N° 4333 - Rapport d'information de M. Jean-Luc Reitzer déposé en application de l'article 145 du règlement, par la commission des affaires étrangères, en conclusion des travaux d'une mission d'information sur la présence et les intérêts français en Amérique latine




N° 4333

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 février 2012.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 5 octobre 2010 (1),

sur « la présence et les intérêts français en Amérique Latine »

Président

M. Jean-Pierre DUFAU

Rapporteur

M. Jean-luc REITZER

Députés

__________________________________________________________________

(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

La mission d’information « la présence et les intérêts français en Amérique Latine  » est composée de : M. Alain Néri, président (jusqu’à son entrée au Sénat le 1er octobre 2010) puis M. Jean-Pierre Dufau, président, M. Jean-Luc Reitzer, rapporteur, Mme Martine Aurillac, M. Jean-Paul Bacquet, Mme Chantal Bourragué, MM. Loïc Bouvard, Jean-Michel Ferrand, Mme Marie-Louise Fort, MM. Jean Grenet, Serge Janquin, Jean-Paul Lecoq, Dominique Souchet, Michel Vauzelle.

INTRODUCTION 9

I – LE MYTHE ET LA RÉALITÉ 11

A – FRANCOPHILIE LATINO-AMÉRICAINE ET INFLUENCE FRANÇAISE 11

1) La force de l’élitisme 11

a) Le regard des intellectuels, ferment de la francophilie latino-américaine 11

b) Les exilés parisiens 13

c) La Seconde Guerre mondiale et la Libération 14

2) Un « besoin de France » à son apogée à l’aube du XXe siècle 16

a) La France comme mère patrie 16

b) Une vision partagée 18

3) Les réponses apportées par la France à la passion latino-américaine 19

a) La priorité donnée aux instruments d’influence culturelle 19

b) Des implantations économiques et industrielles tôt développées 22

c) Une émigration française en revanche modeste 23

B – D’INDIFFÉRENCE EN NÉGLIGENCES 24

1) La France depuis longtemps en perte de vitesse 24

a) Une crise de la relation amorcée dès la fin du XIXe siècle 24

b) Des positions économiques et industrielles tôt concurrencées 26

c) L’irrésistible montée en puissance d’autres influences 29

2) Les très insuffisantes réactions françaises 31

a) Une indifférence bien établie vis-à-vis de l’Amérique latine 31

b) La France en décalage par rapport aux attentes exprimées 33

c) La France surtout sur la défensive 35

II – MODERNITÉ DE L’AMÉRIQUE LATINE 37

A – L’AMÉRIQUE LATINE MÉCONNAISSABLE 37

1) Une région qui a profondément changé 37

a) Un continent apaisé de démocraties enfin retrouvées 37

b) Un processus soutenu d’intégration régionale 40

c) Diversités de l’Amérique latine 43

2) Le décollage économique de l’Amérique latine 45

a) Les leçons retenues du passé 45

b) Les bases de la croissance à consolider 48

c) Des bénéfices encore en attente 51

3) Des ambitions qui s’affirment 55

a) Une région en voie d’émancipation 55

b) Des diplomaties qui s’affirment au service des intérêts économiques 58

c) Le Brésil, incontestable premier violon de l’orchestre 60

B – LE XXIE, SIÈCLE DE L’AMÉRIQUE LATINE ? 63

1) L’Amérique latine sur le chemin du développement 63

a) Une région qui a fait du développement économique et social sa préoccupation première 64

b) L’Amérique latine comme partenaire et modèle 65

2) Mais un chemin encore semé d’embûches 67

a) Des défis sociaux majeurs 67

b) Les défis de la sécurité et de la criminalité 70

c) Réussir à mettre la région sur la voie de la stabilité 72

III – NOUVELLES PERCEPTIONS DE L’AMÉRIQUE LATINE 75

A – REGARDS CROISÉS 75

1) Un dialogue transatlantique : la relation Union européenne – Amérique latine 75

a) Des régions faites pour s’entendre… 75

b) … dont le dialogue se heurte à quelques « irritants » 79

2) Des relations interaméricaines aujourd’hui distendues 81

3) Une relation plus concrète : le commerce transpacifique 83

a) La Chine à l’assaut de l’Amérique latine 83

b) L’irrésistible attraction de l’Asie 85

B – LE TROPISME LATINO-AMÉRICAIN DES ANCIENNES PUISSANCES COLONIALES 87

1) L’Amérique latine au cœur de la diplomatie espagnole 87

a) L'Espagne, chef de file européen en Amérique latine 87

b) Une relation néanmoins peut-être aujourd’hui en perte de vitesse 88

c) Des investisseurs opportunistes aux intérêts en forte progression 89

2) L’objectif premier de la diplomatie portugaise  92

a) Profiter du dynamisme économique de l’Amérique latine 92

b) Des relations politiques au service des ambitions du Portugal 92

c) Une politique de coopération spécifique 94

C – L’INTÉRÊT CROISSANT DES PRINCIPAUX PAYS EUROPÉENS POUR L’AMÉRIQUE LATINE 94

1) L’attention portée à l’Amérique latine par l’Italie 94

a) Des relations transatlantiques soutenues, depuis longtemps institutionnalisées 95

b) La Lombardie, moteur de la relation avec l’Amérique latine 95

c) Une priorité diplomatique également déclinée sur le plan bilatéral 97

2) Le retour du Royaume-Uni 99

a) Une histoire de négligences comparable aux nôtres 99

b) Un nouveau regard 100

c) Une nouvelle stratégie pour des objectifs précis 102

3) La politique latino-américaine de la République fédérale d’Allemagne  104

a) Des liens nombreux et anciens 104

b) Les prémices plus récentes du renouveau d’intérêt 105

c) Les volets et instruments de la stratégie allemande 106

d) Une stratégie globale, des instruments complémentaires 108

IV – L'ÉTAT DES LIEUX 111

A – L’AMÉRIQUE LATINE A-T-ELLE JAMAIS ÉTÉ UNE PRIORITÉ FRANÇAISE ? 111

1) 21 septembre - 16 octobre 1964 : les raisons d’un périple exceptionnel 111

a) Des frémissements annonciateurs d’une évolution ? 111

b) Un voyage présidentiel unique 113

c) Insérer le Cône sud dans l’équilibre mondial 115

2) La France n’a jamais eu de politique latino-américaine 116

a) Une région hors des préoccupations de Georges Pompidou et de Valéry Giscard d’Estaing 117

b) Les velléités contrariées du Président Mitterrand 118

c) L’Amérique latine comme contrepoids à l’hégémonie américaine sous Jacques Chirac 120

3) La période actuelle : continuité de la diplomatie française 121

a) L’absence de l’Amérique latine dans la réflexion diplomatique et stratégique de la France 122

b) L’approche de l’Amérique latine par Nicolas Sarkozy 124

c) Des tensions et quelques ratés… 125

d) L’Amérique latine enfin à la mode ? 126

4) Une approche essentiellement globale et multilatérale de l’Amérique latine 127

B – LES VECTEURS D’INFLUENCE 130

1) La France et les moyens de son influence politique et culturelle 130

a) Une attention politique toujours insuffisante 130

b) Des moyens de qualité, des partenariats scientifiques et culturels souvent remarquables 133

c) … mais une tendance générale à la diminution des moyens 138

d) La richesse de la relation bilatérale avec le Brésil 141

2) Les investissements en Amérique latine : le contexte et son évolution contemporaine 145

a) L’évolution des politiques sud-américaines d’accueil des IDE 146

b) Les stratégies d’internationalisation des grands groupes 148

c) Une période favorable, dont les IDE français profitent peu… 149

e) … Malgré la demande d’investissements français 152

3) Le profil des IDE français : saupoudrage et concentration géographique 154

a) Des positions françaises malgré tout non négligeables 154

b) Le Brésil rafle la mise 158

c) La concentration sectorielle des IDE français dans le Cône sud 160

4) Vers des évolutions importantes ? 161

a) L’absence actuelle des PME 161

b) Les perspectives d’évolution sectorielles 163

5) La modestie des échanges commerciaux 165

a) Un panorama souvent déficitaire 165

b) Quelques données bilatérales 167

c) Le commerce bilatéral de la France avec les émergents de la région 170

d) La faible présence commerciale des PME 172

V – NE PAS RATER LE COCHE ! 175

A – LES ATOUTS DE LA FRANCE POUR DEMAIN 175

1) Une image encore exceptionnelle 175

a) Le discours et l’attente n’ont pas changé 175

b) Mais les choses pourraient changer et invitent à la vigilance 179

2) La présence institutionnelle fondamentale de la France dans les organismes régionaux 181

a) L’exemple de la Banque interaméricaine de développement 181

b) La participation de la France à d’autres instances régionales est tout aussi importante 183

c) Essayer de renforcer nos positions dans d’autres instances régionales ? 186

d) Conforter des synergies possibles avec nos propres mécanismes de financement du développement 188

3) Le Brésil, porte d’entrée de la France sur le sous-continent 189

a) Un partenariat unique et des perspectives prometteuses 189

b) Un volet militaire important 192

c) Le Rafale : désillusion française ou péripétie budgétaire ? 194

4) Un pays qui doit plus que jamais rester au cœur de notre stratégie latino-américaine 197

a) La priorité à donner au Brésil 197

b) Renforcer les secteurs sur lesquels notre présence marque encore des faiblesses 199

B – LES ÉLÉMENTS D’UNE STRATÉGIE GLOBALE POUR LE FUTUR DE LA PRÉSENCE FRANÇAISE EN AMÉRIQUE LATINE 203

1) L’impératif de définir une stratégie nationale vis-à-vis de l’Amérique latine 203

a) Elever la dimension politique de notre relation 203

b) Les moyens d’une politique innovante 205

c) Promouvoir les coopérations décentralisées 206

d) Capitaliser sur les nouvelles initiatives et les accompagner 208

2) Renforcer la dimension européenne de notre approche latino-américaine 210

CONCLUSION 213

EXAMEN EN COMMISSION 215

ANNEXES 221

Annexe 1 - Carte générale d’Amérique du sud 223

Annexe 2 - Liste des personnalités rencontrées 225

Mesdames, Messieurs,

La France jouit depuis toujours d’une image exceptionnelle en Amérique latine, d’une amitié qui ne s’est jamais démentie et dont les marques ont été constantes au cours de l’histoire.

A l’heure où la région décolle enfin – notamment le Cône sud, sur lequel la mission d’information s’est plus particulièrement penchée –, où elle offre de nouvelles opportunités, il est urgent de prendre la mesure des changements à l’œuvre, actualiser notre approche et adapter les instruments de notre influence aux réalités de demain.

En effet, l’Amérique latine a si considérablement changé au cours de la dernière décennie qu’elle est aujourd’hui méconnaissable : elle en a enfin fini avec les dictatures, la démocratie s’est installée partout et les alternances se succèdent ; du nord au sud du sous-continent, ses performances économiques sont remarquables ; les taux de croissance, à peine ralentis par la crise de 2008, sont parmi les plus élevés ; l’efficacité des politiques macroéconomiques rigoureuses mises en œuvre sur des bases assainies est indéniable. Sur ces fondements, les pays latino-américains, décomplexés, car conscients du chemin parcouru et de leurs possibilités, revendiquent d’occuper la place à laquelle ils ont légitimement droit dans la gouvernance mondiale, de prendre leur part aux enjeux de demain, avec la certitude que le XXIe siècle sera celui de l’Amérique latine. Certes, ils ont encore devant eux de très importants défis, notamment la consolidation de modèles économiques encore trop fondés sur l’exportation de matières premières et la question sociale, cruciale entre toutes. Néanmoins, on pourrait difficilement contester que cette région est enfin entrée dans un cercle vertueux et qu’elle vit un moment unique de son histoire, quelque critère que l’on prenne en compte.

Nombreux sont ceux qui sont conscients de ces changements et qui adaptent leur regard en conséquence. Certains s’en sont rapprochés récemment, tels les pays asiatiques. D’autres, européens notamment, ont d’autant mieux identifié les perspectives que l’ensemble du sous-continent se montre particulièrement désireux de multiplier les partenariats. D’où le fait que ces pays européens mettent désormais en œuvre des stratégies spécifiques pour tirer au mieux profit des opportunités qu’ils offrent. Ils ont comme préoccupation de renforcer leurs positions en Amérique latine, leurs investissements, leurs échanges commerciaux, de développer les relations avec une région qui, pour relativement modeste qu’elle soit encore au plan économique, est appelée à devenir un acteur majeur, comme chacun le sent. Et ils se donnent les moyens de réorienter leur diplomatie en ce sens.

La France en revanche ne paraît pas être encore vraiment en syntonie avec ces perceptions. Elle semble continuer de vivre sa relation avec les pays sud-américains sur une dynamique incertaine qui ne peut manquer de s’essouffler à mesure que les changements en cours produiront tous leurs effets. Aujourd’hui comme jadis, elle n’a pas encore mis l’Amérique latine au cœur de ses priorités politiques.

La mission a travaillé un an sur ce dossier, entendu de très nombreux spécialistes et acteurs de la région au cours des auditions qu’elle a organisées. Elle a également effectué trois déplacements : au Brésil, au Chili et en Equateur ; autrement dit dans des pays en tous points fort différents. La vision globale de l’ensemble des problématiques en cours qu’elle en a retirée lui a confirmé ce décalage et l’a confortée dans l’idée que notre pays se devait de réagir sans tarder.

Non qu’il soit d'ores et déjà hors course : il dispose encore d’atouts non négligeables et même de positions avantageuses. Celles-ci sont cependant modestes, notamment par rapport à ce qu’elles pourraient être si la France jouait de ses avantages comme elle le devrait, et décidait d’élever le niveau de sa relation avec la région.

Au long de ce rapport, la mission examine les divers aspects de la relation de la France avec les pays du Cône sud, leur évolution, et s’interroge sur les moyens de l’entretenir et de la conforter en tenant compte des évolutions en cours. Il n’est pas encore trop tard pour que notre pays fasse de l’Amérique latine une de ses priorités et ne perde pas pied dans une région qui attend encore beaucoup de lui.

I – LE MYTHE ET LA RÉALITÉ

A – Francophilie latino-américaine et influence française

S’agissant des relations entre la France et l’Amérique latine, le premier sujet que l’on doit aborder, tant il est marquant, est celui de la francophilie particulièrement forte que les élites latino-américaines ont exprimée des décennies durant et de la manière dont notre pays y a répondu en développant un certain nombre d’instruments d’influence fort pertinents.

1) La force de l’élitisme

a) Le regard des intellectuels, ferment de la francophilie latino-américaine

« Je n’exagère pas en disant que j’ai passé toute mon adolescence à rêver de Paris. Je vivais alors dans le stagnant Lima des années 50, convaincu qu’aucune vocation littéraire ou artistique n’atteindrait sa maturité sans l’expérience parisienne, parce que la capitale de la France était aussi la capitale universelle de la pensée et des arts, le foyer d’où rayonnaient vers le reste du monde les nouvelles idées, les formes et les styles neufs, les expériences et les sujets qui, tout en liquidant le passé, établissaient les bases de ce qui allait être la culture de l’avenir… » (1)

C’est par ces mots que Mario Vargas Llosa ouvre le chapitre « Paris » de son « Dictionnaire amoureux de l’Amérique latine ». Les quelques pages qui suivent cette entrée en matière mériteraient d’être également reproduites pour illustrer ce que Paris, et la France, représentaient alors pour la future élite littéraire latino-américaine. Comme quelques années plus tard à Stockholm lorsqu’il recevra son prix Nobel de littérature en citant les héros les plus flamboyants des lettres françaises (2), l’écrivain péruvien y exprime sa passion pour notre pays et sa culture, clamant que c’est à Paris qu’il a vécu les sept années les plus décisives de sa vie, déclinant son Panthéon littéraire où Hugo, Balzac, Flaubert, Stendhal, Baudelaire, Lautréamont et Rimbaud, côtoient Aron, Tocqueville, Camus, Sartre, Bataille ou Revel, ainsi que Molière, Proust, Artaud, Céline, Malraux et tant et tant d’autres. Passion partagée par « d’innombrables jeunes » de son âge, par les générations précédentes aussi (3) d’Amérique latine et même du monde entier, qui voyaient la France comme « la Mecque de la littérature et de l’art » (4) abreuvés d’une « littérature française (…) dont la richesse et la variété stupéfiante (…) me paraissent encore et toujours sans égales, à leur époque comme dans celles qui suivent » (5) apprenant « bien des choses de la culture française, mais, principalement, à aimer par-dessus tout la liberté et à combattre tout ce qui la menace et la contredit. (...) Cette tradition d'insoumission, libertaire et rebelle, et cette vocation universelle, voilà pour moi les deux affluents majeurs du grand fleuve de la culture française (…) ». (6)

Ces images d’universalité, de liberté, de Lumières, toute une génération d’écrivains latino-américains les ont partagées : Julio Cortázar, Miguel Ángel Ásturias et d’autres, Neruda, Garcia Marquez ou Jorge Amado, se sont exprimés dans des termes proches et tout aussi enflammés que ceux de Vargas Llosa. Qu’ils soient argentin ou guatémaltèque, chilien, colombien ou brésilien, ces écrivains latino-américains, ont vu Paris comme la capitale universelle. De même, lorsque nous l’avons reçu à l’Assemblée nationale, Fernando Henrique Cardoso, Président de la République fédérative du Brésil, avait pu nous dire ce qu’il devait à la France : « J´ai été élève de l’Université de São Paulo, où j’ai bénéficié du legs laissé par Roger Bastide, Claude Lévi-Strauss et Fernand Braudel. J’ai appris la sociologie du travail avec Georges Friedmann et Alain Touraine, à qui je dois tant sur le plan intellectuel. Dans les années soixante, l’exil m’a conduit à Paris. J’y ai vécu de près les journées libertaires de mai 68. À Nanterre j’ai assuré un enseignement sur l’Amérique Latine, mais j´y ai appris bien davantage. J’ai appris que l´aspiration de Tocqueville à un équilibre idéal entre liberté et égalité continuait à animer l’esprit français. (…) ». (7)

En d’autres termes, pour de nombreux intellectuels et écrivains latino-américains, notre pays et sa capitale ont eu une importance et une attractivité exceptionnelles, qui ne s’est pas démentie au long du temps. Elle a sans doute été d’autant plus forte dans les années 1960 que leurs pays respectifs étaient alors soumis à la botte des militaires. On comprend ainsi pour cette génération l’écho de mai 68, que soulignait le Président brésilien. Dans le même esprit, et bien que son pays soit hors du champ strict de cette étude, comment ne pas évoquer et rappeler les propos similaires, dans les mêmes circonstances, de Vicente Fox Quesada, Président des États-Unis mexicains, qui faisait remarquer pour sa part : « c’est peut-être là l’aspect le plus important de notre relation : une fascination mutuelle pour nos cultures respectives. Nous, les Mexicains, avons été intimement nourris de culture française, tant par la connaissance des auteurs et des artistes de cette grande nation, que par la fréquentation de l’œuvre de certains des plus grands créateurs du Mexique. Ce n’est pas un hasard si les trois écrivains mexicains les plus éminents du XXe siècle, Alfonso Reyes, Octavio Paz et Carlos Fuentes, ont été profondément imprégnés de culture française, ce qui transparaît dans leurs œuvres. ». (8)

Il est intéressant de relever que cette attractivité exceptionnelle sur les élites intellectuelles latino-américaines aura même des répercussions fortes et durables sur les cultures populaires de la région, dont certaines se sont trouvées être indirectement influencées par la France de cette époque. Un récent rapport du Sénat rappelait ainsi que « les formes modernes du carnaval se sont mises en places à Rio de Janeiro au milieu du XIXe siècle, s’inspirant notamment du carnaval de Paris, la France étant alors particulièrement à la mode. À la place d’une manifestation de rue diffuse et populaire, s’est développé un carnaval bourgeois bien encadré, se tenant au début dans des lieux clos, et qui passe ensuite dans la rue sous la forme de défilés. Ceux-ci permettent de donner aux carnavals une dimension populaire, mais leurs itinéraires et horaires sont fixés à l’avance et bien respectés. » (9)

b) Les exilés parisiens

Cette francophilie très forte et durable des élites intellectuelles latino-américaines n’est sans doute pas étrangère au fait que, quelques années plus tard, les réfugiés politiques, chiliens notamment, choisiront souvent la France, de préférence à d’autres pays européens, lorsqu’ils auront à fuir les dictatures militaires.

Pour autant, il est tout d’abord utile de relever qu’au cours du XXe siècle et jusqu’aux années 1970, la présence latino-américaine en France était restée très réduite. Elle se limitait en fait à cette génération d’intellectuels et d’artistes qu’on a cités, qui avaient fait de Paris la capitale de leur bohème. Comme on a pu le faire remarquer, il s’agissait d’une communauté restreinte qui n’a alors jamais atteint les 10 000 personnes (10). Toutes choses égales, c’est de la même manière qu’un certain nombre d’intellectuels français, peu nombreux aussi, avaient su tisser des liens universitaires forts en Amérique latine. En d’autres termes, ces communautés étaient aussi réduites numériquement qu’importantes symboliquement, ce qui n’empêchait pas les échanges intellectuels entre les deux régions de rester vigoureux, quoique plus faibles qu’au siècle précédent, (11) même si l’exil temporaire d’intellectuels pendant la guerre, Paul Rivet en Colombie, Jules Romains au Mexique, ont contribué, entre autres choses, à maintenir les liens actifs.

Les causes, et les manifestations, de l’émigration latino-américaine vers notre pays se sont considérablement modifiées dans les années 1970, à partir de 1973 précisément, à raison du coup d’État contre le Président Salvador Allende au Chili. Il en est résulté en Europe, et notamment en France, un important mouvement de sympathie, traduit par la création de nombreux comités de soutien aux militants chiliens dont les premiers exilés arrivèrent à Paris dès le début du mois de novembre comme réfugiés politiques. La communauté chilienne, auparavant minoritaire, est très vite devenue la plus importante des communautés latino-américaines, suivie des diasporas brésilienne, argentine, celle-ci comptant également de nombreux réfugiés politiques. Dès 1975, la communauté chilienne comptait plus de 2 300 personnes, 6 300 en 1982, pour dépasser les 9 500 personnes au début des années 1990. (12)

Cette immigration vers la France s’est accompagnée d’un important mouvement de solidarité et les années 1970-1980 ont vu la création de nombreuses associations d’entraide, comme l’installation dans notre pays de plusieurs artistes qui ont contribué à la reconnaissance de la diversité culturelle latino-américaine contemporaine. Ce sont autant de facteurs qui expliquent la forte visibilité des immigrés sud-américains de cette époque, soutenus par les milieux associatifs, sociaux, politiques et académiques. Cela étant, d’une certaine manière et comme précédemment, on reste alors sur une relation essentiellement entretenue du fait de la présence d’une élite, de son intérêt pour notre pays et de la réponse que celui-ci lui offre.

En d’autres termes, à la francophilie traditionnelle des latino-américains ont répondu le moment venu des élans de sympathie et de solidarité envers les peuples de la région soumis à la dictature des militaires.

c) La Seconde Guerre mondiale et la Libération

On ne peut bien sûr clore ces développements sans rappeler certains souvenirs de l’histoire récente, particulièrement marquants, qui illustrent mieux que tout autre l’image de la France en Amérique latine. On les a sans doute oubliés mais ils sont autant de manifestations, surprenantes par leur ampleur et leur force symbolique, de l’enthousiasme que notre pays a pu susciter.

Ainsi, sait-on encore aujourd’hui que les trois quarts des quelque 400 comités de la France libre qui se constituèrent dans le monde pour soutenir l’action du général de Gaulle se trouvaient en Amérique latine ? C’est à Rio de Janeiro et à São Paulo que furent créés les tout premiers. Il y en aura en tout 18 au Brésil, actifs dans une trentaine de villes, qui, notamment, enverront des fonds à Londres. Tous les pays du sous-continent et la plupart de ceux d'Amérique centrale possèderont rapidement un comité ; il y en aura ainsi quarante en Argentine, quarante-deux au Chili, trente-cinq en Colombie. Si certains fonctionnèrent avec le concours de Français, cf. par exemple le rôle de Georges Bernanos, au Brésil, d’autres n’existeront durant toute la guerre que par la seule volonté de citoyens latino-américains très attachés à la France et fortement sympathisants de la cause gaulliste, qui éditeront souvent leurs propres journaux et bénéficieront du soutien de la population. (13)

Dans le même ordre d’idées, se souvient-on aussi que bien avant que le Royaume-Uni, les Etats-Unis et l’URSS ne l’imitent, c’est en fait l’Uruguay qui fut le tout premier pays à reconnaître le Comité français de libération nationale, dès le 11 juin 1943, une semaine après sa constitution à Alger ?

Et qu’enfin le jour de la libération de Paris, dans toute l'Amérique latine, fut un jour de liesse : si le Brésil décréta trois jours fériés pour célébrer l’événement, ses voisins ne furent pas en reste : « Aussitôt la nouvelle connue, dès neuf heures du matin, la population de Montevideo envahit les rues ; les commerces et les écoles ferment leurs portes ; des drapeaux tricolores apparaissent à beaucoup de fenêtres ; le Président de la République lui-même prend la tête d’une importante manifestation chantant la Marseillaise. » (14). Selon les témoignages, le représentant du général de Gaulle fut alors porté en triomphe par la foule jusqu’au siège de la Légion de France de Montevideo, remise à sa disposition. De telles scènes se répétèrent à Rio, Lima, Santiago, Mexico, comme dans la plupart des villes latino-américaines : ainsi, 250 000 personnes se rendirent en cortège à l'ambassade de France à Buenos Aires, entonnant la Marseille, agitant des drapeaux tricolores, cependant qu’un don de 100 000 tonnes de blé et de 5 000 tonnes de viande était fait par le gouvernement argentin à la France (15).

Ces manifestations faisaient écho à la tristesse et à l'émotion qui, quatre ans plus tôt, avaient étreint les Latino-américains à l’annonce de la déroute des armées françaises en 1940 : « à l'issue d'une messe dite à la demande de Brésiliens dans la cathédrale de Rio pour la protection de Paris lors de l'avance allemande, des centaines de personnes à genoux, jusque sur le parvis, entonnèrent la Marseillaise, comme une sublime prière, affirmant ainsi leur espérance. Et lorsque Paris fut occupé, un haut magistrat brésilien, bouleversé à l'annonce de cette nouvelle, décida de porter une cravate noire en signe de deuil tant que Paris ne serait pas libéré (…) ». (16)

Comment mieux confirmer la force de la francophilie du sous-continent latino-américain qui va au-delà des cercles cultivés ou intellectuels ?  Des éléments de cette nature et de cette ampleur traduisent évidemment l’image forte de notre pays et la passion qu’il suscite dans cette région du monde. Quelques années plus tard, le général de Gaulle aura l’occasion de dire : « [...] Si, parlant d'un passé récent, j'évoque les flots de chagrins, de sympathies, d'espérances, que le malheur initial de la France fit déferler sur l'Amérique latine lors de la Deuxième Guerre mondiale, si je rappelle les concours moraux, matériels et politiques par quoi celle-ci soutint la France combattante, si je reviens sur l'inoubliable enthousiasme qu'y souleva la Libération, je ne fais que mettre en relief ce qu'il y a d'exceptionnel et de fraternel dans les liens qui les unissent. ». (17)

2) Un « besoin de France » à son apogée à l’aube du XXe siècle

Cette francophonie fascinée et ses multiples manifestations reposent sur des fondements qui dépassent notre pays, et tiennent à des origines culturelles communes, entretenues par la mise en place, très tôt, d’instruments d’influence qui ont joué admirablement leur rôle et ont permis qu’une relation riche et durable se noue entre la France et la plupart des pays de la région.

a) La France comme mère patrie

Dans l’imaginaire des intellectuels latino-américains, la France et Paris ont donc clairement une place singulière. Vargas Llosa rappelait ainsi qu’Octavio Paz, autre indéfectible amoureux de notre pays, ne considérait rien moins Paris que comme la capitale de la culture latino-américaine. Depuis longtemps, il était loin d’être le seul. Vicente Fox Quesada, parlant de la France depuis la tribune de l’hémicycle, avait ajouté à son propos : « Cette nation a toujours représenté une source de lumière et d’humanisme pour le monde. Alfonso Reyes l’a exprimé avec son élégance et sa lucidité habituelles, lorsqu’il a dit de la France : « Oh ! Patrie commune, terre de tous ! ». Il ne s’agissait nullement d’une expression d’indifférence à l’égard de son propre pays, qu’il aimait profondément ; il ne faisait là que manifester son admiration, l’admiration de tous, pour la civilisation française. Je vous remercie pour le privilège qui m’a été accordé de participer, dans ce palais, au dialogue entre le Mexique et la France, patrie commune de l’humanité. »

Depuis l’Europe, terre des ancêtres pour de nombreux Latino-américains, le rayonnement et la modernité de la France ont particulièrement séduit une Amérique latine soumise à une occidentalisation imposée par les conquérants, qui, dès la fin du XVe siècle, lui ont fixé ses différents modèles. Deux siècles et demi plus tard, les Lumières, la révolution américaine puis celle de 1789, ont directement inspiré les idéaux des mouvements indépendantistes, soutenu la revendication d’émancipation des colonies ibériques, après avoir nourri la pensée et la recherche intellectuelle de nombre des pères de l’indépendance.

De fait, des valeurs communes ont correspondu de chaque côté de l’Atlantique entre la France et les différents pays du sous-continent, véhiculées par leurs élites littéraires et intellectuelles. Mais au-delà de la seule inspiration, les références françaises ont durablement marqué les systèmes culturels, juridiques, institutionnels ou scientifiques des jeunes nations latino-américaines, d’autant plus aisément que les modèles initiaux, hispanique et lusophone, ont été en perte de vitesse à partir des indépendances. Comme pouvait le dire le Président mexicain dans son allocution « depuis la révolutionnaire Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, jusqu’à l’influence ininterrompue de la tradition juridique française dans le droit mexicain, la civilisation française est très vivante au Mexique. » Plus largement, combien de fois le Code civil français n’a-t-il pas été, et parfois jusqu’à aujourd’hui encore, le socle des législations nationales ? Dans combien de pays du sous-continent l’architecture et l’urbanisme du XIXe siècle ne gardent-ils pas encore la marque de ceux de la France ? Le droit, les sciences, la médecine ne se sont-ils pas souvent réclamés dans la région d’une tradition francophone d’autant plus forte que le français a longtemps été la langue du savoir scientifique et de l’élite ? De fait, et d’une manière générale, à la fin du XIXe siècle, comme le résumera entre autres spécialistes Denis Rolland, « la France est souvent perçue en Amérique latine comme un être idéal identifié à un système de valeurs jugé nouveau » (18) lequel rayonne depuis Paris. C’est l’époque où de nombreux artistes et écrivains latino-américains font le voyage vers la France pour y publier des revues littéraires et s’inspirer aux sources mêmes des mouvements picturaux novateurs.

Sur le plan culturel, au sens le plus large et sans qu’il soit nécessaire d’insister, la France et l’Amérique latine ont donc depuis longtemps partagé des références communes. Ces schémas initiaux n’ont fait que se renforcer, au gré des nombreuses et importantes migrations vers l’Amérique latine en provenance de plusieurs pays européens, ainsi que du Proche et Moyen-Orient. En d’autres termes, dans la matrice européenne qui a forgé une part de l’identité culturelle et politique des pays de la région – cette latinité que chacun à leur manière, tant Louis Jouvet que le général de Gaulle auront l’occasion de souligner –, notre pays a eu un rôle particulier. Un court texte, rédigé en 1942 à Lima par un universitaire péruvien, résume assez bien cette question et vaut la peine d’être reproduit ici : « Considérant que le Pérou doit à la Nation française non seulement les fondements de son organisation politique et les bases de la vie sociale, mais encore l'esprit de sa culture, les idéaux de sa société et les principes de son éducation et qu'en vue d'enrichir et de rendre plus rigoureuse la personnalité péruvienne il est souhaitable de bénéficier de cet héritage et d'accroître cette influence. Considérant que pour les Péruviens, il n'existe qu'une France, la France combattante. Les Péruviens et les Français soussignés décident de fonder un groupement qui, sous le nom d'Association culturelle péruviano-française, s'attachera à fortifier et à multiplier les liens intellectuels et spirituels qui unissent le Pérou et la France et à développer la culture française dans le sein de la nation péruvienne. (…) ». (19)

Ce qui rapproche l’Europe des pays d’Amérique latine est effectivement plus important que ce qui l’en éloigne et nous partageons toujours un socle culturel et linguistique commun, des valeurs, des métissages de populations et, dans ce contexte, globalement, France et Amérique latine ont aujourd’hui encore les mêmes références et modes de vie (20). Au point que Mario Vargas Llosa, reprenant l’idée d’Octavio Paz, peut écrire : « Quand je parvins enfin à réaliser mon rêve de vivre ici [à Paris], la France commença à m’apprendre à découvrir l’Amérique latine et à me découvrir moi-même comme latino-américain » (21) comme il redira plus tard lors de son discours de Stockholm. (22)

b) Une vision partagée

Il est intéressant de relever que cet ensemble de perceptions n’est pas seulement le fait des élites latino-américaines enflammées mais aussi celle, officiellement, de la France elle-même. Ainsi, si l’on parcourt les textes que propose le ministère des affaires étrangères et européennes sur le thème de la relation de notre pays avec l’Amérique latine, on trouve les mêmes thématiques mises en avant : il s’agit d’une « relation d’amitié au long cours fondée sur une culture et une histoire partagées », où l’on relève la « forte prégnance de la pensée française en Amérique latine » ; la thématique de la matrice européenne fondatrice d’une partie de l’identité latino-américaine, aux plans démographique, philosophique, culturel et politique, de l’imprégnation des idéaux français des Lumières et de 1789, et l’inspiration qu’ils ont représentée pour les processus d’indépendance, est également reprise : « Après avoir été unies par un même combat pour la liberté au XIXe siècle, la France et l’Amérique latine ont vu leurs liens se resserrer au siècle dernier, notamment à travers un important essor des échanges intellectuels, culturels et artistiques. La France a longtemps bénéficié, et bénéficie encore, auprès des élites latino-américaines, d’un indéniable attrait qui trouve son pendant dans l’immense curiosité des intellectuels, savants, scientifiques du XVIIIe et XIXe siècle qui ont sillonné l’Amérique latine et essaimé écoles, facultés et instituts qui portent encore leur nom. » (23). On y retrouve aussi les mêmes références obligées à l’attractivité de Paris « un point de passage obligé et un creuset de fertilisation mutuelle » pour « beaucoup de grandes figures du monde culturel latino-américain », ainsi que celle de la France terre d’accueil des exilés politiques.

3) Les réponses apportées par la France à la passion latino-américaine

Sur cette toile de fond globale, on ne peut être surpris de relever que parmi les réponses que notre pays a apportées à la passion latino-américaine, le registre culturel a incontestablement occupé la première place.

a) La priorité donnée aux instruments d’influence culturelle

La France détient par conséquent à l’évidence un capital de sympathie en Amérique latine, une familiarité qu’elle n’a probablement avec aucun autre continent (24). Pour de nombreux observateurs, c’est le rayonnement et la modernité de la France qui ont séduit les pays du sous-continent, comme les exemples qu’a cités votre Rapporteur l’ont rappelé.

Il n’est donc pas surprenant que la France ait judicieusement mis en place à cette époque un grand nombre d’instruments lui permettant de répondre à une attente qui s’exprimait aussi fort. C’est en effet sur le sous-continent que notre pays a plus particulièrement développé ses outils d’influence les plus efficaces qui lui ont permis d’entretenir la flamme des élites latino-américaines occidentalisées. C’est essentiellement dans le champ culturel que la réponse française a été apportée, et qu’elle s’est donc prioritairement dirigée vers le public francisé des élites locales et a permis à notre pays de conforter une position naturellement privilégiée dans la région. De nombreuses initiatives sont à souligner au fil des décennies, soit du fait des universitaires, soit dans un second temps, du fait des autorités politiques.

Ainsi, au début du XXe siècle, en 1908, un « Groupement des universités et des grandes écoles de France pour les relations avec l’Amérique latine » est-il créé à l’initiative de deux universitaires, dans le dessein « de favoriser les relations intellectuelles entre la France et les “républiques soeurs d’Amérique latine”, de mettre en place une coopération universitaire et de prendre en compte les potentialités économiques offertes par les pays du sous-continent. » (25). Ce groupement permettra d’entretenir et de développer de très denses relations universitaires durant de nombreuses années, à une époque où le Quai d’Orsay développe de son côté ses propres instruments culturels et se dote notamment d’un Bureau des Écoles et des Oeuvres françaises à l’étranger. Un Comité France-Amérique était créé par l’ancien ministre des affaires étrangères et académicien Gabriel Hanotaux pour « faire connaître la France à l’Amérique et l’Amérique à la France » qui, s’il devait ensuite se tourner plus vers l’Amérique du Nord, ambitionnait à l’origine de couvrir l’ensemble du continent.

Jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, l'Université française sera très active vis-à-vis de l’Amérique latine, qui sera une véritable « terre de mission » pour elle, et de très nombreux professeurs, jeunes ou éminents, y seront envoyés. Ces relations seront même parfois institutionnalisées par des accords bilatéraux, comme à partir de 1913 avec l’Argentine. De nombreuses institutions bilatérales seront fondées : ainsi en 1922 seront créés l’Institut de l’Université de Paris à Buenos Aires et l’Institut franco-brésilien de haute culture à Rio de Janeiro ; en 1924, ce sera la fondation de l’Institut de haute culture franco-mexicain. « En 1926, un accord est signé à Montevideo pour l’établissement de l’Institut de haute culture franco-uruguayen. Le 6 août 1927, le Pérou reçoit, à son tour, l’Institut de haute culture franco-péruvien suivi en 1928 par les instituts du Venezuela et du Paraguay. » (26). Viendra ensuite l’Institut Français d’Etudes Andines, basé à Lima, qui participe, depuis maintenant plus de 60 ans, à la recherche scientifique et archéologique sur les sociétés andines des quatre pays concernés.

On pourrait sans doute étoffer cette liste d’institutions qui joueront souvent un rôle remarquable du point de vue de la politique d’influence de notre pays en Amérique latine : « Les efforts incessants du Groupement seront couronnés de succès en Argentine et surtout au Brésil où les missionnaires français des années 1934 - 1935 faciliteront l’introduction de l’enseignement supérieur français en participant à la fondation des universités de São Paulo et de Rio de Janeiro. Georges Dumas avait sollicité pour cette mission et les suivantes de jeunes professeurs en début de carrière tels Fernand Braudel, Claude Lévi-Strauss, François Perroux, Pierre Monbeig, Roger Bastide ou encore Pierre Desfontaines pour ne citer que certains d’entre eux. » (27)

Plus tard, après la Seconde Guerre mondiale, l’effort se poursuivra dans le registre culturel. La Maison de l’Amérique latine fut ainsi fondée à Paris en 1946, à la demande du ministère des Affaires étrangères, comme lieu de rencontres et d’échanges culturels et économiques entre Français et Latino-Américains. Ultérieurement, en 1954, une organisation internationale sera créée, l’Union latine, dont l’initiative était en grande partie française, pour tenter de mieux capter l’attention des pays d’Amérique latine vers l’Europe, et vice et versa, à l’époque du « panaméricanisme triomphant », symbolisé depuis 1948 par l’Organisation des Etats américains, OEA, sous égide des Etats-Unis.

Sur le plan de la diffusion de la langue et de la culture, l’Alliance française a été créée en 1883 précisément pour renforcer le rayonnement culturel de notre pays à l’étranger et elle s’est immédiatement, et fortement, implantée en Amérique latine. C’est par exemple le cas au Brésil, où le site de Rio fut ouvert dès 1885. Aujourd’hui encore, le réseau des Alliances françaises en Amérique latine est le plus dense au monde et ce sont plus de 330 villes du sous-continent qui accueillent une Alliance. De même le réseau de lycées français a-t-il joué un rôle de premier plan, durable, comme vecteur de la culture de notre pays et de sa langue. Comme on le sait, là-bas comme sous d’autres latitudes, le français a longtemps été la langue du savoir scientifique et celle de l’élite et, au-delà des aléas conjoncturels, ce statut a longtemps perduré. A titre d’illustration, le président de la Maison d’Amérique latine rappelait ainsi (28) que même dans un pays comme le Salvador, pourtant depuis toujours tourné vers les Etats-Unis, le lycée français de San Salvador n’a jamais cessé de fonctionner, même entre 1979 et 1983 où nous n’y avions plus d’ambassade.

Les instruments d’influence culturels que la France a mis en œuvre ont eu un succès à la fois très remarquable et durable dans toute la région et nombreux sont les témoignages concordants quant à leur importance et à la manière dont ils ont marqué les publics : à la fin du XIXe siècle, la France était le pays le plus important pour les Equatoriens, dont toutes les élites parlaient français et venaient étudier à la Sorbonne, comme un entrepreneur aura l’occasion de le rappeler à la mission lors de son déplacement à Quito ; José Mauricio Bustani, ambassadeur du Brésil en France rappelait pour sa part (29) ses souvenirs de jeunesse et soulignait que dans les années 1950-1960 toute une génération de Brésiliens a été formée à la culture française, suivant l’enseignement dispensé par les Alliances françaises, qui faisait alors partie du cursus de base, allant voir les films français et lisant les Cahiers du cinéma, suivant les tournées annuelles de la Comédie française tandis que l’opéra de Manaus recevait régulièrement des chefs français. Les triomphes de la troupe de Louis Jouvet de 1941 à 1945 sur toutes les scènes du sous-continent sont aussi là pour en témoigner.

En d’autres termes, un travail remarquable a été accompli, sur la longue durée. Aujourd’hui encore, sur le plan culturel, selon les avis partagés, notre coopération culturelle est de bonne qualité et attendue, en témoigne les quelque 500 à 600 manifestations qui, en 2009, ont jalonné l’année de la France au Brésil et ont été très bien reçues.

b) Des implantations économiques et industrielles tôt développées

En complément de cette présence culturelle sur l’ensemble du sous-continent et du développement de ces instruments d’influence par notre diplomatie, cette époque est aussi celle d’« une présence économique et surtout financière remarquable ». (30). L’évolution sur les premières années du XXe siècle montre notamment que les investissements ont connu des progressions importantes en quelques années, en volume, tout en restant cependant concentrés sur un nombre restreint de pays le Brésil ou le Mexique, en particulier.

Les débuts du XXe siècle seront en effet une période au cours de laquelle les investissements français dans certains pays doubleront, tout en se réorientant vers certains secteurs et se concentrant dans certains pays : le Brésil accueillera à la veille de la Première guerre mondiale 41,8 % des IDE français, contre 21,4 % seulement en 1902 (31). Cette concentration se fait au détriment d’autres pays, comme la Colombie notamment, qui attire alors bien moins les investisseurs français, mais la tendance globale traduit un dynamisme certain et une attractivité du secteur industriel pour les investisseurs français. On verra pourtant plus loin que la réalité est cependant assez contrastée.

Quoi qu’il en soit de l’évolution des volumes et de la concentration des IDE français en Amérique latine, c’est aussi de cette époque que date l’implantation de grandes entreprises de notre pays dans la région, qui pour certaines y sont encore. Dans le secteur de la chimie, Rhodia, filiale de Rhône-Poulenc - la deuxième dans le monde - est ainsi installée au Brésil depuis 1919, où elle réalise aujourd’hui 16 % de son chiffre d’affaires mondial. Peugeot est également implantée au Brésil depuis fort longtemps. De même, pourrait-on citer les secteurs du textile au Mexique, des sucreries au Brésil, des brasseries et d’autres encore.

Il fut ainsi un temps, lointain maintenant, où la France était au tout premier rang de certains secteurs économiques en Amérique latine. C’était le cas des chemins de fer, de la banque ou encore de la sidérurgie, comme en Argentine ou au Brésil. C’était l’époque où la France occupait de très enviables positions dans le tissu économique et industriel de la plupart des pays d’Amérique latine. Comme le rappelait un article paru dans le journal Le Monde (32), la France venait autrefois aussitôt après la Grande Bretagne pour l’équipement des pays de la région. C’était le cas de la construction des infrastructures portuaires et de leur exploitation par des entreprises françaises, à Victoria, Para, Santos, ou Rosario ; de l’exploitation minière au Pérou, au Mexique et en maints autres endroits. De très importants établissements bancaires étaient florissants : la Banque française et italienne pour l’Amérique du sud, la Banque française du Rio de la Plata, ou encore la Banque hypothécaire du Minais Gérais.

On a vu que très tôt, la dimension économique des échanges entre la France et les pays de l’Amérique latine était présente dans la réflexion des promoteurs des outils d’influence de notre pays. C’est dans le même esprit et compte tenu de la nécessité de faire repartir la machine économique en direction des territoires américains, qu’au sortir de la Seconde Guerre mondiale, en mai 1946, sera créée la Chambre de commerce France - Amérique latine, qui sera active jusqu’à sa dissolution, fin 1994.

c) Une émigration française en revanche modeste

Si l’on a pu juger (33) que l’influence française dans le tissu économique et industriel de divers pays d’Amérique latine a été favorisée par la présence de « colonies » d’expatriés qui avaient leur réseaux, leur organisation sociale
– cercles, hôpitaux, chambres de commerce, écoles, etc. –, la présence des émigrants français en Amérique latine n’aura cependant jamais été numériquement importante et, au demeurant, assez tôt en déclin : « Dans la plupart des pays, les colonies de population d’origine française (…) sont démographiquement peu dynamiques, peu renouvelées dès le tournant du siècle. ». (34)

Ainsi, même en Argentine, première destination des migrants français, le déclin est-il amorcé dès les années 1890, passant de 27 000 entrées annuelles en 1889 à 3 000 entre 1895 et 1905, sachant en outre que près de la moitié d’entre eux, 47 %, finissent par retourner en France. Il en est de même au Brésil, où l’immigration depuis la France ne représente que 0,8 % du total des migrations tout au long du XIXe siècle, ne dépassant le millier d’individus qu’à quatre reprises entre 1810 et 1915.

Au demeurant, cette émigration française se concentrera sur un nombre très restreint de pays destinataires puisque, en 1912, à 89 %, ils se répartissaient entre l'Argentine, le Brésil, le Chili et l’Uruguay, sachant qu’à elle seule, l'Argentine rassemblait 67 % de ces immigrés.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, on ne saurait nier l’existence d’un lien particulier et fort entre notre pays et les pays du Cône sud. Pour autant, il n’est pas certain que la France ait toujours su répondre à l’attente qu’elle a suscitée.

B – D’indifférence en négligences

Bénéficiant d’une aussi bonne image dans toute l’Amérique latine, notre pays devrait en toute logique occuper aujourd’hui la toute première place dans le sous-continent. Il n’est pas certain, en effet, qu’aucun autre pays ait été aussi adulé que la France l’a été par les élites de la région.

Pourtant, comme on le verra, à côté de relations politiques qui tardent à se développer, nos échanges commerciaux et nos investissements sont aujourd’hui modestes. Au demeurant, cette réalité n’est pas récente et ne résulte pas d’un déclin qui aurait été entamé ces dernières années. D’une manière générale, nos échanges, nos investissements, soutiennent difficilement la comparaison avec ceux de nos principaux partenaires européens.

Un état des lieux est donc indispensable, pour se rendre compte que depuis longtemps et de manière continue la France n’a en fait cessé de perdre du terrain dans la région. Il y a également longtemps, d’ailleurs, que l’on s’en est aperçu.

1) La France depuis longtemps en perte de vitesse

Quels que soient les secteurs que l’on analyse, le constat est identique : la France, malgré l’admiration que les pays latino-américains lui portent, est en retrait par rapport à d’autres pourtant a priori moins favorisés. Elle se trouve au demeurant sévèrement concurrencée par ceux-ci.

a) Une crise de la relation amorcée dès la fin du XIXe siècle

On peut dater le reflux de la France en Amérique latine des débuts du XXe siècle. Comme le dira le professeur Denis Rolland (35), le moment de forte intensité dans les relations entre la France et l’Amérique latine recouvre la seconde partie du XIXe et le début du XXe siècles. En revanche, la réalité d'une identité liée à l'Europe et surtout à la France est remise en cause partout en Amérique latine à partir des années 1920-1930. Plusieurs facteurs explicatifs peuvent être avancés.

Le premier est du registre de la construction identitaire et a permis d’entretenir le mythe des bonnes relations avec une France idéalisée. En opposition au pouvoir espagnol, les leaders des révolutions ont eu besoin d'un modèle explicatif pour contribuer à légitimer la création d’une nation auprès de leurs populations. L’« invention » d’une relation particulière à la France, peu présente en Amérique latine, mais dont les valeurs issues des Lumières et de 1789 étaient connues des élites indépendantistes, a joué ce rôle : les révolutions latino-américaines ont été comparées au modèle de la Révolution française, et romantisme et positivisme ont servi de véhicules à sa diffusion. En d'autres termes, la réalité de l'influence française satisfaisait les élites latino-américaines car c'était la référence culturelle, à un moment crucial de son histoire où l'Amérique latine avait en outre besoin de partenaires extérieurs et avait intérêt à maintenir le discours d'une amitié forte et réciproque, en contrepoint aux ambitions des Etats-Unis sur la région, ainsi qu’à celles de l’Espagne.

Au-delà des propos enflammés que l’on entend encore au long de tout le XXe siècle, l’observation de la réalité amène plutôt à avancer que la relation forte de notre pays avec le Cône sud était parfois bâtie sur des fondements plus fragiles que l’apparence le laissait croire. Car l’influence française s’est en fait dégradée assez tôt.

En premier lieu, il faut garder présent à l’esprit que l'Amérique latine a finalement connu une période républicaine au XIXe siècle bien plus longue que celle que la France a vécue pour sa part. Cela a contribué à relativiser l’intérêt de la référence à ce modèle extérieur qui, à l’aube de la Première guerre mondiale, n’était déjà plus nécessaire. En outre, si les élites sont alors encore presque partout francophones, et indéniablement francophiles, au début du XXe siècle un certain nombre d’éléments vont venir perturber leur vision de la France pour les années et décennies suivantes : les difficultés à comprendre les systèmes politiques des IIIe et IVe Républiques et la déroute choquante de 1940 en font partie.

En d'autres termes, l’image s’est imposée et a prévalu parce que « la France idéale renvoya longtemps à l’idée que l’Amérique latine se faisait d’elle-même : c’est ce qui fit la force de ce modèle français. » (36). Elle s’est ensuite fissurée. Cela s’est fait d’autant plus facilement que les Latino-américains n’ont pas eu en retour l’impression que leur identité était reconnue lorsqu’ils voyageaient en Europe.

De fait, la relation a toujours été déséquilibrée entre les deux versants de l’océan : si les élites sud-américaines sont parfaitement francophones et francophiles, les élites françaises et, au-delà, la population, sont singulièrement ignorantes des réalités latino-américaines, quelles qu’elles soient. C’est précisément là que résident les motivations de tous les promoteurs français du renforcement des liens culturels avec les pays de la zone.

