N° 4119 - Proposition de résolution de M. Jean-Marie Sermier tendant à créer une commission d'enquête relative aux modalités de fonctionnement et aux conditions d'exercice des agences de notation en ce qui concerne leurs appréciations portées sur notre économie nationale



N° 4119

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 décembre 2011.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à créer une commission d’enquête relative aux modalités de fonctionnement et aux conditions d’exercice des agences
de notation, en ce qui concerne leurs appréciations portées
sur notre économie nationale,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut
de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Jean-Marie SERMIER, Jacques KOSSOWSKI, Éric STRAUMANN, Alain GEST, Christian MÉNARD, Daniel SPAGNOU, Jean-Pierre DECOOL, Didier QUENTIN, Michel VOISIN, Christian VANNESTE, Jean-Claude GUIBAL, Marianne DUBOIS, Yves VANDEWALLE, Philippe Armand MARTIN, Claude BODIN, Christian ESTROSI, Dino CINIERI, Philippe MEUNIER, Francis HILLMEYER, Yanick PATERNOTTE, Jean-Michel FERRAND, Jean-Marc ROUBAUD, Thierry LAZARO, Jean-Claude FLORY, Lionnel LUCA, Denis JACQUAT, Michel HERBILLON, Bernard PERRUT, Émile BLESSIG, Bernard CARAYON, Guy TEISSIER, Michel RAISON, Paul SALEN, Jacques GROSPERRIN, Jacques REMILLER, Anne GROMMERCH, Jacqueline IRLES, Didier GONZALÈS, Jean-Claude MIGNON, Jean-Philippe MAURER, Jean-Michel COUVE, Éric DIARD, Muriel MARLAND-MILITELLO et Jean PRORIOL,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les agences de notation se sont imposées depuis plusieurs années comme des acteurs importants sur l’ensemble de l’économie mondiale, par l’exercice de menaces constantes et surmédiatisées. Les conséquences de leurs orientations ne sont pas négligeables et peuvent contribuer à accentuer un risque pour les États et leur population. En effet, une éventuelle erreur d’appréciation peut contribuer à déstabiliser l’économie d’une région du monde.

Les trois lettres « A » ont pour but d’indiquer que le risque du non-remboursement du capital et/ou des intérêts d’une dette est très faible. Dans l’échelle de notation, on distingue deux grandes catégories de notes, les « investment grade » ou « high grade », de AAA à BBB, pour les émissions les plus fiables et les « speculative grade » ou « below investment grade », de BB à D, pour les émissions les moins sûres voire très risquées. La note maximale AAA signifie une qualité de crédit très élevée alors qu’une notation D constate un défaut de paiement. Des signes « + » et « - » permettent d’affiner la notation. Enfin, la notation diffère selon qu’il s’agit d’opérations à court terme, concernant les engagements à un an au plus et les opérations à long terme, réalisées sur plus d’un an.

Lorsqu’il s’agit de noter un État, l’agence observe dans un premier temps ses politiques monétaires et budgétaires mais également la situation économique du pays et sa stabilité.

La seconde phase de test correspond à l’analyse des données notifiée dans un rapport présenté au « comité de notation » de l’agence qui effectue alors la notation seule à seule.

Dans certains cas, il peut être tentant en l’absence de régulation du travail des agences de notation de manipuler certaines données de sorte qu’une économie affaiblie devienne plus vulnérable pour des concurrents étrangers. Il y a donc mise en jeu des intérêts supérieurs de la Nation. Le pouvoir politique ne peut se désintéresser de cette situation et doit donc sauvegarder des intérêts fondamentaux.

Aujourd’hui, toutes les agences de notation sont des organismes privés et indépendants. Elles facturent directement la notation aux émetteurs, le montant des honoraires s’étalant de 50 000 € à 150 000 € pour un service s’échelonnant sur quelques semaines à plusieurs mois parfois.

Force est de constater que le10 novembre 2011, une agence de notation a affolé les marchés pendant deux heures en annonçant par erreur la dégradation de la note de la France. On est en droit de se demander si cette « erreur » n’est pas la conséquence d’une manipulation des cours boursiers et si la France n’a pas été victime ainsi d’une attaque au service d’intérêts contraire aux nôtres.

