de conséquence aux personnes en situation de handicap mental.

Le droit international récent vient apporter par ailleurs sur ce sujet une contribution juridique intéressante. La Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, à laquelle la France est un État partie, a été ratifiée ainsi que son protocole le 18 février 2010. Cette convention a pour objectif de garantir aux personnes handicapées un ensemble complet de droits civils et politiques et de veiller à leur protection. Les pays qui l’ont ratifiée sont ainsi invités à promouvoir des mesures en faveur des handicapés.

Parmi elles, la reconnaissance du droit de vote est expressément envisagée. L’article 29 de cette convention, consacré à la participation à la vie politique et publique, stipule ainsi que « les États parties garantissent aux personnes handicapées la jouissance des droits politiques et la possibilité de les exercer sur la base de l’égalité avec les autres, et s’engagent à faire en sorte que les personnes handicapées puissent effectivement et pleinement participer à la vie politique et à la vie publique sur la base de l’égalité avec les autres, que ce soit directement ou par l’intermédiaire de représentants librement choisis, et notamment qu’elles aient le droit et la possibilité de voter et d’être élues. » Ce même article 29 prévoit encore, pour parfaire cette citoyenneté, l’hypothèse d’une représentation en cas de nécessité ; ainsi il stipule que « les États parties garantissent la libre expression de la volonté des personnes handicapées en tant qu’électeurs et à cette fin si nécessaire, et à leur demande, les autorisent à se faire assister d’une personne de leur choix pour voter. »

Cette convention internationale désormais ratifiée par notre pays, de valeur hiérarchique infra-constitutionnelle mais supra-législative, peut alors inévitablement favoriser une prise de conscience et inciter à des choix politiques et juridiques opportuns et progressistes sur la question des droits civiques de ces personnes.

Le principe de la reconnaissance d’une authentique citoyenneté des personnes handicapées mentales peut encore apparaître légitime à plus d’un titre.

Pour les individus concernés, et surtout leurs familles et leur proches, prévaut en effet le sentiment « d’une double peine » injuste et douloureuse. A une problématique médicale involontaire et subie, se superpose alors la sanction d’une exclusion politique difficile à admettre.

De plus ces personnes connaissent souvent aujourd’hui un degré d’intégration variable mais certain au sein de la société française. Elles peuvent exercer parfois une profession, avoir la qualité de contribuable et acquitter des impôts dans la mesure de leurs ressources, participer à des activités associatives, sociales, artistiques ou sportives. Et dans le secteur associatif en particulier le droit de vote personnel leur est reconnu. Elles assument donc indubitablement une mission humaine et sociétale.

Certains individus demeurent privés du droit de vote par le régime de la tutelle alors que l’amélioration de leur état leur permettrait parfois des aptitudes réelles au discernement. Or le code civil à travers les articles 441, 442 et 443 renvoie sur cette question à la décision finale du juge, avec des délais et des aléas judiciaires imprévisibles.

Pour les autres, le rôle dévolu aux associations et aux institutions spécialisées afin d’initier cette éducation citoyenne deviendrait indispensable. Et le fait de subir une influence extérieure ne serait pas forcément plus fort ou avéré que pour d’autres catégories de citoyens (personnes très âgées et (ou) sous curatelle, personnes désintéressées et indifférentes à la vie politique, analphabètes, jeunes électeurs déscolarisés...) qui demeurent pourtant titulaires du droit de suffrage. Pour les cas difficiles et nécessaires, la désignation d’un tiers (cf. article 2 du dispositif) limiterait naturellement ce risque.

Enfin, s’agissant de la reconnaissance de l’éligibilité des majeurs sous curatelle et sous tutelle, il est bien évident que ces personnes n’auraient pas vocation à être élues. Sur le principe néanmoins, elles acquerraient un « droit à ce droit » et deviendraient les égales juridiques de leurs concitoyens. Ainsi l’impact électoral de ces mesures demeurerait négligeable.

