N° 4082 - Proposition de loi de M. Christian Ménard visant à protéger l'intérêt de l'enfant dont les parents sont séparés



N° 4082

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 décembre 2011.

PROPOSITION DE LOI

visant à protéger l’intérêt de l’enfant
dont les parents sont séparés,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Christian MÉNARD et Mme Henriette MARTINEZ,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Avec un recul de neuf ans, il s’avère que l’article 373-2-9 de la loi du 4 mars 2002, concernant la légalisation de la résidence alternée, expose les enfants à des risques importants au niveau de leur développement socio-affectif.

En effet, depuis le vote de ce texte législatif (pensé à l’origine pour des préadolescents et des adolescents), la résidence alternée a été appliquée à des enfants très jeunes, voire des nourrissons, les séparations parentales avec des enfants de plus en plus jeunes ne cessant de croître. Ces décisions sont prises sans tenir compte des préconisations retenues par l’ensemble des pédopsychiatres et psychologues ayant publié leur expérience sur ce sujet : absence de conflit important entre les parents, proximité géographique, respect du besoin de stabilité affective et de stabilité du lieu de vie pour les enfants en bas âge, lieu de scolarisation unique.

De la même façon, de plus en plus de magistrats ordonnent des droits d’hébergement de la moitié des vacances scolaires, si bien que des nourrissons de six, huit douze mois se trouvent séparés de leur mère pendant un mois l’été alors que tous les travaux scientifiques soulignent l’effet nocif de telles séparations prolongées à cet âge.

Ainsi, de plus en plus de résidences alternées « égalitaires » (au sens d’un temps égal passé par l’enfant chez chaque parent), ou des mesures équivalentes (temps de garde strictement égal entre père et mère avec changement de lieu d’hébergement tous les deux ou trois jours) ont été mises en place pour des bébés de six mois et des nourrissons changent sept fois de lieu d’hébergement en dix jours ; C. Brisset, Défenseur des enfants, cite dans son rapport 2005, une décision de résidence alternée prise par un juge français ordonnant qu’un enfant de six mois passe six semaines chez son père reparti vivre aux États-Unis et six semaines chez sa mère en France ; des enfants sont scolarisés dans deux écoles différentes sur décision judiciaire ; bien qu’une mère ait subi de graves violences conjugales, une résidence alternée est mise en place, la maintenant sous l’emprise de son ex-compagnon ; certains jugements ordonnent une date d’arrêt de l’allaitement pour pouvoir débuter ce mode d’hébergement ; etc.

Les Professeurs de pédopsychiatrie Bernard Golse et Pierre Delion (Présidents de la branche française de l’Association Mondiale de Santé Mentale du Nourrisson) ont exprimé clairement leur opposition à ce mode d’hébergement pour les enfants petits, et Yvon Gauthier, Professeur de pédopsychiatrie à Montréal, parle « d’enfants cobayes de la présomption en faveur de la résidence alternée » (2008).

Sans être dans des situations aussi extrêmes que celles développées ci-dessus, force est de constater que la loi du 4 mars 2002 n’offre aucun garde-fou. Beaucoup d’enfants ne s’adaptent pas à la résidence alternée dont l’expérience montre qu’elle n’est malheureusement pas, le plus souvent, remise en question par les juges des affaires familiales une fois qu’elle a été mise en place, quels que soient les symptômes présentés par l’enfant. Nous disposons aujourd’hui, d’un ensemble de travaux français et internationaux, pédopsychiatriques et psychiatriques, qui montrent que la résidence alternée ordonnée sans précaution est à l’origine de troubles psychiques : sentiment d’insécurité avec apparition d’angoisses d’abandon qui n’existaient pas auparavant (ces enfants ne supportant plus l’éloignement de leur mère même dans une pièce voisine et demandant à être en permanence en contact avec elle) ; sentiment dépressif avec regard vide pendant de longues heures ; troubles du sommeil, eczéma, agressivité, perte de confiance dans les adultes. À tel point que la Californie, qui fut le premier état au monde à adopter en 1979 une loi incluant une présomption de « garde physique conjointe », a amendé sa loi en 1994 pour ne plus admettre ce mode de garde que si les deux parents font une demande conjointe et librement consentie et si l’intérêt de l’enfant est préservé. Il existe une quasi impossibilité de faire reconnaître ces signes de souffrance psychique par le système judiciaire, les rares médecins qui se risquent à rédiger des certificats médicaux étant systématiquement mis en cause devant le Conseil de l’Ordre par une des parties. Ces troubles persistent jusqu’à l’âge adulte sous la forme de dépression et d’angoisse chronique. Le nombre d’enfants qui présentent cette pathologie (plusieurs nouveaux cas par semaine) constitue un véritable problème de santé publique.