L’agence en question a d’ailleurs reconnu par voie de presse, que l’erreur a eu lieu à Paris. Il est utile de rappeler que deux jours avant la faillite de « Lehman Brothers » le 15 septembre 2008, cette banque d’investissement multinationale était notée AAA par ces mêmes agences de notation.

À présent, un groupe de travail a été mis en place au niveau mondial pour rendre plus accessible à ses clients l’évaluation du secteur bancaire. Il ne s’agit plus d’une notation en lettres cette fois, mais d’une évaluation en chiffres allant de 1 à 6.

Néanmoins, est-il normal, qu’une équipe désirant évaluer le secteur bancaire, dont l’un des membres est basé à Paris, ait voulu également réaliser un test grandeur nature en choisissant la France comme terrain d’expérimentation sans demander la moindre autorisation gouvernementale, sans même indiquer les procédures et les modalités de ce test ?

Soumettre tout un pays, son économie, ses habitants à des expériences de tests économiques en l’absence de transparence, sans se référer à une éthique reconnue et approuvée, n’est pas envisageable.

Une agence de notation a dégradé la note américaine en plein débat budgétaire. L’administration américaine a accusé l’agence d’avoir sous-estimé la réduction du déficit de 2 000 milliards de dollars (15 % du PIB américain). Cette agence estime qu’il s’agit d’une divergence d’interprétation. Son dirigeant, l’indien Deven Sharma, a aussitôt démissionné. D’autres exemples de démissions suites à des « erreurs d’interprétations » pourraient venir illustrer ces propos.

Et pourtant trois ans plus tard, les agences de notation n’ont jamais eu autant de pouvoir.

La Commission Européenne a mis trois ans pour rédiger un projet de réforme des agences de notations. Quand ce texte entrera en vigueur, elles deviendront responsables sur le plan civil.

Si la directive était déjà en place, la France aurait pu demander des dommages et intérêts très élevés à une agence pour son « erreur due à l’informatique » le 10 novembre 2011.

Tout ceci est le signe d’une organisation discutable, pouvant induire, si les faits sont avérés, de lourds soupçons de conflits d’intérêts ou pire d’abus de confiance.

Aussi, il est du devoir du Parlement de s’informer sur le système concernant les procédures et les modalités de fonctionnement des agences de notation sises ou représentées en France, et leur conformité avec les règles européennes actuelles, auquel cas des recours judiciaires devront être envisagés.

Il est du devoir du Parlement de contrôler les conditions d’exercice de ces agences sises ou représentées en France et les liens qu’elles entretiennent avec ceux qui les rémunèrent.

La commission d’enquête que je vous propose d’établir aura également pour mission de proposer des outils efficaces permettant d’attribuer sur des critères objectifs et à des périodes déterminées ce type de contrôles.

C’est pourquoi, il me semble judicieux de créer une commission d’enquête, pour que la représentation nationale vérifie, analyse et informe sur tous ces points, mais également qu’elle propose des solutions concrètes, pour la mise en place d’un code de bonnes pratiques, permettant la transparence du fonctionnement des agences de notations sises en France ou agissant sur le territoire nationale. La commission d’enquête aura notamment aussi pour mission de vérifier l’indépendance tant financière des agences de notation que de s’assurer de l’absence de conflit d’intérêt de ceux qui sont habilités à prendre des décisions.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

Conformément aux articles 137 et suivants du Règlement, il est créé une commission d’enquête de 30 membres relative aux modalités de fonctionnement et aux conditions d’exercice des agences de notation, en ce qui concerne leurs appréciations portées sur notre économie nationale

Elle devra notamment :

– analyser les causes des dysfonctionnements observés concernant les appréciations communiquées ;

- établir des règles déontologiques, pour la transparence des méthodes et des procédures mises en place par les agences de notation agissant sur le sol national ;

- vérifier l’impact de l’activité de ces agences de notation sur les émetteurs et les marchés financiers ;

- s’assurer de la réelle indépendance des agences, de leurs dirigeants ainsi que des analystes qui y travaillent.

Les observations et les enseignements tirés de ces investigations devront permettre de formuler des propositions afin de rédiger un code de bonnes pratiques et de proposer une meilleure régulation du secteur.


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