N° 3970 - Rapport d'information de MM. Alain Gest et Philippe Tourtelier déposé en application de l'article 146-3 du règlement, par le comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques sur la mise en œuvre des conclusions du rapport d'information (n°2719) du 8 juillet 2010 sur l'évaluation de la mise en œuvre de l'article 5 de la Charte de l'environnement relatif à l'application du principe de précaution



N° 3970

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 17 novembre 2011.

RAPPORT D'INFORMATION

déposé

en application de l'article 146-3, alinéa 8, du Règlement

par le comité d’évaluation et de contrôle
des politiques publiques sur

la mise en œuvre des conclusions du rapport d’information (n° 2719)
du 8 juillet 2010 sur l’
évaluation de la mise en
œuvre de l’article 5
de la
Charte de l’environnement relatif à l’application
du
principe de précaution

et présenté

par MM. Alain GEST et Philippe TOURTELIER,

Députés.

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INTRODUCTION 7

I.– LA MISE EN œUVRE DU PRINCIPE DE PRÉCAUTION PAR LES AUTORITÉS PUBLIQUES DEPUIS LA PUBLICATION DU RAPPORT D’INFORMATION 11

A.– DANS LE DOMAINE ENVIRONNEMENTAL 11

1. Gaz et huile de schiste : le principe de précaution dans les débats parlementaires 11

a) L’émergence de la question des gaz et huile de schiste 11

b) Le choix d’une double référence aux principes de précaution et de prévention 12

c) Une solution provisoire trouvée à l’issue d’une procédure peu satisfaisante 14

2. OGM : une évolution du cadre réglementaire envisagée par les autorités communautaires 16

a) Vers un régime d’autorisation nationale de la culture des OGM fondé sur un socle communautaire 16

b) La remise en cause des fondements juridiques de l’actuelle « clause de sauvegarde » française par la Cour de justice européenne 18

c) La relance de la recherche dans les biotechnologies en France par le Grand Emprunt 19

B.– DANS LE DOMAINE SANITAIRE 21

1. Grippe A(H1N1) : la difficile caractérisation du risque 21

a) Quelle pertinence de la référence à la précaution ? 21

b) Les avis divergents des experts 22

c) Les débats parlementaires 23

2. Mediator : des mesures d’application du principe de précaution réclamées par l’Afssaps 24

a) Le principe de précaution explicitement cité dans le rapport de l’Igas 24

b) Un besoin de précision exprimé par l’Afssaps 26

c) Les enjeux de la mise en œuvre du principe de précaution dans le domaine du médicament et des produits de santé 26

d) Des avancées portées par une récente directive européenne 27

3. Perturbateurs endocriniens : la difficile détermination et justification de mesures proportionnées et provisoires 28

a) Une procédure a priori rigoureuse 29

b) Des débats persistants sur l’adéquation et la justification des mesures 30

4. Téléphonie mobile : une mise en œuvre toujours problématique 32

a) La poursuite du débat public sur la base des travaux nationaux et internationaux de recherche 32

b) Des décisions des juridictions judiciaires qui continuent à poser question 34

c) L’évolution de la jurisprudence du Conseil d’État 36

II.– LES RÉPONSES DU GOUVERNEMENT AUX RECOMMANDATIONS DES RAPPORTEURS 39

A.– UNE IMPLICATION INÉGALE DES MINISTÈRES CONCERNÉS 39

1. Un engagement véritable de la part de la ministre chargé de l’environnement 39

a) Des réponses précises et circonstanciées de la part de la ministre 39

b) Une collaboration avec les services du ministère 40

2. Les limites d’une logique uniquement ministérielle 41

3. Une contribution substantielle du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche 42

4. Une réponse attendue du ministère de la santé 43

B.– LA NÉCESSITÉ D’UN DIALOGUE INTERMINISTÉRIEL SUR L’ORGANISATION DE LA PREMIÈRE ÉTAPE DE LA PROCÉDURE 44

1. Un accord de principe de deux des ministères concernés sur le rôle qui pourrait être confié au Comité de la prévention et de la précaution 44

2. L’absence de consensus sur le positionnement interministériel du CPP 45

3. Des questions pendantes concernant la saisine de l’instance d’identification des risques plausibles et la remontée des « alertes » 46

a) Quel mode de saisine de l’instance d’identification des risques? 46

b) Une réflexion en cours sur la « remontée des alertes » 46

C.– L’INDÉPENDANCE DE L’EXPERTISE : L’ENJEU D’UNE « CHRONOLOGIE MAÎTRISÉE » 48

1. La mobilisation d’une expertise de qualité sur les questions relatives à la précaution 49

a) La mobilisation des communautés scientifiques pour l’expertise des risques incertains 49

b) Le développement d’enseignements et de programmes de recherche sur le principe de précaution proprement dit 50

2. Le souhait partagé d’une expertise interdisciplinaire plutôt que pluridisciplinaire 50

3. La délicate question des relations entre l’expert et les parties prenantes 51

a) Une divergence de fond entre les ministères chargés de l’environnement et de la recherche 51

b) Un compromis possible grâce à une « chronologie maîtrisée » 52

D.– DES PROPOSITIONS NOUVELLES CONCERNANT LE DÉBAT PUBLIC 53

1. Un recours au cas par cas à des structures existantes renforcées 54

2. Une évolution indispensable des modes de consultation 54

3. Des exigences méthodologiques soulignées par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche 56

4. Un enjeu excédant sensiblement la question de la mise en œuvre du principe de précaution 56

E.– LES ENJEUX DE LA DÉCISION PUBLIQUE 57

1. Le rôle du décideur 57

2. La justification des mesures et de leur caractère provisoire 57

CONCLUSION 59

RÉUNION DU COMITÉ DU 17 NOVEMBRE 2011 : EXAMEN DU PROJET DE RAPPORT DE SUIVI 63

ANNEXE N° 1 : Projet de proposition de résolution pour la mise en œuvre du principe de précaution 71

ANNEXE N° 2 : Projet de proposition de loi relative au principe de précaution applicable dans le domaine de la santé 77

ANNEXE N° 3 : Courriers échangés entre M. Bernard Accoyer, Président de l’Assemblée nationale, président du CEC, et Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’Écologie, du développement durable, des transports et du logement, consécutivement à la publication du rapport n° 2719 81

INTRODUCTION

Le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale (CEC) a autorisé le 8 juillet 2010 la publication du rapport d’information (n° 2719) sur l’évaluation de la mise en œuvre du principe de précaution prévu à l’article 5 de la Charte de l’environnement, présenté par les auteurs du présent rapport.

Au préalable, un séminaire parlementaire avait eu lieu le 1er juin 2010, associant députés et experts de l’administration et de la société civile, sur la base d’un rapport d’étape examiné par le CEC le 18 mai 2010. Il avait été suivi d’un débat en séance publique le 22 juin, auquel avaient participé M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État, ministre de l’Écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, Mme Chantal Jouanno, secrétaire d’État chargée de l’écologie et Mme Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche. À la suite de ces travaux, les rapporteurs ont enrichi le rapport d’étape de conclusions proposant notamment un encadrement procédural de la mise en œuvre du principe en matières sanitaire et environnementale.

Les conclusions du rapport d’information ont fait état d’une situation considérée par beaucoup comme insatisfaisante. Deux difficultés principales ont été signalées. En premier lieu : « le principe de précaution, applicable en cas d’incertitudes sur l’existence d’un risque en l’état des connaissances scientifiques, est invoqué et utilisé, dans des cas, souvent très médiatisés, éloignés de cette définition et le plus fréquemment dans le domaine sanitaire ». En second lieu : « le principe de précaution, quand il doit être mis en œuvre en matière environnementale ou sanitaire, ne l’est pas systématiquement de façon raisonnée, réfléchie et organisée » (1). A donc été proposée la mise en œuvre d’une procédure globale, en quatre étapes, assurant l’encadrement de l’usage du principe de précaution, que le sujet relève du domaine environnemental ou sanitaire.

Première étape : l’identification et la qualification du risque doivent être confiées à une instance, « qui aurait pour rôle de dire si l’hypothèse d’un risque pour l’environnement ou la santé, s’agissant d’un procédé ou d’un produit, peut être considérée comme plausible » (2). Dans cette hypothèse, cet organisme désignerait un référent indépendant chargé de piloter la procédure pour le sujet qui le concerne. Les rapporteurs précisaient que cet organisme pourrait être le Comité de la prévention et de la précaution, organisme consultatif de conseil actuellement rattaché au ministre en charge du développement durable, sous réserve de son rattachement au Premier ministre et de l’élargissement de ses compétences.

Deuxième étape : une double expertise, impliquant, d’une part, des chercheurs spécialistes du sujet considérés, et d’autre part, des économistes, des sociologues et des spécialistes de l’éthique, serait requise, en mobilisant, par exemple, la nouvelle Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSeS) ou encore le Haut Conseil des biotechnologies (HCB) dans leurs domaines spécifiques. Le rapport précisait que « ce travail doit s’appuyer sur un jugement étayé et contradictoire de la qualité scientifique des travaux disponibles, qui tiennent compte de l’appréciation, dans la plus grande transparence, de leur indépendance au regard d’éventuels conflits d’intérêts concernant leurs auteurs, notamment avec des intérêts non-scientifiques » (3).

Troisième étape : un débat public, permettant aux parties prenantes de s’exprimer notamment sur les choix de société, pourrait être organisé, sous l’égide et l’impulsion du référent, par la Commission nationale du débat public (CNDP) ou le Conseil économique, social et environnemental (CESE) ou encore l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (Opecst). « Le débat public doit être le moment où, face à ce qui est scientifiquement établi ou non par les deux “compartiments” de l’expertise scientifique, sont exprimés de façon pluraliste des valeurs, des choix de société, des priorités sociétales » (4).

Quatrième étape : il reviendrait bien entendu aux autorités publiques, à l’issue de cette procédure, de prendre les décisions qui s’imposent « dans chacun des deux champs d’action “classiques” du principe de précaution : la promotion de la recherche afin de mieux cerner le risque ; la détermination et la mise en œuvre de mesures, proportionnées et provisoires, de limitation du risque hypothétique » (5).

Le rapport d’information se conclut par le souhait « que le Gouvernement se prononce, y compris de façon pratique en initiant le cas échéant certaines décisions, s’agissant des voies et moyens qui lui paraissent appropriés pour, lucidement et résolument, mettre effectivement en œuvre cette organisation. Ce dialogue pratique conduira à trancher in fine la question de savoir si la mise en œuvre de l’organisation que nous préconisons s’appuiera sur une initiative parlementaire » (6).

*

En application de l’article 146-3 du Règlement de l’Assemblée nationale, qui prévoit que « les recommandations du [CEC] sont transmises au Gouvernement », un exemplaire du rapport d’information a été transmis par M. Bernard Accoyer, Président de l’Assemblée nationale et du CEC, le 21 juillet 2010, au Premier ministre, aux ministres présents le 22 juin 2010 en séance publique, ainsi qu’à Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la Santé et des sports, qui n’avait pas pu participer au débat en séance publique.

En application du même article 146-3 du Règlement, les deux rapporteurs ont été chargés par le CEC de présenter un rapport de suivi sur la mise en œuvre des conclusions de leur rapport.

La première partie du présent rapport de suivi propose une analyse de l’usage du principe de précaution depuis la parution du rapport d’information, en particulier à l’aune de ses conclusions. La seconde partie est consacrée à l’analyse des réponses et des démarches du Gouvernement pour mettre en œuvre nos recommandations. Elle s’appuie sur des lettres ou des réponses écrites sollicitées dans le cadre de cette démarche, ainsi que sur les positions ou recommandations formulées lors d’entretiens avec les services des ministères chargés de cette mise en œuvre.

I.– LA MISE EN œUVRE DU PRINCIPE DE PRÉCAUTION PAR LES AUTORITÉS PUBLIQUES DEPUIS LA PUBLICATION DU RAPPORT D’INFORMATION

Comme l’ont mis en évidence les auteurs du présent rapport à l’occasion de leurs premiers travaux, le principe de précaution intéresse à la fois les sphères sanitaire et environnementale. Depuis la parution du rapport d’information n° 2719 sur la mise en œuvre de l’article 5 de la Charte de l’environnement, les questions qui se sont posées aux autorités publiques en matière de gestion des risques en témoignent.

A.– DANS LE DOMAINE ENVIRONNEMENTAL

Depuis le 8 juillet 2010, le principe de précaution a été invoqué significativement au moins à deux reprises dans le domaine environnemental : lors des débats récents sur les gaz et huiles de schiste, d’une part, et au niveau européen, à l’occasion de l’examen d’un nouveau projet de règlement relatif à la culture d’organismes génétiquement modifiés (OGM), d’autre part.

1. Gaz et huile de schiste : le principe de précaution dans les débats parlementaires

a) L’émergence de la question des gaz et huile de schiste

La problématique des gaz et huile de schiste a fait irruption dans l’espace public à la suite de la diffusion d’un film documentaire américain, dénonçant les conséquences néfastes de l’exploitation des gaz et huile de schiste aux États-unis sur l’environnement et la santé (7). Confronté à une émotion légitime à la vue du film Gasland, le Gouvernement est intervenu rapidement auprès des industriels pour organiser un moratoire sur les opérations qui exigeraient une fracturation hydraulique de la roche. Ce moratoire de fait a été prolongé le 11 mars 2011 à la demande du Premier ministre.

Les ministres chargés de l’environnement, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, et de l’énergie, M. Éric Besson, ont sollicité le 11 février 2011 les conseils généraux de l’environnement et du développement durable (CGEDD) d’une part, de l’industrie, de l’énergie et des technologies (CGIET) d’autre part, pour disposer d’une expertise technique. Un rapport d’étape a été présenté le 21 avril 2011. Les conclusions définitives étaient attendues pour le 31 mai 2011 (8) mais le Premier ministre a annoncé lors de la séance de questions au Gouvernement de l’Assemblée nationale du mercredi 13 avril 2011 la prolongation de cette mission « afin que la recherche scientifique soit conduite jusqu’à son terme ». La date de remise du rapport final reste, par conséquent, inconnue. Un dossier d’information sur les gaz et huile de schiste a été mis en ligne sur le site Internet du ministère du développement durable. La commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale a également mis en place une mission d’information bipartisane le 1er mars 2011 (9).

La création et l’activité des missions d’information parlementaire et gouvernementale ne parvenant pas à apaiser la crainte d’une exploitation non maîtrisée des gaz et huile de schiste, le mois d’avril a vu se multiplier les initiatives législatives visant à empêcher les exploitants d’opérer des fracturations hydrauliques et à modifier le code minier dans le sens d’une plus grande transparence. Trois propositions de loi ont été déposées à l’Assemblée nationale (10). Le bureau du Sénat, pour sa part, en a reçu deux (11). Le Gouvernement a saisi l’occasion donnée par l’ordonnance n° 2011-91 de codification du code minier du 20 janvier 2011, prévue à droit constant, pour adjoindre au projet de loi de ratification, déposé le 13 avril 2011, un article 3, visant à introduire une procédure d’information du public.

b) Le choix d’une double référence aux principes de précaution et de prévention

Le principe de précaution a été invoqué à de nombreuses reprises dans le débat public. Le Premier ministre l’a invoqué dans sa lettre du 11 mars 2011 relative aux gaz et huile de schiste adressée aux ministres compétents et rendue publique, dans laquelle il s’appuie sur l’article 5 de la Charte de l’environnement. Il figurait explicitement dans la rédaction initiale de l’article 1er de la proposition de loi n° 3301 présentée par M. Christian Jacob et plusieurs de ses collègues, le 31 mars 2011.

Le rapport provisoire conjoint du CGEDD et du CGIET identifie, en effet, le principe de précaution et la Charte de l’environnement comme des normes directrices pour répondre à la question posée (12).

Lors des débats parlementaires, la référence à tout ou partie de la Charte de l’environnement et au principe de précaution a toutefois été débattue, dans la mesure où le risque paraissait avéré, et donc, relever de la prévention.

Ainsi, lors de l’examen du texte proposé par M. Christian Jacob par la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire, le 4 mai 2011, M. Martial Saddier s’est par exemple inquiété de la constitutionnalité de la proposition de loi, au regard de la condition d’irréversibilité du dommage prévu à l’article 5 de la Charte. Les deux rapporteurs au fond ont donc proposé un amendement, voté en commission, pour ajouter, en plus de la référence à l’article 5 (13) de la Charte, une référence au principe de prévention, prévu par l’article L. 110-1 du code l’environnement. Selon M. Jean-Paul Chanteguet, co-rapporteur, « l’article L. 110-1 (14) du code de l’environnement mentionne le principe d’action préventive et de correction […] Considérant qu’un risque avéré existe, nous proposons donc d’invoquer ce principe de prévention et d’agir à la source en interdisant le recours à la fracturation hydraulique. »

Lors de l’examen de ce même texte en séance publique, le 2 mai 2011, deux amendements identiques ont été déposés par, d’une part, M. Pascal Terrasse, Mmes Christiane Taubira, Dominique Orliac, Geneviève Fioraso, Marie-Lou Marcel et les membres du groupe Socialiste, radical, citoyen et divers gauche, et d’autre part, par MM. Martial Saddier, Pierre Morel-A-l'Huissier et Robert Lecou, afin de faire référence à l’ensemble de la Charte de l’environnement et non au seul principe de précaution. Il a été adopté avec le soutien des rapporteurs au fond et du Gouvernement. La formulation est ainsi devenue à l’issue de la première lecture : « en application de la Charte de l’environnement et du principe d’action préventive et de correction prévu à l’article L. 110-1 du code de l’environnement ».

La référence au seul principe de précaution a donc été donc écartée, au profit de l’ensemble de la Charte, et l’existence de risques avérés a été considérée comme justifiant que soit mentionné aussi le principe de prévention.

Au demeurant, le rapport d’information sur les gaz et huile de schiste, présenté par les députés François-Michel Gonnot et Philippe Martin, publié par la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire le 8 juin 2011 (15), affirme l’existence de risques incertains, en plus des risques avérés. Bien qu’aucune contamination n’ait été constatée à ce jour par des additifs chimiques injectés dans le sous-sol, les deux rapporteurs estiment qu’une incertitude scientifique persiste sur les effets à long terme des procédés de fracturation hydraulique sur l’environnement. Ils affirment qu’« en l’absence de connaissance claire, la prudence impose l’application du principe de précaution et la réalisation d’enquêtes plus poussées. » (16).

Comme l’avaient souligné les auteurs du présent rapport, en conclusion de leurs premiers travaux, la distinction indispensable entre les risques incertains, appelant une mise en œuvre du principe de précaution, et les risques avérés, appelant des mesures de prévention, reste donc un enjeu essentiel pour le décideur public confronté à un risque émergent.

Comme l’illustre la question des gaz et huile de schiste, cette distinction entraîne des positionnements juridiques différents. Elle appelle également une méthodologie particulière : les auteurs du présent rapport rappellent en effet, à l’instar du rapport du CGEDD et du CGIET, que « loin d’être un principe d’inaction systématique, le principe de précaution encadre les mesures prises en imposant, d’une part, qu’elles soient provisoires et proportionnées au regard des dommages envisagés, et d’autre part, qu’elles s’accompagnent d’expertises destinées à mieux connaître les risques et ainsi à adapter les mesures prises » (17).

c) Une solution provisoire trouvée à l’issue d’une procédure peu satisfaisante

La proposition de loi présentée par M. Christian Jacob a été inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, avant la conclusion des travaux d’expertise initiés par le Gouvernement, et avant l’issue des travaux de la mission d’information de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, ce qu’ont regretté ses rapporteurs François-Michel Gonnot et Philippe Martin, mais aussi M. Yannick Paternotte et M. Gérard Gaudron, membres de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire lors de l’examen de la proposition de loi en commission (18). Le Gouvernement ayant engagé la procédure accélérée le 8 avril 2011, M. Claude Gatignol a ajouté que « le recours à la procédure accélérée ne sembl[ait] pas convenir à ce genre de sujet, où l’émotion prédomine sur la raison ». M. Serge Grouard, président de la commission, l’a également regretté en séance publique le 10 mai 2011.

Les travaux en commission ont en effet témoigné d’un manque d’information persistant, tant sur les risques que sur les bénéfices attendus du procédé de fracturation hydraulique. Ainsi, M. André Chassaigne et M. Daniel Paul ont souligné les lacunes du rapport du CGEDD et du CGIET sur « le bilan environnemental, social et sanitaire » et sur « le bilan carbone » (19). Lors du débat en commission, M. Yves Cochet a affirmé que « même sur le plan économique, l’intérêt de cette exploitation n’[était] pas démontrée. » M. Pierre Morel-A-L’Huissier a noté que « le pré-rapport du Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies parl[ait] de méconnaissances scientifiques et d’insuffisance des spécialistes français, et prôn[ait] la création d’un comité scientifique pour y remédier. C’est dire le flou qui règne en la matière. » Les expérimentations envisagées ont également suscité diverses questions de principe de la part du rapporteur au fond, M. Michel Havard : « Qui pilote ? Combien en faut-il ? Qui paye ? Quelle est la place de l’élu ? Quid de l’information du citoyen ? ».

Dès lors, plusieurs députés ont douté de la proportionnalité de la mesure d’interdiction et se sont prononcés en faveur d’une suspension. M. Jean-Pierre Nicolas a estimé qu’une remise en cause de l’interdiction, même si elle n’était pas exclue par le texte, serait difficile, compte tenu de l’émotion suscitée par ce débat dans l’opinion publique. En se fondant sur le principe de précaution, M. Claude Gatignol a déposé en commission un amendement visant la suspension du procédé de fracturation hydraulique pendant un an à compter de la publication de la loi, et la création d’une commission nationale de suivi et d’évaluation, inspirée du Haut comité pour la transparence et l’information sur la sûreté nucléaire et le Haut conseil pour les biotechnologies (20). La proposition a cependant été rejetée par le rapporteur au fond, M. Michel Havard, au motif que l’abrogation serait un acte juridiquement mieux défini et que certains risques clairement identifiés appelleraient une interdiction et non une simple suspension.