Ainsi, dès 1908, le mathématicien Paul Appel, premier président du « Groupement des universités et grandes écoles pour les relations avec l’Amérique latine », que votre Rapporteur a évoqué, en justifie-t-il la création par la grande méconnaissance de l’Amérique latine par les Français, à laquelle il devait être remédié en travaillant à se doter des moyens d’information et de documentation suffisants, alors même que les ouvrages disponibles sur la région « sont rares en France ; les bibliothèques publiques n’en possèdent que quelques exemplaires isolés et les libraires parisiens n’en connaissent même pas les noms ”. » (37). Un de ses lointains successeurs confirmera bien plus tard que « l’Amérique latine nous a fait jusqu’ici l’honneur de nous connaître infiniment mieux que nous ne la connaissons. Elle a lu nos livres, ceux où l’on travaille aussi bien que ceux où l’on se repose. Nous n’avons longtemps répondu à cette prédilection que par les maladresses d’une sympathie confuse et mal éclairée. L’organisation de l’enseignement de l’espagnol date d’hier chez nous, et c’est à peine si le portugais commence à se faire dans notre Université une place beaucoup trop petite. C’est donc au public de langue française qu’il convient de faire mieux comprendre l’Amérique latine, dont l’expansion européenne demeure notre plus cher souci ». (38)

b) Des positions économiques et industrielles tôt concurrencées

A cette indifférence envers l’Amérique latine, cette ingratitude, pourrait-on presque dire, la France a très tôt ajouté un manque de moyens pour maintenir son statut enviable. Elle n’a jamais réellement fait l’effort qui lui aurait peut-être permis de contrebalancer la concurrence que ses voisins européens, ainsi que les Etats-Unis, lui ont opposée sans relâche. Cela a été d’autant plus dommageable au positionnement de notre pays que ce n’est pas seulement sur le terrain économique et industriel qu’il a vu ses positions progressivement érodées, mais aussi sur celui grâce auquel il avait acquis une telle image : le culturel.

L’article mentionné plus haut que publiait le quotidien Le Monde en 1947 était titré « la France en Amérique latine : Saurons-nous retrouver la place que nous avons perdue ? ». Pour l’auteur, tous les secteurs traditionnellement forts de la France dans la région étaient alors d'ores et déjà en perdition. Il relevait notamment que « la décadence est particulièrement accentuée sur le terrain économique. Nos affaires de ports, de chemins de fer, ont été " nationalisées ". Si quelques entreprises minières et métallurgiques sont encore entre des mains françaises, elles ne constituent qu’une exception. Nos envois de marchandises sont extrêmement réduits. La Banque française et italienne pour l’Amérique du Sud, qui était notre principal établissement financier, a été pendant la guerre portée sur la liste noire, ce qui lui a porté un coup dont elle a, semble-t-il, beaucoup de mal à se relever. »

Cela étant, si la guerre a effectivement eu un impact sur la présence économique et industrielle de la France, ne serait-ce que parce que notre pays en est sorti ruiné et que la priorité n’était alors pas à l’Amérique latine, c’est cependant plus tôt que le déclin avait été amorcé.

La crise de 1929, notamment, avait certes obligé des entreprises françaises à quitter le sous-continent, mais par comparaison avec celle des autres pays européens, la présence des investissements français n’avait jamais été très forte, comme en témoignent les données disponibles :

 

Valeur

(en milliards de francs 1914)

Pourcentage

du total des IDE

Grande Bretagne

17,4

48,3

Etats-Unis

8,2

22,7

France

5,9

16,3

Allemagne

4,2

11,6

Investissements étrangers en Amérique latine en 1914 (39)

Mieux que tout discours, le diagramme ci-dessous illustre la position très dominante de la Grande Bretagne qui à cette époque occupe quasiment la moitié du terrain des IDE en Amérique latine, très loin devant notre pays.

Investissements étrangers en Amérique latine en 1914 (40)

En outre, l’évolution en défaveur des intérêts français était nettement visible depuis longtemps. Le tableau reproduit ci-dessous traduit de manière indiscutable la diminution en valeur des investissements privés français en Amérique latine qui, en 1930, ne représentent que le dixième des investissements britanniques.

Pays

1897

1930

Grande Bretagne

2060

4500

France

628

454

Allemagne

-

700

Etats-Unis

308

5429

Investissements privés en Amérique latine (en millions de dollars) (41)

Enfin, ce ne sont pas seulement les IDE français dans la zone qui diminuent au fil du temps dès le début du XXe siècle. Nos échanges commerciaux connaissent une évolution tout à fait comparable :

Pays fournisseurs de l’Amérique latine en 1913 (42)

Non seulement, comme on le voit, la France occupe au début du XXsiècle une place modeste dans les échanges avec la région, trois fois inférieure à celle du Royaume-Uni, deux fois moindre que celles de l’Allemagne et des Etats-Unis, mais sa part ne cessera aussi de diminuer inexorablement. Le tableau suivant montre ainsi que parmi les principaux exportateurs vers le Brésil à la fin du XIXe siècle, la France est le pays dont les performances sont de très loin les moins bonnes : dans le dernier quart du siècle, en 20 ans, elle est ainsi passée de la deuxième à la cinquième place et, en pourcentage, la variation de ses exportations, certes en augmentation, est de loin la plus faible.

Par comparaison, d’autres – les Etats-Unis, l’Allemagne ou la Belgique, notamment, pour ne mentionner que les pays les plus développés, suivis dans une moindre mesure du Royaume-Uni, qui exporte pour sa part des volumes incomparablement plus élevés – voient au contraire dans la même période leurs exportations croître de manière très importante vers le Brésil. En d'autres termes, la France est un partenaire en déclin au Brésil dès la fin du XIXe siècle.

Pays

1874-1875

1894-1895

Variation

Variation

Rang

Valeur

Rang

Valeur

%

Grande-Bretagne

1

76 750

1

142 262

+ 65 512

+ 85,4

France

2

27 327

5

45 813

+ 18 486

+ 67,6

Portugal

3

13 417

6

37 699

+ 24 282

+ 181,0

Etats-Unis

4

10 813

3

57 114

+ 46 301

+ 428,2

Allemagne

5

9 991

2

64 977

+ 54 986

+ 550,4

Uruguay

6

6 348

7

25 100

+ 18 752

+ 295,4

Argentine

7

5 569

4

52 706

+ 47 137

+ 846,4

Belgique

8

3 832

9

16 608

+ 12 776

+ 333,4

Espagne

9

2 776

Italie 8

Italie 18 600

-

-

Autriche

10

1 021

10

9 996

+ 8 975

+ 879,0

Pays d’origine des importations du Brésil (en reis brésiliens) (43)

c) L’irrésistible montée en puissance d’autres influences

En parallèle à ces éléments très significatifs, un certain nombre d’autres aspects révèlent des tendances semblables et également préoccupantes.

Si l’universalisme de la pensée française avait su séduire les élites sud-américaines avec le succès que l’on a vu, d’autres modèles vont bientôt apparaître et s’ériger en concurrents aux débuts du XXe siècle. Ce sera le cas du communisme d’un côté puis des fascismes, surfant notamment sur une présence allemande ancienne et bien supérieure depuis toujours à celle des Français (44), considérés comme modernes et efficaces, entraînant une perte de l’« autorité morale » de la France dans un certain nombre de pays, notamment au Chili, en Bolivie ou au Brésil, notamment, comme en Argentine. (45)

Ce basculement fut préjudiciable au domaine économique, comme on l’a vu, l’Allemagne prenant une place prépondérante dans les échanges alors même que la France avait commencé de perdre du terrain très tôt, mais aussi dans des secteurs de coopération : c’est avant même la montée du fascisme que la présence militaire allemande avait commencé de croître, que des sessions de formation de soldats, comme la gestion d’académies militaires, étaient confiées à des officiers allemands, que les règlements militaires étaient modifiés sur les bases allemandes, que des armements étaient commandés. Un constat identique est fait par les historiens en ce qui concerne les écoles et l’influence culturelle ou l’attractivité intellectuelle : « On nous tenait toujours pour le peuple le plus vif et, si l’on veut, le plus divertissant de l’univers. Mais s’agissait-il de pédagogie ? On invoquait l’Allemagne. De science pure ? Encore l’Allemagne. De philosophie ? Toujours l’Allemagne. (…) Quand un jeune homme, futur médecin ou futur professeur, désirait achever son éducation en Europe, il allait à Berlin. S’il voulait uniquement s’amuser, il prenait le chemin de Paris. » (46)

Cette période est en parallèle celle de l’extension inexorable de l’« American way of life » sur le sous-continent latino-américain qui, avec tous ses attributs, dame le pion d’autant plus facilement à la France qu’en matière de supports techniques, elle ne sait pas résister : le cinéma français figurait en bonne place dans les années 1920, mais dès les années 1930, la situation avait radicalement changé, puisque « en 1936, 76 % des films programmés en Argentine et 91 % au Brésil sont d’origine anglo-saxonne. Dans ce dernier pays, 87 % des films projetés sont alors nord-américains » (47). Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, ce sont ainsi 70 % des films étrangers diffusés en Amérique latine qui proviennent des Etats-Unis, cependant que le cinéma français s’exporte mal, peu adapté au public à cause de l’absence de doublage. Les Etats-Unis mettent également en œuvre les instruments nécessaires pour asseoir leur domination : agences de presse ; systèmes de bourses pour les étudiants ; Instituts culturels bilatéraux entre les Etats-Unis et les principaux pays de la région ; publications dédiées, éditées en espagnol ou en portugais ; institutions panaméricaines de formation ; division culturelle créée au sein du Département d’Etat à partir de 1938 ; etc.

En regard, notre pays semble ne faire mieux que camper sur ses positions et peiner, très tôt, à se renouveler, à simplement suivre le mouvement, peut-être faute d’intérêt à le faire : c’est au point que, dès 1913, pour ne prendre que cet exemple, la France n’exporte au Chili que quelque 100 000 livres par an, qui ont des difficultés à être diffusés compte tenu du manque cruel de librairies françaises, soit 3,5 fois moins que le Royaume-Uni et deux fois moins que l’Allemagne… Significativement, si les tournées théâtrales de la Comédie française connaissent toujours un très grand succès avant guerre comme après, la France peine en revanche à s’adapter au développement des nouvelles technologies. C’est ainsi qu’elle ne réussit pas non plus à se mettre sur le créneau de la radio, très tôt monopolisé par les Etats-Unis, mais sur lequel l’Allemagne sait en revanche investir, en diffusant qui plus est des programmes en espagnol, qui seront entre autres fort utiles à sa propagande à la fin des années 1930. En revanche, « tard venue, la radio française, elle, est beaucoup moins bien reçue que toutes les émissions en provenance des Etats-Unis. Mais elle est aussi partout moins nette que les radios allemandes ou anglaises. » (48)

Sur toutes ces questions, l’article de novembre 1947 du journal Le Monde, lucide, ne disait pas autre chose : « En ce qui concerne notre influence intellectuelle, elle est elle-même très menacée. Les centres culturels nord-américains, créés surtout pendant la guerre, nous font une concurrence de plus en plus redoutable, avec un grand luxe de moyens. Malgré un effort très réel depuis deux ans, nous ne cessons de reculer. Nos lycées sont de plus en plus " hispanisés " : l’enseignement du français y est assez médiocre et limité, de plus, par des règlements locaux d’instruction publique. Il en va de même pour nos établissements religieux, où la proportion des Français est devenue en général infime. Enfin, nos livres font place aux ouvrages en anglais et l’on peut en dire autant pour les films de cinéma. »

En résumé, on est fondé à dire que, à de très rares exceptions près, là où il aurait fallu sans cesse entretenir la machine, sur tous les terrains, tant géographiques que sectoriels, la France semble n’avoir jamais su que regarder s’installer peu à peu son inexorable déclin. Cette indifférence semble à votre Rapporteur d’autant plus coupable que ce ne sont pas seulement les cercles universitaires, intellectuels ou latinistes, qui n’ont cessé de tirer le signal d’alarme : la presse en a parlé très tôt et l’on verra plus loin ce qu’en dira le président Pompidou en 1971, qui incriminera l’intermède de la Seconde Guerre mondiale. Quelle qu’ait été l’inquiétude, la réaction française a été singulièrement discrète. A cet égard, pour exceptionnel et spectaculaire qu’il ait été, on verra aussi que ce n’est pas la question du déclin de la France dans la région et la nécessité de resserrer des liens qu’on savait distendus qui ont motivé le déplacement du général de Gaulle en 1964.

2) Les très insuffisantes réactions françaises

Les avertissements et alertes ont donc été précoces et sans ambiguïté. Très tôt, on a eu conscience, tant sur place qu’en France, que notre pays était en train de perdre pied en Amérique latine malgré des avantages de départ inégalables et inégalés. On aurait pu s’attendre à des réactions à la hauteur de l’ambition, à la hauteur, surtout, des enjeux et de l’image que notre pays suscitait. Elles auront cependant dans l’ensemble été trop rares et de peu d’effets.

a) Une indifférence bien établie vis-à-vis de l’Amérique latine

Les liens entre la France et le sous-continent latino-américain ont donc été moins étroits qu’on veut bien le croire. En d’autres termes, les manifestations fortes de francophilie, le terreau culturel commun, l’ancienneté de la relation n’ont pas suffi pour que les relations bilatérales transatlantiques s’approfondissent vraiment, et n’ont pas empêché que très tôt s’amorce un déclin dont les manifestations sont finalement surabondantes.

Comme si la France avait longtemps vécu ce lien comme un acquis, un héritage quelque peu inutile, voire embarrassant. Comme s’il s’agissait d’une région, aussi, envers laquelle il n’était pas question de faire des concessions. Raymond Offroy a par exemple montré les grandes réticences du Quai d’Orsay au début des années 1960, dont les consignes au futur ambassadeur au Mexique étaient de ne répondre positivement à aucune des demandes qui pourraient lui être présentées. Relatant son audience au Président de la République avant son départ en poste en 1962, le futur ambassadeur indique lui avoir exprimé ses craintes et voulu « essayer d'obtenir une modification des consignes du quai d'Orsay, car avant d'avoir été reçu par le général de Gaulle, j'avais été recueillir les directives du Ministère des Affaires étrangères. A ce moment-là, il y avait trois problèmes qui se posaient en ce qui concernait nos relations avec le Mexique ; le premier était que ce pays souhaitait obtenir des crédits pour sa politique de redressement économique ; le second était que les Mexicains demandaient qu'on leur rende les trois drapeaux qui avaient été pris par l'armée de Bazaine durant la campagne de 1864 ; ils désiraient enfin que leur président soit invité officiellement à venir en France faire une visite d'Etat. A ces trois questions, le quai d'Orsay m'avait dit, vous répondrez NON : pas de crédits, pas de drapeaux, pas d'invitation. » (49). L’opposition de Maurice Couve de Murville à toute concession envers les Mexicains lui sera réitérée quelques mois plus tard, alors même qu’une exposition française allait être accueillie, suffisamment importante pour être inaugurée par le ministre français des finances, Valéry Giscard d’Estaing, lequel, de son chef et malgré cette opposition, décidera d’accéder au souhait mexicain. (50)

Certes, à l’automne 1964, le général de Gaulle est sensible, comme il l’avait été durant la guerre, aux innombrables témoignages de sympathie et même d’enthousiasme dont il est l’objet de la part des populations dans les pays qu’il visite. Comme il l’est aussi des marques de confiance que les dirigeants lui témoignent en souhaitant parfois l’appui de la France sur des thématiques qui soulignent leur défiance vis-à-vis des Etats-Unis, comme en Colombie ou au Paraguay. Mais il ne faut pas non plus oublier que certains sujets mis en avant par le général de Gaulle lors de son voyage n’étaient pas forcément du goût de ses interlocuteurs : ainsi, parler de démocratie aux membres d’une junte de généraux arrivée au pouvoir au Brésil six mois plus tôt par un coup d’Etat organisé avec le soutien du Département d'Etat américain, ne pouvait que mettre en évidence un hiatus profond, bien que le maréchal Castelo Branco ait été formé à l’Ecole de guerre.

De toute façon, comme le résumera d’ailleurs un article paru dans la revue Espoir, le général de Gaulle n’avait en fait rien de très concret à offrir aux Sud-américains, et surtout pas les moyens de concurrencer les Etats-Unis sur leur zone d’influence. Au demeurant, il ne semble pas non plus qu’il ait eu une idée bien définie, quant à ses motivations : « Quelques jours avant son départ, de Gaulle écrit à son ancien Premier ministre, Michel Debré : " Je vais en Amérique latine sans programme diplomatique bien précis, mais en quelque sorte instinctivement. Peut-être, en effet, est-ce important. Peut-être est-ce le moment… " » (51)

En d'autres termes, rien qui traduise une particulière envie de mettre ou remettre la relation bilatérale transatlantique au premier plan. Rien en tout cas, qui mette en évidence un enthousiasme comparable à celui que les Latino-américains manifestent à la France depuis toujours. Votre Rapporteur montrera plus loin l’ambition première du général de Gaulle, comme celle de certains de ses successeurs, vis-à-vis de cette région.

On ne peut s’étonner, dans ces conditions, que les retombées immédiates du voyage du général de Gaulle n’aient pas été très importantes. On peut d’ailleurs relever que ce déplacement n’est pas traité, ni même simplement mentionné, dans l’ouvrage que l’historien Jean-Baptiste Duroselle a consacré à « l’Histoire diplomatique de 1919 à nos jours ». Mis à part quelques marchés emportés par des entreprises françaises qui seront chargées de la construction du métro au Venezuela et au Chili, quelques années après que celui de Mexico a ouvert la voie, peu de concret en ressortira, tant sur le plan politique que commercial, tant en ce qui concerne notre présence culturelle que nos IDE, même si un certain nombre d’accords de coopération culturelle et technique furent signés, durant le voyage même : c’est notamment le cas avec l’Argentine, le 4 octobre 1964. Sans trop anticiper sur les développements qui seront proposés plus loin sur la signification du déplacement du général de Gaulle (52), il faut souligner ici la faiblesse générale de la réponse aux espoirs que notre pays suscite en Amérique latine.

b) La France en décalage par rapport aux attentes exprimées

Lors du voyage de 1964, le sujet de l’aide que la France pouvait apporter à ses partenaires de la région a été systématiquement abordé, tant par les interlocuteurs que par le général de Gaulle lui-même, qui n’a cessé d’annoncer, reprenant les propos qu’il avait tenus lors de sa conférence de presse du 31 janvier 1964, que les moyens de la coopération bilatérale entre la France et les différents pays pourraient être accrus, et ce, dans les domaines les plus variés.

A Buenos Aires, l’attente de ses partenaires aurait difficilement pu être plus élevée. Ainsi, le président Arturo Illia avait-il tout particulièrement invité le général de Gaulle à veiller aux clauses de la coopération technique que comportait l’accord qu’ils venaient de signer, de son point de vue primordial dans le monde d’aujourd’hui, et avait souhaité « que se définisse de façon très approfondie la nature de l’assistance technique que la France voudra bien apporter à l'Argentine. » (53). En réponse, le Président de la République s’était déclaré tout à fait favorable « pour mettre à la disposition de l'Argentine des hommes et du matériel nécessaires à un programme de formation technique et professionnelle, ainsi que pour les travaux de nature scientifique ou technique qui pourraient être entrepris conjointement. » En ce qui concerne l’aide économique, le général de Gaulle jugeait que « l’aide à l'Afrique ne va plus s’accroître et tout ce que nous pourrons faire pour augmenter nos moyens ira donc à l’Amérique latine. Ceci est particulièrement important pour l’avenir. »

En Colombie, la dimension spirituelle et culturelle de la France était jugée par le Président Valencia indispensable à l’Amérique latine – cependant que les relations avec les Etats-Unis, pour excellentes qu’elles soient, se résumaient toujours à « des apports plus ou moins importants de dollars ». Il souhaitait par conséquent la création d’une commission bilatérale chargée de l’amélioration des échanges, qui fut effectivement créée, et la France annonça l’augmentation du nombre des bourses pour les étudiants colombiens en France. En Equateur, le général de Gaulle déclarera à la junte militaire (54) que la France était disposée à aider à la formation des cadres administratifs, envisageant un appui à la création d’une ENA, et de cadres économiques et à apporter une coopération dans les domaines de l’organisation administrative, agricole, industrielle, moyennant la création d’un institut de technologie, ainsi que dans le secteur pétrolier. Au Paraguay, le général Stroessner, se déclarant déçu et méfiant de la collaboration nord-américaine, et voyant la coopération avec la France « plus libre et plus confiante », souhaitera une aide plus soutenue de sa part dans les secteurs miniers, le pays étant riche en matières premières, notamment en fer, pétrole et gaz, ainsi qu’un renforcement des IDE français vers son pays complété d’un appui financier. L’expérience française en matière d’énergie hydraulique était particulièrement désirée, comme l’était aussi l’immigration de Français d’Algérie, qui pourraient venir mettre en valeur les riches terres agricoles du pays (55)… Enfin, à Montevideo, le général de Gaulle montrera au Président du conseil national de gouvernement Giannattasio la disposition de la France à apporter une aide (56), sans que beaucoup de précisions soient disponibles dans ces deux derniers cas.

Quoi qu’ait pu lancer le général de Gaulle, qui avait indiqué à ses collaborateurs, considérant son déplacement latino-américain comme un succès, qu’il « fallait veiller à ce qu’il y ait des suites concrètes » (57), lui-même comme ses successeurs ne feront cependant que peu d’efforts pour tenter de capitaliser sur ce qui avait été discuté dans chacune des étapes de son périple. Certes, le général de Gaulle n’a jamais caché que la France disposait de moyens limités et que la coopération au développement pourrait surtout s’accroître à mesure que diminuerait celle, prioritaire, fournie à l’Afrique, compte tenu de ses responsabilités vis-à-vis de ses anciennes colonies. Néanmoins, durant son voyage de retour, il souligna qu’il faudrait « poursuivre et étendre notre effort en matière de culture et d’assistance technique », en s’attachant notamment à la formation. Une liste de projets fut établie, avec un certain nombre de pays, sur ces aspects ainsi qu’en matière d’aide et financière. Mais d’emblée, la question des limites budgétaires était posée en regard de la coopération faite avec l’Afrique et le général de Gaulle n’a jamais envisagé de consacrer au Cône sud des sommes considérables. (58)

Plus tard, le Président Pompidou soulignera le retard accumulé par la France, sans que cela l’incite à se tourner davantage vers cette région. Ses successeurs non plus, à aucun moment. Comme si le constat fait par la France elle-même d’une relation en déclin, malgré ses potentialités, compte tenu de l’ensemble des facteurs qui pourraient y concourir, n’arrivait pas ou ne suffisait pas à susciter le sursaut nécessaire.

c) La France surtout sur la défensive

Force est surtout de constater que la plupart des initiatives mises en place par la France, qu’elles interviennent avant ou après ce voyage, semblent surtout venir en réaction au recul dont on prend conscience, contre lequel il s’agit alors de réagir pour essayer de retrouver des positions qui se sont érodées ou dont on a été délogé. En d'autres termes, tout se passe comme si la France n’avait finalement jamais la main. Comme si, se rendant soudain compte de la gravité de son retard accumulé sur un secteur ou dans un pays, voire dans toute la région, elle tentait tout à coup de réactiver tel réseau, de relancer telle institution. Elle semble en revanche rarement proactive, jamais à l’initiative d’une nouveauté, mais plutôt en retard d’une idée, d’un moyen pour promouvoir ses positions, ses intérêts par rapport à ses principaux concurrents.

Ainsi, déjà, les lointains fondateurs du Groupement universitaire de 1908 prétendaient-ils renouer des liens et regagner des positions face aux offensives culturelles et économiques de l’Angleterre, de l’Allemagne, de l’Italie mais aussi des Etats-Unis, au nom d’une identité latine redécouverte. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, c’est dans un même esprit de reconquête que le ministère des affaires étrangères ouvrira la Maison de l’Amérique latine à Paris.

Certes, les deux guerres mondiales n’ont pas été des périodes à l’issue desquelles les positions de la France en l’Amérique latine sont sorties renforcées, loin de là. Il s’est agi à chaque fois de deux éclipses aux effets durables, et importants. Cela ne laisse d’ailleurs pas de surprendre compte tenu de l’image évidemment unique dont elle jouissait et qu’aucune autre nation européenne ne pourrait revendiquer. Mais la France semble n’avoir pas su en profiter du capital de sympathie qu’elle avait, en tout cas, pas suffisamment.

Quoi qu’il en soit, c’est par exemple après la Seconde Guerre mondiale qu’a lieu un sursaut dans le registre culturel : la parenthèse vichyste a fortement terni l’image de notre pays et l’action culturelle aura vocation à lui redonner son brillant. La direction générale des relations culturelles, scientifiques et techniques, DGRSCT, du ministère des affaires étrangères est créée dans ce but en 1945 et son rôle en Amérique latine sera précisément de réactiver les liens. De même, une quinzaine de réunions interministérielles auront-elles lieu cette même année pour relancer sans tarder une politique latino-américaine sur les aspects tant culturels qu’économiques. Les Instituts français bénéficieront ainsi d’une « relance francophile » au milieu des années 1950.

Néanmoins, « quoiqu’il en soit de ces témoignages d’une revivification apparente des liens entre l’Amérique latine et la France, témoignages que l’on pourrait multiplier, les gouvernements d’Amérique latine se préoccupent d’abord de leur principal et décisif partenaire, les Etats-Unis. » (59). Au demeurant, finalement, les volontés de réactivation apparaissent plus comme des feux de paille que des politiques confirmées : par exemple, ce n’est pas vers l’Amérique latine que l’Association française d’action artistique, qui était alors l’opérateur du ministère pour les manifestations culturelles à l’étranger, se tournera prioritairement. En témoignent les griefs que ne tarderont pas à lui adresser certains diplomates en poste dans la région qui se plaignent de voir ce qui est programmé en Amérique du Nord, cependant que, sur le plan des bourses proposées aux étudiants du sous-continent, les moyens sont toujours des plus faibles. Plus tard, à l’issue du voyage du général de Gaulle, quelques dizaines de bourses supplémentaires seront attribuées, ce qui ne représente toutefois pas grand-chose.

Or, la concurrence est alors plus vive que jamais. Celle des Etats-Unis en premier lieu, vers lesquels se tournent désormais tous les regards latino-américains qui délaissent d’autant plus aisément la « vieille Europe » et en particulier la France, que ce qu’elle a à offrir est moins attractif et plus chichement proposé… Les effets n’en sont que plus dévastateurs. Au final, il apparaît que la question des positionnements de la France en Amérique latine est ancienne et récurrente. Ce n’est pas depuis la RGPP que les moyens qu’elle met à la disposition de sa politique vis-à-vis du sous-continent sont sinistrés. Notre pays en est conscient depuis qu’il en a perçu les premiers effets.

Dans ces conditions, il sera nécessaire de dresser aujourd’hui le bilan de la présence de la France en Amérique latine. Si le déclin est global et ancien, ce que personne ne conteste, la perception et la conscience que l’on en a eu dans notre pays le sont tout autant. En d'autres termes, il s’agit désormais d’en voir les conséquences concrètes, et ce qu’il en est aujourd’hui des principaux marqueurs de notre politique d’influence et de présence dans la région : quel est l’état des lieux, tant en ce qui concerne l’influence politique de la France que sa présence culturelle, qu’en est-il aussi de ses échanges commerciaux ou de ses investissements dans les différents pays du sous-continent ? La France a-t-elle su conserver ou non des positions de force dans certains pays plus que d’autres comme dans certains secteurs ? Quelles sont ses stratégies d’avenir, enfin, à l’heure où le sous-continent décolle ?

II – MODERNITÉ DE L’AMÉRIQUE LATINE

A – L’Amérique latine méconnaissable

Luis Alberto Moreno, président de la Banque interaméricaine de développement, a coutume de dire que la décennie 2010-2020 sera celle de l’Amérique latine. D’autres responsables de la région proclament qu’avec le XXIe siècle, nous sommes entrés dans le « siècle de l’Amérique latine ». De fait, l’observation des différents indicateurs, politiques, économiques, sociaux, montre que jamais la situation de la région n’a été aussi bonne depuis les années 1930.

1) Une région qui a profondément changé

De fait, l’Amérique latine vit un moment unique de son histoire économique sur fond d’amélioration de son cadre institutionnel et politique. Même si de nombreux problèmes subsistent qui sont autant de défis pour l’avenir, on comprend, comme le rappelait Alain Rouquié, Président de la Maison d’Amérique latine (60), qu’avec de tels indicateurs un certain optimisme soit de mise, qui se reflète dans le triomphalisme de la presse latino-américaine.

a) Un continent apaisé de démocraties enfin retrouvées

Les observateurs sont tout d’abord unanimes à relever que la démocratie se consolide partout dans la région. En quelque vingt années, le sous-continent latino-américain a clairement basculé dans le camp des démocraties, la plupart des dictatures militaires s’étant achevées au cours de la décennie 1980, mettant fin aux périodes les plus sombres de l’histoire du Cône Sud. Cela a ainsi été le cas, par ordre chronologique, de l’Uruguay (1980), de la Bolivie (1982), de l’Argentine (1983), du Brésil (1985), du Chili (1988) et du Paraguay (1989).

Mieux, des alternances politiques qui, jadis, auraient très vraisemblablement provoqué des mouvements de troupes, sont intervenues depuis lors sans troubles majeurs. Mieux encore, certaines de ces alternances ne se sont pas simplement traduites par un basculement du pouvoir de la droite à la gauche, mais par ce que l’on peut considérer comme de véritables révolutions sociales : le fait qu’en décembre 2005 un Indien, Evo Morales, ait été pour la première élu Président de la République en Bolivie, sur des positions socialistes et fortement marquées de revendications de souveraineté nationale, qu’un métis, ensuite, Ollanta Humala au Pérou, l’ai rejoint en juillet 2011, sont des événements majeurs. Sans que l’aspect ethnique ait à être pris en compte, d’autres pays, comme l'Equateur, avec l’élection de Rafael Correa en 2006, ou le Paraguay, avec celle de Fernando Lugo en 2008, ont également connu des alternances sur des clivages politiques très marqués, les élus défendant des options jusqu’alors inconnues dans la région. Si les projets politiques « bolivariens » de certains d’entre eux, dans la lignée de celui mis en œuvre au Venezuela par Hugo Chávez depuis 1998, ont pu inquiéter, force est de constater, d’une part, le très fort soutien populaire dont ils jouissent et, d’autre part, que les divers scrutins électoraux intervenus au long de cette décennie n’ont pas entraîné d’instabilité, alors même que la conjoncture économique n’a pas été favorable. Si l’on se rappelle les circonstances du départ humiliant du Président argentin Fernando de la Rúa en décembre 2001, chassé par la population pour son incapacité à faire face à la crise, le changement est d’importance et traduit une évolution politique profonde de la région : le désenchantement envers la démocratie et l'Etat, jugé antérieurement incapable de répondre aux attentes des citoyens, semble s’atténuer.

De fait, comme pouvait le faire remarquer en 2008 le Président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, « la plupart des dirigeants actuels possèdent des profils qui auraient été impensables il y a encore vingt ans. Ces changements découlent, à mon sens, de la chute du Mur de Berlin et du vide idéologique qui s'ensuivit dans le monde entier. (…) Ici, au Brésil, il était quasiment impensable, il y a quinze ans, qu'un ancien ouvrier métallurgiste réussisse à casser les barrières et les préjugés pour se hisser au sommet de l'État. Il est vrai que j'ai commencé par perdre trois élections avant d'être élu à la présidence de la République ! Mais j'ai quand même fini par l'emporter... Regardez encore du côté du Paraguay, où la victoire de Fernando Lugo constitue un phénomène. Regardez la Bolivie : le fait qu'un Indien, Evo Morales, issu du peuple andin, soit aujourd'hui chef de l'État est quelque chose d'également extraordinaire. Regardez l'Équateur, regardez le Venezuela. Partout, les schémas traditionnels ont été brisés. » (61). Partout, le personnel politique a radicalement changé, de nouvelles personnalités sont apparues, qui se sont substituées aux anciennes élites. Comme a pu l’écrire Alain Rouquié (62), commentant cette évolution, « la vraie révélation est que les gouvernants ressemblent de plus en plus aux gouvernés. Désormais, le semblable vote pour le semblable. L’ouvrier ne vote plus nécessairement pour le patron, le pauvre pour le riche, l’indigène pour le blanc, l’Amérique latine d’en bas pour celle d’en haut. Il s’agit là d’une " révolution " culturelle silencieuse, qui bouleverse les comportements et dont on n’a pas encore pris toute la mesure ; car elle met fin à la " démocratie de basse intensité " qui a longtemps prévalu, où les " citoyens passifs"  restaient enserrés dans des loyautés verticales. »

Le processus démocratique a donc induit une profonde transformation, qui s’est traduite aussi sur l’évolution des préoccupations. Il n’est pas non plus exagéré de penser que la relation des pays de la région à l’Europe, et à la France, peut évidemment s’en trouver modifiée.

Cela étant, dans ce contexte résolument orienté vers la démocratisation du sous-continent, quelques soubresauts peuvent encore se produire ça et là. En témoignent les tentatives de coups d’Etat contre les présidents Chávez en 2002, Lugo en 2009, ou Correa en 2010 ; de même la forte tension politique qui marque la présidence Morales en Bolivie. Il est remarquable que ces crises se soient achevées en des temps très courts, parfois même grâce à l’intervention de l’armée, et que les présidents qui en étaient victimes aient reçu immédiatement le soutien de l’ensemble de leurs pairs de la région (63). Il convient donc de se défaire de l’image classique de l’Amérique latine : elle est définitivement entrée en démocratie (64). Et si elle fonctionne plus ou moins bien, tous les pays, hormis Cuba, ont aujourd’hui des régimes pluralistes et représentatifs, comme le faisait aussi remarquer Alain Rouquié (65). Si l’on sort du champ géographique strict de cette étude, on peut même relever que c’est désormais aussi le cas du Salvador : ce pays, qui n’avait jamais connu de démocratie, a vécu en 2009 une alternance de l’extrême droite à l’extrême gauche, dans un contexte enfin pacifié après une interminable guerre civile, avec l’élection à la présidence de Mauricio Funes, représentant du Front Farabundo Marti de libération nationale, ancien mouvement de la guérilla.

Ces régimes pluralistes et représentatifs sont désormais globalement stables, et la consolidation de la démocratie se constate partout. Comme le faisait remarquer Michèle Bachelet, « en ce moment, en Amérique du Sud, nous connaissons une situation politique inédite : dans tous nos pays, les dirigeants ont été élus démocratiquement. » En 2009-2010, sept chefs d’Etat ont changé sur les neuf élections présidentielles, qui ont vu soit des alternances politiques, comme au Chili, soit des continuités, comme au Brésil, en Bolivie ou en Equateur. En Equateur, précisément, le Président Rafael Correa a eu l’occasion de souligner le projet d’approfondissement de la démocratie réelle qui est le sien, de refondation, comme le qualifie Alain Rouquié, qui l’analyse pour sa part comme un « processus révolutionnaire dans un cadre démocratique », démarche évidemment difficile. A cet égard, le Président de la République équatorienne soulignait devant la mission que l’Amérique latine évoluait de manière irréversible (66: si le modèle social n’est certes pas changé partout, dans un pays comme le Chili, par exemple, une tendance est selon lui néanmoins à l’œuvre dans tout le sous-continent, simplement en réaction aux excès du néo-libéralisme. C’est ce qui se passe en Equateur, en Bolivie, comme au Brésil ou au Pérou, comme en Amérique centrale, désormais, au Salvador ou au Guatemala. Il y aura évidemment des reflux électoraux, mais les populations se sont réveillées et le saut qualificatif est irréversible.

Ces évolutions majeures se sont en outre accompagnées de progrès réels en matière d’Etat de droit, de renforcement des institutions, alors même que l’Amérique latine a toujours été caractérisée par la faiblesse institutionnelle des Etats. L’ambassadeur d'Argentine en France Aldo Ferrer (67) rappelait précisément l’attention que son pays avait porté à ces questions au sortir de la dictature et la priorité portée aujourd’hui encore au renforcement de la bonne gouvernance, articulée sur les principes de division du pouvoir et d’indépendance de la justice. Plus généralement, en quelques années, cette région a même su inventer certains modes de gestion publique qui ont été jusqu’à inspirer les démocraties du Nord, comme la participation de la société civile aux mécanismes de décentralisation, notamment au niveau municipal, cf. les consultations de citoyens dans le cadre des « budgets participatifs ». Si les processus ont débuté plus tard, ils n’en ont donc pas moins su faire preuve d’une remarquable capacité d’innovation.

En d'autres termes, ces progrès indéniables rapprochent encore plus l’Amérique latine contemporaine de l’Europe et confirment définitivement sa position à « l’Extrême Occident » (68). La démocratie s’est enracinée dans tous les pays de la région, y compris dans ceux qui n’avaient aucune expérience antérieure de fonctionnement pluraliste, et elle « est devenue une valeur partagée » (69), quelque chemin de traverse qu’elle semble parfois prendre. Les pays qui la composent sont plus que jamais des partenaires avec lesquels il y a d’autant plus de choses à faire qu’ils connaissent indubitablement la meilleure période de leur histoire, comme le soulignait de son côté l’ambassadrice de France au Pérou. (70)

b) Un processus soutenu d’intégration régionale

Au-delà de ces aspects à la fois d’ordre interne et concomitants, sur un plan global, l’Amérique latine est aujourd’hui une zone de stabilité régionale. Ainsi que le faisait remarquer Elisabeth Béton-Delègue (71), directrice des Amériques au MAEE, le sous-continent est en train d’inventer ses propres modes de gestion de crise. Le prouve la résolution des récents différends entre l’Equateur et la Colombie, entre le Venezuela et la Colombie.

Dans cet ordre d’idées, la constitution de l’Union des Nations sud-américaines, UNASUR, le 23 mai 2008, marque une étape importante et nouvelle dans le processus d’intégration régionale entamé il y a bientôt 20 ans, et traduit une ambition des plus larges : pour reprendre les termes du traité constitutif, son objectif est de « construire, de manière participative et consensuelle, un espace d’intégration et d’union en matière culturelle, sociale, économique et politique, entre ses peuples, donnant la priorité au dialogue politique, aux politiques sociales, à l’éducation, à l’énergie, aux infrastructures, au financement et à l’environnement, entre autres, afin d’éliminer les inégalités socioéconomiques, atteindre l’inclusion sociale et la participation citoyenne, renforcer la démocratie et réduire les différences, dans le cadre du renforcement de la souveraineté et de l’indépendance des Etats » (72).

A l’instar de ce qui se passe en Europe, ce processus est aujourd’hui essentiel et conditionne le futur de l’Amérique latine en ce qu’il devrait considérablement aider les pays de la région à surmonter les maux et défis du présent et de l’avenir.

Des aspects qui, naguère encore, ressortaient de la seule préoccupation interne des pays sont d'ores et déjà traités, et avec un certain succès, de manière collective. Ainsi, c’est parce que l’UNASUR, avait été instituée quelques mois plus tôt et que des clauses démocratiques avaient été renforcées en réaction à la crise hondurienne, que le Président Lugo a pu recevoir l’expression immédiate de la solidarité de l’ensemble de ses pairs, après qu’il eut exprimé ses craintes de devoir faire face à une tentative de coup d’Etat, à peine avait-il accédé au pouvoir. Il en a été de même quant au soutien apporté au Président Morales lors de la crise institutionnelle et politique à laquelle il a dû faire face en 2008. Indéniablement, les choses évoluent vers plus de solidarité : un président démocratiquement élu sait désormais pouvoir compter sur le soutien de ses pairs face aux tentatives de déstabilisation qu’il devait naguère encore affronter seul.

Ces questions changent d’autant plus vite que le processus d’intégration peut paraître, au moins, foisonnant : au fil du temps, les instances régionales ont été nombreuses, en effet, depuis le début des années 1960. Certaines, sectorielles, d’autres non, parfois à géométrie variable, elles s’étaient juxtaposées ou superposées sans grande efficacité jusqu’à récemment : pour ne parler que des pays du Cône Sud, l’ALALC – Association latino-américaine de libre échange –, fondée en 1960, l’ALADI – Association latino-américaine d’intégration, en 1980 –, puis le Mercosur en 1991, ont existé ou existent encore, en parallèle à la Communauté andine des nations, CAN, ou à l’ALBA – « Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique », sur une base politique, économique et commerciale. Il faudrait ne pas oublier de mentionner les regroupements y associant pour partie les pays de la Caraïbe, CARICOM, SICA et autre CAFTA-DR, ou encore les accords d’intégration interrégionale entre l’Union européenne et l’Amérique latine, la SEGIB, ou d’autres organismes, plus sectoriels, comme l’OPS, Organisation panaméricaine de la santé, ou la Banque du sud. Avec l’Unasur, on est désormais passé à une autre échelle, celle du Cône sud dans son intégralité, à la différence de ce qui se passait peut-être jusqu’alors.

Ce processus d’intégration globale est d’autant plus intéressant que l’Amérique latine est en passe de devenir un acteur majeur de la scène internationale en ce qui concerne certaines des thématiques les plus brûlantes que la mondialisation a mises sur le devant de la scène : on a d'ores et déjà vu l’implication et le rôle moteur joué par le Brésil sur le réchauffement climatique. Il en est de même des politiques énergétiques, qui intéressent au plus haut point des pays aussi divers que le Venezuela, l’Equateur ou la Bolivie, producteurs importants de gaz et de pétrole, comme le sera aussi le Brésil demain.

Si elle se poursuit avec succès, cette intégration, au demeurant objectif inscrit dans la plupart des constitutions nationales, dans la continuité des idées de Simon Bolivar, sera essentielle et marquera la relation que les pays du sous-continent entretiennent, et notamment avec ceux de l’Union européenne.

D'ores et déjà, les pays du Cône sud semblent aujourd’hui plus que jamais décidés à avancer ensemble à marche forcée dans cette direction. Comme le soulignait Michèle Bachelet, alors Présidente du Chili, « de nombreuses différences subsistent entre les leaders de nos pays. Des différences idéologiques, institutionnelles et même historiques. Mais nous sommes tous animés de la ferme volonté de combattre la pauvreté et d'offrir une vie meilleure à nos citoyens. C'est en grande partie pour cela que nous nous unissons au niveau du continent - sans suivre pour autant la même stratégie de développement au niveau national. Le maître mot, ici, est " coopération " (…) [et], plutôt que de parler de ce qui nous sépare, je préfère souligner ce qui nous unit. Nous avons tous été élus démocratiquement et nous souhaitons tous, comme nous l'avons montré au sein de l'UNASUR, poursuivre les processus d'intégration et de coopération régionales, et faire de notre continent un acteur international de premier ordre. » (73). D’où le fait que, sans tarder, moins d’un an après sa création, l’UNASUR avait déjà institué un Conseil de défense sud-américain, un Conseil de la santé, et travaillait sur les infrastructures, sur l'énergie et la cohésion sociale.

Sur un autre plan, il faut aussi relever que parmi les facteurs locaux favorisant l’implantation des IDE dans la région, les aspects tenant à la stabilité régionale sont essentiels pour les opérateurs économiques. Sans anticiper sur les développements ultérieurs, on sait que l’afflux des IDE dans la région, suscité par les politiques de privatisation a été considérablement accéléré par la création du Mercosur, vu comme un atout par les entreprises candidates, ou déjà implantées dans la région : comme le soulignait ainsi une étude parue à la fin des années 1990 (74), un groupe comme Carrefour « premier investisseur français dans la région, fournit un exemple de cette stratégie. Sa présence au Brésil et en Argentine a précédé la création du Mercosur, mais le rythme de son développement dans la région s’est considérablement accéléré. Cette firme a connu une progression particulièrement importante à partir des années 1990, période à partir de laquelle elle a multiplié le nombre de ses implantations, tant dans le Mercosur qu’en Amérique latine. Présent au Brésil et en Argentine depuis respectivement 1974 et 1980, le groupe a accéléré son implantation dans la région de manière exponentielle, passant de 1 à 44 magasins au Brésil et de 1 à 15 magasins en Argentine. (…) L’implantation dans le Mercosur a surtout un rôle stratégique puisque Carrefour (…) utilise la région comme tremplin pour se développer dans d’autres pays latino-américains, en particulier au Mexique (1994), en Colombie (1998), au Chili (1998) et en Uruguay (1999). Cette réussite exceptionnelle dans la région a d’ailleurs induit des effets mimétiques chez ses concurrents européens qui se sont lancés dans la course, pressés de sortir de leurs marchés nationaux, désormais saturés », comme Auchan dès cette époque en Argentine. Dans cette enquête, les auteurs relevaient précisément que l’ensemble des grands groupes industriels français considéraient le Mercosur comme un espace intégré en fonction duquel ils définissaient leur stratégie d’internationalisation, alors même que les trois quarts étaient présents dans la région avant sa création.

c) Diversités de l’Amérique latine

Ces données remarquables ne doivent pas faire oublier que l’Amérique latine est et reste diverse. Comme le disait Jean-Michel Blanquer (75), Président de l’Institut des Amériques, plutôt que de parler de l’Amérique latine, il conviendrait surtout de souligner sa diversité, et de penser à différencier les Amériques latines, tant des typologies différentes sont possibles, qui reposent sur autant de caractéristiques, culturelles et ethniques, pour ce qui est des substrats, que géographiques ou économiques.

Tellement diverse d’ailleurs que certains soutiennent même qu’elle n’existerait pas... C’est notamment la thématique que répète inlassablement depuis plusieurs années un intellectuel comme Jorge Volpi, écrivain mexicain, pour qui il ne reste aujourd’hui quasiment rien de « la vieille idée de l’Amérique latine qui a tant fasciné le monde occidental. (…) elle n’existe pas comme réalité sociopolitique complète. Non plus comme le rêve bolivarien d’une Amérique hispanique toute unie. Peut-être ce qui n’existe pas ce sont ces images fabriquées d’une Amérique latine qui ont été en vigueur jusqu’à il y a encore très peu de temps. Ce qui existe aujourd’hui c’est une Amérique latine distincte, fragmentée, qui se connaît elle même très peu, qui est pratiquement incapable de maintenir des flux constants d’information d’un pays à l’autre, quand bien même seraient-ils voisins. » (76). D’autres encore, sont proches de ces idées, tel Jorge Amado, qui considérait que les pays et les peuples sud-américains avaient surtout la misère en partage, bien plus que la culture. Pour ne pas mentionner Margaret Thatcher qui, pour sa part, ne crut jamais à la possibilité d’une solidarité des pays de la région avec l'Argentine qu’elle combattait en 1982 aux Malouines : pour elle non plus, l’Amérique latine n’existait pas ; ce qui existe, eut-elle l’occasion de soutenir, ce sont les pays sud-américains.

Quoi qu’il en soit, peut-être est-ce aussi dans cette diversité qu’il faut voir l’origine de certaines des difficultés qu’ont rencontrées les pays de la région. Les processus d’intégration qu’on a cités n’ont pas tous marché si bien que cela, et peut-être faut-il y voir la raison de l’étape nouvelle de l’UNASUR, tentative plus inclusive que les précédentes. Le Mercosur, notamment, n’a jamais parfaitement fonctionné, compte tenu du déséquilibre des quatre partenaires qui le composent et des tensions qui ont pu surgir entre certains d’entre eux, à la faveur de l’évolution de leurs parcours respectifs et des frustrations des uns et des autres. Il semble d’ailleurs aujourd’hui susciter moins d’enthousiasme que jamais (77). Dans cet ensemble disparate, l’écrasante domination du Brésil sur les petits pays, Paraguay et Uruguay, bien sûr, mais aussi sur l’Argentine, dont les ambitions régionales de jadis ont dû être révisées à mesure que son PIB diminuait par rapport à celui du Brésil, n’a pas été de nature à tracer la voie d’un chemin véritablement commun et partagé. En d’autres termes, les rivalités naturelles entre les participants à ces processus, sur fond d’intérêts particuliers, ont pu jusqu’à aujourd’hui ralentir l’intégration régionale, d’autant plus facilement qu’à la différence de la construction européenne, aucun choc historique mobilisateur n’est intervenu pour catalyser les énergies et volontés vers un but commun, qui aurait permis de dépasser les différences. L’entrée du Venezuela, depuis longtemps actée – le protocole d’adhésion ayant été signé en 2006 –, pourrait être une manière de rééquilibrer les rapports de forces internes (78), mais on désespère aujourd’hui de la voir se concrétiser.

Ailleurs, ce sont des divergences plus politiques qui ont pu aussi contribuer à revoir certaines ambitions d’intégration régionale à la baisse, comme dans le cas de la CAN où les positions de certains membres en faveur de traités de libre-échange avec les Etats-Unis ont entraîné le retrait du Venezuela de l’organisation.

En d'autres termes, domination d’un côté et diversité d’options politiques de l’autre apparaissent comme autant de facteurs d’émiettement de l’unité latino-américaine. Chacun entend jouer sa propre partition sur la scène internationale. Les Etats de la région sont finalement nombreux qui, à un titre ou un autre, peuvent et souhaitent apparaître comme le leader : entre les deux membres régionaux du G20 – voire les trois en incluant le Mexique –, et les projets politiques des autres, le leadership a du mal à émerger. Consécutivement, les intérêts et le positionnement des pays de la région sont encore très variés : comme le faisait remarquer Alain Rouquié (79), le fait que le Mexique et le Brésil réalisent, l’un 85 % et l’autre 15 % seulement de ses échanges commerciaux avec les Etats-Unis, ou que les pays de la façade pacifique aient une proximité naturelle avec l’Asie, sont des éléments essentiels, parmi d’autres, à prendre en compte. Ils conditionnent directement leurs différentes stratégies et leurs orientations, notamment internationales, commerciales, comme diplomatiques. L’asymétrie flagrante au sein de la région ne bénéficie sans doute qu’au seul Brésil qui, quoique ne se posant pas en chef de file hégémonique, ne peut que s’imposer sur la scène régionale et au-delà, à terme, mondiale. Ce n’est pas pour autant que l’intégration latino-américaine ne se fera pas. En attendant, ces grandes différences de nature, et par conséquent, d’intérêts, au sein « des » Amériques latines, imposent de savoir s’adapter à leurs réalités. D’autant que si l’Amérique latine se sent aujourd’hui globalement toujours occidentale, certains pays sont désormais sur des registres en partie, voire radicalement, différents. C’est le cas en premier lieu de la Bolivie, avec la thématique de la Pachamama (Terre mère), et les profonds changements introduits depuis 2006. D’une certaine manière, il faut aujourd’hui tenir compte d’une forme de choc des cultures.

2) Le décollage économique de l’Amérique latine

En parallèle à la démocratisation, la croissance économique de l’ensemble du sous-continent et de chacun de ses pays, est remarquable. A la différence de ce qui s’était notamment passé en 2001 en Argentine, ou antérieurement, la crise récente n’a eu qu’un impact transitoire, grâce à la gestion macroéconomique qui est aujourd’hui mise en œuvre et aux leçons retenues du passé. La plupart des pays disposent de ressources naturelles considérables, qui augurent de perspectives de développement économiques importantes et durables.

a) Les leçons retenues du passé

Les performances économiques actuelles des pays de l’Amérique latine s’expliquent en premier lieu par une conjoncture favorable, par la demande forte de la Chine en matières premières, notamment. Elle est aussi due à divers autres facteurs, dont le moins important n’est pas la qualité de la gestion macroéconomique, reconnue par l’ensemble des observateurs. Elle a permis que la crise actuelle n’ait souvent que peu d’incidence, quel que soit le degré de développement des pays concernés. Cette croissance, la deuxième en importance derrière l’Asie, résulte aussi des politiques d’assainissement des économies qui ont été entreprises, dont les fondamentaux sont aujourd’hui sains, quelles que soient les orientations économiques et politiques, en témoigne le satisfecit donné récemment par le FMI à la Bolivie. Après avoir souffert d’avoir dû passer sans transition aucune du protectionnisme péroniste au libéralisme, s’être fait imposer les schémas du Consensus de Washington qui ont cassé leurs économies, les pays de la région prennent aujourd’hui en main leur développement économique et social, de manière endogène.

