N° 3727 - Proposition de loi de M. Jean-Paul Garraud tendant à créer une Ecole nationale de psycho-criminologie et portant diverses mesures relatives à l'évaluation de la dangerosité



N° 3727

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 septembre 2011.

PROPOSITION DE LOI

tendant à créer une École nationale de psycho-criminologie
et portant diverses mesures relatives à l’évaluation
de la dangerosité,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Jean-Paul GARRAUD, Jean-Michel FERRAND, Jean-Louis LÉONARD, Jacques GROSPERRIN, Michel HERBILLON, Étienne MOURRUT, Dominique LE MÈNER, Philippe Armand MARTIN, Jean ROATTA, Jean-Sébastien VIALATTE, Alain MARLEIX, Philippe COCHET, Michel VOISIN, Michel DIEFENBACHER, Pascale GRUNY, Jean-Louis CHRIST, Alfred ALMONT, Geneviève COLOT et Bernard GÉRARD,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En 2006, Monsieur le Premier ministre, m’a confié une mission portant sur « l’évaluation de la dangerosité des auteurs d’infractions pénales atteints de troubles mentaux ».

Mon rapport intitulé « Réponses à la dangerosité » a été rendu le 18 octobre 2006.

Mes conclusions, qui englobaient également la dangerosité des personnes pénalement responsables, ont été pour la plupart reprises dans les lois subséquentes, notamment par la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental et par la loi du 10 mars 2010 tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle.

À l’instar d’autres grands pays démocratiques, la dangerosité est donc maintenant intégrée dans le Droit pénal Français.

Servant de fondement à l’extension des mesures de sureté, la dangerosité vient ainsi très logiquement compléter la peine pour mieux encadrer, surveiller, contrôler un individu dont on sait qu’il est toujours dangereux et potentiellement récidiviste à sa sortie de prison.

Le principe que j’ai ainsi affirmé : « À la culpabilité correspond la peine, à la dangerosité correspond la mesure de sûreté » permet ainsi de lutter très efficacement contre la récidive.

Mais, il doit être complété et notamment sur la question de l’évaluation de cette dangerosité.

Divers outils d’évaluation sont traditionnellement utilisés par les magistrats pour déterminer la dangerosité d’un individu. Ils peuvent avoir recours à diverses expertises, ou à des instruments tels que l’enquête de personnalité, l’enquête sociale rapide ou encore la consultation de bases de données.

L’expertise psychiatrique est aujourd’hui au cœur d’un débat faisant apparaître des critiques tant institutionnelles que matérielles ou structurelles. En effet, les recours aux expertises psychiatriques sont de plus en plus fréquents, tandis que les missions assignées aux experts sont étendues et dépassent souvent le cadre de leurs possibilités. La démographie des experts psychiatres, qui s’explique notamment par un statut peu attractif, est, de plus, alarmante.

Initialement, l’expertise psychiatrique avait pour seul objectif de déterminer si la personne mise en cause était ou non responsable pénalement, si elle était en état de démence au moment de l’action. La question de la dangerosité n’était évoquée que pour les seules personnes irresponsables pénalement, lesquelles pouvaient faire l’objet d’un internement administratif. La circulaire Chaumié du 12 décembre 1905 maintenait cette distinction : les psychiatres n’étaient invités à se prononcer sur la dangerosité que des seules personnes dont l’abolition du discernement était diagnostiquée.

L’instruction générale pour l’application du code de procédure pénale de 1959 a étendu le domaine d’application des missions de l’expert psychiatre, celui-ci devant se prononcer sur la dangerosité et le traitement de toutes les personnes poursuivies, même si elles ne présentaient pas de troubles psychiques ou neuro-psychiques.

La circulaire générale du 1er mars 1993 relative à l’entrée en vigueur du nouveau code de procédure pénale précise qu’« il est procédé à l’examen psychiatrique toutes les fois que l’attention du magistrat est appelée, notamment par l’examen médical ou psychologique ou par l’enquête sociale, sur l’existence possible de troubles psychiatriques. Confié à des médecins experts psychiatres, cet examen a pour objet de déterminer si les perturbations de la personnalité peuvent être situées dans l’ensemble des affections psychopathologiques connues. Il tend en outre à permettre un pronostic sur l’évolution du comportement et un avis sur le traitement à envisager ».