Ceci était prévisible si on se rappelle que la loi du 4 mars 2002 a été élaborée sans qu’ait été demandé l’avis des sociétés savantes (Société Française de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent, Association Française de Psychiatrie, branche française de l’Association Mondiale de Santé Mentale du Nourrisson, Société Française de Pédiatrie). Depuis 2002, Y. Gauthier, professeur de pédopsychiatrie à Montréal (2008) parle d’enfants cobayes ; aux États-Unis le rapport Lye (1999) (rédigé par deux juges de la Cour Suprême de l’état de Washington, d’autres magistrats et professionnels), reprenant les publications réalisées sur ce sujet, conclut que lorsqu’une garde alternée est imposée, les enfants sont fortement et gravement exposés aux conflits des parents. On peut aussi citer les travaux de J.Y. Hayez (2005), professeur de pédopsychiatrie à Bruxelles, M. Berger et A. Ciccone (2004), professeurs de psychopathologie de l’enfant, P. Levy-Soussan (2006), N. Guedeney (2004), H. Rottman, pédopsychiatres, F. Lecat (2007), pédiatre, et le séminaire de réflexion sur la résidence alternée réalisé au Ministère de la santé et de la Famille le 5 février 2007. De plus, en 2009, E. Izard, pédopsychiatre, a publié un article démontrant que la résidence alternée peut avoir des effets nocifs chez des enfants âgés de trois à onze ans même lorsqu’elle est instaurée avec l’accord des deux parents, certains enfants ne supportant pas la perte répétée de la figure d’attachement principale et des lieux, certains d’entre eux allant même jusqu’à déclarer que leur institutrice est la seule personne stable de leur existence. Ces enfants présentent des rituels envahissants proches des TOC, et parfois des troubles proches d’un syndrome post-traumatique. De plus, une étude américaine démontre que, même dans des conditions extrêmement favorables (parents en parfait accord sur le mode de résidence alternée, disponibles, et pratiquant une co-parentalité de bonne qualité se traduisant par une coordination des habitudes routinières de l’enfant identiques chez chaque parent), 84 % des enfants âgés de trois à cinq ans allaient mal à cause de ce mode de garde.

À ces problèmes s’ajoute l’apparition récente d’un concept venu des États-Unis, le Syndrome d’Aliénation Parentale (SAP). Ce concept est fortement contesté par des chercheurs internationalement réputés qui ont démontré qu’il n’avait aucun fondement scientifique, à tel point que depuis 2006, le guide des juges aux tribunaux de la famille aux États-Unis dénonce l’utilisation faite de ce terme qui est qualifié de « science de pacotille ». Certes, de tout temps, il a existé des parents, pères ou mères qui se livraient à un véritable « lavage de cerveau » concernant leur enfant, mais ces cas sont rares et les parents en question présentent une personnalité visiblement très perturbée. Suite à la « création » du concept de SAP, dès qu’un enfant manifeste de la réticence à aller chez un de ses parents parce que ce parent ne s’occupe pas de lui pendant son temps d’hébergement, le néglige, voire le rudoie, l’autre parent est accusé d’aliénation parentale. Le but de la « généralisation » de ce concept est clair : rendre la résidence alternée obligatoire dans le plus de situations possibles, en particulier dès qu’un enfant exprime le moindre mal être chez un de ses parents.

En 2010, une brochure du ministère de la Communauté française de Belgique, intitulée « Points de repères pour prévenir la maltraitance », inclut comme formes de maltraitance, arguments à l’appui, la résidence alternée pour les tout-petits et « l’utilisation, à tort et à travers » du concept d’aliénation parentale.

Il est, par ailleurs, à noter qu’un grand nombre de résidences alternées (40 à 50 %) sont sollicitées par des hommes ayant exercé des violences contre leur femme de manière répétée, ces demandes n’ayant, dans ce cas, non l’objectif d’assurer le bien-être de l’enfant, mais celui d’exercer une emprise sur la vie de leur ex-compagne, voire de la punir de la séparation. Un homme qui frappe sa femme devant leur enfant perd à ce moment toute compétence parentale puisqu’il le soumet à un spectacle particulièrement angoissant.