Ainsi, au Pérou, les politiques macroéconomiques appliquées sur la longue durée par des présidents aussi différents que Alan García, Alberto Fujimori et Alejandro Toledo sont unanimement considérées comme positives. De fait, les orientations prises par Alan García à la fin de son premier mandat n’ont pas été remises en question par ses successeurs, ils ne le sont pas non plus par Ollanta Humala, et cette continuité a entraîné une stabilité certaine, confortée, notamment, par des cadres juridique et fiscal attractifs, qui ont contribué à l’augmentation des flux d’IDE de 45 % en 2009. Des traités de libre échange ont été signés ces dernières années avec la Chine, les Etats-Unis, comme avec l’Union européenne, au sommet de Madrid. Des négociations sont en cours aux mêmes fins avec la Russie, le Japon, le Mexique.

De sorte que, à la fin de 2010, tous les indicateurs économique péruviens étaient de nouveau au vert : la croissance a été de 8,5 % l’an dernier et, à ce jour, elle est soutenue, de manière continue, depuis une centaine de mois. Lors de la crise de 2009, elle est aussi restée positive grâce à la mise en œuvre d’un plan de relance contracyclique ambitieux. Malgré des tensions inflationnistes, la monnaie reste aujourd’hui stable, le déficit budgétaire faible, les réserves de change importantes et la dette modérée. Un programme d’infrastructures est en cours pour asseoir les conditions du développement économique sur le long terme, et l’économie devrait en outre profiter de la fusion des bourses de Bogotá, Lima et Santiago, décidée en 2010 pour mieux dynamiser l’économie de la région. (80)

La résistance à la crise qu’a manifestée le Pérou est loin d’être unique et les progrès économiques sont dans l’ensemble remarquables. La croissance forte des pays d’Amérique latine est cependant logique, compte tenu de la bonne santé actuelle de leurs finances publiques, des réserves dont ils disposent et de leurs économies bien gérées. Le Pérou n’est en effet pas le seul à avoir su, et pu, mettre en place des politiques contracycliques le moment venu. Le Chili a fait de même en soutenant la consommation des ménages et les PME, politique rendue possible grâce à un déficit fiscal acceptable. Le Brésil également, qui a choisi de soutenir son industrie automobile, secteur clef, représentant le quart de sa production industrielle, de même que la construction et l’agriculture ou le secteur des PME.

En d'autres termes, l’Amérique latine s’en sort bien aujourd’hui parce qu’elle a su tirer les leçons du passé et diminuer ses facteurs de vulnérabilité externe. Il s’agit de pays ayant désormais tous une gestion macroéconomique très bonne, qui n’ont pas cédé à la facilité. Selon certains observateurs, c’est le cas y compris de la part des gouvernements qualifiés de néopopulistes : la gestion macroéconomique de Hugo Chávez est ainsi considérée comme bien plus rigoureuse que ne l’a jamais été celle de Carlos Andrés Pérez dans les années 1970, malgré des discours politiques évidemment très différents (81).

Ainsi, la différence est flagrante en ce qui concerne le visage qu’un pays comme l’Argentine peut présenter aujourd’hui par rapport à ce qu’il était il y a encore quelques années. L'Argentine a connu une crise économique, budgétaire et financière majeure qui a culminé en 2001, due à des facteurs purement internes, suite aux politiques initiées par le président Carlos Menen en 1992 de dollarisation de l’économie. Le différentiel d’inflation important avait alors entraîné une forte désindustrialisation, une perte de compétitivité, provoquant une crise sociale et économique majeure, d’autant plus douloureusement ressentie que les ambitions régionales du pays étaient élevées. Dette excessive, forte inflation, manque de liquidités, et situation sociale critique, le chômage atteignant 25 %, tandis que 50 % des travailleurs ne bénéficiaient pas de sécurité sociale, ont conduit l'Argentine au bord du gouffre. Cela étant, comme le soulignaient tant Alain Rouquié que l’ambassadeur Aldo Ferrer (82), les erreurs ont été corrigées et n’ont pas été renouvelées. De sorte que depuis 2003, l'Argentine connaît de nouveau une forte croissance économique. Elle est parvenue à restructurer son économie en commençant par suspendre le paiement de sa dette extérieure pour rétablir ses finances publiques et retrouver la maîtrise de sa politique économique. Une offre, très largement acceptée, de restructuration a ensuite été faite aux détenteurs de la dette argentine, permettant la reprise de la solvabilité fiscale. La dette ne représente aujourd’hui plus que 20 % du PIB, contre 100 % en 2002, et le pays est aujourd’hui en mesure de se financer sur fonds propres et non plus par recours à l’emprunt international. La croissance argentine est désormais, et depuis plusieurs années, d’environ 8 % par an. Par rapport à la période noire, le PIB a augmenté de 70 % et le taux de chômage est passé de 25 % à moins de 8 %, cependant que les conditions sociales s’amélioraient grâce au soutien de plusieurs programmes axés sur l’aide aux populations les plus vulnérables. Cette bonne gouvernance a permis que la crise financière ait en 2009 peu de conséquences sur l’économie nationale : les répercussions ont surtout affecté les exportations, mais le taux de croissance de l’économie a nettement repris dès 2010 et sera probablement stable en 2011.

En d'autres termes, la réalité macroéconomique de la région a considérablement changé depuis les débuts du XXIe siècle. L’Amérique latine est une région qui bénéficie d’une taille nettement supérieure à celle de l’Europe et par conséquent, d’un potentiel de marché interne considérable. Profitant d’un environnement international favorable, elle a réussi à atteindre des taux de croissance important, qui sont durables. Au demeurant, si les ressources naturelles portent cette croissance, les investissements sont en augmentation importante depuis le début des années 2000, pour faire face à la demande croissante des classes moyennes.

En résumé, « dans le cadre d’un environnement international favorable, le dynamisme du cycle de croissance 2003-2008, l’amélioration de la gestion macroéconomique, la diminution de la vulnérabilité financière et l’existence de marges de manoeuvre pour mettre en place des politiques ayant permis de bien résister à la crise internationale constituent les traits marquants de la première décennie du XXIe siècle. Après la récession somme toute modérée de 2009, on a assisté à l’amorce d’une reprise assez vigoureuse, et la région latino-américaine devrait connaître une croissance supérieure à 5 % en 2010. » (83)

Pour autant, si la situation est aujourd’hui incomparablement meilleure qu’elle ne l’a jamais été, si la région dispose d’atouts considérables, l’optimisme doit aussi être mesuré.

b) Les bases de la croissance à consolider

Comme le faisait remarquer un document de la Commission économique des Nations Unies pour l’Amérique latine et la Caraïbe, CEPAL, en 2010, l’Amérique latine est aujourd’hui un acteur certes encore modeste de l’économie mondiale, mais néanmoins de plus en plus important. Les investisseurs ne s’y trompent pas, qui l’ont placée au premier rang mondial des destinations d’IDE, avec plus de 113 milliards de dollars, attirés par la forte croissance interne de la région et le prix élevé des ressources naturelles destinées à l’exportation.

La région connaît en effet actuellement une évolution remarquable qui, toutes choses égales par ailleurs, montre sur le plan économique un contraste tout aussi net que celui que l’on a décrit sur le plan politique. En effet, si la croissance économique de la région a longtemps – c’est-à-dire au long des décennies passées –, été médiocre, si les crises budgétaires et financières ont souvent frappé les économies des pays du sous-continent – cf. l'Argentine à la charnière du millénaire, pour ne prendre que cet exemple –, la dernière décennie a au contraire été marquée par l’entrée dans un cycle durable de croissance très soutenue, qui a mis la région au deuxième rang en termes de performances après l’Asie.

Comme le rappelle Carlos Quenán (84) professeur d’économie à l’Institut des Hautes études d’Amérique latine, IHEAL, c’est l’ensemble de la région qui connaît depuis 2002-2003 un cycle de croissance soutenu, à peine affecté par une récession modérée, due à la crise de 2009. Même si les PIB ont reculé de près de 2 % en 2009 – quatre pays ne connaissant d’ailleurs pas de récession –, le sous-continent a été relativement épargné, par comparaison à d’autres zones du monde, comme en témoigne le graphique reproduit ci-dessous.

Dès l’année suivante, des taux de croissance de près de 6 % ont été retrouvés par les différents pays du Cône sud. Sur l’ensemble de l’année 2011, le rythme régional moyen attendu devrait être de 4,4 %, selon les estimations publiées par la CEPAL (85). En d'autres termes, « dans le cadre d’un environnement international favorable dans les années 2000, la région a connu une croissance plus dynamique et a réduit sa vulnérabilité financière, ce qui lui a permis de bien résister à la crise économique internationale déclenchée en 2007 ». (86)

Taux de croissance en 2009, en  % (87)

La région latino-américaine représente aujourd’hui un ensemble de près de 600 millions d’habitants, dont 390 millions pour l’ensemble des pays du Cône sud, vivant pour l’essentiel dans des pays à revenu intermédiaire. Son activité économique lui fait représenter 5,5 % du commerce mondial et elle participe à 7,5 % du PIB mondial, ce qui confirme l’analyse de la CEPAL : son rang est encore modeste, ne serait-ce que si on le rapporte aux 8,1 % de l’humanité que sa population représente. Pour autant, ses performances sont aujourd’hui remarquables et la parenthèse de la crise de 2009 semble s’être refermée aussi vite qu’elle s’était ouverte.

Cela étant, si la croissance de l’Amérique latine est due à une gestion macroéconomique plus saine que jamais, la région bénéficie aussi d’une conjoncture particulièrement intéressante, qui lui permet de donner la pleine mesure à ses atouts naturels. Nombre de pays du Cône sud possèdent en effet de très riches ressources naturelles. En l’état actuel des réserves connues, l’Amérique latine possède quelque 15 % des réserves pétrolières du monde, 30% de l’eau douce et une étendue considérable de terres exploitables au niveau agricole. C’est par exemple le cas de l'Argentine, dont les ressources hydriques et les matières minières attirent les industries. La bonne résistance de ce pays à la crise s’explique en partie par ce contexte international actuellement favorable, notamment la demande et les prix des matières premières.

D’une manière générale, l'Amérique du sud, avec le Brésil comme économie centrale, est ainsi exportatrice nette de matières premières, beaucoup de pays sont concernés et en tirent aujourd’hui profit. C’est notamment le cas du Chili, avec le cuivre : selon les dernières statistiques chiliennes (88), en 2011, près de deux tiers, 62 %, des exportations du pays, soit 50 milliards de dollars sur 81, ont concernés les productions minières, et, à 87 %, le cuivre et de ses dérivés. C’est aussi le cas de l'Argentine et du Brésil avec les produits agricoles. Un pays comme le Pérou bénéficie également de ses matières premières qui représentent aujourd’hui 60 % de ses exportations : or, cuivre, zinc, étain, etc., ainsi que de la mer – c’est le 1er exportateur de farines de poisson –, et de l’agriculture, grâce à la diversité de ses climats et à l’extrême biodiversité.

Sur le plan énergétique, le Brésil est désormais appelé à jouer un rôle de géant : les découvertes de pétrole lui donnent un potentiel énorme, ses réserves étant estimées équivalentes à celles de l’Arabie saoudite, et il pourrait ravir au Venezuela la place de premier producteur de la région. Cela s’ajoute aux ressources importantes en minerais divers, en uranium, notamment, dont il détient les 4e réserves mondiales. Le programme nucléaire en bénéficiera, qui s’ajoute au programme hydroélectrique, d'ores et déjà à son maximum. Il est considéré comme indispensable au développement du pays et exempt de risques sismiques. De son côté, l’ambassadeur du Chili en France, Jorge Edwards, rappelait lors de son audition (89) que dans le sud du pays, des projets de construction de centrales hydrauliques sont prévus pour palier le déficit en production électrique du pays. Nombre d’autres pays sont aussi bien lotis : le Venezuela, dont la production pétrolière finance non seulement le développement économique et social interne mais aussi la coopération régionale, de la Bolivie, dont la découverte des gigantesques réserves de lithium, les plus importantes au monde, va bouleverser les potentialités et les perspectives de développement, ou encore l'Equateur.

En d'autres termes, cette région regorge de potentialités assises sur des ressources exceptionnelles et l’adage selon lequel le Pérou est un mendiant assis sur un tas d’or pourrait être appliqué à bien d’autres de ses voisins qui, comme lui, restent aujourd’hui encore avant tout exportateurs de matières premières et manquent d’investissements technologiques et de transformation permettant d’asseoir durablement leur développement économique et social.

c) Des bénéfices encore en attente

L’ensemble de l’Amérique latine connaît actuellement des performances économiques que bien d’autres régions regardent avec envie, les pays européens au premier chef. Les politiques macroéconomiques qui sont aujourd’hui mises en œuvre par les gouvernements sud-américains, quelles que soient leur orientation politique, sont tendues vers l’objectif, partagé par tous, de réduction de la pauvreté.

Pour autant, si les performances actuelles sont remarquables, si chaque pays affiche des taux de croissance impressionnants et durables, l’analyse sur une longue période montre que le poids de la région dans l’économie mondiale ne s’en est pas encore accru et que ses positionnements restent dans l’ensemble encore modestes. Ainsi, dans la liste des dix premiers exportateurs mondiaux, le Brésil et l'Argentine apparaissent uniquement au titre des produits agroalimentaires, sans que la part qu’ils occupent l’un et l’autre ait d’ailleurs considérablement varié en quarante ans, comme en témoigne le diagramme reproduit ci-dessous (90).

Les dix premiers exportateurs mondiaux de produits agroalimentaires (1967 – 2008)

(en % du commerce mondial de biens.)

Selon la même étude du CEPII, d’une manière plus générale, la part de l’Amérique du Sud – soit le Brésil, l’Argentine, le Chili, la Colombie, le Pérou et le Venezuela –, dans les exportations et les importations mondiales de biens et services, ne change pas, à quelque 4 % du total ; elle était même légèrement supérieure en 1967. De même, le poids de la zone en termes de part de PIB mondial, reste-t-il remarquablement stable sur la longue durée.

En d'autres termes, la croissance forte que connaît le Cône sud depuis plusieurs années ne lui a jusqu’à aujourd’hui pas permis de peser plus dans le commerce mondial. Il conserve simplement la même place dans la richesse mondiale, alors qu’on aurait pu s’attendre à une courbe différente de celle de l’Afrique subsaharienne.

Evolution des parts des grandes zones dans le PIB mondial en parité de pouvoir d’achat 2005

(1960 – 2010) (91)

En cela, le contraste est flagrant avec la situation de l’Asie du sud-est, dont la croissance est continue et régulière sur ce plan depuis le début des années 1970. Sur cette question, la Chine occupe évidemment une place à part, et par contraste, le Brésil, depuis la fin de la décennie des années 1970, ne voit pas de changement. Comme d’autres études, qui s’inscrivent aussi dans une perspective historique, l’ont par ailleurs montré (92), d’une part le taux de croissance de l’Amérique latine est moins important que celui des autres régions émergentes, en particulier l’Asie, mais on relève aussi de fortes disparités entre les pays au sein du Cône sud, qui tiennent aux caractéristiques de chacun, et incitent à ne pas globaliser la perception.

Evolution des parts des grands pays dans le PIB mondial
en parité de pouvoir d’achat 2005 (1967 – 2010)

Entre les grands pays émergents aujourd’hui membres du G20, Brésil et Argentine, en premier lieu, disposant d’atouts incomparables, en termes de taille, de ressources naturelles, de capacités industrielles ou agricoles, et occupant d'ores et déjà pour ces raisons des positions de premier plan au niveau régional, voire mondial, et d’autres, comme le Paraguay, les résultats et les perspectives ne peuvent qu’être fort différentes. Ainsi, les exportations agroalimentaires du Brésil – troisième exportateur mondial de produits agricoles – ont-elles augmenté de 24 % entre 2010 et 2011. Avec un montant d’exportation de 94,6 milliards de dollars, la balance commerciale agroalimentaire brésilienne atteint son meilleur niveau depuis 15 ans. Soja et produits dérivés ont particulièrement stimulé les exportations brésiliennes et participent pour 38,7 % à la croissance constatée. Café, sucre, viande et céréales sont également des secteurs importants. L’Europe et l’Asie sont les marchés principaux du Brésil, et concentrent 57,4 % de ses exportations agricoles (contre 56,8 % l’année précédente, suivies du Moyen Orient (10,1 % des exportations), des pays de l’ALENA (8,5 %) et africains (8 %). Compte tenu de la sécheresse qui sévit actuellement en Amérique du Sud, le niveau des récoltes devrait stagner en 2012, mais le ministre de l’agriculture brésilien a néanmoins annoncé un plan d’exportation des céréales et des oléagineux en hausse de 5,7 % par rapport à 2011 (93). En d'autres termes, même si la réduction de la pauvreté se constate partout depuis une vingtaine d’années, si les politiques macroéconomiques et budgétaires ne sont en rien comparables à ce qu’elles étaient dans les années 1980, et si les performances sont bien supérieures à ce qu’elles étaient dans le passé, les bases de la croissance montrent que l’Amérique latine se trouve encore aujourd’hui dans une phase de consolidation. Comme le remarquait Jeff Dayton-Johnson (94), chef du bureau Amériques du Centre de développement de l’OCDE, les niveaux d’industrialisation en Amérique latine ont même baissé jusqu’à récemment. La région est désormais dans une phase de récupération dans quelques pays, mais aussi de concentration sur les matières premières et sur une tertiarisation dans d’autres. La question de la valeur des matières premières est donc cruciale pour certains.

En d'autres termes, et comme on le verra plus loin, le Cône sud reste une région dans laquelle sans doute beaucoup reste à faire pour qu’elle retire les fruits des efforts remarquables qu’elle fournit depuis quelques années et que son développement économique et social soit définitivement assuré.

3) Des ambitions qui s’affirment

Les ambitions diplomatiques et internationales des pays sud-américains ne sont pas récentes. Hors de la région, elles se sont autrefois plus souvent traduites par des velléités que par des actions soutenues et suivies, leurs échecs entraînant leur propre isolement ou leur éloignement de la scène internationale, cf. le retrait du Brésil de la Société des Nations avant guerre pour n’avoir pas été suivi dans son refus de voir l’Allemagne intégrer l’organisation.

Les choses sont évidemment bien différentes aujourd’hui et, à mesure que la région monte en puissance, les ambitions, légitimes, se révèlent, multiples, tant individuelles que collectives.

a) Une région en voie d’émancipation

D’une manière générale, c’est toute l’Amérique latine qui a indéniablement acquis du poids aujourd’hui et qui, surtout, ne cache pas qu’elle entend exister sur la scène internationale de manière autonome.

La dernière manifestation de l’ambition latino-américaine est très récente : le 4 décembre 2011 a été réunie à Caracas une conférence internationale au terme de laquelle a été instituée la Communauté des États latinos américains et des Caraïbes, CELAC. Ce nouveau forum réunit les 33 pays du continent, aux seules exceptions des Etats-Unis et du Canada, et entend explicitement se poser en rival de l’Organisation des Etats américains, OEA, jugée par trop inféodée aux Etats-Unis depuis ses origines.

A cet égard, le fait que des personnalités aussi différentes que Rafael Correa et Sébastián Piñera, Hugo Chávez et Felipe Calderón se soient exprimés dans des termes très proches, traduit clairement le souhait des pays de la région de s’affranchir de toute tutelle. La Présidente brésilienne Dilma Roussef le résumera sans ambiguïté : « nos pays montrent leur volonté de créer un avenir sans ingérence d’autres pays. » (95)

Les Sud-américains ont donc la ferme intention de prendre leurs affaires en main. Dans cette perspective, la CELAC est considérée comme un pas de plus dans le processus d’intégration politique, économique, sociale et culturelle, en essayant d’équilibrer unité et diversité, au-delà des profondes différences idéologiques actuelles entre dirigeants de la région. Pour Hugo Chávez, elle doit être « une union politique, et sur cette union nous allons bâtir un grand pôle du pouvoir du XXIe siècle », cependant que tant Felipe Calderón, Président mexicain que Sebastián Piñera, Président du Chili, mettaient en avant leur conviction d’un moment historique à saisir : la « décennie » ou le « siècle » de l’Amérique latine imposent aux pays de la région de se hâter vers l’intégration.

Il est bien sûr encore prématuré pour tirer quelques enseignements d’un processus lancé il y a si peu de temps. On peut néanmoins noter qu’il s’inscrit dans la continuité de démarches collectives que les pays sud-américains mènent en parallèle, qui confirment qu’ils sont d’ores et déjà plus actifs que jamais sur la scène internationale. Une diplomatie propre est en train d’émerger et de se consolider, qui s’exerce hors de toute tutelle. En témoigne par exemple le Forum de coopération Afrique-Amérique du Sud, ASACOF, lancé en 2006, qui se réunit depuis lors tous les deux ans. Un partenariat stratégique entre les pays africains et sud-américains est actuellement en cours, sur la base d’un plan d'action pour les années 2010-2015. Ce plan, qui couvre les aspects financiers, l'énergie, l'agriculture, la culture ou encore la santé, a été adopté lors du second sommet, tenu sur l’île de Margarita, au Venezuela. Ici encore, il s’agit que les pays du Sud, ensemble, aient une coopération tant diplomatique qu’économique. Si les choses ont débuté lentement entre les deux continents, l’ambition est que des positions communes émergent pour pouvoir exercer plus de pression du Sud sur les négociations du cycle de Doha, par exemple, notamment sur l’ouverture des marchés agricoles européens aux pays africains, sujet sur lequel le Président Luiz Inácio Lula da Silva appelait notamment à une meilleure coordination. Dans le même esprit, c’est au sein de ce forum que le Président Hugo Chávez a promu l’idée d’une compagnie pétrolière des pays du sud pour concurrencer les majors du Nord ; de même en a-t-il été de la Banque du sud, que Hugo Chávez a invité les pays africains à rejoindre. Plus récemment, lors de la dernière réunion du forum, à Malabo, fin novembre 2011, les délégations d’une soixantaine de pays se sont entendues sur des positions harmonisées dans la perspective de la conférence de Durban sur le climat. En bref, les mécanismes de coopération sud-sud entre l’Amérique latine et l’Afrique se renforcent, des pays comme le Brésil ou l'Argentine menant d'ores et déjà leur propre politique d’aide au développement, notamment en matière agricole.

Dans le même ordre d’idées, traduisant cette volonté de dialogue sud-sud, se tiennent également depuis 2005 des sommets biannuels « ASPA », Amérique du sud - Pays arabes. Les liens humains sont importants, compte tenu de la forte émigration arabe qui a eu lieu dans le passé vers le Cône sud, où vivent encore aujourd’hui de nombreux descendants, comme en Argentine ou au Brésil, où ils sont estimés à quelque 10 millions d’habitants. On n’est pas surpris, dans ces conditions, de voir que le Brésil est par exemple désormais l’un des principaux soutiens aux réfugiés palestiniens, via ses contributions à l’UNRWA (96). Il en est de même par exemple au Chili, premier pays d’immigration palestinienne, où, la communauté représente quelque 300 000 personnes. Si les liens se sont sans doute distendus entre les deux régions, les préoccupations sont néanmoins partagées quant au dialogue à avoir avec le Nord et la recherche de positions communes est désormais à l’ordre du jour. En témoigne le fait que la Palestine a ainsi été reconnue comme Etat par plusieurs pays et que le Mercosur vienne de signer avec elle un Traité de libre échange (97).

En résumé, comme le faisait remarquer Florence Pinot, directrice du Centre d'études et de recherche sur l’Amérique latine, CERALE (98), l’Amérique latine est en train de s’émanciper. Elle le fait sur des aspects politiques ou économiques et l’on peut rappeler que des capitaux du Golfe investissent par exemple beaucoup en Amérique latine, notamment vers les infrastructures, ou que les échanges commerciaux entre l’Afrique et l’Amérique latine ont été quintuplés entre 2006 et 2008, passant de 6 à 36 milliards de dollars. L’autonomisation de la région se fait par conséquent sentir de diverses façons, elle prend désormais des positions diplomatiques sur tous les sujets. Elle diversifie ses partenariats, avec plusieurs options désormais à sa portée : occidentale, vis-à-vis de l’Union européenne, avec laquelle il y a une proximité mais aussi certains différends, comme en ce qui concerne la PAC ; vis-à-vis de l’Afrique ; vis-à-vis de la Chine aussi, que le Cône sud n’est cependant pas sans regarder avec une certaine méfiance, compte tenu des risques de reprimarisation des économies que des échanges encore trop basés sur les matières premières peuvent faire courir, malgré le fait que ce pays soit désormais le premier partenaire commercial du Brésil et du Chili.

b) Des diplomaties qui s’affirment au service des intérêts économiques

En effet, à côté de la partition collective que les pays d’Amérique latine jouent de plus en plus sur la scène internationale, chacun entend aussi exister pour soi et ne pas dépendre des autres.

Michèle Bachelet résumait cette nouvelle ambition individuelle très clairement en déclarant : « j'estime que le temps est venu, pour le Chili, de dialoguer avec tous les États qui le désirent. » (99). Pour la présidente chilienne, il s’agit pour un pays comme le sien d’illustrer à la fois sa capacité à s’intégrer dans la dynamique de la mondialisation et surtout de ne pas laisser passer la chance de développement que celle-ci représente. Comme elle le précisait, « nous ne pouvons pas nous permettre de laisser notre avenir dépendre uniquement de la demande intérieure. (…) nous avons mis en place cette stratégie au début des années 1990, à un moment où nous venions de retrouver la démocratie et alors que nous étions, bien sûr, très isolés à tous les niveaux - politique, commercial, culturel, etc. C'est cette politique de contacts tous azimuts qui nous a permis de remonter la pente et de reprendre pleinement notre place sur la scène internationale. » (100). C’est en application de cette stratégie que le Chili a notamment mené une importante politique de signature d’accords commerciaux bilatéraux ou régionaux, par lesquels il est aujourd’hui lié à quelque 60 pays différents, sur les continents américain, européen et asiatique. De son côté, Patricio Melero Abaroa, président de la Chambre des députés confirmait à la mission (101) « la soif d’échanges » du Chili, son souhait de les multiplier avec ses partenaires, au premier rang desquels la France, avec l’ambition d’apprendre des voies que les uns et les autres ont choisies pour leur propre développement et pouvoir répliquer leurs expériences, l’ambition du pays étant de devenir le premier pays développé d’Amérique latine.

Un pays comme le Pérou, désormais fort actif, a également su prendre des initiatives en matière d’armements, ou encore dans les discussions régionales avec l’APEC ou l’ASPA, dont le prochain sommet, en février 2012, se tiendra à Lima. De la même manière que pour le Chili, l’objectif central de la diplomatie péruvienne est clairement tourné vers les intérêts économiques et commerciaux du pays et l’attraction des IDE, d’où qu’ils viennent. On peut ainsi relever que Dubaï et l’Algérie sont d'ores et déjà présents. Dans le même esprit, le Pérou sait aussi profiter de sa position géographique et de ses atouts pour améliorer ses relations avec ses voisins. C’est le cas notamment du Brésil, qui a par exemple un intérêt pour la façade pacifique, pour mieux accéder à l’Asie. Les relations entre les deux pays sont excellentes, et se sont aussi traduites par un accord d’intégration énergétique qui permet au Brésil de s’approvisionner au Pérou. Les différends éventuels n’empêchent pas que des liens économiques forts réussissent à se nouer, le cas le plus intéressant étant avec le Chili malgré les tensions sur les questions maritimes, pour ne pas parler des modalités d’intégration bilatérales entre le Pérou et l'Equateur, par exemple, ou du dialogue instauré avec la Bolivie. En d'autres termes, à son niveau, un pays comme le Pérou joue aussi sans complexe sa partition avec un indéniable succès.

Comme le faisait remarquer Elisabeth Béton-Delegue (102), l’Amérique latine et ses différents pays sont désormais décomplexés sur la scène internationale. Ils le sont d’autant plus qu’ils sont à même de jouer un rôle international auquel ils ne pouvaient évidemment prétendre sous l’empire des dictatures, à l’époque où, en outre, endettement et inflation les étranglaient. L’ambassadeur d’Argentine, Aldo Ferrer, faisait remarquer que son pays, sans prétendre donner de leçons, par son histoire récente, pouvait être source d’inspiration en prouvant qu’un pays émergent dans une situation économique critique, comme la sienne en 2001, pouvait être capable de faire face et redresser son économie. Le fait que l'Argentine soit aussi membre du G20 lui offre dans cet ordre d’idées un cadre et une caisse de résonance unique, qui lui permet à la fois de participer à la prise de décision concernant la convergence des positions vis-à-vis de la réforme du système international et de mettre en avant ses propres idées, d’échanger avec ses pairs dans un cadre unique.

Ces ambitions diplomatiques sont à mettre en relation avec les performances économiques, sur l’attractivité des pays de la région et leur propre expansion économique. Dans le même temps que les IDE atteignaient des niveaux record dans le région en 2010, les entreprises multinationales latino-américaines montraient qu’elles jouaient désormais également dans la cour des grands : elles ont investi un total de 43 milliards de dollars en 2010 à l’extérieur, ce qui met en évidence leur rôle d’acteurs internationaux de premier plan au niveau mondial. De grands groupes latino-américains investissent, depuis le Mexique, cf. le poids de celui de Carlos Slim, l’homme d’affaires le plus riche du monde, le Brésil, le Chili ou encore l'Argentine, notamment. De nouveaux clients apparaissent aussi, depuis l’Asie, notamment, et des mouvements contraires ont également lieu, comme des renationalisations. En d’autres termes, globalement, la situation tend à s’équilibrer aujourd’hui et l’asymétrie dont pâtissait l’Amérique latine diminue. Elle est moins dépendante des marchés européens, et s’est ouverte à d’autres horizons, sur de nouveaux marchés, notamment agricoles. Quoi qu’il en soit, l’Amérique latine est clairement entrée dans l’ère où, globalement comme individuellement, elle met ses ambitions au service de la puissance et de son développement.

Comme le résumait Alain Rouquié, l’un des effets positifs des changements que connaît le sous-continent se perçoit effectivement en termes d’attractivité : la prévisibilité bien meilleure aujourd’hui des pays d’Amérique latine leur permet par exemple de faire venir les IDE que les dictatures éloignaient au contraire. Les pays de la région se sentent aujourd’hui dans une situation nouvelle vis-à-vis de l’extérieur et n’hésitent plus à faire porter leur voix sur la scène internationale et à défendre leurs intérêts. Ils ont plus de possibilités pour cela et plus d’efficacité, moins de complexes ou de réticence à s’affirmer, cf. la manière dont le Brésil a torpillé le projet de zone de libre échange souhaité par les Etats-Unis, que ceux-ci ne se risquent plus à proposer. L’Amérique latine a aussi plus de poids dans les organisations et conférences internationales, en témoigne ce qui s’est passé lors du cycle de Doha en 2003 ou récemment à Cancún, sous la présidence du Mexique, qui a pesé pour obtenir des résultats.

c) Le Brésil, incontestable premier violon de l’orchestre

Les uns et les autres s’ouvrent, sur l’Europe, sur l’Asie, et s’affirment, sachant diversifier leurs relations internationales. Dans cet ensemble, le Brésil joue clairement un rôle à part, tant par son activisme que par ses ambitions propres. Ce pays domine incontestablement ses partenaires et son seul poids, écrasant, n’est pas sans jouer sur certains dysfonctionnements régionaux.

Au sein de l’ensemble latino-américain, naguère encore le Brésil n’était qu’un des trois grands de la région, avec son voisin l'Argentine et le Mexique au nord, mais traditionnellement plus tourné vers les Etats-Unis que vers le Cône sud. S’il entend rester ancré en Amérique latine, le Brésil n’en joue pas moins désormais sa partition seul, comme le montrent ses initiatives diplomatiques importantes. Plusieurs exemples méritent d’être avancés.

La diplomatie brésilienne, très performante, a particulièrement développé l’axe sud-sud évoqué plus haut, qui est aujourd’hui remarquablement étoffé, par exemple vis-à-vis de l’Afrique : une quinzaine de nouvelles ambassades ont été ouvertes en Afrique et le Brésil a en particulier fortement développé sa présence en Angola, où nombre de ses entreprises notamment du BTP, sont désormais présentes, ainsi que Pétrobras.

D’une manière générale, le Brésil entend jouer aujourd’hui « dans la cour des grands » auxquels il appartient. En témoigne les relations bilatérales étroites qu’il entretient avec les pays les plus importants : lié depuis les années 1980 à l'Argentine par un important accord de partenariat stratégique, il étend aujourd’hui son réseau conventionnel, notamment aux pays européens : ainsi, ce n’est pas seulement avec la France, par exemple, qu’il a conclu ces dernières années un accord de partenariat stratégique, mais aussi, comme on le verra en détail plus loin (103) avec des pays comme l’Allemagne, l’Italie ou encore le Royaume-Uni. On a d’ailleurs pu montrer (104) que les partenariats stratégiques sont un instrument central de la diplomatie brésilienne par lequel le Brésil renforce sa capacité d’action internationale autonome, partage sa vision du monde tout en visant à des résultats concrets pour sa stratégie de développement national : « la construction de partenariats stratégiques est le fruit de l’adéquation de la vocation historique du Brésil à l’universalité au besoin de rapprochements sélectifs, ce qui ouvre la voie à des mouvements d’adaptation aux niches d’opportunité et aux contraintes internationales dictées par la conjoncture. » (105). En d'autres termes, la conclusion de tels partenariats, multiples, participe de la volonté du Brésil de s’insérer dans la communauté internationale en jouant de contacts bilatéraux prioritaires, - cf. la thématique du siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies sur laquelle le Brésil peut aujourd’hui compter sur bien d’autres alliances que celle qu’il a nouée avec la France. Ces dernières années, le Brésil a ainsi qualifié de « stratégiques » les relations bilatérales qu’il entretient avec les principales puissances asiatiques, c’est-à-dire, la Chine, l’Inde et le Japon ; avec les principaux pays européens comme on l’a vu plus haut, mais aussi avec la Russie, la Finlande, la Suède, le Danemark, la Norvège, l’Ukraine ; sans oublier d’autres pays tels que la Corée du sud, le Venezuela, le Paraguay, ou encore l’Afrique du sud.

Dans un autre registre, il prend des initiatives diplomatiques, comme vis-à-vis de l’Iran. Pour malheureuse que celle-ci ait été, elle met aussi en évidence l’ambition du Brésil de jouer un rôle à sa mesure, c’est-à-dire en l’espèce, à la hauteur des Etats-Unis, auxquels il ne dédaigne d’ailleurs pas de se frotter, - même si les relations entre les deux pays sont bonnes, et que le Brésil les souhaite excellentes ; ainsi, en 2005, lorsqu’il a mis en échec le projet nord-américain de création d’une Zone de libre-échange des Amériques souhaitée par Washington. Son engagement sur la question de la lutte contre le réchauffement climatique le place à la pointe de la mobilisation internationale sur un enjeu global, en témoigne son rôle lors de la conférence de Cancún. En d'autres termes, le Brésil, comme d’ailleurs les autres émergents, veut d'ores et déjà être considéré comme une grande puissance, sans attendre d’être membre permanent du Conseil de sécurité, et mène la diplomatie que ce statut suppose. En témoigne par exemple les positions communes adoptées par l’Inde, le Brésil et l’Afrique du sud au Conseil de sécurité ces derniers mois sur des sujets comme la Côte d’Ivoire ou la Libye, sur lesquels ils ont été fort critiques sur les initiatives prises, notamment par la France et le Royaume-Uni.

Il n’est que de relire le premier discours que la Présidente Dilma Roussef a prononcé à la tribune de l’Assemblée générale des Nations Unies le 22 septembre 2011 pour se convaincre que le Brésil est effectivement décomplexé : après avoir rappelé que son pays est bien moins affecté que les pays européens et que les Etats-Unis par la crise, lui qui est en situation de quasi plein emploi alors que le chômage frappe 44 millions de personnes en Europe et 14 millions aux Etats-Unis, elle déclarait que le Brésil peut, et veut, les aider, avant de réaffirmer, une fois de plus, que, « vecteur de paix, de stabilité et de prospérité dans sa région », il est aussi prêt à assumer toutes ses responsabilités comme membre permanent du Conseil de sécurité.

Celso Amorim, longtemps ministre des affaires étrangères du gouvernement du Président Lula da Silva, mérite d’être longuement cité pour illustrer l’ambition internationale du Brésil qui s’inscrit dans les changements du monde contemporain et la nécessité pour les pays du sud d’être entendus. Dans une tribune parue dans le journal Le Monde (106), il déclarait : « Une bonne politique étrangère exige de la prudence. Mais elle exige également de l’audace, car la timidité et le complexe d’infériorité ne peuvent pas la caractériser. On entend souvent que les pays doivent agir selon leurs moyens, ce qui va de soi. Cependant, la plus grande erreur serait de sous-estimer nos capacités. Depuis près de huit ans, le Brésil a effectivement œuvré avec audace et, à l’instar d’autres pays en développement, nous avons changé notre importance sur la carte du monde. Nos pays sont vus aujourd’hui, même par les critiques éventuels, comme des acteurs dont les responsabilités sont croissantes et dont le rôle est de plus en plus central dans les décisions qui affectent l’avenir de la planète. (…) Après sept ans et demi de gouvernement du président Lula, l’image du pays à l’extérieur a changé. L’importance croissante du Brésil – ainsi que celle d’un certain nombre de pays – est aujourd’hui incontestable dans la discussion des principaux thèmes de l’agenda international, du changement climatique au commerce, des finances à la paix et à la sécurité. » Commerce, infrastructure et dialogue politique sont les instruments clefs par lesquels le Brésil travaille à l’intégration latino-américaine, qui est la base de sa nouvelle politique étrangère, base sur laquelle il peut établir des mécanismes de dialogue et de coopération avec les pays des autres régions, fondés sur l’idée que la réalité internationale n’implique plus la marginalisation du monde en développement. C’est aussi la raison pour laquelle le Brésil s’est particulièrement attaché à entretenir des relations apaisées avec l’ensemble de ses voisins, à mettre fin aux contentieux éventuels, comme avec le Paraguay, à les soutenir au besoin, comme lorsque Evo Morales décidera de nationaliser les réserves de gaz naturel boliviennes. La croissance de ses exportations vers les pays en développement, la création de mécanismes de dialogue et de concertation, UNASUR, IBAS (Inde, Brésil et Afrique du Sud) et BRIC « sont le reflet de l’orientation d’une politique étrangère universaliste et décomplexée sur ce que peut et doit être l’action externe d’un pays ayant les caractéristiques du Brésil. » Comme Celso Amorim le remarquera enfin, cette évolution « a généré des avantages notables pour les relations économiques. Le commerce du Brésil avec les pays arabes a quadruplé en sept ans. Avec l’Afrique, le chiffre a été multiplié par cinq et atteint 26 milliards de dollars (20,5 milliards d’euros), chiffre supérieur à celui des échanges avec des partenaires traditionnels, tels l’Allemagne et le Japon. »

Cela étant, force est de constater que le fort déséquilibre régional que le poids du Brésil fait aussi peser sur les institutions du Cône sud, et tout particulièrement, le Mercosur, entraîne une certaine paralysie. Etouffés entre l'Argentine au sud et le Brésil au nord, que peuvent le Paraguay et l’Uruguay pour simplement prétendre exister et espérer avoir voix au chapitre ? Voire même l'Argentine, dont le PIB est aujourd’hui trois fois inférieur à celui du Brésil ? En d'autres termes, l’importance du Brésil par rapport à ses pairs du sous-continent est à la fois un avantage et un inconvénient.

Un avantage, en ce sens qu’il permet sans doute, effectivement, de renforcer la visibilité de la région dans son ensemble et de donner plus d’écho à sa voix. Pas seulement, d’ailleurs les pays du Cône Sud : plus largement, les émergents, comme en témoigne le leadership que le Brésil avait pris en 2003 lors du sommet de l’OMC à Cancún, sur le thème de la défense de leurs intérêts communs face à ceux des pays développés. Un inconvénient, car le poids exorbitant d’un seul induit un fort déséquilibre, dont la moindre des instances qui aient à en pâtir n’est pas le Mercosur, que d’aucuns (107) considèrent comme étant aujourd’hui en panne, en raison précisément de cette situation.

B – Le XXIe, siècle de l’Amérique latine ?

Quelques-unes des personnalités sud-américaines les plus en vue, dont Enrique Iglesias, Luis Alberto Moreno, Juan Manuel Santos ou Sebastián Piñera (108) partagent une même vision : celle d’une Amérique latine enfin arrivée à son heure. Ils sont convaincus que, après avoir longtemps été à la traîne des autres pays, souvent même source de problèmes, l’Amérique latine est désormais dans les wagons de tête, voire même l’une des locomotives du développement contemporain et source de solutions. Ils ont la certitude que la décennie qui vient de s’ouvrir sera celle de l’Amérique latine et certains, plus enflammés, voient même le XXIe siècle comme celui de l’Amérique latine. Cela étant, à côté des performances effectivement remarquables, subsistent aussi un grand nombre de défis majeurs sur la voie du développement, dont la prise en compte conditionnera le succès du sous-continent.

1) L’Amérique latine sur le chemin du développement

Il est évidemment prématuré de se prononcer sur le fait de savoir si le XXIe siècle sera effectivement ou non celui de l’Amérique latine. Rien n’interdit en revanche de souligner certains des changements majeurs qui sont en train de marquer profondément le sous-continent.

a) Une région qui a fait du développement économique et social sa préoccupation première

Au-delà des options politiques qui sont prises par certains des gouvernements de la région, quelques constantes se sont imposées ces dernières années. En premier lieu, et pour la première fois dans l’histoire de l’ensemble des pays du Cône sud, les classes dirigeantes considèrent désormais la baisse de la pauvreté comme une priorité absolue. Cela est dû à l’apparition de nouvelles classes dirigeantes, comme en Bolivie, en Equateur ou au Brésil, notamment, ainsi qu’à la démocratisation. La pauvreté est désormais l’affaire des gouvernements, tant de gauche que de droite. Dans la région depuis toujours la plus inégalitaire du monde, la réduction de la pauvreté et des inégalités est devenue une préoccupation majeure.

L’arrivée au pouvoir de nouvelles classes dirigeantes a naturellement joué un rôle important dans la diffusion régionale de ces nouvelles thématiques. Il convient aussi, au-delà de l’aspect politique conjoncturel, de garder présent que la démocratisation des régimes a aussi coïncidé avec des périodes de crises économiques et sociales sévères, au moment précis où les Etats de la région sortaient des cures d’amaigrissement imposées dix ans durant par le Consensus de Washington. En d’autres termes, la nécessité d’éviter le désenchantement envers la démocratie au moment où elle réapparaissait dans une conjoncture difficile, et de légitimer les nouveaux régimes, a très directement favorisé l’émergence de politiques publiques redistributives qui auraient simplement été inimaginables dans ces contrées quelques années plus tôt. C’est le sens également des processus de réforme de l’Etat engagés dans la plupart des pays de la région à partir de la fin des années 1990, qui entendent modeler des profils institutionnels adaptés aux exigences à la fois de la démocratisation et du développement, et de définir des critères de gestion publique correspondants aux défis que l’Etat doit désormais affronter (109).

Concrètement, les systèmes d’allocations conditionnelles aux familles, versées en échange de visites médicales et de scolarisation des enfants, ont été reproduits à peu près partout, après avoir été inventés au Brésil par le gouvernement du Président Lula da Silva. Cette aide aux plus pauvres, à recevoir un minimum de santé et d’éducation, s’est aujourd’hui généralisée. Comme le disait l’ancien président brésilien (110), le programme « Bolsa familia » est non seulement le plus important mécanisme de redistribution de revenus jamais mis en place, mais aussi la première étape de l'insertion des plus pauvres dans la citoyenneté, l’objectif réel étant la création d'emplois, l'amélioration de l'éducation. Il ne s’agit plus pour le gouvernement brésilien d’essayer en premier lieu de générer de la croissance pour ensuite, redistribuer de la richesse, mais d’y arriver simultanément.

Aujourd’hui, l’ensemble des gouvernements de la région interviennent peu ou prou sur des axes comparables qui ont d’ores et déjà fait leurs preuves. C’est bien sûr le cas dans les pays actuellement dirigés par des gouvernements de gauche, voire se revendiquant révolutionnaires ; mais c’est aussi le cas de gouvernements plus conservateurs ou libéraux.

D’ores et déjà, on constate que la pauvreté a diminué très fortement, de moitié, par exemple, dans des pays comme le Chili ou l'Argentine, moins dans les autres mais de manière néanmoins significative. Les inégalités suivent la même tendance, après avoir au contraire crû dans les années 1980-1990. Les retombées de la croissance sont évidemment très positives, elles sont mieux partagées qu’elles ne l’ont jamais été dans cette région grâce aux politiques de redistribution mises en œuvre.

b) L’Amérique latine comme partenaire et modèle

Les indices économiques actuels, quels qu’ils soient, sont évidemment tout à l’honneur de la région. En ce qui concerne les perspectives de croissance, les tendances sont positives jusqu’en 2020, et les performances sur cette décennie devraient être supérieures à celles des années passées, pour se rapprocher de celles des années 1950. On se contenterait de moins et l’on comprend l’enthousiasme qui anime les dirigeants.

De nombreux facteurs, à quelque niveau que ce soit, jouent en effet pour étayer la confiance retrouvée et envisager l’avenir sous les meilleurs auspices : aujourd’hui, l’Amérique latine a une population totale de près de 600 millions d’habitants, dont plus de 390 millions pour le Cône sud. L’âge moyen de cette population est de 28 ans.

Pays

Population

Argentine

40,5

Bolivie

10,4

Brésil

193,2

Chili

17,1

Colombie

45,5

Equateur

14,2

Guyana

0,8

Paraguay

6,5

Pérou

29,5

Suriname

0,5

Uruguay

3,4

Venezuela

28,8

Total

390,4

Population des pays du Cône sud en 2010
(en millions d’habitants) (
111)

La région dispose de ressources naturelles en abondance – hydrauliques, énergétiques ou minières –, de la capacité d’augmenter ses productions alimentaires et d’une biodiversité exceptionnellement riche.

Sur un autre plan, comme votre Rapporteur le rappelait plus haut, l’Amérique latine a su tirer les leçons des erreurs du passé et elle a désormais mis en place des politiques publiques saines et efficaces ; elle est entrée dans un cercle vertueux, a su réduire sa dette, diminuer son inflation, commencer à augmenter ses ressources fiscales. Elle ne cesse de se renforcer sur un grand nombre d’aspects, au point qu’un pays comme la Colombie, considéré comme un Etat failli il y a seulement dix ans – cf. le Plan Colombia, proposé par le président Bill Clinton à la fin des années 1990 –, dialogue aujourd’hui de gouvernance mondiale avec ses pairs plus que de lutte contre le narco trafic, comme en témoigne entre autres la déclaration conjointe des présidents Nicolas Sarkozy et Juan Manuel Santos du 27 janvier 2011.

En d'autres termes, les choses ont d'ores et déjà considérablement changé, elles continuent d’évoluer et de renforcer l’attractivité de cette région qui par ailleurs jouit d’une position géographique charnière qui ne peut que renforcer ses chances et ses opportunités. L’intérêt qu’y portent tant l’Asie que l’Europe, comme on le verra plus loin, en témoigne amplement. Comme le soulignait Ernesto Cordero, ministre des finances mexicain, intervenant au cours du Troisième forum économique international Amérique latine et Caraïbes, organisé à Bercy par l’OCDE, la Banque interaméricaine de développement et le MINEFI le 24 janvier 2011, l’Amérique latine est désormais prospère, démocratique, elle a progressé en termes d’Etat de droit, et tout contribue à la rendre attractive.

Ces avancées confortent aussi les ambitions régionales et notamment celle de parler désormais d’égal à égal avec ses partenaires. Il ne s’agit pas seulement de s’autonomiser par rapport au Nord, mais aussi d’entretenir des relations équilibrées avec tous. Le fait, par exemple, de ne pas appartenir au G20, n’interdit pas à certains de faire des suggestions, de vouloir être associés à la gestion des enjeux internationaux contemporains, argumentant tout à la fois d’une légitimité à le faire et de la nécessaire légitimation des décisions à prendre. Leur expérience et les bons résultats dont ils peuvent désormais se prévaloir les amènent par exemple à faire remarquer que ce dont l’Union européenne parle aujourd’hui – les questions de contrôle, de régulation, les problèmes qu’elle doit affronter douloureusement –, l’Amérique latine les a traités avec succès il y a plus de dix ans. Christine Lagarde en convenait lors du Forum économique international précité : la ministre des finances indiquait que l’Europe avait effectivement à apprendre de l’Amérique latine, qu’elle était précisément en train d’adapter les outils contracycliques que celles-ci avait inventés et qu’il fallait tirer profit de ses succès. Le G20, dont Nicolas Sarkozy entamait alors la présidence, ne devait pas travailler seul, mais recevoir les contributions de chacun pour proposer des solutions plus représentatives, transparentes et légitimes. Ce n’est pas seulement sur les questions de gouvernance financière ou de stabilisation des prix des matières premières que l’Amérique latine pouvait faire entendre sa voix, mais aussi, évidemment, sur les autres enjeux globaux, tel que le changement climatique.

2) Mais un chemin encore semé d’embûches

A chaque médaille son revers : si l’Amérique latine est aujourd’hui forte de ces incontestables succès, elle reste encore toutefois face à des défis considérables.

a) Des défis sociaux majeurs

En premier lieu, les défis sociaux à relever sont particulièrement importants. Nul ne les nie. Ángel Gurría, Secrétaire général de l’OCDE, rappelait ainsi lors du Forum économique du 24 janvier que l’agenda de l’Amérique latine, quels que soient les progrès accomplis ces dernières années, restait difficile et que les questions sociales devaient avoir la priorité. Il en est notamment ainsi de la santé ou de l’éducation, à laquelle les pays ne consacrent encore en moyenne que l’équivalent de 0,15 % de leur PIB, et dont le niveau doit être considérablement amélioré dans l’ensemble des pays de la zone s’ils prétendent continuer à faire la course en tête et conforter durablement les taux de croissance économiques dont ils jouissent actuellement.

Reposant essentiellement, jusqu’à aujourd’hui, sur des cours de matières premières élevés, la croissance de l’Amérique latine et spécialement du Cône sud doit être consolidée. Au-delà de la bonne gestion macroéconomique, cela exige plus de stabilité institutionnelle et de régulation des cours, de contribuer à éviter le risque d’une « reprimarisation » des économies de la région, pour reprendre l’expression de Henrique Iglesias, secrétaire général de la SEGIB. Cela se fera entre autres grâce à des ressources humaines mieux formées qui permettront une meilleure compétitivité de la région. Cela suppose, préalablement, une augmentation du niveau général de l’éducation des populations sud-américaines et une diminution concomitante de l’analphabétisme : à l’heure actuelle, d’une manière générale, si 80 % de la population ont accès au secondaire (112), parfois avec des incitations financières, comme au Brésil, seuls 49 % des hommes et 55 % des femmes âgées de 20 à 24 ans terminent ce cycle ; surtout, en zones rurales, ils ne sont que 26 % des hommes et 31 % des femmes dans le même cas.

Ces questions sont porteuses d’autres effets, connexes : sur l’informalité de l’économie, préoccupation cardinale, entre autres problèmes sociaux. Aujourd’hui, il n’y a qu’au Chili que le taux d’emploi formel des classes moyennes dépasse 50 %. Liées à la question éducative, les migrations sont un autre aspect essentiel des problématiques sud-américaines, compte tenu de l’ampleur des envois de fonds, « remesas », par les migrants, comme source de capital vers les pays d’origine (113). Cela étant, ces migrations sont également porteuses d’aspects sociaux très importants, cf. les tensions internes récurrentes en Argentine vis-à-vis des migrants boliviens, entre autres aspects. 75 % des migrants vont aux Etats-Unis, le dernier quart se dirigeant vers de nombreux pays, dont le premier destinataire est l'Argentine, qui en reçoit 4,4 %.

