N° 3670 - Proposition de loi de M. Jean-Marc Nesme relative à la création d'un fonds de prévention et d'indemnisation des personnes victimes du tabac



N° 3670

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 juillet 2011.

PROPOSITION DE LOI

relative à la création d’un fonds de prévention et d’indemnisation
des personnes
victimes du tabac,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Jean-Marc NESME, Jacques Alain BÉNISTI, Étienne BLANC, Loïc BOUVARD, Françoise BRANGET, Yves BUR, Patrice CALMÉJANE, Bernard CARAYON, Dino CINIERI, Éric CIOTTI, Philippe COCHET, Jean-Yves COUSIN, Marc-Philippe DAUBRESSE, Jean-Pierre DECOOL, Jean-Pierre DOOR, Jean-Pierre DUPONT, Guy GEOFFROY, François GROSDIDIER, Alain JOYANDET, Marc LE FUR, Dominique LE MÈNER, Lionnel LUCA, Daniel MACH, Philippe Armand MARTIN, Jean-Claude MATHIS, Jean-Philippe MAURER, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Alain MOYNE-BRESSAND, Bernard PERRUT, Didier QUENTIN, Éric RAOULT, Jean ROATTA, Marie-Josée ROIG, Bruno SANDRAS, Daniel SPAGNOU, Alfred TRASSY-PAILLOGUES, Gérard VOISIN et Michel VOISIN,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le tabac tue chaque année en France plus de 60 000 personnes. Il reste la première cause de décès prématuré évitable. Première cause de mortalité par cancer (30 %), il est à l’origine de nombreuses pathologies respiratoires particulièrement invalidantes et également cause de décès par pathologies cardio-vasculaires. Le tabac est ainsi le premier facteur de risque des infarctus chez les personnes jeunes.

Outre ses aspects sanitaires gravissimes, avec un fumeur sur deux qui décède de son tabagisme, la cigarette est également responsable de très nombreux incendies.

Dans une tribune récente, un expert posait la question suivante : « pourquoi le tabac qui est un produit dont la nocivité aujourd’hui est avérée et qui fait chaque année dans le monde plus de 5 millions de morts n’est pas traité avec la même sévérité que le médiator ». Et il ajoutait : « hypocrisie encore : on ose parler de principe de précaution, alors qu’on ne l’applique pas dans ce cas indiscutable ».

Depuis la loi Evin et la loi Veil, les pouvoirs publics se sont engagés à lutter contre le tabagisme. Cet engagement s’est également traduit par la ratification en octobre 2004 du premier traité international de santé publique élaboré sous l’égide de l’OMS, consacré à la lutte contre le tabagisme : la CCLAT, convention-cadre pour la lutte anti-tabac. Plus récemment, les mesures visant à imposer l’interdiction de fumer dans les lieux publics ont confirmé cette volonté.

Cependant, il reste beaucoup à faire et des mesures prises sans coordination les unes des autres et sans suivi ne permettent pas de réduire efficacement et durablement la consommation de tabac.

Les statistiques révèlent au contraire une augmentation du tabagisme entre 2005 et 2010. Cette augmentation concerne notamment les personnes les plus démunies. De plus, les jeunes demeurent particulièrement nombreux à commencer à fumer en raison des stratégies de marketing développées par les fabricants de tabac à leur attention.

Il y a donc urgence à agir car le tabagisme a un coût humain et sociétal extrêmement lourd.

Les économistes évaluent ce coût sociétal en France à environ 47 milliards d’euros (dépenses de santé, perte de prélèvements obligatoires, perte de revenus avec les décès prématurés et hospitalisation pour les particuliers, perte de production sur le lieu de travail pour les entreprises, lutte contre le commerce illicite et les incendies causés par la cigarette).

Les moyens consacrés aujourd’hui à la lutte contre le tabagisme sont dérisoires au regard des enjeux et de la nécessité de combattre ce fléau tant pour des raisons de santé publique que pour des raisons de lutte contre les inégalités sociales et de réduction des déficits publics.

Alors que le déficit de la sécurité sociale est attendu à 21,4 milliards d’euros en 2011, après avoir atteint 23,1 milliard d’euros en 2010, il nous apparaît équitable que l’industrie du tabac, largement responsable de ce fléau, contribue d’une part, à la prévention du tabagisme et, d’autre part, supporte la charge liée à la réparation des préjudices causés aux fumeurs dépendants ainsi qu’à leur famille.

C’est pourquoi, il paraît urgent de créer un fonds de prévention et d’indemnisation des personnes victimes du tabac.

Ce fonds sera alimenté par une taxe spéciale de 10 % assise sur le chiffre d’affaires réalisé en France par les fabricants de tabac dont le montant s’élève à 2,1 milliards d’euros pour l’année 2010.

