N° 3696 - Proposition de loi de M. Christian Estrosi visant à limiter les marges dans la grande distribution, à renforcer le pouvoir d'achat et à améliorer l'information du consommateur



N° 3696

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 juillet 2011.

PROPOSITION DE LOI

visant à limiter les marges dans la grande distribution
à renforcer le pouvoir d’achat et
à améliorer l’information du consommateur,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Christian ESTROSI,

député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Si le commerce était mieux fait, c’est le client qui devrait faire son prix » disait Marcel Aymé, écrivain français du 20e siècle.

Si la négociation du prix par le client était encore envisageable à l’époque du troc, l’avènement du commerce de détail et plus particulièrement des grandes surfaces au milieu des Trente glorieuses a rendu difficile voire impossible la négociation du prix des produits de première nécessité.

Aujourd’hui, la France est le pays européen qui compte la plus forte concentration de grandes surfaces au mètre carré. Le pays compte 10 692 grandes surfaces alimentaires1 et plus de 25 000 points de vente. Ce secteur employait plus de 630 000 personnes en 20072. 90 % des achats en grandes surfaces se feraient aujourd’hui auprès des 5 centrales d’achats les plus importantes.

Ce monopole a pour conséquence que la grande distribution a un véritable pouvoir sur ses fournisseurs et sur ses producteurs qui l’alimentent en marchandises.

Parce qu’il existe nécessairement un rapport de force déséquilibré entre le petit producteur et la grande surface, la question des marges dans la grande distribution est récurrente.

Au regard des hausses de prix qu’un client constate lorsqu’il va faire ses achats, chacun est en droit de se demander si la grande distribution répercute au centime près les hausses du cours des matières premières et répercute réellement les baisses ? Autrement dit, quelles sont les marges pratiquées par les grandes surfaces ?

Afin de tenter de répondre à ces questions, la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche du 27 juillet 2010 a créé un observatoire des prix et des marges des produits alimentaires chargé de rendre un rapport annuel au Parlement sur ce sujet.

Selon le premier rapport de cet observatoire publié en juin 2011 « Les marges brutes de la distribution sur dix ans sont à la fois très confortables et peu influencées par l’effondrement des prix aux producteurs ».3

Le rapport conclut que la baisse des prix agricoles bénéficie systématiquement aux distributeurs qui paient moins chers leurs produits et ne répercutent pas pour autant la chute des prix au consommateur final. Ainsi, malgré l’effondrement des prix, la distribution continue de voir ses marges augmenter.

Il ressort de l’analyse de ce rapport que :

– Les marges de la grande distribution varieraient selon les produits de 30 % et 50 %.

– Les fruits, les légumes et les viandes rouges sont les produits sur lesquels la grande distribution réaliserait les marges les plus importantes : lorsqu’il vend un melon, le distributeur empoche par exemple 50 % du prix. Le constat est identique sur la cerise que le consommateur paye cinq fois plus cher que ce qu’elle a coûté au distributeur.

– La distribution réalise une marge brute importante et constante sur la viande rouge alors même que les éleveurs de cette catégorie enregistrent les revenus les plus bas.

– Les grandes surfaces pratiquent des taux de marge de plus de 100 % sur les produits les moins chers.

– La marge brute des enseignes a été multipliée par deux entre 2000 et 2010 sur le lait de longue conservation.

– Le consommateur ne profite pas de la baisse des prix agricoles puisque depuis la mi-2007 (année de chute des prix agricole) les prix pratiqués dans les grandes surfaces sont restés stables.

– L’agriculteur est aussi perdant car il ne profite pas de la montée des prix agricoles et quand les prix baissent, il vend ses produits moins chers et ne peut attendre une augmentation de la demande.

Le rapport reconnaît toutefois ne pas avoir eu accès aux informations nécessaires pour établir la marge nette des distributeurs. Cette marge est plus représentative de leurs profits puisqu’il s’agit de la marge gagnée après avoir retranché des charges comme les salaires, le transport, les impôts, les pertes de marchandises...

Alors que faire face à cette situation ? Peut-on envisager de bloquer les prix de certains produits ?

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’ordonnance de 1945 fixait une longue liste de produits (huile, carburant, pain...) dont les prix étaient administrés par le Gouvernement.

C’est en 1978 que René Monory, alors ministre du commerce et de l’industrie libéra les prix de ces produits. Cette libéralisation sera rendue effective par l’ordonnance du Gouvernement Chirac du 1er décembre 1986 qui pénalisait également la revente à perte. Cependant, le prix de l’eau, du gaz et des livres par exemple restait encadré.

En 1997, la loi Galland réduit la concurrence en retirant les marges arrières dans les critères d’interdiction de vente à perte. Cette loi imposait aux fournisseurs de publier officiellement un tarif unique pour leurs produits pour tous les distributeurs. Cette loi fixait un prix minimum légal aux articles et a conduit à une uniformisation, en France, des prix de vente des biens de grande consommation, ne laissant aux distributeurs que les importations et les marques distributeurs pour se différencier par le prix.

Très décriée et accusée d’être responsable de la hausse des prix, cette loi est aménagée et partiellement remplacée en janvier 2006 par la loi Jacob-Dutreil qui ne fixait plus un seuil maximal mais un seuil plancher des prix.

Afin de réduire les marges des distributeurs et donc les prix de vente, ce qui permet d’accroître le pouvoir d’achat des ménages, deux lois sont encore votées en 2008.