Par ailleurs, le contexte politique récent témoigne d’un certain consensus et d’un souci évident des pouvoirs publics pour améliorer et renforcer les droits et la situation des personnes handicapées mentales dans la société française. Ainsi au Sénat, la représentation parlementaire a adopté à l’unanimité de ses membres, le 25 janvier 2011 en première lecture, la proposition de loi n° 51 relative « à l’atténuation de la responsabilité pénale applicable aux personnes atteintes d’un trouble mental » (2). L’objectif de cette initiative parlementaire consistant à réduire les peines privatives de liberté pour les délinquants souffrant de troubles mentaux et confrontés à une incarcération.

Ainsi, pour des raisons juridiques, morales, sociales, sociétales et même politiques, on peut donc conclure que notre législation actuelle s’avère insatisfaisante en matière de reconnaissance des droits civiques pour les personnes en situation de handicap mental. Les dispositions afférentes du code électoral apparaissent en effet restrictives, conditionnelles et imparfaites.

Cette présente proposition de loi a donc un objectif simple et clair : reconnaître et affirmer la plénitude de la citoyenneté des personnes handicapées mentales dans notre République et ainsi restaurer et consacrer leur dignité humaine.

Pour cela, elle comprend un dispositif composé de quatre articles.

L’article 1eraffirme le principe général de l’exercice du droit de vote par les personnes handicapées mentales. Il complète l’actuel article L. 2 du code électoral qui détermine les conditions d’âge, de sexe et de capacité juridique. Il exclut expressément le handicap mental des cas permettant de justifier une incapacité à exercer le droit de vote pour les élections politiques.

L’article 2 précise le cas des handicapés mentaux assujettis à la tutelle et enrichit l’article L. 5 du code électoral. Cet article ôte la possibilité au juge des tutelles de supprimer le droit de vote de la personne majeure protégée si elle est atteinte d’un handicap mental. Le juge lui reconnaît par principe cette prérogative à titre personnel dès l’ouverture ou le renouvellement d’une mesure de tutelle. Concomitamment, il désigne un tiers (tuteur, membre de la famille, tierce personne…) qui peut ou non être le tuteur, et qui est chargé, le cas échéant, d’exercer le droit de vote par une procuration.

Cet article renvoie au décret pour préciser, notamment, les conditions de désignation et les modalités d’exercice du vote.

L’article 3 envisage l’abrogation de l’actuel article L. 200 du code électoral, qui interdit toute forme d’éligibilité aux majeurs placés sous protection juridique. Sa nouvelle rédaction reconnaît désormais le principe du droit aux majeurs placés sous curatelle, comme pour ceux placés sous tutelle, d’être éligibles aux fonctions électives.

L’article 4 enfin prévoit une entrée en vigueur de cette proposition de loi à la date du 1er janvier 2012. Ainsi, symboliquement, ce texte pourrait connaître une application dès le début d’une année électorale très importante, marquée par les enjeux politiques nationaux majeurs que constituent les scrutins présidentiels et législatifs.


PROPOSITION DE LOI

Article 1er

L’article L. 2 du code électoral est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le handicap mental ne peut être considéré comme un cas d’incapacité à exercer son droit de vote. »

Article 2

L’article L. 5 du code électoral est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« En cas de handicap mental, le juge reconnaît l’exercice du droit de vote personnel de la personne majeure protégée. Il désigne le tuteur, un membre de la famille ou une tierce personne pour exercer le droit de vote par procuration.

« Un décret en Conseil d’État précise les cas, les conditions et les modalités d’application du précédent alinéa. »

Article 3

L’article L. 200 du code électoral est ainsi rédigé :

« Art. L. 200. – Les majeurs placés sous tutelle ou sous curatelle peuvent être éligibles aux fonctions électives. »

Article 4

Les dispositions de la présente loi entrent en vigueur le 1er janvier 2012.

1 () Source : Le handicap mental en chiffres, Laurent Suply, Le Figaro, 13 décembre 2006.

2 () Cette proposition de loi, d’origine transpartisane, a été déposée et rédigée par les sénateurs Jean René Lecerf (UMP), Christine Demontes (PS) et Gilbert Barbier (Rassemblement démocratique social et européen, RDSE ). Son rapporteur était Jean Pierre Michel (PS). Ce texte a été transmis à l’Assemblée Nationale sous le n° 3110.


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