Bien que ne reprenant pas le terme de dangerosité, la circulaire du 1er mars 1993 assigne aux experts psychiatres la mission de prévoir l’évolution du comportement de l’intéressé, indépendamment du diagnostic d’une pathologie mentale. La chambre criminelle de la Cour de cassation admet donc que « l’accomplissement d’une mission d’expertise psychiatrique relative à la recherche d’anomalies mentales susceptibles d’annihiler ou d’atténuer la responsabilité pénale du sujet n’interdit pas aux médecins experts d’examiner les faits, d’envisager la culpabilité de la personne mise en examen, et d’apprécier son accessibilité à une sanction pénale ».

Il est donc demandé à l’expert, dans le cadre de sa mission, de mettre en exergue des hypothèses qui permettraient d’éclairer le passage à l’acte de la personne par des facteurs psycho dynamiques. L’expertise du psychiatre peut alors être confrontée avec celle effectuée par le psychologue. C’est souvent l’attente des présidents de Cour d’assises qui, en entendant psychiatres et psychologues, confrontent deux élaborations du passage à l’acte criminel. Lorsque l’expertise psychiatrique est postérieure au prononcé du jugement pénal, les questions posées tendent notamment à déterminer l’évolution de la personnalité de l’intéressé depuis sa condamnation, mais également à évaluer sa dangerosité.

Il apparaît donc que le champ d’application de l’expertise psychiatrique a été étendu aux personnes saines d’esprit. Cette extension est critiquable pour certains qui estiment qu’il ne relève pas des compétences d’un médecin psychiatre de se prononcer sur la dangerosité d’un individu ne présentant aucune pathologie mentale. La justice sollicite ainsi l’expert bien au-delà de sa compétence de psychiatre en lui demandant d’élargir son approche à une analyse psycho-criminologique, en oubliant alors que la criminologie est par essence pluridisciplinaire associant notamment un regard social, environnemental, et culturel, sans parler d’une ouverture indispensable au droit pénal et à la pénologie.

Nombre de psychiatres n’ont pas en France de formation en criminologie. D’autres ont complété leur formation de base en l’élargissant au champ de la psycho-criminologie, de la socio-criminologie ou de l’ethno-criminologie. Ils sont alors susceptibles d’apporter un éclairage criminologique au passage à l’acte criminel et de donner des éléments sur les mesures susceptibles de limiter le risque de récidive. Grâce à des formations universitaires décloisonnées, la pratique expertale semble s’orienter dans le sens de la formation complémentaire de psychiatres ou psychologues dans le champ criminologique.

Dans ces conditions, si la grande majorité des experts n’a aucune activité expertale pénale, une minorité des psychiatres inscrits sur les listes d’experts est très souvent sollicitée par la Justice. De ce fait, ils peuvent être amenés à consacrer une trop grande partie de leur temps aux activités expertales, pratiquées de façon répétitive, avec le risque de les couper de la réalité clinique et d’induire la dérive vers un « corps d’experts professionnels », ce qui n’a jamais été souhaité dans notre pays.

La qualité des expertises dépend donc pour partie de l’expérience acquise par le praticien lors de sa pratique. Le recours à des praticiens réalisant des expertises et exerçant au détriment de leur pratique, ou le recours à des experts psychiatres pour les enfants et adolescents qui pourtant n’exercent pas quotidiennement auprès d’eux (manque de pédopsychiatres) pourrait engendrer une diminution de la qualité des expertises et des risques très sérieux d’erreurs d’appréciation.

Pour toutes ces raisons, mon rapport préconisait la création d’une formation diplomante en psycho-criminologie.

L’article 1er de la présente proposition de loi tend ainsi à créer une École nationale de psycho-criminologie, établissement d’enseignement pluridisciplinaire dépendant de la Chancellerie, du ministère de la santé, du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et du ministère de l’intérieur.

