N° 3892 - Proposition de résolution de M. Christian Paul tendant à la création d'une commission d'enquête chargée de présenter les modalités concrètes de l'assistance prêtée par la France au régime du colonel Kadhafi en application des accords bilatéraux - notamment de l'accord de défense - entrés en vigueur à partir du mois de septembre 2007, et les conséquences pour les populations libyennes



N° 3892

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 novembre 2011.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête chargée de présenter les modalités concrètes de l’assistance prêtée par la France au régime du colonel Kadhafi en application des accords bilatéraux – notamment de l’accord de défense – entrés en vigueur à partir du mois de septembre 2007, et les conséquences pour les populations libyennes,

(Renvoyée à la commission des affaires étrangères, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Christian PAUL, Jean-Marc AYRAULT, François LONCLE, Patricia ADAM, Jean-Paul BACQUET, Dominique BAERT, Christian BATAILLE, Jean-Louis BIANCO, Serge BLISKO, Marie-Odile BOUILLÉ, Pierre BOURGUIGNON, Danielle BOUSQUET, François BROTTES, Alain CACHEUX, Jérôme CAHUZAC, Jean-Christophe CAMBADÉLIS, Guy CHAMBEFORT, Jean-Paul CHANTEGUET, Alain CLAEYS, Jean-Michel CLÉMENT, Marie-Françoise CLERGEAU, Pierre COHEN, Frédéric CUVILLIER, Guy DELCOURT, François DELUGA, Bernard DEROSIER, Jean-Pierre DUFAU, William DUMAS, Laurence DUMONT, Jean-Paul DUPRÉ, Olivier DUSSOPT, Christian ECKERT, Henri EMMANUELLI, Martine FAURE, Hervé FÉRON, Geneviève GAILLARD, Guillaume GAROT, Jean GAUBERT, Jean-Patrick GILLE, Joël GIRAUD, Jean GLAVANY, Daniel GOLDBERG, Pascale GOT, Marc GOUA, Jean GRELLIER, Christian HUTIN, Monique IBORRA, Jean-Louis IDIART, Françoise IMBERT, Serge JANQUIN, Régis JUANICO, Marietta KARAMANLI, Jean-Pierre KUCHEIDA, Jean-Yves LE BOUILLONNEC, Annick LE LOCH, Patrick LEMASLE, Catherine LEMORTON, Annick LEPETIT, Bernard LESTERLIN Jean MALLOT, Louis-Joseph MANSCOUR, Jacqueline MAQUET, Marie-Lou MARCEL, Martine MARTINEL, Frédérique MASSAT, Gilbert MATHON, Sandrine MAZETIER, Kléber MESQUIDA, Jean MICHEL, Philippe NAUCHE, Henri NAYROU, Marie-Renée OGET, Jean-Luc PÉRAT, Philippe PLISSON, François PUPPONI, Catherine QUÉRÉ, Marie-Line REYNAUD, Chantal ROBIN-RODRIGO, Marcel ROGEMONT, Bernard ROMAN, René ROUQUET, Michel SAINTE-MARIE, Jean-Louis TOURAINE, Marisol TOURAINE, Philippe TOURTELIER, Jean-Jacques URVOAS, Jacques VALAX, André VÉZINHET, Alain VIDALIES, Jean-Michel VILLAUMÉ, et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche (1) et apparentés (2),

députés.