Le Sénat, lors de l’examen du texte les 1er et 9 juin 2011, a ajouté des dispositions en faveur d’une meilleure information du Parlement, en créant une commission nationale d'orientation, de suivi et d'évaluation des techniques d'exploration et d'exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux chargée d'évaluer les risques environnementaux liés aux techniques de fracturation hydraulique ou aux techniques alternatives (article 1er bis nouveau), chargée d’encadrer des « projets scientifiques d'expérimentation » (article 1, modifié), et a également été prévu la remise d’ un rapport au Parlement sur « l'évolution des techniques d'exploration et d'exploitation et la connaissance du sous-sol français, européen et international ” […]. »

Votée le 13 juillet 2011, dans les termes issus de la réunion d’une commission mixte paritaire, la loi n° 2011-835 a été promulguée au Journal officiel le 14 juillet 2011 (21). Elle interdit l’emploi de procédés de fracturation hydraulique sur le territoire national, tout en créant une commission nationale chargée de l’évaluation des risques environnementaux liés aux techniques de fracturation hydraulique ou aux techniques alternatives. Les exploitants d’hydrocarbures titulaires de permis de recherche doivent préciser les techniques employées, informations qui seront rendues publiques par l’autorité administrative compétente. Le Gouvernement est également chargé de remettre un rapport annuel au Parlement sur l’évolution des techniques d’exploration et d’exploitation en matière d'hydrocarbures liquides ou gazeux.

En application de l’article 3 - I de la loi, les titulaires de permis exclusifs de recherches d’hydrocarbures liquides ou gazeux ont remis un rapport précisant les techniques employées ou envisagées dans le cadre de leurs activités de recherches. Un arrêté du 12 octobre 2011 a abrogé trois permis exclusifs de recherches de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux accordés à deux sociétés utilisant la technique de fracturation hydraulique.

À l’issue de leur mission d’information, MM. François-Michel Gonnot et Philippe Martin ont finalement conclu que « les dispositions retenues, acceptables dans une démarche de précaution vouée à trouver une limite dans le temps, interrogent dès lors qu’elles s’avèrent destinées à durer »(22) Toutefois, si M. Philippe Martin s’oppose pour l’avenir à l’exploitation d’une énergie fossile, dont les bénéfices lui paraissent nécessairement limités par rapport aux risques encourus, dès lors qu’il s’agit d’une énergie non renouvelable, M. François-Michel Gonnot invite à la poursuite des recherches sur cette source d’énergie potentielle, qu’il juge d’un intérêt non négligeable dans le contexte énergétique actuel.

2. OGM : une évolution du cadre réglementaire envisagée par les autorités communautaires

a) Vers un régime d’autorisation nationale de la culture des OGM fondé sur un socle communautaire

Depuis la parution du rapport d’information du CEC, une évolution de la législation communautaire relative aux organismes génétiquement modifiés (OGM) a été proposée par la Commission européenne. Le 3 septembre 2009, dans son discours sur les orientations politiques pour la nouvelle Commission, le président de la Commission européenne, M. José Manuel Barroso, avait déjà suggéré que « dans un domaine tel que celui des OGM, par exemple, il devrait être possible d'adopter un système d'autorisation communautaire, fondé sur des données scientifiques, tout en laissant la possibilité aux États membres de décider s'ils souhaitent ou non avoir des cultures génétiquement modifiées sur leur territoire ».

La proposition de règlement de la Commission du 13 juillet 2010 (23), actuellement débattue, a pour objectif la mise en œuvre de ces orientations. Discutée et finalement approuvée par le Parlement européen le 5 juillet 2011 (24), elle est en attente de la position du Conseil en première lecture. Elle fournit, dans le cadre législatif de l’Union européenne (UE) relatif aux OGM, une base juridique autorisant les États membres à restreindre ou à interdire, dans tout ou partie de leur territoire, la culture des OGM autorisés à l’échelon de l’UE.

D’après la proposition de règlement précitée, « l'objet du présent règlement n'est pas d'harmoniser les conditions applicables à la culture des OGM dans les États membres, mais de permettre à ceux-ci d'invoquer d'autres motifs que ceux qui ont trait à l'évaluation scientifique des risques environnementaux et sanitaires pour interdire la culture d'OGM sur leur territoire ».

Dans sa résolution législative, le Parlement européen conçoit également de façon large les motifs susceptibles de justifier qu’un État restreigne la culture d’OGM sur son territoire. Un amendement adopté, modifiant le considérant n° 8 de la proposition de règlement, précise que « [les] mesures peuvent être fondées sur des motifs liés à des facteurs environnementaux ou autrement légitimes, comme des incidences socio-économiques, susceptibles de résulter de la dissémination volontaire ou de la mise sur le marché d'OGM » et le Parlement européen ajoute quelques exemples parmi lesquels « la prévention du développement de la résistance aux pesticides chez les plantes adventices et les parasites […] l'absence ou l'insuffisance de données adéquates sur les incidences négatives potentielles de la dissémination d'OGM sur l'environnement local ou régional d'un État membre, y compris sur la biodiversité […] l'impossibilité pratique ou [les] coûts élevés des mesures de coexistence ou […] l'impossibilité de mettre en œuvre de telles mesures en raison de conditions géographiques spécifiques, sur de petites îles ou dans des zones montagneuses, par exemple […] la nécessité de protéger la diversité de la production agricole […] la nécessité de préserver la pureté des semences » ou « d'autres motifs liés à l'utilisation des sols, à l'aménagement du territoire ou à d'autres facteurs légitimes ».

Le Parlement européen affirme également qu’il « convient de tenir compte du principe de précaution dans le cadre du présent règlement et lors de sa mise en œuvre. » (Considérant 2ter nouveau).

À l’instar des auteurs du présent rapport, le Parlement européen souligne la nécessité d’une évaluation scientifique des coûts et des bénéfices, indépendante, suivie d’une consultation publique et modifie la proposition de la Commission en conséquence : « les mesures invoquées par les États membres devraient avoir au préalable fait l’objet d'une analyse coûts-bénéfices indépendante, prenant en compte les solutions alternatives et d'une consultation publique d'une durée minimale de trente jours. »

b) La remise en cause des fondements juridiques de l’actuelle « clause de sauvegarde » française par la Cour de justice européenne

Dans ce contexte, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu, jeudi 8 septembre 2011, un arrêt en réponse à la question préjudicielle, soumise par le Conseil d’État français en vertu de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, dans l’affaire opposant l’État français à la société Monsanto sur l’arrêté du 7 février 2008 interdisant en France la culture du maïs MON810. Une des questions préjudicielles porte explicitement sur l’application du principe de précaution à la question des OGM (25) : « la requête soulève la question de savoir, en tenant notamment compte du principe de précaution, quel degré d’exigence imposent respectivement […] la directive subordonnant l’intervention de mesures d’urgence, telles que la suspension de l’utilisation du produit, à la condition que l’État membre ait des “raisons précises de considérer qu’un OGM […] présente un risque pour […] l’environnement” et celles de l’article 34 du règlement qui subordonnent l’intervention d’une telle mesure à la condition que le produit soit “de toute évidence, susceptible de présenter un risque grave pour […] l’environnement” en matière d’identification du risque, d’évaluation de sa probabilité et d’appréciation de la nature de ses effets ? »

La Cour répond, au point 76 : « il convient de considérer que les expressions “de toute évidence” et “risque grave” doivent être comprises comme se référant à un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l’environnement. Ce risque doit être constaté sur la base d’éléments nouveaux reposant sur des données scientifiques fiables. »

Elle ajoute, reprenant les arguments et les termes employés dans d’autres cas d’espèces (26) : « En effet, des mesures de protection prises en vertu de l’article 34 du règlement n° 1829/2003 ne sauraient être valablement motivées par une approche purement hypothétique du risque, fondée sur de simples suppositions scientifiquement non encore vérifiées. Au contraire, de telles mesures de protection, nonobstant leur caractère provisoire et même si elles revêtent un caractère préventif, ne peuvent être prises que si elles sont fondées sur une évaluation des risques aussi complète que possible compte tenu des circonstances particulières du cas d’espèce, qui révèlent que ces mesures s’imposent ».

La CJUE conclut à l’annulation de l’arrêté français, fondé sur l’application de l’article 23 de la directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 mars 2001, relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement, « de telles mesures pouvant, en revanche, être adoptées conformément à l’article 34 du règlement n° 1829/2003. » La CJUE précise donc qu’une mesure d’interdiction pourrait être réintroduite immédiatement par la France, mais en vertu du règlement destiné à encadrer l’usage des OGM à des fins alimentaires humaines et animales et dans des conditions différentes de caractérisation des risques. L’État membre concerné doit alors, d’après la Cour, informer officiellement la Commission de la nécessité de prendre des mesures d’urgence. Il doit également « établir, outre l’urgence, l’existence d’une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine,la santé animale ou l’environnement ».

La Cour européenne formule donc clairement les exigences auxquelles les États membres doivent se conformer en termes d’évaluation des risques, y compris en cas d’urgence. La mise en œuvre d’une procédure, telle que préconisée par vos rapporteurs, est rendue nécessaire pour répondre à celles-ci. Ces exigences ont pour corollaire le renforcement des travaux de recherche sur les risques incertains, déjà souligné par les auteurs du présent rapport, à l’occasion de leurs précédents travaux.

c) La relance de la recherche dans les biotechnologies en France par le Grand Emprunt

Comme le soulignait le rapport d’information initial, la recherche dans le domaine des biotechnologies est un enjeu capital pour la santé publique et du point de vue économique. L’arrêt de la CJUE met en évidence le fait que la recherche scientifique est également une nécessité procédurale. Le rapport du CEC déplorait en l’espèce, sur la base d’informations communiquées par l’Agence nationale de la recherche (ANR), la disparition des projets de recherche dans le domaine des biotechnologies en France.

En s'appuyant sur les conclusions de la commission sur les priorités stratégiques d'investissement et l'emprunt national, présidée par Michel Rocard et Alain Juppé, le Président de la République a présenté, le 14 décembre 2009, cinq priorités nationales - enseignement supérieur et formation, recherche, industrie et PME, numérique et développement durable - qui sont financées à hauteur de 35 milliards d'euros. Le secteur « santé et biotechnologies » a été doté d’un montant global d’1,55 milliard d’euros, confié à l’ANR pour financer des projets de recherche (27).

Dans une contribution recueillie par les rapporteurs dans le cadre de leurs travaux de suivi, l’ANR indique qu’à la suite des appels d’offre lancés dans le cadre de ces « investissements d’avenir », « des demandes de financement importantes dans le domaine des biotechnologies sont parvenues à l’agence. Il s’agit de programmes ambitieux sur le blé et le maïs. » L’ANR juge que « l’appel biotechnologies des “investissements d’avenir” était un signal attendu pour que la recherche publique se réinvestisse dans ce domaine. L’agence a accepté de participer à un consortium d’initiative internationale pour accompagner la recherche française (particulièrement l’Inra) en matière de génomique du blé de manière à garder une avance potentielle en matière de biotechnologie sur cette plante ».

Une première vague d’appels à projets a été conclue à la fin de l’année 2010, une seconde vague devant se conclure au mois d’octobre 2011. Ces projets ont pour objectifs, par exemple, la création d’infrastructures nationales d’excellence dans les domaines des biotechnologies et de la santé, le développement d’études épidémiologiques, la réalisation d’avancées significatives dans la sélection végétale, le développement de procédés innovants pour améliorer la productivité et la sécurité alimentaire dans le domaine végétal, ou encore le développement de solutions logicielles pour la santé, la biologie, l’agronomie ou encore l’environnement.

*

En conclusion, les deux thématiques supra témoignent du fait que le principe de précaution reste d’une grande actualité dans le domaine environnemental.

Elles illustrent également l’influence croissante des décisions des autorités communautaires, qui imposent progressivement dans la gestion des risques émergents une évolution procédurale et des principes directeurs. Ainsi, tandis que le Parlement européen introduit des obligations relatives à la consultation publique et à l’expertise, dans la procédure législative relative à la proposition de règlement sur les OGM, la Cour de justice de l’Union européenne a rappelé les exigences s’imposant déjà aux États membres par l’intermédiaire de la jurisprudence : le caractère proportionné et provisoire des mesures et la justification de celles-ci sur la base d’une expertise scientifique préalable et aussi complète que possible.

La mise en œuvre d’une procédure, telle que celle que proposent vos rapporteurs, est donc aujourd’hui une nécessité imposée par le droit communautaire.

B.– DANS LE DOMAINE SANITAIRE

Depuis la parution du rapport d’information sur la mise en œuvre du principe de précaution, ce dernier a été invoqué principalement à l’occasion de l’examen de questions sanitaires, à l’exception des questions relatives aux gaz et huile de schiste et aux OGM : sa pertinence a ainsi été débattue par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) ; il est cité à plusieurs reprises dans l’affaire du Mediator ; il est à l’origine du débat actuel sur les mesures à prendre à l’encontre des produits susceptibles d’être des perturbateurs endocriniens ; enfin, sa mise en œuvre continue de poser problème s’agissant des antennes relais de téléphonie mobile.

1. Grippe A(H1N1) : la difficile caractérisation du risque

Le 24 février 2010, l’Assemblée nationale a adopté une proposition de résolution tendant à créer une commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) (28), présidée par M. Jean-Christophe Lagarde, premier signataire. Le rapport a été confié à M. Jean-Pierre Door, député, et publié le 6 juillet 2010, deux jours avant la publication du rapport du CEC sur le principe de précaution.

a) Quelle pertinence de la référence à la précaution ?

Dans son rapport d’enquête, M. Jean-Pierre Door estime que la campagne de vaccination était « placée sous l’égide du principe de précaution » (29). Il note tout d’abord que « les réflexions sur la notion de risque distinguent classiquement la prudence, qui concerne des risques avérés et dont on peut évaluer la fréquence d’occurrence, la prévention, qui concerne des risques avérés mais dont on ne peut évaluer la fréquence d’occurrence et enfin, la précaution, qui concerne des risques probables, non avérés et dont la portée n’est pas, en l’état des connaissances scientifiques et techniques du moment, connue.».

Il ajoute que « le risque constitué avec l’apparition, au printemps 2009, du virus A(H1N1) et sa propagation rapide du Mexique aux États-Unis puis aux autres continents, ne semble pas devoir relever d’une logique de précaution, puisqu’il s’agissait, dès le début, d’un risque avéré. »

Il constate cependant que « l’invocation de ce principe a pourtant été constante, tant de la part des autorités publiques que des experts qui ont eu l’occasion de s’exprimer sur ce sujet : en effet, si l’existence du risque de pandémie ne faisait pas de doute, les incertitudes étaient telles que les décisions prises par les pouvoirs publics se sont de facto inscrites dans une logique de précaution, cherchant à proportionner la réponse à une situation dont il fallait mesurer l’ampleur et l’intensité nouvelles à chaque instant. »

b) Les avis divergents des experts

En s’appuyant sur les propos de M. Didier Tabuteau, conseiller d’État et directeur de la chaire Santé de l’Institut d’études politiques de Paris, entendu par la commission d’enquête, le rapport de M. Jean-Pierre Door justifie l’usage du principe de précaution « par-delà la querelle des mots », au motif que « le principe de précaution est d’abord un principe de proportionnalité », dont les pouvoirs publics se sont inspirés, alors que de nombreuses incertitudes persistaient, sur la virulence du virus, d’une part, et sur les délais d’obtention des vaccins, d’autre part (30).

Reprenant les propos du directeur général de la santé, M. Didier Houssin (31), le rapport indique aussi qu’il « convient de se donner les moyens de « débrayer », de « freiner » lorsque la situation l’exige » et que cette « réponse graduée » (32), la réévaluation permanente des décisions, est une dimension du principe de précaution, tel qu’inscrit dans la Charte de l’environnement de 2004.

En rappelant les propos de M. Claude Le Pen, professeur de sciences économiques à l’université de Paris-Dauphine, le rapport de M. Jean-Pierre Door indique toutefois que l’évaluation ex ante et la mise en œuvre de mesures proportionnées étaient impossibles : « la réponse peut également être excessive “par crainte d’une réponse insuffisante”. C’est alors la logique même du principe de précaution qui doit être mise en cause : celle-ci serait immanquablement vouée à l’échec, car “comment proportionner une réponse à un risque inconnu” ? Néanmoins, ici encore, c’est toujours seulement ex post que peut être jugée la décision prise, une fois le risque totalement connu. Or, un jugement ex post, pour être objectif, suppose d’analyser la décision politique dans le contexte où elle a été prise. » (33)

Le rapport de M. Jean-Pierre Door opère donc une synthèse des contributions des experts entendus par la commission d’enquête, sans souligner qu’ils sont en désaccord. Tandis que M. Tabuteau et M. Houssin plaident pour des mesures proportionnées, réévaluées de façon permanente en fonction des informations disponibles, M. Claude Le Pen juge ces dispositions impossibles à mettre en œuvre (34): « je suis en léger désaccord avec Didier Tabuteau […] sur le principe de précaution. La réponse a été excessive par crainte d’une réponse insuffisante. L’application du principe de précaution, inscrit dans la Constitution, pose un énorme problème. En effet, […] comment proportionner une réponse à un risque inconnu ? C’est précisément ce qui conduit à la disproportion, par crainte de ne pas faire assez. La même question se pose pour le “coût acceptable”. Le texte est certes pédagogique, mais il est inapplicable ». Il ajoute plus loin : « Quant à changer de politique en cours de route, c’est très difficile. La tentation d’un gouvernement est de rester droit dans ses bottes, de peur de troubler davantage l’opinion publique en changeant de politique. »

c) Les débats parlementaires

Lors de la réunion de la commission d’enquête le 6 juillet 2010, Mme Catherine Lemorton s’est interrogée sur l’absence de révision des décisions prises par le Gouvernement au regard des nouvelles informations disponibles : « Selon le rapport, page 37, “la moindre virulence du virus A(H1N1) s’est précisée à partir du mois de septembre avec le premier bilan qui a pu être dressé de la phase pandémique dans l’hémisphère Sud”. Comment expliquer, dès lors, la persistance du Gouvernement à rester « droit dans ses bottes » pour mettre en œuvre un plan quasiment militaire ? »

La réponse du rapporteur témoigne de la synthèse rapide que son rapport opère et de la confusion relative à la définition du principe de précaution qu’elle entraîne : « En ce qui concerne les principes de précaution et de prévention, je me permets de vous renvoyer à la page 35 du rapport définissant le premier comme “un principe de proportionnalité”, la précaution s’exerçant à l’endroit d’un risque méconnu. Je cite également à la page suivante M. Claude Le Pen, professeur de sciences économiques, s’interrogeant précisément sur la difficulté à “proportionner une réponse à un risque inconnu”. J’ajoute que le rapport de M. Alain Gest fait lui-même état de l’application d’un tel principe à propos du virus de la grippe A(H1N1). »

Le point de vue du rapporteur a été contesté par M. Jean Mallot, vice-président du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, lors de la réunion de la commission d’enquête du 6 juillet 2010. Il indique en effet qu’« il n’est pas approprié d’invoquer, dans l’affaire qui nous occupe, le principe de précaution : il suffit pour s’en convaincre de relire l’article 5 de la Charte de l’environnement. Le pré-rapport rédigé par nos collègues Alain Gest et Philippe Tourtelier, au nom du Comité d’évaluation et de contrôle, démontre d’ailleurs que ce principe fait l’objet d’une utilisation abusive, qui en dénature profondément l’esprit. Il serait donc opportun de supprimer cette notion du rapport, pour la remplacer par une référence au principe de prévention. »

M. Michel Lejeune, soutenu sur ce point par Mme Catherine Génisson, a également émis le souhait de voir « remplacer la mention du “principe de précaution” par celle du “principe de prévention”, car nous étions en l’occurrence informés des risques encourus. »

Vos rapporteurs relèvent que la grippe A(H1N1) n’est pas évoquée comme relevant d’une situation de précaution, dans le rapport d’information du CEC. Celui-ci indique en effet : « On pourrait considérer que cette privatisation et cette individualisation de l’usage du principe de précaution ont pu être observées lors de la campagne de vaccination contre la pandémie de grippe H1N1. En effet, alors que la mise en œuvre de cette campagne relevait clairement d’une démarche de prévention face à un risque pandémique avéré, le caractère non obligatoire de cette vaccination a conduit à ce que chacun devienne juge des bénéfices et des risques, pour soi, de l’acte de vaccination. » (35).

Par ailleurs, vos rapporteurs ont également rappelé dans leurs travaux précédents que le principe de précaution n’était pas un principe d’urgence, mais appelait une démarche raisonnée et documentée, permettant d’aboutir à des mesures proportionnées aux risques identifiés et surtout provisoires. Ils s’associent donc aux points de vue développés par MM. Tabuteau et Houssin, tout en prenant acte des difficultés pour les autorités publiques de justifier des décisions provisoires et leur fréquente réévaluation, évoquées par M. Le Pen.

2. Mediator : des mesures d’application du principe de précaution réclamées par l’Afssaps

Le ministre chargé du travail, de l’emploi et de la santé a saisi, le 29 novembre 2010, l’Inspection générale des affaires sociales d’une mission d’enquête relative au Mediator (36), à la suite de la suspension, le 26 novembre 2009, par l’Agence de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), de l’autorisation de mise sur le marché du benfluorex – principe actif du Mediator, sur le fondement de données de pharmacovigilance enregistrées pour l’essentiel dans l’année précédant sa décision et d’une étude de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) établissant l’existence d’un surrisque d’hospitalisation et d’intervention chirurgicale pour valvulopathie chez les patients traités avec le benfluorex.

a) Le principe de précaution explicitement cité dans le rapport de l’Igas 

La raison principale de l’échec collectif du système de pharmacovigilance est à rechercher, selon la mission de l’Igas, « dans l’insuffisance de culture de santé publique et en particulier dans un principe de précaution fonctionnant à rebours ». Plus précisément, la mission relève que, de 1995 à 2005, le benfluorex a été abordé au cours de dix-huit réunions du comité technique de pharmacovigilance (CTPV) – lequel est alimenté par des notifications de cas, effectuées par les comités régionaux (CRPV) et chargé de préparer la réunion de la commission nationale (CNPV) – avant d’être abordé en tant que tel à la commission nationale de pharmacovigilance, dix ans plus tard. En 1999, le CRPV de Besançon signalait pourtant un premier cas d’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), une maladie rare et mortelle, survenu chez un patient traité uniquement avec le Mediator.