Il contribuera également à des actions de prévention de lutte contre le tabagisme ainsi qu’à l’aide au sevrage tabagique des fumeurs qui en feront la demande.

Il pourra être saisi par toute personne invoquant un préjudice résultant de l’usage du tabac ou par les ayants droit d’une personne décédée des suites du tabac.

La proposition de loi que nous vous soumettons propose en ce sens de se mettre en conformité avec la convention-cadre pour la lutte anti-tabac de l’OMS, ratifiée par la France, qui stipule dans son article 19 : « aux fins de lutte antitabac, les parties envisagent de prendre des mesures législatives ou de promouvoir les lois existantes, si nécessaires, en matière de responsabilité pénale et civile y compris l’indemnisation le cas échéant ».

Aussi, nous vous demandons, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de loi suivante :

PROPOSITION DE LOI

Article unique

Le chapitre Ier du titre Ier du livre V de la troisième partie du code de la santé publique est ainsi modifié :

1° Son intitulé est complété par les mots : « et indemnisation des victimes » ;

2° Est insérée une division ainsi rédigée : « Section 1. – Dispositions communes », comprenant les articles L. 3511-1 à L. 3511-9 ;

3° Il est complété par une section 2 ainsi rédigée :

« Section 2

« Indemnisation des victimes

« Art. L. 3511-10. – Ouvrent droit à indemnisation les préjudices subis par toute personne et, en cas de décès, par ses ayants droit, lorsqu’ils sont directement imputables à la consommation, par ladite personne, de produits du tabac au sens de l’article L. 3511-1 et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique, de la durée de l’arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire.

« Art. L. 3511-11. – I. – Le fonds d’indemnisation des personnes victimes du tabac est chargé de financer, sans se substituer aux autres financements dédiés à la lutte contre le tabagisme, dans la limite de ses ressources :

« – pour un tiers les indemnités allouées en vertu de l’article L. 3511-10 ;

« – pour un tiers, il contribue à financer, dans les mêmes limites, des dépenses liées à des actions de prévention et de lutte contre le tabagisme et pour le tiers restant les actions d’aide au sevrage tabagique.

« II. – Le fonds d’indemnisation des victimes du tabac est financé par une taxe due par les fournisseurs et fabricants de tabacs manufacturés, au sens des 1 et 2 de l’article 565 du code général des impôts. Cette taxe est assise sur le chiffre d’affaires au titre de leur activité réalisée sur le territoire français. Son taux est fixé à 10 %.

« Le fait générateur et l’exigibilité de la taxe interviennent dans les mêmes conditions que celles applicables en matière de taxe sur la valeur ajoutée. La taxe est constatée, liquidée, recouvrée et contrôlée selon les mêmes procédures et sous les mêmes sanctions, garanties, sûretés et privilèges. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les règles applicables à cette même taxe.

« III. – La gestion comptable et financière du fonds est assurée dans des conditions fixées par voie réglementaire.

« Art. L. 3511-12. – Le demandeur informe le fonds d’indemnisation des personnes victimes du tabac des autres procédures relatives à l’indemnisation des préjudices définis à l’article L. 3511-10 éventuellement en cours. Si une action en justice est intentée, il informe le juge de la saisine du fonds.

« Le fonds examine si les conditions de l’indemnisation sont réunies. À cet effet, il recherche les conséquences de la consommation de produits du tabac sur l’état de santé de la victime ; il procède ou fait procéder à toute investigation et expertise utiles sans que puisse lui être opposé le secret professionnel ou industriel.

« Le demandeur peut obtenir la communication de son dossier.

« Art. L. 3511-13. – Dans les six mois à compter de la réception d’une demande d’indemnisation, le fonds d’indemnisation des personnes victimes du tabac présente au demandeur une offre d’indemnisation. Il indique l’évaluation retenue pour chaque chef de préjudice, ainsi que le montant des indemnités qui lui reviennent compte tenu des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d’autres débiteurs du chef du même préjudice.

« L’acceptation de l’offre ou la décision juridictionnelle définitive rendue dans l’action en justice prévue à l’article L. 3511-14 vaut désistement des actions juridictionnelles en indemnisation en cours et rend irrecevable tout autre action juridictionnelle future en réparation du même préjudice.

« Art. L. 3511-14. – Le demandeur ne dispose du droit d’action en justice contre le fonds d’indemnisation que si sa demande d’indemnisation a été rejetée, si aucune offre ne lui a été présentée dans le délai mentionné au premier alinéa de l’article L. 3511-13 ou s’il n’a pas accepté l’offre qui lui a été faite.

« Cette action est intentée devant la cour d’appel dans le ressort de laquelle se trouve le domicile du demandeur. »


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