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(1)  Ce groupe est composé de Mesdames et Messieurs : Patricia Adam, Sylvie Andrieux, Jean-Marc Ayrault, Jean-Paul Bacquet, Dominique Baert, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, Claude Bartolone, Jacques Bascou, Christian Bataille, Delphine Batho, Marie-Noëlle Battistel, Jean-Louis Bianco, Gisèle Biémouret, Serge Blisko, Patrick Bloche, Daniel Boisserie, Maxime Bono, Jean-Michel Boucheron, Marie-Odile Bouillé, Christophe Bouillon, Monique Boulestin, Pierre Bourguignon, Danielle Bousquet, François Brottes, Alain Cacheux, Jérôme Cahuzac, Jean-Christophe Cambadélis, Thierry Carcenac, Christophe Caresche, Martine Carrillon-Couvreur, Laurent Cathala, Bernard Cazeneuve, Guy Chambefort, Jean-Paul Chanteguet, Alain Claeys, Jean-Michel Clément, Marie-Françoise Clergeau, Gilles Cocquempot, Pierre Cohen, Catherine Coutelle, Pascale Crozon, Frédéric Cuvillier, Claude Darciaux, Pascal Deguilhem, Michèle Delaunay, Guy Delcourt, François Deluga, Bernard Derosier, Michel Destot, Julien Dray, Tony Dreyfus, Jean-Pierre Dufau, William Dumas, Jean-Louis Dumont, Laurence Dumont, Jean-Paul Dupré, Yves Durand, Philippe Duron, Olivier Dussopt, Christian Eckert, Henri Emmanuelli, Corinne Erhel, Laurent Fabius, Albert Facon, Martine Faure, Hervé Féron, Aurélie Filippetti, Geneviève Fioraso, Pierre Forgues, Valérie Fourneyron, Michel Françaix, Jean-Claude Fruteau, Jean-Louis Gagnaire, Geneviève Gaillard, Guillaume Garot, Jean Gaubert, Jean-Patrick Gille, Jean Glavany, Daniel Goldberg, Pascale Got, Marc Goua, Jean Grellier, Élisabeth Guigou, David Habib, Danièle Hoffman-Rispal, François Hollande, Sandrine Hurel, Monique Iborra, Jean-Louis Idiart, Françoise Imbert, Michel Issindou, Éric Jalton, Serge Janquin, Henri Jibrayel, Régis Juanico, Armand Jung, Marietta Karamanli, Jean-Pierre Kucheida, Conchita Lacuey, Jérôme Lambert, François Lamy, Jack Lang, Colette Langlade, Jean Launay, Jean-Yves Le Bouillonnec, Marylise Lebranchu, Patrick Lebreton, Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Michel Lefait, Jean-Marie Le Guen, Annick Le Loch, Patrick Lemasle, Catherine Lemorton, Annick Lepetit, Bruno Le Roux, Bernard Lesterlin, Michel Liebgott, Martine Lignières-Cassou, François Loncle, Victorin Lurel, Jean Mallot, Louis-Joseph Manscour, Jacqueline Maquet, Marie-Lou Marcel, Marie-Claude Marchand, Jean-René Marsac, Philippe Martin, Martine Martinel, Frédérique Massat, Gilbert Mathon, Didier Mathus, Sandrine Mazetier, Michel Ménard, Kléber Mesquida, Jean Michel, Arnaud Montebourg, Pierre Moscovici, Pierre-Alain Muet, Philippe Nauche, Henri Nayrou, Marie-Renée Oget, Michel Pajon, George Pau-Langevin, Christian Paul, Germinal Peiro, Jean-Luc Pérat, Jean-Claude Perez, Marie-Françoise Pérol-Dumont, Martine Pinville, Philippe Plisson, François Pupponi, Catherine Quéré, Jean-Jack Queyranne, Dominique Raimbourg, Marie-Line Reynaud, Alain Rodet, Marcel Rogemont, Bernard Roman, Gwendal Rouillard, René Rouquet, Alain Rousset, Michel Sainte-Marie, Michel Sapin, Odile Saugues, Christophe Sirugue, Pascal Terrasse, Jean-Louis Touraine, Marisol Touraine, Philippe Tourtelier, Jean-Jacques Urvoas, Daniel Vaillant, Jacques Valax, Manuel Valls, Michel Vauzelle, Michel Vergnier, André Vézinhet, Alain Vidalies, Jean-Michel Villaumé, Jean-Claude Viollet, Philippe Vuilque.

(2)  Chantal Berthelot, Gérard Charasse, René Dosière, Paul Giacobbi, Annick Girardin, Joël Giraud, Christian Hutin, Serge Letchimy, Apeleto Albert Likuvalu, Jeanny Marc, Dominique Orliac, Sylvia Pinel, Simon Renucci, Chantal Robin-Rodrigo, Christiane Taubira.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 17 mars 2011 demeurera une date marquante dans les relations entre notre pays et la Libye. En effet, en votant en faveur d’une zone d’interdiction aérienne au-dessus du territoire de la Libye, la France a effectué un total virage diplomatique.

Jusqu’alors et depuis 2007, la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste était considérée comme un partenaire privilégié, et son chef Muammar Kadhafi était traité en hôte de marque. Ce réchauffement soudain faisait suite à une longue période de glaciation diplomatique principalement provoquée par le soutien ostensible du colonel Kadhafi à diverses entreprises terroristes visant prioritairement les pays européens. Il n’y a pas à critiquer les efforts diplomatiques entrepris par la France en 2007, qui visaient à obtenir la libération de huit infirmières bulgares et d’un médecin palestinien accusés à tort d’empoisonnement et détenus illégalement depuis huit ans à l’époque. Il y a en revanche tout lieu de s’interroger sur la nature des relations et coopérations entre la France et la Libye à compter de cette date, et pendant les années qui suivirent.

Il est établi, comme l'a rappelée rapport n° 622 rendu en janvier 2008 par la commission d’enquête de notre Assemblée sur les conditions de libération des infirmières et du médecin bulgares détenus en Libye et sur les récents accords franco-libyens, sept accords bilatéraux distincts ont été signés à Tripoli le 25 juillet 2007, en présence du Président de la République française et du colonel Kadhafi :

– un accord-cadre de partenariat global ;

– un accord de coopération en matière de défense et d’industrie de défense ;

– un mémorandum d’entente sur la coopération dans le domaine des applications pacifiques de l’énergie nucléaire ;

– une convention de coopération dans le domaine de la recherche scientifique ;

– un programme de mise en œuvre de la convention de coopération culturelle, scientifique et technique pour les années 2007-2008-2009 ;

– un programme de mise en œuvre de la coopération scientifique dans le domaine de l'enseignement supérieur ;

– un mémorandum d'entente dans le domaine de la santé.