De façon inexplicable, selon la mission, cette information n’est jamais parvenue à la CNPV, alors même que l’Afssaps en disposait. Le rapport cite à cet égard un article sur la pharmacovigilance dans le traité de pharmacologie du Pr. Giroud qui indique que dans ce domaine « un seul cas peut à la limite suffire à démontrer la capacité que possède un médicament de produire un effet donné. » En l’occurrence, la mission a estimé qu’étant donné la rareté des cas d’HTAP et s’il avait été tenu compte dans l’évaluation du risque de la sous notification des cas, le risque décelé par la CRPV de Besançon aurait alors justifié le retrait du Mediator. La mission en conclut que si le principe de précaution avait été appliqué, le Mediator aurait été retiré du marché dès 1999 (37).

Toutefois, si l’on considère que la précaution s’applique en présence d’un risque encore incertain, le stade de la précaution proprement dite était sans doute déjà dépassé. En tout état de cause, à la lecture du rapport de l’Igas, il semble que le système de pharmacovigilance n’a mis en œuvre ni le principe de prévention – en cas de risque avéré – ni le principe de précaution – en cas de risque suspecté mais incertain.

Enfin, les inspecteurs de l’Igas notent que « dans cette affaire, comme dans d’autres passées et malheureusement à venir, ce n’est pas l’excès du principe de précaution qui est en cause mais le manque de principe de précaution ». Elle ajoute que « la chaîne du médicament fonctionne aujourd’hui de manière à ce que le doute bénéficie non aux patients et à la santé publique mais aux firmes. Il en va ainsi de l’autorisation de mise sur le marché qui est conçue comme une sorte de droit qu’aurait l’industrie pharmaceutique à commercialiser ses produits […] La prise en compte du risque nécessite de fortes certitudes scientifiques. » La mission évoque même dans le corps du rapport « un principe de précaution qui ne profite pas aux malades mais aux laboratoires »(38)

b) Un besoin de précision exprimé par l’Afssaps

Le principe de précaution est également évoqué à plusieurs reprises par l’Afssaps, dans ses observations sur le rapport de l’Igas qui lui a été communiqué au titre de la procédure contradictoire le 13 janvier 2011.

En réponse à la critique formulée par le rapport d’une culture du « légalisme » qui prévaudrait à l’Afssaps, cette dernière a estimé que les insuffisances constatées étaient en partie imputables au « niveau de contrainte bien réel que les textes en vigueur et la jurisprudence font peser sur [ses] décisions, dans des domaines d’activité ou les opérateurs économiques ont tous les moyens nécessaires pour utiliser pleinement les voies de contestation rapide des décisions de l’Agence devant les tribunaux. » Elle rappelait également « les difficultés scientifiques et réglementaires qui ont dû être surmontées pour mener à bien le retrait du marché des anorexigènes fenfluraminiques, pour lequel les décisions de retrait ont été attaquées en justice, notamment pour insuffisance de preuves. »

L’Afssaps ajoutait que « contrairement à une croyance largement répandue, l’inscription du principe de précaution dans la constitution de notre pays n’a en rien accru la marge de manœuvre juridique de l’autorité sanitaire du point de vue de l’intensité du contrôle complet que le juge exerce sur la motivation des décisions de police sanitaire. Il contrôle en effet toujours que la mesure retenue est strictement proportionnée aux données disponibles sur le risque au regard du bénéfice »

Elle conclut que « si l’on souhaite qu’une agence comme l’Afssaps, dont les décisions engagent la responsabilité de l’État, puisse pratiquer avec une sécurité juridique des retraits d’autorisation sur un terrain de pure précaution et disposer d’une marge de manœuvre pour choisir systématiquement une mesure plus forte en cas de doute, il faut s’interroger sur les modifications législatives que cela nécessiterait. »

c) Les enjeux de la mise en œuvre du principe de précaution dans le domaine du médicament et des produits de santé

Les rapporteurs ont reçu les représentants de la nouvelle direction de l’Afssaps pour évoquer ses moyens d’action juridiques en régime de précaution et les modifications législatives suggérées.

L’agence a alors rappelé que le principe de précaution fait partie des normes qui s’imposent à elle, par l’intermédiaire du droit communautaire. Dans une contribution écrite, elle a bien indiqué que ce principe « impose de suspendre ou de retirer une AMM en présence de données nouvelles suscitant des doutes sérieux quant à la sécurité du médicament considéré ou à son efficacité, lorsque ces doutes conduisent à une appréciation défavorable du bilan bénéfice/risque présenté par ce médicament. Dans ce contexte, les autorités sanitaires peuvent se limiter à fournir, conformément au régime commun du droit de la preuve, des indices sérieux et concluants, qui sans écarter l’incertitude scientifique, permettent raisonnablement de douter de l’innocuité et/ou de l’efficacité du médicament. »

Comme l’avaient souligné les auteurs du présent rapport dans leurs premiers travaux, l’Afssaps a précisé que « cette réévaluation du rapport bénéfice/risque se traduit par la prise de mesures adaptées et proportionnées qui sont à “réajuster” dans le temps, en fonction de l’évaluation de nouvelles données qui peuvent impacter le rapport bénéfice/risque. » L’agence relevait également que « la précaution doit toujours être appréhendée en termes de bénéfice/ risque et non de risque zéro. Cela implique une réévaluation en permanence ».

Dans ce cadre, l’agence a confirmé l’importance du contentieux autour des autorisations de mise sur le marché (AMM) : « il convient de rappeler que des actions contentieuses devant les juridictions administratives ont été engagées par les laboratoires dès les premières mesures restrictives de commercialisation des spécialités anorexigènes de l’Agence du médicament ». Les procédures de retrait initiées en 1999 ont abouti en 2004 et 2005. Les contestations des décisions de l’agence s’appuient aujourd’hui essentiellement sur l’obligation qui est la sienne de remettre en cause, par des éléments nouveaux, postérieurs à la délivrance de l’AMM, le caractère favorable de la balance bénéfices/risques.

L’Afssaps concluait sur la nécessité d’une réforme transposant dans le droit français les dispositions de la directive 2010/84/UE, modifiant la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain définit des règles harmonisées concernant l’autorisation, la supervision et la pharmacovigilance applicables aux médicaments à usage humain dans l’Union européenne, qui entrera en vigueur le 2 juillet 2012.

Elle a ainsi souligné les enjeux de la mise en œuvre du principe de précaution dans le domaine sanitaire : « compte tenu du très haut degré d’harmonisation du droit communautaire pharmaceutique, les mesures ainsi prises par une autorité nationale comme l’Afssaps en fonction de l’état de santé de sa population, doivent être “partagées” par les autorités communautaires et les autres États-membres, alors que ceux-ci n’ont pas forcément la même acception du rapport bénéfice/risque concernant ce produit. »

d) Des avancées portées par une récente directive européenne

En 2004, la Commission européenne a lancé une enquête afin d’évaluer le système de pharmacovigilance de l’Union. D’après l’Afssaps, « au vu de l’expérience acquise et après l’évaluation par la Commission du système de pharmacovigilance de l’Union européenne, il est apparu clairement qu’il était nécessaire de prendre des mesures en vue de renforcer, de rationaliser et d’améliorer la mise en œuvre de la législation de l’Union sur la pharmacovigilance des médicaments. »

L’agence souligne plusieurs axes de réformes, portés par la directive, parmi lesquels l’amélioration du renforcement des obligations incombant au titulaire de l’AMM et le renforcement des pouvoirs des autorités compétentes relatives à l’octroi et au suivi de celles-ci : « Il est désormais possible d’assortir l’AMM de conditions particulières tendant à garantir la sécurité du produit autorisé et d’exiger du titulaire, après l’octroi de l’AMM, des études supplémentaires de sécurité post autorisation s’il existe des craintes quant aux risques de sécurité posés par un médicament ou d’efficacité post autorisation lorsque la compréhension de la maladie ou la méthodologie clinique indique que les évaluations d’efficacité antérieures pourraient devoir être revues de manière significative. » En d’autres termes, elle introduit une forme de renversement de la charge de la preuve, qui reposait auparavant sur l’agence.

L’Afssaps souligne également que les procédures décisionnelles ont été simplifiées. La base Eudravigilance « deviendra le point unique de réception des notifications provenant des titulaires d’AMM et des Autorités compétentes permettant ainsi une détection plus rapide et efficace des signaux de pharmacovigilance. En outre, les patients sont encouragés à déclarer directement les effets indésirables auprès des autorités compétentes. » Le recours à « la “procédure d’urgence de l’Union”, devant être engagée lorsqu’un signal de pharmacovigilance a été détecté et nécessite une évaluation rapide de la sécurité d’emploi […] est élargi. »

Le ministre du Travail, de l'emploi et de la santé a présenté, avec la secrétaire d'État chargée de la santé, un projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, n° 3714, déposé le 1er août 2011 sur le bureau de l’Assemblée nationale, transposant notamment ces dispositions. Le principe de précaution n’est pas mentionné dans le projet de loi et n’a pas été évoqué pendant les débats en première lecture à l’Assemblée nationale. Mais les articles 6 et 7 du projet introduisent en droit français les dispositions de la directive 2010/84/UE. Selon M. Arnaud Robinet (39), rapporteur au fond sur le projet de loi pour la commission des Affaires sociales, l’article 7 « prévoit la possibilité pour la nouvelle agence de suspendre ou modifier l’autorisation de mise sur le marché d’un médicament si celui-ci est nocif ou présente une balance négative entre les bénéfices et les risques. Il s’agit ici de renforcer le principe de précaution trop longtemps oublié en la matière et renverser la charge de la preuve en faveur du patient. »

3. Perturbateurs endocriniens : la difficile détermination et justification de mesures proportionnées et provisoires

Dans leur rapport initial, les auteurs du présent rapport ont fait état des mesures de précaution relatives aux produits susceptibles d’être des perturbateurs endocriniens, prises par les autorités publiques. Le rapport initial citait la loi n° 2010-729 du 30 juin 2010 suspendant la commercialisation de biberons produits à base de Bisphénol A, en soulignant que « les débats parlementaires ont en l’espèce fait apparaître la préoccupation du caractère lacunaire de son dispositif, qui ne traiterait que l’une des sources éventuelles d’exposition au bisphénol A. » Il précisait également que « le Gouvernement s’[était] engagé à poursuivre le débat devant la représentation nationale en janvier 2011, afin d’examiner s’il serait opportun d’étendre à d’autres produits que les biberons la suspension... » (40) L’article 2 de la loi prévoyait en effet que le Gouvernement remettrait au Parlement un rapport sur les mesures envisagées pour réduire l’exposition humaine aux perturbateurs endocriniens. Le rapport a été transmis, dans une version provisoire, début mars 2011, puis dans sa version définitive le 14 avril de la même année.

a) Une procédure a priori rigoureuse

La mise en œuvre du principe de précaution peut apparaître comme satisfaisante, s’agissant des perturbateurs endocriniens.

Confronté à un risque émergent, reconnu comme incertain par la communauté scientifique, le Gouvernement a mobilisé les agences de sécurité sanitaire, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et les organismes de recherche, mettant en place un programme national de recherche sur les perturbateurs endocriniens.

Sur la base des recommandations des agences, et à l’issue de plusieurs débats parlementaires, dans les commissions, au sein de l’Office parlementaire de l’évaluation des choix scientifiques et techniques (Opecst), et en séance publique, une première mesure provisoire de suspension a donc été mise en œuvre pour le bisphénol A, proportionnée au risque plus important pour les femmes enceintes et les jeunes enfants.

Les travaux de recherche se sont poursuivis, de façon à permettre une réévaluation régulière de la balance bénéfices-risques. Dans le même temps, d’autres initiatives parlementaires ont soulevé des questionnements similaires pour d’autres catégories de produits susceptibles d’être des perturbateurs endocriniens : ainsi, le 13 juillet 2010, M. Yvan Lachaud et plusieurs de ses collègues ont déposé une proposition de loi n° 2738, visant à interdire l'utilisation des phtalates, des parabènes et des alkylphénols.

Le 22 juin 2010, MM. Gérard Bapt et Jean-Marc Ayrault et Mme Marisol Touraine et plusieurs de leurs collègues ont déposé une proposition de loi n° 3584, visant à la suspension de la fabrication, de l'importation, de l'exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A. Comme le souligne la rapporteure au fond, Mme Michèle Delaunay (41), les mesures de suspension, puis d’interdiction, proposées, s’appuie sur les « avis de l’Afssa de janvier et juin 2010 [qui] font état de signaux d’alerte » et sur « les conclusions de l’expertise collective de l’ANSeS publiées le 27 septembre 2011 [qui] montrent les dangers avérés du bisphénol A ». La proposition de loi a été adoptée à l’unanimité en première lecture à l’Assemblée nationale le 12 octobre 2011.

b) Des débats persistants sur l’adéquation et la justification des mesures

L’interdiction des phtalates, des parabènes et des alkylphénols proposée par M. Yvan Lachaud est plus discutée. La commission des affaires sociales, saisie au fond, a désigné ce dernier rapporteur, le 31 mars 2011. En réunion de commission sur le texte, le 5 avril 2011, il affirmait que « s’il est un domaine où le principe de précaution doit s’appliquer, c’est bien en effet la santé humaine ». Il soulignait que « la proposition de loi ne remet évidemment pas en cause le travail accompli par nos agences sanitaires » Il juge toutefois nécessaire de réinterroger la proportionnalité des mesures prises, même en l’absence de conclusions scientifiques plus abouties, et leur périmètre : « le champ est vaste et les expertises exigent du temps […] Le législateur doit-il pour autant attendre, alors qu’il est tout à fait à sa portée, si ce n’est d’interdire du jour au lendemain, du moins de suspendre la production et la commercialisation des produits contenant des substances potentiellement dangereuses ? »

Dans son rapport (42), M. Yvan Lachaud utilise des termes voisins de ceux employés dans le rapport d’information du CEC sur le principe de précaution : « Votre rapporteur est conscient que les mesures à prendre doivent non seulement servir l’objectif de protéger la santé de nos concitoyens mais également qu’elles doivent être justifiées et proportionnées (43). Du point de la justification, les éléments mis en évidence par le présent rapport, voire l’absence de donnée tangible, parlent d’eux-mêmes. En termes de proportionnalité, il est clair que l’interdiction des produits visés dans la proposition de loi pose le problème de la faisabilité technique d’une substitution. Si, dans le cas des phtalates, les experts semblent considérer que la mise sur le marché, à court terme, de produits de substitution ayant les mêmes propriétés de résistance et de flexibilité n’est pas réaliste en particulier dans le secteur médical, il est inexact d’affirmer que les solutions de rechange n’existent pas. […] Votre rapporteur considère toutefois que ces produits de substitution doivent impérativement faire la preuve de leur innocuité et de leur efficacité pour être valablement retenus. » Le rapporteur admet donc que sa proposition de loi « est certes radicale dans ses effets, puisque son champ d’application couvre des familles entières de produits chimiques dans toutes leurs utilisations […] il faut donc l’affiner… » Il ajoute qu’il souhaite essentiellement « que le débat ait lieu. »

Saisi au moment des débats sur la loi du 30 juin 2010 visant la suspension de la fabrication des biberons contenant du bisphénol A, l’Opecst a publié le 12 juillet 2011 le rapport confié au sénateur M. Gilbert Barbier sur « les perturbateurs endocriniens : le temps de la précaution » (44). Le rapporteur juge « ni utile, ni applicable » une interdiction générale telle que préconisée par la proposition de loi de M. Yvan Lachaud.

La proportionnalité des mesures d’interdiction a également suscité des débats en commission et en séance publique. En commission, M. Paul Jeanneteau a ainsi estimé qu’une interdiction était disproportionnée et prématurée : « Les agences de sécurité sanitaire et l’Inserm ont également été chargées d’évaluer les risques des substances suspectées d’agir sur le système endocrinien. Le Gouvernement a d’ailleurs transmis un rapport préliminaire au Parlement au mois de mars. Les résultats définitifs de ces expertises, qui devraient être connus dans l’année, permettront d’ajuster et de compléter les actions déjà entreprises. Mieux vaut donc attendre avant de légiférer. […] Il apparaît néanmoins “nécessaire”, indique l’exposé des motifs, “de réduire l’exposition de la population à ces molécules, au nom du principe de précaution, dès aujourd’hui, sans attendre les résultats d’études à venir.” Si tel est le principe, interdisons immédiatement les produits que nous savons extrêmement dangereux et particulièrement cancérigènes, comme les cigarettes ! »

M. Jean Mallot a également soutenu ce point de vue : « Je m’interroge, en revanche, sur le caractère provisoire et proportionné des mesures proposées. Si l’on peut admettre, au nom du principe de précaution, l’interdiction de certaines substances quand des études scientifiques laissent penser qu’elles pourraient avoir des effets nocifs, une mesure générale d’interdiction ne serait ni provisoire, ni proportionnée. »

Enfin, lors du débat en séance publique du 14 avril 2011, M. Michel Raison a rappelé que « la publication des résultats [des] différentes études est attendue dans le cadre du plan national santé-environnement qui s’achèvera en 2013. » Pour autant, cette attente paraît problématique, du point de vue de M. Yvan Lachaud : « on ne peut aujourd’hui rester inactif face à un danger potentiel. Nos concitoyens, alertés par de multiples sources d’informations, inquiets et, il faut le dire, désormais méfiants vis-à-vis des décisions publiques qui sont prises en matière de sécurité sanitaire, doivent être rassurés. Ils attendent de la Nation qu’elle les protège effectivement et préventivement contre les risques. Peut-on encore décevoir leurs attentes ? »

Le choix et la justification des mesures les plus adéquates par les autorités publiques en situation d’incertitude demeure donc un enjeu important. Pour tenir compte de leur caractère provisoire, les rapporteurs estiment souhaitable que les conditions de réexamen de ces mesures soient définies lorsqu’elles sont prononcées, en précisant les facteurs d’évolution de la balance bénéfices – risques.

Les débats parlementaires illustrent toutefois un autre enjeu : celui du poids de l’état de « l’opinion publique » sur le moment et les formes de la décision publique. À cet égard, vos rapporteurs ont souligné les vertus du débat public et réaffirment qu’il doit contribuer à la recherche d’un consensus sur les décisions publiques et à rassurer effectivement nos concitoyens, parfois légitimement inquiets face à « l’actualité ».

4. Téléphonie mobile : une mise en œuvre toujours problématique

Dans leurs premiers travaux, les auteurs du présent rapport ont souligné que si « l’absence de risques liés aux antennes relais rassembl[ait] aujourd’hui un quasi-consensus dans la communauté scientifique […] l’éventualité d’effets sanitaires à long terme de l’exposition aux téléphones mobiles [n’était] pas écartée. » Ils ajoutaient qu’« il est d’ailleurs regrettable que cette appréciation circonstanciée contraste avec une jurisprudence fluctuante […] sans qu’à ce jour la Cour de cassation ait été en mesure de statuer définitivement sur la question. » (45)

Aujourd’hui, si les travaux de recherche se poursuivent, au niveau national et international, apportant des éléments supplémentaires d’appréciation des risques, la jurisprudence reste préoccupante.

a) La poursuite du débat public sur la base des travaux nationaux et internationaux de recherche

Le 31 mai 2011, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a classé les champs électromagnétiques de radiofréquences comme « peut-être cancérogènes pour l’homme (groupe 2B) », sur la base d’un risque accru de gliome, un type de cancer malin du cerveau, associé à l’utilisation du téléphone sans fil (46). Le docteur Jonathan Samet (Université de Californie du Sud, États-unis), président du groupe de travail, a indiqué que « les données, qui ne cessent de s’accumuler, sont suffisantes pour conclure à la classification en 2B. Cette classification signifie qu’il pourrait y avoir un risque, et qu’il faut donc surveiller de près le lien possible entre les téléphones portables et le risque de cancer. » (47).

M. Christopher Wild, directeur du CIRC, a déclaré qu’« étant donné les implications de cette classification et de ces résultats pour la santé publique, il est crucial que des recherches supplémentaires soient menées sur l’utilisation intensive à long terme des téléphones portables […] En attendant qu’une telle information soit disponible, il est important de prendre des mesures pratiques afin de réduire l’exposition, comme l’utilisation de kits mains‐libres ou des textos. »

Le groupe de travail du CIRC s’est appuyé sur plus d’une centaine de travaux de recherche, dont les plus récents ont été fournis par l’étude internationale Interphone du 17 mai 2010, dont les résultats ont été mis à la disposition du groupe de travail, avant leur publication officielle, et inclus dans son évaluation.

En France, comme l’ont rappelé les auteurs du présent rapport dans leurs premiers travaux (48), plusieurs mesures avaient été prises à la suite des travaux des 25 mai et 16 octobre 2009 sur les thèmes « radiofréquences, santé et environnement » organisés par le Gouvernement, dans le cadre du projet de loi portant engagement national pour l’environnement, dit « Grenelle II ». Ces mesures, qui figurent à l’article 183 de la loi, sont relativement similaires aux préconisations formulées par le directeur du CIRC : par exemple, l’obligation de commercialiser, avec tout téléphone portable, un kit « main-libre », ou encore le renforcement des obligations de mesure des ondes électromagnétiques et de mise à disposition des résultats.

La poursuite de l’évaluation scientifique faisait explicitement partie des préconisations faites par l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Affset) dans son avis, rendu public le 14 octobre 2009. Selon le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, le transfert des missions de la fondation « Santé et radiofréquence » à l’Affset, devenue depuis l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSeS) n’a pas réduit le rythme des publications et des travaux de recherche dans ce domaine.