Le défi éducationnel est par exemple très important pour un pays comme le Brésil. Si sa position en matière de recherche est excellente en Amérique latine, s’il dispose de secteurs de pointe, il doit faire face à un déficit de cadres moyens et supérieurs, que révèlent les classements PISA. Le Brésil est au 70e rang en termes d’indice de développement humain, IDH, loin derrière l'Argentine ou d’autres. Se pose par conséquent le problème de la consolidation de son marché intérieur, de la création d’emplois de qualité et stables au sein de l’économie formelle. Il en est de même dans un pays comme l'Argentine où l’éducation décline et la mobilité sociale s’est arrêtée. C’est un peu le cas du Chilil’éducation privatisée est élitiste et coûteuse et provoque les tensions sociales que les manifestations estudiantines récentes ont confirmées. Cela étant, les situations sont diverses : il faut convenir que la qualité de l’enseignement primaire s’est généralement bien améliorée ; c’est moins vrai pour le secondaire et il y a aussi toujours eu de très bonnes universités. Au Brésil, de gros efforts ont été faits sur le primaire et commencent à l’être sur le secondaire mais beaucoup reste encore à faire. A l’heure actuelle, c’est l’enseignement secondaire privé qui permet d’entrer dans les meilleures universités publiques.

C’est grâce à cet effort important que les classes moyennes sud-américaines, encore grandement volatiles, pourront être consolidées et à leur tour contribuer au développement économique et social du sous-continent. Il s’agit pour l’Amérique latine de casser les risques de vulnérabilité qui pèsent encore sur les populations des différents pays, sur leurs classes moyennes encore fragiles : l’informalité des économies est toujours un facteur qui peut les faire basculer de nouveau dans la pauvreté lors des prochaines crises.

Le défi de l’éducation est donc un élément important qui permettra d’inscrire durablement l’Amérique latine sur la tendance positive qu’elle connaît depuis quelques années. D’autres éléments également d’ordre social seront indispensables à côté des politiques éducatives. L’amélioration du droit du travail est ainsi considérée comme un autre chantier important, avec l’instauration de systèmes de protection sociale.

Il s’agit donc pour les pays du sous-continent comme pour l’ensemble de la région de poser les bases d’un nouveau contrat social et, consécutivement, de donner à la croissance de l’Amérique latine des fondements politiques. Les chantiers ne sont donc pas uniquement d’ordre économique et social mais doivent être abordés d’une manière holistique. A cet égard, la question de la structure des dépenses publiques dans les pays d’Amérique latine est également en question, et partant, celle de l’efficacité des politiques publiques : avec des niveaux de dépenses à peu près équivalents à ceux des pays de l’OCDE, la performance des systèmes éducatifs publics est en général très inférieure, en témoignent les classements PISA. Consécutivement, à l’indispensable réforme des systèmes fiscaux doit s’ajouter un effort en termes d’amélioration de la qualité de l’éducation proposée, comme élément du contrat social entre les gouvernements et les populations (114). D’une manière plus générale, d’ailleurs, les finances publiques interviennent marginalement dans la réduction des inégalités en Amérique latine, à la différence des systèmes fiscaux des pays de l’OCDE, bien plus redistributifs. Les recettes publiques sont encore basses en Amérique latine, pâtissant de taux d’imposition faibles, entre 15 et 20 %, très inférieurs à ce que l’on constate dans les pays de l’OCDE ; en revanche, les recettes non fiscales sont deux fois plus importantes que dans les pays de l’OCDE. En d’autres termes, un niveau faible de recettes fiscales, au demeurant volatiles, des structures d’impôts qui ne sont pas optimales, contribuent à ne pas faire de l’impôt en Amérique latine l’instrument de redistribution et de lutte contre les inégalités et la pauvreté qu’il pourrait être et qui contribuerait à renforcer la légitimité des systèmes. Si l’Amérique latine montre par conséquent de nombreux succès aujourd’hui, beaucoup reste cependant à faire pour diminuer les déficits sociaux par rapport à d’autres régions, telle l’Asie.

Etroitement lié à ces aspects, malgré les politiques publiques récemment initiées, le fait que la pauvreté reste un fléau majeur de la région. Selon une étude de la CEPAL, si la pauvreté et l'extrême pauvreté ont diminué en Amérique Latine en 2010 grâce à la reprise économique dans la plupart des pays, l’ensemble du continent n’en continue pas moins d’abriter quelque 180 millions de pauvres dont 72 millions qui vivent dans l'extrême pauvreté. 6 % des Brésiliens, soit 11,4 millions de personnes, vivent encore dans des favelas (115). Dans les pays étudiés par la CEPAL, la pauvreté a cependant diminué dans plusieurs pays entre 2008 et 2009 : au Brésil de 25,8 % à 24,9 %, au Paraguay de 58,2 % à 56 %, en Uruguay de 14 % à 10,7 %. Le taux de pauvreté a également diminué entre 2006 et 2009 en Argentine, chutant de 21 % à 11,3 % et au Chili passant de 13,7 % à 11,5 %. Dans d’autres pays, plus sensibles à la conjoncture internationale, elle a au contraire augmenté : cela a été le cas par exemple en Equateur de 39 % à 40,2 %, comme dans l’ensemble de l’Amérique latine, Caraïbes confondues, même si cette augmentation a heureusement été modeste, d'un dixième de pourcentage passant de 33 % à 33,1 % en 2009 par rapport à 2008.

Il n’est pas surprenant dans ces conditions, qu’il y ait toujours un niveau de conflictualité sociale très fort, souvent un manque de consultation des populations locales malgré certains efforts de transparence, notamment sur l’exploitation des ressources naturelles, en témoigne le massacre de Bagua au Pérou en juin 2009. En d’autres termes, subsiste parfois un manque de dialogue entre l'Etat et la population, et une absence d’anticipation. En termes d’indice de développement humain, le Pérou a gagné quatre places entre 2005 et 2010 et ses performances en matière d’OMD sont plus qu’honorables : le taux de pauvreté est passé de 46 % à 34 % et l’extrême pauvreté a reculé de moitié. Mais les fruits de la croissance sont peu partagés, la pression fiscale reste très insuffisante pour pouvoir mettre en œuvre des politiques publiques de développement. L’Etat est structurellement faible et dégagé de certains secteurs.

En d'autres termes, si la région a fait preuve d’une relative résilience face à la crise, en termes sociaux, ce que le maintien des taux de croissance a montré par ailleurs, la pauvreté reste un fléau majeur, qui affecte toujours une grande part des populations, les jeunes, les personnes âgées et les ruraux en premier lieu. Elle reste un des tout premiers défis qui conditionnent la réussite de l’Amérique latine pour l’avenir.

b) Les défis de la sécurité et de la criminalité

Malgré les progrès remarquables accomplis en peu de temps, un certain nombre de défis sérieux subsistent. Ils sont autant de freins, potentiels ou d'ores et déjà réels, au développement de la région. Par exemple, aux relations que les uns et les autres, les entreprises étrangères, notamment, peuvent envisager d’y avoir.

Les questions de sécurité intérieure, sous leurs divers aspects, sont bien sûr au premier rang de ces préoccupations. Longtemps, la violence politique, les guérillas, voire des guerres civiles, ont été le quotidien de plusieurs des pays, s’alimentant précisément de la faiblesse intrinsèque des Etats. La situation évolue mais n’en reste pas moins préoccupante par certains côtés.

En premier lieu, le narcotrafic est un problème qui ronge comme un cancer certaines régions d’Amérique latine. Sans doute plus aujourd’hui l’Amérique centrale, et notamment le Mexique, que le Cône sud, qui n’en est cependant pas exempt. Force est de reconnaître les progrès remarquables effectués par un pays comme la Colombie en un temps remarquablement bref, et en même temps, de relever que le Pérou est aujourd’hui le deuxième producteur de cocaïne, dont la production et les exportations augmentent, vers l’Europe notamment, sa principale destination aujourd’hui.

Cela étant, c’est aussi la violence criminelle, voire politique, qui constitue l’un des facteurs de risque majeur en Amérique latine. De nombreux pays de la région sont soit zone de production de coca, soit zone de trafic et de passage. Il en est ainsi de l'Equateur, dont le territoire sert de voie transit aux trafiquants entre le Pérou et la Colombie. Une délinquance criminelle organisée s’en nourrit quand bien même les forces de police, saisiraient, comme c’est le cas actuellement, quelque 40 tonnes de drogue par an. On estime en effet que ce sont des quantités dix fois supérieures qui sont en jeu, grâce auxquels FARC et autres forces paramilitaires de la région ont longtemps trouvé, et trouvent toujours, de quoi s’autofinancer, ainsi que l’ambassadeur de France en Equateur le soulignait (116). Une telle situation fournit bien sûr le terreau sur lequel corruption et pratiques de blanchiment peuvent aisément prospérer et contaminer les circuits institutionnels, économiques et financiers.

A ce sujet, Mario Vargas Llosa exprimait récemment (117) sa crainte face à ce fléau en déclarant que « le narcotrafic est devenu une industrie extrêmement puissante, qui possède des ramifications dans tous les pays d'Amérique du Sud. Les cartels mexicains sont implantés partout : le cartel de Sinaloa est un véritable empire présent dans l'ensemble des Caraïbes et le versant Pacifique du sous-continent ; celui de Golfo-Zetas (118), ultra-violent, contrôle la côte Atlantique ; le cartel de Juarez est très bien introduit en Argentine... Ces puissances financières minent les États de l'intérieur. Elles représentent une immense force corruptrice, capable de recruter politiciens et journalistes, militaires et policiers. La violence sévit de Mexico à Buenos Aires, de Rio à Medellin. Pour les institutions démocratiques, encore fragiles, les cartels de la drogue sont un cancer redoutable. » 

Il est à espérer que, en réponse à ces problématiques, la dynamique de l’intégration régionale contribuera à apporter des solutions rapides : à des activités criminelles transfrontières, la réponse semble devoir être également régionale et appeler une action commune, associant les différents pays intéressés.

Pour un organisme comme l’OCDE, le thème de la drogue est effectivement majeur, pas seulement au Mexique ou dans les pays producteurs. La corruption est très liée au trafic et cette question est devenue aiguë, même si le narco trafic n’a pas encore d’impact sur les flux d’IDE ou sur le niveau de développement. En revanche, en termes de gouvernance, notamment au Mexique, ou de qualité de vie, l’effet devient important. Illustration de l’ampleur du phénomène de la corruption dans la région, sans qu’il soit question ici de la relier au narcotrafic, la situation du gouvernement brésilien : au début du mois de décembre 2011, après moins d’un an de présidence, Dilma Roussef perdait un 7e ministre de son gouvernement, sur présomption de corruption (119) et, début janvier, un nouveau scandale touchait un autre ministre dans une affaire de détournement de fonds publics (120). Corruption qui ne peut évidemment que contribuer à entretenir la frilosité des opérateurs et partenaires des pays de la région.

Parmi les facteurs de risque de la région, les risques naturels ne sont enfin pas les moindres. Les risques sismiques viennent au premier rang dans certains pays. On se rappelle le tremblement de terre historique, de 8,8 sur l’échelle de Richter, que le sud du Chili a subi le 27 janvier 2010, l’un des cinq plus importants jamais enregistrés dans l’histoire. Les pertes humaines ont été sérieuses mais sans atteindre l’ampleur de celles qu’un pays en voie de développement aurait subies, comme Haïti l’avait montré deux semaines plus tôt. En revanche, la moitié des écoles, le tiers des hôpitaux et le dixième des logements du pays ont été détruits. Durant le trimestre ayant suivi le séisme, l’économie chilienne a chuté de 1,5 %, les dégâts étaient chiffrés à 30 milliards de dollars, et le coût de la reconstruction estimé à quelque 15 % et 20 % du produit national brut. La reprise a néanmoins été très rapide grâce aux nombreux investissements que reçoit le Chili et ce redressement montre aussi la confiance internationale que les pays de la région inspirent désormais. Un pays comme l'Equateur est également particulièrement concerné, puisque les scientifiques s’attendent qu’un séisme de magnitude supérieure à 9 sur l’échelle de Richter frappera un jour la région côtière d’Esméralda.

c) Réussir à mettre la région sur la voie de la stabilité

Enfin, les défis structurels auxquels doit faire face l’Amérique latine ne sont pas de moindre importance. Ils sont au cœur des priorités des politiques publiques mises en œuvre.

La croissance économique de la région, pour remarquable qu’elle soit par rapport aux performances des autres grands pôles économiques du monde, reste aujourd’hui encore par trop dépendante des matières premières. Consécutivement, elle est sujette à un fort degré de fragilité, compte tenu de la volatilité des prix, et ne repose pas encore suffisamment sur des facteurs endogènes. Comme le faisait remarquer Carlos Quenán (121), les incertitudes qui pèsent sur le dynamisme économique de la Chine, et consécutivement, sur le niveau de ses importations de matières premières, ne peuvent être sans effet sur l’Amérique latine. Aujourd’hui, comme le soulignait aussi l’étude coordonnée par l'AFD et l’IDA déjà citée, « les perspectives de croissance sur le moyen/long terme dépendent toujours et de manière cruciale de l’évolution de l’environnement international et du comportement d’une série de variables domestiques, notamment le taux d’investissement. Dans un contexte de croissance mondiale modérée, nous prévoyons, dans notre scénario central pour la période 2010-2020, une progression de l’activité économique en Amérique latine à un rythme, en moyenne annuelle, de 4,4 %, associée à un taux d’investissement de 22 % pour l’ensemble de la région. Il s’agit là d’un scénario plutôt bon en termes historiques mais insuffisant du point de vue des impératifs de la région, notamment en termes sociaux. » (122)

De fait, Luis Alberto Moreno, président de la Banque interaméricaine de développement, convenait lors du Forum économique de janvier 2011 que l’agenda de l’Amérique latine était difficile et que la crise de 2008 avait mis en évidence un fort besoin de stabilité. En d'autres termes, une croissance économique fondée principalement sur les exportations de matières premières ne suffit pas ; Enrique Iglesias se posait précisément la question de savoir ce qu’il y avait derrière les fortes augmentations de prix des matières premières, tirés par la demande chinoise.

La chance de l’Amérique latine est d’avoir tout ce dont la Chine et l’Asie ont besoin. Elle a donc désormais des liquidités. A elle de savoir en tirer parti intelligemment et d’en profiter pour réaliser les infrastructures qui lui font encore grandement défaut, améliorer sa compétitivité, innover, investir, sans oublier le tissu humain, prioritaire, et faire mieux, à l’échelle du sous-continent que n’ont jamais su le faire les pays de l’OPEP : en d'autres termes, à elle de réussir à se mettre définitivement sur la longue voie du développement économique et social en évitant le syndrome hollandais.

Ces questions sont cruciales : le sous-continent a besoin de faire face simultanément à un ensemble de problématiques complexes pour résoudre les problèmes sociaux. Depuis plusieurs années, les taux de croissance sont relativement élevés ; une moyenne de 4 à 5 % est encore prévue sur les dix prochaines années. Pour honorable que cela soit, cela reste un peu insuffisant en regard des quelque 5-6 % de croissance annuelle estimés nécessaires pour le futur proche. Le défi est d’autant plus sérieux que pour être maintenues, ces performances supposent des changements structurels importants qui restent à faire. Aujourd’hui, subsistent des obstacles au niveau de la croissance domestique, des problèmes d’emploi, des faiblesses en termes d’innovation, de recherche scientifique. Le déficit d’emploi ne se réduit pas, le risque de reprimarisation de l’économie est d’autant plus réel que les IDE se dirigent plus vers les industries minières que vers les pôles de modernité.

En d'autres termes, l’Amérique latine est une terre d’avenir. Elle est au seuil du développement moderne, certains de ses pays plus que d’autres, tel le Chili, dont le revenu moyen annuel par habitant s’élève d'ores et déjà à 15 000 dollars. Elle est riche mais hétérogène et déséquilibrée, ne serait-ce que par la présence d’une superpuissance en devenir en son sein. Son développement économique et social, encore trop dépendant des matières premières, requiert la mise en place des instruments qui assainiront la croissance actuelle et en garantiront la stabilité, au risque de voir perdurer les éléments de fragilité : une politique industrielle en premier lieu, et un ensemble de politiques publiques favorisant le développement d’une classe moyenne.

Défis politiques, sociaux économiques, financiers, structurels se conjuguent actuellement que l’Amérique latine, et notamment le Cône sud, doivent prendre aujourd’hui à bras le corps.

III – NOUVELLES PERCEPTIONS DE L’AMÉRIQUE LATINE

Dans une région qui à l’évidence comptera dans l’avenir plus qu’elle n’a jamais comptée, la France détient des positions qui ne sont pas négligeables, confortées par l’image exceptionnelle qu’elle y a. Pour autant, elle semble avoir quelque peu gâché ses chances en faisant montre d’une certaine ingratitude vis-à-vis de ses partenaires. A ce stade de l’analyse, au moment d’envisager la révision de notre approche de l’Amérique latine, un regard comparatif est indispensable sur les positionnements et approches de nos principaux partenaires européens.

On sait l’ancienneté des liens que l’Espagne et le Portugal, mais aussi l’Italie et l’Allemagne, entretiennent avec l’Amérique latine, du fait de la colonisation pour les uns et de la forte émigration dans certains pays pour les autres, qui ont laissé des traces profondes et durables. Il est néanmoins utile de savoir qu’ils développent aujourd’hui de véritables stratégies transatlantiques pour renforcer encore leurs positions.

A – Regards croisés

Les changements à l’œuvre dans la région sont porteurs de nouvelles perceptions de la part de uns et des autres. S’ensuit un possible basculement des intérêts et des relations. On se rend ainsi compte que si l’Amérique latine n’oublie pas l’Europe, elle ne s’interdit pas de regarder ailleurs, tandis que l’Asie s’y intéresse plus que jamais et que les Etats-Unis restent aujourd’hui en retrait.

1) Un dialogue transatlantique : la relation Union européenne – Amérique latine

a) Des régions faites pour s’entendre…

Miguel Ángel Asturias rappelait il y a quelques années que le général de Gaulle avait un jour déclaré que « l'évolution de l'Amérique latine est, à présent, essentielle, pour l'Europe et pour la France. » (123)

Si le propos était sans doute prématuré, il n’empêche que les deux dernières décennies ont montré un regain d’intérêt de l’Europe pour l’Amérique latine et peut-être aussi de l’Amérique latine pour l’Europe.

Il n’est d’ailleurs pas surprenant qu’il en soit ainsi. Sans revenir sur des aspects trop historiques, l’Europe est la mère patrie pour l’ensemble des pays latino-américains. L’imprégnation a été profonde de la part de bien d’autre pays que l'Espagne et le Portugal, à commencer par la France, mais sans oublier l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, pour ne mentionner que ceux-ci. Consécutivement, les modèles politiques, culturels, juridiques, ne pouvaient sans doute que resurgir à la faveur du retour des démocraties, si tant est d’ailleurs qu’ils aient été vraiment occultés. A tout le moins, le retour progressif à la démocratie aura-t-il été l’opportunité de favoriser celui du dialogue.

Comme le faisait remarquer Alain Rouquié lors de son audition, le dialogue entre l’Union européenne et l’Amérique latine instauré au cours des années 1980 et, surtout, institutionnalisé à la fin des années 1990, est aussi un dialogue entre deux continents négligés par les Etats-Unis. Il permet en outre d’éviter les risques d’un directoire à deux, Etats-Unis/Chine, à l’aube du XXIe siècle. En d'autres termes, il y a une demande latino-américaine de relation politique avec l’Union européenne à laquelle il était opportun de savoir répondre pour développer des partenariats gagnants-gagnants, où l’Europe sera capable de donner ce qui est attendu, quand bien même le contexte serait concurrentiel, comme il l’est évidemment au sein de l’Europe.

Ces relations transatlantiques sont devenues plus étroites au fil des dernières décennies car les pays du Cône sud ont aussi commencé à souhaiter sortir du carcan de la relation exclusive avec les Etats-Unis. L’ambassadeur du Chili rappelait cette ambition de la diplomatie chilienne des années 1960 de chercher à s’affranchir d’une relation verticale avec les Etats-Unis, pour s’ouvrir à l’Allemagne, à la France, au Royaume-Uni ou encore l’Italie. Après l’interruption du régime Pinochet, le Chili a aujourd’hui de très bons rapports avec l’ensemble des pays européens qui sont devenus une priorité dans ses affaires étrangères et cette politique d’ouverture et de rapprochement est considérée comme donnant de bons résultats. Toutes choses égales par ailleurs, c’est aussi ce qui se passe pour un pays comme le Brésil, dont la diplomatie actuelle montre qu’il n’a pas non plus envie de se rapprocher des Etats-Unis. En témoigne aussi, d’une certaine manière, le « choc » des modèles d’intégration, ALENA vs. Mercosur.

A cet égard, l’intégration alors encore unique que l’Europe mettait en œuvre aura été une manière d’articuler la relation transatlantique sur une thématique concrète. Sur cet aspect comme sur d’autres, la relation entre les deux blocs aura été fondée sur l’idée d’un dialogue politique, d’égal à égal, sur les grandes problématiques actuelles. Dialogue qui sera formalisé par des rencontres régulières entre autorités politiques des pays membres du groupe de Rio et de l’Union européenne. Ou encore par les sommets biennaux, depuis 1999, entre l’Union européenne et l’Amérique latine, qui complètent les sommets ibéro-américains.

Au fil du temps, divers textes adoptés en commun vont ainsi chercher à dynamiser les relations, notamment sur ces aspects, comme en décembre 1990, la signature de la Déclaration de Rome entre la Commission européenne et le Groupe de Rio sur une collaboration portant sur la pérennité de la démocratie et de l’Etat de droit, mais aussi sur l’appui communautaire au développement des processus d’intégration régionale sud-américains. Des accords-cadres sont signés avec le Mercosur dès 1992 et avec la Communauté andine l’année suivante sur ces questions qui seront autant de cadres privilégiés de la relation transatlantique.

Les sommets Union européenne – Amérique latine et Caraïbes (124)

Depuis plus de dix ans maintenant, les sommets Union européenne- Amérique latine ont été le lieu où s’est joué l’essentiel de la relation, où des programmes de coopération très importants ont été lancés. A cet égard, on peut rappeler que l’Union européenne a toujours considéré comme cruciale la thématique de la cohésion sociale pour les pays d’Amérique latine pour ce qui concerne tant leur développement économique et social que l’enracinement de leur démocratisation. Elle en a fait la pierre angulaire de sa coopération avec la région et l’un des axes les plus forts du partenariat stratégique qu’elle a proposé. Au dialogue politique, en effet, s’est ajouté très tôt un deuxième axe sur lequel la relation a tourné. Une coopération au développement a été mise en place par la Commission européenne au profit des pays de l’Amérique latine, qui porte aujourd’hui sur de très nombreux domaines : gouvernance, intégration, commerce, recherche, environnement, université, etc. L’importance de ces partenariats se traduit par le fait que, aujourd’hui, l’Union européenne – Commission européenne et pays membres –, est le premier donateur de l'APD en Amérique latine, apportant un montant annuel global de l’ordre de 340 millions d’euros, et le premier investisseur :

Flux d’IDE en Amérique latine et Caraïbe selon leur origine (125)

L’Union européenne est aussi le deuxième partenaire commercial de la région, la balance commerciale étant positive pour le Cône sud (126), comme le traduit le tableau ci-dessous :

Balance commerciale Union européenne – Amérique du sud (127)

On ne saurait donc dire que les relations ne sont pas bonnes. Les dirigeants de la région les considèrent souvent ainsi. Michèle Bachelet qualifiait d’ailleurs d’excellent le dialogue UNASUR - Union européenne dans l’entretien précité (128).

Cela étant, comme on le sait, la réponse européenne est quelque peu dispersée et surtout perçue comme telle. Ce que l’ambassadeur du Brésil résumait en indiquant que la vision que donnait l’Union européenne n’était pas encore assez positive en termes collectifs, qu’il y avait des perceptions différentes au sein de l’Union européenne sur le Mercosur, par exemple, et que la stratégie du Brésil était précisément de ne pas négliger les relations bilatérales.

De fait, chacun joue aussi sa partition, comme votre Rapporteur le montrera plus loin, de sorte que l’Europe renvoie sans doute une image de concurrence exacerbée : l’Espagne s’est internationalisée avec l’Amérique latine qui est aujourd’hui son ressort dans la crise ; l’Allemagne se remet en marche vers l’Amérique latine : Angéla Merckel est très active sur ces terres depuis le sommet de Lima en 2008, et depuis deux ans, tous les dirigeants sud-américains ont également fait le voyage de Berlin ; le Royaume-Uni est également sur cette dynamique. De sorte que, aujourd’hui, l’Amérique latine, consciente des difficultés actuelles de l’Union européenne, comme on l’a vu avec Dilma Rousseff à l’ONU, attend peut-être moins de complicité qu’auparavant.

b) … dont le dialogue se heurte à quelques « irritants »

Pour autant, force est aussi de constater que le dialogue n’est sans doute pas aussi riche et fructueux qu’il pourrait l’être. Il est en effet surprenant de relever combien les commentaires parlent en termes de « relance » du dialogue. Maintes fois, les sommets biennaux Union européenne - Amérique latine sont présentés comme une opportunité de remettre la relation entre les deux régions au cœur de l’agenda mondial, dont il faut entendre qu’entre temps, il a par conséquent dû perdre quelque relief.

PLusieurs points de crispation ont en effet du mal à disparaître du paysage transatlantique. Certains sont très anciens et perdurent.

La question des relations commerciales est la première pierre d’achoppement. Santiago Mourão, directeur Europe au ministère brésilien des affaires étrangères (129), a confirmé la préoccupation de nos partenaires sud-américains qui se considèrent comme affectés par les décisions relatives aux préférences commerciales. A Quito, le Président Rafael Correa (130), tout en reconnaissant les bonnes relations entre les deux Parties, regrettait les difficultés de la négociation avec les Européens et soulignait qu’il était plus facile de développer des relations bilatérales que globales.

De fait, les négociations des accords de libre échange entamées depuis très longtemps n’ont toujours pas abouti. Il en est ainsi des discussions au niveau du Mercosur, lancées en 1999, suspendues en 2004, réactivées de manière informelle en 2009 et 2010. Il en est de même des négociations de l’Union européenne avec la Communauté andine des nations – Bolivie, Colombie, Equateur et Pérou –, sur des thématiques identiques, ouvertes depuis 1993 en vue de la conclusion d’un accord bilatéral de commerce et d’investissement, qui se réduit, depuis le sommet de Madrid de mai 2010, à un accord commercial avec la Colombie et le Pérou. Comme aura l’occasion de le souligner Nicolas Sarkozy (131) en réponse à une question lui demandant pourquoi la France était le pays qui s'opposait le plus à un accord de libre commerce entre le Mercosur et l'Union Européenne, « l'accord que vous évoquez, nous y travaillons depuis plus de 10 ans. Nous sommes allés à la limite de ce que nous pouvons accepter, en particulier sur les questions agricoles. Aller plus loin, ce serait mettre en danger la vie de beaucoup de producteurs et d’éleveurs non seulement français, mais aussi européens ; car contrairement à ce que vous semblez croire, de nombreux pays européens partagent la position de la France. L'Union européenne s’est déjà largement ouverte aux importations agricoles en provenance du Mercosur. Nous sommes même le premier acheteur du Mercosur et de très loin. Je suis favorable à un accord, dès lors qu’il est équilibré, ce qui implique aussi que le Mercosur, de son côté, soit prêt à aller à la rencontre des demandes européennes sur les services et l'industrie. Je respecte la détermination de vos dirigeants à défendre vos agriculteurs, mais vous devez aussi comprendre la mienne. Je ne serai pas le président qui laissera mourir l’agriculture française. »

Dans ces négociations, la défense de notre agriculture est évidemment un aspect essentiel. Ce n’est pas sans raison si la grande majorité des controverses initiées par les pays latino-américains contre l’Union européenne devant l’OMC depuis 1995 concernent les productions agricoles et la pêche, dont la moitié ont d’ailleurs été présentées par le Brésil (132). La France a récemment pris la tête de l’opposition à la conclusion d’un accord bi-régional avec le Mercosur qui ne tiendrait pas suffisamment compte de cette priorité, autrement dit, tant que les négociations au sein de l'OMC, dans le cadre du cycle de Doha ne seraient pas achevées COM le soulignait le Président de la République. La position française est suivie par les ministres de l'agriculture d’une dizaine d’autres pays de l’Union.

La question de la conclusion du cycle de Doha et des positions latino-américaines est de celles sur lesquelles les pays du Cône sud souhaitent de manière conjointe que l’Union européenne et les Etats-Unis fassent des concessions en matière agricole, tout en souhaitant des traitements préférentiels en matière d’industrie et de service. Certains semblent n’avoir plus grand espoir de voir les négociations aboutir car l’acceptation d’une réalité asymétrique, comme la qualifiait devant la mission l’ambassadeur d’Argentine en France, est loin d’être acquise. Ces différends sont parmi les plus complexes, compte tenu de leurs implications techniques, politiques et commerciales majeures, en témoigne la question de la banane, dont les règles d’importation n’ont été résolues qu’en décembre 2009 avec l’accord de Genève, après plus de 15 ans de négociations.

2) Des relations interaméricaines aujourd’hui distendues

Les relations entre l’Amérique latine et les Etats-Unis ont rarement été harmonieuses. Les pays de la région ont longtemps supporté l’impérialisme américain sur son « arrière-cour », et leurs espoirs que la Société des Nations pourrait les aider à s’affranchir de cette pesante tutelle en vigueur depuis la formulation de la doctrine Monroe au sortir des indépendances, avaient été vite déçus. Des années 1920 aux périodes plus récentes, l’histoire des relations interaméricaines a ainsi sans cesse oscillé entre apaisement et tensions, au gré de l’évolution de la situation internationale, de l’intervention directe ou indirecte, militaire ou logistique, des Etats-Unis dans les affaires intérieures des pays d’Amérique centrale comme du Cône Sud – même si, en ce qui concerne ceux-ci, elle fut sans doute moindre –, dès que les orientations politiques des régimes leur déplaisaient. Que ce soit au cours du XIXe ou du XXe siècles, rares sont finalement les pays de la région qui auront pu échapper à un tel scénario. Cette politique a changé car l’environnement international de l’Amérique latine depuis les années 1980, celle du soutien américain aux dictatures militaires est révolue, ayant définitivement perdu sa raison d’être avec la chute du mur de Berlin. Elle a changé aussi car, dès ces années 1980, l’intérêt des Etats-Unis pour le sous-continent a sensiblement diminué. Consécutivement, les relations entre les Etats-Unis et l’Amérique latine se sont apaisées.

La période actuelle est donc bien différente. Le tournant du siècle, après le 11 septembre, a même vu les Etats-Unis quasiment disparaître d’Amérique latine. Comme certains des interlocuteurs de la mission l’ont fait remarquer, les choses semblent à nouveau changer, encore que ce soit timidement.

En premier lieu, les Etats-Unis laissent désormais se dérouler les processus internes sans intervenir, alors même que des régimes de la gauche révolutionnaire sont au pouvoir dans plusieurs pays ; en cela, le changement est en soi remarquable. Il n’a pas empêché, cela étant, quelques moments de crispation récents, comme lorsque le président Evo Morales a expulsé en septembre 2008 l’ambassadeur des Etats-Unis qu’il accusait d’ingérence dans les affaires internes de la Bolivie. Mais surtout, depuis peu, les relations sont plus marquées du sceau d’une confiance inaccoutumée et, de la même manière que l’Europe se tourne vers l’Amérique latine, et vice versa, les Etats-Unis s’intéressent à l’Amérique latine et celle-ci les regarde d’un autre œil.

L’arrivée au pouvoir de Barack Obama semble avoir marqué un tournant important, offert un nouveau contexte et, par conséquent, suscité de nouvelles expectatives. De fait, après avoir annoncé un nouveau départ dans les relations des Etats-Unis avec l’Amérique latine peu après son élection, après avoir indiqué que les Etats-Unis entendaient restaurer leur leadership traditionnel sur la région, en matière de démocratie, de commerce, de développement, d’énergie et d’immigration (133), le nouveau président américain déclarera à Trinidad-et-Tobago, en avril 2009, lors du premier Sommet des Amériques auquel il participera que « les États-Unis ne prétendent pas vous imposer leur manière de faire. » La présidente du Chili, Michèle Bachelet, aura l’occasion de dire que le président américain a alors fait « passer un message d’espoir extraordinaire », ajoutant qu’il est « indiscutable que sa prestation lors de ce sommet a marqué le renouveau des relations entre les États-Unis et la zone Amérique latine-Caraïbes. Un renouveau que nous attendions depuis de nombreuses années ! Ce qui est fondamental, c'est que le président Obama a montré que nos relations relevaient d'une collaboration entre États égaux, et certainement pas d'un rapport de forces entre une grande puissance et plusieurs petits pays. » (134)

Les attentes latino-américaines vis-à-vis des Etats-Unis ont été nombreuses. Au-delà de la dynamisation des relations diplomatiques, la présidente chilienne rappelait ainsi les thématiques du changement climatique et les besoins en investissements pour lesquels le soutien nord-américain est attendu.

Toutefois, si le cadre de l’OEA aurait pu être celui au sein duquel les plans d’action entre le Nord et le Sud du continent en matière de sécurité alimentaire, d’aide à l’éducation, à la santé, devaient être définis et mis en œuvre, les tout derniers épisodes confortant le processus proprement latino-américain d’intégration confirment que la région tout entière ne regarde plus vers les Etats-Unis aussi naturellement qu’auparavant. Ils en sont même expressément écartés.

Au final, l’état de grâce dont le président américain aura pu bénéficier semble avoir été de courte durée. Semble surtout dominer aujourd’hui une forme de désillusion entre les deux hémisphères américains, comme le relevait il y a quelques mois un article paru dans la revue Foreign Affairs (135), et les relations bilatérales semblent tourner au ralenti. Ainsi la visite du Président Obama au Brésil en mars 2011 a-t-elle été comme une exception et le Cône sud paraît rester loin des priorités de Washington, alors même que ses performances économiques, son poids international croissant pourrait justifier plus d’attention.

3) Une relation plus concrète : le commerce transpacifique

L’Union européenne et les Etats-Unis ne sont évidemment pas seuls à regarder vers l’Amérique latine depuis quelques années. Dans cet aréopage motivé par la nouvelle attractivité du sous-continent, il aurait été surprenant que l’Asie, et notamment la Chine, n’apparaissent pas à un titre ou à un autre. Si le dynamisme de la région offre de quoi satisfaire les appétits asiatiques, la stratégie de développement des pays du sous-continent tient aussi désormais le plus grand compte des perspectives de cet autre partenaire.

a) La Chine à l’assaut de l’Amérique latine

Ici comme ailleurs, c’est évidemment sur la Chine qu’il faut s’attarder en priorité. Il s’agit aujourd’hui de l’un des plus gros investisseurs en Amérique latine, qui prend des positions dans tous les secteurs et dans la plupart des pays. Elle exporte de plus en plus vers l’Amérique latine, prenant même des marchés à certains pays de la région.

D’une manière générale, la Chine est vue, de manière unanime, comme agressive. Les commentaires que la mission a entendus lors de ses déplacements dans le Cône Sud, en Equateur, notamment, sont sans ambiguïté à ce sujet. La Chine n’a pas que des amis dans la région, à quelque niveau que ce soit et l’on regrette que, la nature ayant horreur du vide, elle ait pu s’engouffrer dans la région en profitant ces dernières années de l’absence de l’Occident, des Etats-Unis en tout premier lieu, occupés par d’autres horizons et sur d’autres théâtres. D’une certaine manière, il apparaît que les relations traditionnelles avec les nord-américains, pour conflictuelles qu’elles aient pu être, convenaient mieux, à tout prendre, que celles que les Chinois cherchent à imposer à leurs partenaires.

Cela étant, force est de constater que la stratégie que la Chine met en œuvre vers le sous-continent, exclusivement mercantile, se traduit par des investissements conséquents. Selon les données publiées par la CEPAL en mai 2011, les IDE chinois ont atteint les 15 milliards de dollars en 2010, doublant leur total cumulé depuis les 20 dernières années. Dans le même temps, la Chine annonçait près de 23 milliards supplémentaires d’IDE en 2011. Ces chiffres sont à comparer avec les projets d’investissements chinois aux Etats-Unis : 5 milliards de dollars d’investissement en 2010, soit trois fois moins.

En Amérique latine comme ailleurs, la Chine cherche à sécuriser ses approvisionnements en matières premières, en pétrole, minéraux, et autres, dont elle est aujourd’hui le premier importateur. Raison pour laquelle, pour le moment, la structure des importations chinoises en provenance d’Amérique latine est stable, sachant que, de 2007 à 2011, elles « ont cru de 79 %, composées principalement de minerais, métaux et produits agricoles, avec le Brésil et le Chili comme principaux fournisseurs. Dans ses exportations, leur poids est passé de 9 % à 12 %, mais malgré l’accélération de ses exportations, la Chine est déficitaire avec tous ses grands partenaires en Afrique, comme en Amérique latine, et encore plus avec l’Australie. » (136)

Elle cherche aussi à faire évoluer son rôle et à mettre un pied dans les entreprises avec lesquelles elle commerce et ne plus rester comme simple client. Cette stratégie lui permet d’éviter les barrières tarifaires, et d’apparaître comme un acteur local, grâce à ses investissements locaux. D'ores et déjà, elle s’est attaqué à des géants industriels : la compagnie pétrolière chinoise SINOPEC a ainsi acheté en 2010 la Brésilienne Repsol-YPF pour 7,1 milliards de dollars cependant que CNOOC, autre pétrolière, achetait Bridas Corp., entreprise argentine, pour 3,1 milliards (137)

Cela étant, il n’est pas non plus indifférent de relever que les investissements chinois s’ils se sont jusqu’à aujourd’hui destinés avant tout et dans des proportions incroyablement élevées, vers les paradis fiscaux (138)de la région plus que sur les émergents et autres pays producteurs. Peut-être, au vu des données précitées, les choses sont-elles en train d’évoluer, mais selon l’étude de la CEPAL, en effet, des 32,2 milliards de dollars que valait le patrimoine chinois cumulé en Amérique latine et Caraïbe en 2008, 20,3 milliards étaient investis dans les Îles Caïman et 10,5 dans les Îles vierges britanniques. Quatre pays du Cône sud venaient ensuite, pour des montants comparativement misérables : le Brésil, avec 217 millions de dollars ; le Pérou, avec 194 millions ; l'Argentine, pour 173 millions et le Venezuela, avec un total de 156 millions. Il n’est pas surprenant, dans ces conditions, que les pays d’Amérique du Sud ne soient pas parmi les principaux récipiendaires de la coopération économique que la Chine peut mettre en œuvre : ce n’est sans doute pas d’elle qu’ils doivent espérer les transferts de technologie qu’ils appellent fortement de leurs vœux. La perception brésilienne à ce sujet est que les Sud-américains doivent réussir à trouver un équilibre dans la relation bilatérale avec la Chine et, tout en travaillant avec elle, éviter de se voir imposer les pratiques qu’elle développe avec l’Afrique, ce qui a précisément été l’objet d’une opposition de la part de Dilma Rousseff lors de son déplacement à Pékin.

Quoi qu’il en soit, en termes commerciaux, les données sont comparables : la Chine est désormais un partenaire incontournable des pays sud-américains. Il est particulièrement intéressant de relever que leurs exportations ne cessent de croître vers la Chine, au point que, en 2009, c’est la seule destination vers laquelle elles ne se sont pas contractées : les effets de la crise ont été sévères pour les exportations latino-américaines vers l’Union européenne et les Etats-Unis, puisqu’elles ont diminué respectivement de 29 % et de 26 %, de 4 % vers les pays asiatiques, tandis qu’elles augmentaient de 11 % vers la Chine… Les tendances sont telles que les toutes prochaines années, à savoir d’ici 2015, devraient voir l’Europe passer à la troisième place des partenaires commerciaux de l’Amérique latine derrière la Chine. Les toutes dernières statistiques ne démentent pas la tendance, loin de là : les exportations chiliennes ont augmenté de 15 % en 2011 par rapport à 2010, pour atteindre un montant global de près de 81 milliards de dollars, dont près de 19 milliards, soit 23 %, à destination de la Chine. Très récemment, la Chine et le Venezuela se réjouissaient de voir que leurs échanges commerciaux aient atteint un record en 2011 entre 12 et 18 milliards de dollars selon les estimations, et que les perspectives soient à la hausse. (139)

b) L’irrésistible attraction de l’Asie

Ce n’est pas seulement la Chine qui se tourne vers les pays du Cône sud ; c’est aussi l’Asie qui exerce désormais une très forte attractivité sur la région. Certains pays du sous-continent se tournent par exemple plus aujourd’hui vers elle que vers l’Europe. Au-delà du cas, certes un peu particulier, du Mexique, qui cherche à sortir de sa dépendance des Etats-Unis, ce sont plusieurs pays de la région regardent désormais résolument vers l’ouest. Le Pérou et le Chili, notamment, font clairement le pari que l’axe du monde passe désormais davantage par le Pacifique que par l’Atlantique. (140)

Ainsi, le Chili a-t-il très récemment signé un traité de libre commerce avec le Vietnam, en négociation depuis 2006, en réaffirmant le vif intérêt de Santiago pour les échanges de biens et services avec son partenaire ainsi que pour des investissements réciproques. C’est le soixantième accord bilatéral de ce type que le Chili conclut, après un précédent avec la Malaisie et avant un prochain avec la Thaïlande, qui confirme la politique résolue de ce pays, comme l’évoquait l’ancienne présidente Michèle Bachelet dans l’entretien cité plus haut. Aujourd’hui, 60 % des exportations chiliennes se dirigent vers des pays membres de l’APEC et le Président Sebastián Piñera a eu l’occasion de confirmer sa volonté de continuer à trouver de nouveaux débouchés pour les exportations chiliennes, « afin de créer plus d’emplois, de progrès et d’opportunités pour les Chiliens. » A cet égard, l’« Accord d’association trans-pacifique », conclu lors du sommet de l’APEC d’Honolulu à la mi-novembre 2011, est vu comme un gigantesque pas en avant pour la conformation d’un accord de commerce dans la zone pacifique, qui potentiellement, pourrait être la zone de libre échange la plus importante au monde. Le ministre des affaires étrangères chilien a été on ne peut plus clair en déclarant que « l’expansion économique du pays devait regarder vers l’Asie » (141)

Pour sa part, le Pérou, d'ores et déjà premier pays bénéficiaire des investissements chinois sur le sous-continent, n’est pas en reste. Le Président Ollanta Humala a par exemple présenté son pays comme la porte d’entrée de l’Amérique latine pour les économies asiatiques, lors du dernier forum de l’APEC, en vantant notamment les conditions d’investissements, l’accès au reste du sous-continent et aux grands marchés de la région  depuis Lima : Brésil, Argentine, Venezuela ou Colombie. Parmi les atouts que le Président péruvien a mis en avant pour convaincre ses interlocuteurs asiatiques, le facteur confiance : l’incertitude économique de régions comme les Etats-Unis et l’Union européenne, leur situation financière, sont selon lui de nature à inciter l’Asie à rechercher de nouvelles opportunités, plus saines.

Le Pérou joue ainsi résolument la carte asiatique pour son développement, espérant recevoir des investissements de long terme, pour 30 ou 40 ans, qui soient respectueux de l’environnement et des droits sociaux. Des transferts de technologie sont aussi attendus aux mêmes fins, dans un contexte de forte augmentation des exportations péruviennes qui devraient atteindre 42 milliards de dollars en 2011, sachant par ailleurs que celles à destination de certains pays de la zone asiatique ont même crû de 100 % sur les trois premiers trimestres de 2011. Des accords commerciaux sont d'ores et déjà conclus avec Singapour, avec la Chine – premier partenaire commercial du Pérou, avec un montant total d’échanges bilatéraux qui devrait dépasser les 13 milliards de dollars en 2011, en hausse de 32 % par rapport à l’année précédente (142) –, de même qu’avec la Thaïlande, le Japon et la Corée. L’accord trans-pacifique permettra d’étendre ces accords de libre échange avec les Etats-Unis, le Chili, l’Australie, Brunei, la Malaisie, la Nouvelle-Zélande et le Vietnam.

Au-delà de l’accueil des IDE, le Président péruvien entend profiter de la manne asiatique pour donner une forte impulsion au développement de son pays et de la région, plaidant pour un changement résolu de modèle au niveau de l’Amérique latine qui doit pouvoir exporter dans l’avenir, tant vers la Chine que vers d’autres régions, des produits ayant une valeur ajoutée : « Il faut cesser d’exporter des matières premières. Il faut transformer les produits originaires de cette région : nous vendons des oranges et ils nous vendent de la confiture d’oranges ! Cela doit cesser ! » (143), a notamment déclaré Humala Ollanta en ouverture du cinquième sommet des entreprises Chine-Amérique latine, devant 400 entrepreneurs chinois, 400 péruviens et 200 d’autres pays de la région.

En d'autres termes, tant le Chili que le Pérou, d’autres aussi, mènent aujourd’hui des politiques tournées sans ambiguïté vers d’autres horizons que la « vieille Europe ». Les intéressent au premier chef le dynamisme économique de leurs partenaires asiatiques, les perspectives qu’ils offrent en termes de retombées pour le développement de leurs pays. Dans ce contexte, les difficultés européennes ne sont évidemment pas pour les rassurer.

B – Le tropisme latino-américain des anciennes puissances coloniales

Les deux principales puissances coloniales dans la région (144) ont fait de l’Amérique latine l’axe central de leur politique étrangère.

1) L’Amérique latine au cœur de la diplomatie espagnole

a) L'Espagne, chef de file européen en Amérique latine

L’Espagne comme le Portugal ont toujours fait de leur relation à l’Amérique latine un élément clef de leur rôle européen : « lors du processus d’adhésion, ces pays avaient négocié et obtenu le privilège de jouer un rôle de premier plan dans la coopération que l’Europe entretiendrait avec les pays latino-américains. C’est ainsi qu’Espagnols et Portugais vont être très nombreux dans les instances de l’UE qui ont à traiter des relations avec l’Amérique latine. Ces fonctionnaires bruxellois furent en grande partie les artisans, depuis un quart de siècle, de l’accroissement des échanges et des coopérations entre les deux régions, en matière économique et politique. » (145)

De fait, l'Espagne a indubitablement été de ceux qui ont cherché à faire de l’Union européenne un partenaire privilégié de l’Amérique latine. En témoigne par exemple le programme de la présidence espagnole de l’Union européenne, en 2010, qui prévoyait de renforcer la coopération entre les deux régions et souhaitait « que soit franchi un véritable saut qualitatif dans cette relation de coopération. Concrètement, nous mettrons en lumière le nouveau caractère stratégique de la relation UE-Mexique et nous encouragerons les négociations d'accords avec l'Amérique centrale, les pays andins et Mercosur. » (146). Au total, durant ce semestre de présidence espagnole, de nombreuses réunions auront effectivement lieu, dont six sommets de l’Union européenne avec des pays d’Amérique latine – Chili, Mexique –, ou avec des blocs régionaux : CAN, Mercosur, Cariforum, Amérique centrale, Amérique latine et Caraïbes. C’est à l’évidence la région du monde avec laquelle l’Union européenne aura le plus débattu durant ce semestre.

En complément de ce rôle au sein des institutions européennes, la politique bilatérale de l'Espagne vers les pays d’Amérique latine a été très développée. Le premier sommet des chefs d’État ibéro-américains a été organisé à Guadalajara en 1991, réunissant les dirigeants de la Péninsule ibérique et leurs homologues des pays d’Amérique latine. Un deuxième aura lieu dès l’année suivante, en marge de l’exposition universelle de Séville. Ces rencontres annuelles se sont institutionnalisées au point qu’un secrétariat sera créé en 2005, le Secrétariat général ibéroaméricain, SEGIB, dont le premier titulaire est actuellement Enrique Iglesias, ancien président de la Banque interaméricaine de développement (BID). La SEGIB entend renforcer les liens historiques, culturels, sociaux et économiques, et développer des relations de coopération entre ses membres et rendre plus cohérente la communauté ibéro-américaine et promouvoir son projet international.

De manière comparable à l’Organisation internationale de la francophonie, la SEGIB poursuit l’objectif d’affirmer la place de l’hispanophonie et de la lusophonie dans le monde, fortes d’une communauté humaine de 600 millions de personnes. Elle joue également le rôle d’un « forum de concertation politique et de discussions franches sur des thèmes variés, les échanges servant à rapprocher les points de vue et à connaître les points d’achoppement », les trois piliers sur lesquels les relations entre l’Union européenne et l’Amérique latine reposent aujourd’hui devant beaucoup à la conjonction de ces différents éléments.

b) Une relation néanmoins peut-être aujourd’hui en perte de vitesse 

Cela étant, sur un plan strictement bilatéral, on considère aujourd’hui que ces derniers temps, malgré tout, l’Amérique latine a perdu en importance en termes de priorité politique pour l’Espagne, par rapport à ce qu’elle a pu être par le passé. En témoigne la disparition du poste de secrétaire d’Etat à l’Amérique latine au sein du ministère des affaires étrangères (147), ou encore le fait que José Luis Zapatero ait été le premier président du gouvernement à ne pas se rendre à un sommet ibéroaméricain. La SEGIB est d'ores et déjà considérée comme une instance à laquelle l'Espagne devrait attacher bien plus d’importance. Les Latino-américains voient dans ces éléments autant de signes d’un manque d’attention auquel ils n’avaient pas été accoutumés depuis le début du siècle. Mais les analystes latino-américains (148) considèrent aussi que les préoccupations du nouveau gouvernement espagnol présidé par Mariano Rajoy devraient surtout être dirigées vers la résolution de la crise et vers les relations de l’Espagne avec l’Union européenne. Ces impératifs, étroitement liés entre eux, devraient inévitablement influer sur le dialogue avec ses partenaires sud-américains.

C’est ce que les Argentins, notamment, mais aussi des experts d’autres pays, croient aujourd’hui percevoir, en considérant qu’il serait au contraire temps pour l’Espagne de revenir à la définition de politiques sectorielles concrètes avec chacun des pays ou des régions du Cône Sud. Quoi qu’il en soit, la situation, voire les perspectives, ne sont évidemment pas sans inquiéter les entrepreneurs espagnols, comme on le verra plus loin.

Cela étant, la relation de l'Espagne avec l’ensemble des pays du Cône sud, et plus spécialement avec l'Equateur, le Pérou, la Bolivie et la Colombie, est aussi fortement marquée par le problème migratoire, d’autant plus aigu aujourd’hui que la conjoncture interne est des plus difficiles. La politique migratoire espagnole est depuis toujours très suivie en Amérique latine, et les positions en faveur de fortes restrictions prises par le nouveau gouvernement espagnol font craindre l’application d’une politique très dure. Il semble donc probable que cette question aura une incidence sur la qualité des relations bilatérales, compte tenu de la très grande sensibilité des opinions publiques.

c) Des investisseurs opportunistes aux intérêts en forte progression

Les marchandises espagnoles ont comme première destination l’Union européenne mais les exportations de la Péninsule vers des régions comme l’Asie ou l’Amérique latine ont cru en 2010 de 20 %. Pour autant, elles n’en restent pas moins inférieures, tous pays d’Amérique latine confondus, à celles vers le Portugal. Des potentialités existent donc et c’est la raison pour laquelle, l’économie espagnole n’étant pas dans la meilleure des situations à l’heure actuelle, l’ancien Président du gouvernement, José Luis Rodríguez Zapatero, comptait sur les exportations pour la relancer. Il ne devrait pas y avoir de réorientation politique à cet égard, d’autant que les entrepreneurs de la péninsule ont su acquérir des positions remarquables sur le sous-continent au cours des dernières années, au point qu’il pèse aujourd’hui pour 10 % de l’économie espagnole.