De façon plus précise, il est souhaitable de rappeler que par le décret n° 2007-1446 du 9 octobre 2007, le Président de la République a chargé le Premier ministre et le ministre des affaires étrangères et européennes d’exécuter l’accord de coopération dans le domaine de la défense et du partenariat industriel de défense. Or cet accord de coopération est particulièrement large et balaye tout le champ de coopération possibles :

« a) Échanges de vues et d’informations sur les structures de défense et les organisations militaires et sécuritaires.

b) Visites réciproques d’experts et échanges de documentation et de publications dans le domaine de l’enseignement et des études militaires.

c) Échanges d’informations sur les concepts, les principes et les meilleures méthodes militaires actuelles et futures.

d) Discussions sur la possibilité d’effectuer des manœuvres militaires conjointes.

e) Coopération dans la formation à la planification opérationnelle, l’instruction des cadres et l’entraînement au commandement et au contrôle.

f) Coopération dans l’entraînement des personnels militaires aux opérations de maintien de la paix.

g) Coopération dans l’entraînement des unités militaires spéciales, des forces spéciales et des unités de gardes frontières.

h) Coopération dans l’apprentissage de la langue française.

i) Coopération, au cas par cas, dans la formation aux communications, technologie et systèmes de sécurité.

j) Échanges d’informations et d’expertise sur la législation concernant les conflits armés.

k) Protection et encouragement des investissements communs dans le domaine de l’industrie de défense entre les institutions et entreprises françaises et leurs homologues en Grande Jamahiriya.

l) Acquisition de différents matériels et systèmes de défense.

m) Tout autre sujet agréé d’un commun accord. »

Les formulations volontairement floues retenues par les deux Parties à l’accord sont probablement une figure imposée. Mais au regard des évènements intervenus depuis, il est légitime de préciser les choses.

Ainsi, la commission d’enquête dont il vous est proposé la création devra déterminer ce que fut précisément la mise en œuvre des dispositions de l’accord de défense signé avec un régime dont la France a depuis admis qu’il ne satisfaisait à aucune des exigences démocratiques légitimes et que notre pays a depuis contribué à renverser.

Parmi les aspects qu’il paraît indispensable de clarifier, il y a lieu de définir sur quoi ont porté les échanges d’information sur les structures militaires (point a de l’accord) ; quels ont été les domaines d’expertises qui ont donné lieu à des visites réciproques (point b de l’accord) ; quelles ont été les modalités pratiques de la coopération dans le domaine des forces spéciales (point g de l’accord) ; quels ont été les matériels et systèmes de défense français vendus au régime du colonel Kadhafi (point l de l’accord) ; si des sujets agréés d’un commun accord, non spécifiquement mentionnés par l’accord ont été abordés (point m de l’accord).

Enfin, une attention toute particulière devra être portée à la façon dont le point i a été concrétisé. En effet, il a été rapporté par la presse, puis reconnu par le fournisseur, qu’une entreprise de services informatiques, filiale d’un groupe français, a vendu au régime autoritaire libyen un outil de filtrage et de contrôle des accès à Internet. Autrement dit, une entreprise française a directement contribué à la création d’un système d’espionnage à grande échelle des citoyens libyens, permettant la surveillance des courriers électroniques, des réseaux sociaux et l'accès aux sites sur le net. Nul ne peut ignorer qu’un tel outil avait pour fonction de limiter les libertés du peuple libyen. Plus grave encore, eu égard à la nature dictatoriale du régime Kadhafi, l’outil fourni avait évidemment pour finalité de permettre d’accroître la répression dont la population était victime.

Dans son rapport au Parlement sur les exportations militaires de la France en 2010, le ministre de la défense écrit: « la France prend en compte les situations de conflit et les atteintes graves aux droits de l'homme. Notre pays considère que toute fourniture de matériels susceptibles de concourir à la répression interne des populations civiles doit être refusée »...Ce principe n'a visiblement pas été respecté.

Il est donc indispensable que la commission détermine de façon précise si la transaction commerciale a été effectuée légalement au regard du droit français et des conventions internationales. Il est tout aussi indispensable de faire la lumière sur l’implication éventuelle de l’État dans la décision de fournir un outil de répression utilisable à l’encontre du peuple libyen. Enfin, dans la mesure où des zones d’ombre existent, il importe de savoir si des services de l’État ont participé, directement ou indirectement, au déploiement du logiciel de filtrage ou à la formation de ses utilisateurs libyens.

À cette occasion, il conviendra de vérifier si de tels matériels de contrôle des libertés numériques ont été vendus à d'autres régimes dictatoriaux, et dans quelles conditions il est urgent de réviser les règles de vente et d'emploi de ces technologies en France et à l'extérieur.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

Il est créé une commission d’enquête de trente membres chargée de présenter les modalités concrètes de l’assistance prêtée par la France au régime du colonel Kadhafi en application des accords bilatéraux – notamment de l’accord de défense – entrés en vigueur à partir du mois de septembre 2007, et les conséquences pour les populations libyennes.


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