Dans sa réponse écrite du 3 mai 2011 aux questions posées par les auteurs du présent rapport dans le cadre de leurs travaux de suivi, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche fait état d’un nouveau dispositif, créé en 2011, au sein de l’ANSeS et appuyé sur trois piliers :

« un groupe de travail permanent “Radiofréquences et santé” composé d’une douzaine d’experts scientifiques indépendants est chargé de suivre “en temps réel” les publications scientifiques pour actualiser, si nécessaire, l’expertise collective relative aux effets sanitaires des radiofréquences (2009), répondre aux besoins ponctuels d’appuis scientifiques et techniques et proposer notamment des orientations de recherche » ;

« un programme de recherche “Radiofréquences et santé”, doté de 2 millions d’euros par an. Piloté par un conseil scientifique dédié, il lancera un appel à projets de recherche annuel suivant le même calendrier que celui du programme “Environnement Santé Travail”. » Ce programme de recherche est financé par une taxe additionnelle à l’imposition forfaitaire des entreprises de réseaux (IFER) applicable aux stations radioélectriques – représentant un supplément de 5% de taxe sur ces stations – instituée par un amendement du projet de loi de finances pour 2011, adopté le 6 novembre 2010 par l’Assemblée nationale (49;

- et enfin « un comité de dialogue “Radiofréquences et santé” complète ce dispositif. Réunissant l’ensemble des parties prenantes – associations, opérateurs et constructeurs, collectivités et syndicats -, ce comité a pour mission d'éclairer l'Agence sur les attentes de la société. Il aspire ainsi à être un lieu d'échange, de réflexion et d'information sur les questions scientifiques relatives aux effets potentiels des radiofréquences sur la santé et à leur évaluation. L'ancrage du comité à l'ANSeS permettra de nourrir les orientations de travail tant du comité scientifique en charge du programme de recherche dédié que du groupe de travail permanent. ».

b) Des décisions des juridictions judiciaires qui continuent à poser question

Dans leurs précédents travaux, les rapporteurs ont évoqué l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles le 4 février 2009. Le raisonnement juridique adopté par les magistrats, sans toutefois se réclamer explicitement du principe de précaution, aboutissait à exiger le démantèlement de l’antenne Bouygues Telecom, sur la base du trouble, jugé anormal, entraîné par l’absence de preuves définitives sur l’innocuité de l’antenne relais incriminée. Selon le rapport du CEC, l’absence de prise en compte par la Cour d’appel « d’une quelconque considération relative à l’utilité collective des antennes relais, qui aurait pu permettre d’effectuer, dans le cadre d’une bonne application du principe de précaution, un calcul bénéfices/risques des implantations » paraissait en l’espèce susceptible de donner lieu à des « dérives préoccupantes » (50).

Il est donc important de noter l’arrêt du 15 septembre 2011 de la Cour d’appel de Montpellier (51), dans une affaire similaire, opposant vingt-six riverains d’une antenne relais à la société SFR.

La Cour d’appel, saisie en appel d’une ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Perpignan du 6 mai 2010, relève en effet que « les mesures [d’ondes] ont été réalisées avant la mise en service du site […] de sorte que le public, dont font partie les riverains immédiats, est toujours dans l’ignorance des mesures de l’intensité des champs électromagnétiques après mise en service de la station relais, et donc du strict respect des normes par la société SFR. » Elle ajoute qu’il existait une solution alternative à l’implantation de l’antenne à proximité de riverains et « que ce n’est qu’en raison de considérations économiques (à savoir, aux dires de la société SFR, le souhait de la Commune de percevoir elle-même le loyer) que cette solution n’a pas été retenue. »

La Cour d’appel estime qu’il « convient surtout de relever que la crainte dont font état les demandeurs […] peut légitimement résulter de ce qu’ils n’ont aucune garantie de l’absence d’un risque sanitaire généré par l’antenne relais » Elle s’appuie à cet égard sur une étude fournie par les requérants : « le rapport international Bio Initiative d’août 2007 » et se contente de citer l’étude Interphone, dont les conclusions ont été rendues publiques le 17 mai 2011, qu’elle juge cependant « toujours en cours ».

Il est surprenant de voir la Cour s’appuyer sur ce seul rapport, daté de 2007, par ailleurs critiqué par de nombreuses instances scientifiques, alors que d’autres publications scientifiques plus récentes et plus reconnues sont disponibles, en particulier l’étude Interphone susmentionnée. Le 3 mars 2009, l’Académie nationale de médecine avait déjà publié une « mise au point » sur les risques des antennes relais (52) s’étonnant « qu’une décision de justice ait pu ne retenir, parmi l’ensemble des études disponibles sur le sujet, que celles allant dans le sens du plaignant. Par exemple le rapport BioInitiative, pourtant récusé par des autorités légitimes en la matière comme le Health Council des Pays Bas ».

Faisant référence à divers rapports et à la réévaluation des mesures de précaution prises au niveau communautaire ou national (53), la Cour d’appel de Montpellier a jugé « qu’en l’état de ces recommandations expresses et pressantes émanant de diverses autorités européennes et françaises, la société SFR se devait de respecter le principe de précaution, édicté à l’article 110-1 du Code de l’environnement selon lequel l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées, visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles… »

La Cour d’appel de Montpellier conclut finalement, à l’instar de la Cour d’appel de Versailles, que la crainte des requérants « constitue un trouble manifeste et un danger imminent que seul le démantèlement de la station relais est en mesure de faire cesser. »

Cet arrêt renouvelle donc les craintes d’une mauvaise application du principe de précaution par les juridictions nationales, d’autant plus que le principe est mentionné clairement par la Cour d’appel de Montpellier. Il faut souhaiter que la société SFR, contrairement à la société Bouygues Telecom, se pourvoie en cassation pour donner l’occasion à la haute juridiction de se prononcer sur cette interprétation.

c) L’évolution de la jurisprudence du Conseil d’État

À l’occasion d’une décision du 19 juillet 2010 (54), le Conseil d’État a opéré un important revirement de jurisprudence en admettant l’applicabilité du principe de précaution en matière d’urbanisme, et notamment aux antennes relais. Le litige portait sur l’implantation d’une antenne, contestée par une association de riverains, sur le territoire de la commune d’Amboise. Remettant en cause le principe, qui avait prévalu jusqu’alors, d’indépendance des législations environnementale et urbanistique, le Conseil d’État a jugé que le principe de précaution était applicable, même sans texte, au droit de l’urbanisme, s’agissant d’autorisations d’urbanisme délivrées pour l’implantation d’antennes relais.

Le Conseil d’État avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur les risques présentés par les antennes relais (55). De manière constante, il avait considéré qu’en l’état des connaissances scientifiques, l’installation d’antennes relais n’apparaît pas présenter de risques sérieux prouvés pour la santé publique. Au cas d’espèce, après avoir admis l’applicabilité du principe de précaution en matière d’urbanisme, même sans texte, le Conseil d’État a en revanche confirmé sa jurisprudence antérieure sur les antennes relais, « considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que, en l'état des connaissances scientifiques sur les risques pouvant résulter, pour le public, de son exposition aux champs électromagnétiques émis par les antennes de relais de téléphonie mobile, le maire de la commune d'Amboise ait entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 5 de la Charte de l'environnement. »

En outre, le Conseil d’État s’est prononcé très récemment sur les compétences des autorités publiques en matière d’antennes relais, à l’occasion de trois décisions importantes rendues le 26 octobre 2011 (56). Examinant la légalité d’arrêtés par lesquels les maires de trois communes (Saint-Denis, Pennes-Mirabeau et Bordeaux) avaient entendu réglementer de façon générale l’implantation des antennes de téléphonie mobile sur le territoire de la commune, en justifiant leur intervention sur le fondement de leur compétence de police générale, au nom du principe de précaution, le Conseil d’État a jugé que, par les dispositions figurant aux articles L. 32-1, L. 34-9-1, L. 34-9-2, L. 42-1 et L. 43 du code des postes et des communications électroniques, le législateur a organisé de manière complète une police spéciale des communications électroniques confiée à l’État. Il a constaté qu’il appartient aux autorités nationales désignées par la loi, c’est-à-dire au ministre chargé des communications électroniques, à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) et à l’Agence nationale des fréquences (ANFR), qui peuvent s’appuyer sur une expertise non disponible au plan local, de veiller, dans le cadre de leurs compétences respectives, à la limitation de l’exposition du public aux champs électromagnétiques et à la protection de la santé publique.

Le législateur a certes par ailleurs prévu que le maire serait informé, à sa demande, de l’état des installations radioélectriques exploitées sur le territoire de sa commune. Si les articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales habilitent le maire à prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, pour autant, le maire ne saurait adopter, sur le territoire de sa commune, une réglementation relative à l’implantation des antennes relais de téléphonie mobile et destinée à protéger le public contre les effets des ondes émises par ces antennes, sans porter atteinte aux pouvoirs de police spéciale conférés aux autorités de l’État.

Le Conseil d’État a en outre précisé que le principe de précaution ne saurait avoir ni pour objet ni pour effet de permettre à une autorité publique d’excéder son champ de compétence et d’intervenir en dehors de ses domaines d’attributions. Il en a déduit que, même dans l’hypothèse où les valeurs limites d’exposition du public aux champs électromagnétiques fixées par décret ne prendraient pas suffisamment en compte les exigences posées par le principe de précaution, les maires ne seraient pas pour autant habilités à adopter une réglementation relative à l’implantation des antennes relais de téléphonie mobile et destinée à protéger le public contre les effets des ondes émises par ces antennes.

Le Conseil d’État précise toutefois que ces décisions ne préjugent pas de l’éventualité de décisions individuelles de police municipale que les maires pourraient prendre, notamment en cas d’urgence, concernant une antenne relais déterminée, au regard de circonstances locales exceptionnelles.

Ces divergences avec les juridictions judiciaires méritent d’être soulignées, dès lors que d’autres litiges en rapport avec l’application du principe de précaution ne manqueront pas de survenir.

À ce jour, si le Conseil constitutionnel a déjà eu l’occasion de se prononcer sur des questions prioritaires de constitutionnalité s’appuyant sur la Charte de l’environnement, seuls ses articles 1er, 2, 3 et 4 ont été invoqués (57). Il n’est pour autant pas exclu qu’une question s’appuyant sur à l’article 5 soit un jour posée, donnant au Conseil constitutionnel l’occasion de se prononcer sur la conformité de la législation en vigueur à cet article, et partant, de préciser sa portée, notamment s’agissant des obligations s’imposant à la puissance publique dans la mise en œuvre du principe de précaution.

En conclusion, l’examen des questions relatives au principe de précaution dans le domaine sanitaire met en évidence plusieurs enjeux. Tout d’abord, la mise en œuvre du principe dans le domaine sanitaire doit tenir compte des spécificités de ce domaine, en particulier pour les produits de santé. Comme le préconisait le rapport du CEC du 8 juillet 2010, elle doit s’appuyer sur le droit communautaire, qui organise aujourd’hui cette mise en œuvre autour d’exigences partagées : la balance bénéfices – risques, fondée sur une expertise indépendante, et le caractère proportionné et provisoire des mesures prises par les autorités publiques.

Ensuite, s’il paraît indéniable que la plupart des sujets liés au principe de précaution interviennent aujourd’hui dans le domaine de la santé, la distinction entre les questions relevant de la précaution et celles relevant de la prévention reste une difficulté persistante. L’interprétation à tout le moins discutable du principe de précaution est en effet fréquente dans les cas d’espèces évoqués supra. Elle est porteuse de potentiels conflits de normes et de jurisprudences, qu’il conviendrait d’éviter. C’est pourquoi les auteurs du présent rapport avaient vivement recommandé qu’une fonction d’identification du risque soit identifiée très tôt dans la mise en œuvre opérationnelle du principe de précaution, pour un sujet donné, et confié à une instance également identifiée.

Enfin, l’analyse des débats parlementaires a mis en évidence la difficulté pour les autorités publiques de définir des mesures proportionnées, de les justifier et plus encore de les réévaluer. Il est probable que l’organisation d’un débat public, dans des conditions satisfaisantes, contribue à la compréhension des mesures et de leur réexamen régulier. La transparence serait ainsi la réponse au sentiment de défiance parfois exprimé par nos concitoyens, vis-à-vis de choix à caractère scientifique, et ressenti par les parlementaires.

II.– LES RÉPONSES DU GOUVERNEMENT AUX RECOMMANDATIONS DES RAPPORTEURS

En application de l’article 146-3 du Règlement de l’Assemblée nationale, qui prévoit que « les recommandations du [CEC] sont transmises au Gouvernement », un exemplaire du rapport d’information sur la mise en œuvre du principe de précaution a été transmis, le 21 juillet 2010, à M. François Fillon, Premier ministre, à M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État, ministre de l’Écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, à Mme Chantal Jouanno, secrétaire d’État chargée de l’Écologie et à Mme Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, ainsi qu’à Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la Santé et des sports, qui n’avait pas pu participer au débat en séance publique.

A.– UNE IMPLICATION INÉGALE DES MINISTÈRES CONCERNÉS

1. Un engagement véritable de la part de la ministre chargé de l’environnement

Le 3 septembre 2010, M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État, ministre de l’Écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, a accusé réception du rapport d’information, indiquant que les services de son ministère étudieraient « attentivement les recommandations du Comité et apporter[aient] toutes les précisions nécessaires sur les mesures envisagées dans un délai de trois mois ».

a) Des réponses précises et circonstanciées de la part de la ministre

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, nommée ministre de l’Écologie, du développement durable, des transports et du logement le 14 novembre 2010, a adressé une réponse précise à M. Bernard Accoyer, Président de l’Assemblée nationale et président du CEC, le 6 décembre 2010, moins d’un mois après sa prise de fonctions. Elle y soulignait en premier lieu qu’elle « partage[ait] à la fois le constat et l’analyse faits dans ce rapport sur la situation actuelle de la mise en œuvre du principe de précaution prévu à l’article 5 de la Charte de l’environnement. » Ensuite, la ministre approuvait et reprenait à son compte la procédure en quatre étapes, définie par les rapporteurs (cf. infra). Enfin, elle proposait que « le Commissariat général au développement durable précise ce dispositif et indique, dans un délai de six mois, les nouvelles mesures réglementaires et éventuellement législatives ou d’organisation qui pourraient être nécessaires. »

Dans sa réponse à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, le 12 janvier 2011, le Président de l’Assemblée nationale se félicitait de voir « que, pour ce qui concerne [son] domaine de compétence, [la ministre fait siennes] l’essentiel de ces recommandations ». Il a approuvé le principe de la mission confiée par la ministre au Commissariat général au développement durable (CGDD) et émis le souhait de voir le CEC associé, à travers ses rapporteurs, à ces travaux.

Répondant à son tour au Président de l’Assemblée nationale et du CEC, par un courrier du 11 février 2011, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet a accueilli favorablement ces propositions de M. Bernard Accoyer, et a accepté le principe d’une participation de vos rapporteurs aux travaux du CGDD.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet ajoutait également que « le rapport du Comité de la prévention et de la précaution (CPP) sur “la décision publique en situation d’incertitude”, publié en mars 2010, ainsi que le rapport établi sur l’expertise en octobre 2010, à la demande de la commissaire générale au développement durable par le conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) et le conseil général de l’industrie, de l’énergie et des transports (CGIET), constitueront, au même titre que le rapport du CEC, de solides bases de travail pour enrichir la réflexion du CGDD. » Elle a bien voulu transmettre le rapport sur l’expertise du CGEDD et du CGIET, resté jusqu’alors interne à l’administration, à l’Assemblée nationale.

b) Une collaboration avec les services du ministère

Conformément aux souhaits du Président de l’Assemblée nationale et de la ministre chargée de l’environnement, vos rapporteurs ont donc rencontré Mme Michèle Pappalardo, commissaire générale au développement durable (CGDD), et ses services, le 13 avril 2011, pour évoquer les modalités de mise en œuvre de leurs recommandations, puis, le 8 juin 2011, Mme Dominique Dron, qui avait succédé à Mme Michèle Pappalardo le 2 mai 2011. Les travaux ont porté sur une comparaison des préconisations du CEC et des idées du CGDD pour le projet de rapport prévu à l’article 52 de la loi de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement (58), donnant lieu à une tentative d’harmonisation des positions.

Dans la mesure où la commissaire générale au développement durable avait demandé, dans la perspective de ses propres travaux, au CGEDD et au CGIET de réaliser une mission d’analyse et de propositions sur la problématique générale de l’expertise, les rapporteurs ont souhaité rencontrer les auteurs de ce rapport (59) pour connaître leur approche des enjeux relatifs à l’expertise en régime de précaution.

Les préconisations de ce rapport portent essentiellement sur la méthode et la déontologie de l’expertise : il s’agit notamment de bien distinguer l’expertise de la décision, d’adresser aux experts des questionnements explicites et clairs, de mettre en place des procédures de prévention des conflits d’intérêts et favorisant la transparence, de mieux restituer les opinions divergentes, de renforcer la participation citoyenne, en impliquant notamment les parties prenantes dans le processus d’expertise, et enfin de créer un Conseil supérieur de l’évaluation de la déontologie et des bonnes pratiques de l’expertise.

Enfin, le professeur Alain Grimfeld, président du CPP, a également été consulté sur la procédure préconisée et sur le rôle que le CPP pourrait y jouer.

2. Les limites d’une logique uniquement ministérielle

Dans sa lettre du 6 décembre 2010, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet a mis en évidence les limites d’une approche par ministère des questions relatives à la précaution : « alors même que la Charte fait référence à l’environnement, c’est bien souvent sur des sujets en relation avec la santé publique que le public ou les médias parlent du principe de précaution. La question de cette extension relève des compétences de M. le ministre du travail, de l’emploi et de la santé » (60).

Certaines limites de cette approche ont été soulignées par M. Bernard Accoyer dans sa réponse du 12 janvier 2011, qui observait que ce sujet « [..] mériterait […] une approche plus interministérielle, compte tenu des multiples dimensions qu’il recouvre potentiellement, notamment dans le domaine de la santé et de la recherche » (61).

De plus, il est apparu que d’autres ministres que les destinataires du rapport d’information avaient à connaître d’enjeux liés à la problématique de la précaution : M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d’État chargé de la consommation, a mis en place, en décembre 2010, une procédure autonome, inspirée par la précaution, à la suite de l’interdiction, prononcée en Belgique, de « tapis puzzles » contenant du formamide (62). Cet épisode rappelle que le ministère chargé de la consommation et la direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) ont un rôle à jouer dans la mise en œuvre du principe de précaution. La jurisprudence communautaire considère d’ailleurs que le principe de précaution concerne également la sécurité des consommateurs (63).

Dans sa réponse du 11 février 2011 au Président Bernard Accoyer, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet fait état d’une collaboration approfondie entre les services des ministères chargés respectivement de l’environnement et de la recherche : « je partage votre préoccupation sur ces différents points et c’est pourquoi j’ai confié cette mission au CGDD qui a une vocation transversale et interministérielle […] il accueille en son sein la direction de la recherche et de l’innovation qui anime des projets de recherche, aussi bien sur la gouvernance à cinq que sur les questions relatives à l’interface environnement - santé, et auprès de laquelle est placé le secrétariat du comité de la prévention et de la précaution (CPP) ».

3. Une contribution substantielle du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche

Après un premier envoi du 21 juillet 2010, un second courrier a été adressé par les rapporteurs, le 21 janvier 2011, à Mme Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, pour solliciter le ministère, en particulier sur les sujets le concernant plus spécifiquement tels que le renouvellement d’un effort de recherche en matière de toxicologie au service d’une mise en œuvre efficace du principe de précaution, la formation des experts, ou la mise en œuvre de la charte de l’expertise, établie en application des recommandations du comité « recherche » du Grenelle de l’environnement. Des échanges écrits et oraux avec le cabinet de la ministre ont permis de répondre aux interrogations de vos rapporteurs.

Dans sa réponse écrite, celui-ci a notamment affirmé qu’il « partage[ait] le constat établi dans la conclusion par les rapporteurs […] et qu’il [était] nécessaire de mettre en place une procédure globale, simple et comprise par tous qui puisse conforter le principe de précaution en principe d’action, notamment en matière de recherche. »

Par des réponses précises et circonstanciées ou en soulevant des questionnements nouveaux, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche s’est inscrit dans les réflexions sur l’amélioration de la mise en œuvre du principe de précaution. Il a également apporté des compléments utiles sur l’état actuel de la recherche, en particulier sur le thème « santé et radiofréquences » (64) et sur les alliances thématiques de recherche, qui facilitent la mobilisation de la communauté scientifique (cf. infra).

4. Une réponse attendue du ministère de la santé

Les travaux ayant conduit à la publication du rapport d’information avaient associé des représentants des administrations sanitaires. Outre M. Didier Houssin, alors directeur général de la santé, vos rapporteurs avaient entendu M. Marc Mortureux, directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), et M. Martin Guespereau, directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset). Ils avaient également auditionné, pour l’Académie nationale de médecine, les professeurs Maurice Tubiana et André Aurengo.

À la suite de sa publication, un exemplaire du rapport initial a été adressé par le Président du CEC à Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la Santé et des sports. Après sa nomination comme ministre du Travail, de l’emploi et de la santé, le rapport a été envoyé à M. Xavier Bertrand, qui en a accusé réception le 8 février 2011, indiquant qu’il prescrivait un nouvel examen attentif de celui-ci à ses services. En dépit d’un nouveau courrier de la part du Président de l’Assemblée nationale, également président du CEC, en date du 15 avril 2011, et d’un nouvel accusé de réception reçu le 13 mai 2011, les rapporteurs n’ont pas été en mesure d’échanger avec le cabinet du ministre ou avec ses services.

Le CGDD et le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche ont indiqué que les services du ministère de la santé n’avaient pas non plus souhaité participer à leurs travaux, ne s’estimant pas, semble-t-il, concernés par la problématique du principe de précaution, ni par celle de l’expertise.

Au regard des problématiques soulevées par l’affaire du Mediator et des commentaires formulées par l’Afssaps sur l’application du principe de précaution, vos rapporteurs ont pour leur part souhaité entendre le nouveau directeur général de l’agence, M. Dominique Maraninchi. Une réunion avec ce dernier, accompagné des représentants de ses services a permis d’aborder les enjeux spécifiques de la précaution dans le domaine du médicament et, plus largement, des produits de santé (cf. première partie).

Le peu d’implication apparente des services du ministère chargé de la santé dans les réflexions en cours sur le principe de précaution, ou plus généralement sur l’expertise, est problématique. Outre le fait qu’il existe des fondements juridiques communautaires solides à l’application du principe de précaution en matière sanitaire, le rapport d’information initial et les travaux de suivi font apparaître que c’est de façon prépondérante dans le domaine sanitaire que le principe est invoqué et fait l’objet de décisions judiciaires ; l’élaboration d’un modus operandi semble donc particulièrement nécessaire dans ce domaine également.