A la fin des années 1980, les entreprises espagnoles ont commencé de s’internationaliser. C’est à cette époque que Telefónica, l’une des premières à miser sur l’Amérique latine, est entrée sur le marché chilien de la téléphonie. Après avoir investi plus de 100 milliards d’euros ces trente dernières années, cette entreprise est aujourd’hui l’une des premières du monde, à l’instar du Banco Santander (149), Iberdrola ou Zara, qui ont également choisi le créneau de l’international pour leur développement. Celles qui ont fait le choix de l’Amérique Latine, qui par exemple ont su anticiper le boom des infrastructures, récoltent aujourd’hui les fruits de leur stratégie, en disposant désormais d’un portefeuille de concessions au Brésil, au Mexique, au Chili, qui leur assure croissance et rentabilité. Leurs paris se sont avérés gagnants sur ces marchés émergents particulièrement porteurs. C’est particulièrement vrai en matière de téléphonie : les dirigeants de Telefónica prévoient 400 millions d’utilisateurs de l’Internet d’ici 5 ans, soit deux fois plus qu’en 2010.

Il n’est pas surprenant, dans ces conditions, que le Brésil apparaisse comme une destination prisée des investissements des multinationales espagnoles. Ainsi, dans la semaine qui a suivi l’annonce de l’attribution des Jeux olympiques de 2016 à Rio de Janeiro, « pas un jour ne s’est passé sans nouvel investissement espagnol au Brésil. Mapfre a d’abord annoncé la signature d’un accord avec Banco do Brasil afin de former conjointement une compagnie d’assurances. Quelques jours plus tard, Telefónica, qui possède déjà 27,6 % de parts du marché des télécommunications au Brésil, a lancé une OPA de 2,55 milliards d’euros sur le spécialiste brésilien des télécoms GVT. La banque espagnole Santander, devenue en quelques années la troisième banque du Brésil, a quant à elle réalisé une plus-value de 1,4 milliard d’euros grâce à l’introduction en Bourse de sa filiale Santander Brasil. Autant de nouvelles symptomatiques de l’attrait que le Brésil exerce sur les entrepreneurs espagnols depuis plusieurs années déjà. » (150)

Le fait que le Brésil soit désormais la sixième puissance économique mondiale (151) et qu’il compte une très importante classe moyenne, renforce son attractivité pour les entreprises espagnoles qui entendent aussi profiter de l’actualité et des perspectives offertes par la Coupe du monde de football de 2014 et les Jeux olympiques de 2016, qui nécessitent la réalisation de grands travaux, pour lesquels les investisseurs espagnols sont bien placés grâce à l’antériorité de leurs relations économiques et commerciales et à leur présence dans des secteurs clefs de l’économie brésilienne. D’ici à 2016, il est estimé que les besoins dans le secteur de la construction pourront dépasser 610 milliards d’euros : à Rio, qui accueillera les Jeux olympiques, il faudra investir dans l’amélioration et l’agrandissement des différentes lignes de métro, pour lesquels 20 kilomètres supplémentaires sont prévus. Un périphérique est à l’étude, de plus de 170 kilomètres, qui permettrait de désengorger la ville, de même qu’une future ligne à grande vitesse Rio de Janeiro - São Paulo. L’aéroport international fera quant à lui l’objet d’investissements considérables pour voir sa capacité passer à 25 millions de passagers en 2016, puis 40 millions en 2025.

Aujourd’hui, « l’Espagne est le deuxième pays à investir au Brésil, après les Etats-Unis, avec au moins 132 entreprises espagnoles implantées. » (152) Télécommunications, énergie et infrastructures sont tout particulièrement concernées. En matière d’infrastructures, OHL, très présente sur le secteur de l’épuration des eaux, détient par exemple 25 % des parts de marché des autoroutes, avec plus de 3 200 kms. Acciona, spécialiste espagnol du BTP, et ACS (construction), sont également sur le secteur des infrastructures au Brésil pour tenter de compenser les effets de l’explosion de la bulle immobilière qui a freiné le secteur du BTP en Espagne.

Le secteur de l’énergie, également voué à se développer dans le cadre des futurs chantiers, est lui aussi fortement dominé par les entreprises espagnoles. Dans ce domaine, Repsol jouit d’une position privilégiée au Brésil : après avoir découvert en 2008 une quinzaine de gisements importants, c’est désormais l’entreprise privée qui dispose des gisements les plus importants dans les bassins brésiliens. Endesa Brasil, présent dans quatre régions du pays, compte par exemple 5,1 millions de clients, tandis que Gas Natural est le premier distributeur de gaz du pays. Le secteur éolien, en plein boom au Brésil, est également prisé par les entreprises espagnoles : Iberdrola, premier producteur mondial d’énergie éolienne, possède le parc éolien de Rio do Fogo, tandis que Elecnor a supervisé la construction de celui d’Osório à Rio Grande do Sul. Par ailleurs, l’Espagne, troisième destination touristique du monde, entend profiter de son savoir-faire pour renforcer ses positions dans ce secteur : Iberia espère ainsi multiplier ses vols vers São Paulo et Rio de Janeiro et le groupe hôtelier Sol Meliá, implanté depuis 1992 au Brésil où il gère 14 hôtels, pour près de 3 000 chambres, devrait être un des premiers à tirer profit des perspectives (153). Pour les entreprises espagnoles, le Brésil est aujourd’hui la porte d’entrée en Amérique latine, pour de multiples raisons : sa taille et son poids, 33 %, dans le PIB de la région, sa position géographique.

Pour ces raisons, l’Amérique latine devrait rester une priorité espagnole, d’une manière ou d’une autre : la résolution de sa crise économique, qui n’est pas sans provoquer certaines inquiétudes chez ses partenaires sud-américains, comme l’ambassadeur chilien l’avait indiqué à la mission, peut difficilement ne pas tenir compte des opportunités extérieures et de la consolidation des liens traditionnels dans cette perspective.

2) L’objectif premier de la diplomatie portugaise (154)

Second pays de la péninsule ibérique, le Portugal mène également une politique activement tournée vers l’Amérique latine, qui mérite qu’on s’y arrête. Tout comme l’Espagne, le Portugal a noué depuis longtemps des liens transatlantiques étroits, culturels, institutionnels ou économiques. Sa présence est également ancienne, au plan humain, non seulement dans son ancienne colonie chez nombre de ses voisins.

a) Profiter du dynamisme économique de l’Amérique latine

Il faut relever en premier lieu que le Portugal a pris la mesure des opportunités que l’Amérique latine offre désormais et s’est donné les moyens d’en profiter.

La consolidation des réformes politiques et économiques a fait de la région un des moteurs de l’économie mondiale que l’appartenance du Brésil, de l’Argentine et du Mexique au G20 et le poids économique croissant d’autres pays comme le Chili, la Colombie ou le Pérou traduisent. L’Amérique latine est logiquement devenue un vecteur important de la stratégie de diversification économique du Portugal, qui entend bénéficier de la complémentarité entre son offre et les besoins actuels des économies sud-américaines, comme d’un atout majeur pour la relance de sa croissance économique.

Si les flux d’IDE portugais, comme les échanges commerciaux sont en constante augmentation, un important potentiel reste toutefois à explorer, pour lequel le Portugal dispose des instruments nécessaires, comme en témoignent les statistiques : ainsi les exportations portugaises vers l’Amérique latine et les Caraïbes ont-elles augmenté de 25 % de 2006 à 2010, cependant que les investissements portugais dans le sous-continent représentaient 17,6 % du total de IDE portugais en 2010, contre 4,5 % seulement en 2006.

b) Des relations politiques au service des ambitions du Portugal

Il faut ensuite souligner que le Portugal, qui ne dispose pas d’un réseau diplomatique aussi étendu que celui de la France, a su maintenir sa présence politique en Amérique latine. En premier lieu, aujourd’hui, la plupart des pays d’Amérique latine en général, et du Cône sud en particulier, soit sept sur douze, ont une représentation diplomatique et consulaire.

L’approche de l’Amérique latine mise en œuvre ne se limite en effet pas à soigner les intérêts économiques et industriels. La motivation portugaise vers cette région traduit aussi une ambition politique : celle de s’assumer, conjointement avec l’Espagne, comme un pont privilégié du dialogue entre l’Union européenne et les pays d’Amérique latine. En témoignent les initiatives vis-à-vis du Mercosur, en 1992, et du Brésil, en 2007 prises lors des présidences portugaises de l’Union. En témoigne aussi la fréquence des relations bilatérales entre autorités portugaises et d’Amérique latine, qui met en évidence le fait que cette région est, après l’Europe, celle avec laquelle la coopération politique du Portugal est la plus intense. Ce n’est pas seulement le Brésil qui est intéressé ici, mais aussi le Venezuela, la Colombie, le Pérou et d’autres encore, en témoigne, dans un contexte multilatéral, la participation conjointe des Président et Premier ministre portugais au XXIe Sommet ibéroaméricain d’Asunción en octobre 2011.

Sur un plan bilatéral, le Portugal entretient dans la région des relations particulièrement étroites avec un certain nombre de pays. Le Brésil occupe évidemment une place à part. Les relations, fondées sur une histoire et une culture communes, ont toujours été d’une nature exceptionnelle, en témoigne la destination choisie par Dilma Roussef pour son premier voyage en dehors du continent américain. Des sommets annuels bilatéraux réunissent les deux pays, chacun accueille sur son territoire d’importantes communautés de ressortissants de l’autre, de grandes entreprises sont présentes : plus de six cents entreprises portugaises ont par exemple investi au Brésil, où elles emploient plus de 110 000 travailleurs. Selon les termes mêmes de l’ambassade, « le développement des relations avec le Brésil est un défi au niveau politique et une opportunité au niveau économique qui mérite notre priorité absolue. » Le marché brésilien a donc d'ores et déjà une grande importance pour les investissements et les exportations portugaises, et la croissance brésilienne est un levier pour l’économie portugaise.

Avec le Venezuela, le Portugal a également des relations bilatérales très intenses, qui se traduisent par de fréquentes visites politiques, ainsi que par l’augmentation des échanges commerciaux. Le Venezuela, qui compte sur son territoire plusieurs centaines de milliers de Portugais et de descendants, est aujourd’hui le troisième partenaire commercial du Portugal en Amérique latine. Hors champ géographique de cette étude, le Mexique devient également l’un des principaux partenaires du Portugal qui entend bien mettre à profit le potentiel commercial entre les deux pays : les exportations vers le Mexique ont d’ailleurs doublé en 2010, cette tendance se maintient sur 2011 et plusieurs grandes entreprises portugaises sont présentes au Mexique.

D’autres pays du Cône sud, l’Argentine, l’Uruguay, le Paraguay, le Chili, le Pérou, la Colombie, tout comme le Panamá, voient leurs relations actuellement se renforcer avec le Portugal qui souhaite maintenir des contacts de plus en plus étroits avec eux. En d'autres termes, le Portugal, qui entretient d’excellentes relations avec la région, fondées sur une amitié ancestrale, sur des communautés humaines importantes – plus de deux millions de Portugais résident en Amérique latine, notamment au Brésil et au Venezuela –, sur un héritage culturel et linguistique en commun, joue résolument la carte latino-américaine de sa diplomatie.

c) Une politique de coopération spécifique

Au-delà de ces aspects, le Portugal attache une particulière importance à la consolidation du statut de la langue portugaise dans le monde et à la divulgation de la culture lusophone. Il conclut des accords dans les domaines de l’éducation, de la culture, des sciences, de la technologie, de l’enseignement supérieur, de la jeunesse, des sports, des médias, dont les contenus sont débattus au sein de commissions paritaires, qui existent d'ores et déjà avec le Brésil, le Venezuela, l’Argentine, le Mexique, l’Uruguay et le Paraguay. Des efforts en ce sens sont actuellement fait en direction de la Colombie, du Pérou comme de certains pays d’Amérique centrale pour renforcer les coopérations bilatérales.

Enfin, le Portugal suit également avec intérêt la consolidation des processus démocratiques et apporte sa propre coopération au développement dans les secteurs tels que l’éducation, la justice et la sécurité intérieure. Des accords d’entraide judiciaire ont notamment été conclus pour la modernisation et l’informatisation de l’administration judiciaire, le fonctionnement des tribunaux, l’administration pénitentiaire. La coopération en matière de sécurité publique fait aussi l’objet d’un volet particulièrement important de la coopération portugaise, sur des thématiques telles que la lutte contre la violence, l’insécurité et le crime organisé transnational.

En d'autres termes, selon les termes mêmes de l’ambassade, « la promotion et l’approfondissement de nos relations avec les pays latino-américains, au niveau politique, économique, culturel, social et humain est une priorité continue de l’agenda extérieur du gouvernement portugais. »

C – L’intérêt croissant des principaux pays européens pour l’Amérique latine

Mises à part les anciennes puissances coloniales, dont la présence dans la région n’est évidemment pas surprenante, - à chacun son « champ » -, les cas de l’Allemagne ou de l’Italie sont particulièrement éclairants. L’Allemagne en a ainsi récemment fait un axe privilégié de sa diplomatie, le Royaume-Uni y porte désormais un intérêt renouvelé, tout comme l’Italie.

1) L’attention portée à l’Amérique latine par l’Italie

Parmi les principaux partenaires européens de la France, l’Italie n’est pas la dernière à s’intéresser de près à l’Amérique latine et son approche mérite que l’on s’y arrête. Le sous-continent est par exemple à l’heure actuelle la deuxième région bénéficiaire de l'aide publique au développement italienne bilatérale. Il bénéficie surtout de partenariats privilégiés avec la Péninsule, l’une des caractéristiques des relations que l’Italie entretient avec les pays d’Amérique latine tenant à son institutionnalisation.

a) Des relations transatlantiques soutenues, depuis longtemps institutionnalisées

On peut relever en premier lieu l’existence de l’Institut italo-latino-américain, IILA, organisme international créé par une convention signée le 1er juin 1966 entre l’ensemble des vingt républiques d’Amérique latine et l’Italie, et entrée en vigueur dès le mois de décembre suivant.

Observateur permanent à l’Assemblée générale des Nations Unies, l’IILA, qui collabore avec nombre d’organismes intergouvernementaux et d’institutions spécialisées sur l’Amérique latine, a pour but de développer et de coordonner la recherche et la documentation relatives aux problèmes, réalisations et perspectives de ses pays membres dans les domaines culturels, scientifiques, techniques, économiques et sociaux et, d’autre part, d’identifier, à la lumière de ces recherches, les possibilités concrètes d’échanges, d’assistance réciproque et d’actions communes dans ces mêmes secteurs.

Dans ce cadre, sont développés de nombreux projets d’intérêt commun, notamment dans le domaine de la coopération au développement, qui sont réalisés avec l’appui du ministère italien des relations extérieures. Des collaborations sont mises en œuvre, ainsi que des actions d’information sur l’Amérique latine. A ce jour et depuis sa fondation, l’IILA a été à l’origine de la signature de près d’une cinquantaine d’accords de coopération internationaux sur les thèmes de sa compétence. Le quarantième anniversaire de l’institut, en 2006, a été l’occasion pour la diplomatie italienne de renforcer son rôle dans le cadre des efforts que la Péninsule fait pour accroître sa présence en Amérique latine.

Cette approche s’est plus récemment confirmée avec l’institutionnalisation, depuis 2003, de sommets biennaux qui confirment la priorité de l’Amérique latine pour la diplomatie transalpine.

b) La Lombardie, moteur de la relation avec l’Amérique latine

En octobre 2003, une première « Conférence nationale Italie - Amérique latine » a été réunie à Milan dans la foulée de l’assemblée annuelle des gouverneurs de la Banque interaméricaine de développement, qui avait eu lieu dans la capitale lombarde quelques mois plus tôt.

Si cette rencontre, organisée pendant le semestre de présidence italienne de l’Union européenne, a pu alors illustrer l’état des relations entre l’Amérique latine et l’Europe, elle a surtout permis à l’Italie d’amorcer ou de renforcer ses liens propres avec le sous-continent : l’IILA, parmi d’autres, tels des instituts universitaires de recherche italiens, a naturellement été très impliqué dans l’organisation de cette rencontre. Il l’a ensuite encore été lors de l’organisation d’événements ultérieurs.

Cette conférence a aussi contribué au lancement d’une association privée, la Rete Italia America latina, RIAL, très vite appelée à jouer un rôle important dans les relations entre l’Italie et le sous-continent. Constituée en avril 2004, cette association a tout d’abord confirmé le rôle et l’influence de la Lombardie, région dynamique entre toutes, dans la Péninsule ; surtout, elle a mis en évidence son intérêt particulier pour le sous-continent latino-américain, au point de devenir le pivot des relations que l’Italie y entretient avec la région (155) : c’est en effet la chambre de commerce lombarde qui est l’initiatrice de la RIAL, qu’elle a créé afin de promouvoir les PME italiennes et notamment lombardes, vis-à-vis de l’Amérique latine, de favoriser les échanges et les synergies entre le public et le privé, en particulier dans les secteurs des transports, de l’énergie, des télécommunications, de l’environnement, mais aussi en matière de recherche ou de culture, et d’apparaître aussi comme l’interlocuteur privilégié des initiatives des organisations nationales ou internationales en ce qui concerne le sous-continent. Les principales instances locales, gouvernement régional lombard et municipalité de Milan, en ont été les partenaires, de même que le ministère italien des relations extérieures. L’accord signé en 2009 par la région lombarde avec la CAF, est un autre exemple, qui lui permet d’y côtoyer l’Espagne et le Portugal et d’accroître sa présence sur le terrain.

Depuis lors, la « Conférence nationale Italie – Amérique latine » est reconduite tous les deux ans et se tient alternativement à Rome ou à Milan. Selon le ministère italien des affaires étrangères, cette rencontre biennale est « clairement devenue le principal forum italien de réflexion et de consultation en ce qui concerne les relations avec l’Amérique latine, avec laquelle l’Italie nourrit de profonds liens historiques, culturels et économiques, qu’elle entend développer et approfondir. »

Preuve de l’intérêt que l’ensemble des Parties y ont très vite trouvé et y attachent, le fait que les gouvernements sud-américains y sont souvent représentés au plus haut niveau : En 2005, le Président uruguayen, Jorge Battle, était présent, ainsi que de nombreux ministres de différents pays, aux côtés du président de la BID, Enrique Iglesias, ou du Secrétaire général adjoint de l’OEA. L’édition de 2007, intitulée « Italie – Amérique latine : Ensemble vers le futur », fut inaugurée conjointement par la Présidente du Chili, Michelle Bachelet, et le Président du Conseil italien, Romano Prodi. Elle a été considérée comme un moment central dans la perspective du renforcement de la présence italienne en Amérique latine. Soigneusement préparée par une série de rencontres préalables, une quinzaine de pays y ont été représentés, dont le Venezuela, l'Argentine, l'Uruguay, le Mexique et la Bolivie par leurs ministres des affaires étrangères, de même que plusieurs organisations intergouvernementales régionales. L’édition de 2009 n’a pas dérogé à la règle selon laquelle les principaux ministres du gouvernement italien participent aux travaux du forum, dont Silvio Berlusconi cette année-là.

Si l’on note en parallèle que les déplacements de ministres italiens en Amérique latine sont très nombreux depuis plusieurs années – ainsi, 18 pays furent-ils visités dans les mois précédents la rencontre de 2007 –, de même que les voyages de présidents sud-américains en Italie, force est de constater que la région est clairement devenue une priorité de la diplomatie italienne, laquelle met en œuvre différents outils convergents : secrétaire d’Etat auprès du ministre des affaires étrangères chargé de l’Amérique latine, diplomatie parlementaire, notamment via les sénateurs élus par les collèges latino-américains, coopération au développement, coopération décentralisée des régions et municipalités.

c) Une priorité diplomatique également déclinée sur le plan bilatéral

Parallèlement à ses échanges multilatéraux particulièrement suivis, à sa participation comme membre ou observateur à diverses instances et autres organismes intergouvernementaux, - Banque interaméricaine de développement, Sommets ibéro-américains -, Rome ne néglige pas le développement de relations et partenariats bilatéraux avec plusieurs pays de la région.

En complément des forums de la RIAL, des rencontres plus spécifiquement bilatérales sont régulièrement réunies : ainsi en mars 2009, à Lima, l’IILA, en compagnie de l’Institut du commerce extérieur italien et du gouvernement péruvien, a-t-il organisé une rencontre pour renforcer les liens entre l’Italie et le Pérou, auquel ont participé, pour la partie italienne, ministres, parlementaires, universitaires et chercheurs de plus d’une vingtaine de rectorats et universités, représentants de diverses régions et entités locales ainsi qu’une centaine d’entrepreneurs, qui ont débattu avec leurs homologues péruviens des perspectives politiques et parlementaires, économiques, académiques et de coopération internationale.

Dans le même esprit, des forums économiques sont organisés, comme récemment avec le Mexique. Des groupes de travail mixtes sont constitués, tel celui avec le Chili, et des accords de protection des investissements sont signés, entre autres avec l’Argentine, le Brésil, le Chili ou le Mexique. De même, l’Italie a-t-elle conclu des accords de libre-échange avec le Mexique et le Chili ainsi qu'un accord d'association stratégique avec le Brésil, signé entre le Premier ministre italien, Silvio Berlusconi, et le président Luiz Inácio Lula da Silva en avril 2010. Le plan d’action défini propose un cadre stratégique pour la relance des relations bilatérales dans quatre axes prioritaires :

• Politique, pour un dialogue régulier coïncidant avec les réunions du conseil de coopération économique, commerciale, financière et de développement, déjà existant.

• Industriel, particulièrement dans les secteurs naval, aéronautique, énergétique, notamment en ce qui concerne le renouvelable, ainsi que d’infrastructures de télécommunications.

• Défensif, avec en particulier une collaboration industrielle et un transfert de technologie en matière navale, de transports terrestres, de motorisation aérienne et d’entraînement, ainsi que de communication satellitaire.

• Scientifique et technologique, avec une relance de la coopération dans divers secteurs, le spatial comme le sportif, en prévision des Jeux Olympiques de Rio de 2016, de la Coupe du monde de football de 2014. La relance de la coopération en matière culturelle et universitaire est également prévue, 2011 ayant été définie comme année de l’Italie au Brésil, avec la création d’un réseau d’institutions académiques.

• Enfin, une collaboration en matière d’aide au développement à destination de pays tiers.

En d’autres termes, depuis de nombreuses années, la diplomatie italienne témoigne d’une grande continuité vis-à-vis de l’Amérique latine qui est devenue une véritable priorité d’Etat.

Massimo D'Alema, ministre des affaires étrangères au début des années 2000, avait mis l’Asie et l’Amérique latine au rang des principaux protagonistes du monde contemporain et souhaité que la diplomatie italienne travaille sur ces régions, indiquant qu’elle avait besoin d’élargir ses horizons, car il y allait aussi de ses intérêts économiques fondamentaux. Plus récemment, Franco Frattini (156), ministre des affaires étrangères du gouvernement de Silvio Berlusconi, confirmait cette orientation, maintenue au-delà des alternances politiques et quelles que puissent être les difficultés conjoncturelles bilatérales : le refus en janvier 2011 des autorités brésiliennes d’extrader Cesare Battisti, a certes fortement tendu les rapports entre les deux pays mais n’a cependant pas empêché que des rencontres bilatérales italo-brésiliennes plus approfondies aient lieu en marge de la conférence biennale quelques mois plus tard. Le renforcement de la présence italienne dans une région comme l’Amérique latine, en fort développement économique et qui prétend jouer un rôle de plus en plus important sur la scène internationale, est désormais un axe majeur de la politique extérieure de l’Italie qui a su habilement tirer profit du fait que les pays de la région le souhaitent. Ainsi que le soulignait Romano Prodi en 2007 en ouvrant les débats de la Troisième conférence, « le moment est venu de répondre aux sollicitudes de l’Amérique latine de plus de présence culturelle et économique. » En complément, l’Italie entend appuyer le sous-continent par sa coopération au développement et tient compte dans sa politique régionale de l’importance des communautés italiennes, depuis longtemps installées.

2) Le retour du Royaume-Uni

a) Une histoire de négligences comparable aux nôtres

L’histoire des relations entre le Royaume-Uni et l’Amérique latine est d’une certaine manière comparable à celle que la France a elle-même entretenue avec cette région. William Hague, ministre des affaires étrangères britannique, reconnaissait il y a quelques mois lors d’un discours devant la Canning House (157) que de riches opportunités avaient été perdues, le sous-continent ayant été injustement négligé depuis trop longtemps.

Il soulignait ainsi que les échanges commerciaux de la Grande Bretagne avec l’Irlande étaient aujourd’hui plus de trois fois supérieurs à ceux qu’elle avait avec toute l’Amérique latine. Il ajoutait que le total des exportations du Royaume-Uni vers l’Amérique latine représentait à peine 1 % de toutes les exportations internationales vers la région, que son commerce avec le Brésil n’atteignait pas la moitié de celui avec le Danemark, cependant que le Chili et l'Argentine étaient respectivement ses 43e et 49e marchés d’exportation… Le ministre anglais regrettait d’autant plus de constater que l’Allemagne exportait aujourd’hui quatre fois plus que le Royaume-Uni vers l’Amérique latine ou que l’Italie et la France l’avaient également laissé loin derrière elles, que les prémices avaient été particulièrement favorables.

En effet, si la France considère avoir eu une forte influence en Amérique latine au long du XIXe siècle et se félicite des fortes positions depuis longtemps acquises par ses entreprises, l’anglophilie des pays sud-américains ne cède en rien à la francophilie : William Hague rappelait ainsi que le déclin du Royaume-Uni avait été précédé par « une période d’intense engagement et de commerce remarquable qui avait commencé au cours du 19e siècle », époque où les chemins de fer de São Paulo étaient entièrement construits avec l’acier et l’expertise des ingénieurs anglais, et où, dès 1808, 40 % des exportations britanniques allaient à l’Amérique latine (158) ; où avant la Première guerre mondiale, comme votre Rapporteur l’a rappelé, la moitié des investissements étrangers en Amérique latine venait de Grande Bretagne, avec laquelle le sous-continent faisait plus de 20 % de son commerce international.

Ce n’est pas seulement sur le plan des échanges commerciaux ou des investissements que les intérêts de la Couronne affirmaient alors leur présence dans la région : l’engagement britannique dans l’indépendance de l’Amérique latine avait également été fort et même déterminant dès avant les indépendances. Leurs leaders – Simon Bolivar en premier lieu –, et mouvements de libération, avaient été particulièrement liés et soutenus par les gouvernements et forces
– navales notamment – britanniques : la domination anglaise des mers a ainsi d’autant plus gêné l’Espagne dans sa lutte contre les insurgés sud-américains que Londres lui avait expressément refusé son aide et interdit à toute puissance européenne d’intervenir dans la région au nom de l’Espagne.

Il s’agissait également pour les gouvernements britanniques de l’époque de faire tout à la fois pièce à la volonté d’emprise nord-américaine sur l’Amérique latine, de marquer des points dans la rivalité politique, commerciale et idéologique opposant la Couronne aux Etats-Unis et de conforter ses intérêts commerciaux, moyennant la signature de traités de libre échange avec les nouvelles républiques. Elément essentiel de la diplomatie britannique d’alors, si l’on sait que, dès les années 1820, entre autres aspects, les exportations de coton anglais vers l’Amérique latine excédaient celles vers les Etats-Unis.

En d’autres termes, comme cela est aujourd’hui analysé (159), une politique de défense de ses intérêts nationaux conduite par les lointains prédécesseurs de William Hague au Foreign Office, articulée sur sa puissance industrielle, financière et navale, a permis d’asseoir d’autant plus durablement le prestige du Royaume-Uni dans la région qu’elle a aussi coïncidé avec ce dont avaient alors besoin les jeunes nations sud-américaines pour leur reconnaissance et leur développement.

C’est aujourd’hui cette perspective et cette approche que le gouvernement de David Cameron entend retrouver après des décennies durant lesquelles le Royaume-Uni en était arrivé, pour diverses raisons, à considérer au contraire l’Amérique latine comme hors de sa sphère d’intérêts. Tout au long du XXe siècle, et au cours des vingt dernières années notamment, cette position l’a conduit à négliger trop d’opportunités et à sous-estimer la région. Elle s’est traduite par un déclin important de la présence et des intérêts anglais qu’il s’agit aujourd’hui d’enrayer.

b) Un nouveau regard

Pour les mêmes raisons que George Canning l’avait fait quelque 200 ans plus tôt en soutenant la Couronne portugaise en exil au Brésil en échange de l’ouverture des ports brésiliens au commerce anglais, la prise en compte des perspectives offertes aujourd’hui par une Amérique latine en pleine expansion amène le Royaume-Uni à s’intéresser de nouveau au sous-continent. Il s’agit d’un retournement de position drastique, dans la mesure où William Hague rappelait l’an dernier que le Foreign Office avait encore fermé quatre ambassades dans la région depuis 1998, ce qui avait alors envoyé aux pays d’Amérique latine « le pire des messages » au moment précis de leur décollage économique (160), avait réduit la visibilité d’un Royaume-Uni apparaissant comme un « partenaire moins important, et avait affecté la coopération dans un grand nombre de secteurs, y compris le commerce et les échanges », indépendamment de l’impact sur le poids du Royaume-Uni au sein des organisations internationales.

Le gouvernement de David Cameron considère au contraire désormais indispensable de penser à l’Amérique latine en termes d’opportunités de coopération politique, de commerce et d’investissements d’autant plus aisées à saisir que le Royaume-Uni dispose des services et talents dont la région a, et aura besoin, pour son développement dans les années à venir : place et services financiers majeurs, porte d’entrée de l’Europe, entreprises multinationales performantes d’ores et déjà implantées sur le sous-continent.

Au-delà des seuls intérêts économiques communs, William Hague argumente aussi le revirement diplomatique britannique vis-à-vis de l’Amérique latine sur le fait que le monde a changé depuis la fin de la Guerre froide. La protection des intérêts des citoyens britanniques doit impérativement dépasser les cadres européens et américains et le Royaume-Uni doit mieux mettre l’accent sur le développement de partenariats avec les pays émergents, au premier rang desquels le Brésil, ainsi qu’avec les nombreux pays amis de la région, pour « sécuriser sur le long terme la prospérité et la sécurité de notre pays et les opportunités futures de millions de citoyens britanniques. » (161) La création du Conseil national de sécurité britannique par le Premier ministre dès le premier jour de son mandat s’inscrivait dans cette approche globale qui incluait l’Amérique latine comme les autres régions du monde.

Le ministre soulignait aussi que la relation avec l’Amérique latine était essentielle au Royaume-Uni pour de multiples raisons :

• Ecologiques, les pays d’Amérique latine abritant 40 % des forêts tropicales, 35 % des réserves d’eau potable et 25 % des terres cultivables.

• Sécuritaires, en ce qui concerne les efforts menés dans la lutte contre les diverses formes de crime organisé, de la part d’une région dénucléarisée, et disposant de ce fait d’une autorité morale particulière.

• Economiques, les pays d’Amérique latine étant désormais des moteurs reconnus de l’économie internationale, qu’il s’agisse de géants comme le Brésil, ou comme le Mexique et l'Argentine qui cumulent à eux deux un PIB équivalent à celui de l’Inde, des taux de croissance records de nombre de pays de la région, comme le Pérou ou le Panamá. Le Royaume-Uni ne peut plus continuer à se détourner d’une région dont le PIB est supérieur à celui de la Chine.

• Culturels enfin, non seulement parce que les cultures d’Amérique latine sont un enrichissement pour le monde, de même que les sports et les arts, mais aussi parce que les traces sont encore vives et fortes aujourd’hui de la présence britannique sur le sous-continent.

A cela s’ajoute le fait que les pays d’Amérique latine sont désormais dans leur grande majorité des démocraties, qu’ils constituent même le groupe de démocraties le plus important hormis l’Europe, que les politiques qu’ils mettent en œuvre pour traiter les problèmes sociaux sont particulièrement innovants dans de nombreux cas, et que, pour certains d’entre eux, tels le Mexique, le Costa Rica ou la Bolivie, ils jouent un rôle aujourd’hui majeur dans la lutte contre le changement climatique.

c) Une nouvelle stratégie pour des objectifs précis

Ces raisons, parmi d’autres, justifient un renversement de la politique britannique vis-à-vis des pays de la région, qui débutera par une nouvelle expansion du réseau diplomatique britannique. Très récemment (162), le ministre Hague annonçait ainsi que le renforcement des postes au Brésil, au Mexique, au Chili, en Argentine, en Colombie, au Panamá, au Pérou, et la réouverture de l’ambassade au Salvador.

Plusieurs axes seront désormais privilégiés dans les relations avec l’Amérique latine :

• La recherche de nouvelles opportunités économiques, l’encouragement à l’investissement britannique dans la région pour lesquels le gouvernement travaillera à l’approfondissement des liens, à l’abaissement des régulations qui freinent les affaires. A cet égard, un accent sera spécialement mis sur la lutte contre le protectionnisme, que ce soit de manière bilatérale ou dans le cadre des accords d’intégration en vigueur.

• La lutte contre la violence et les trafics de drogue, le soutien au développement durable et la recherche de la sécurité énergétique et la lutte contre le changement climatique.

• Le soutien à la réforme du système des Nations Unies moyennant l’obtention d’un siège de membre permanent du Conseil de sécurité au Brésil et, d’une manière générale, l’amélioration de la place des pays de la région dans les différents forums internationaux dans lesquels ils jouent souvent d’ores et déjà un rôle important.

Dans cet ensemble, et de manière comparable à la politique que mène la France depuis plusieurs années, la relation bilatérale avec le Brésil est privilégiée : dès septembre 2010 un accord était signé pour renforcer la coopération en matière de sécurité et de défense sur le long terme en même temps que des exercices associant les marines des deux pays étaient organisés ; un partenariat pour la modernisation de la flotte brésilienne était également engagé pour un montant estimé à 4,5 milliards de dollars, cependant que des négociations commerciales bilatérales de haut niveau étaient également entamées.

Plusieurs autres pays de la zone font désormais l’objet d’une attention particulière de la part du gouvernement britannique : c’est notamment le cas de la Colombie, du Pérou et du Venezuela pour le renforcement de la lutte commune anti-narcotiques. Le Chili ainsi que les pays d’Amérique centrale, au premier rang desquels le Mexique, figurent également parmi la liste des principaux partenaires du Royaume-Uni. D’une certaine manière, à l’instar de ce qu’ils sont depuis plusieurs années pour les ministres des gouvernement italien ou allemand, comme on le verra, les pays latino-américains sont devenus les uns et les autres une destination désormais prioritaire pour les membres de l’équipe de David Cameron, dont l’un des secrétaires d’Etat auprès de William Hague, Jeremy Browne, est spécifiquement chargé de l’Amérique latine, à l’instar de ce qui se passe fréquemment au sein des Exécutifs italien ou espagnol.

Il y a plus de cinquante ans, les diplomates britanniques étaient déjà conscients de l’importance majeure de l’Amérique latine, qu’ils jugeaient stratégique pour les intérêts du Royaume-Uni. Si, malgré ses atouts initiaux et les avertissements à ne pas perdre d’opportunités dans une région qui était déjà considérée comme celle ayant le développement le plus rapide, la Grande Bretagne n’a pas su maintenir son rang, elle semble aujourd’hui clairement déterminée à revenir dans la course.

Reste malgré tout un point de crispation dans la relation britannique avec le sous-continent : la possession des Îles Malouines au large de l’Argentine. La victoire militaire rapide du Royaume-Uni en 1982 n’a fait que refermer une parenthèse sans que le fond du problème soit évidemment résolu ni que l’Argentine ait jamais renoncé à ses droits sur des terres conquises en 1883. L’approche du trentième anniversaire de ce conflit est l’occasion de réaffirmer la souveraineté argentine et les forums régionaux, par exemple le XXIe Sommet ibéroaméricain réuni à Asunción à la fin du mois d’octobre 2011, ne manquent pas d’adopter des résolutions en ce sens, appelant la Grande Bretagne à la négociation. Très récemment, la Présidente Cristina Fernández de Kirchner les a encore réaffirmés à plusieurs reprises. Une certaine tension a surgi lorsqu’elle a pris la décision d’interdire aux bateaux portant pavillon des Îles Malouines d’accoster dans les ports argentins, recevant en cela le soutien des chancelleries de l’Uruguay, du Brésil, du Chili et de Bolivie (163) qui partagent sa position quant au caractère colonial de la présence britannique sur ces territoires. Depuis lors, la tension n’est pas retombée, loin de là.

3) La politique latino-américaine de la République fédérale d’Allemagne (164)

A l’instar de l’Italie et du Royaume-Uni, l’Allemagne a également choisi de faire de l’Amérique latine l’une de ses priorités diplomatiques. Cette nouvelle stratégie était précisément le thème central de la conférence des ambassadeurs allemands d’août 2010, comme on le verra plus loin. Auparavant Angela Merkel n’avait pas manqué les occasions d’en poser les premiers jalons.

a) Des liens nombreux et anciens

Au-delà de l’image traditionnelle de l’Amérique latine comme refuge d’anciens nazis, il faut aussi rappeler que les relations que l’Allemagne a entretenues avec cette région sont heureusement tout autres et bien plus anciennes. L’émigration allemande vers les pays du Cône sud a été importante et les communautés sont encore parfois conséquentes et bien intégrées, notamment dans le sud du Brésil, en Argentine, au Chili ou au Paraguay, où vivent le tiers des Mennonites sud-américains. On estime surtout qu’un Brésilien sur dix, soit 19 millions de personnes, a une ascendance allemande. A titre de comparaison, les descendants de Français au Brésil ne sont qu’un million, pour 33 millions de descendants d’Italiens.

Votre Rapporteur a montré plus haut l’importance de l’Amérique latine dans l’économie allemande au long du XIXe siècle, l’attraction de la région pour ses IDE et la place qu’elle tenait dans son commerce extérieur, très tôt bien plus grandes qu’en ce qui nous concerne. L’Allemagne a été l’un des tout premiers investisseurs en Amérique latine. Elle l’est restée et la bonne image dont elle bénéficie en Amérique latine tient en partie à cet aspect de la relation.

Ces éléments n’ont pas empêché une perte d’influence sur les dernières années du XXe siècle, sans doute favorisée par son processus de réunification, au moment précis où, en parallèle, l’Espagne prenait la relation entre l’Union européenne et l’Amérique latine en mains. En parallèle, malgré ses performances passées et l’ancienneté de son implantation, en termes économiques, ces dernières années n’ont pas non plus été très remarquables : des études de la CEPAL et de l’OCDE montrent ainsi que la présence économique de l’Allemagne, entre 2000 et 2009, est restée sensiblement inférieure à celle de la France. L’Allemagne a été à l’origine de 5 % des IDE européens en Amérique Latine et dans les Caraïbes, les IDE français représentant 12 % des IDE européens.

b) Les prémices plus récentes du renouveau d’intérêt

Les dirigeants allemands entendent désormais réagir à cette perte d’influence et, à l’instar du Royaume-Uni, se tournent de nouveau résolument vers l’Amérique latine.

En fait, c’est à partir de mai 2008 que la Chancelière fédérale a commencé de mettre plus fortement l’accent de sa diplomatie sur l’Amérique latine. Elle a notamment effectué un premier déplacement d’une semaine comme chef du gouvernement, au cours duquel elle s’est successivement rendue au Brésil, au Pérou, en Colombie (165), ainsi qu’au Mexique et a participé, aux côtés notamment de José Luis Rodríguez Zapatero, Président du gouvernement espagnol, au Ve Sommet Union européenne – Amérique latine qui se tenait dans la capitale péruvienne au cours de la même semaine.

Dans son intervention, Angela Merkel avait alors notamment mis l’accent sur les aspects économiques de la relation de l’Europe, - et au-delà, de l’Allemagne -, avec l’Amérique latine. Le constat de départ était simple : l’Amérique latine s’est hissée au quatrième rang des régions économiques du monde, elle compte une population de quelque 540 millions d’habitants, réalise désormais plus de 5 % du PIB mondial, jouit d’une croissance annuelle élevée depuis plusieurs années, notamment tirée par la demande en ressources énergétiques, minérales et en produits agricoles. Les relations de l’Europe et de l’Amérique latine, tant sur le plan commercial que sur celui de la coopération économique et des échanges, se renforcent constamment et sont appelées à se développer encore à l’avenir.

Sur cette toile de fond, la dimension sociale du développement économique était un aspect essentiel que le sous-continent latino-américain ne devait pas omettre, d’autant que les inégalités y sont plus élevées que partout ailleurs. Sur ce point, les modèles européens, et notamment allemand, peuvent représenter une opportunité pour asseoir mieux encore les échanges et les partenariats que l’on peut envisager : l’Europe a une longue expérience d’intégration réussie, de régulation économique et sociale qu’elle peut utilement partager. L’ampleur des défis que la mondialisation induit suppose une approche commune et un partage des responsabilités.

Par ailleurs, l’Allemagne a d'ores et déjà particulièrement bénéficié des positions économiques latino-américaines, puisque son commerce extérieur avec les pays de la région a connu une hausse conséquente : ses exportations ont augmenté de 6 % et ses importations de 16 %. Il s’agissait donc pour la Chancelière de tirer profit de cette conjoncture et d’insister sur les possibilités d’ouvrir de nouvelles perspectives aux entreprises allemandes et notamment aux PME, raison pour laquelle, outre une délégation du Bundestag, l’accompagnaient des responsables économiques, notamment des PME des secteurs de la technologie de l'environnement et du transport. En se félicitant de l’accueil reçu par les entreprises allemandes et leurs positions croissantes, Angela Merkel s’enthousiasmait aussi pour les perspectives qu’elle voyait se dessiner.

En second lieu, ce déplacement était aussi l’occasion de relever les opportunités de renforcement de la coopération transatlantique dans plusieurs aspects, tant au niveau de l’Union européenne que de l’Allemagne : notamment dans les domaines du climat, de l'environnement, de l'énergie ou encore de l'éducation, qui étaient au cœur des thématiques retenues pour le sommet de Lima, dans le prolongement du partenariat stratégique accordé en 1999 entre les deux blocs. Ainsi, au Brésil, un accord bilatéral sur l'énergie a-t-il été signé, intensifiant la coopération germano-brésilienne en matière d'énergies renouvelables et d'efficacité énergétique. De même, l’étape mexicaine du déplacement devait-il permettre d’aborder les questions économiques mondiales et d’environnement et poursuivre le dialogue entamé dans d’autres forums.

En d’autres termes, si les intérêts propres de l’Allemagne et de ses entreprises ne sont pas absents, loin de là, le gouvernement fédéral articule aussi clairement sa relation avec le sous-continent latino-américain dans une dimension européenne. L’étape suivante confirmera clairement cette orientation.

c) Les volets et instruments de la stratégie allemande

Dans la relation de l’Allemagne avec l’Amérique latine, l’année 2010 a marqué un tournant important : le thème central de la conférence des ambassadeurs allemands réunis à Berlin fin août a précisément porté sur la définition d’une stratégie allemande pour l’Amérique latine. En effet, l’Amérique latine est restée pour l’Allemagne selon les propos mêmes de Guido Westerwelle, ministre fédéral des affaires étrangères, « un continent sous-estimé. » (166) En d'autres termes, l’analyse allemande est proche de celle du gouvernement britannique et la stratégie définie par la Conférence des ambassadeurs a précisément pour fin de réévaluer la place de l’Allemagne.

Sans surprise, sont mises plus particulièrement en avant les opportunités économiques, notamment pour les PME allemandes, induites par les taux de croissance que connaissent les pays de la région et, consécutivement, par l’émergence de nouvelles classes de consommateurs. L’importance stratégique croissante du sous-continent est une autre donnée que la diplomatie allemande entend prendre en compte. Consécutivement, et sans surprise non plus, le Brésil apparaît une nouvelle fois comme objet de toute l’attention et se voit désigné comme partenaire privilégié. Se retrouvent ici les mêmes approches que celles qui sont faites par les autres pays européens vis-à-vis du Brésil, concernant son rôle au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies, sa qualité de membre du G20 et ses potentialités. D’où le fait que, comme la France, comme le Royaume-Uni ou l’Italie, la RFA ait également signé un partenariat stratégique avec lui.

Cela étant, le dialogue politique que l’Allemagne entretient avec le Brésil n’est pas exclusif de contacts très soutenus avec d’autres partenaires régionaux : les relations sont ainsi également denses avec l'Argentine, « point d’entrée de l’Allemagne en Amérique latine » selon Guido Westerwelle. De même en est-il des relations entretenues avec le Chili et l’Uruguay. Au total, indépendamment des contacts que les officiels allemands ont récemment eus par ailleurs avec plusieurs pays d’Amérique centrale, ces quatre pays ont été ces derniers mois ceux avec lesquels la diplomatie allemande a été particulièrement active dans le Cône sud, en témoigne le nombre des visites bilatérales effectuées de part et d’autre.

Pour la mise en œuvre de sa stratégie, l’Allemagne utilise un ensemble d’instruments complémentaires. Le dispositif diplomatique est en premier lieu maintenu, voire parfois renforcé et d’autres instances, telles que le Bundestag, les Länder, les partis politiques et notamment leurs fondations, ainsi que les organes de presse, apparaissent comme autant de canaux de dialogue et de relais de la politique d’influence allemande.

L’aspect commercial est un élément important de la stratégie. L’Allemagne est d'ores et déjà le premier partenaire européen du Brésil ainsi que de pays tels que le Chili, l'Equateur, la Colombie ou le Venezuela. Les relations entre le Chili et l’Allemagne sont très importantes et supérieures à celles avec la France en termes de chiffres commerciaux. Il en est de même avec l'Argentine, et les échanges commerciaux avec le Pérou ont été multipliés par 5 en dix ans. Comme votre Rapporteur l’a souligné, l’intention de la Chancelière fédérale a été très tôt d’apporter un soutien aux PME allemandes dans leur approche des marchés sud-américains, notamment sur les secteurs de pointe ou sur les projets d’infrastructure. La stratégie s’appuie pour cela sur un réseau ancien, parfois presque centenaire, de chambres de commerce, souvent fort dynamiques (167), qui regroupent à la fois de nombreuses entreprises et disposent de moyens conséquents, et entend répliquer en Amérique latine les dispositifs pertinents et efficaces qu’elle a expérimentés ailleurs, notamment en Asie, tel que le « Forum d’entreprises pour la région ».

En ce qui concerne la politique d’investissements, si l’Allemagne est peu présente dans certains pays, tels l'Equateur, le Pérou ou la Colombie, elle est en revanche un acteur majeur du Brésil : ses investissements totalisent aujourd’hui 1 200 entreprises, employant 250 000 personnes. L’écrasante majorité d’entre elles, soit un millier d’entreprises, sont installées à São Paulo, premier pôle industriel allemand hors de la RFA. A l’instar des Espagnoles, les entreprises allemandes tentent de profiter des rendez-vous sportifs de 2014 et 2016, et deux mémorandums sur les infrastructures et la sécurité ont été signés en 2010. Selon les informations recueillies, de très importants investissements ont dernièrement été réalisés, tels ceux de Thyssenkrupp, dans la région de Rio, pour quelque 5 milliards d’euros, ou de Volkswagen dans cette même région, pour 1,3 milliard d’euros, sachant que l’Allemagne détient, comme Fiat, 35 % du secteur automobile brésilien, ainsi qu’un quasi-monopole, 80 %, sur le marché des poids lourds. La présence des entreprises est concentrée dans le Sud, zone historique de l’implantation allemande au Brésil, ainsi qu’au Mato Grosso, le Nordeste ayant été choisi comme priorité pour compenser les déséquilibres géographiques, ce qui se concrétise par l’installation à Manaus d’usines de BMW et de Staedtler. Siemens pourrait par ailleurs obtenir la réalisation de grands projets de télécommunications.

d) Une stratégie globale, des instruments complémentaires

La stratégie allemande vis-à-vis de l’Amérique latine ne se limite pas à la défense et à la promotion des seuls intérêts économiques de la République fédérale. En effet, d’autres aspects viennent en complément qui traduisent l’ambition de la démarche. Ils se concrétisent par un très important volet de coopération au développement et de relations culturelles.

Selon le CAD de l’OCDE, au cours des vingt dernières années, l’Allemagne a consacré entre 10 % et 13 % de son aide publique au développement bilatérale aux pays de la région. Selon les informations recueillies, la priorité est donnée à l’aide au développement et à la coopération scientifique qui ont vocation à préparer le terrain aux entreprises allemandes, notamment en matière d’énergie et d’environnement. L’attractivité de l’Allemagne en matière de coopération universitaire se développe, mais reste faible, malgré les efforts dans le domaine linguistique. La coopération en matière de défense est faible, notamment compte tenu de ce qui était fait auparavant, de même que l’implication dans la lutte contre le narcotrafic.

Cela étant, en 2009, l'APD bilatérale totale allemande sur l’ensemble de la région s’est élevée à 569,4 millions d’euros, à comparer aux 290 millions d’euros de l'APD française engagés. Si l’on ne regarde que les pays du Cône sud, dans certains pays, cette coopération au développement est parfois ancienne, comme au Brésil, où elle a été lancée en 1960. Les crédits sont souvent importants : en Colombie, le budget a été doublé fin 2010, pour être porté à 119,5 millions d’euros pour la période 2011/2012. Au Chili, 50 millions d’euros ont été engagés entre 2007 et 2008, notamment dans les domaines des énergies renouvelables. L’Allemagne est le deuxième bailleur de fonds bilatéral au Brésil, après le Japon, et le 1er bailleur bilatéral en Bolivie, qui reçoit de sa part 50 millions d’euros par an en moyenne, soit l'équivalent annuel, voire supérieur, des crédits de l'Union européenne. Outre les secteurs traditionnels de la coopération au développement, l’Allemagne mène en Amérique latine des actions ressortissant de thématiques plus contemporaines : elle est ainsi le principal contributeur en matière de protection de l’environnement au Brésil, soutenant notamment le programme « Amazon Agenda 2020 », pour lequel elle a apporté quelque 320 millions d’euros depuis 1992. Elle a de même contribué pour près de 100 millions d’euros au développement d’énergies renouvelables au Brésil, secteur sur lequel un certain nombre d’entreprises allemandes sont pionnières, comme en matière de biomasse, d’éolien ou de gaz de décharge. Une Maison de la science et de l’innovation allemande est installée à São Paulo, qui travaille notamment à l’intégration des politiques de recherche scientifique des deux pays. Le domaine scientifique est aussi un secteur de la coopération au développement allemande particulièrement actif en Colombie, ainsi qu’en Argentine, où la RFA est deuxième partenaire, derrière la France.

