N° 3679 - Proposition de loi de M. Jean-François Mancel visant à instituer un conseil national de déontologie journalistique



N° 3679

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 juillet 2011.

PROPOSITION DE LOI

visant à instituer un conseil national
de déontologie journalistique,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Jean-François MANCEL,

député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les exemples ne manquent pas pour illustrer les excès auxquels certains journalistes peuvent succomber. Les atteintes au secret de l’instruction, au secret défense, à la dignité et à la vie privée de la personne sont autant d’abus qui ont connu une certaine recrudescence ces dernières années.

Plus qu’aux journalistes eux-mêmes qui, pour une large majorité, accomplissent leur travail avec professionnalisme, ces excès sont surtout imputables à la surenchère médiatique, course effrénée à l’audimat et aux tirages, qui conduit parfois à occulter les droits les plus essentiels de la personne et les exigences qualitatives de la profession.

La liberté de la presse est le fondement de toute société démocratique et compte parmi les libertés fondamentales à valeur constitutionnelle de notre République. Or ce droit est aujourd’hui remis en cause. Le dernier baromètre de la confiance dans les médias, réalisé par TNS Sofres, montre que seuls 49 % des Français font confiance à la presse écrite en 2011 (soit un recul de 6 points par rapport à 2010). Ils ne sont que 46 % à faire confiance à la télévision et seulement 35 % à Internet. Enfin, 40 % des Français estiment que la qualité des médias s’est détériorée depuis 10 ans. Derrière ces chiffres, il apparaît que le droit d’informer doit reposer sur un certain nombre de principes éthiques.

Ces principes ne sont pas une idée nouvelle et beaucoup sont déjà définis par des chartes nationales et internationales, à l’instar de la Charte de Munich du 24 novembre 1971. Cependant, faute d’un accord, la convention collective nationale de travail des journalistes du 1er mars 1976, qui a force de loi depuis le décret d’extension ministériel du 2 février 1988, ne contient aucun protocole annexé traitant des questions d’éthique ou de déontologie.

Suite aux états généraux de la presse écrite lancés en 2008, Bruno Frappat, journaliste et ancien président du directoire du groupe Bayard Presse, a présidé un comité de sages dont le but était la rédaction d’un projet de code de déontologie des journalistes. Ce projet n’a cependant pas réussi à rallier à lui toute la profession et son influence reste donc limitée.

Aujourd’hui, il apparaît nécessaire que le législateur intervienne afin d’instituer un organisme d’autorégulation des médias adossé à un code de déontologie reconnu par toute la profession.

Selon le Guide pratique de l’autorégulation des médias publié par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, des conseils de presse existent dans de nombreux pays européens au premier rang desquels figurent la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie ou encore les pays scandinaves.

D’après l’OSCE, ces conseils de presse s’acquittent de cinq missions majeures :

– Préserver la liberté rédactionnelle ;

– Contribuer à restreindre l’ingérence de l’État ;

– Favoriser la qualité de l’information ;

– Démontrer le sens de la responsabilité des médias ;

– Aider le public à accéder aux médias.

La création d’un tel organisme en France doit répondre à trois exigences garantissant sa pérennité et son efficacité.

Tout d’abord, il doit demeurer indépendant du pouvoir politique et permettre à la profession d’organiser son autorégulation. Cette autorégulation, permettant aux membres de la profession d’être jugés par leurs pairs, contribuera à renforcer la crédibilité des médias auprès du public et les aidera à répondre plus facilement aux plaintes. Des procédures judiciaires existent déjà afin de faire valoir les droits des personnes mises en cause indûment par les médias. Ce n’est pas le sujet de la présente proposition de loi.

Ensuite, cet organisme ne doit pas s’apparenter à une nouvelle juridiction. Son rôle doit être de corriger plus que de punir et les sanctions qu’il délivre doivent être de nature morale. D’ailleurs, une telle sanction touchant à l’image ou à la réputation d’un média ou d’un journaliste a une incidence bien plus grande qu’une simple sanction financière.

Enfin, cet organisme doit compter des membres de la société civile en son sein. Il ne faut pas perdre de vue que cette autorégulation des médias vise avant tout à mieux servir le public à travers une plus grande fiabilité de l’information.

Pour mener à bien son rôle, cet organisme aura besoin de s’appuyer sur un code de déontologie. Rédigé par la profession, il doit contenir les principaux droits et devoirs des journalistes et des éditeurs de presse ainsi que les principes éthiques essentiels au milieu journalistique. Ce code constitue une garantie supplémentaire de l’autonomie de régulation.

Aussi, la présente proposition de loi vise à instituer un conseil national de déontologie journalistique, ainsi qu’un code de déontologie journalistique, afin de favoriser une autorégulation indépendante de la profession.

En premier lieu, dans son titre I, elle propose de créer le conseil national de déontologie journalistique.

Dans son article 1er, elle institue le conseil national de déontologie journalistique auquel adhèrent obligatoirement tous les journalistes professionnels et assimilés ainsi que les éditeurs de presse et fixe ses différentes missions.

Dans son article 2, elle établit un comité exécutif tripartite (journalistes, éditeurs, société civile) chargé de l’administration du conseil national de déontologie journalistique.

Dans son article 3, elle confère au comité exécutif la mission d’établir le règlement intérieur du conseil national de déontologie journalistique.

Dans son article 4, elle établit un bureau exécutif en charge de la gestion et de la représentation extérieure du conseil national de déontologie journalistique.

Dans son article 5, elle définit le mode de financement du conseil national de déontologie journalistique auquel les éditeurs de presse et les journalistes professionnels et assimilés contribuent.

Dans son article 6, elle précise les modalités de création ainsi que la composition des commissions qui assistent le comité exécutif dans la réalisation de ses missions.