B.– LA NÉCESSITÉ D’UN DIALOGUE INTERMINISTÉRIEL SUR L’ORGANISATION DE LA PREMIÈRE ÉTAPE DE LA PROCÉDURE

Dans leur rapport initial, vos rapporteurs ont d’abord souligné la nécessité de « mettre en œuvre une fonction d’identification de l’émergence d’un risque » (65). Selon les conclusions du rapport d’information, la procédure d’instruction des risques émergents devrait être pilotée par une instance bien identifiée par le public et commencer par une analyse visant à déterminer si l’hypothèse d’un risque pour la santé ou l’environnement est plausible. Pour chaque sujet relevant de la précaution, cette instance devrait désigner un référent, qui piloterait la procédure et serait l’interlocuteur des parties prenantes et du public pour le sujet qui le concerne.

1. Un accord de principe de deux des ministères concernés sur le rôle qui pourrait être confié au Comité de la prévention et de la précaution

À travers leurs réponses respectives, les ministères chargés de l’environnement et de la recherche ont adhéré à la proposition qui leur était faite de ne pas créer de nouvelle structure et de confier au Comité de la prévention et de la précaution (CPP) cette fonction d’identification. L’évolution de la composition du CPP qui devrait en découler est également favorablement envisagée.

Dans sa réponse du 6 décembre 2010 (66), la ministre chargée de l’environnement a confirmé qu’elle « partage[ait] l’idée de confier à une instance la mission de réaliser une première analyse et d’éclairer les débats. Avec l’objectif de ne pas créer de nouvelle structure et après examen de l’existant, le Comité de la prévention et de la précaution, qui est rattaché au ministère chargé du développement durable, pourrait remplir ce rôle. […] Il conviendrait bien entendu de réexaminer et de renouveler ses missions, ainsi que sa composition. »

Dans sa contribution écrite, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche a estimé qu’il serait « salutaire qu’une instance gouvernementale puisse être en charge de l’identification d’un risque plausible pour l’environnement ou la santé ». De même, « pour autant que la mission, la composition et le positionnement du CPP subissent des évolutions, le MESR serait favorable à sa désignation en tant qu’instance d’identification des risques environnementaux et sanitaires plausibles. » Enfin, le MESR a également considéré que « la désignation, après identification d’un risque plausible par le comité, d’un référent agissant en chef de projet paraît bien adaptée aux objectifs de visibilité et de transparence recherchés et au caractère temporaire du projet. »

Toutefois, les deux ministères ont des positions différentes sur le positionnement du CPP. De plus, les conditions de la saisine de cet organisme suscitent des questions légitimes de la part des services sollicités, montrant également la nécessité d’un dialogue interministériel sur ces sujets.

2. L’absence de consensus sur le positionnement interministériel du CPP

Le rattachement interministériel du CPP semble constituer en l’état un point de désaccord entre les ministères concernés : alors que la ministre en charge de l’environnement ne le juge pas indispensable, de même que le président du CPP, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche considère qu’il s’agit d’une nécessité. Le ministère de la Santé a manifestement adopté une approche strictement ministérielle, qui s’avère problématique au regard du consensus exprimé par les autres ministères sur la nécessité d’une procédure qui concerne aussi le secteur sanitaire. Un arbitrage interministériel paraît donc s’imposer.

Ainsi, dans sa réponse précitée du 6 décembre 2010, la ministre chargée de l’environnement a indiqué qu’elle ne souhaitait pas, contrairement à vos rapporteurs, voir le CPP acquérir une dimension interministérielle : « il conviendrait bien entendu de réexaminer et de renouveler ses missions ainsi que sa composition. Mon ministère pourrait continuer d’en assurer le portage, eu égard à ses missions dans le domaine des risques ». Les fondements de ce point de divergence ne sont sans doute pas sans rapport avec le problème d’une approche par ministère de la question de l’encadrement de la mise en œuvre du principe de précaution, évoquée précédemment.

Dans sa contribution écrite, le MESR a en revanche estimé nécessaire de « mettre [la mission du CPP] en cohérence avec l’article 5 de la Charte de l’environnement », d’élargir les compétences du CPP « aux milieux de la recherche, de l’économie, de l’industrie, et de l’agriculture par la désignation ou proposition d’un quota de membres par les ministères chargés de ces différents secteurs » , ajoutant qu’il « serait nécessaire que ce comité soit interministériel ou rattaché directement au Premier ministre. »

Favorable à l’évolution des missions du comité, le Professeur Alain Grimfeld, président du CPP, a estimé qu’il devrait s’adjoindre deux membres compétents dans le champ des sciences humaines. Si le rattachement interministériel du CPP ne lui paraît pas constituer un pré-requis, le président du CPP considère cependant que la procédure de gestion des situations de précaution doit s’appliquer également au domaine de la santé. Il a toutefois rappelé l’historique symbolique du nom du Comité de la prévention et de la précaution : celui-ci, créé en 1996 par Corinne Lepage, devait initialement être dénommé « Santé et environnement », mais la proposition de cette appellation large s’était heurtée au refus du ministère de la santé.

3. Des questions pendantes concernant la saisine de l’instance d’identification des risques plausibles et la remontée des « alertes »

Le mode de saisine du comité chargé de l’identification des risques émergents plausibles est considéré comme un problème « central » par le MESR, qui a noté qu’il n’était « que partiellement traité dans le rapport » du CEC.

a) Quel mode de saisine de l’instance d’identification des risques?

Dans sa réponse écrite aux questions des rapporteurs, le ministère chargé de la recherche estime que « par souci de cohérence, il serait souhaitable que la saisine émane du Premier ministre ou de ses services. Cette décision pourrait émaner du Secrétariat général du Gouvernement, à l’issue d’une simple réunion interministérielle, procédure qui allierait souplesse, simplicité et efficacité. Se poserait dès lors le seuil du déclenchement du processus de saisine par chacun des ministères. La requête de parlementaires, dès lors qu’un certain nombre y est associé, pourrait être relayée par le ministère en charge des relations avec le Parlement, des procédures analogues, également à seuils, pourraient être mises en place et progressivement ajustées avec les différents acteurs de la société civile. Le MESR suggère qu’un groupe de travail interministériel, placé sous l’autorité du cabinet du Premier ministre, s’attache particulièrement à cette phase cruciale de la procédure. »

Pour sa part, le Professeur Alain Grimfeld, président du CPP, a également souligné que l’implication de l’ensemble des administrations compétentes, pour détecter les risques émergents, y compris lorsque ces risques ont une dimension locale, lui semblait constituer un enjeu à ne pas négliger, appelant une réflexion sur l’organisation de la procédure sur l’ensemble du territoire national, peut-être en étudiant l’implication des directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) dans la détection des signaux faibles de risque.

À cet égard, vos rapporteurs considèrent que la possibilité d’une saisine par le Conseil économique, social et environnemental, ou par un nombre minimum de parlementaires (par exemple soixante députés ou soixante sénateurs, sur le modèle de la saisine du Conseil constitutionnel au titre de l’article 61 de la Constitution) devrait être étudiée.

b) Une réflexion en cours sur la « remontée des alertes »

Le MESR considère que la question de la « remontée des alertes » est inséparable de celle de la procédure de saisine de l’organe chargé d’identifier les risques. À cet égard, le ministère a rappelé les dispositions de la Charte nationale de l’expertise (67), préconisée par le comité opérationnel « recherche » du Grenelle de l’environnement, et dont l’article 9 prévoit qu’« en cas d’expression en leur sein d’un risque, notamment à caractère environnemental ou sanitaire, les établissements signataires s’engagent à s’en saisir pour rendre un avis sur les suites à y donner en termes d’expertise. »

Le MESR a également souligné que les travaux du comité « recherche » du Grenelle de l’environnement mettaient en évidence que les règles de fonctionnement interne des établissements d’enseignement supérieur et de recherche prévoyaient déjà des mécanismes de traitement de l’alerte. « Des cellules de médiation se multiplient au sein des organismes et des établissements de recherche. […] rattachées directement à la plus haute autorité de l’établissement, elles disposent d’un poids suffisant pour faire évoluer les procédures et proposer un règlement consensuel de l’alerte. Si cette procédure n’aboutit pas, la possibilité de la poursuivre en dehors de l’établissement ou de l’organisme doit être examinée. L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (Opecst), qui rassemble députés et sénateurs, dispose de l’autorité et des compétences pour organiser le débat en convoquant les experts et les parties prenantes ainsi que pour le porter, le cas échéant, au niveau politique requis » (68).

Le MESR estime donc qu’il ne serait « pas judicieux de créer un statut spécifique aux lanceurs d’alertes » et propose que la remontée des alertes s’appuie sur « le droit général des salariés offrant pour le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche une couverture suffisante qu’il conviendrait peut-être de rappeler et d’éclairer. » Des procédures analogues devraient être encouragées dans le secteur privé. Selon le ministère, « le Conseil supérieur de la recherche et de l’innovation assure une centralisation des alertes et en informe le ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche. C’est sur cette base que le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche pourrait être susceptible de saisir un comité ad hoc pour instruction de la question soulevée. »

Les services du ministère chargé de l’environnement partagent ces questionnements. Les conclusions provisoires du rapport au Parlement prévu par l’article 52 de la loi dite « du Grenelle de l’environnement » (69) présentées par le CGDD à vos rapporteurs au début du mois de juin 2011, prévoyaient de confier une mission au Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) sur les différentes façons d’organiser une détection plus systématique des signaux faibles de risques. Le rapport envisageait également de confier une autre mission au Conseil économique, social et environnemental (CESE) sur la gestion et la protection de l’alerte au sein des entreprises ou des organismes d’expertise.

Enfin, ces questions peuvent être évoquées également à la lumière des préconisations de la mission de réflexion sur la gouvernance environnementale confiée en septembre 2010 à M. Bertrand Pancher, député de la Meuse, par le Président de la République. Après avoir établi et mis en ligne un rapport d’étape comprenant 23 propositions, une concertation a été organisée sur Internet via un « blog de concertation interactive » (70) entre le 2 mai et le 1er juin 2011. À l’instar du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche qui préconisait un dispositif plus décentralisé, le rapport provisoire de M. Bertrand Pancher a proposé qu’une « Agence nationale du développement durable » regroupant les établissements administratifs chargés aujourd’hui d’animer les débats environnementaux collecte les signaux d’alertes, en s’inspirant du fonctionnement des services du Défenseur des droits, hérités du Médiateur de la République.

C.– L’INDÉPENDANCE DE L’EXPERTISE : L’ENJEU D’UNE « CHRONOLOGIE MAÎTRISÉE »

Une fois le risque hypothétique jugé plausible et ainsi qualifié par l’instance d’identification des risques émergents, la deuxième étape de l’organisation proposée par les rapporteurs est celle des différentes expertises nécessaires.

Sans se substituer ni aux instances en charge de l’expertise scientifique proprement dite, c’est-à-dire les agences de sécurité sanitaire, ni aux autorités publiques en charge de veiller à l’adoption éventuelle de mesures de précaution, l’instance d’identification devrait avoir la faculté de susciter l’expertise scientifique contradictoire et indépendante nécessaire à l’évaluation du risque, ainsi que l’expertise scientifique sociétale permettant l’évaluation de l’utilité collective du procédé ou du produit considéré.

L’expertise doit répondre à plusieurs conditions. Contradictoire dans la mesure du possible, indépendante, l’expertise doit aussi être pluridisciplinaire, pour permettre d’évaluer la balance bénéfices – risques de la façon la plus complète possible. Le dialogue entre les disciplines doit être encouragé.

Pour autant, vos rapporteurs ont souligné le risque d’une confusion entre l’expression des scientifiques et celle des parties prenantes.

1. La mobilisation d’une expertise de qualité sur les questions relatives à la précaution

À la suite de leur mission précitée sur l’expertise, MM. Gérard Lallement Gérard Lehoux, Alain Lhostis et Philippe Vesseron, ingénieurs du CGEDD et du CGIET ont fait part aux rapporteurs de leur réflexion sur les notions de qualité et de crédibilité de l’expertise. Leur contribution écrite aux présents travaux de suivi, ainsi que celle du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche (MESR), apportent des précisions intéressantes sur les enjeux de la mobilisation des capacités d’expertise pour répondre aux questions relatives à la précaution.

a) La mobilisation des communautés scientifiques pour l’expertise des risques incertains

Dans sa contribution écrite, le MESR a rappelé que la désignation d’un expert devait elle-même s’inscrire dans une procédure, et respecter certaines normes : « qu’il s’agisse d’une expertise scientifique individuelle ou collective, le ou les experts doivent être retenus selon des critères de compétence. Cette compétence ne peut être que validée par leurs pairs […]. Il revient donc à la communauté scientifique au travers de ses différents modes d’organisation de désigner l’expert. » Les auteurs du rapport sur l’expertise du CGEDD et du CGIET ont toutefois souligné qu’identifier les experts sur les sujets émergents ne serait pas aisé.

Le MESR a cependant apporté des réponses précises à cette question, s’appuyant notamment sur la mise en œuvre de sa stratégie nationale de recherche et d’innovation (SNRI), dans le cadre de laquelle « le MESR a créé cinq alliances en lien avec cinq groupes interministériels […] Les Alliances ont pour mission de décliner les orientations de l’État sous la forme de programme de recherche et d’innovation aux niveaux national européen et international et d’assurer une mise en œuvre opérationnelle coordonnée entre les divers opérateurs de recherche (organismes et universités). D’un point de vue spécifique, les Alliances pourront répondre à des sollicitations précises de l’État sur des sujets stratégiques (Plan santé, Grenelle, agenda numérique, investissements d’avenir, pluie de poussières en Islande, accident nucléaire de Fukushima….) ». Au regard des enjeux de la mise en œuvre du principe de précaution, le MESR a estimé que « leur capacité à mobiliser l’ensemble d’une communauté scientifique avec une grande réactivité est un atout essentiel pour la puissance publique. »

La mobilisation des acteurs de la recherche en sciences humaines et sociale est également un souci exprimé par le ministère : « Athena [l’Alliance des sciences humaines et sociales] s’est également lancée dans l’exercice [de définition d’un périmètre scientifique et d’un agenda stratégique] avec des difficultés particulières liées au fait qu’il apparaît compliqué de recenser de manière fiable et lisible le potentiel de recherche en SHS (71) présent dans les universités. »

De plus, le ministère a rappelé qu’il avait « fait établir une Charte de l’expertise qui a été adoptée par de nombreux établissements […] ; quarante-trois universités et seize organismes l’auront adoptée à la fin du premier semestre 2011Des précisions mineures concernant essentiellement les règles de confidentialité devraient permettre d’augmenter significativement ce nombre. […] ». Mentionnée dans le rapport du CEC de juillet 2010 comme à l’état de projet pour les établissements de recherche, « la Charte nationale de l’expertise apparaît d’ores et déjà comme une référence commune. »

b) Le développement d’enseignements et de programmes de recherche sur le principe de précaution proprement dit

Sur les actions de sensibilisation aux enjeux relatifs à la précaution menées par les pouvoirs publics, le MESR a indiqué qu’il avait « intégré l’expertise dans les critères d’évaluation des chercheurs à la faveur d’une modification de la loi de programmation de la recherche. Il confortera son engagement en assurant une meilleure formation des scientifiques et des chercheurs aux aspects pratiques, mais aussi théoriques, de l’expertise. Une formation des décideurs et de l’ensemble des citoyens au fait et à l’incertitude scientifique sera également encouragée ».

Le ministère a entrepris de mettre en place « un groupe de travail, co-présidé par la DGRI (72) et la DGESIP (73), réunissant les représentants des grands organismes de recherche, la conférence des présidents d’universités, la conférence des grandes écoles, la conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs, afin qu’il définisse un cahier des charges d’une formation-sensibilisation des étudiants de Mastère 2 et de Doctorat au principe de précaution, dans les domaines sensibles touchés par sa mise en œuvre ou sa possibilité d’occurrence. […] Des universités seront [également] incitées par le MESR à mettre en place des enseignements dans cette direction, dans les domaines croisés suivants : Médecine-Droit (Montpellier, Lille, PRES Sorbonne Universités (74)) ; Droit-Sciences (Clermont) ; Sciences-Philosophie (Paris Diderot, Strasbourg, Rennes, ENS (75)). »

2. Le souhait partagé d’une expertise interdisciplinaire plutôt que pluridisciplinaire

La conviction de vos rapporteurs quant à la nécessité d’encourager des expertises pluridisciplinaires est partagée par l’ensemble des personnes consultées.

« Comme le rapport le propose, cette instance [d’identification] pourrait susciter des expertises complémentaires en matière d’évaluation des risques mais aussi dans d’autres domaines relevant potentiellement de l’analyse socio-économique, contribuant ainsi à une meilleure analyse risques- bénéfices », indique Mme Nathalie Kosciusko-Morizet (76), qui ajoute que « l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSeS) doit sans aucun doute être un des points centraux de ce dispositif d’évaluation, même s’il est possible, en fonction du sujet, de désigner d’autres organismes publics de niveau national. »

Toutefois, le Professeur Alain Grimfeld juge, pour sa part, préférable de favoriser une expertise non pas pluridisciplinaire, mais interdisciplinaire, de façon à ne pas segmenter excessivement l’expertise mais bien plus à confronter les points de vue. Le président du CPP note en outre que l’expertise interdisciplinaire qu’il appelle également de ses vœux obligerait les experts à vulgariser leurs propos, facilitant ainsi les conditions du débat public.

Le MESR a adopté une approche similaire en indiquant dans sa réponse qu’il « ne souhaite pas qu’une distinction soit opérée entre la réflexion conduite dans les domaines des sciences dures ou expérimentales et celle conduite par les sciences de l’homme et de la société. » qui doivent agir « complémentairement et sous un pilotage unique ». En effet, « la distinction de deux champs de l’expertise porte les prémices de la distinction de deux vérités scientifiques qui pourraient être opposées l’une à l’autre et nuiraient à l’efficacité recherchée de la procédure. » Le ministère ajoute toutefois que le développement et la structuration des sciences humaines et sociales doivent être poursuivis.

3. La délicate question des relations entre l’expert et les parties prenantes

Estimant nécessaire d’améliorer le dialogue entre les différentes disciplines scientifiques lorsqu’il s’agit de traiter des questions de précaution, vos Rapporteurs ont cependant rappelé l’importance d’une distinction claire entre l’expertise scientifique et l’expression des parties prenantes, cette dernière devant intervenir durant la phase ultérieure du débat public. Au regard des contributions des personnes consultées, cette position doit être réaffirmée mais aussi précisée.

a) Une divergence de fond entre les ministères chargés de l’environnement et de la recherche

Toujours dans sa réponse écrite, le MESR a estimé, comme vos rapporteurs, que « partant de la définition qu’une partie prenante est un acteur individuel ou collectif concerné par une décision ou un projet, il est essentiel que le travail d’expertise proprement dit soit effectué en toute indépendance de celle-ci. » Il ajoutait que « le temps de l’expertise proprement dit doit protéger le travail des experts et exclure toute consultation des parties prenantes. Ce n’est qu’au moment de la restitution des conclusions que le dialogue doit reprendre pour s’assurer de sa compréhension par la ou les parties prenantes ». L’enjeu souligné est donc celui de la « juste délimitation des responsabilités à chacune des étapes. »

Au regard des positions exprimées dans leur rapport sur l’expertise, des précisions ont été demandées à MM. Gérard Lallement, Gérard Lehoux, Alain Lhostis et Philippe Vesseron sur les modalités de la participation des parties prenantes ou des citoyens souhaitées par les quatre auteurs. Ceux-ci ont fait valoir qu’il existait plusieurs conceptions du rôle des parties prenantes. Dans certains comités, celles-ci siègent à la fois comme experts et comme porteurs d’intérêts particuliers. Elles sont aussi parfois absentes de certains types d’expertise, ce que les quatre auteurs jugent problématique.

Ils préconisent, pour leur part, une pratique qu’il qualifie de « double cercle » : le premier cercle, composé de l’équipe de projet qui réalise l’expertise, s’appuie sur un deuxième cercle de personnalités qualifiées, lequel peut impliquer des parties prenantes. Ce mode de fonctionnement se rapprocherait notamment de celui d’un comité de lecture d’une revue scientifique, ou, dans un autre registre et d’une certaine manière, de l’assemblée générale du Conseil d’État.

Le MESR s’est toutefois inquiété du risque de confusion possible : sans nier l’efficacité d’une discussion en amont et en aval avec les parties prenantes, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche s’est étonné de l’emploi du terme même « d’experts » pour désigner des représentants citoyens dans les instances d’expertise, indiquant que cette évolution sémantique était « de nature à créer la confusion entre des experts choisis pour leur compétence, compétence validée par leurs pairs et des membres de la société civile choisis pour leur représentativité sur des critères souvent difficile à définir et clairement déclarés comme ‘non spécialistes’ dans le document ». La réponse du ministère a même formulé la crainte que ce glissement sémantique ne conduise à un risque de dérive des pratiques, s’agissant de la participation des membres de la société civile : « il existe, de l’avis du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, un risque majeur de discrédit de chacune des étapes qui conduisent de l’expertise à la décision ». La solution de cette contradiction réside sans doute dans l’appel du MESR pour « une chronologie maîtrisée », qui constitue précisément l’enjeu de la procédure préconisée par vos rapporteurs.

b) Un compromis possible grâce à une « chronologie maîtrisée »

Lors des échanges avec Mme Michèle Pappalardo, commissaire générale au développement durable (CGDD), et ses services, il est apparu nettement que le CGDD envisageait également la participation de représentants de la société civile à différents stades de l’expertise pour favoriser la transparence et la vulgarisation du propos scientifique. La nouvelle commissaire générale au développement durable, Mme Dominique Dron, a dans un second temps fait état de ce que le projet de rapport au Parlement, prévu à l’article 52 de la loi dite « Grenelle I », retiendrait plutôt le point de vue des rapporteurs sur le rôle du CPP et sur l’importance d’éviter une confusion organique entre experts et parties prenantes, point crucial pour vos rapporteurs. De même, à ce stade, l’idée consistant à intégrer des représentants de la société civile au sein des instances de revues des organismes d’expertise, comme le pratique le Haut conseil des biotechnologies, semblait avoir été écartée.