L’Allemagne développe des efforts en matière universitaire, mais semble se révéler peu attractive, moins que la France, le nombre d’étudiants latino-américains se destinant à y poursuivre leurs études étant à la baisse. Cinq Instituts Goethe, complétés par sept instituts germano-brésiliens, montrent néanmoins l’importance attachée par l’Allemagne à sa présence culturelle dans ce pays qui célèbrera en 2013 une année de l’Allemagne. Le fait que Berlin cherche à mieux diffuser sa culture et à jouer un rôle important en matière culturelle a été aussi mis en évidence lors de la décision européenne sur la fixation du siège de la Fondation Union européenne/Amérique latine : sans véritable concertation avec ses pairs, Berlin a réussi à imposer la candidature de Hambourg, dont on ne saurait certes contester la vocation latino-américaine traditionnelle. La France, qui a récemment créé l’Institut des Amériques, pouvait cependant tout autant y prétendre ; l’Italie avait ses propres atouts. L’Allemagne a illustré ici son degré de volontarisme pour un enjeu touchant à la fois l’Union européenne et l’Amérique latine. Comme le soulignait sans ambiguïté le centre d'information et de documentation sur l'Allemagne, CIDAL, à ce sujet lors de l’inauguration officielle de la Fondation, « les pays d’Amérique latine et des Caraïbes avaient décidé en janvier dernier, en accord avec le Conseil des Hauts fonctionnaires de l’Union européenne, d’implanter cette nouvelle fondation à Hambourg. Le gouvernement fédéral, et notamment le ministre fédéral des Affaires étrangères, s’étaient activement mobilisés en faveur de ce choix. Leur engagement s’inscrit dans le droit fil de la politique active que le gouvernement fédéral déploie à l’égard de l’Amérique latine et qui s’est concrétisée en 2010 par l’adoption d’une nouvelle stratégie pour l’Amérique latine. » (168)

Dans ce contexte aux multiples facettes, où le Cône sud n’a plus rien à voir avec ce qu’il était il y a encore deux décennies voire moins, où nombreux sont ceux qui s’y intéressent plus que jamais, deux questions se posent : en premier lieu, celle de savoir si la France, au cours de la période contemporaine, a finalement su tirer parti de ses atouts initiaux, incomparables, malgré le déclin constaté ; celle, ensuite, de ses positionnements et de ses stratégies pour l’avenir.

IV – L'ÉTAT DES LIEUX

A – L’Amérique latine a-t-elle jamais été une priorité française ?

Le Président Pompidou le reconnaissait sans peine : « Je sais que nos échanges commerciaux sont insuffisants, qu’ils sont déséquilibrés et pas nécessairement en faveur de la France. (…) Nous avons un retard à rattraper, pourquoi le dissimuler, retard que la coupure de 1940 à 1945 explique et qu’aggrave le poids des Etats-Unis dans le monde occidental. » (169)

Pour autant, si l’intermède de la guerre a effectivement pu jouer un rôle dans le déclin de la présence de la France sur le sous-continent, les prémices en sont plus anciennes, comme on l’a vu.

1) 21 septembre - 16 octobre 1964 : les raisons d’un périple exceptionnel

On a vu (170) les fortes réticences du Quai d’Orsay à répondre aux attentes exprimées par les dirigeants latino-américains et le décalage, ne serait-ce qu’au niveau des moyens, avec ce que la France était disposée à offrir. C’est cependant dans cette région que le général de Gaulle fera le plus long déplacement qu’un Président de la République effectuera jamais. A cette aune, l’Amérique latine pourrait sans conteste apparaître au cœur des priorités de la diplomatie française. Cela étant, la réalité est évidemment plus contrastée.

a) Des frémissements annonciateurs d’une évolution ?

Comme on a pu le relever (171), l’image et le très fort capital de sympathie que le général de Gaulle avait en Amérique latine depuis la Guerre ne l’ont cependant pas amené à avoir au début de son mandat présidentiel une diplomatie très active en direction de la région. Avant qu’il effectue les déplacements de 1964, les contacts n’avaient pas été très suivis avec le sous-continent latino-américain : les présidents péruviens et argentins étaient venus en voyage officiel en France, l’un en février, l’autre en juin 1960 ; lui-même avait été reçu par le collège des ambassadeurs latino-américains en poste à Paris l’année suivante lors d’une réception qui lui avait donné l’occasion de souligner les liens historiques unissant la France et l'Amérique latine. Il avait invité ensuite le président du Mexique, Adolfo López Matéos, à faire une visite officielle en France, qui eut lieu en mars 1963. En d’autres termes, même si le développement des Comités de la France libre et les témoignages d’affection des populations durant la guerre avaient fortement retenu son attention, le général de Gaulle, mobilisé par la fin du conflit algérien et les indépendances africaines, n’avait pas manifesté un très grand intérêt pour cette région.

Les choses ont commencé à changer, tout d’abord vis-à-vis du Mexique, à partir de la fin de 1962 : l’invitation, la première jamais faite à un président mexicain, s’est finalement accompagnée de prêts bonifiés concédés par la France. En retour, son propre voyage au Mexique, en mars 1964, sera également la première visite officielle d'un chef d'État français non seulement au Mexique mais en Amérique latine. Auparavant, dans sa conférence de presse du 31 janvier 1964, le général de Gaulle avait annoncé l’intention de la France de proposer aux pays d’Amérique latine, comme à d’autres, en Asie, de bénéficier de son aide publique au développement, jusqu’alors centrée sur ses anciennes colonies africaines. Le Président de la République juge alors révolue l’époque où les pays développés, et notamment l’Europe, pouvaient considérer le reste du monde comme exotique. Il indique que les progrès des sciences et techniques, des communications, la mondialisation, - déjà -, ont modifié la donne : l’œuvre de colonisation, « au bilan largement positif », et ce que la France, notamment, a apporté aux peuples du monde, doivent désormais être poursuivis et confortés par une relation d’une autre nature, de coopération, pour le bénéfice commun et réciproque de tous ceux qu’elle concerne, et de l’humanité dans son ensemble. (172) Même si le général de Gaulle indique sans ambiguïté que la France en attend une forme de « retour sur investissement » – au demeurant coûteux –, la coopération est par conséquent une œuvre de très grande ambition, qui « a des buts très élevés et des motifs très forts », et dépasse le cadre africain. En d’autres termes, « par cette voie, la France peut se porter vers d'autres peuples, qui dans d'autres continents accomplissent leur développement et sont plus ou moins avancés à cet égard. A des peuples qui nous attirent d'instinct, et de nature, à des peuples qui, pour leur propre effort, peuvent souhaiter trouver un concours qui soit suivant notre esprit et à notre manière, et qui voudraient, par conséquent, nous associer à leur progrès et inversement, réciproquement, prendre leur part de tout ce qui est de la France ». C’est la raison pour laquelle il se propose de l’offrir au pays d’Amérique latine : « C'est de cela que nous allons prochainement nous entretenir avec M. López Mateos, président du Mexique, et plus tard, avec les gouvernements de l'Amérique du Sud, à l'occasion de voyages que j'espère pouvoir y faire. » (173)

b) Un voyage présidentiel unique

Exceptionnel par sa durée, ce premier voyage d’un chef d’Etat français l’est aussi car le général de Gaulle visite la totalité du Cône sud, soit dix pays en trois semaines. (174) Après le Mexique en mars, c’est aussi la deuxième fois dans la même année que le Président de la République se rend en Amérique latine.

Le Président français commence par arriver au Venezuela le 21 septembre où il est reçu par le Président Leoni, avant de prononcer un discours devant le Parlement. Il part dès le lendemain en Colombie, où il a des entretiens à Bogota avec le Président Valencia et prononce des allocutions au palais de San Carlos puis devant les parlementaires. Le 24 septembre, il est en Equateur pour s’entretenir à Quito avec la junte et prononcer une allocution en espagnol depuis le balcon du Palais national. Un schéma identique règle son séjour au Pérou où, du 25 au 27 septembre à Lima, il s’adresse à la population depuis le balcon du Palais municipal, s’entretient avec le Président Belaúnde Terry, et prononce une allocution devant les deux Chambres du parlement. Depuis la Bolivie où il séjourne le 28 septembre pour rencontrer le Président Paz Estenssoro et délivrer une allocution depuis la préfecture de Cochabamba, il s'embarque à bord du croiseur Colbert pour le Chili. Il est accueilli à Valparaiso le 1er octobre par le Président Alessandri, avant d’être reçu au Congrès et d’accorder une audience au président élu, Eduardo Frei, qu’il recevra à Paris en visite officielle l’année suivante. Ce seront ensuite les étapes argentine, du 3 au 5 octobre, paraguayenne, les 6 et 7 octobre, uruguayenne, les 8 et 9, et enfin brésilienne, du 13 au 15 octobre, au cours desquelles un protocole identique se répète, immuable : rencontre avec le Président de la République, allocution devant les parlementaires, discours public à la population. S’y ajoutent bien sûr d’autres rencontres, avec les cadets des écoles militaires, les étudiants des universités, et la visite des lieux et monuments les plus symboliques de l’histoire de chaque pays. Le général de Gaulle ne manque évidemment pas de se rendre sur les lieux où la France est présente à divers titres : Alliances françaises, collèges et lycées français, et investissements français locaux, comme les usines Simca à São Paulo. Il rentre en France le 16 octobre.

Pour reprendre l’analyse de Raymond Offroy déjà citée, les grands thèmes abordés par le général de Gaulle au long de son voyage se déclinent en trois rubriques principales : en premier lieu, le resserrement des liens entre l'Amérique latine et la France, articulé sur le rappel systématique des souvenirs historiques communs, anciens ou récents, pour souligner la communauté qui existe entre les pays d'Amérique latine et la France. Ces liens traduisent l’existence d’idéaux communs et « l'attachement aux notions d'indépendance de liberté et de paix, la défense des droits de l'homme, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, l'aide aux pays insuffisamment développés ».

Pour rendre effectif ce rapprochement, comme il l’avait annoncé le 31 janvier précédent, le général de Gaulle va mettre en avant l'aide économique et financière que la France peut apporter. Il reste néanmoins prudent, compte tenu des possibilités limitées et de l'ampleur des engagements dans le reste du monde et notamment en Afrique francophone. Sont néanmoins soulignés le développement de la coopération et le rôle d'entraînement que la France peut jouer en Europe pour que cette coopération prenne toute son ampleur. Sur un plan bilatéral, il proposera aussi des mesures nouvelles concernant l'augmentation des bourses aux étudiants.

Enfin, s’estimant en droit de conseiller de plus jeunes Etats au nom de l’ancienneté de la relation commune et aussi de ce que la France représente en Amérique latine, le général de Gaulle promeut de manière insistante la question de la restauration de la démocratie dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle n'était pas alors très répandue dans la région, à tout le moins fragile : fin mars, le Président Goulart avait été renversé par un coup d’Etat militaire au Brésil, qui entamait une période ininterrompue de plus de vingt ans de dictature, et en Bolivie, Victor Paz Estenssoro allait l’être à son tour avant la fin de l’année. Surtout, le général de Gaulle allait appeler à lutter contre les inégalités sociales, à faire en sorte que les richesses du pays ne profitent pas simplement à quelques oligarchies intérieures ou étrangères, et à veiller à ce que ces ressources soient mieux réparties entre tous les citoyens, ajoutant, qu’il fallait « lutter contre la misère, l'ignorance, le chômage, assurer partout le respect des droits de l'homme et de la souveraineté du peuple. »

Le Président français incitera aussi ses interlocuteurs à envisager l’intégration régionale à l'instar de ce que l'on tente de faire en Europe, thématique sur laquelle, compte tenu de la faiblesse structurelle des économies de la région, les espoirs étaient alors faibles, malgré le projet de Marché commun latino-américain. Pour le général de Gaulle, en tout cas, l’intensification des relations de l’Amérique latine avec le reste du monde, et notamment avec l’Europe et la France lui permettra d’occuper « la place à laquelle elle a droit dans le monde, en même temps que le sentiment qu'elle est capable de jouer un rôle correspondant à ses ressources, à ses capacités intellectuelles et morales ; l'Amérique latine pourra devenir ainsi une grande puissance qui comptera dans toute l'étendue de la planète. »

En d'autres termes, et pour limitées qu’aient pu être les retombées immédiates de cette tournée latino-américaine, force est de constater qu’ont été prononcées à cette occasion des paroles fortes, avant-gardistes, évidemment prématurées pour les interlocuteurs du président français, mais non pas illusoires, si l’on songe au chemin parcouru depuis par l’ensemble des pays de la région, tant en ce qui concerne l’intégration que la démocratie. (175) Quoi qu’il en soit, outre l’enthousiasme de la jeunesse au passage du général, seules quelques entreprises françaises en tireront un bénéfice direct, qui emporteront de haute lutte, face à la concurrence américaine sur sa chasse gardée, les marchés des métros de Mexico, dans un premier temps, puis, quelques années plus tard, de Caracas et de Santiago. Pour Raymond Offroy, en cela comme en d’autres domaines, les propos tenus durant ce périple ont été prémonitoires et « de plus en plus nombreux sont les États qui appliquent avec vingt ans de retard, les consignes du général de Gaulle », jusqu’à se défaire de la tutelle américaine et à diversifier leurs relations internationales.

c) Insérer le Cône sud dans l’équilibre mondial

On aurait pu s’attendre à ce que le voyage du général de Gaulle dans l’ensemble des pays du Cône Sud à l’automne 1964 soit une tentative de resserrer certains de ces liens par trop relâchés, qu’il soit comme une réaction, en quelque sorte, aux alertes nombreuses et récurrentes qui provenaient de la région. Ce n’est cependant pas le propos du Président de la République.

En fait, ce voyage doit être avant tout analysé comme une tentative de jouer de la relation bilatérale de la France avec chacun de ses partenaires latino-américains pour mieux peser sur le dialogue est-ouest. Le but du général de Gaulle est avant tout, si ce n’est exclusivement, à lire les comptes-rendus disponibles de ses déplacements (176), que le développement de l’Amérique latine et de chacun de ses pays leur permette de jouer un rôle dans l’équilibre entre les deux grandes puissance nucléaires.

En effet, systématiquement, le Président français indique, comme il fera par exemple dans ses entretiens avec le Président Guillermo Valencia à Bogotá, que « nous ne pouvons plus vivre sous la menace d’une bombe atomique et divisés par une rivalité entre les Etats-Unis et l’Union soviétique » et que « le monde ne peut plus être la scène d’une concurrence entre deux géants », ajoutant que « des pays comme la Colombie et comme la France ont leur valeur propre et réalisent d’importants progrès ; elles aussi doivent pouvoir participer aux affaires mondiales. » Raison pour laquelle le général de Gaulle déclare souhaiter « que nos relations déjà bonnes deviennent plus étroites encore et ce, dans les domaines culturel, technique, économique et même politique. » (177)

De même, précisera-t-il à Buenos Aires, « si la France s’intéresse à l’Amérique latine, et plus particulièrement à l'Argentine, c’est parce que nous sommes un pays qui a failli disparaître à la suite de guerres mondiales et que (…) la France s’oriente donc de façon absolue vers la paix internationale. (…) Il ne suffit pas que cette paix repose sur un accord entre Washington et Moscou, tous deux détenteurs de bombes nucléaires. Pour que l’équilibre réel soit réalisé, (…) il doit pouvoir compter également sur une participation effectivement active du reste du monde. C’est là que se précisent les responsabilités de l’Europe et de l’Amérique latine [qui est] tout aussi nécessaire à cet équilibre, pourvu que chaque Etat la constituant et l’ensemble de ces Etats deviennent une réalité internationale. » (178)

C’est donc sur cette base que la France est disposée à renforcer son aide avec les pays de la région, pour qu’ils puissent mieux s’autonomiser : le développement de chacun est une question capitale pour l’avenir du monde, la politique française est en ce sens, d’autant plus aisée que « entre Latins d’Amérique et Latins d’Europe doivent s’établir des rapports organiques forts, publics. C’est là l’objet de ce voyage. » (179)

En d'autres termes, si le général de Gaulle n’avait eu cette préoccupation d’ordre stratégique, on peut se demander s’il aurait entrepris ce déplacement : si l’Asie ou l’Afrique lui avaient alors semblé plus à même de jouer ce rôle entre les deux superpuissances, n’aurait-il pas choisi d’autres destinations que les pays du Cône sud ?

2) La France n’a jamais eu de politique latino-américaine

Ce voyage mis à part, si l’on regarde les relations politiques que notre pays a entretenues sur la longue durée avec les pays du sous-continent, force est de constater que le bilan est des plus maigres. Ce déplacement a constitué sans conteste l’exception qui confirme malheureusement la règle selon laquelle les présidents français se rendent peu, voire pas, dans cette région. Depuis 1969, aucun des successeurs du général de Gaulle n’a non plus placé le sous-continent au centre de sa politique étrangère, et, au moins depuis au moins les débuts de la Ve République, l’Amérique latine n’a jamais figuré au rang des priorités de la diplomatie française.

a) Une région hors des préoccupations de Georges Pompidou et de Valéry Giscard d’Estaing

En premier lieu, alors même qu’elle s’inscrivait dans le prolongement immédiat de celle du général de Gaulle, la diplomatie conduite par le Président Georges Pompidou entre les années 1969 et 1974 s’est essentiellement consacrée à quelques priorités bien délimitées : l’équilibre entre grandes puissances, la place de la France entre les Etats-Unis et l’URSS et sa relation avec la Chine, la relance de la construction européenne et le dialogue avec la RFA. Les questions touchant à l’Afrique subsaharienne, aux Proche et Moyen-Orient, autour de la guerre du Kippour ou du rapprochement avec la Tunisie et le Maroc, ou encore vis-à-vis de l’Algérie, complètent l’agenda. En d’autres termes, la politique étrangère de Georges Pompidou n'a pas manifesté d’intérêt spécifique pour l'Amérique latine. Sa politique étrangère s’est classiquement articulée autour de trois pôles : l'Europe, la guerre froide, et l'Afrique. (180)

Georges Pompidou aura bien sûr l’occasion de recevoir quelques uns de ses homologues latino-américains – les présidents du Costa Rica en 1970, du Panamá en 1971, puis, en 1973, les présidents du Mexique et du Paraguay. Mais au cours des quelque cinq ans de sa présidence écourtée, sur les 24 voyages officiels qu’il aura effectués, aucun ne sera en direction de la région : outre les « grands » voyages, vers les Etats-Unis, l’URSS et la Chine, historique, les autres correspondent aux sphères d’influence traditionnelles, priorité étant donnée aux partenaires européens et à l’Afrique noire, essentiellement francophone (181). Aujourd’hui, l’association qui est consacrée à sa mémoire (182) ne présente sur son site aucun document ou discours majeur qui illustrerait l’intérêt du Président de la République et une quelconque intention diplomatique envers cette région, qui apparaît singulièrement absente de sa géographie. Il faut convenir à cet égard que le contexte régional n'était sans doute pas des plus favorables pour entretenir des relations soutenues : à l’instabilité politique du continent, s’était notamment ajoutée une vive tension avec le Pérou liée aux essais nucléaires français dans le Pacifique jugés responsables d'un tremblement de terre en 1971, qui furent prétexte à une rupture des relations diplomatiques par Lima en juillet 1973.

Le colloque que l’association a organisé à l’Assemblée nationale le 22 juin 2011, « Georges Pompidou et l’influence de la France dans le monde », articulé autour des aspects politiques, économiques et culturels, n’a pas non plus eu à aborder l’Amérique latine dans les thèmes qu’il a traités, et la communication présentée sur « Les voyages et discours de Georges Pompidou à l'étranger (1962-1974) » a logiquement fait l’impasse sur le sous-continent.

Seul ressort de cette période, le souci du Président Pompidou d’essayer de rééquilibrer l’influence de la France par rapport à celle des Etats-Unis, en usant de divers instruments, notamment de la proximité culturelle et linguistique entre la France et l'Amérique latine. Georges Pompidou, dans un discours à la Maison de l’Amérique latine prononcé en février 1971, aura ainsi l’occasion d’exprimer le souhait que le français se développe en Amérique du sud, et envisagera en retour un soutien au développement de l'espagnol et du portugais dans les universités françaises. D’une manière plus globale, il défendra aussi l’idée d’un développement plus équilibré des relations économiques et la promotion des échanges avec la CEE, toujours dans une optique de rééquilibrage par rapport à l'influence américaine.

C’est une impression semblable d’oubli qui ressort de la lecture de l’ouvrage collectif que Samy Cohen et Marie-Claude Smouts ont dirigé sur « La politique extérieure de Valéry Giscard d’Estaing » (183). La dimension mondiale de la diplomatie française à partir des années 1974 met surtout l’accent sur le dialogue Nord-Sud alors promu par le Président de la République française : en effet, bien avant que le G20 ne se saisisse des thématiques de développement, la diplomatie giscardienne voulut mettre en relief la communauté de destin entre pays développés et pays pauvres, comme en témoigne le communiqué final du sommet de Rambouillet en 1975. Dans cette optique globale, ce sont très nettement les relations avec l’Afrique et les pays arabes qui seront privilégiées, bien plus que celles entre la France et l’Amérique latine ou certains de ses pays. On peut notamment rappeler à cet égard le « Trilogue » (184) lancé à partir de 1979 par le Président de la République, pour une coopération régionale entre l’Europe, l’Afrique et les pays arabes, cherchant, déjà, à articuler les thématiques de sécurité et de développement.

b) Les velléités contrariées du Président Mitterrand

La politique latino-américaine de François Mitterrand n’a pas fondamentalement différé de celles de ses prédécesseurs. Il a suffisamment été dit que la politique étrangère du premier Président de la République socialiste avait été plus de continuité que de rupture pour qu’il soit nécessaire de revenir longuement sur cet aspect. Comme le feront remarquer les observateurs avisés de ses mandats, « François Mitterrand accède au pouvoir après une très longue réflexion sur les questions internationales et les rapports de force planétaires. Marqué par la Seconde Guerre mondiale, les conflits coloniaux, la guerre froide, et les espérances européennes de l’après-guerre, il s’est forgé une opinion sur les questions centrales de la décennie qui commence : les rapports Est-Ouest, la construction européenne, les relations franco-allemandes et l’avenir du Tiers-Monde. » (185). Les principaux centres d’intérêt du Président Mitterrand ne seront donc pas fondamentalement différents de ceux de Valéry Giscard d'Estaing ou de Georges Pompidou. En ce qui concerne le Sud, il s’attachera lui aussi à promouvoir le développement sans lequel la démocratie est impossible et jouera surtout de la carte multilatérale sur ce sujet. Vis-à-vis de l’Amérique latine, « la diplomatie mitterrandienne visa à encourager moralement le retour à la démocratie, que le Président salue en se rendant au Brésil, puis en Argentine, une fois ces peuples débarrassés de leurs régimes militaires. En même temps, il ne rompt pas les relations diplomatiques avec le Chili, encore sous la dictature du général Augusto Pinochet depuis l’assassinat de Salvador Allende en 1973. Pour lui, le principe de Talleyrand demeure valable : la France reconnaît les Etats, pas les gouvernements » (186)

Cela étant, les relations Nord-Sud sont l’occasion pour le Président de la République de marquer sa différence en soutenant fortement les demandes des pays du Tiers-Monde en faveur d’échanges plus équilibrés. Leurs revendications sont considérées comme d’autant plus légitimes que, à l’instar de Valéry Giscard d’Estaing qui avait déjà plaidé en ce sens, le développement des pays pauvres est vu comme une condition de la stabilité du monde et un facteur de sortie de la crise des économies du Nord. L’un des tout premiers déplacements à l’étranger de François Mitterrand portera précisément sur ces questions et la Conférence Nord-Sud de Cancún sera l’occasion pour le Président de la République de prononcer une allocution le 20 octobre 1981 à Mexico, dans laquelle seront conviés les héritages spirituels communs, l’amitié exceptionnelle entre deux peuples et la « fraternité entre fils de deux révolutions ». C’est à ce titre aussi que les tout premiers mois de cette présidence montreront plus de velléités d’activisme que jamais vis-à-vis de la situation en Amérique centrale : la guérilla salvadorienne est ainsi l’objet d’un soutien franco-mexicain aux Nations Unies, sans réelle suite, la réaction vive des Etats-Unis de Ronald Reagan à cette « ingérence » dans leur pré carré ne permettant pas à notre pays d’aller plus loin.

« La grande politique latino-américaine de la France à laquelle de Gaulle avait fait rêver pendant les quelques semaines de sa tournée latino-américaine de 1964 » (187) en restera là.

Ultérieurement, en 1992, c’est encore depuis une autre ville du sous-continent, Rio de Janeiro, que François Mitterrand prononcera un discours (188) qui fera également date par son lyrisme. Cette intervention ne s’adressa certes pas à proprement parler à l’Amérique latine. Il n’est cependant pas indifférent de relever que c’est encore une fois depuis cette même terre latino-américaine que le Président de la République choisit d’adresser au monde, et à ses membres les plus pauvres, un appel à la paix et à un nouvel ordre international fondé sur la solidarité.

c) L’Amérique latine comme contrepoids à l’hégémonie américaine sous Jacques Chirac

Plus récemment, est-ce aussi un hasard si un très récent colloque organisé par le CERI en partenariat avec le Centre d’histoire de Science Po sur « La politique extérieure de la France sous les présidences de Jacques Chirac » (189), n’a pas cru devoir inclure cette région dans son programme ? Les discussions avaient été articulées autour de trois axes : « la France dans l’Europe », « la gestion de l’après-guerre froide et la multipolarité » et « Multilatéralisme et ouverture aux pays émergents ». Ce dernier thème a notamment permis d’aborder des sujets comme « Jacques Chirac et l’Afrique », ou « Jacques Chirac et la Chine ». La politique arabe de la France a été traitée par une communication sur le « Réchauffement des relations avec le Maghreb et renouveau de la politique arabe », le dernier sujet de ce thème portant sur « Multilatéralisme, ONU et aide au développement ». Les Balkans, l’Irak et la brouille franco-américaine, l’OTAN, l’Europe centrale, le couple franco-allemand ou encore les relations avec la Russie, ont alimenté les deux autres tables rondes, mais sur l’ensemble de la journée, les relations avec l’Amérique latine ont été singulièrement – et significativement, selon votre Rapporteur –, absentes des sujets débattus lors cette rencontre. Cela, alors même que cette présidence est probablement, par certains côtés, l’une de celles qui aura été les plus actives en direction de cette région et qui aura commencé de marquer une inflexion, comme on le verra plus loin. Alors même que le président Chirac est le seul qui, depuis le général de Gaulle ait effectué une tournée régionale dans le Cône sud, certes moins importante que celle de son prédécesseur, mais qui l’avait néanmoins amené à visiter cinq pays en une semaine, en mars 1997 : le Brésil, avec des étapes à Brasilia et São Paulo, l’Uruguay, la Bolivie, le Paraguay et l'Argentine.

A cet égard, sans doute peut-on dire que la relation avec l’Amérique latine défendue au cours des mandats du président Chirac, en particulier durant le second, a surtout répondu au souhait d’initier des politiques régionales dynamiques, comme se fut le cas aussi vis-à-vis de l’Asie ou de l’Afrique, dans le but de mieux faire contrepoids à l’hégémonisme américain. Vis-à-vis de l’Amérique latine, ce rapprochement a été « d’autant plus fructueux que le continent a connu l’alternance politique : sont arrivés au pouvoir des dirigeants réticents à l’influence américaine et ouverts à l’idée française de promotion du multilatéralisme. » (190). En d’autres termes, ce n’est pas tant une relation recherchée pour ce que représentait alors l’Amérique latine en elle-même, ou pour ses propres potentialités, mais plus parce qu’elle permettait, grâce à des relations bilatérales privilégiées, de trouver des appuis, au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies par exemple, pour peser dans la relation tendue que la France avait avec les Etats-Unis au long de ces deux présidences (191). En ce sens, vis-à-vis de ce sous-continent, la diplomatie chiraquienne s’inscrit dans l’exacte continuité de celle du général de Gaulle.

On peut aussi relever que c’est précisément aux Nations Unies que le dialogue sera engagé par le Président Chirac avec ses homologues Lula da Silva, du Brésil, Ricardo Lagos, du Chili, et avec le Président du gouvernement espagnol, José Luis Zapatero, auxquels sera associé le Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, dans le cadre d’une réunion sur les moyens de respecter les engagements de l’agenda du Millénaire sur la lutte contre la pauvreté et la faim. C’est également en compagnie du Président Lula que Jacques Chirac s’est prononcé en 2004 sur les financements innovants pour le développement et a notamment instauré la taxe sur les billets d’avion qui contribuera avec le succès que l’on sait à la lutte contre le sida.

Cette politique n’empêchera pas cependant des moments de tensions avec la région, notamment avec les pays de la façade pacifique du sous-continent, lorsque le Président de la République décidera au début de son premier mandat de rouvrir une campagne d’essais nucléaires en Polynésie, qui causera du tort à l’image de la France dans des pays comme le Chili, l'Equateur, ou le Pérou, dont on connaissait déjà la particulière sensibilité à cette question.

3) La période actuelle : continuité de la diplomatie française

Quoi qu’il se soit passé depuis les débuts de la Ve République, de quelque manière qu’aient pu évoluer les pays latino-américains, force est de constater que la place qu’ils occupent encore aujourd’hui dans notre politique étrangère reste relativement modeste, à une exception près. Cette discrétion ne porte pas seulement sur l’action diplomatique. Elle se situe aussi au niveau de la réflexion stratégique globale, dans laquelle l’Amérique latine n’apparaît généralement que comme une incidente.

a) L’absence de l’Amérique latine dans la réflexion diplomatique et stratégique de la France

Ainsi, il n’est pas indifférent de relever que dans le recueil d’articles et d’entretiens qu’il a publié (192), un observateur aussi avisé qu’Hubert Védrine semble faire quasiment l’impasse sur l’Amérique latine. Il survole la redistribution des cartes en train de s’opérer, aux rebondissements multiples et à l’issue incertaine, sans vraiment mentionner cette région. Parmi les pays émergents, c’est surtout la Chine qui retient son attention, le Brésil se voyant à peine évoqué. De même, dans le rapport qu’il a remis au Président de la République en 2007 sur la mondialisation (193), l’ancien ministre des affaires étrangères indique, logiquement, que « notre politique étrangère doit prendre la mesure des grands pays émergents » et qu’« à leur égard, notre action doit se situer à deux niveaux : au niveau de la France, une vraie politique chinoise par exemple : un monsieur Chine à l’Elysée dans la cellule diplomatique jusqu'aux échéances de 2008 et de 2010, un vrai investissement diplomatique et intellectuel sur l’Inde, le Brésil, etc… Au sein de l’Union européenne, la pousser à bâtir un rapport de force global avec chacun des émergents qui garantisse l'équilibre des coopérations et qui les convainquent qu’ils ont, eux aussi, intérêt à des règles économiques et à des normes environnementales (…). (194) » Votre Rapporteur ne voit là rien qui traduise la marque d’une attention et d’intérêt particuliers pour le sous-continent qui nous retient ici.

Cela vaut d’ailleurs pour l’ensemble de la réflexion diplomatique et stratégique que notre pays a entrepris ces dernières années.

Ainsi, le Livre blanc, « La France et l’Europe dans le monde », publié en 2008 (195), est-il singulièrement muet quant à la question de la présence et des intérêts de notre pays en Amérique du sud. Ce n’est que lorsque des thèmes touchant aux pays émergents sont abordés que, inévitablement, le Brésil se trouve mentionné. Cependant, lorsqu’il est question du renouvellement de nos stratégies d’influence, de la promotion des idées et de la culture françaises (196), alors même que la proximité culturelle, la latinité commune, depuis des décennies sont inlassablement rappelées, rien ne ressort quant à ce que notre diplomatie pourrait mettre en œuvre ou réactiver pour récupérer un terrain que l’on sent depuis longtemps perdu. Sur un autre plan, l’analyse des exportations françaises vers les émergents, et des faibles performances des entreprises de notre pays, par comparaison à celles d’autres pays européens, amène les auteurs à dire qu’il « convient de mettre l’accent sur la vocation politique et économique de notre présence. Les grands pays émergents (Chine, Inde, Russie, Brésil, Afrique du Sud, Mexique…) aspirent à être reconnus pour des acteurs majeurs. Reconnaître ce rôle en développant avec chacun d’eux dans les secteurs les plus porteurs un dialogue et des coopérations ciblées – auxquelles le secteur privé français peut être intéressé de contribuer – est devenu indispensable. » (197). On n’y trouve pas pour autant d’axe particulier défini en direction du Brésil, du Mexique ou de l’Argentine.

Il en est de même du Livre blanc « Défense et sécurité nationale » (198) qui, de son côté, ne s’intéresse à l’Amérique latine que sous l’angle exclusif des menaces : criminalité organisée et trafics de drogue. Mieux, alors même que la France négociait depuis déjà assez longtemps un partenariat stratégique avec le Brésil qui serait conclu à la fin de cette même année 2008 (199), aucune mention n’en est faite, ni pour ce qu’il représente au niveau bilatéral, ni au niveau régional, alors même que le document traite, certes allusivement, des partenariats parallèlement envisagés ou envisageables avec les pays du bassin méditerranéen et africains, ou avec la Russie. La question du Brésil n’est abordée que sous l’angle de l’élargissement du Conseil de sécurité des Nations Unies.

Or, pour ne prendre qu’un exemple, d’une part et depuis plusieurs années, avair également cours entre la France et le Brésil une coopération dans le domaine des programmes d'aéronautique militaire (200) ou de la défense : le 29 janvier 2008, un accord avait été signé entre les deux gouvernements relatif à la coopération dans le domaine de la défense et au statut de leurs forces armées. D’autre part, le partenariat stratégique franco-brésilien de 2008 organise la coopération bilatérale en matière stratégique, spatiale, sécuritaire, sans omettre les thématiques plus contemporaines touchant aux menaces à l’environnement, à la biodiversité et au climat qui appellent des partenariats internationaux. Autant de sujets que le Livre blanc traite de son côté.

Cette impasse faite sur l’Amérique latine dans le Livre blanc est d’autant plus étonnante, voire regrettable, qu’à côté de la relation privilégiée que notre pays entretient avec le Brésil, des coopérations ont également été initiées avec d’autres pays de la région sur des volets militaires, de sécurité ou sur les enjeux globaux, comme la convention de coopération militaire en vigueur depuis 2008 avec l’Argentine (201) ou l’accord bilatéral franco-uruguayen du 5 avril 2005 (202), pour ne prendre que ces deux exemples.

En d'autres termes, le sous-continent latino-américain est clairement le grand absent de notre réflexion diplomatique et stratégique et l’Amérique latine paraît être Terra incognita pour la France (203). On voit par conséquent que notre diplomatie est en cela en complet hiatus avec celles de nos principaux partenaires européens qui ont perçu que l’Amérique latine méritait mieux que les quelques notes de bas de page que nous lui consacrons.

b) L’approche de l’Amérique latine par Nicolas Sarkozy

A l’instar de ses prédécesseurs, lorsqu’il a été élu, le Président Nicolas Sarkozy n’était pas non plus particulièrement tourné vers l’Amérique latine dans laquelle il n’avait pas effectué de déplacement, à l’exception de la Guyane.

Moins anecdotique, le fait que l’Amérique latine n’apparaissait pas non plus comme une de ses priorités de politique extérieure au début de son mandat présidentiel. Il entamait ainsi un entretien réalisé quelques semaines avant son élection : « Il me semble que, jusqu'à présent, nous ne nous sommes pas suffisamment posé une question essentielle : quelle doit être la « colonne vertébrale » de notre politique extérieure ? (…) l'évolution du monde nous contraint à préparer certains changements. Bref, je crois le temps venu de doter la diplomatie française d'une « doctrine ». La doctrine ne doit pas empêcher le pragmatisme dans la conduite des affaires. Une doctrine, c'est une vision claire du monde, des objectifs de long terme et des intérêts que nous défendons. C'est un ensemble de valeurs qui guident notre action. C'est ce qui donne, dans la durée, un sens et une cohérence. C'est la condition de notre indépendance. » (204)

Cela étant posé, c’est l’Union européenne et son évolution institutionnelle qui occuperont l’essentiel du propos du futur président au long de cet entretien, ainsi que la question turque, le dialogue franco-américain, la sécurité des approvisionnements énergétiques, l’immigration, et quelques autres grands sujets internationaux. L’Amérique latine n’est évoquée par le futur président, et très brièvement, qu’à deux reprises : en ce qui concerne le réchauffement climatique et le Conseil de sécurité des Nations Unies.

Plus précisément, Nicolas Sarkozy indiquait simplement que les BRIC « devront prendre toute leur part dans la lutte pour le respect de l’environnement » (205). Sur le thème des Nations Unies, un peu plus développé, il déclarait que « si l'on veut préserver l'efficacité des Nations unies, l'autorité du Conseil de sécurité doit être incontestable. Il faut, pour cela, renforcer sa représentativité, tout simplement parce que le monde a changé. Cet élargissement du Conseil doit concerner toutes les régions de la planète et, en particulier, les pays du Sud. Des grands pays comme l'Allemagne, l'Inde, le Japon ou le Brésil doivent y jouer un rôle permanent, et l'Afrique comme l'Amérique latine doivent également y être représentées. » (206). C’est d’ailleurs sous cet angle que le Président de la République traite de l’Amérique latine lorsqu’il s’adresse à la Conférence des ambassadeurs chaque année (207).

c) Des tensions et quelques ratés…

L’Amérique latine va en revanche assez vite occuper une place importante au début du mandat du Président Nicolas Sarkozy.

Le futur Président de la République avait notamment indiqué durant sa campagne qu’il se battrait pour obtenir la libération d’Ingrid Bétancourt, détenue depuis plusieurs années par les Forces armées révolutionnaires de Colombie, FARC. De fait, cette affaire mobilisera les efforts de la diplomatie française dès les premiers mois du mandat de Nicolas Sarkozy. Ses initiatives et son activisme ne seront pas toujours du goût de ses interlocuteurs latino-américains et ses commentaires sur celles du gouvernement et de l’armée colombiens par exemple, déplairont. La libération d’Ingrid Bétancourt, au début du mois de juillet 2008, lors d’une intervention des forces armées colombiennes contre les FARC, viendra heureusement mettre un terme aux polémiques.

Plus tard, dans un registre comparable, celui du cas de Florence Cassez détenue au Mexique, la gestion française suscitera également des crispations chez nos partenaires, jusqu’à l’annulation brutale de l’Année du Mexique en France au début de l’année 2011, à quelques semaines seulement du début des manifestations.

Indépendamment de ces aspects, l’année 2008 était aussi celle au cours de laquelle devait se tenir en mai, à Lima, le cinquième sommet bilatéral entre l’Union européenne et l’Amérique latine. Nicolas Sarkozy a annulé sa participation et, pour la première fois depuis l’instauration de cette rencontre, le Président de la République française n’était pas présent à un événement devenu majeur dans la relation transatlantique. Cette absence a été mal perçue par les dirigeants latino-américains. Par le Pérou hôte, en premier lieu, qui prenait cette absence comme un second affront, après que la France n’eut pas envoyé de représentation gouvernementale à l’intronisation du président Alan Garcia en juillet 2006. Et plus généralement, parce que la rencontre se déroulait à quelques semaines des débuts de la présidence française de l’Union européenne et que, pour les gouvernements latino-américains, cette absence augurait mal de l’intérêt de la France pour la région. Cela a d’ailleurs été signifié au Premier ministre François Fillon qui avait fait le déplacement à la place du Président de la République et avait argué pour la justifier d’un partage des rôles au sommet de l’Exécutif en matière de relations internationales.

d) L’Amérique latine enfin à la mode ?

Au début de l’année 2009, un article paru dans le Figaro.fr (208) indiquait toutefois que, après des années pendant lesquelles « le continent n'existait plus au Quai d'Orsay et à l'Elysée qu'à travers la personne d'Ingrid Betancourt », l’Amérique latine revenait « à la mode à Paris ». Pour l’auteur, le Président de la République s’était en effet donné deux priorités pour l’année 2009 : le Golfe et l'Amérique latine, compte tenu des importantes perspectives commerciales que notre pays pouvait espérer de cette région. En témoignaient la bonne résistance de la région à la crise et le fait que les entreprises françaises disposaient d’avantages, à la différence de celles de l’Espagne ou des Etats-Unis, envers lesquelles existait une méfiance historique.

De fait, l’Elysée annonçait alors les futurs déplacements du Président au Brésil, en Bolivie et au Mexique. Nicolas Sarkozy s’était déjà rendu au Brésil fin décembre 2008 pour conclure à Rio de Janeiro avec son homologue Luiz Inácio Lula da Silva un important partenariat stratégique. Les perspectives économiques offertes par la Bolivie aux entreprises françaises étaient alors jugées très intéressantes, compte tenu notamment des exceptionnelles ressources géologiques du pays, entre autres en lithium, et les projets du Mexique, en matière aéronautique notamment, retenaient l’attention des industriels français.

Le déplacement en Bolivie ne se fera pas et, à ce jour, en ce qui concerne le Cône Sud, Nicolas Sarkozy ne s’est finalement rendu qu’au Brésil, à trois reprises : les 22 et 23 décembre 2008, dans le cadre de deux sommets, l’un bilatéral franco-brésilien, l’autre Union européenne - Brésil ; les 6 et 7 septembre 2009, pour une visite d’Etat et enfin le 27 novembre 2009 pour le sommet des chefs d’Etat amazoniens, réuni à Manaus sur le réchauffement climatique. (209)

En parallèle, Nicolas Sarkozy a reçu un certain nombre de ses homologues depuis le début de son mandat. En premier lieu, le Président brésilien, à plusieurs reprises, que ce soit en métropole ou en Guyane, ainsi que les Présidents successifs du Chili, Michèle Bachelet tout d’abord en mai 2009, puis Sébastián Piñera en octobre 2010. La Présidente argentine, Cristina Fernández de Kirchner, en avril 2008, le Président équatorien, Rafael Correa, en mai 2008, le président bolivien Evo Morales, en février 2009, et enfin le Président colombien, Juan Manuel Santos en janvier 2011, ont également été les hôtes du Président de la République. (210)

En d’autres termes, les relations politiques bilatérales sont loin d’être inexistantes entre la France et ses partenaires d’outre-Atlantique sud. Elles se traduisent cependant bien plus par des visites de chefs d’Etat étrangers en France que des déplacements du Président de la République. Il n’est que de regarder le globe virtuel du site de la présidence de la république pour se rendre compte que des régions comme l’Afrique ou l’Asie sont, sur ce plan, bien mieux servies que le Cône Sud. La rareté des déplacements présidentiels n’empêche toutefois pas la conclusion d’accords importants sur lesquels votre Rapporteur reviendra, et cela est évidemment le point positif qu’il convient de souligner.

Il semble que ce soit aujourd’hui aussi la voie multilatérale que la France a choisie de privilégier pour entretenir ses relations avec le Cône Sud. Dans un article paru il y a une dizaine d’années, l’ambassadeur de France Henri Froment-Meurice relevait une constante forte, président après président, quant au désir « gaullien » de maintenir la France au tout premier rang des puissances mondiales, chacun utilisant les instruments hérités de l’histoire lointaine ou de la guerre, pour cette volonté politique, sur lesquels la diplomatie pouvait s’ancrer : l’ex-empire, la place de la France aux Nations Unies, la construction européenne, la dissuasion. Il s’interrogeait sur la politique étrangère de la France dans un monde en pleine mutation, qui a plus évolué en vingt ans qu’entre la Seconde Guerre mondiale et 1980, et en concluait entre autres, que désormais, ce serait principalement à travers l’Europe que la France pourrait peser sur le cours des choses, au risque de voir son action rester stérile (211). D’une certaine manière, ce qui se passe vis-à-vis de l’Amérique latine confirme cette analyse.

4) Une approche essentiellement globale et multilatérale de l’Amérique latine

A l’exception notable du Brésil, tout se passe aujourd’hui comme si la relation de la France avec l’Amérique latine était surtout appréhendée d’une manière globalisée, dans des cadres plus multilatéraux que bilatéraux. Il en est ainsi, tant des thématiques mises en avant que des instruments utilisés, qui tendent à privilégier la voie multilatérale.

A titre d’illustration, la question de la lutte contre le réchauffement climatique vient évidemment en première ligne. C’est l’un des terrains sur lesquels le Président Sarkozy a articulé une part importante de sa relation avec le Président Lula da Silva. Après qu’ils ont signé un protocole de coopération à la fin décembre 2008 « pour la promotion du développement durable dans le biome (212) amazonien », puis conclu le 14 novembre 2009 un accord bilatéral dans la perspective de la Conférence de Copenhague qui devait se tenir quelques semaines plus tard, les deux présidents organisaient une réunion à Manaus pour tenter de rallier à leur cause leurs homologues de la région. Il s’agissait non seulement de partager des vues communes sur la question de la forêt amazonienne, mais plus largement, de les amener à s’engager à leurs côtés dans la lutte contre le réchauffement climatique afin de défendre des positions unifiées à Copenhague.

Au-delà, Nicolas Sarkozy et Luiz Inácio Lula da Silva entendaient aussi pousser la réflexion de leurs partenaires de la région sur l’institution d’une Organisation mondiale de l'Environnement qu’ils appelaient tous les deux de leurs vœux, le Brésil ayant rejoint sur ce dossier la France qui entend impliquer les pays en développement dans les négociations sur le climat.

Dans le même esprit, la France tient généralement un discours aux termes duquel il apparaît que sa relation avec l’Amérique latine s’inscrit avant tout dans le cadre de l’Union européenne, plus que dans une démarche bilatérale avec les différents pays de la région, compte non tenu du Brésil.

C’est notamment ce qui ressort des propos que le Premier ministre tenait à Lima en 2008, qui rappelait que la France, avec l'Espagne et le Brésil, était à l'origine des sommets Union européenne - Amérique latine, et qu’elle avait vocation à jouer un rôle déterminant dans le renforcement de ce partenariat. François Fillon précisait à cette occasion que pour la France, « les relations entre l'Amérique latine et l'Europe sont absolument essentielles pour aborder les questions les plus stratégiques pour l'avenir du monde : la question de la mondialisation ; quelles règles nous voulons en matière d'échanges économiques ; est-ce que nous voulons introduire l'idée d'une mondialisation plus éthique, plus humaine ? Comment lutter contre le réchauffement climatique ? Ce sont des sujets sur lesquels le dialogue qui s'est noué entre l'Union européenne et l'Amérique latine est un dialogue fructueux, un des dialogues les plus intenses qui soit entre deux grandes régions du monde, notamment sur la question du réchauffement climatique. » (213) Sur ce dernier sujet, dans la continuité de la réunion de Manaus, le Premier ministre avait à son tour appelé à l’union des efforts entre Européens et Latino-Américains, « avec un objectif stratégique, arriver à un accord pour la Conférence de Copenhague en 2009 », indiquant pour l’occasion que l’Amérique latine était la seule région avec laquelle l’Union européenne entretenait depuis longtemps « un dialogue stratégique sur la question du réchauffement climatique. »

Au-delà de cette première thématique, le Premier ministre avait rappelé le soutien de la France à la meilleure participation des pays latino-américains à la gouvernance mondiale, que ce soit dans les institutions internationales ou au sein des forums informels : « (…) c'est une idée que le Président de la République défend avec énergie. Nous voulons que le G8 se transforme en G13, parce que nous ne voulons pas que l'on continue à discuter des grandes affaires du monde en ignorant à la fois la Chine, l'Inde et l'Amérique latine, et l'Afrique ». En ce sens, les pays d'Amérique latine avaient toute leur place dans les grandes institutions financières internationales. A quelques semaines du début de la présidence française de l’Union européenne, le Premier ministre avait ajouté que « toute la politique qui est conduite aujourd'hui par l'Union européenne vis-à-vis de l'Amérique latine va se renforcer, va se poursuivre sous la présidence française. Le Président de la République lui-même aura l'occasion de venir sur le continent américain lors du sommet entre l'Union européenne et le Brésil en décembre 2009. Le Président de la République a indiqué au Président Calderón qu'il viendrait au Mexique au début de l'année 2009 et l'ensemble des sujets (…) seront au cœur des préoccupations de la présidence française de l'Union européenne, dans la continuité de ce qui a été fait depuis plusieurs mois. Et la volonté de la France, c'est de faire de l'Amérique latine un partenaire privilégié de l'Union européenne. »

En d'autres termes, sur les questions contemporaines, l’Amérique latine dans son ensemble est désormais vue par la France comme un partenaire obligé, indispensable pour faire avancer les grands dossiers internationaux. Cela doit évidemment être salué, dans la mesure où la dimension multilatérale de l’action pour traiter les enjeux de gouvernance mondiale – du réchauffement climatique, de la sécurité alimentaire, ou d’autres thématiques globales – est essentielle et doit être coordonnée entre tous les pays. D’une certaine manière, on peut faire le parallèle avec ce qui avait prévalu du général de Gaulle à Jacques Chirac, à savoir une vision globale de l’Amérique latine comme moyen pour la diplomatie française de faire contrepoids à la puissance nord-américaine. Pour le dire autrement, avec une remarquable continuité, la diplomatie française vis-à-vis de l’Amérique latine traduit une relation presque « utilitariste » : cette région existe, elle est appelée à prendre de l’importance, il convient de dialoguer avec elle et lui faire sa place pour qu’elle assume les responsabilités qui lui incombent. En d'autres termes, tout semble surtout se passer comme si la France ne pensait à l’Amérique latine qu’en ces termes, qu’elle ne se tournait vers elle que dans ce but.

Certes, le Premier ministre ne manquera pas de rappeler en parallèle lors de son déplacement à Lima que la France pouvait jouer un rôle « pour apaiser les tensions qui sont nées notamment entre la Colombie et le Venezuela et l'Equateur », et qu’il avait aussi profité de son séjour « pour assurer la promotion des projets économiques français ». Cela étant, sans forcer trop le trait, la dimension purement bilatérale de notre action vis-à-vis des pays d’Amérique latine ou, du moins, de certains d’entre eux, indépendamment de ce qui est mis en œuvre avec le Brésil, semble réduit à une portion de plus en plus congrue. La tendance à la multilatéralisation de la relation de la France avec les pays d’Amérique latine, si elle n’est évidemment pas récente, n’a fait que se confirmer au fil du temps, à mesure que l’action bilatérale tendait à décroître.

De sorte qu’un observateur latino-américain pouvait écrire il y a une dizaine d’années qu’on ne pouvait qu’être d’accord avec la vision française du monde et que l’Amérique latine ne pouvait qu’encourager son action. Pour autant, ajoutait-il, l’action de la France « pourrait bien, par rapport à ce qui précède, relever d’une attitude schizophrénique - non parce qu’elle dit une chose et en fait une autre, bien que cela se produise parfois, mais parce que la France dit une chose et ensuite ne fait rien en Amérique latine. » (214)

B – Les vecteurs d’influence

A ce stade de l’analyse, il s’agit de voir où se situe la France précisément dans sa relation avec le Cône sud. Trois aspects sont à distinguer : les moyens politiques et institutionnels de l’influence, dans un premier temps et la présence économique et commerciale. Aujourd’hui, la France a-t-elle su ou non inverser les tendances lourdes au déclin identifiées depuis longtemps ?

1) La France et les moyens de son influence politique et culturelle

Le bilan que l’on peut dresser est nécessairement en demi-teinte et laisse le sentiment qu’il pourrait être différent, d’autant que l’attente des partenaires latino-américains, comme on l’a vu, reste forte.

a) Une attention politique toujours insuffisante

Il faut tout d’abord rappeler que la relation politique que nous entretenons avec les pays d’Amérique latine manque toujours de substance : il en est aujourd’hui comme il en était hier. On peut dire qu’on ne s’est jamais vraiment intéressé à l’Amérique latine pour ce qu’elle est ou pouvait être, au mieux pour ce qu’elle pouvait apporter dans un équilibre multipolaire : comme une pièce à jouer sur l’échiquier de la France.

Plus prosaïquement, votre Rapporteur a déjà souligné l’insuffisance des déplacements ministériels, a fortiori présidentiels, trop peu nombreux dans cette région du monde. Cette réalité contraste singulièrement, on l’a vu (215), avec le soin avec lequel les dirigeants des autres pays européens entretiennent actuellement le dialogue politique avec leurs homologues latino-américains. L’argument parfois avancé de l’éloignement de la région et des difficultés de déplacements, ne saurait évidemment être retenu : que l’on sache, nos voisins en sont tout autant éloignés, voire même un peu plus, et leurs déplacements n’en sont pas moins fréquents et réguliers. Au demeurant, ce n’est pas non plus la distance qui limite les déplacements gouvernementaux vers l’Asie, la Chine en premier lieu.