La loi du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service du consommateur permet aux distributeurs de transposer la totalité des marges arrières dans les prix de vente.

La loi de modernisation de l’économie (LME) d’août 2008, inspirée par la commission Attali, instaure la négociabilité des tarifs d’achat entre fournisseurs et distributeurs.

Enfin, suite la crise agricole en 2010, Bruno Le Maire, ministre de l’agriculture et de la pêche est parvenu à faire signer un accord le 17 mai 2010 entre les distributeurs et les producteurs sur une réduction des marges en période de crise. Il s’agit d’un engagement des distributeurs à « maintenir le taux de marge brute qu’ils ont pratiqué, en moyenne, au cours des trois dernières campagnes de commercialisation précédentes sur le rayon fruits et légumes ». Cet accord, signé entre l’État et le distributeur ne vaut qu’en « situation de crise conjoncturelle constatée sur un produit », c’est-à-dire « lorsque le prix de vente par le producteur sera significativement inférieur à la moyenne des prix de vente sur les cinq dernières années en retirant la plus mauvaise et la meilleure ». En cas de non-signature, « les distributeurs dont le chiffre d’affaires en fruits et légumes excède 100 millions d’euros, seront soumis à une taxe additionnelle à la taxe sur les surfaces commerciales ».

Malgré ces avancées significatives, le problème de la hausse des prix et des marges dans la grande distribution demeure.

Sur le premier aspect, le Président de la République a décidé de faire de la lutte contre la spéculation sur les matières agricoles une des priorités de la Présidence du G20 à Cannes au moins de novembre prochain.

Afin d’agir sur le second volet et de tirer les premiers enseignements du rapport de l’observatoire des prix et des marges, cette proposition envisage trois mesures.

L’article 1 contraint la grande distribution à mettre à la disposition du consommateur un cahier qui indique le triple affichage pour les produits de première nécessité c’est-à-dire l’affichage du prix d’achat aux producteurs par les distributeurs, du prix de vente des distributeurs aux grandes et moyennes surfaces, ainsi que du prix de vente au consommateur. Le consommateur pourra ainsi disposer d’une information réelle et fiable sur les marges de la grande distribution et des intermédiaires.

L’article 2 suggère d’imposer aux grandes surfaces de donner annuellement leur marge nette à l’observatoire des prix et marges des produits alimentaires afin de disposer d’une vision objective des marges qu’elles prennent. Le montant de la taxe additionnelle serait égal à trois fois le produit entre d’une part le montant dû au titre de la TASCOM et d’autre part le rapport entre le montant total des ventes du produit et le chiffre d’affaires total. Il est à noter que cette taxe additionnelle est déjà due par les grandes surfaces qui ne respectent pas ou ne signent pas d’accord de modération des marges.

Enfin, l’article 3 vise à limiter la marge des grandes surfaces à 20 % pour chaque produit de première nécessité vendu et dont la liste sera définie par décret pris après avis du conseil national de la consommation.

S’agissant de la compatibilité de cette dernière mesure avec le droit communautaire, la Cour de justice des Communautés européennes considère que les « dispositions du droit communautaire laissent intact le pouvoir des États membres, sans préjudice d’autres dispositions du Traité, de prendre les mesures appropriées en matière de formation des prix aux stades du commerce de détail et de la consommation, à condition qu’elles ne mettent pas en danger les objectifs ou le fonctionnement de l’organisation commune de marché en question » (CJCE 23 janvier 1975, aff. 31/74, Galli).

La CJCE a ainsi précisé que « la fixation d’une marge commerciale maximale à prélever par le détaillant dans la vente au consommateur final n’est pas de nature, en principe, à mettre en danger les objectifs et le fonctionnement [de l’OCM], dès lors que la marge est pour l’essentiel calculée à partir des prix d’achat, tels qu’ils sont pratiqués aux stades de la production et du commerce de gros » (CJCE, Dechmann précité, voir aussi CJCE 5 juin 1985, aff. 116/84 Roelsraete, et CJCE 17 janvier 1980 aff. 95/79 et 96/79 Keffer et Delmelle).

Ces trois mesures de justice sociale qui ont vocation à redistribuer les fruits du travail plus équitablement contribueront également à apaiser les relations entre clients et fournisseurs.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

L’article L. 113-3 du code de la consommation est complété par quatre alinéas ainsi rédigés :

« Les moyennes et grandes surfaces doivent tenir à la disposition de leur client, pour les produits de première nécessité dont la liste est fixée par décret après avis du conseil national de la consommation, un tableau comparatif comprenant :

« – le prix d’achat aux producteurs par les distributeurs ;

« – le prix de vente des distributeurs aux moyennes et grandes surfaces ;

« – le prix de vente au consommateur ».

Article 2

Le I de l’article 302 bis ZA du code général des impôts est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« – elles refusent d’indiquer leurs marges nettes à l’observatoire des prix et des marges des produits alimentaires prévu à l’article 691-1 du code rural et de la pêche maritime ».

Article 3

Après le deuxième alinéa de l’article L. 410-2 du code du commerce, est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les marges brutes des distributeurs ne peuvent dépasser 20 % pour chaque produit de première nécessité vendu figurant sur une liste fixée par décret pris après avis du conseil national de la consommation ».

1 Atlas de la distribution paru en 2008

2 Source INSEE

3 Rapport au Parlement de la formation de observatoire des prix et des marges des produits alimentaires de juin 2011.


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