Les recommandations du projet de rapport du CGDD pouvaient dès lors être analysées de la façon suivante : le CPP serait d’abord consulté sur la nature du risque (prévention ou précaution) puis, dès lors que la situation relèverait du principe de précaution, des représentants de la société civile auraient la possibilité de contribuer à la définition des termes exacts de sa saisine avant que ne commencent les travaux d’expertise proprement dits. Le CPP pourrait, à cette fin, consulter le comité national du développement durable et du Grenelle de l’environnement (CNDDGE)

La consultation des parties prenantes serait également prévue en amont de la saisine du CPP, afin de s’assurer que la liste des questions posées aux différents organismes d’expertises n’omet pas d’interrogations importantes pour la société civile. Ensuite, elles seraient sollicitées pour évaluer la déontologie de l’expertise au sein du Conseil supérieur de l’évaluation de la déontologie et des bonnes pratiques de l’expertise, que le CGDD entendrait promouvoir. Enfin, elles participeraient à la définition de la stratégie de recherche au sein des comités d’orientation « recherche et expertise », sur le modèle du Grenelle de l’environnement.

Cette organisation paraît complexe, mais elle traduit le souci des services du ministère chargé de l’environnement d’assurer la transparence et la crédibilité de l’expertise, souci que partagent vos rapporteurs.

Des discussions paraissent encore nécessaires pour concilier, dans la définition de la procédure, la volonté de mieux associer les parties prenantes, exprimée lors du Grenelle de l’environnement, et la nécessité de lutter contre les conflits d’intérêts et de préserver le temps de l’expertise. Vos rapporteurs souhaitent insister tout particulièrement sur ce dernier aspect, dont le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche a également souligné l’importance.

D.– DES PROPOSITIONS NOUVELLES CONCERNANT LE DÉBAT PUBLIC

Le rapport d’information présenté au nom du CEC préconisait que soit « livré au débat public l’ensemble des informations issues des deux premières étapes » et que celui-ci a « pour objet de consulter les citoyens, les représentants de la société civile, et parmi eux, bien entendu, les parties prenantes. » Reprenant les termes du rapport d’information, la ministre chargée de l’environnement a pour sa part indiqué, dans sa réponse précitée, souscrire « à l’idée suivant laquelle l’objectif du débat est de construire une vision des différentes priorités sociétales et des différents choix de société qu’elles sous-entendent. » Les objectifs de cette phase semblent donc partagés.

Les questions qui demeurent portent essentiellement sur les points de fond suivants :

– en quoi consiste l’ensemble des informations diffusées en vue du débat public ?

– quelles sont les enceintes ou instances sur lesquelles s’appuierait celui-ci ?

– comment se décident l’initiative, voire l’organisation du débat public sur la base des expertises réalisées ?

– quelles modalités pratiques permettraient l’expression des opinions et leur synthèse, en vue de la décision publique ?

1. Un recours au cas par cas à des structures existantes renforcées

La réponse précitée de la ministre chargée de l’environnement propose de privilégier les structures existantes pour l’organisation des débats « comme la Commission nationale du débat public ou le Conseil économique, social et environnemental […] il existe d’autres enceintes susceptibles d’être mobilisées à l’instar de l’Opecst (77) […]. Compte tenu de la diversité des situations, il est sans doute préférable que cette désignation se fasse au cas par cas » (78).

Il convient également de préciser que l’organisation du débat public ou sa restitution s’inscrivent dans la procédure en quatre étapes préconisée par le rapport d’information. De façon pragmatique, il importe donc, d’une part, de s’assurer que les expertises et évaluations sollicitées par le référent, désigné à la première étape de la procédure, puissent être communiquées au grand public et débattues dans le cadre d’un débat public, et d’autre part, que ces débats soient dûment restitués par le référent, avec le produit des étapes précédentes, aux autorités publiques, accompagnés de ses recommandations éventuelles, qui devraient être rendues publiques.

Rien n’interdirait le cas échéant à l’instance chargée d’organiser le débat public, conformément aux règles qui la régissent, de désigner ce référent comme pilote du débat public. Ainsi, le référent pourrait être désigné président d’une commission particulière du débat public, mise en place par la Commission nationale sollicitée.

2. Une évolution indispensable des modes de consultation

Le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche souscrit à une approche pragmatique, fondée sur les structures existantes, mais il estime indispensables une revalorisation du débat public et une diversification des modes de consultation.

Le référent désigné à la première étape de la procédure doit en tout état de cause être chargé de solliciter les autorités compétentes pour organiser l’expression des parties prenantes. À cet égard, le MESR a noté que « le récent débat public sur les nanotechnologies a été riche d’enseignement. […] Un grand nombre d’informations et de réactions ont été recueillies au cours des débats. Ne disposant pas de la capacité d’organiser en fonction des questions des sollicitations variées du public (débats ouverts, sur invitation, jurys citoyens, consultation par Internet…), la commission particulière du débat public n’a probablement pas pu en recueillir toute la richesse. […] A la lumière de cette expérience de première grandeur, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche préconise qu’en s’appuyant sur une expertise scientifique renforcée, le débat public puisse bénéficier de modes de consultation variés et d’une progression autorisant une exploitation optimale de l’expression publique. »

La nécessaire « valorisation des NTIC dans le processus d’information et de concertation » a notamment été soulignée par le ministère, ainsi que par notre collègue Bertrand Pancher, dans le cadre de ses travaux sur la gouvernance environnementale.

Dans la lettre de mission de ce dernier, le Président de la République demande explicitement que soit menée une réflexion sur les procédures de concertation et d’association du public en usage aujourd’hui, dans le cadre d’une gouvernance des questions environnementales que tant la Charte que le Grenelle de l’environnement ont substantiellement modifiée. Cette mission devra à la fois formuler des propositions pour faciliter l’accès du public aux informations environnementales, explorer les voies d’amélioration de sa participation à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement, examiner les avantages et inconvénients des différentes modalités de débat avec le public sur les grands enjeux de société et conduire une réflexion approfondie sur les instances de gouvernance impliquées préalablement à l’adoption des décisions publiques en matière environnementale.

Le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche a bien souligné qu’il ne s’agissait pas d’aboutir « à une mise en concurrence d’une « démocratie directe » et de la démocratie parlementaire », mais bien à leur complémentarité grâce notamment à une chronologie maîtrisée. » À cet égard, il a rappelé les conclusions du comité « recherche » du Grenelle de l’environnement précité : « L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (Opecst), qui rassemble députés et sénateurs, dispose de l’autorité et des compétences pour organiser le débat en convoquant les experts et les parties prenantes ainsi que pour le porter, le cas échéant, au niveau politique requis. »

3. Des exigences méthodologiques soulignées par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche

Le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche a tenu à souligner différents enjeux qu’il importe de traiter lors de la mise en place de la procédure.

Il a notamment estimé que « toutes les phases d’un débat public doivent faire l’objet de documents référencés, archivés et consultables à tout moment », ainsi que « la commande initiale du débat public, les modalités de son déroulement, les actes des différentes consultations, l’analyse finale. Les instances telles que le CESE, la Cnil, la CNE doivent pouvoir justifier d’une lettre de saisine et leurs débats ainsi que leurs analyses sont restitués officiellement. »

Ce faisant, ce même ministère a soulevé la question des informations qui doivent être mises à disposition du public. L’objectif de transparence ne doit pas, en effet, faire oublier « que la conduite d’un travail d’expertise s’effectue souvent pour partie à partir d’informations confidentielles, la confidentialité pouvant relever de plusieurs régimes : secret industriel, secret défense, protection des libertés individuelles… ».

4. Un enjeu excédant sensiblement la question de la mise en œuvre du principe de précaution

Si des éléments ont pu être collectés dans le cadre des travaux de suivi du rapport d’information du CEC sur le principe de précaution, le présent rapport n’a naturellement pas vocation à épuiser la question de la consultation publique, au demeurant traitée de manière plus globale par le rapport public annuel du Conseil d’État de 2011 (79).

Le MESR a de son côté suggéré notamment, de manière plus générale, que « la CNDP pourrait se voir confier une “mission exploratoire”. Cette mission aurait pour but d’organiser et de recueillir les opinions des porteurs d’enjeux (stake holders) : constitution de documents de référence et de “cahiers d’acteurs”, auditions, organisation de débats ciblés, mise en œuvre de “jurys citoyens” (recueil de l’avis de panels de citoyens représentatifs de toute ou partie de la société civile auxquels sont présentés les différents aspects de la question), consultations par voie électronique... Cette première étape permettrait de mettre à jour l’éventail des opinions et d’identifier les acteurs les plus représentatifs. Ce “terreau” pourrait être ensuite confié par le gouvernement aux instances existantes telles que la Commission nationale d’éthique (CNE), la Commission nationale informatique et liberté (Cnil), le Conseil économique, social et environnemental (CESE) et l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (Opecst). Les travaux d’analyse des instances mobilisées seraient remises au Gouvernement qui selon son appréciation prendrait les mesures appropriées par les voies habituelles et en ferait la publicité. »

E.– LES ENJEUX DE LA DÉCISION PUBLIQUE

Dans sa réponse du 6 décembre 2010 au Président de l’Assemblée nationale, la ministre chargée de l’environnement confirme que « c’est la puissance publique qui conserve à la fois la charge de la mise en œuvre de mesures de gestion des risques mais aussi celle du dispositif de recherche et de surveillance, ce dispositif permettant de réactualiser les mesures lorsque l’état des connaissances évolue de façon significative. On peut imaginer que le référent fournisse à l’autorité en charge de la gestion des risques un bilan des étapes précédentes, qui puisse éclairer le processus final de décision. » Elle ajoute toutefois que « le cas des situations d’urgence devra être examiné de façon spécifique. »

1. Le rôle du décideur

Le rapport précité sur l’expertise souligne l’importance de bien séparer expertise et décision. Il rappelle notamment que dans certaines situations, notamment en période de crise, la séparation entre l'évaluation et la décision est parfois difficile à maintenir. Ainsi, lors de l'installation de la commission Dormont constituée pour répondre à la crise dite de la « vache folle » en 1996, les pouvoirs publics avaient indiqué qu’ils suivraient les recommandations qui leur seraient faites ; les membres de la commission avaient alors exprimé leurs craintes d'être transformés de fait en décideurs. Dans son rapport provisoire sur la gouvernance environnementale, notre collègue Bertrand Pancher fait également sienne cette exigence.

2. La justification des mesures et de leur caractère provisoire

La nature des mesures devant être prises par les autorités publiques a été relativement peu abordée, tant dans les réponses officielles des ministères concernés, que lors des échanges dans le cadre des travaux de suivi.

Comme l’ont illustré les récents débats parlementaires sur les gaz et huile de schiste, la justification des mesures prises semble pouvoir être compromise par leur caractère provisoire. La décision de réévaluer des mesures de précaution particulièrement attendues par la population paraît difficilement justifiable aux parlementaires, compte tenu des craintes exprimées par leurs concitoyens. D’autres ont également souligné les contraintes pratiques induites par l’exigence de réévaluation fréquente.

Il importe en tout état de cause que les autorités publiques justifient leur choix, en donnant leur interprétation de la balance bénéfices – risques, en signalant les choix de société mis en évidence par le débat public sur lesquels elles s’appuient, en précisant les conditions ou les seuils de révision des mesures, et plus généralement en motivant leurs décisions.

Pour répondre aux enjeux pratiques et pour favoriser l’acceptation de mesures provisoires, un calendrier de mise en œuvre des mesures et de leur réexamen pourrait être élaboré, ainsi qu’une liste d’indicateurs ou de constats susceptibles de changer en fonction des connaissances scientifiques, dont l’évolution conduirait à une relance totale ou partielle de la procédure.

CONCLUSION

Le présent rapport de suivi s’est attaché à analyser la réponse du Gouvernement aux conclusions du rapport d’information n° 2719, présenté au nom du CEC sur la mise en œuvre du principe de précaution.

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En premier lieu, l’analyse de la mise en œuvre du principe de précaution, depuis la date de publication du rapport d’information, est apparue nécessaire pour évaluer les conséquences que sa publication avait pu avoir sur la pratique des autorités publiques. Si cette analyse montre que le rapport du CEC est aujourd’hui effectivement cité lors des débats parlementaires, incitant souvent à une réflexion sur la pertinence de la référence à la précaution et sur la proportionnalité des mesures à prendre, elle souligne aussi la permanence de difficultés déjà relevées par vos rapporteurs lors de leurs premiers travaux : des difficultés relatives, notamment, à la distinction entre les situations de prévention et de précaution, ainsi qu’à l’application du principe de précaution dans le domaine sanitaire.

L’analyse réalisée dans le présent rapport de suivi confirme en effet la prépondérance du domaine sanitaire parmi les champs susceptibles d’être concernés par les questions de précaution. Bien que l’application du principe de précaution à la santé soit incontestable, compte tenu des dispositions du droit communautaire, aucune procédure nationale n’organise sa mise en œuvre. Au regard de l’importance des enjeux sanitaires, illustrés notamment par l’affaire du Mediator, il apparaît plus que jamais souhaitable de préciser la définition et les modalités de mise en œuvre de ce que devrait être le principe de précaution dans le domaine de la santé, en tenant compte des spécificités du secteur sanitaire, et plus particulièrement des produits de santé.

En plus de ces difficultés persistantes, l’actualité récente du principe de précaution a mis en lumière d’autres enjeux, parmi lesquels la difficulté d’adopter, dans un contexte d’émotion légitime, des mesures proportionnées et de prévoir leur réévaluation. En dépit des inquiétudes exprimées sur ce point, vos rapporteurs sont convaincus que l’organisation de la procédure préconisée dans leur rapport initial, et rappelée tout au long du présent rapport de suivi, contribuerait à la compréhension des mesures et de la nécessité de leur réexamen régulier.

*

En second lieu, des échanges avec les services des ministères concernés par les conclusions du rapport d’information ont permis d’évaluer l’importance des réflexions en cours sur la mise en œuvre de celles-ci, voire d’y être associés.

En dépit de contributions substantielles de la part de certains des ministères concernés et de l’implication personnelle de la ministre chargée de l’environnement, un dialogue interministériel paraît nécessaire pour déterminer les modalités pratiques – encore floues aujourd’hui – de mise en œuvre d’un régime de précaution.

Il n’appartient pas au législateur de prévoir les détails de mise en œuvre administrative, qui relèvent essentiellement du domaine réglementaire. Plusieurs questions revêtent toutefois une certaine importance et mériteraient un travail interministériel, parmi lesquelles il faut citer les procédures visant à garantir l’expression et la remontée des alertes jusqu’au niveau ministériel, y compris dans le secteur privé ; les seuils déclenchant le passage de l’alerte au niveau supérieur ; les conditions et la procédure de saisine du comité d’identification des risques ; ainsi que la déclinaison de ces procédures au niveau local.

En revanche, du point de vue de vos rapporteurs, certaines questions de fond requièrent toute l’attention du Parlement. Il existe en effet un consensus pour constater la nécessité de mieux définir les conditions de mise en œuvre du principe de précaution, de façon à éviter de laisser cette responsabilité à la seule jurisprudence. La formation de celle-ci est en effet longue, tributaire des moyens présentés par les intérêts et parties en cause, incertaine et manquant de cohérence entre les ressorts juridictionnels tant qu'elle n’est pas exprimée par le Conseil d’État ou la Cour de cassation saisis par les parties. Elle est, au demeurant, susceptible de divergences entre les ordres juridictionnels.

Plusieurs facteurs sont à l’origine de l’application aujourd’hui inadaptée du principe de précaution et notamment :

– le manque de rigueur et de transparence dans l’évaluation de la valeur relative des expertises fondant les analyses, permettant d’identifier le caractère plausible des risques incertains ;

– l’absence d’une compréhension claire du périmètre des risques relevant du principe de précaution et d’une prise en compte suffisamment étayée des avantages attendus du produit ou du procédé porteur du risque allégué, et d’une appréciation de ceux-ci qui prenne en compte non seulement l’analyse scientifique technique, mais aussi l’analyse des incidences économiques, sociales, éthiques, sociétales, etc. ;

– une organisation du débat public insuffisamment efficace, qui devrait être fondée sur la mise à disposition de l’ensemble des éléments et analyses disponibles ;

– l’absence d’un référent unique et clairement identifié, porteur de la procédure, jusqu’à la prise de décisions, celle-ci demeurant du domaine des autorités publiques compétentes.

À ces préoccupations exprimées précédemment dans le rapport d’information et partagées, dans l’ensemble, par les ministères concernés, s’ajoute une inquiétude supplémentaire, due à la confusion entre l’expression des parties prenantes et l’expertise. La volonté d’associer la société civile à la définition d’une stratégie nationale de recherche et des règles déontologiques, ainsi que la recherche d’une plus grande accessibilité de l’expertise scientifique pour le grand public, ne doivent pas conduire à mettre sur un même plan experts et parties prenantes. Il est indispensable que le temps de l’expertise soit préservé.

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À ce stade, compte tenu des réponses apportées par le Gouvernement et des enjeux soulignés supra, vos rapporteurs considèrent qu’une initiative parlementaire s’avère nécessaire.

Dans cette perspective, deux propositions de texte complètent le présent rapport, auquel elles sont annexées :

– une proposition de résolution (annexe n° 1), en application de l’article 34-1 de la Constitution, qui permettrait d’exprimer la position de l’Assemblée nationale sur les conditions procédurales de mise en œuvre du principe de précaution dans l’ensemble des domaines effectivement concernés par celui-ci, conformément aux recommandations du rapport d’information publié en juillet 2010. Ce texte constituerait un guide précieux pour la mise en place par le Gouvernement des instances et procédures indispensables à l’application rationnelle du principe de précaution, dont la nécessité fait consensus, et éclairerait également le juge quant à l’interprétation de la mise en œuvre de ce principe.

– une proposition de loi (annexe n° 2) définissant le principe de précaution dans le domaine de la santé, sous réserve que la discussion du projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé ne satisfasse pas cet objectif, du moins pour ce qui concerne les médicaments.

RÉUNION DU COMITÉ DU 17 NOVEMBRE 2011 :
EXAMEN DU PROJET DE RAPPORT DE SUIVI

M. le Président Bernard Accoyer. Dans le prolongement de notre discussion précédente, le suivi des recommandations d’un rapport comme celui sur l’évaluation de la mise en œuvre du principe de précaution est tout à fait essentiel. Les conséquences de la mondialisation sur le maintien de sites de production dans notre pays et sur les conditions de la production de richesses en général entraînent le fait que nous ne pouvons faire l’économie d’une réflexion sur l’incidence de certains textes que nous avons votés, parfois à l’unanimité. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de modifier nos lois ou notre Constitution, sans nous soucier des conséquences de nos décisions.

Je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence de notre collègue rapporteur Alain Gest, qu’un deuil familial empêche d’être présent aux côtés de son co-rapporteur Philippe Tourtelier.

M. Philippe Tourtelier, rapporteur. En accord avec Alain Gest, je vous présenterai nos conclusions au nom des deux rapporteurs, ces conclusions étant parfaitement communes. Nous avons conclu dans notre rapport d’information publié en juillet 2010 que s’il convenait de conserver le principe de précaution, il était néanmoins opportun d’en préciser le champ d’application, en indiquant notamment que celui-ci devait être étendu au domaine de la santé, et de mieux en définir l’organisation, de façon à éviter des jurisprudences et des pratiques divergentes.

Nous proposions la mise en œuvre d’une procédure globale, en quatre étapes, encadrant l’usage de ce principe, dans le domaine environnemental comme dans le domaine sanitaire.

Première étape : l’analyse du risque. Nous proposions en la matière de confier l’identification des risques plausibles à une instance ad hoc, qui pourrait être l’actuel Comité de la prévention et de la précaution. Si le risque est considéré comme plausible et relevant de l’application du principe de précaution, un référent indépendant, bien identifiable pour l’ensemble des acteurs, y compris l’opinion publique, chargé de piloter la procédure, devrait alors être désigné par cette instance.

Deuxième étape : une double expertise, faisant appel, d’une part, à des scientifiques spécialistes du sujet concerné, et, d’autre part des philosophes, des économistes et des spécialistes de l’éthique.

Troisième étape : l’organisation d’un débat public, s’appuyant sur les procédures et instances existantes.

Quatrième étape : à l’issue de la procédure, il revient bien entendu aux autorités publiques de prendre les décisions qui s’imposent. Tout d’abord, la promotion de la recherche afin de mieux cerner le risque et réduire l’incertitude car le principe de précaution est bien un principe d’action. Ensuite, la mise en œuvre de mesures, proportionnées et provisoires, afin de limiter le risque hypothétique.

Depuis la publication de notre rapport d’information, il y a près d’un an et demi, le principe de précaution a été invoqué au moins à deux reprises dans le domaine environnemental, confirmant d’ailleurs les interrogations que nous avions exprimées.

Tout d’abord, sur le sujet des gaz et huile de schiste. À l’inverse de ce qu’aurait exigé le principe de précaution, lequel, il faut le rappeler, n’est pas un principe d’urgence, on a légiféré dans la précipitation, sous le coup de l’émotion, sur le fondement d’arguments à la rationalité incertaine. Une mission d’information parlementaire a été créée, une expertise technique demandée. Hélas, avant même que leurs conclusions ne soient connues, une loi était adoptée. Les débats ont toutefois montré qu’on avait avancé sur la distinction à opérer entre précaution et prévention. Dès lors qu’un risque est avéré, il ne s’agit en effet plus de précaution, mais de prévention.

Sur le sujet des organismes génétiquement modifiés (OGM), la Commission européenne a proposé une évolution de la législation communautaire. Une proposition de règlement, en cours d’examen, fournirait une base juridique autorisant les États membres à restreindre ou interdire, sur tout ou partie de leur territoire, la culture d’OGM autorisés à l’échelon de l’Union. La Cour de justice de l’Union européenne, dans son arrêt du 8 septembre 2011, qui mériterait d’ailleurs d’être analysé plus en détail, pose des exigences qui seraient satisfaites par la mise en œuvre de la procédure que nous préconisons. Ces exigences ont pour corollaire le renforcement des recherches dans le domaine des biotechnologies, lesquelles, après avoir été un temps délaissées, font de nouveau l’objet de projets, notamment dans le cadre des financements prévus pour les investissements d’avenir, ainsi que l’Agence nationale de la recherche (ANR) nous l’a confirmé. Certaines prises de conscience mais aussi le soin mis par les chercheurs à démontrer leur sens des responsabilités n’y sont pas non plus étrangers.

