N° 4008 - Proposition de résolution de M. Alain Gest sur la mise en oeuvre du principe de précaution



N° 4008

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 novembre 2011.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

sur la mise en œuvre du principe de précaution,

présentée par

MM. Alain GEST et Philippe TOURTELIER,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Une évaluation de la mise en œuvre du principe de précaution, tel qu’inscrit en 2005 à l’article 5 de la charte constitutionnelle, a été réalisée par le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale (CEC), après la tenue d’un séminaire parlementaire le 1er juin 2010 et d’un débat en séance publique, en semaine de contrôle de l’Assemblée nationale, le 26 juin 2010. Cette évaluation a montré la nécessité de conserver ce principe éminemment nécessaire, mais aussi, au vu de l’expérience des cinq premières années de sa mise en œuvre, de mieux en organiser l’application (rapport d’information n° 2719 du 8 juillet 2010, déposé par MM. Alain Gest et Philippe Tourtelier, représentant respectivement la majorité et l’opposition, conformément aux dispositions du Règlement de l’Assemblée nationale régissant le fonctionnement du CEC).

Le rapport de suivi des conclusions de ce rapport, prévu par l’alinéa 8 de l’article 146-3 du Règlement de l’Assemblée nationale, a été présenté par les mêmes rapporteurs le 17 novembre 2011 au CEC. Ce rapport de suivi (n° 3970) a permis de constater une progression de la réflexion au sein du Gouvernement, notamment s’agissant des ministres chargés de l’environnement et de la recherche. Il a cependant confirmé l’opportunité d’une initiative parlementaire pour préciser la volonté du législateur.

Les incertitudes factuelles et scientifiques pesant sur un certain nombre de dossiers mobilisant l’opinion publique constituent autant de sources d’incompréhension entre parties prenantes et de décisions publiques insuffisamment justifiées. Tout en imposant de satisfaire pleinement aux exigences légitimes de protection de la santé humaine et de l’environnement, il convient de remédier à cette situation par une procédure et une méthodologie adaptées et acceptées, qui permettront de préserver des conditions acceptables de développement du progrès technique et scientifique.

Ainsi que l’a relevé le rapport d’information n° 2719 précité, plusieurs facteurs sont à l’origine de l’application aujourd’hui inadaptée du principe de précaution et notamment :

– le manque de rigueur et de transparence dans l’évaluation de la valeur relative des expertises fondant les analyses, permettant d’identifier le caractère plausible ou non des risques incertains ;

– l’absence d’une compréhension claire du périmètre des risques relevant du principe de précaution, d’une prise en compte suffisamment étayée des avantages attendus du produit ou du procédé porteur du risque allégué, et d’une appréciation des bénéfices et des risques qui prenne en compte non seulement l’analyse scientifique technique, mais aussi l’analyse des incidences économiques, sociales, éthiques et sociétales ;

– une meilleure organisation du débat public, qui devrait être fondée sur la mise à disposition de l’ensemble des éléments et analyses disponibles ;

– l’absence d’un référent unique et clairement identifié, porteur de la procédure, jusqu’à la prise de décision, celle-ci demeurant du domaine des autorités publiques compétentes.

Dans le sens des préconisations du rapport déposé au nom du CEC par MM. René Dosière et Christian Vanneste (n° 2925, publié le 28 octobre 2010) sur les autorités administratives indépendantes, cette procédure s’appuierait de préférence sur les organismes existants, en particulier le Comité de la prévention et de la précaution. Celui-ci, sous réserve d’une évolution de ses missions et de sa composition, pourrait être chargé de cette fonction d’identification des risques plausibles et de la désignation des référents.

L’étape initiale de saisine de cette instance pourrait être ouverte non seulement au Gouvernement, mais aussi au Parlement et au Conseil économique, social et environnemental.

Il existe aujourd’hui un consensus pour constater la nécessité de mieux définir les modalités de mise en œuvre du principe de précaution, de façon à éviter de laisser cette responsabilité à la seule jurisprudence. La formation de la jurisprudence est en effet longue, incertaine, et tributaire des moyens présentés par les intérêts et parties en cause. Elle peut également manquer de cohérence entre les ressorts juridictionnels tant qu’elle n’est pas exprimée, suivant le cas, par le Conseil d’État ou par la Cour de cassation, saisi par les parties. Elle est, au demeurant, susceptible de contradictions entre les ordres juridictionnels, voire de revirements de jurisprudence.

La présente proposition de résolution parlementaire, au sens de l’article 34-1 de la Constitution, vise à définir des lignes directrices précisant l’intention du législateur et du constituant, qui éclairera utilement l’ensemble des parties prenantes, qu’il s’agisse des tribunaux, des acteurs de la société civile, de l’administration, ou encore des scientifiques.

Cette proposition, qui reprend les conclusions du rapport de suivi précité du CEC, s’appuie sur l’esprit et les principales orientations de la communication de la Commission européenne du 2 février 2000 sur le recours au principe de précaution, prise en application de la résolution du 13 avril 1999 du Conseil, ainsi que de la résolution du Conseil européen de Nice des 7 à 10 décembre 2000 sur le principe de précaution, annexée aux conclusions de la présidence.