La véritable question réside plus vraisemblablement dans cette désaffection des autorités politiques françaises pour le sous-continent, qui est regrettée par tous les interlocuteurs. Par les postes diplomatiques, en premier lieu, qui s’en sont faits les relais, et tentent de compenser cette discrétion par un surcroît d’activisme : seules quelques « destinations phares », le Brésil notamment, sont l’objet de visites plus régulières, parce que devenues incontournables. Mais si l’on regarde la rubrique « chronologie des relations bilatérales » du site Internet du ministère des affaires étrangères et européennes, force est de constater que ces dernières années, certains pays sont véritablement oubliés : c’est bien sûr le cas de petits pays comme le Suriname ou la Guyana, où aucune visite n’a été effectuée depuis 2006 voire même avant ; c’est aussi le cas du Paraguay : le dernier déplacement étant celui du Président Jacques Chirac lors de sa tournée régionale en 1997.

Le dernier ministre français, celui de la coopération, à s’être rendu en Uruguay, probablement la démocratie la plus avancée et stable du sous-continent, l’a fait en décembre 2006. Il s’agit pourtant d’un pays qui est un de ceux ayant un des revenus par habitant les plus élevés de la région, qui entretient des relations d’affaires régulières avec la France, marquées par la présence de grandes entreprises, - Casino, Danone, Bongrain, Sanofi, L'Oréal, Accor, Alstom D et T, Alcatel-Lucent, Banque d'affaires Rothschild, dans lequel Bull y a sa plus importante filiale en Amérique hispanophone -, ainsi qu’une coopération importante, notamment autour de l’Institut Pasteur de Montevideo. Il s’agit enfin du seul pays d’Amérique latine à avoir maintenu le français comme deuxième langue étrangère obligatoire. Malgré tout, la relation politique est à peu près au point mort depuis longtemps (216).

Plus inquiétant, en termes de soutien politique, le fait que les visites dans des pays avec lesquels des perspectives industrielles ou commerciales sont plus fortes, voire très prometteuses, ne sont pas non plus fréquentes : depuis 2006, seulement deux visites de ministres, de la coopération, ont été effectuées en Bolivie, la dernière en janvier 2010, la précédente en janvier 2006, l’une et l’autre pour des raisons protocolaires à l’occasion des cérémonies d’investiture du président Evo Morales. Il en est de même au Pérou ou en Equateur, qui ont reçu respectivement deux (217) et une visites ministérielles depuis 2007.

Or, lorsque l’on sait les potentialités fort importantes qu’offrent ces différents pays et l’intérêt qu’y portent certains industriels français, lorsqu’on sait aussi les difficultés que certains d’entre eux ont dû rencontrer sur place, tenant par exemple aux épisodes récents de nationalisations des ressources minières, ou à diverses initiatives prises en matière de politiques d’accueil des IDE, on ne peut que s’interroger sur les raisons de l’absence d’accompagnement politique de nos entreprises. Ainsi, chacun regrette aujourd’hui que Bolloré doive probablement jeter l’éponge et se retirer de Bolivie où il comptait notamment s’implanter pour participer à l’exploitation des gisements de lithium et au développement industriel, lesquels, selon les informations qui ont été communiqués à la mission, devraient probablement revenir à des entreprises chinoises. Or, les négociations ont été rendues d’autant plus difficiles que l’élection d’Evo Morales à la Présidence de la République en 2005 a considérablement modifié la donne, tant en termes d’options politiques que de facilités de relations. On peut se demander s’il n’aurait pas été opportun de ne pas laisser seules en première ligne l’entreprise et l’ambassade de France et si un appui ministériel n’aurait pas été pertinent sur ce dossier.

Certes, comme le disaient à la mission les représentants de Total (218), autre géant français fortement impliqué sur le sous-continent, la gestion politique fait aussi partie du métier des grands groupes et, en Amérique latine tout particulièrement, il s’agit de traiter avec des pays difficiles au risque politique traditionnellement fort. Tout en s’efforçant de garder les meilleures relations, Total est d’ailleurs en conflit avec le gouvernement argentin, et se trouve dans une situation difficile qu’il essaie de gérer au mieux. Vivendi a de la même manière rencontré des difficultés dans ce même pays, qui sont en attente de solution. D’autres exemples pourraient sans doute être cités qui montreraient probablement l’intérêt d’une médiation politique dans les dossiers économiques et industriels difficiles, qu’on ne perçoit pas.

Il n’y a que dans les grands pays émergents que l’attention politique est vraiment plus soutenue. A l’exception de l’année 2010, le Brésil reçoit par exemple environ trois visites par an, le Président de la République s’y étant lui-même rendu à trois reprises. Le Premier ministre François Fillon a fait une visite officielle à la mi-décembre 2011, sur un agenda tant bilatéral que multilatéral. On reste toutefois loin de l’attention portée à la Chine qui a reçu pour cette seule année 2011 pas moins de huit visites, six ministérielles et deux présidentielles. Or, ce n’est pas en Chine, il faut le souligner, que les IDE français sont les plus importants, mais au Brésil. Les visites en Argentine sont déjà moins fréquentes, on n’en compte qu’une par an depuis 2007, mais à des niveaux généralement assez élevés : Premier ministre, ministre de la défense ou, dernièrement, de l’agriculture. Or, il s’agit aussi d’un pays particulièrement important au niveau régional et dans lequel, on l’a vu, certaines de nos entreprises les plus implantées rencontrent des difficultés.

La destination chilienne est encore moins prisée, Santiago n’ayant reçu la visite que de trois ministres ces dernières années, moins que la Colombie. Le Venezuela, troisième économie de la région, détenteur des deuxièmes réserves pétrolières, où la France a de très importants intérêts industriels, avec Total, notamment et maints autres grands groupes – Frameca, Alstom, Renault, Tecnip, Sanofi, Alcatel-Lucent –, qui interviennent dans le pétrole lourd de l’Orénoque et le gaz, dans les centrales électriques, les transports – métro, tramways, secteur ferroviaire inter-urbain –, ou l’automobile et les télécommunications, est également un parent pauvre au plan de la relation politique

En d'autres termes, et même si les visites de personnalités politiques sud-américaines ne sont pas rares, preuve de leur intérêt maintenu pour notre pays, il semble clair aux yeux de la mission que la relation politique que notre pays entretient avec le sous-continent et ses pays n’est pas à la hauteur de ce qu’elle devrait être.

Elle est d’autant moins à la hauteur qu’elle s’accompagne d’une baisse continue et régulière de nos moyens institutionnels d’influence, sur lesquels nous avons fortement capitalisé et qu’il conviendrait de ne pas laisser perdre.

b) Des moyens de qualité, des partenariats scientifiques et culturels souvent remarquables

Le délaissement politique dont la France fait preuve vis-à-vis de l’Amérique latine n’empêche heureusement pas qu’elle y mette en œuvre des moyens d’influence encore importants. Même s’ils sont en diminution, ceux-ci restent d’une qualité reconnue et appréciée. L’ensemble des interlocuteurs que la mission a rencontrés sont, à ce sujet, unanimes : la qualité de la coopération scientifique et culturelle que propose la France est remarquable et fortement appréciée. Elle est en outre variée et complémentaire.

D’une manière générale, il faut tout d’abord rappeler que les Alliances françaises accueillent 165 000 élèves dans toute l’Amérique latine, et que les lycées français y sont très importants. Il y a un très fort réseau de partenariats culturels et universitaires, toujours vivace. La France mène des coopérations exemplaires : elle est ainsi le premier partenaire de l'Argentine sur le plan scientifique, devant les Etats-Unis, et le deuxième au Brésil.

Dans un pays comme l'Equateur, où la mission n’a entendu que des éloges sur la coopération scientifique et culturelle française, notre pays continue d’avoir une grande influence. C’est notamment dû à la présence du lycée français, La Condamine, à Quito, créé en 1975, qui a notamment une forte visibilité et attire un public varié (219), évidemment d’élite (220), dont la moitié des bacheliers partent ensuite poursuivre leurs études supérieures en France. Plus de 6 000 élèves équatoriens l’ont fréquenté depuis sa fondation. En outre, le réseau de l’Alliance française, dans le pays depuis 1953, est relativement important. Cinq villes accueillent une Alliance : Quito, Guayaquil, Cuenca, Loja et Portoviejo. En 2010, plus de 7 200 personnes ont étudié le français avec l’Alliance française, chiffre cependant en baisse de plus de 7 % par rapport aux années antérieures, mais pour des raisons qui ne semblent pas tenir à l’attractivité de l’institution. Les Alliances d’Equateur sont considérées comme ayant trouvé un public suffisant pour s’ancrer durablement dans la vie culturelle locale. C’est notamment le cas de celle de Cuenca, qui bénéficie de forts soutiens locaux, tant publics que privés, et qui a su développer une relation exceptionnelle avec la société civile de la troisième ville du pays. Dans un autre ordre d’idées, le premier Festival du film français en Équateur a été organisé fin novembre 2011 par l’Alliance française de Quito, l’ambassade de France, la coopération régionale pour les pays andins et l’Institut français, qui a permis la diffusion d’une vingtaine de longs métrages français contemporains à Quito, Manta et Guayaquil.

Enfin, l’Institut de recherche pour le développement, IRD dispose en Equateur d’une base remarquable depuis près de 40 ans, structurée aujourd’hui autour d’une dizaine de chercheurs. Il contribue aussi fortement à l’image de notre pays. L’IRD (221) mène un très riche travail scientifique pluridisciplinaire à la demande de ses partenaires locaux sur des thématiques, notamment environnementales ou relatives aux risques naturels, qui peuvent au demeurant avoir une dimension régionale pour l’ensemble des pays andins, incluant le Pérou et la Bolivie. Il en est ainsi de recherches conduites sur le volcanisme, sur le changement climatique et ses incidences sur les glaciers : ayant perdu de 30 % à 50 % de leur surface au cours des trente dernières années, les glaciers de la cordillère ne jouent d'ores et déjà plus le même rôle qu’auparavant en ce qui concerne l’alimentation en eau des grandes villes de la région telle que La Paz, ou pour ce qui est des perspectives en matière d’énergie hydroélectrique. Sur ces thématiques cruciales tant pour l'Equateur que ses voisins et partenaires andins, l’IRD conduit un travail scientifique incomparable aux retombées concrètes. Dans le même esprit, il travaille aussi sur la chaîne des risques sismiques, notamment de tsunami sur les zones côtières. Tirant profit de l’exceptionnelle richesse de l'Equateur, d’importants programmes régionaux sont également menés depuis Quito sur des problématiques communes aux pays andins en matière de biologie et de biodiversité, ainsi que sur la gestion de l’eau.

Ainsi que les deux Présidents ont pu le souligner lors de la visite officielle de Juan Manuel Santos en France en janvier 2011, la France et la Colombie ont des échanges scientifiques et universitaires dynamiques qui ont connu récemment de nouveaux développements : un accord général de reconnaissance mutuelle des études et des diplômes est intervenu entre l'Association colombienne des universités d’une part et la Conférence des Présidents des universités de France et la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs d’autre part, ce qui est une première en Amérique Latine. Près de 2 900 étudiants colombiens de niveau élevé sont en France. La réintroduction de l'enseignement du français dans le système scolaire colombien est en cours avec le soutien de la coopération française. En 2010, un mémorandum de coopération culturelle a été signé, qui articule plusieurs volets, prévoit des opérations bilatérales et souligne l'importance attachée par les deux pays à ce domaine.

Le Chili est un des pays que la mission a visités dans lequel les moyens de coopération bilatérale à disposition du poste restent conséquents (222), sans commune mesure avec ce qu’ils sont en Equateur, où malgré l’importance du travail effectué, ils ont considérablement diminués, comme on le verra plus loin. En ce qui concerne la coopération scientifique et culturelle, les moyens humains sont tout d’abord encore importants, par rapport à d’autres cas : l’action scientifique et culturelle est en effet mise en œuvre par un conseiller de coopération, trois attachés, en matière culturelle, linguistique et scientifique et technique, deux assistants techniques et quatre volontaires internationaux, dispositif complété par un délégué général des Alliances françaises. C’est aussi à Santiago que le Conseiller régional de coopération pour le Cône sud est basé, qui couvre le Brésil avec la collaboration de deux attachés et d’un VI. Les priorités du poste de Santiago peuvent être classées sur trois axes : le développement des échanges scientifiques et technologiques et la formation des élites ; la promotion de la diversité culturelle et du plurilinguisme ; le renforcement de l’influence de la France dans un pays partenaire sur les grands enjeux internationaux contemporains.

En outre, le réseau des Alliances françaises est dense au Chili, avec onze établissements, à Antofagasta, La Serena, Viña del Mar/Valparaiso, Chillán, Concepción, Temuco, Valdivia, Osorno, Coyhaique, Puerto Montt et Île de Pâques. S’y ajoutent un Institut culturel franco-chilien, cinq établissements scolaires, à Santiago, Valparaíso, Concepción, Osorno et Curicó, qui scolarisent quelque 5 500 élèves, en majorité chiliens et binationaux.

Comme on a pu le dire à la mission, les relations bilatérales sont anciennes et excellentes en matière de coopération scientifique et universitaire, et elles constituent un atout. La France est en effet un des premiers partenaires scientifiques du Chili et nos universités et grandes écoles ont tissé un réseau de partenariats d’excellence qui s’enrichit régulièrement : à ce jour, quelque 25 accords de doubles diplômes, de formations d’ingénieurs, de cotutelle de thèses, sont en vigueur.

Cette coopération bénéficie aussi d’un très bon environnement, dans la mesure où les institutions partenaires sont de qualité, dans un pays de plus en plus ouvert à l’international et qui, au demeurant, dispose de moyens désormais conséquents, qui permettent la mise en place de cofinancements, puisque les activités sont à plus de 80 % ainsi budgétées. En matière de coopération culturelle et scientifique, les échanges sont très denses depuis très longtemps et de nombreux chercheurs viennent chaque année en mission au Chili, le CNRS ayant ouvert récemment un bureau régional.

Signalons qu’au Pérou, enfin, le dispositif scientifique et culturel français est de même encore très important, grâce notamment à l’Alliance française dont le réseau provincial est très développé, ou à l’IRD, également très présent, ainsi qu’à l’Institut des Amériques, dernier venu, qui doit ouvrir un pôle régional à Lima.

La priorité est donnée à la coopération universitaire et scientifique, et les Péruviens représentent aujourd’hui la troisième population d’étudiants d’Amérique latine en France.

c) … mais une tendance générale à la diminution des moyens

Cela étant, on ne saurait non plus se cacher que d’une manière générale, les moyens que la France met aujourd’hui en œuvre dans sa relation bilatérale avec les pays du Cône sud sont en diminution régulière et constante depuis plusieurs années. Cette diminution est conséquente puisque, sur dix ans, selon les indications qui ont été données par le MAEE à la mission, elle est estimée à quelque 30 %, que ce soit en personnels ou en crédits, même si, s’agissant de ce dernier aspect, il faut tenir compte des transferts intervenus au profit de l'AFD, qui marquent l’évolution de notre politique de coopération au développement vers d’autres enjeux. Au total, la situation est peut-être paradoxale, qui voit à la fois les moyens diminuer et les opérateurs se multiplier, d’une certaine manière, sur cette région comme sur les autres : l'AFD vient s’ajouter à des intervenants présents depuis très longtemps : l’IRD, le CNRS, les Alliances françaises, les lycées, l’AEFE, Campus France et l’Institut de France, autres récents arrivés, et le paysage institutionnel qu’offre la France n’est par conséquent pas des plus simples.

Quoi qu’il en soit, il faut en premier lieu relever que, sur l’ensemble de l’Amérique latine, notre réseau diplomatique souffre quelque peu. A l’heure où d’autres, l’Allemagne ou le Royaume-Uni, décident d’étoffer leur présence et de densifier leur réseau, comme on l’a vu (223), nous sommes plutôt orientés à la baisse, RGPP oblige. A preuve, le fait qu’il n’est pas rare que, désormais, le poste de conseiller de coopération et d’action culturelle, COCAC, soit occupé par le premier conseiller de l’ambassade, qui cumule ainsi les deux fonctions, se voyant simplement adjoint un volontaire international. C’est par exemple le cas dans un pays comme l'Equateur, dont notre ambassade a par ailleurs vu le budget de l’aide bilatérale au développement diminuer de 50 % en 6 ans, ainsi que l’ambassadeur l’indiquait à la mission (224: en 2011, les crédits d’intervention du poste, en matière de coopération, étaient exactement de 176 800 euros. Dans ces conditions, la marge de manœuvre est évidemment des plus étroites. Il n’est pas surprenant que, si la France dispose encore d’une image positive héritée de la forte influence de la langue, de la culture et de la pensée françaises, ce capital aille s’estompant, dans la mesure notamment où les Etats-Unis sont omniprésents et où le poste doit agir avec ces moyens modestes, et désormais au plus bas niveau des pays européens. Dans ce même ordre d’idées, on peut enfin regretter que l’Institut français d’études andines, IFEA, pilier de la recherche française pluridisciplinaire sur les problématiques régionales, n’ait désormais plus de représentant en Equateur…

Comme on le faisait remarquer à la mission, dans cette région les attachés culturels ont disparu et il n’est pas certain qu’on n’ait pas un jour à le regretter, car la demande reste très forte, comme en témoigne la fréquentation des lycées et des Alliances. Les Latino-Américains sont tournés vers les Etats-Unis, mais ils le sont aussi vers l’Europe, et plus précisément, non vers l’Allemagne ou le Royaume-Uni, ni même l’Espagne, avec laquelle la relation est ambivalente, mais vers la France.

En substance, ce que disaient à la mission nombre de personnalités entendues, telle Elisabeth Béton-Delègue, directrice des Amériques au MAEE, l’Amérique latine a pâti des économies réalisées et les enveloppes de coopération des postes se montent aujourd’hui à moins de 16 millions d’euros pour l’ensemble de l’Amérique latine. Des effets multiplicateurs sont certes possibles mais, quelle que soit l’amitié qu’on nous porte, il y a aussi une logique opportuniste et nous trouvons ici notre point faible : nous sommes sur une ligne de crête et même sur un désengagement certain. A la différence de certains autres pays européens, l’Espagne ou la RFA, notamment, nous n’avons donc pas une forte politique de développement en direction de la zone, ce que les orientations décidées ces derniers mois en la matière confirment : la priorité est donnée aux pays les plus pauvres, et notamment à ceux d’Afrique subsaharienne. Ce n’est pas le mandat récemment donné à l'AFD en Amérique latine qui est, pour l’heure, de nature à renverser la situation compte tenu des axes limités qui lui ont été assignés. En d'autres termes, même si on peut souligner la qualité et le succès des opérations menées au Chili, ou au Brésil, comme on le verra plus loin, on manque aujourd’hui à l’évidence de moyens et de souplesse.

Dans le même ordre d’idées, il faut relever que les activités que des institutions comme l’IRD mènent, dont on mesure l’importance, se font avec des moyens humains et budgétaires qui ont été en se réduisant constamment ces dernières années. Or, c’est précisément grâce au travail en amont effectué depuis de longues années par l’IRD que la volcanologie équatorienne existe aujourd’hui et qu’elle est capable de répondre aux besoins. En d'autres termes, cette coopération s’est révélée très importante non seulement en termes scientifiques, mais aussi concrètement pour le pays et sa population. Le même commentaire pourrait être formulé en ce qui concerne la gestion des ressources en eau, autour du projet Acqua Andes, sur lequel la coopération française ne se limite pas à l’aspect scientifique, mais aussi à la formation des partenaires de haut niveau, ainsi qu’au domaine juridique. En d'autres termes, avec l’IRD dans la région andine, la France dispose d’un outil unique qu’il convient de préserver et pour lequel il est important d’assurer la continuité. Or, on ne peut que s’inquiéter de voir aujourd’hui la modestie des moyens mis en œuvre et surtout leur diminution, qui n’est d'ores et déjà pas sans conséquences. Pour ne prendre qu’un autre exemple, le programme PREFALC, « Programme régional de coopération universitaire France - Amérique latine - Caraïbes », mis en place par les ministères des Affaires étrangères, de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche et l’IRD, qui travaille en Equateur sur la base d’une association entre universités françaises et équatoriennes, a vu ses crédits diminuer ces derniers temps, le MAEE s’en étant retiré. Au demeurant, ce programme étant, dans la zone andine, à vocation régionale, l’absence d’un conseiller régional de coopération et d’action culturelle ne rend pas les choses aisées à gérer, dès lors que des partenaires régionaux doivent être trouvés et que les processus sont par nature longs, complexes et requièrent beaucoup d’accompagnements. La baisse des moyens fait courir le risque de substituer à terme une politique « de coups » quand il faudrait installer des programmes de recherche dans la durée.

La diminution continuelle des moyens que notre pays met en œuvre n’est pas propre à l'Equateur, elle se retrouve dans toute la région. C’est elle qui fait que dans un pays comme le Pérou, il est devenu nécessaire de rechercher des cofinancements pour les bourses, notamment, et de multiplier les partenariats. Dans le contexte actuel de très forte concurrence et de contrainte budgétaire, l’ambassadrice de France (225) soulignait le véritable défi de répondre à l’enjeu d’accroître notre rayonnement.

Beaucoup de jeunes Chiliens, de haut niveau, viennent aussi en France suivre leurs études, mais désormais sur financement chilien et non plus français. Les bouleversements introduits dans le système éducatif de ce pays, quasi privatisé, n’ont par ailleurs pas contribué à renforcer les positions françaises, notamment sur le plan linguistique. S’il apparaît que la faible maîtrise de la langue n’est pas un obstacle, les échanges entre scientifiques se faisant désormais pour l’essentiel en anglais, l’ambassadrice de France soulignait néanmoins devant la mission (226) la réflexion actuellement menée pour renforcer nos positions dans le système d’enseignement chilien, dont les récents événements ont montré la médiocre qualité et la préoccupation forte quelle suscitait chez les jeunes. Les moyens limités de la France ont donc conduit à mettre l’accent sur un soutien aux « lycées d’excellence », en échange de la réintroduction du français dans le cursus.

d) La richesse de la relation bilatérale avec le Brésil

A l’instar de ce qui est mis en œuvre avec un pays comme le Chili par exemple, la coopération en matière universitaire, scientifique et technologique repose sur un certain nombre de piliers majeurs. Il faut bien sûr rappeler que le Brésil est le premier partenaire de la France en Amérique latine sur cette question, notre pays étant le deuxième partenaire scientifique du Brésil après les Etats-Unis. Il faut bien sûr rappeler que le réseau des Alliances françaises au Brésil est le plus ancien et le plus dense au monde : quelque 35 000 élèves sont accueillis au sein de 39 implantations différentes. Dans les trois lycées français, à Rio de Janeiro, São Paulo et Brasilia, plus de 2 000 élèves sont scolarisés, certes français pour les trois quarts. Les échanges artistiques sont particulièrement denses et de tradition ancienne. C’est aussi le cas dans d’autres domaines, tel que le livre, le Brésil étant le premier marché pour le livre français en Amérique du sud.

La présence française au Brésil (227)

Comme l’illustre le diagramme ci-dessous, les crédits de coopération bilatéraux que la France met en œuvre au Brésil sont à la mesure des enjeux et du pays. Tous crédits confondus, le poste de Brasilia disposait de plus de 3,8 millions d’euros en 2011, pour l’essentiel (41 %) consacrés à la recherche scientifique. Les deuxième et troisième enveloppes par ordre d’importance sont celles de la coopération culturelle et de la diffusion du français qui reçoivent ensemble 30 % des crédits. Cette répartition traduit bien la nature de la relation que la France entretient avec son partenaire principal en Amérique latine.

Cette approche est d’ailleurs renforcée, puisque le Premier ministre a annoncé, lors de son déplacement, mi décembre 2011, que la France soutenait le programme brésilien « Science sans frontière », qui se traduirait par l’accueil, dès février 2012 et pour une première période de quatre ans, de 10 000 étudiants brésiliens dans nos universités.

Cela étant, la coopération française en matière culturelle et scientifique n’est pas uniformément répartie sur le territoire brésilien et elle tient compte des partenariats possibles au niveau local. A cet égard, une place à part doit être faite à l’Etat de São Paulo, qui est celui dans lequel, depuis toujours, cette coopération est bien plus forte qu’avec tout autre Etat de la fédération. Les partenariats qui y sont mis en œuvre en matière scientifique et technique apparaissent à tout point de vue remarquables. Notre coopération porte sur quelques axes précis. En premier lieu, l’augmentation de l’attractivité du Brésil pour les étudiants français, autour de l’accueil de professeurs français dans les universités de l’Etat, l’accompagnement d’échanges universitaires ou la création d’une maison des étudiants français sur le campus de São Paulo. Ensuite, le rapprochement des milieux universitaires et de recherche avec les entreprises françaises présentes au Brésil, moyennant notamment des programmes d’échanges d’élèves ingénieurs et de techniciens supérieurs autour de parcours de formation et de stage. Enfin, la mise en place de nouvelles collaborations, de coopérations techniques sur les problématiques contemporaines, des programmes de formation des élites, ou un appui à la coopération décentralisée, trois régions françaises ayant des accords avec des Etats régionaux de la fédération brésilienne : PACA avec l’Etat de São Paulo ; l’Île de France avec l’Etat et la ville de São Paulo ; Rhône Alpes avec l’Etat du Paraná.

Créée en 1934, l’Université de São Paulo, USP, est la plus grande institution d’enseignement et de recherche du Brésil, à laquelle collaborèrent quelques-uns des plus illustres professeurs français, Claude Lévi-Strauss, Fernand Braudel, Pierre Monbeig ou Roger Bastide. Université publique et gratuite, l’USP est aujourd’hui un pôle d’excellence (228), qui concentre plus du quart de la production scientifique brésilienne. Forte de 42 écoles réparties sur sept campus différents sur tout l’Etat, elle accueille près de 90 000 étudiants dont 11 000 sortent chaque année diplômés. Elle forme aussi 20 % des docteurs brésiliens.

La France est ainsi le premier partenaire étranger de l’USP en termes de conventions et d’échanges : hors Amérique latine, les Français constituent le premier contingent d’étudiants étrangers, 158 actuellement, devant les Portugais, 117, et les Allemands, 77. De même, la France est aussi le premier pays à accueillir les étudiants issus de l’USP, 302 chaque année. En outre, un programme de chaires « Lévi-Strauss », permet depuis 2010 la venue de professeurs français pour des durées de un à douze mois. Ce programme fait suite aux chaires « Pierre Monbeig » et « Roger Bastide », précédemment en vigueur, et permet de renforcer notre présence et notre influence au sein de l’institution. Comme avec d’autres pays de la région – le Chili, le Pérou, notamment sur des formations d’ingénieurs –, des programmes de doubles diplômes ont été mis en place entre l’USP et Polytechnique et le réseau des grandes écoles d’ingénieurs de notre pays. Un programme bilatéral spécifique de formation d’ingénieurs, BRAFITEC, a été instauré en 2002, qui s’avère être un excellent tremplin pour le développement de doubles cursus. D’autres programmes existent, sur les échanges universitaires de haut niveau, par exemple. Au total, l’USP a aujourd’hui des accords avec 55 établissements français. Les cartes reproduites ci-dessous illustrent la densité de ces relations universitaires.

On peut encore souligner que l’USP est également le premier partenaire de notre coopération bilatérale en recherche, et plus de 760 projets ont été mis en œuvre depuis 30 ans à ce titre. Cette coopération est extrêmement bien perçue. Comme le soulignait le professeur Adnei Melges de Andrade, vice recteur chargé des relations internationales (229), que la mission a rencontré lors de son déplacement au Brésil, les chercheurs français ont toujours eu une forte influence à l’USP et le renforcement actuel de la coopération, les échanges de professeurs tant sur une base de mobilité individuelle que de partenariats interuniversitaires sont très fortement valorisés : en dix ans, le Brésil a plus que quintuplé son poids dans la recherche, passant de 0,5 % à 2,7 % du total de la production intellectuelle mondiale. L’USP est en majeure partie à l’origine de cette croissance qui a bénéficié de l’ouverture sur l’international. Dans le cadre de cette politique, l’aspiration est très forte de poursuivre et développer la collaboration scientifique et universitaire avec la France. L’attractivité de l’institution croît sur les étudiants français, les partenariats sont en augmentation
– l’expérience française en matière d’incubation d’entreprises intéresse tout particulièrement l’USP –, et toute alliance permettant le développement et l’internationalisation des entreprises brésiliennes est bienvenue.
Dans cette collaboration, ce n’est certes pas l’aspect financier ou budgétaire qui contraint les ambitions de notre partenaire : pour être une institution publique, l’USP est financée par 5,02 % des recettes de la TVA, ce qui lui permet de disposer d’un budget de plus de 3 milliards de Reals, soit plus de 1,5 milliard d’euros…

Accords universitaires franco-brésiliens (230)

2) Les investissements en Amérique latine : le contexte et son évolution contemporaine

La faiblesse de la présence de la France en Amérique latine aujourd’hui se relève également sur le plan de nos investissements. Mis à part l’exception notable du Brésil qui, ici comme sur d’autres aspects, domine notre relation avec le sous-continent, le positionnement général de la France en matière d’investissements est aujourd’hui relativement modeste. Il en est ainsi que ce soit avec les pays émergents ou avec les pays moins développés de la région.

Cet état de fait peut paraître logique, compte tenu de ce qui a été dit : il pourrait simplement traduire le fait que le déclin entamé il y a longtemps s’est poursuivi, inexorable et que l’on en constate simplement aujourd’hui les conséquences ; et que, pour intéressantes que ses positions industrielles aient pu un temps paraître, notre pays n’a jamais su inverser la tendance malgré les alertes précoces.

Si cela est évidemment vrai, un autre élément de préoccupation se greffe néanmoins : la faiblesse générale des IDE français traduit aussi le fait que la France n’a jusqu’à ce jour peut-être pas su profiter pleinement de la dynamique de croissance que connaît la région depuis maintenant plusieurs années. Ce qui est, aux yeux de votre Rapporteur, autrement sérieux : car une chose est de n’avoir pas su répondre à l’intérêt qu’a continûment manifesté le sous-continent envers notre pays ; une autre est de ne pas réussir à saisir les opportunités dans notre propre intérêt.

a) L’évolution des politiques sud-américaines d’accueil des IDE

L’implantation des entreprises françaises en Amérique latine est pour partie, comme on l’a vu, très ancienne, mais l’évolution sur la période contemporaine doit être analysée.

Il y a deux ou trois décennies, à l’époque où les émergents s’appelaient encore « NPI », Nouveaux pays industrialisés, quatre secteurs d'activité concentraient l'essentiel des investissements français à l'étranger : les matériels électriques et électroniques, secteur qui réalisait alors la moitié de son chiffre d’affaires à l’étranger, la chimie, les minéraux non métalliques et l’automobile. Des entreprises comme Alcatel, Thomson, Rhône Poulenc, Saint-Gobain, Peugeot et Renault dominaient alors fortement à l’international, notamment dans cette région : on notait en effet déjà que les filiales latino-américaines de ces groupes représentaient près des deux tiers de leurs implantations totales dans les NPI.

Le Brésil était alors déjà le dixième pays par l'importance du stock de capital détenu par des entreprises françaises à l'étranger. Il était également le premier hors OCDE, et celui duquel plus de la moitié du chiffre d’affaires était retiré. (231)

L’ancienneté de l'industrialisation de l’Amérique latine expliquait celle de la présence française dans ces pays, et son importance, notamment par rapport à l’Asie : 57 % des entreprises au Brésil et au Mexique s’y sont implantées avant 1980, souvent dans les années 1970 en liaison avec la réalisation de grands projets industriels, à une époque où ces pays, en développement déjà rapide, menaient une politique active d'équipement en infrastructures, où les barrières protectionnistes empêchaient une pénétration du marché intérieur à travers une stratégie d'exportation depuis la France. La politique de " substitution d'importations " alors menée par le Brésil, comme par la plupart des pays de la région, visait à utiliser le capital étranger pour développer un appareil industriel tourné avant tout vers la satisfaction des marchés intérieurs.

En d'autres termes, les investissements étrangers étaient alors encouragés par les pays d’accueil, et les entreprises françaises s’intéressaient à une région attractive ; en résultait une forte concentration, tant sectorielle que géographique, de ces IDE.

Cela étant, depuis, la situation a changé. La crise de la dette latino-américaine a incité nombre de pays, le Brésil, le Mexique et bien d’autres, à rechercher une croissance désormais basée sur les exportations. Avec succès, puisque les entreprises latino-américaines participent aujourd’hui à la compétition internationale, depuis déjà longtemps et fortement. Les exportations sont devenues un des moteurs de leur croissance ; ainsi le Brésil enregistrait-il, dès la fin des années 1980, le troisième excédent commercial, derrière le Japon et l’Allemagne. En conséquence, si les investissements étrangers ont continué d’être encouragés, cela a été pour des productions plutôt désormais destinées à l’exportation (232). Ce changement de politique d’accueil des IDE n’a bien sûr pas été sans incidence et a induit une adaptation des entreprises intéressées.

Un second aspect est à souligner, qui a directement eu un impact sur les IDE en Amérique latine : les politiques de privatisation lancées par de nombreux pays à la fin des années 1980 et au long des années 1990, ont contribué à modifier les stratégies d’investissements des entreprises multinationales. De nombreux pays ont été concernés, le Chili en premier lieu, suivi par l'Argentine dès les débuts des années 1990 mais aussi le Brésil, le Pérou, la Bolivie ou la Colombie. De nombreux secteurs publics ont alors été privatisés, l’eau et l’assainissement, l’électricité, le gaz, pour faire face aux déficits récurrents des entreprises publiques, ainsi qu’aux besoins d’infrastructures considérables, liés, entre autres, à l’urbanisation croissante et importante. Ultérieurement, le secteur des télécommunications a aussi été concerné.

De nouvelles possibilités d’investissements se sont alors offertes aux entreprises les plus importantes, notamment européennes. C’est le moment où des sociétés telles que France Telecom, Telefónica (espagnole) ou British Telecom, ont pénétré le marché latino-américain, entendant bien profiter des opportunités internationales, qui coïncidaient avec l’évolution de leurs propres stratégies d’expansion (233).

b) Les stratégies d’internationalisation des grands groupes 

En parallèle à l’évolution favorable du contexte local, les années 1990-2000 ont aussi été celles où les IDE ont afflué en masse vers l’Amérique latine du fait de l’évolution des stratégies internationales des grands groupes industriels, notamment européens.

C’est l’époque où la nécessité s’est imposée pour les firmes françaises « de s’implanter dans les pays émergents, de façon à préserver leur compétitivité globale face aux concurrents nord-américains ou asiatiques. » (234) Cette motivation a primé sur les autres dans la stratégie d’internationalisation des groupes, et l’Amérique latine est apparue alors comme une nouvelle destination suffisamment intéressante pour engager les investissements conséquents. Il est intéressant de relever aussi que d’une manière générale, les implantations qui se sont alors décidées se sont généralement inscrites dans des stratégies de moyen ou long terme.

En d'autres termes, cette période est charnière pour la présence des IDE en Amérique latine, qui a vu tout à la fois des politiques de privatisation se développer dans la plupart des pays, et coïncider avec les stratégies d’internationalisation des activités des grands groupes dans le cadre de la mondialisation, cependant que des éléments de stabilité régionale apparaissaient. Le contexte général a évolué suffisamment pour que l’Amérique latine devienne alors une destination de choix.

De fait, pour un groupe comme GdF-Suez, les années 2000 ont été actives, notamment sur le plan des aspects énergétiques. Le groupe a développé sa présence dans huit pays : en Argentine, dans le gaz et l’électricité, qui représentent aujourd’hui plus de 50 millions d’euros de CA ; au Brésil, qui est devenu l’un des pays les plus importants pour le groupe, représentant 1,5 milliard d’euros de CA, dans la production et le commerce de l’électricité, et où des projets majeurs sont en cours : Jirau, Estreto. L’éolien, la biomasse, depuis le bois et la canne à sucre, sont des secteurs également conséquents. Des accords sont en cours de négociation avec Electronuclear ; avec Petrobras, également, qui devrait porter sur l’ensemble du continent. Au Chili, le groupe produit et commercialise de l’électricité, pour un CA de 300 millions d’euros ; il dispose d’un terminal de gaz liquéfié, est présent dans l’éolien (50 M d’euros de CA) et dans l’hydraulique. Plus au nord, il est de même au Costa Rica (éolien), au Mexique (électricité et gaz, 400 M. de CA), où il a le deuxième réseau de gaz, au Pérou, en Bolivie avant la nationalisation de l’an dernier et au Panamá (électricité). Le groupe considère ainsi la région dans sa globalité et l’aborde via deux de ses branches, Environnement et Energie (235). Le Brésil, le Chili et le Pérou sont aujourd’hui ses pays d’implantation principale, où il produit 10 700 MW. Sa présence est également importante dans le secteur touchant à l’environnement en Argentine, au Brésil et au Chili.

De son côté, Total mène aussi depuis longtemps une stratégie d’implantation de long terme, à la hauteur de l’ampleur des investissements qu’il réalise dans de nombreux pays du Cône Sud, et ce, malgré les difficultés rencontrées parfois, comme en Argentine (236). Au Venezuela, Total a investi entre 2 et 3 milliards de dollars et souhaite continuer à se développer tout en se protégeant des éventuels aléas. Au Brésil, l’investissement du groupe représente pour l’heure moins de 500 millions de dollars, ce qui est insignifiant en regard des investissements faits dans d’autres pays.

c) Une période favorable, dont les IDE français profitent peu…

La période actuelle est faste pour les IDE en Amérique latine. Ainsi, selon les données de la CEPAL, 2008 fut un record historique pour l’investissement. Si 2009 a connu une baisse importante, supérieure à 40 % par rapport à l’année précédente, il s’est avéré qu’il ne s’agissait que d’une parenthèse dans une dynamique porteuse qui a repris sa courbe ascendante dès 2010, où les IDE, sur l’ensemble de la région ont dépassé les 113 milliards de dollars. L’Amérique Latine est même la région où les flux d’IDE ont le plus augmenté, tendance qui s’explique par la forte croissance interne et la hausse du prix des matières premières exportées. On s’attendait à ce qu’ils soient toujours en hausse, de 15 % à 25 %, en 2011.

Dans ce schéma global, il apparaît toutefois que les IDE français restent relativement limités et que la France ne profite pas comme elle le pourrait de cette dynamique régionale. De sorte que bien que certaines entreprises françaises aient participé fortement aux privatisations sud-américaines au milieu et à la fin des années 1990, nos IDE ne dépassent que rarement 3 % des flux globaux que reçoit aujourd’hui le sous-continent.

Telles sont notamment les conclusions qui ressortent des analyses effectuées par la CEPAL, que le tableau reproduit ci-dessous résume pour trois des principaux pays du Cône sud. Ce n’est que dans la période la plus récente, en 2009, que les flux ont dépassé les 6 %, performance auparavant réalisée une seule fois, en 2001.

Au demeurant, il convient de tenir compte du fait que les taux indiqués ici portent sur l’ensemble de la région, en incluant l’Amérique centrale et les Caraïbes (237). Sans ces deux sous-régions et en se concentrant sur le Cône sud, la part française des flux d’IDE vers le sous-continent doit être largement inférieure à 5 % du total, quand bien même nos investissements vers le Mexique sont actuellement relativement modestes, notamment sur les toutes dernières années, où ils atteignent à peine 1 % du total, très loin de pays comme l’Espagne ou les Pays-Bas avec respectivement 15,8 % et 13,8 % du total investi entre 2000 et 2010 (238).

 

Amérique latine

Argentine

Brésil

Chili

Mexique

Autres

Participation de la France

1995

179

43

- 63

- 23

139

83

0,8 %

1996

1643

342

806

35

181

279

4,7 %

1997

2126

302

1088

38

63

635

3,6 %

1998

2414

581

1683

2

101

47

3,6 %

1999

2881

439

1600

581

35

226

3,4 %

2000

4249

781

1925

- 10

401

1152

4,9 %

2001

5692

2398

2133

42

464

655

6,9 %

2002

1042

- 473

1002

24

226

263

1,7 %

2003

- 1072

127

- 1231

- 106

188

- 50

- 2,7 %

2004

352

- 181

828

- 141

39

- 193

0,6 %

2005

1731

- 154

1140

58

210

477

2,9 %

2006

2067

49

1375

168

- 178

653

3,5 %

2007

1528

58

1379

- 143

- 34

268

1,8 %

2008

3624

240

2412

87

395

490

4,0 %

2009

3831

- 9

3458

38

125

219

6,6 %

Entrées d’IDE en Amérique du sud en provenance de la France (en millions d’€ et %) (239)

Selon certaines données, le Chili et la Colombie apparaissent comme des pays actuellement fort attractifs et bénéficiaires principaux des IDE français avec respectivement 8 % et 7 % du total de la région. S’il convient de tenir compte de la relative incertitude statistique et de prendre les données, parfois contradictoires, avec prudence, il apparaît surtout que l’ensemble des autres pays de la région, au sens large - Cône Sud, Amérique centrale et Caraïbes -, n’attirent que modérément les investisseurs français. Ainsi, dans un pays comme l’Equateur, qui accueille seulement 0,4 % des IDE dirigés vers l’ensemble des pays latino-américains, Caraïbes comprises, le flux annuel d’IDE français est de l’ordre de 30 millions de dollars par an. Il a été négatif en 2009, avant de repasser en positif, légèrement, en 2010.

Selon les années, le Brésil représente, entre 50 % et 90 % des flux d’IDE français dans la région.

 (240)

Cela étant, pour être tout à fait exact, il faut rappeler que souvent, les données disponibles sont minorées car de nombreux investissements français sont faits par des filiales financières ou industrielles situées dans d’autres pays, développés ou émergents, et n’apparaissent ainsi pas dans les statistiques nationales. Nombre d’entreprises françaises investissent aussi beaucoup en Amérique latine via leurs filiales espagnoles. Ainsi, en ce qui concerne un pays comme le Pérou, les investissements qu’y réalise Perenco figurent dans les statistiques britanniques, ceux de Gdf-Suez dans les statistiques belges, et ceux de Michelin dans les statistiques hollandaises, pour ne prendre que ces quelques exemples que l’on pourrait retrouver dans d’autres pays. En d’autres termes, les intérêts français sont supérieurs à ce que peuvent laisser croire les chiffres, comme l’indiquait entre autres l’ambassadrice de France au Pérou (241) sans qu’on puisse déterminer la part que ces opérations représentent. Dans le même esprit, l’ambassadeur d’Equateur en France indiquait (242) qu’un projet chinois en matière d’hydroélectricité, était en fait conduit par Alstom Chine qui en fournit les turbines. (243)

e) … Malgré la demande d’investissements français

La plupart des pays du Cône sud continuent aujourd’hui de mener des politiques d’attraction des IDE, que ce soit d’une manière générale ou en souhaitant particulièrement la présence d’entreprises françaises. Il s’agit désormais que les entreprises étrangères implantées participent au développement économique et social. C’est notamment le sens de la démarche du président péruvien Alan García en 2006, qui avait contacté personnellement tous les dirigeants des entreprises du CAC 40 et leur avait demandé de venir investir au Pérou. Il en est de même au Chili, au Venezuela, en Argentine ou en Equateur dont les autorités politiques sollicitent les investissements français, ce qui traduit la valeur attachée aux entreprises de notre pays et confirme, sur ce plan aussi, la bonne image de la France. La compétence reconnue des entreprises françaises les amène à souhaiter leur retour, alors même que des tensions ont parfois pu surgir ces dernières années, qui se sont traduites par des conflits dont certains ne sont encore pas définitivement réglés.

A titre d’exemple, un groupe comme GdFSuez a notamment rencontré quelques difficultés en Argentine où il détenait des concessions en eau dans plusieurs villes, Buenos Aires, Cordoba, Santa Fe, jusqu’à son expulsion d’Aguas Argentinas par le président Carlos Menem. La perte a été d’environ 800 millions d’euros, et le contentieux, récemment gagné devant la Cour permanente d’arbitrage, est en attente de compensation. L’insécurité juridique est la principale des difficultés dans la région : outre l’Argentine, le groupe a dû faire face à la nationalisation en Bolivie. D’autres pays pourraient également ne pas être exempts de risques politiques et le groupe est donc prudent, eu égard à l’ampleur des investissements. En conséquence, la stratégie générale est celle d’un positionnement sur des marchés porteurs ayant un cadre législatif favorable, compte tenu des manifestations de nationalisme qui peuvent apparaître et mettre un certain frein au climat des affaires, comme en Bolivie. Pour autant, la compétence reconnue du groupe amène toutefois certains pays, comme la Bolivie ou le Venezuela, à souhaiter sa présence.

De manière comparable, c’est aussi l’Argentine qui a causé quelques problèmes au groupe Total ces dernières années. Dans ce pays, le groupe occupe une position particulière : présent depuis plus de trente ans, il est le premier opérateur dans la production de gaz. Il y a effectué des investissements considérables, et s’est retrouvé en conflit après que le gouvernement a pris des mesures donnant notamment la priorité à la consommation nationale et interdisant l’exportation du gaz vers le Chili, lorsque le système énergétique du pays, bouleversé par des exportations excessives, n’a plus permis de satisfaire la demande domestique. Pour cette raison, le groupe a évidemment été mis en difficulté vis-à-vis de ses clients régionaux au milieu des années 2000 et la situation reste encore non réglée, les pertes s’élevant à plusieurs centaines de millions d’euros.

Cela étant, l’ambassadeur du Chili en France soulignait (244)le fait que de nombreux projets étaient en cours et que, preuve du souhait de voir notre pays prendre une part importante, les réunions bilatérales étaient fréquentes à leur sujet. Ainsi, en dehors des grands projets dans les transports comme le métro et l’industrie automobile, le Chili développe-t-il une vaste industrie maritime. L’aide française à la reconstruction des ports, suite au tremblement de terre du 21 janvier 2010, pourrait se poursuivre par un partenariat plus important dans ce domaine.

Comme au Pérou, le renforcement de la présence des entreprises françaises est souhaité en Equateur et le gouvernement insiste notamment sur les opportunités d’investissement dans les domaines des infrastructures, du tourisme et de l’industrie agricole. Une délégation du MEDEF, composée de représentants d’une douzaine d’entreprises, s’est rendue à Quito à cet effet en 2010, qui a été reçue par le président de la République et de nombreux ministres. A cet égard, le Président Rafael Correa soulignait devant la mission (245) la nécessité pour un pays comme l'Equateur de créer un tissu industriel et de pouvoir compter sur une classe d’entrepreneurs, spécialement de PME, niveau privilégié par le gouvernement équatorien pour le développement économique et social du pays. En d'autres termes, les IDE sont d’autant mieux perçus qu’ils peuvent s’accompagner de transferts de technologie. Ils représentent même une attente forte et s’ils pouvaient s’effectuer de PME à PME, pour contribuer à densifier le tissu industriel national, ce serait extrêmement positif. Dans cette perspective, les entreprises françaises sont bienvenues.

A un autre niveau de développement et dans une tout autre perspective, les entreprises brésiliennes elles-mêmes sont désireuses de voir les IDE, notamment françaises, continuer de s’implanter. Il s’agit pour elles de pouvoir développer leur politique de partenariats internationaux afin de promouvoir leur propre croissance. Comme les représentants de la FIESP, Fédération des industries de l’Etat de São Paulo, ont eu l’occasion de le souligner devant la mission (246), les besoins du Brésil sont encore immenses, notamment en matière d’infrastructures : ports et aéroports ; chemins de fer ; autoroutes ; énergies. Ce sont autant de sujets qui constituent les défis de l’avenir pour le développement du pays. Dans ce contexte, de nouvelles entreprises françaises, notamment des PME pourraient venir, perspective à laquelle la FIESP travaille déjà sur la base d’un accord de partenariat avec le consulat général de France. Les nombreuses entreprises françaises d'ores et déjà installées pourraient contribuer à faciliter les choses et à permettre une meilleure présence des IDE français, sachant que les entreprises brésiliennes souhaitent bénéficier de transferts de technologie et tirer profit de ces possibles partenariats pour leur propre internationalisation : à cet égard, le marché français et l’implantation de davantage d’entreprises brésiliennes dans notre pays constitue une forte motivation.

En d'autres termes, quelles que soient les motivations et les pays considérés, il y a de toute évidence à l’heure actuelle des vents porteurs en faveur des IDE dans les pays du Cône sud. Ceux en provenance de France sont particulièrement souhaités.

3) Le profil des IDE français : saupoudrage et concentration géographique

Que certaines entreprises françaises soient implantées au Brésil depuis si longtemps – Carrefour, Casino, Suez –, qu’elles font partie du paysage et de la vie du pays n’empêche pas de conclure ces développements sur le constat d’une certaine frilosité, un bilan en demi-teinte, malgré de remarquables succès.

a) Des positions françaises malgré tout non négligeables

Dans ce panorama général, tout comme les flux annuels, le stock d’IDE français est aujourd’hui modeste. Pour preuve, le fait que, si notre pays se situe au troisième rang à ce titre au niveau mondial, il n’arrive en revanche qu’au 6e ou 7e rang en Amérique latine, malgré l’ancienneté de son implantation dans la région, comme le soulignait le MEDEF International (247) et comme le traduit le tableau ci-dessous. Ce sont les Etats-Unis qui sont les principaux investisseurs dans la région, devant les Pays-Bas, l’Espagne et le Canada. La Chine est également en train de prendre des positions majeures, d'ores et déjà au 5e rang global, et pourrait devenir le premier investisseur étranger du Brésil (248). Le positionnement de notre pays n’est donc en général pas le meilleur.

Pays

Position de la France

Rang

M€

Argentine

8

1 467

Brésil

4

18 856

Chili

9

544

Colombie

4

592

Paraguay

-

37

Pérou

13

234

Venezuela

2

1 511

Uruguay

6

384

Stocks d’IDE français dans les pays du Cône sud (249)

Cela étant, pour paradoxal que cela puisse paraître en regard des développements précédents, si elle est modeste, la présence des IDE français n’est cependant pas anodine ; elle a même tendance à s’accroître ces dernières années (250). Cette réalité se constate dans plusieurs des pays du Cône sud.

 (251)

C’est le cas par exemple au Pérou : les intérêts de notre pays sont aujourd’hui représentés par 59 filiales qui génèrent ensemble quelque 11 000 emplois. Des entreprises comme Veolia, Arjowiggins, Oberthur, Nexens, se sont installées, de même que le groupe Adrien, implanté au Pérou depuis 1992, actif dans le secteur de la pêche, pour n’en citer que quelques-unes. De nombreuses entreprises sont venues en réponse à l’invitation du président García il y a quelques années, dont Sodexho, qui est aujourd’hui le premier employeur péruvien et emploie plus de 4 500 personnes. Les banques françaises sont présentes, notamment pour soutenir des projets miniers. Perenco devient un acteur majeur au Pérou, avec un investissement de 2 milliards de US$. En juin dernier, après 20 ans d’interruption, Air France a rouvert la ligne directe Paris-Lima et il y a désormais 12 vols hebdomadaires, 7 assurés par KLM, 5 par Air France, ce qui permet un meilleur trafic touristique et d’affaires. L’ambassadrice de France (252) indiquait que cette présence pourrait aller encore en se renforçant, compte tenu des potentialités du marché et de l’amitié que le Pérou porte à la France : il y a une demande à laquelle il faut répondre pour investir, comme le font l’Espagne, le Brésil, la Chine, le Mexique, l’Afrique du Sud, le Canada, etc.