Mais c’est dans le domaine sanitaire que le principe de précaution a été le plus invoqué. Tout d’abord, pour la grippe A (H1N1). Une partie du débat au sein de la commission d’enquête de l’Assemblée sur la campagne de vaccination contre la grippe A a porté sur le fait de savoir s’il s’agissait de précaution ou de prévention, les avis des experts eux-mêmes divergeant. Nous avons, pour notre part, soutenu qu’il s’agissait de prévention au niveau collectif, et de précaution au niveau individuel, dans la mesure où on ignorait la réactivité individuelle au vaccin. Dans le domaine du médicament, à l’interface de l’individuel et du collectif, il est en effet difficile de trancher.

Le principe de précaution a également été cité dans l’affaire du Mediator. L’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a ainsi pointé dans son rapport que l’absence de culture du principe de précaution avait conduit à ce que le doute bénéficie non au patient, mais à la firme pharmaceutique. L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) a, pour sa part, soutenu qu’elle ne disposait pas de tous les instruments juridiques nécessaires pour retirer certains médicaments du marché, et que chaque retrait d’AMM (autorisation de mise sur le marché) entraînait des années de contentieux. Le projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament, en cours de navette, a justement pour objectif de transposer en droit français les dispositions d’une récente directive européenne sur deux points : l’inversion de la charge de la preuve en faveur du patient et la réévaluation régulière des AMM.

C’est dans le cas des perturbateurs endocriniens qu’on s’est le plus approché de la démarche globale que nous préconisions. Certes, le débat public est demeuré plutôt circonscrit au Parlement et aux spécialistes. Mais il y a bien eu moratoire, demande d’un rapport et attente de ses conclusions avant que des dispositions législatives ne soient adoptées.

Dans le cas des antennes relais de téléphonie mobile, le débat public, ouvert depuis longtemps sans avoir été jamais véritablement organisé, se poursuit. Divers travaux de recherche ont été menés sur le plan tant national qu’international, mais les décisions des juridictions continuent de poser question. On se souvient de l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles, rendu le 4 février 2009, qui, sans se réclamer explicitement du principe de précaution, invoquait l’angoisse suscitée chez les riverains pour demander le démontage d’une antenne. Depuis, dans une affaire similaire, la Cour d’appel de Montpellier a, elle, fait expressément référence au principe de précaution pour exiger le démontage, s’appuyant sur la seule étude intitulée « Bio Initiative », datant de 2007, mais ignorant l’étude « Interphone » de 2011, qui a pourtant établi que si danger il y a, celui-ci ne provient pas tant des antennes, que des téléphones eux-mêmes : la cour n’a pas pris compte les résultats de cette étude, alors même qu’ils étaient déjà publiés.

Le Conseil d’État également a opéré un revirement de jurisprudence important pour les élus locaux. Il a en effet annulé les arrêtés municipaux visant à réglementer l’implantation des antennes relais, pris sur le seul fondement de la compétence de police générale des maires. En effet, si les maires ont un pouvoir en matière d’urbanisme pour réglementer l’implantation de ces antennes, il ne leur appartient pas de prendre sur ce point de mesures au nom de la protection de la santé publique car, dans le domaine des télécommunications, une police administrative spéciale (confiée à l’Arcep) en a seule le pouvoir.

J’en viens aux suites données par le Gouvernement aux recommandations de notre rapport. Les ministères concernés se sont impliqués de manière très inégale. Moins d’un mois après sa prise de fonctions au ministère de l’Écologie, du développement durable, des transports et du logement, Nathalie Kosciusko-Morizet nous avait répondu et proposé de travailler avec le Commissariat général au développement durable, ce que nous avons fait avec Mmes Michèle Pappalardo, puis Dominique Dron. Les échanges ont été très riches. Les points de vue ont pu être rapprochés, même si des désaccords demeurent, et le travail mené a été de grande qualité. Une approche ministérielle dans un domaine comme celui-là présente toutefois des limites.

Le ministère de la recherche a lui aussi été très actif, avec notamment l’élaboration d’une charte de l’expertise. Nous avons également pu travailler avec lui de manière approfondie.

Il faut en revanche déplorer le silence du ministère chargé de la santé. Mme Roselyne Bachelot puis M. Xavier Bertrand ont bien accusé officiellement réception de notre rapport, mais il n’a été possible de développer aucun contact de travail avec leurs équipes. C’est ce que signifie notre rapport lorsque nous disons pudiquement que cette « réponse est attendue ». Nous n’avons pu rencontrer que le nouveau directeur général de l’Afssaps, avec lequel nous avons d’ailleurs eu un échange intéressant.

Nous avons noté un accord général sur l’organisation de la première étape de la procédure. Ainsi que je l’ai rappelé, nous avions proposé, afin de ne pas créer de nouvelle structure, que le Comité de la prévention et de la précaution soit chargé de l’identification des risques plausibles. Notre proposition d’élargissement de sa composition est envisagée favorablement. En revanche, celle de le rattacher aux services du Premier ministre pour lui donner une dimension interministérielle soulève plus de difficultés. Le ministère chargé du développement durable est bien sûr peu désireux que ce comité ne lui soit plus directement rattaché.

Qui doit saisir l’instance d’identification des risques ? La saisine pourrait émaner du Premier ministre lui-même ou de ses services, des administrations compétentes au niveau national, voire local, mais aussi d’un nombre minimal de parlementaires ou du Conseil économique, social et environnemental, ce qui permettrait de mieux associer les acteurs de la société civile. Cette question, de même que celle concernant la remontée des alertes, ne constitue pas un obstacle insurmontable. Le ministère chargé de la recherche a beaucoup travaillé sur le sujet. Ces aspects importants mériteraient cependant d’être développés au niveau interministériel.

Pour ce qui est de la deuxième étape, il importe de bien distinguer entre l’expertise scientifique proprement dite et ce qu’on appelle, par abus de langage, l’expertise citoyenne. Sur ce sujet également, le ministère de la recherche a beaucoup travaillé et des réseaux peuvent être facilement activés pour mobiliser une expertise de qualité. Le ministère a également le projet d’inclure l’enseignement du principe de précaution dans certains mastères et d’inciter aux recherches sur le sujet.

Il est apparu que mieux valait une expertise interdisciplinaire que pluridisciplinaire. En effet, alors que la seconde peut se contenter de juxtaposer les travaux émanant de plusieurs disciplines, la première exige un vrai dialogue entre scientifiques et spécialistes des sciences humaines, ce qui oblige les premiers à utiliser un langage compréhensible de tous, et d’ailleurs facilite le débat public ultérieur.

S’agissant de la délicate question des relations entre experts et parties prenantes, le ministère chargé du développement durable, habitué à discuter avec ces dernières dans le cadre du comité de suivi du Grenelle de l’environnement, aurait souhaité qu’elles soient associées à tous les stades. Le ministère chargé de la recherche entend, lui, que le temps de l’expertise soit bien distinct de celui de la consultation des parties prenantes. Un compromis est envisageable : les parties prenantes pourraient notamment contribuer à la formulation exacte de la saisine, de façon qu’elles ne se sentent surtout pas exclues et qu’elles puissent enrichir le débat. Il apparaît plus délicat qu’elles soient associées au choix des experts. Nous pensons, nous, qu’il faut en tout cas séparer le temps de l’expertise, y compris en sciences humaines, du reste.

Concernant le débat public, nous pensons que la Commission nationale du débat public (CNDP) devrait avoir plus de libertés pour organiser des consultations sous des formes innovantes. Le ministère chargé de la recherche a insisté sur certains principes méthodologiques, notamment la nécessité de mettre à disposition du public les documents complets issus de l’expertise, ce qui exigera de traiter la question de la confidentialité, qu’il s’agisse de secret défense ou de secret industriel.

Enfin, le décideur public doit, sur la base des conclusions, contradictoires ou consensuelles, des expertises, et des résultats du débat public, décider quelles recherches complémentaires sont nécessaires pour réduire le risque et quelles mesures « provisoires et proportionnées » se justifient – en disant pourquoi.

À l’issue de tout cela, nous jugeons nécessaires deux initiatives parlementaires. Tout d’abord, le dépôt d’une proposition de loi qui comporterait un article unique disposant expressément que le domaine de la santé relève du champ d’application du principe de précaution. Il semblerait toutefois que le projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament satisfasse cette exigence, auquel cas cette proposition de loi deviendrait sans objet ; il faudra y regarder de plus près. Ensuite, pour éviter les jurisprudences discordantes et réconcilier expertise et débat public, une proposition de résolution, détaillant la procédure en quatre points que nous préconisons, serait opportune.

M. le Président Bernard Accoyer. Je félicite chaleureusement nos collègues Alain Gest et Philippe Tourtelier qui se sont beaucoup investis dans leur tâche, ainsi que les administrateurs qui les ont aidés. Leur travail remarquable est emblématique de ce qui doit être fait au CEC.

M. Jean Mallot. Il est très important de valoriser les travaux du CEC, y compris à l’extérieur de l’Assemblée nationale, où il commence d’être mieux connu parce qu’il traite, de manière approfondie et sans se disperser, de sujets importants. Tous n’appellent pas la même méthode ni la même exploitation de leurs résultats. Ainsi avons-nous élaboré un rapport sur l’aide médicale de l’État (AME), dont les conclusions sont ce qu’elles sont et n’exigent pas de suite particulière. Il n’en va pas de même de nos travaux sur le principe de précaution, qui appellent un suivi dynamique. Il nous faudra « accompagner » l’application de ce principe durant des années pour vérifier qu’elle s’effectue bien comme nous le souhaitions et l’ajuster si nécessaire.

S’agissant du champ d’application du principe de précaution, certains pensent qu’il faudrait dire expressément que la Charte de l’environnement s’applique au domaine de la santé, d’autres que ce n’est pas nécessaire. Lors de l’examen en première lecture au Sénat du projet de loi relatif à la sécurité sanitaire du médicament, un amendement a été adopté tendant à ajouter un alinéa à l’article 7, disposant que « en application du principe de précaution, le décret en Conseil d’État (...) fixe également les conditions dans lesquelles les données nouvelles suscitant un doute sérieux sur la sécurité ou l’équilibre entre les bénéfices et les risques d’un médicament dont le service médical rendu (SMR) n’est pas majeur ou important, peuvent motiver la suspension ou le retrait de l’autorisation de mise sur le marché de ce médicament, notamment en ce qui concerne la proportionnalité de la preuve à apporter concernant sa sécurité ou sa dangerosité. » Hier, lors de l’examen du texte en nouvelle lecture par la commission des Affaires sociales de l’Assemblée, nos collègues de l’UMP ont voté un amendement du rapporteur supprimant cet alinéa, au motif qu’il allait de soi que le principe de précaution s’appliquait à la suspension ou au retrait d’une AMM. Lorsque j’ai fait valoir que la Charte de l’environnement ne vise pas expressément le domaine de la santé, nos collègues m’ont répondu que c’était implicite. La proposition de loi de nos collègues Alain Gest et Philippe Tourtelier ne s’impose donc peut-être pas.

Leur proposition de résolution en revanche est, elle, tout à fait justifiée. Au point 1, après la liste des considérants, dans l’idéal, il me semblerait même préférable de pouvoir écrire que l’Assemblée nationale « demande » plutôt que « souhaite ». Dans la mesure où sont expressément cités dans cette proposition de résolution les champs de l’environnement, la santé publique et la sécurité alimentaire, toute ambiguïté serait d’ailleurs levée.

M. Guy Geoffroy, vice-président de la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, suppléant le président de la commission. Je remercie à mon tour Alain Gest et Philippe Tourtelier pour leur travail, dont j’apprécie tout particulièrement la grande clarté.

Il nous appartient de faire œuvre de pédagogie autour du principe de précaution. Ce qui a été fait pour les gaz de schiste, Philippe Tourtelier l’a dit, est l’exemple même à ne pas suivre. Nos concitoyens ont été trompés par notre précipitation, en venant à croire que le principe de précaution était un principe d’urgence alors qu’il s’agit d’un principe d’action. Au moment où s’enflammait dans notre pays le débat sur les gaz et huile de schiste, je me trouvais aux États-Unis avec Valérie Pécresse, alors ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, où nous visitions de grands établissements universitaires, notamment le Massachussets Institute of technology (MIT). Une réunion que nous y avons eue avec les plus éminents responsables de cet Institut portait précisément sur les travaux d’une équipe internationale de chercheurs associant des chercheurs du MIT et du CNRS sur la manière d’appréhender le sujet des gaz et huile de schiste et de collecter les connaissances nécessaires, c’est-à-dire en fait de préparer le débat politique sur ce thème. Nous avons pu mesurer l’absolue nécessité sur ces sujets, où il est aussi question d’acceptabilité sociale, d’un travail interdisciplinaire associant des chercheurs en tous domaines, notamment de sciences humaines, y compris de philosophie. Le MIT, prestigieux institut scientifique, assure d’ailleurs un enseignement de philosophie, dispensé par d’éminents professeurs.

En ce qui me concerne, je n’ai pas pris part au vote lors de l’examen des différentes propositions de loi sur les gaz de schiste, estimant que, par notre précipitation, nous perdions une chance d’éclairer nos concitoyens sur les mesures raisonnables envisageables dans un domaine qui pouvait susciter une légitime émotion, et risquions même d’entamer notre crédit auprès d’eux.

Si nous parvenions à faire œuvre de pédagogie autour du principe de précaution, nous ferions gagner l’institution parlementaire en crédibilité auprès de l’opinion publique. J’approuve sans réserve la proposition de loi de nos collègues. Sans doute va-t-il de soi que le principe de précaution s’applique au domaine de la santé, mais cela va encore mieux en le disant.

M. le Président Bernard Accoyer. Je suis toujours heureux de constater qu’une convergence est possible entre l’Assemblée nationale et le Sénat sur des sujets importants. Je salue également notre collègue Guy Geoffroy qui, précurseur, avait avant les autres développé certaines analyses.

En conclusion, il convient, me semble-t-il, de proposer, dans un premier temps, dès aujourd’hui d’inscrire à l’ordre du jour d’une prochaine semaine de l’Assemblée ou d’une prochaine semaine de contrôle la proposition de résolution de nos collègues, en rappelant les contraintes constitutionnelles encadrant cet outil juridique, et, dans un second temps, d’analyser le texte définitif du projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament, avant de se prononcer sur une demande d’inscription ou non de leur proposition de loi.

Je terminerai par deux remarques en conclusion. Le propos de Philippe Tourtelier tout à l’heure, selon lequel la prévention est collective et la précaution individuelle, ne m’a pas laissé indifférent. Il n’a pas échappé au médecin que je suis que chacun cherche à être protégé contre la grippe ou les maladies infantiles mais que personne ne souhaite prendre le risque d’une complication médicale liée à une vaccination, ne fût-il que d’un sur un million. Moyennant quoi, cette année, plusieurs milliers d’enfants ont eu la rougeole dans notre pays et plusieurs adultes sont morts d’une encéphalite consécutive à la maladie.

Nous avons le devoir de dire aux scientifiques que pour que la société continue la belle aventure du progrès, qui s’est longtemps nourri de leurs découvertes et inventions, il leur faut aujourd’hui tenir compte aussi de l’opinion publique, qui dispose avec les nouveaux moyens de communication de facilités pour se faire entendre, et s’appuyer sur les travaux de sociologues, de philosophes et autres spécialistes de sciences humaines. Ils ne peuvent faire l’économie de travailler aussi à l’acceptation de leurs projets par la société.

Conformément aux dispositions de l’article 146-3 du Règlement, le Comité autorise la publication du rapport sur la mise en œuvre des conclusions du rapport d’information (n° 2719) sur l’évaluation de la mise en œuvre de l’article 5 de la Charte de l’environnement relatif à l’application du principe de précaution. Le rapport sera distribué et mis en ligne sur le site internet de l’Assemblée nationale. Il sera transmis au Gouvernement.

ANNEXE N° 1
PROJET DE PROPOSITION DE RÉSOLUTION
POUR LA MISE EN œUVRE DU PRINCIPE DE PRÉCAUTION

EXPOSÉ DES MOTIFS

L'évaluation de la mise en œuvre du principe de précaution inscrit en 2005 à l'article 5 de la charte constitutionnelle réalisée par le Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale (CEC) a montré la nécessité de conserver ce principe éminemment nécessaire, mais aussi, au vu de l'expérience des cinq premières années de sa mise en œuvre, de mieux en organiser l'application (rapport d’information n° 2719 du 8 juillet 2010, déposé par MM. Alain Gest pour la majorité et Philippe Tourtelier pour l’opposition).

Les incertitudes factuelles et scientifiques pesant sur un certain nombre de dossiers mobilisant l'opinion publique constituent autant de sources d’incompréhension entre parties prenantes et de décisions publiques insuffisamment justifiées. Tout en imposant de satisfaire pleinement aux exigences légitimes de protection de la santé humaine et de l'environnement, il convient de remédier à cette situation par une procédure et une méthodologie adaptées et acceptées, qui permettront de préserver des conditions acceptables de développement du progrès technique et scientifique.

Dans le sens des préconisations du rapport présenté au nom du CEC par MM. René Dosière et Christian Vanneste (n° 2925, 28 octobre 2010) sur les autorités administratives indépendantes, cette procédure s’appuierait de préférence sur les organismes existants, en particulier le Comité de la prévention et de la précaution. Celui-ci, sous réserve d’une évolution de ses missions et de sa composition, pourrait être chargé de cette fonction d’identification des risques plausibles et de la désignation des référents.

Plusieurs facteurs sont à l’origine de l’application aujourd’hui inadaptée du principe de précaution et notamment :

– le manque de rigueur et de transparence dans l’évaluation de la valeur relative des expertises fondant les analyses, permettant d’identifier le caractère plausible des risques incertains ;

– l’absence d’une compréhension claire du périmètre des risques relevant du principe de précaution et d’une prise en compte suffisamment étayée des avantages attendus du produit ou du procédé porteur du risque allégué, et d’une appréciation de ceux-ci qui prenne en compte non seulement l’analyse scientifique technique, mais aussi l’analyse des incidences économiques, sociales, éthiques, sociétales, etc. ;

– une meilleure organisation du débat public, qui devrait être fondée sur la mise à disposition de l’ensemble des éléments et analyses disponibles ;

– l’absence d’un référent unique et clairement identifié, porteur de la procédure, jusqu’à la prise de décision, celle-ci demeurant du domaine des autorités publiques compétentes.

S’agissant de l’étape initiale de saisine de cette instance, celle-ci pourrait être ouverte, outre au Gouvernement, au Parlement et au Conseil économique, social et environnemental.

Il existe aujourd’hui un consensus pour constater la nécessité de mieux définir ces conditions de mise en œuvre, de façon à éviter de laisser cette responsabilité à la seule jurisprudence. La formation de celle-ci est en effet longue, tributaire des moyens présentés par les intérêts et parties en cause, incertaine et manquant de cohérence entre les ressorts juridictionnels tant qu'elle n’est pas exprimée par le Conseil d’État ou la Cour de cassation saisis par les parties. Elle est au demeurant, susceptible de contradictions entre les ordres juridictionnels.

La présente proposition de résolution parlementaire, au sens de l'article 34-1 de la Constitution, vise à définir des lignes directrices précisant l'intention du législateur et du constituant, qui éclairera utilement l'ensemble des parties prenantes, qu'il s'agisse des tribunaux, des acteurs de la société civile, de l'administration, ou encore des scientifiques.

Cette proposition, qui reprend les conclusions du rapport du CEC précité, s’appuie sur l'esprit et les principales orientations de la communication de la Commission européenne du 2 février 2000 sur le recours au principe de précaution, prise en application de la résolution du 13 avril 1999 du Conseil, ainsi que de la résolution du Conseil européen de Nice des 7 à 10 décembre 2000 sur le principe de précaution, annexée aux conclusions de la présidence.

Par ailleurs, une grande partie des cas pour lesquels le principe de précaution est considéré comme applicable par l'opinion publique et les médias ressortissent au domaine de la santé, et en particulier des produits de santé (effets secondaires de certains médicaments, vaccins,…). Si la charte de l’environnement ne s’applique en matière sanitaire qu’en cas de combinaison de risques pour la santé et pour l’environnement, le devoir de protection sanitaire prévu par le préambule de la Constitution de 1946 et le régime communautaire du principe de précaution, défini par la jurisprudence, s’imposent dans les autres cas de figure en matière de produits de santé ou de consommation. En conséquence, il est proposé que la présente proposition de résolution s’applique également dans le cas des dommages incertains à la santé.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement,

Vu les articles 1er et 5 de la charte de l’environnement de 2004 annexée à la Constitution,

Vu l’article 191 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu la communication de la Commission, du 2 février 2000, sur le recours au principe de précaution, prise en application de la résolution du 13 avril 1999 du Conseil, ainsi que la résolution du Conseil européen de Nice des 7 à 10 décembre 2000 sur le principe de précaution, annexée aux conclusions de la présidence.