En second lieu, dans son titre II, elle propose de créer un code de déontologie journalistique.

Dans son article 7, elle charge un comité dont la composition sera fixée par décret de rédiger un code de déontologie journalistique dont le comité exécutif sera garant.

Dans son article 8, elle précise l’édiction du code de déontologie journalistique sous la forme d’un décret en Conseil d’État.

Cette proposition de loi poursuit donc une logique de responsabilisation, permettant aux professionnels du journalisme de se réguler en toute indépendance et aux citoyens de bénéficier d’une information de meilleure qualité.

PROPOSITION DE LOI

TITRE IER

CRÉATION D’UN CONSEIL NATIONAL
DE DÉONTOLOGIE JOURNALISTIQUE

Article 1er

Le conseil national de déontologie journalistique groupe obligatoirement tous les journalistes et assimilés au sens des articles L. 7111-3 à L. 7111-5 du code du travail ainsi que les éditeurs de presse.

Organe indépendant de réflexion et de débat sur les pratiques journalistiques, il veille à l’amélioration de la qualité de l’information ainsi qu’au renforcement de la crédibilité des différents médias. Le conseil national de déontologie journalistique est garant de l’éthique ainsi que du code de déontologie journalistique prévu par l’article 7 de la présente loi et assure l’autorégulation de la profession.

Il transmet annuellement un rapport au Parlement faisant état de son action et des mesures qu’il préconise.

Article 2

I. – Le conseil défini dans l’article 1er de la présente proposition de loi est administré par un comité exécutif qui comprend vingt et un membres, à savoir :

1° Sept membres élus au sein des journalistes professionnels et assimilés.

2° Sept membres élus au sein des éditeurs de presse.

3° Sept membres représentant la société civile, extérieurs aux métiers du journalisme et de l’édition, ayant répondu à un appel à candidature et sélectionnés par un comité dont la composition sera fixée par décret et après avis des commissions parlementaires compétentes.

Chacun de ces vingt et un membres titulaires est assisté d’un suppléant.

II. – Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’élection du comité exécutif du conseil national de déontologie journalistique et la durée du mandat de ses membres.

III. – Est adjoint au comité exécutif du conseil national de déontologie journalistique avec voix consultative un représentant du ministère de la culture et de la communication.

Article 3

Le comité exécutif établit le règlement intérieur du conseil national de déontologie journalistique.

Le conseil national de déontologie journalistique adopte son règlement intérieur à la majorité de ses membres.

Article 4

Le comité exécutif élit en son sein, pour un mandat de trois ans renouvelable une fois, un bureau exécutif composé d’un président, d’un secrétaire général et d’un trésorier.

Le bureau exécutif est chargé de la gestion du conseil national de déontologie journalistique et de sa représentation extérieure.

Le président du bureau exécutif préside les réunions du comité exécutif.

Article 5

I. – Le conseil national de déontologie journalistique est financé :

1° Par contribution des éditeurs de presse, sous la forme d’une cotisation annuelle calculée sur la base de leur chiffre d’affaires selon des modalités définies par le comité exécutif du conseil national de déontologie journalistique.

2° Par contribution des journalistes et assimilés, sous la forme d’une cotisation annuelle fixe obligatoire, déterminée par le comité exécutif du conseil national de déontologie journalistique.

II. – Un commissaire aux comptes certifie annuellement les comptes du conseil national de déontologie journalistique.

Article 6

I. – Au sein du conseil national de déontologie journalistique, une commission permanente est chargée d’examiner les plaintes adressées au conseil national sous réserve que celles-ci aient été jugées recevables par le comité exécutif.

La saisine du conseil national de déontologie journalistique est rejetée ou annulée si une juridiction de l’ordre judiciaire est saisie du problème évoqué dans la plainte.

Les conditions et modalités de saisine du conseil national de déontologie journalistique seront fixées par décret.

La commission d’examen des plaintes étudie les différents aspects des problèmes qui lui sont transmis, accomplit un travail de médiation entre les parties concernées et remet au comité exécutif les conclusions de son action.

Si aucun arrangement amiable n’a été trouvé, le comité exécutif, à la majorité de ses membres, peut décider d’adopter des sanctions morales. Cette décision n’est pas susceptible d’appel auprès de ce même comité.

La décision du comité est communiquée aux parties avant d’être rendue publique. Elle est obligatoirement diffusée par le média mis en cause.

II. – Le comité exécutif du conseil national de déontologie journalistique peut décider à la majorité de ses membres, s’il est saisi d’une demande ou s’il s’autosaisit, de créer une commission thématique sur un sujet précis.

Les travaux de la commission thématique donnent lieu à un rapport remis au comité exécutif qui vote son adoption et le rend public.

III. – Les commissions définies au I et II sont placées sous la conduite de trois membres du comité exécutif nommés par lui, représentant respectivement les journalistes professionnels et assimilés, les éditeurs de presse et la société civile.

Les commissions thématiques peuvent comprendre des personnes extérieures au conseil national de déontologie journalistique, toutes nommées par le comité exécutif.

TITRE II

CRÉATION D’UN CODE DE DÉONTOLOGIE JOURNALISTIQUE

Article 7

Dans les trois mois suivant la mise en place du conseil national de déontologie journalistique, un comité représentatif de l’ensemble des professionnels du journalisme ainsi que des différents médias et dont la composition sera fixée par décret est créé dans le but de rédiger un code de déontologie journalistique.

Le conseil national de déontologie journalistique, sous la direction du comité exécutif, veille à la bonne application du code et procède aux révisions nécessaires.

Article 8

Le code de déontologie journalistique est édicté sous la forme d’un décret en Conseil d’État.


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