Cet établissement proposerait deux parcours diplomants : dispositif LMD (licence, master, doctorat) et formation continue.

Les étudiants bénéficieraient également, tout au long de leurs études et au début de leur carrière professionnelle, d’un tutorat assuré par un expert confirmé, comme je le proposais dans mon rapport (préconisation n° 3).

Le laboratoire doctoral de cette École permettrait également de développer la recherche française en criminologie et en profilage et d’élaborer des outils actuariels d’évaluation de la dangerosité criminologique (préconisation n°9 du rapport sus-cité).

L’article 2 prévoit, dans le respect des principes fondamentaux de la loi « Informatique et liberté », de développer les interconnexions entre les fichiers de police, de justice ainsi que les fichiers des autres administrations susceptibles de contenir des informations permettant d’appréhender l’éventuelle dangerosité d’une personne.

Ces fichiers ne sont actuellement pas interconnectés de sorte que, par exemple, lorsqu’une empreinte génétique est relevée, aucune information relative à une éventuelle condamnation de l’intéressé, inscrit par ailleurs au F.I.J.A.I.S, ne peut être obtenue.

Enfin, l’article 3 crée des Centres Régionaux d’Évaluation ayant pour mission, au sein des différentes régions de l’administration pénitentiaire, de remplir les fonctions actuellement dévolues au Centre National d’Évaluation (anciennement Centre National d’Observation).

Le CNE a un fonctionnement pluridisciplinaire exemplaire : il est composé d’un directeur d’établissement pénitentiaire, d’éducateurs et d’un assistant social ; de psychologues justifiant d’une formation en psychologie clinique et d’une expérience professionnelle ; de personnels psychotechniques, (des surveillants spécialement formés pour faire passer aux détenus stagiaires l’ensemble des tests psychotechniques en vigueur); d’un médecin généraliste; de médecins psychiatres ; des personnels de surveillance spécialement formés.

Mais il semble avoir été victime de son succès, car si la qualité du travail qui y est accompli est tout à fait reconnue, la faiblesse de ses moyens, eu égard à l’importance des besoins, constitue une limite considérable à la pleine et entière réalisation de sa mission. Cette structure ne dispose en effet pas de moyens suffisants pour, entre autres, procéder à des « ré-évaluations » de la dangerosité des condamnés au fur et à mesure de l’exécution de la peine, accueillir l’ensemble des détenus dont l’état justifierait qu’ils soient évalués par cette structure, ou encore accueillir ces mêmes personnes dans un délai raisonnable et en temps utile.

En outre, ces premiers obstacles ne sauraient faire oublier que les moyens dont dispose l’administration pénitentiaire ne lui permettent pas toujours de mettre en œuvre les préconisations formulées par le C.N.E.

Il s’agit donc de créer des Centres Régionaux d’Observation afin de mettre fin aux lourdeurs administratives inhérentes au passage dans une structure unique à compétence nationale.

La dangerosité des criminels doit être mieux prise en compte afin de lutter contre la récidive. Tel est l’objet de la présente proposition de loi que nous vous demandons de bien vouloir adopter.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

I. – Il est créé une École nationale de psycho-criminologie dispensant un enseignement pluridisciplinaire et dépendant de la Chancellerie, du ministère de la santé, du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et du ministère de l’intérieur.

II. – Un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application du I.

Article 2

I. – Les interconnexions entre fichiers de police, de justice et des autres administrations sont admises, dans le respect des principes fondamentaux de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

II. – Un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application du I.

Article 3

I. – Des Centres Régionaux d’Évaluation ayant pour mission, au sein des différentes régions de l’administration pénitentiaire, de remplir les fonctions actuellement dévolues au Centre National d’Évaluation (anciennement Centre National d’Observation) sont créés.

II. – Un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application du I.

Article 4

Les charges pour l’État qui résulteraient de l’application de la présente loi sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à la taxe visée à l’article 991 du code général des impôts.


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