Considérant que le principe de précaution défini par la Charte constitutionnelle ne s’applique aux risques sanitaires qu’en cas de combinaison des dispositions de ses articles 1er et 5, mais qu’il s’impose également dans le domaine sanitaire en application du droit européen ;

Considérant que la mise en œuvre cohérente et conforme à l'intention du constituant des dispositions de l’article 5 de la Charte, d’application directe, comme du principe de précaution dans le domaine sanitaire résultant du droit européen, devrait utilement s’appuyer sur la définition de lignes directrices pour la mise en place d’une organisation des rôles dévolus aux autorités publiques ;

Considérant que le débat public doit permettre l’expression pluraliste des valeurs, des choix de société, des priorités sociétales, de sorte que toute décision portant sur un risque à prendre, quand bien même il serait hypothétique, soit précédée d’une réflexion portant sur l’utilité sociale, le coût économique et environnemental, et les enjeux éthiques des choix qui découleront de cette décision ;

Considérant que l’expertise scientifique, outre celle des disciplines scientifiques concernées pour permettre l’évaluation du risque, doit s’étendre au domaine et aux techniques des sciences humaines et sociales, selon une procédure qui ne se confond pas avec une simple consultation de la société civile, mais vise à permettre la présentation au public des avantages et des inconvénients comparés, de tout ordre, du procédé ou du produit auquel est associé un risque incertain mais plausible relevant de la précaution ; 

Considérant le devoir de prévention sanitaire qui s’impose aux autorités publiques conformément au onzième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 qui a prévu que « Elle [La Nation] (…) garantit à tous (…) la protection de la santé » ;

1. souhaite que, pour l’application du principe de précaution, soit mise en œuvre une procédure d’identification de l’émergence de nouveaux risques pour l’environnement, la santé publique et la sécurité alimentaire, confiée à une instance choisie à cet effet et chargée, une fois l’émergence d’un risque hypothétique analysée comme plausible, de désigner un référent indépendant, pilotant, sur un sujet donné, la mise en œuvre du régime de précaution dans chacune de ses phases et en rendant publiquement compte ;

2. estime que le référent précité devrait avoir la faculté de susciter l’expertise scientifique contradictoire et indépendante nécessaire à l’évaluation du risque et des bénéfices escomptés, directs ou indirects, ainsi que l’expertise scientifique sociétale permettant l’évaluation de l’utilité collective du procédé ou du produit considéré ;

3. précise que le rapport du référent précité devrait comporter, en particulier, un examen des avantages et des charges résultant de l’action ou de l’absence d’action ainsi qu’une analyse des coûts et des bénéfices des différentes options possibles, lorsque cela est approprié et réalisable, sans préjudice d’autres méthodes d’analyse non économiques, notamment d’ordre social ou éthique, tout particulièrement pour ce qui touche à la protection de la santé ;

4. précise que l'évaluation des risques et des bénéfices escomptés doit s’inscrire dans les principes d'excellence, d'indépendance, de transparence, de pluridisciplinarité et de contradiction, et s’attacher à caractériser l'incertitude scientifique et technique en ce qui concerne le risque plausible considéré ;

5. souhaite que les rapports d’évaluation des risques et des bénéfices escomptés, s’appuient sur un jugement étayé et contradictoire, réalisé par l’instance d’identification précitée, de la qualité scientifique des travaux disponibles, qui tienne compte de l’appréciation, dans la plus grande transparence, du respect des règles d’indépendance de l’expertise au regard d’éventuels conflits d’intérêts, notamment non scientifiques, concernant leurs auteurs ;

6. souhaite qu’à l’issue de l’expertise, le référent soumette aux autorités compétentes les éléments nécessaires à l’organisation d’un débat public, que le public et les parties prenantes accèdent ainsi à l’état disponible complet des rapports d’évaluation et d’expertise, et que, après la tenue du débat public, le référent rende publics les rapports résultant de ce débat ainsi que les propositions qu’il formule à destination des autorités publiques ;

7. rappelle qu’il appartient enfin aux autorités publiques, saisies par le référent de l’ensemble des conclusions de l’expertise et des débats publics, de promouvoir les recherches scientifiques permettant de mieux cerner le risque hypothétique identifié, et de prendre les mesures, proportionnées et provisoires, qui s’imposent pour le limiter, en motivant leurs décisions;

8. précise que de telles mesures doivent être proportionnées au niveau de protection recherché en mettant en balance le risque redouté et les bénéfices directs ou indirects escomptés, et choisies de façon à être effectives, non discriminatoires et cohérentes au regard des mesures déjà prises dans des situations similaires, tout en tenant compte des développements scientifiques et techniques les plus récents et de l'évolution du niveau de protection recherché. Elles font l’objet d’un réexamen périodique en fonction de l'évolution des connaissances scientifiques et techniques.

9. rappelle que, bien que de nature provisoire, les mesures doivent être maintenues tant que les travaux scientifiques demeurent incomplets, imprécis ou non concluants et tant que le risque est réputé suffisamment important pour ne pas accepter de le faire supporter à la société, leur maintien dépendant de l’évolution des connaissances scientifiques, à la lumière de laquelle elles doivent être réévaluées. »

ANNEXE N° 2
PROJET DE PROPOSITION DE LOI
RELATIVE AU PRINCIPE DE PRÉCAUTION APPLICABLE DANS LE DOMAINE DE LA SANTÉ

EXPOSÉ DES MOTIFS

L'évaluation de la mise en œuvre du principe de précaution inscrit en 2005 à l'article 5 de la charte constitutionnelle, réalisée par le Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale (CEC), a montré la nécessité de conserver ce principe éminemment nécessaire, mais aussi, au vu de l'expérience des cinq premières années de sa mise en œuvre, de mieux en organiser l'application.

En premier lieu, si le principe de précaution constitutionnalisé ne s'applique aux questions sanitaires qu'en cas de lien entre un dommage à la santé et un dommage à l'environnement, par la combinaison des articles 1er et 5 de la Charte, il n'en demeure pas moins que la majeure partie des cas pour lesquels le principe de précaution est considéré comme applicable par l'opinion publique et les médias ressortissent au domaine de la santé, et en particulier des produits de santé (effets dommageables de certains médicaments, vaccins,…), c’est-à-dire des produits pharmaceutiques, incluant les médicaments, et des dispositifs médicaux.

Or, pour ces cas, aucune loi n’explicite la manière dont devrait s'appliquer ce principe en matière sanitaire, alors qu’il s’impose à la France par l’intermédiaire du droit communautaire, qui en définit le contenu pour les médicaments et les produits de consommation,. C’est ainsi que l’Afssaps, dans ses réponses au rapport de l’Igas sur le Mediator, a souligné que le cadre juridique en vigueur ne lui aurait pas permis de prendre des mesures de retrait d’AMM favorables aux patients. Elle indiquait dans ce cadre que « Si l’on souhaite qu’une agence comme l’Afssaps, dont les décisions engagent la responsabilité de l’État, puisse pratiquer avec une sécurité juridique des retraits d’autorisation sur un terrain de pure précaution et disposer d’une marge de manœuvre pour choisir systématiquement une mesure plus forte en cas de doute, il faut s’interroger sur les modifications législatives que cela nécessiterait. »

Dans cette perspective, l'article unique de la présente proposition de loi tend à préciser, à un niveau législatif ordinaire, à l'instar de la loi « Barnier » de 1995 pour ce qui concerne les dommages à l’environnement, la définition et les modalités de mise en œuvre de ce que devrait être le principe de précaution dans le domaine de la santé, y compris en cas d’atteinte à la santé par des dommages à l’environnement. Au-delà du devoir de prévention sanitaire qui s’impose aux autorités publiques conformément au onzième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 qui a prévu que « [La Nation] (…) garantit à tous (…) la protection de la santé », il s’inspire des grandes lignes de la communication de la Commission européenne du 2 février 2000 sur le recours au principe de précaution, prise en application de la résolution du 13 avril 1999 du Conseil, ainsi que de la résolution du Conseil européen de Nice des 7 à 10 décembre 2000 sur le principe de précaution, annexée aux conclusions de la présidence.

La présente proposition prévoit que le principe de précaution s’applique en cas de doute « raisonnable », c’est-à-dire appuyé sur des analyses scientifiques solides.

Dans ce cas, les autorités publiques devront procéder aux évaluations et expertises nécessaires, qui devront s’attacher notamment à caractériser l'incertitude scientifique et technique quant aux effets sur la santé humaine.

Si les risques ainsi évalués apparaissent disproportionnés aux bénéfices escomptés, les autorités publiques devront prendre les mesures de nature à réduire suffisamment les risques au regard des bénéfices escomptés. La notion de disproportion inclura implicitement le cas d’un risque grave et irréversible pour la santé.

Les mesures devront être choisies de façon à être effectives, non discriminatoires et cohérentes au regard des mesures déjà prises dans des situations similaires, conformément aux règles communautaires.

Cette proposition de loi s’appuie sur une proposition de résolution parlementaire qui décline les modalités générales d’organisation de la mise en œuvre du principe de précaution, tant pour le domaine de l’environnement que pour celui de la santé.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

Avant le titre premier du livre premier de la première partie du code de la santé publique, il est inséré un article L.1110-1 ainsi rédigé :

«Art. L. 1110-1 A.– Quand existent des motifs raisonnables, appuyés sur des études scientifiques, de penser que l'usage ou la consommation d'un produit de santé au sens de la cinquième partie du présent code peut, bien que de façon incertaine en l’état des connaissances scientifiques et techniques, conduire à la réalisation d'un dommage affectant, directement ou indirectement, la santé humaine de manière disproportionnée aux bénéfices, directs ou indirects, susceptibles d'en être escomptés par le consommateur ou l’utilisateur ou du point de vue de la santé publique, les autorités publiques veillent, dans leurs domaines d’attribution, à la mise en œuvre d’une évaluation de ces risques et bénéfices.

« Au vu de cette évaluation, elles adoptent et veillent à l’application de mesures provisoires de nature à réduire les risques en fonction des bénéfices escomptés, en tenant compte des développements scientifiques et techniques les plus récents. Ces mesures, qui doivent être motivées, font l’objet d’un réexamen périodique en fonction de l'évolution des connaissances scientifiques et techniques et du niveau de protection recherché.

« L'évaluation des risques et des bénéfices escomptés est conduite en veillant, dans la mesure du possible, à s’inscrire dans les principes d'excellence, d'indépendance, de transparence, de pluridisciplinarité et de contradiction.»

ANNEXE N° 3

COURRIERS ÉCHANGÉS ENTRE M. BERNARD ACCOYER, PRÉSIDENT DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE, PRÉSIDENT DU CEC, ET MME NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET, MINISTRE DE L’ÉCOLOGIE, DU DÉVELOPPEMENT DURABLE, DES TRANSPORTS ET DU LOGEMENT, CONSÉCUTIVEMENT À LA PUBLICATION DU RAPPORT N° 2719

1 () Rapport d’information n°2719 du 8 juillet 2010 fait au nom du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l’évaluation de la mise en œuvre de l’article 5 de la Charte de l’environnement relatif à l’application du principe de précaution par MM. Alain Gest et Philippe Tourtelier, page 226.

2 () Idem.

3 () Idem, page 227.

4 () Idem.

5 () Idem, page 228.

6 () Idem.

7 () Gasland, écrit et réalisé par M. Josh Fox, sorti le 24 janvier 2010 aux États-Unis, diffusé ensuite le 21 juin 2010 sur la chaîne américaine HBO.

8 () Rapport provisoire du CGIET n° 2011-04-G et du CGEDD n° 007318-01 sur « Les hydrocarbures de roche mère en France » établi par MM. Jean-Pierre Leteurtrois, Jean-Louis Durville, Didier Pillet et Jean-Claude Gazeau, avril 2011.

9 () Rapport d’information n° 3517 déposé par la mission d’information sur les gaz et huile de schiste au nom de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire et présenté par MM. François-Michel Gonnot et Philippe Martin le 8 juin 2011.

10 () Proposition de loi de M. Jean-Marc Ayrault visant à interdire l'exploration et l'exploitation d'hydrocarbures non conventionnels et à abroger les permis exclusifs de recherches de mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux, et tendant à assurer la transparence dans la délivrance des permis de recherches et des concessions (n°3283), déposée le 30 mars 2011 ; proposition de loi de M. Christian Jacob visant à abroger les permis exclusifs de recherches d'hydrocarbures non conventionnels et à interdire leur exploration et leur exploitation sur le territoire national (n°3301), déposée le 31 mars 2011 ; proposition de loi de M. Jean-Louis Borloo visant à interdire la recherche et l'exploitation immédiates d'hydrocarbures non conventionnels, et l'encadrement strict de celles-ci (n°3283), déposée le 13 avril 2011.

11 () Proposition de loi de Mme Nicole Bricq visant à interdire l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures de schiste (n° 377), déposée le 24 mars 2011, proposition de loi de M. Michel Houel visant à abroger les permis exclusifs de recherches d'hydrocarbures non conventionnels et à interdire leur exploration et leur exploitation sur le territoire national (n° 417), déposée le 7 avril 2011.

12 () Rapport provisoire précité du CGIET n° 2011-04-G et du CGEDD n° 007318-01 sur « Les hydrocarbures de roche mère en France », page 14.

13 () Article 5 de la charte de l’environnement de 2004 : « Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. »

14 () Article L.110-1 du code de l’environnnement : « (…) Elles s'inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, des principes suivants :

1° Le principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ;

2° Le principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable ;(…) »

15 () Rapport d’information n° 3517 précité.

16 () Idem, page 57.

17 () Site Internet du ministère de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement, cité par le rapport précité du CGEDD – CGIET.

18 () Compte-rendu n° 45 de la réunion de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire du mercredi 4 mai 2011 à 9 heures 30.

19 () Amendement en commission n° CD 32.

20 () Amendement en commission n° CD 40.

21 () Loi n° 2011-835 du 13 juillet 2011 visant à interdire l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique.

22 () Rapport d’information n° 3517 précité sur les gaz et huile de schiste, page 11.

23 () Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2001/18/CE en ce qui concerne la possibilité pour les États membres de restreindre ou d’interdire la culture d'OGM sur leur territoire.

24 () Résolution législative du Parlement européen du 5 juillet 2011 sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2001/18/CE en ce qui concerne la possibilité pour les États membres de restreindre ou d'interdire la culture d'OGM sur leur territoire.

25 () Arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (4ème Chambre) dans l’affaire n°C-58/10 Monsanto e.a. c/ France, point 38.

26 () Exemple : CJCE, 11 septembre 2002, Pfizer Animal Health SA contre Conseil de l’Union européenne, point n° 139, cité dans le rapport d’information n°2719 du 8 juillet 2010 fait au nom du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l’évaluation de la mise en œuvre de l’article 5 de la Charte de l’environnement relatif à l’application du principe de précaution par MM. Alain Gest et Philippe Tourtelier, page 34.

27 () Site du Gouvernement sur les investissements d’avenir dans le domaine « Santé et biotechnologies » : http://investissement-avenir.gouvernement.fr/content/action-projets/les-programmes/sant%C3%A9-et-biotechnologies

28 () Résolution n° 427 adoptée par l’Assemblée nationale le 24 février 2010 dans les conditions prévues par l’article 141 de son Règlement.

29 () Rapport n° 2698 fait au nom de la commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) par M. Jean-Pierre Door, page 35.

30 () Idem, page 35.

31 () Procès-verbal de l’audition de M. Didier Houssin, directeur général de la santé au ministère de la santé et des sports, le 6 avril 2010.

32 () Rapport n° 2698 fait au nom de la commission d’enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) par M. Jean-Pierre Door, page 34.

33 () Idem, page 35.

34 () Procès-verbal de l’audition de MM. Didier Tabuteau, conseiller d’État, directeur général de la Fondation Caisses d’épargne pour la solidarité et directeur de la chaire Santé de l’Institut d’études politiques de Paris, et de M. Claude Le Pen, professeur de sciences économiques à l’université Paris-Dauphine, le 13 avril 2010.

35 () Page 100.

36 () Rapport « Enquête sur le Mediator », de l’Inspection générale des affaires sociales, présenté par le Dr. Aquilino Morelle, le Dr. Anne-Carole Bensadon, et M. Étienne Marie, janvier 2011.

37 () Évoquant des faits qui datent de 1999, l’Igas ne fait pas directement référence au principe de précaution, tel que prévu à l’article 5 de la Charte de l’environnement de 2004. Comme l’ont montré les auteurs du présent rapport dans leur rapport initial, le principe de précaution existe toutefois depuis longtemps s’agissant des questions environnementales dans le droit international. Au niveau européen, il devient une norme juridique générale et opposable à partir du traité de Maastricht entré en vigueur le 1er novembre 1993 et la jurisprudence communautaire étend explicitement son application au domaine sanitaire (Arrêts de la CJCE du 5 mai 1998, dits « ESB » ; arrêt Artedogan du 26 novembre 2002). La jurisprudence du Conseil d’État a également établi de façon autonome une démarche de précaution s’imposant aux autorités publiques en matière sanitaire.

38 () Ces passages sont également repris et soulignés par le rapport d’information n°3552, du 22 juin 2011, déposé par la Commission des affaires sociales en conclusion des travaux de la mission sur le Mediator et la pharmacovigilance, et présenté par M. Jean-Pierre Door.

39 () Rapport n° 3725 du 20 septembre 2011 fait au nom de la commission des Affaires sociales sur le projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé par M. Arnaud Robinet, page 16.

40 () Rapport d’information n°2719 précité sur l’évaluation de la mise en œuvre de l’article 5 de la Charte de l’environnement relatif à l’application du principe de précaution, page 117.

41 () Rapport n° 3773 du 28 septembre 2011 fait au nom de la commission des Affaires sociales sur la proposition de loi visant à la suspension de la fabrication, de l’importation, de l’exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A par Mme Michèle Delaunay.

42 () Rapport n° 3306 du 5 avril 2011 fait au nom de la commission des Affaires sociales sur la proposition de loi visant à interdire l’utilisation des phtalates, des parabènes et des alkylphénols par M. Yvan Lachaud.

43 () En gras, dans le texte original.

44 () Rapport n° 3662 de l’Assemblée nationale et n° 765 du Sénat, enregistré le 12 juillet 2011.

45 () Rapport d’information n°2719 précité sur l’évaluation de la mise en œuvre de l’article 5 de la Charte de l’environnement relatif à l’application du principe de précaution,, page 112.

46 () Communiqué de presse n° 208 du CIRC du 31 mai 2011.

47 () L’OMS classe les produits ou les agents utilisés par l’homme en cinq groupes selon leur niveau de risque de cancer. Le groupe 1 recense les 107 agents cancérogènes pour l’homme ; le groupe 2A, les produits dits « probablement cancérogènes » (59) ; le groupe 2B, les substances « potentiellement cancérogènes » (266) ; le groupe 3, les agents inclassables et le groupe 4, les « probablement pas cancérogènes ».

48 () Rapport d’information n°2719 précité, page 114.

49 () Amendement n° II - 145 Rect du 4 novembre 2010, présenté par Mme Bérangère Polettiet plusieurs de ses collègues introduisant un article additionnel après l’article 73 du projet de loi de finances pour 2011 n° 2824, seconde partie.

50 () Rapport d’information n°2719 précité, page 113.

51 () CA Montpellier, 5e, A, 15-09-2011, n° 10/04612, Monsieur P. et 25 autres c/ SA Société française de radiotéléphone.

52 () Communiqué de l’Académie nationale de médecine du 3 mars 2009 (Bull. Acad. Natle Méd, 2009, Tome 193, No 3, p 781-785).

53 () Sont citées une communication du 17 septembre 2007 de l’Agence européenne de l’environnement ; une résolution du Parlement européen du 4 septembre 2008 sur l’évaluation à mi-parcours du plan d’action européen en matière d’environnement et de santé 2004-2010 ; le rapport d’expertise collective de l’Affset du 15 octobre 2009 et un rapport du directeur général de la santé dit « ZMIROU » du 16 janvier 2001.

54 () CE, 19 juillet 2010, Association Quartier des hauts de Choiseul, req. n° 328687.

55 () CE, 28 novembre 2007, Commune de Saint-Denis c/ Société Orange France, req. n° 300823.

56 () CE, Assemblée, 26 octobre 2011, Commune de Saint-Denis (n°326492), Commune de Pennes-Mirabeau (n°329904) et SFR (n°s 341767 – 341768).

57 () 2011-116 QPC, 8 avril 2011, Journal officiel du 9 avril 2011, p.6361, texte n° 89, cons. 2, 5 et 6.

58 () Loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l'environnement. L’article 52 dispose que « L'État développera la production, la collecte et la mise à jour d'informations sur l'environnement et les organisera de façon à en garantir l'accès […] La procédure du débat public sera rénovée afin de mieux prendre en compte l'impact des projets sur l'environnement. […] L’expertise publique en matière d'environnement et de développement durable et l'alerte environnementale seront réorganisées dans un cadre national multidisciplinaire et pluraliste, associant toutes les parties prenantes concernées. […]Le Gouvernement présente un rapport au Parlement, au plus tard un an après la promulgation de la présente loi, sur l'opportunité de créer une instance propre à assurer la protection de l’alerte et de l'expertise afin de garantir la transparence, la méthodologie et la déontologie des expertises ».

59 () Rapport n° 2010/10/CGIET/SG ou CGEDD n° 007207-01 sur « L’expertise : mission d’analyse et de conseil suite au Grenelle de l’environnement », établi par MM. Gérard Lallement, Gérard Lehoux, Alain Lhostis et Philippe Vesseron, octobre 2010.

60 () Lettre de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet à M. Benard Accoyer, le 6 décembre 2010.

61 () Lettre de M. Bernard Accoyer à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, le 12 janvier 2011.

62 () La Belgique a été le premier pays européen à interdire tous les tapis-puzzle, anticipant en fait une décision européenne qui interdira les formamides dans tous les pays de l'UE à partir de 2013. Le secrétaire d’État a suspendu le 13 décembre 2011 la vente des jouets pour trois mois, en demandant à la DGCCRF « un contrôle sans délai » et le détail des analyses scientifiques à son homologue belge.

63 () TPICE, 26 novembre 2002, Artedogan contre Commission.

64 () Cf. supra première partie du présent rapport : I.B.4.

65 () Rapport d’information n°2719 précité, page 226.

66 () Lettre de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet à M. Bernard Accoyer, le 6 décembre 2010.

67 () Charte nationale de l’expertise, élaborée sous la responsabilité de M. Jean-Yves Perrot, président de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) et de M. Roger Genet, directeur général de l’Institut de recherche pour la gestion durable des eaux et des territoires (Cemagref), rendue publique le 2 mars 2010.

68 () Rapport du Comité opérationnel « recherche » du Grenelle de l’environnement, du 8 septembre 2008, destiné à M.Jean-Louis Borloo, ministre de l’Écologie, de l’énergie, du développement durable et de l’aménagement du territoire et de Mme Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, annexe 5, rapport f., page 7.

69 () Loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l'environnement.

70 () http://gouvernanceenvironnementale.wordpress.com/

71 () Sciences humaines et sociales.

72 () Direction générale pour la recherche et de l’innovation.

73 () Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle.

74 () Pôle de recherche et d’enseignement supérieur « Sorbonne Universités » associant les Universités Panthéon-Assas, Paris-Sorbonne et Pierre et Marie Curie et le Muséum national d’histoire naturelle.

75 () École normale supérieure.

76 () Réponse précitée de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet à M. Bernard Accoyer, le 6 décembre 2010.

77 () Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.

78 () Idem.

79 () Rapport public annuel du Conseil d’État, « Consulter autrement, participer effectivement », 2011.


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