Actuellement, l’ensemble de la communauté scientifique est d’accord sur le point suivant : le premier besoin d’un enfant petit est de se sentir en sécurité. Nicole Guedeney, spécialiste française reconnue de l’attachement, indique que ceci passe par la nécessité, pour l’enfant, de disposer d’un adulte « figure d’attachement sécurisante », c’est-à-dire un parent stable, fiable, prévisible, accessible, capable de comprendre ses besoins et d’apaiser ses inquiétudes. Cette pédopsychiatre ajoute qu’un enfant petit peut nouer plusieurs liens d’attachement, sa mère et son père, bien sûr, mais qu’il les hiérarchise en figure d’attachement principale et figures d’attachement subsidiaires ; « mais cela ne veut pas dire que le bébé en aime une plus que l’autre ou que l’une est plus importante que l’autre. Cela signifie seulement que la figure qui donnera le plus de sentiment de sécurité au bébé est la figure d’attachement principale ».

À la lecture de l’ensemble de ces données, nous voyons bien qu’il est indispensable de modifier la loi en tenant compte du principe de précaution et d’assurer l’objectif essentiel de l’intérêt de l’enfant, défini comme la protection de son développement physique, affectif, intellectuel, et social. Ceci nécessite l’introduction des principes de progressivité en fonction de l’âge, de proximité, de non violence entre les parents. Ces modifications de la loi ne visent pas à « éloigner » les pères, mais à adapter la législation aux besoins fondamentaux de sécurité affective des enfants. Le professeur Murat, qui a participé à l’élaboration de la loi du 4 mars 2002, a précisé en 2006 que « cette loi ne fait pas de la résidence alternée un modèle », et rappelle que « l’autorité parentale est un droit-fonction qui se définit par ses fins, en particulier permettre le développement de l’enfant dans le respect dû à sa personne » (art. 371-1 du code civil) et non par ses moyens.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Les premier à troisième alinéas de l’article 373-2-9 du code civil sont remplacés par deux alinéas ainsi rédigés :

« La résidence de l’enfant est fixée prioritairement au domicile de l’un des parents. À défaut, elle peut l’être en alternance, au domicile de chacun d’eux, selon des durées et des modalités à déterminer, avec la nécessité, pour les deux parents, non seulement de remplir leur obligation parentale d’entretien, d’obligation d’aliments ou de pension alimentaire mais aussi d’un accord sur les choix éducatifs.

« À la demande de l’un des parents ou en cas de désaccord entre eux sur le mode de résidence de l’enfant, le juge peut ordonner, à titre provisoire, soit une résidence au domicile de l’un des parents, soit une résidence en alternance dont il détermine les modalités et la durée. Au terme de celle-ci, le juge statue définitivement sur la résidence de l’enfant, tout en fixant cette dernière prioritairement au domicile de l’un des parents. »

Article 2

Après le 5° de l’article 373-2-11 du même code, sont insérés un 5° bis et un 5° ter ainsi rédigés :

« 5° bis Si l’enfant est âgé de moins de six ans, le principe de progressivité, dans la durée et les modalités de l’hébergement de l’enfant chez le parent qui n’est pas le premier pourvoyeur de soins, ainsi que la nécessité pour les deux parents de remplir leur obligation parentale d’entretien, d’obligation d’aliments ou de pension alimentaire et d’un accord sur les choix éducatifs ;

« 5° ter La nécessité que l’enfant soit scolarisé dans un seul établissement scolaire ; »

Article 3

Après l’article 373-2-12 du même code, il est inséré un article 373-2-12-1 ainsi rédigé :

« Art. 373-2-12-1. – La résidence alternée n’est pas ordonnée en cas de conflit et d’absence de communication entre les parents sur les modalités d’hébergement de l’enfant et en cas de violences conjugales avérées, ou de non respect des obligations parentales d’entretien, d’obligation d’aliments ou de pension alimentaire, ou de non-accord sur les choix éducatifs. »

Article 4

Au premier alinéa de l’article 378-1 du même code, après la deuxième occurrence du mot : « par », sont insérés les mots :

« des menaces ou des actes de violences psychologiques et physiques intrafamiliales, soit par ».


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