Par ailleurs, une grande partie des cas pour lesquels le principe de précaution est considéré comme applicable par l’opinion publique et les médias ressortissent au domaine de la santé, et en particulier des produits de santé. Si la charte de l’environnement ne s’applique en matière sanitaire qu’en cas de combinaison de risques pour la santé et pour l’environnement, le devoir de protection sanitaire prévu par le préambule de la Constitution de 1946 et le régime communautaire du principe de précaution, défini par la jurisprudence, s’imposent dans les autres cas de figure en matière de produits de santé ou de consommation. En conséquence, il est proposé que la présente proposition de résolution s’applique également dans le cas des dommages incertains à la santé.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement,

Vu les articles 1er et 5 de la charte de l’environnement de 2004 annexée à la Constitution,

Vu le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, par lequel la Nation garantit à toute personne le droit fondamental à la protection de la santé,

Vu l’article 191 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu la communication de la Commission du 2 février 2000 sur le recours au principe de précaution, prise en application de la résolution du 13 avril 1999 du Conseil, ainsi que la résolution du Conseil européen de Nice des 7 à 10 décembre 2000 sur le principe de précaution, annexée aux conclusions de la présidence,

Considérant que le principe de précaution s’impose dans le domaine sanitaire en application du droit européen, mais que, tel qu’il est défini par la charte de l’environnement de 2004, il ne s’applique aux risques sanitaires qu’en cas de combinaison des dispositions de ses articles 1er et 5, c’est-à-dire de risque pour l’environnement ayant également une incidence sur la santé ;

Considérant que la mise en œuvre cohérente et conforme à l’intention du constituant des dispositions de l’article 5 de la Charte, d’application directe, comme du principe de précaution applicable dans le domaine sanitaire résultant du droit européen, devrait utilement s’appuyer sur la définition de lignes directrices pour la mise en place d’une organisation des rôles dévolus aux autorités publiques ;

Considérant que le débat public doit permettre l’expression pluraliste des valeurs, des choix de société, des priorités sociétales, de sorte que toute décision portant sur un risque à prendre, quand bien même il serait hypothétique, soit précédée d’une réflexion portant sur l’utilité sociale, le coût économique et environnemental, et les enjeux éthiques des choix qui découleront de cette décision ;

Considérant que l’expertise scientifique, outre celle des disciplines scientifiques concernées pour permettre l’évaluation du risque, doit s’étendre au domaine et aux techniques des sciences humaines et sociales, selon une procédure qui ne se confond pas avec une simple consultation de la société civile, mais qui vise à permettre la présentation au public des avantages et des inconvénients comparés, de tout ordre, du procédé ou du produit auquel est associé un risque incertain mais plausible relevant de la précaution ; 

Considérant le devoir de prévention sanitaire qui s’impose aux autorités publiques conformément au onzième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 qui a prévu que « Elle [La Nation] (…) garantit à tous (…) la protection de la santé » ;

1. souhaite que, pour l’application du principe de précaution, soit mise en œuvre une procédure d’identification de l’émergence de nouveaux risques pour l’environnement, la santé publique et la sécurité alimentaire, confiée à une instance choisie à cet effet et chargée, une fois l’émergence d’un risque hypothétique analysée comme plausible, de désigner un référent indépendant, pilotant, sur un sujet donné, la mise en œuvre du régime de précaution dans chacune de ses phases et en rendant publiquement compte ;

2. estime que le référent précité devrait avoir la faculté de susciter l’expertise scientifique contradictoire et indépendante nécessaire à l’évaluation du risque et des bénéfices escomptés, directs ou indirects, ainsi que l’expertise scientifique sociétale permettant l’évaluation de l’utilité collective du procédé ou du produit considéré ;

3. précise que le rapport du référent précité devrait comporter, en particulier, un examen des avantages et des charges résultant de l’action ou de l’absence d’action ainsi qu’une analyse des coûts et des bénéfices des différentes options possibles, lorsque cela est approprié et réalisable, sans préjudice d’autres méthodes d’analyse non économiques, notamment d’ordre social ou éthique, tout particulièrement pour ce qui touche à la protection de la santé ;

4. considère que l’évaluation des risques et des bénéfices escomptés doit s’inscrire dans les principes d’excellence, d’indépendance, de transparence, d’interdisciplinarité et de contradiction, et s’attacher à caractériser l’incertitude scientifique et technique en ce qui concerne le risque plausible considéré ;

5. souhaite que les rapports d’évaluation des risques et des bénéfices escomptés s’appuient sur un jugement étayé et contradictoire, réalisé par l’instance d’identification précitée, de la qualité scientifique des travaux disponibles, qui tienne compte, dans la plus grande transparence, du respect des règles d’indépendance de l’expertise au regard d’éventuels conflits d’intérêts, notamment non scientifiques, concernant leurs auteurs ;

6. souhaite également qu’à l’issue de l’expertise, le référent soumette aux autorités compétentes les éléments nécessaires à l’organisation d’un débat public, que le public et les parties prenantes accèdent ainsi à l’état disponible complet des rapports d’évaluation et d’expertise, et que, après la tenue du débat public, le référent rende publics les rapports résultant de ce débat ainsi que les propositions qu’il formule à destination des autorités publiques ;

7. rappelle qu’il appartient aux autorités publiques, saisies par le référent de l’ensemble des conclusions de l’expertise et des débats publics, de promouvoir les recherches scientifiques permettant de mieux cerner le risque considéré, et de prendre les mesures, proportionnées et provisoires, qui s’imposent pour le limiter, en motivant leurs décisions ;

8. précise que de telles mesures devraient être proportionnées au niveau de protection recherché en mettant en balance le risque redouté et les bénéfices directs ou indirects escomptés, et choisies de façon à être effectives, non discriminatoires et cohérentes au regard des mesures déjà prises dans des situations similaires, tout en tenant compte des développements scientifiques et techniques les plus récents et de l’évolution du niveau de protection recherché ;

9. rappelle enfin que, bien que de nature provisoire, les mesures de précaution doivent être maintenues tant que les travaux scientifiques demeurent incomplets, imprécis ou non concluants et tant que le risque est réputé suffisamment important pour ne pas accepter de le faire supporter à la société, leur maintien dépendant de l’évolution des connaissances scientifiques et techniques, à la lumière de laquelle elles doivent être régulièrement réévaluées.


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