En Colombie, la France est également le premier employeur étranger : 90 000 emplois directs et 250 000 emplois indirects ont été créés par la centaine d’entreprises françaises qui s’y sont installées. Toutes choses égales, c’est aussi ce qui s’est passé au Chili où la France a également fait de nombreux investissements : le métro de Santiago a été construit par des ingénieurs français grâce à des prêts et des crédits à 80 % français. Parmi les 120 entreprises françaises qui salarient aujourd’hui quelque 26 000 personnes, Sodexo est, comme au Pérou, le premier employeur du pays. Les constructeurs automobiles français, Renault, Peugeot et Citroën, ont su pénétrer le marché chilien en investissant sur place et le parc n’est plus dominé par les marques américaines qui ont dû faire une place aux voitures japonaises et françaises, très présentes. GDF-Suez a beaucoup investi dans l’électricité au nord du pays afin d’alimenter les mines ; le groupe a investi quelque 3 milliards de dollars dans le pays et souhaite doubler ce chiffre assez rapidement. L’ambassadeur du Chili en France (253) rappelait que le pays recélait d’immenses possibilités, reposant sur les plus importantes réserves de cuivre au monde, sur celles de lithium et de manganèse, également considérables. La volonté au Chili est d’étendre les possibilités du pays et il y a diverses niches sur lesquelles les IDE français et, de l’avis chilien, notamment les PME pourraient se positionner. Cela étant, malgré ces opérations, la position française reste à ce jour modeste : nous sommes le 9e investisseur étranger et le 5e européen seulement, avec un stock global d’IDE estimé à quelque 1,4 milliard de dollars, soit 2,1 % du total.

Dans le même ordre d’idées, 214 entreprises françaises sont présentes en Argentine, plus spécifiquement dans les domaines des télécommunications, de la pétrochimie ou encore de la viticulture, selon les informations communiquées par l’ambassadeur d’Argentine (254). Elles emploient quelque 65 000 personnes au total. Cela étant, alors qu’elle occupait une position importante sur ce plan dans les années 1990 et jusqu’au tournant du siècle, l'Argentine a nettement perdu en importance, pâtissant notamment des conflits qui surgirent alors entre les investisseurs et le gouvernement, sur fond de dévaluation du peso et de blocage des tarifs publics ; conflits dont certains ne sont à ce jour toujours pas réglés, ainsi que votre Rapporteur l’a rappelé. L’Argentine reste à l’évidence aujourd’hui encore moins attractive pour les IDE français, restés échaudés.

On retrouve globalement les mêmes grands groupes français présents en Equateur, sous forme de filiales ou de succursales commerciales. Alcatel-Lucent, Mercure, Schneider, Sanofi Aventis, Bureau Véritas, Coface Rating, Bic, CGG, Michelin, Pernod Ricard, Servier, Veolia, Peugeot, Renault, sont présents. Plus récemment Alstom a ouvert un bureau régional. Lafarge est le premier investisseur français dans le pays, et détient plus du quart du marché. Cela étant, avec un stock total d’IDE inférieur à 400 millions de dollars, la présence de la France reste relativement faible : elle se situe au 3e rang européen. Les positions des entreprises françaises ont pâti de certaines décisions du Président Correa, qui ont soit freiné certaines activités, soit les ont stoppé, en ce qui concerne Perenco, dont les actifs ont été confisqués.

Sans surprise, ce sont les opérations menées dans le secteur énergétique et notamment pétrolier, qui dominent les IDE français au Venezuela. Ce sont donc aussi de grands groupes industriels qui portent nos intérêts dans ce pays : Total, Frameca, Alstom, côtoient Sanofi et Renault. Total est notamment présent dans les pétroles lourds de l’Orénoque et dans le gaz, Alstom dans les centrales électriques et Tecnip dans la construction de plates-formes gazières off-shore. Les transports – métro, tramway, interurbain, automobile –, ont attiré Alstom et Renault, cependant que Alcatel-Lucent s’est positionné sur les câbles de fibre optique, sous-marins ou terrestres. On note aussi la présence de Degremont, Veolia ou Suez, sur des investissements en assainissement d’eau.

Enfin, dans les pays plus petits, comme le Paraguay ou l’Uruguay, les IDE français sont également représentés par les mêmes groupes industriels. On retrouve ainsi Suez, Degremont Louis Dreyfus sur des opérations d’ores et déjà réalisées ou en projet au Paraguay, ainsi que Casino, Danone, Bongrain, Alstom ou Alcatel-Lucent et Bull en Uruguay, comme on l’a vu précédemment.

Cela étant, si les IDE français ne sont pas insignifiants, comme on le voit dans les différents pays du Cône sud, ils restent cependant fortement concentrés, tant au plan géographique que sectoriel.

b) Le Brésil rafle la mise

Au plan géographique, en premier lieu, cette concentration se traduit par la domination écrasante du Brésil, qui représente plus des deux tiers, voire même les trois quarts de notre stock total d’IDE dans la région. Le Brésil représente en effet aujourd’hui, selon la CEPAL, près de 70 % de l’investissement français en Amérique latine, très loin devant l'Argentine.

Ce que confirmait de son côté Pierre Lellouche, secrétaire d’Etat chargé du commerce extérieur, lors de son audition devant la mission (255), qui convenait de la faible présence de la France en Amérique latine et confirmait que le Brésil était la première destination de nos investissements hors UE et Etats-Unis.

Comme le montre le tableau reproduit ci-dessous (256), avec 17,1 milliards d’euros en 2009 (257), le Brésil est également notre 1er stock d’IDE, très nettement devant les autres BRIC. Il s’agit par conséquent du pays émergent dans lequel la France investit le plus. Il y a au Brésil un stock d'IDE français près de deux fois plus important qu’en Chine : il est de 8,4 milliards d’euros en Chine (258), de 5,1 milliards en Russie et de 2,3 milliards en Inde. La France occupe au Brésil le 4e rang en termes de stock d'IDE, derrière les Etats-Unis, l’Espagne et les Pays-bas.

Stock d'IDE français
(en M US$)

 

Stock d'IDE

Argentine

1 600

Brésil

22 000

Chili

615

Colombie

157

Mexique

2 500

Pérou

94

Venezuela

1 300

Total

28 266

Le Brésil reste le premier détenteurs des stocks d'IDE français parmi les pays émergents (259)

(en milliards d'euros, et en % de tous les stocks d'IDE français)

 

Au 31 décembre 2008

Au 31 décembre 2009

 

Montant

Part

Montant

Part

Brésil

11,6

1,60%

17,1

2,20%

Russie

4,8

0,70%

5,1

0,70%

Inde

1,8

0,30%

2,3

0,30%

Chine

7,2

1,00%

8,4

1,10%

Aujourd’hui, 35 à 38 entreprises du CAC40 présentes au Brésil et leurs 420 filiales sont à l’origine de plus de 400 000 emplois directs. Parmi les principales opportunités actuelles, de très gros projets sont envisagés dans les transports – TGV Rio de Janeiro-Campinas –, dans la génération d’énergie, sur laquelle Alstom et GdF-Suez sont sur les rangs avec les projets de barrage de Belo Monte et Jirau, ainsi que dans les domaines spatial ou nucléaire, qui intéressent respectivement des sociétés comme Thalès, Ariane Espace et Areva. PSA, qui a annoncé par ailleurs un investissement de 940 millions d’euros en Amérique latine, produit quelque 150 000 véhicules par an au Brésil, où sa pénétration atteint 5,3 %. Il est actuellement le cinquième constructeur du pays. Le groupe ambitionne de doubler sa production et d’accroître sa fabrication de moteurs de 280 000 à 400 000 d’ici à 2015. Il a signé, le 2 décembre 2011, un important accord de partenariat avec Petrobras pour développer des combustibles et des moteurs moins polluants, unissant l’expérience des deux entités : celle du pétrolier brésilien dans le développement des combustibles et la sienne dans les moteurs à combustion.

Entre 2005 et 2010, sur les cinq premiers investissements français dans la région supérieurs à 700 millions de dollars, quatre ont été destinés au Brésil, qui est au demeurant présent sept fois dans cette liste de 14 pays, comme le montre le tableau présenté ci-dessous.

Année

Entreprise

Pays

Montant
(en millions USD)

Secteur

2005

Total

Venezuela

5000

Hydrocarbures

2007

Vallourec

Brésil

1600

Métallurgie

2010

France Telecom

Brésil

1390

Télécommunications

2010

Carrefour

Brésil

1373

Commerce de detail

2008

Delfingen

Brésil

783

Composants électroniques

2006

Suez

Chili

700

Stockage

2008

Halberg Precision

México

600

Pièces automobiles

2009

Renault

Brésil

550

Automobile

2010

Rhodia

Brésil

533

Energies renouvelables

2010

GDF Suez

Chili

500

Hydrocarbures

2005

Tonnellerie Quintessence (TQ)

Chili

408

Bois

2008

Carrefour

Argentine

400

Commerce de detail

2008

GDF Suez

Brésil

388

Energies renouvelables

2010

GDF Suez

Chili

354

Energies renouvelables

Les plus importants investissements français annoncés en Amérique latine entre 2005 à 2010 (260)

En d'autres termes, d’une certaine manière, le Brésil est aujourd’hui la seule véritable terre d’accueil de nos investissements dans la région (261). En termes de flux annuel d’IDE, la France est au 5e rang au Brésil, avec 2,1 milliards de dollars en 2009 et consolide ses positions. En 2010, plusieurs opérations importantes ont été menées, dans les secteurs des technologies de l’information, de la communication, de la distribution, ainsi que dans les matériaux de construction. (262)

c) La concentration sectorielle des IDE français dans le Cône sud


Il n’est pas inutile de souligner que la structure des IDE français fait apparaître une concentration sectorielle presque comparable à la concentration géographique en faveur du Brésil : selon une étude de la Commission économique des Nations Unies pour l’Amérique latine et les Caraïbes, CEPAL, entre 2005 et 2010, les IDE français se sont concentrés à 85 % des investissements dans le secteur des services. En regard, l’industrie manufacturière n’a représenté que 10 % du total, et l’exploitation des ressources naturelles 5 %.

On relève ainsi, tous pays de la région confondus, la forte présente d’entreprises comme France-Telecom, qui jusqu’en 2007 était un des principaux opérateurs argentins, de Carrefour et de Casino, notamment dans les pays du Mercosur, d’Accor ou de Sodexho, dont on a vu l’importance en termes d’emplois, ou encore d’EDF ou de Suez. Le secteur industriel est représenté par des entreprises comme PSA-Peugeot-Citroën et Renault, implantés depuis plusieurs décennies dans le Cône sud, ou encore Total.

Renault connaît dans la région quelques remarquables et foudroyants succès : le Brésil est désormais son deuxième marché mondial alors qu’il n’existait pas il y a seulement quinze ans (263). Il est intéressant de relever quelques autres points forts. Ainsi, dans le domaine énergétique, la France est un acteur important au Chili, où plusieurs groupes sont implantés : Gdf-Suez y fournit ainsi 50 % de l’électricité de la zone minière du nord du pays, et d’autres groupes, Alstom, Areva T&D, Schneider Electric, Legrand, etc., ainsi que quelques PME, jouent un rôle non négligeable. Les nombreux projets chiliens dans le secteur pourraient à terme dynamiser nos exportations d´équipements électriques, dans les volets nucléaires, hydrauliques (264).

En Equateur, des projets importants sont à l’étude auxquels des entreprises françaises sont intéressées. En matière de transport, en premier lieu : le métro de Quito, le tramway de Cuenca, la vente d’avions ATR 42 et enfin, un projet de train reliant la capitale aux quatre grands ports équatoriens et aux régions amazoniennes sont ainsi envisagés. Des projets d’infrastructures ont également retenu l’attention d’entreprises françaises, notamment une autoroute et la rénovation d’aéroports. Les secteurs de l’eau potable et du traitement des déchets sont de ceux pour lesquels des opportunités existent aussi pour les IDE français, de même qu’en matière hydroélectrique, pour ne citer que les plus importants.

Si l’on examine par ailleurs les annonces d’investissements faites ces dernières années par des entreprises françaises, indicateur pertinent de leurs stratégies, la tendance semble se confirmer en faveur du Brésil qui, comme le relève le tableau précédent, attire la moitié des projets, et notamment quatre des cinq plus importantes opérations françaises menées dans la région. Peut-être relève-t-on que le secteur des services tendrait à diminuer par rapport à ce qu’il a été jusqu’à aujourd’hui.

4) Vers des évolutions importantes ?

a) L’absence actuelle des PME

Sans surprise tant cette donnée est une réalité marquante de notre tissu industriel, les investisseurs français en Amérique latine et dans le Cône sud sont donc très majoritairement les grandes entreprises du CAC40. On a vu ce qu’il en était au Brésil. Hormis celles-ci, la présence des industriels français est des plus réduites, et cette situation se constate quelques soient les pays considérés, grands émergents comme pays de la façade pacifique du Cône sud.

En cela, la situation de cette région du monde ne diffère pas des autres : les PME et les ETI françaises investissent traditionnellement peu à l’étranger, et elles sont également peu tournées vers l’international hors Union européenne. Dans ce contexte global, il n’est pas étonnant que l’Amérique latine n’échappe pas à la règle, d’autant que l’éloignement ou certaines difficultés et caractéristiques des pays semblent contribuer à dissuader un secteur par nature peu aventureux, à la différence de celui de certains de nos voisins. Quoi qu’il en soit, il est clair que dans leurs stratégies d’expansion, l’Amérique latine ne figure pas au premier rang de leurs priorités d’investissement. On verra plus loin qu’il en est de même en ce qui concerne leurs exportations.

Cela étant, peut-être dans certains cas les choses tendent-elles à évoluer : en effet, on note qu’« un nombre croissant d’entreprises de taille moyenne ont aussi fait le choix d’une implantation, amorçant ainsi une nouvelle phase de développement de la présence française au Brésil et d’une diversification géographique. Là où nos entreprises ont choisi à la fois de s’implanter et de renforcer leurs positions, la réussite française est évidente. » (265). De fait, la mission peut témoigner avoir rencontré lors de son déplacement au Brésil de jeunes cadres détachés au Brésil pour y prospecter et tenter de percer des marchés locaux. Ils n’ont pas caché les difficultés qu’ils rencontraient.

Pour autant, si un frémissement est perceptible, les PME ne semblent pas avoir encore fait de l’Amérique latine une région vers laquelle elles entendent se tourner. Selon les informations fournies à la mission par la CGPME, notamment, c’est surtout le manque d’information des responsables de PME qui freinent leur approche de l’international. La connaissance des marchés locaux est indispensable et « les PME construisent leur système d’information à partir d’un réseau restreint et, le plus souvent, de proximité. » (266)

Selon la CGPME, des mécanismes de soutien qui ont fait leur preuve outre Rhin ou encore en Italie, tel le portage des PME par de grands groupes, sont toujours insuffisants et méconnus. Ils seraient pourtant de nature à faire bénéficier les PME de l'expérience et des réseaux des grands groupes à l'international. Les instruments institutionnels existants ne semblent pas encore rencontrer un franc succès.

Ainsi, Pacte-PME International, association de grands groupes français du CAC 40 créée en 2009, et qui a pris la suite de « Partenariat France », se propose précisément d’accompagner les PME à l’international. 400 demandes ont été répertoriées depuis l’ouverture, 250 portages réalisés pour des PME possédant déjà une certaine expérience et une bonne crédibilité au niveau international avec un grand groupe. Seules 32 demandes ont été formulées concernant l’Amérique latine (267), dont 21 pour le Brésil, 9 pour le Mexique, 1 pour l’Argentine et 1 pour la Colombie. Sur ces 32 demandes, 24 portages ont été effectifs et se sont répartis entre l’Argentine, la Colombie, le Brésil (15 portages) et le Mexique (7). En d'autres termes, moins de 10 % des portages ont concerné l’Amérique latine ; moins de 7 % le Cône sud.

Dans le même esprit, Oséo (268) développe depuis deux ans une activité à l’international, pour accompagner les entreprises dans leurs activités par le financement de l'innovation, de la garantie des prêts et le co-financement. En Amérique latine, Oséo est désormais présent au Brésil, au Chili, en Argentine, au Mexique. Des accords interbancaires sont signés, ainsi un accord de coopération avec la FINEP en mai 2009, qui permet à une entreprise française et une entreprise brésilienne de monter des projets communs, Oséo finançant la partie française et la FINEP la partie brésilienne. Des appels à projets sont lancés dont les résultats sont pour l’heure modestes, quatre projets ayant été montés en 2009-2010. Oséo développe sa stratégie en direction des pays dans lesquels le contexte économique est favorable et où il y a une vraie volonté politique de développer un tissu de PME, comme le Chili en tout premier lieu.

Le dispositif français de soutien aux PME est complété par Ubifrance, agence française pour le développement international des entreprises. En 2012 l’agence sera présente dans 57 pays dont, pour ce qui concerne l’Amérique latine, le Brésil, le Mexique, l’Argentine, le Chili et la Colombie. Dans le Cône sud, elle continuera à suivre de nouveaux pays, dont le Pérou et le Venezuela grâce à des délégations de service public. En 2010, Ubifrance a permis à 600 entreprises françaises de se rendre sur cette zone, essentiellement au Brésil. Il s'agit essentiellement de PME et d'ETI, premières cibles d'Ubifrance. Selon les informations reçues (269), les pays de la zone sont considérés comme compliqués et comme le terrain d’une concurrence impitoyable. Des entreprises commencent à être aidées et accompagnées dans leurs approches, en assez grand nombre : 80 au Chili, 45 en Argentine, 357 au Brésil, 61 en Colombie, alors même que le bureau de Bogotá n’a ouvert que le 1er janvier 2012. Il a été indiqué que, compte tenu des contextes, ce sont encore les marchés de niche traditionnelle
– mode, habitat, parfum –, par exemple, qui sont visés en priorité, ce qui peut surprendre, compte tenu de ce que la mission a elle-même entendu.

En d'autres termes, les instruments institutionnels et financiers semblent peu à peu se mettre en place pour accompagner les PME et les ETI dans leur approche des pays du Cône sud. Toutefois, ils n’ont à l’évidence pas encore permis la percée qui serait souhaitable et qui permettrait à la France de répondre aux attentes exprimées, que ce soit en Equateur – par le Président Rafael Correa – comme au Chili ou au Brésil, qui montrent toutes l’intérêt économique réel pour la France, vue comme un partenaire intéressant.

b) Les perspectives d’évolution sectorielles

Pour modestes qu’elles soient parfois, les positions des groupes français implantés en Amérique latine et spécifiquement dans le Cône sud, pourraient être amenées à évoluer à brève échéance. Un frémissement semble perceptible quant à nos positions régionales, pour divers facteurs.

Un groupe comme Total, par exemple, n’a actuellement que des investissements relativement faibles au Brésil, inférieurs à 500 millions de dollars, insignifiant par rapport à ceux qu’il a faits ailleurs, comme au Venezuela, qui reste pour le groupe le pays le plus important, compte tenu des réserves de pétrole et de gaz. Au Brésil, Total n’est encore présent que via des participations minoritaires, avec Petrobras, notamment, sur divers segments de ses activités pétrolières ou gazières, en recherche, exploration ou transport. Sa présence est donc encore limitée, mais à l’évidence, les découvertes de pétrole récentes ont bouleversé la donne pour le groupe qui s’y intéresse désormais fortement : le Brésil a été le pays dans lequel les plus importantes découvertes ont été faites en 2010 et ces ressources exceptionnelles, même situées dans l’offshore, profondes et d’accès sans doute difficile, lui promettent un grand avenir de producteur. Total souhaite donc fortement se développer au Brésil, même si les coûts d’implantation sont élevés et la concurrence sérieuse. Il a pour cela des atouts à faire valoir auprès de ses partenaires, tout particulièrement sa grande expérience.

Cela étant, pour le groupe français, le Brésil est aussi un pays d’avenir pour d’autres raisons que ses perspectives pétrolières. En premier lieu, pour le gaz et les énergies nouvelles : Total entend être fortement présent sur la commercialisation du gaz naturel, et il investit dans les sociétés de transport de gaz afin de relier les sites des gisements aux marchés d’exportation. Ensuite, concernant les énergies nouvelles, Total souhaite adapter et diversifier son offre en développant le solaire et la biotechnologie, sachant que le Brésil est le seul pays qui puisse exploiter massivement la canne à sucre, l’objectif principal étant que la filière énergie ne soit pas en concurrence avec la filière alimentaire. Le groupe a donc de grandes ambitions brésiliennes et investit sur des projets de recherche lourds sur le long terme. D’ici à 2020, il ambitionne d’avoir développé une technologie suffisante pour être capable d’utiliser la partie non comestible de la canne à sucre dans la biomasse. Total souhaite pour cela investir dans une start-up pour devenir le premier pilote de production au Brésil afin d’accéder à la production et à la transformation de la molécule d’intérêt. Le groupe estime être capable de produire des carburants pour l’aviation et des lubrifiants grâce à la biomasse d’ici cinq à sept ans.

Indépendamment des opportunités dont peut profiter un groupe comme Total grâce notamment aux découvertes de nouveaux gisements, d’une manière plus générale, la période la plus récente semble porteuse pour les IDE et particulièrement les investissements français. Selon certaines études, en effet, sur la période la plus récente, la part de marché de la France parmi les principaux investisseurs au Brésil se consoliderait, tandis que celle de nos principaux concurrents enregistre une baisse, parfois nette. Ainsi, selon une note du service économique régional près l’ambassade de France au Brésil, la part des IDE nord-américains est passée de 23,8 % en 2000 à 15,5 % en 2009 et 12,7 % en septembre 2010 ; en parallèle, celle de l’Espagne a chuté de 10,8 % en 2009 à 2,7 % en septembre 2010 et celle des Pays-Bas a diminué de moitié, de 20,6 % à 10,4 % entre 2009 et 2010 (270). En ce qui concerne les entreprises françaises, 2010 a en revanche été marquée par plusieurs rachats importants, notamment dans les secteurs des technologies de l’information, de la communication, de la distribution ainsi que dans les matériaux de construction, qu’ont complétés de nombreux investissements industriels dans des domaines variés.

Les nouvelles technologies semblent aujourd’hui un domaine intéressant en termes de perspectives d’IDE. De récentes opérations le confirment, avec Vivendi et GDF-Suez au Brésil, Capgemini et GDF-Suez au Chili, notamment, qui montrent que, au-delà des seules raisons et manifestations d’amitié, il existe des espaces importants et des opportunités pour les investissements français en Amérique Latine et pour que la présence de la France s’améliore, comme elle le fait depuis quelques années, dans certains pays de la région.

5) La modestie des échanges commerciaux

Deux caractéristiques dominent les échanges commerciaux de la France avec ses partenaires du Cône sud : leur relative modestie et le fait qu’ils sont généralement en progression.

a) Un panorama souvent déficitaire

Les échanges commerciaux que notre pays entretient avec ceux d’Amérique latine, et du Cône sud en particulier, ne sont pas très importants, tant en volume qu’en proportion, que ce soit dans l’ensemble ou avec chacun des différents pays de la zone. Ils sont aussi souvent déficitaires comme le montre le tableau suivant, qui met aussi en évidence que la contraction des échanges due au choc de la crise de 2009 est en train d’être surmonté, les tendances étant de nouveau positive, même si les montants concernés restent relativement modestes.

Argentine

2006

2007

2008

2009

2010

2011 (271)

Exportations

810

910

950

685

1 000

840

Importations

625

590

870

510

560

437

Solde

185

320

80

175

440

403

Brésil

2006

2007

2008

2009

2010

2011

Exportations

2 500

3 100

3 500

2 500

3 585

2 550

Importations

2 880

3 500

3 950

2 810

3 700

2 760

Solde

-380

-400

-450

-310

-115

-210

Chili

2006

2007

2008

2009

2010

2011

Exportations

440

600

620

440

548

630

Importations

2 000

1 900

1 700

1 070

1 100

907

Solde

-1560

-1400

-1080

-630

-552

-277

Colombie

2006

2007

2008

2009

2010

2011

Exportations

364

407

554

875

590

598

Importations

296

297

360

313

410

313

Solde

68

110

194

562

180

285

Pérou

2006

2007

2008

2009

2010

2011

Exportations

90

121

134

112

168

110

Importations

225

222

240

213

289

210

Solde

-135

-101

-106

-101

-121

-100

Venezuela

2006

2007

2008

2009

2010

2011

Exportations

440

448

354

307

360

235

Importations

610

194

275

276

270

217

Solde

-170

254

80

71

90

18

Echanges commerciaux bilatéraux de la France avec ses principaux partenaires, en millions d’euros (272)

Toutefois, à l’instar des IDE, une part de nos exportations peut aussi échapper aux statistiques nationales dans la mesure où elles transitent parfois par le Panamá ou Miami ; c’est le cas en Equateur, notamment (273). De même, selon une étude de la Chambre de commerce de Santiago, 78 % des produits de marque française vendus au Chili ne proviendraient pas de France, mais du Brésil, d’Argentine, d’Espagne, de Belgique notamment (274).

 (275)

Néanmoins, d’une manière générale, le rang de la France en tant que client ou fournisseur est modeste et amène, encore une fois, à s’interroger, tant on pourrait supposer que la bonne image et la francophilie permettraient aussi de faciliter les relations commerciales. La part de l’Amérique latine dans notre commerce extérieur n’est que de 2,7 % soit 10 milliards d’euros en 2010. Par comparaison, les parts respectives des autres régions du monde sont les suivantes : Europe : 61 % ; Asie : 11 % ; Afrique : 7 %, Amérique du nord : 7 %, Moyen Orient : 4 %. (276) Si l’on distingue par pays, on constate des positionnements bilatéraux également assez faibles. Le tableau ci-dessous résume cette situation pour quelques-uns des pays du Cône sud :

Pays

Rang de la France

en tant que

Fournisseur

Client

Argentine

8

23

Brésil

9

12

Chili

16

11

Colombie

5

25

Paraguay

7

8

Pérou

21

24

Venezuela

16

15

Uruguay

10

9

Relations économiques avec les pays du Cône sud (277)

b) Quelques données bilatérales

Notre pays ne pointe par exemple qu’au seizième rang des fournisseurs du Chili. Nos échanges se montent à quelque 1,8 milliard US$ par an. A ce sujet, l’ambassadeur du Chili en France rappelait que nos deux pays commerçaient beaucoup autrefois, jusqu’au début des années 1980, avant que la France ne s’efface peu à peu, à tout point de vue, dont commercial, à mesure que la domination de la culture anglophone, via des pays comme le Canada ou l’Australie, ou bien sûr les Etats-Unis, devenait plus nette (278). Aujourd’hui, il existerait cependant une réelle opportunité pour la France qui doit être travaillée. A l’heure actuelle, le Chili est le 6e client latino-américain de la France, après le Brésil, le Mexique, la Colombie, le Panamá et l´Argentine, et reste notre second fournisseur latino-américain, après le Brésil, mais devant le Mexique et l´Argentine.

Il convient aussi de préciser que notre balance commerciale est globalement déficitaire depuis 2002, notre taux de couverture variant ces dernières années de 21 % à 110 %, selon le calendrier de fourniture d’équipements liés aux grands contrats. Le déficit s’est atténué en 2010, où nous avons exporté au Chili pour une valeur totale de quelque 548,1 millions d’euros, nos importations dépassant cependant 1,1 milliard d’euros. Il était de - 1,1 milliard d’euros en 2008 et de - 1,6 milliard d’euros en 2006. Notre taux de couverture s´améliore régulièrement depuis les quatre dernières années passant de 21 % en 2006 à 41 % en 2009, mais le Chili représentait encore en 2009, le 21e déficit commercial français et le 1er en Amérique latine, devant le Brésil. Les échanges bilatéraux globaux entre la France et le Chili se sont contractés de plus du tiers en 2009, conséquence de la crise internationale et du fort ralentissement de l´activité économique et des échanges, contraction imputable tant à la baisse de nos exportations vers le Chili (- 28,8 %) qu’à celle de nos importations (- 37,6 %). Ce sont les automobiles qui en 2009 étaient les premiers produits des ventes françaises, représentant 9,3 % des exportations françaises vers le Chili. Les aéronefs occupaient alors la 4e place avec 5,2 % de nos ventes, sachant que d’une manière générale, les exportations françaises vers le Chili sont composées de trois principaux postes qui représentent 93 % des ventes, suivis de deux autres, plus faibles. Les équipements (hors transports) représentent 31 % de nos exportations ; les transports, dont les automobiles, 20 % ; et les autres produits industriels qui concentrent 42% de nos exportations. Les produits agricoles et agro-alimentaires figurent à hauteur de 4 % de nos exportations vers le Chili, que le poste énergie complète avec 3% (279).

C’est également le 16e rang qu’occupe la France vis-à-vis du Venezuela. La France et le Pérou ont des échanges commerciaux à hauteur de 325 millions d’euros, soit 0,04 % de notre commerce extérieur ; nous ne sommes que le 21e fournisseur de ce pays andin.

Dans le même temps, selon les données communiquées à la mission (280), la France est seulement le 16e partenaire commercial de l’Equateur, et son 6e partenaire au sein de l’Union européenne, derrière l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne, les Pays-Bas et l’UEBL.

 

Importations Equatoriennes

MUSD CIF

Exportations Equatoriennes

MUSD FOB

 

2009

%

2010

%

2009

%

2010

%

TOTAL

15 093

 

19 960

 

13 799

 

17 369

 

UEBL

194,2

1,13

297,11

1,49

189,6

1,37

241,3

1,39

France

98,6

0,65

89,5

0,45

143,4

1,09

204

1,18

Pays-Bas

156,3

1,03

133,94

0,67

301,2

2,37

326,2

2,12

Italie

217,8

1,44

274,6

1,38

577,2

4,67

580,1

3,76

Royaume-Uni

111,2

0,73

76,94

0,39

98,4

0,82

84,1

0,55

Allemagne

384,1

2,54

475,63

2,38

300

2,30

325,8

2,01

Espagne

167,8

1,11

268,83

1,35

315,7

2,71

351,2

1,82

Source : Banque Centrale d’Equateur – IEM # 1902 – Février 2011

Comme on le voit, notre pays n’a fourni en 2010 que 0,5 % des importations équatoriennes directes pour un montant inférieur à 90 millions de dollars (281), contre près 0,7 % l’année précédente. De son côté, l'Equateur a exporté vers la France essentiellement des produits agroalimentaires, pour 204 millions de dollars, soit 1,2 % de ses exportations, contre 1,0 % en 2009. En d'autres termes, de la même manière qu’avec d’autres pays, le solde commercial entre la France et l'Equateur reste déficitaire, et se creuse : il est passé de 50,8 millions de dollars à 114,5 millions en 2010, comme en témoigne le graphique reproduit ci-dessous (282).

Pour sa part, le dynamisme des relations économiques et commerciales franco-colombiennes s’est traduit par un doublement de nos échanges depuis 2004, qui sont passés de 487 à 990 millions d’euros en 2010. La Colombie est désormais notre 4e – ou 5e, selon les sources –, partenaire commercial dans la région derrière le Brésil, le Chili et l'Argentine. A plus de 60 %, nous exportons des biens d’équipement et des biens intermédiaires, l’automobile, la chimie et la pharmacie représentant des secteurs importants. Airbus a effectué des ventes à la compagnie nationale Avianca en 2009 qui ont alors considérablement gonflé nos exportations. Notre solde commercial reste positif puisque nous avons importé pour un peu plus de 400 millions d’euros de produits colombiens en 2010, en hausse de 29 % par rapport à 2009.

D’autres pays occupent une place minime dans notre commerce extérieur. C’est le cas de la Bolivie, marginale, avec 0,01 % de nos échanges seulement. Le solde commercial est néanmoins négatif pour la France qui est le 13e fournisseur de la Bolivie et lui exporte pour quelque 22,5 millions d’euros en biens intermédiaires ou d’équipements professionnels, cependant que nous importons, modestement, essentiellement des produits du secteur minier. Au total, la Bolivie n’est que le 106e fournisseur de la France.

Si ces chiffres ne sont pas très importants, ils présentent aussi la caractéristique de présenter un solde souvent négatif sur les dernières années. Il n’y a que si l’on inclut les données relatives au Panamá et au Mexique que le solde commercial global s’avère positif pour la France, sauf en 2006. Cela étant, il faut également tenir compte du fait que certains de ces déficits, voire la plupart, sont modestes. Au point que les statistiques brésiliennes présentent même les échanges commerciaux comme positifs pour la France.

c) Le commerce bilatéral de la France avec les émergents de la région

Sur le plan des échanges commerciaux comme sur celui des IDE ou de la relation politique, la place du Brésil apparaît une fois de plus particulière.

Si l’on regarde les dernières données statistiques, on note tout d’abord que si le Brésil occupe une place prépondérante dans nos échanges avec l’Amérique latine, nos exportations n’ont cependant jamais atteint les 4 milliards d’euros sur les dernières années et selon toute probabilité, il devrait en être encore ainsi en 2011. Les échanges bilatéraux avec le Brésil ont représenté un volume de 7,3 milliards d’euros en 2010. Pourtant, le Brésil est notre premier partenaire commercial en Amérique latine, et notre 3e, hors OCDE et Maghreb, derrière la Chine et la Russie. Au total, la France est aujourd’hui le 9e fournisseur du Brésil, avec 2,7 % de parts de marché. Par comparaison, l’Allemagne détient 6,9 % de parts de marché et les Etats-Unis 14,8 %. Pour leur part, nos échanges avec l'Argentine ont représenté 1,6 milliard d’euros, ceux avec la Colombie 1 milliard et ceux avec le Venezuela, 630 millions. Sur 10 milliards d’euros d’exportations françaises en 2010, le Brésil en a reçu 3,6 milliards et l’Argentine 1 milliard.

Nos relations commerciales bilatérales sont cependant dynamiques, comme avec d’autres pays de la région, puisqu’elles ont doublé en sept ans. Un moment affectés par la crise de 2009 qui a contracté les volumes, les échanges commerciaux sont rapidement repartis à la hausse, et l’année 2010 a été excellente, à peine inférieure au record enregistré en 2008 : 7,5 milliards. Pour remarquable que cela paraisse, les importations en provenance de France progressent de 33 % d’une année sur l’autre, soit moins que les importations totales brésiliennes. Consécutivement, la part de marché de la France s’effrite(283) Notre pays exporte traditionnellement des biens d’équipement, notamment des avions, des automobiles et des équipements pour automobiles, des préparations pharmaceutiques. Il importe des produits agroalimentaires mais aussi, et de plus en plus, des biens industriels de la 6e puissance économique mondiale.

Les dix premiers fournisseurs du Brésil, en Mds US$ (284)

L'Argentine est un partenaire commercial également important pour la France qui est son 8e fournisseur, le 2e européen, derrière l’Allemagne, et les échanges bilatéraux sont en progression. En 2008, ils avaient progressé de 21 % par rapport à l’année précédente et, en 2010, ils ont atteint un montant total de 1,6 milliard d’euros, en progression de 31 % par rapport à 2009. La progression de nos exportations est notamment remarquable, + 46 % en 2010, à plus d’1 milliard d’euros. L'Argentine est aujourd’hui le 4e débouché de nos exportations dans la région, et elle tient une place à part, dans la mesure où notre solde bilatéral est structurellement excédentaire et assez typé : les biens d’équipement en constituent 60 %, et les produits liés à l’automobile plus du tiers de nos exportations. Dans le même temps, les importations de produits argentins en France sont également en hausse, mais plus modestement : + 9,6 %, et restent très concentrées sur les produits de l’agriculture et des industries alimentaires, pour plus de 80 % du total, soit 432 millions d’euros en 2010. La hausse des importations argentines par la France s’est ralentie, elle était dans les années 2008-2009 supérieure à celle de nos exportations. Quoi qu’il en soit, il est indéniable que nos échanges bilatéraux, très fortement affectés par la crise du tournant du siècle que le pays a connue, ont fortement bénéficié de la reprise de l’économie argentine depuis 2003. Notre solde commercial est excédentaire ; il s’est établi à 440 millions d’euros en 2010 contre 174 en 2009 et 80 en 2008.

Il convient de souligner que les relations commerciales que la France entretient avec les émergents latino-américains sont les moins mauvaises qu’elle ait avec les pays émergents, sans toutefois être très denses : pour importantes qu’elles soient pour nous, la France apparaît assez loin de ses principaux partenaires européens. Sont-elles vraiment à la hauteur de ce que l’on pourrait en attendre ?

d) La faible présence commerciale des PME

A l’instar des investissements dans la région, les échanges avec l’Amérique latine sont majoritairement le fait des grandes entreprises. Les PME sont en revanche très discrètes sur les marchés sud-américains, que l’on considère les pays émergents ou les pays plus modestes.

A cela, plusieurs raisons sont avancées par les interlocuteurs que la mission a rencontrés. En premier lieu, selon les entreprises intéressées, l’Amérique latine, de ce point de vue également, n’est pas une priorité des PME françaises. Seules 2 % des entreprises l'ont intégrée dans leurs objectifs de développement, selon les informations données par la Confédération générale des petites et moyennes entreprises, CGPME (285). Sans surprise, c’est la zone européenne au sens large, et en particulier les pays de l'Union européenne, qui sont très largement privilégiés par les PME : 9 % ciblent pour leurs exportations l'ensemble de l'Europe et 86 % les pays de l'Union européenne. L'Amérique latine est donc une destination oubliée par les PME, et se classe loin derrière l'Asie, l'Afrique du Nord, l'Amérique du Nord et le Moyen-Orient mais devant l'Afrique subsaharienne. Il en est de même des perspectives : les PME n’envisagent pas à l’heure actuelle l’Amérique latine comme zone prioritaire de leurs exportations.

Cela étant, les PME considèrent que l'Amérique latine pourrait occuper une place importante dans leurs exportations, compte tenu des perspectives qu’elle offre. Elles y voient une zone très intégrée à l'économie mondiale et dont la similarité de consommation et de style de vie entre les pays permettrait de dupliquer les stratégies commerciales d’un pays à l’autre à moindre coût. Par ailleurs, certains de ces pays étant à forte immigration européenne, ont une proximité culturelle forte avec l'Europe, ce qui rend l'adaptation des entreprises françaises plus aisée. Les habitudes en matière de relations d'affaires sont perçues comme relativement proches. Au demeurant, s'agissant de PME déjà structurées à l'export, les marchés sud-américains sont considérés comme importants et solvables. Ce sont en outre des économies stabilisées qui connaissent une forte croissance.

Malgré tout, plusieurs raisons ont été alléguées par les interlocuteurs de la mission pour expliquer l’absence globale des PME dans le commerce extérieur de la France vers l’Amérique latine. En premier lieu, le fait que la recherche de nouveaux marchés à l'export passe par une bonne connaissance et une bonne identification des partenaires locaux et des offres locales. Pour les PME, l'information est moins aisée à obtenir sur les marchés lointains tels que ceux de l'Amérique latine, et il est logique que les PME ne les choisissent pas en priorité.

Des difficultés spécifiques aux marchés sud-américains eux-mêmes sont aussi identifiées. Elles tiennent à un environnement juridique et institutionnel parfois incertain, avec de possibles remises en question des contrats en vigueur et d’éventuelles renégociations en cours d’exécution et des lois d'urgence économique, à des systèmes administratifs et des législations complexes et chronophages. Ailleurs, ce sont le poids de la fiscalité ou encore les règles de préférence nationale en matière de marchés publics, qui s’accompagnent d'exigences fortes et de diverses contraintes qui rendent difficiles l’accès aux marchés.

Cela étant, de manière générale, la difficulté pour les PME françaises d'accéder aux marchés d'Amérique latine depuis la France réside toujours, aux yeux de votre Rapporteur, dans leur taille restreinte. Les capacités de production sont limitées pour assurer un développement durable sur les marchés extérieurs. Pour une PME, atteindre une certaine taille critique procure des atouts qui sont déterminants pour une prise de risques à l'export, même si des facteurs de développement et de dynamique peuvent également résider dans les spécificités du secteur d'activité, marchés de niches, par exemple. En cela, la région latino-américaine, et notamment le Cône sud, ne présentent pas de particularités par rapport aux autres marchés internationaux : il s’agit essentiellement d’un problème structurel du tissu industriel français.

V – NE PAS RATER LE COCHE !

A – Les atouts de la France pour demain

Le contexte actuel invite par conséquent à réagir.

A l’heure où l’Amérique latine décolle, le Cône sud en particulier, où de nombreux pays, sur tous les continents, se tournent ou reviennent vers cette région plus qu’ils ne l’ont jamais fait, il serait regrettable que la France ne réussisse pas à mieux affirmer ses positions et à tirer profit des opportunités qu’elle offre. Cela serait d’autant plus anormal que notre pays bénéficie d’atouts non négligeables, si ce n’est uniques par rapport à ses principaux partenaires et concurrents. Ces atouts sont divers et complémentaires. Ils appellent à être non seulement entretenus et utilisés mais aussi valorisés, sauf à se résigner à voir d’autres occuper une place enviable et négligée.

1) Une image encore exceptionnelle

a) Le discours et l’attente n’ont pas changé

Le discours que tient aujourd’hui l’Amérique latine vis-à-vis de la France est identique à celui qu’il a toujours été : malgré la modestie de sa réponse, notre pays bénéficie d’un capital de sympathie qui ne se dément pas et soutient l’attente que ses partenaires du sous-continent continuent d’exprimer.

Il ne s’agit pas seulement de bonnes relations de gouvernement à gouvernement, ou de l’amitié que des présidents peuvent se porter, mais bien plutôt de relations d’Etat à Etat : l’Amérique latine est toujours attentive à ce que la France peut proposer et elle se montre en syntonie avec elle sur les grands dossiers mondiaux, sur lesquels les positions sont partagées et qu’il s’agit de défendre en commun. On a notamment vu ce qu’il en était avec le Brésil, avec lequel cet aspect est particulièrement notable. C’était aussi la position de la présidente du Chili, Michèle Bachelet, qui à la question « Qu'attendez-vous de vos relations avec la France ? », soulignait (286) non seulement le caractère historique des liens qui unissaient les deux pays, qu’elle entendait « bien renforcer encore davantage », la France ayant « eu une grande importance dans le développement institutionnel, culturel et éducationnel du Chili », mais, surtout, ajoutait la présidente chilienne, parce que « d'autre part, nos deux pays partagent la même conviction : notre monde a besoin d'organisations internationales fortes pour garantir les droits de tous. Le président Sarkozy et moi-même avons à coeur de renforcer les pouvoirs de ces organisations (ONU, OMC, FMI...) dans les domaines du commerce, de l'énergie, de la science, de la technologie et de la défense. » Plus récemment, en octobre 2010, la visite en France de son successeur au Palacio de la Moneda, Sebastián Piñera, se concluait par le renforcement du « dialogue politique et [de] la coopération entre le Chili et la France, en vue d'atteindre un partenariat stratégique, qui s'appuie sur 200 ans d'histoire, d'amitié et de relations étroites fondées sur des valeurs et des principes communs : le respect de la démocratie et la défense des droits de l'Homme, la promotion du droit international et des instances multilatérales, les relations pacifiques entre les Nations, la défense de l'environnement et de la biodiversité, le développement des sources d'énergie renouvelables et enfin l'attachement à la liberté d'entreprendre, à la justice, à la cohésion sociale et à la lutte contre la pauvreté et les inégalités. L'amitié entre nos nations s'est illustrée par la solidarité », selon les termes de la déclaration conjointe des deux présidents.

De leur coté, les membres de la mission ont eu maintes confirmations du prix attaché à la relation avec la France par leurs interlocuteurs chiliens, que ce soit au ministère des affaires étrangères, lors de leurs entretiens avec Fernando Schmidt Ariztía, vice-ministre (287), ou avec les parlementaires, tel le Président du Sénat, Guido Girardi (288), ou encore avec le président de la commission des affaires étrangères de la Chambre des députés. C’est la même chose que l’on constate avec un pays comme l’Argentine, dont l’ambassadeur insistait devant la mission sur les exemples de coopérations entre les deux pays, considérées comme majeurs par l'Argentine, notamment en matière scientifique et technologique. Il précisait que dans ce contexte d’ouverture au monde extérieur, l’Argentine accorde une grande importance à ses relations historiques avec la France et souhaite les renforcer tant sur le domaine culturel que commercial, ajoutant que la coopération la plus riche potentiellement est celle du domaine des sciences et des technologies et de la coopération au sein des enceintes internationales comme le G20. (289)

En d'autres termes, ce ne sont pas seulement les points forts traditionnels de la France par lesquels les pays latino-américains ont été séduits qui retiennent aujourd’hui leur attention, c’est aussi et surtout la volonté de s’engager avec elle dans des partenariats tournés vers le futur, que ce soit en ce qui concerne les problématiques liées à la gouvernance mondiale
– multilatéralisme, G20, réchauffement climatique, etc. –, ou l’appui qu’ils espèrent recevoir de la part de la France pour effectuer un saut qualitatif en matière technologique et scientifique, cf. l’énergie nucléaire et les transferts de technologie attendus ici ou là, de la part du Brésil, entre autres exemples. On pourrait aussi rappeler l’accent mis par certains sur la dimension sociale des politiques publiques françaises qui retient leur attention.

Quoiqu’il en soit de la modestie de la présence de la France dans le sous-continent, un aspect doit par conséquent être souligné : notre pays reste encore fort apprécié dans la région. Que ce soit lors des nombreuses auditions que la mission a réalisées ou au cours des déplacements qu’elle a effectués, une constante est indiscutable : la demande de France reste forte et son image est toujours positive.

Quand bien même les relations, commerciales notamment, seraient-elles aujourd’hui plus importantes avec d’autres pays européens qu’avec le nôtre, les interlocuteurs, unanimes, n’en soulignent pas moins que « la qualité du dialogue n’est pas la même » et qu’« il n’y a pas la même identification », voire, même, pas les a priori dont d’autres peuvent pâtir. La relation avec la France est toujours présentée comme particulière, voire unique, non stéréotypée, à l’inverse de ce qui se passe pour d’autres, et il ne tient qu’à la France de savoir profiter de cet avantage incomparable. Tel est en substance le message que la mission a continûment entendu. En d'autres termes, force est de constater que, sur la longue durée et jusqu’à aujourd’hui, la « demande de France », comme on a coutume de dire, reste encore des plus élevées.

Cette perception de la France par les pays du Cône sud, malgré les faiblesses et les insuffisances de son action, malgré le relâchement peut-on dire, dont notre pays a fait la preuve au fil du temps vis-à-vis de la région, est encore telle qu’une attente particulière est exprimée. On attend par exemple toujours de la France qu’elle joue un rôle moteur au sein de l’Union européenne dans la relation avec la région sur un certain nombre de dossiers sensibles, comme l’agriculture, alors même que l’on sait que ce sujet est particulièrement délicat, comme on l’a vu et que l’on connaît les positions que notre pays a prises.

Ce n’est donc pas - ou plus - seulement sur le plan culturel traditionnel que la France est attendue dans le sous-continent : les très nombreux entretiens que la mission a eus, avec des interlocuteurs d’horizons très divers, sont tous sur la même ligne. Ainsi, les milieux d’affaires, qu’ils soient Français expatriés ou non, sont majoritairement désireux d’une présence supérieure de notre pays dans la région. Lors des rencontres à Quito avec les représentants de diverses entreprises, il a été confirmé à la mission que notre pays était par exemple bien perçu en ce qui concerne la formation des employés et la qualité de ses produits, comme le représentant de Sanofi en Equateur a pu l’indiquer ; ceux de Lafarge, d’Alcatel, présent depuis plus d’un demi-siècle ou d’Accor/Casino, implanté depuis 5 ans seulement, estimaient pour leur part que l’expertise de la France était bien reconnue et ses entreprises très appréciées dans ce pays, ce que confirmait de son côté le représentant de la COFACE.

De l’avis unanime, la proximité culturelle contribue grandement à résoudre les difficultés éventuelles, et les relations avec les clients s’en trouvent facilitées. En ce sens, la latinité est un atout considérable, indispensable à la réussite d’un projet d’implantation dans cette région. Charles-Henry Chenut (290) insistait fortement sur le fait que l’on ne réussit pas une implantation sans projet humain, regrettant que la francophonie et la francophilie importantes étaient des atouts souvent méconnus et insuffisamment valorisés de notre côté.

Il en est de même des milieux universitaires, tout aussi unanimes dans leurs appréciations et attentes. La France est toujours vue et considérée comme un pays prestigieux, synonyme de démocratie, elle dispose d’avantages uniques dont elle doit profiter, avantages que n’ont ni le Royaume-Uni, ni les Etats-Unis, ni même l’Espagne, a-t-on entendu à plusieurs reprises en Equateur. La latinité en partage est encore aujourd’hui considérée comme une richesse à préserver et sur laquelle les deux pays devraient travailler ensemble.

Ces commentaires et appréciations, ce ne sont pas seulement les officiels et entrepreneurs équatoriens qui les ont exprimés, mais aussi les Brésiliens et les Chiliens (291).Votre Rapporteur vient aussi de montrer l’attente argentine sur ces aspects et l’on a vu plus haut ce qu’il en était des relations nouées par les universités françaises avec l’USP au Brésil.

Ainsi, historiquement, c’est d’une manière générale dans le domaine scientifique que la relation de coopération entre Chiliens et Français s’est développée et qu’elle continue de le faire. Le bulletin trimestriel du Service de coopération et d’action culturelle de l’ambassade de France en témoigne, qui permet de constater qu’il s’agit toujours d’une relation de haut niveau, dans laquelle les sciences pures, - mathématiques, astronomie -, occupent une place de choix, sans exclure pour autant les sciences sociales. Il est aussi frappant de noter que c’est prioritairement avec les scientifiques français que les chercheurs chiliens souhaitent toujours continuer à travailler comme ils ont eu l’occasion de le dire à la mission (292). C’est tout particulièrement vrai dans le domaine de l’astronomie, - pôle d’excellence s’il en est de la recherche chilienne qui dispose d’une situation exceptionnelle et de 70 % des infrastructures mondiales -, dans lequel non seulement la relation scientifique bilatérale est ancienne, qui s’est traduite par des laboratoires communs sur des télescopes et des publications conjointes, mais où elle revient en force. La barrière éventuelle de la langue n’étant plus un obstacle, à cet égard, dans la mesure où l’essentiel de la communication scientifique se fait désormais en anglais...

En parallèle, des partenariats de haut niveau se développent, autour de collèges doctoraux communs, de formations d’ingénieurs. D’une manière générale, le niveau de la coopération est élevé, en témoignent les accords de partenariats entre des universités chiliennes et X-Mines, ou encore la création de la chaire Foucault, qui traduisent une dynamique positive qui rencontre un intérêt réciproque. La perception est par conséquent la même au Chili qu’au Brésil et en Argentine. Si jusqu’à aujourd’hui l’orientation a plus été donnée au Chili à la recherche qu’à l’enseignement, à la formation de docteurs et d’ingénieurs, celle d’enseignants est aujourd’hui l’une des pistes avancées sur lesquelles l’apport de la France pourrait être irremplaçable selon les interlocuteurs chiliens, compte tenu de son excellence dans ce secteur. Les événements de ces derniers mois ont au demeurant mis en lumière le sérieux de la crise actuelle de l’enseignement public au Chili, secteur en déshérence. La France pourrait opportunément tirer profit de son image et de l’attente qu’elle suscite pour compléter son offre actuellement centrée sur la création de lycées d’excellence en échange de la réintroduction de l’enseignement du Français dans les cursus scolaires.

La demande de France s’exprime aussi parfois en termes plus larges, de coopération plus ample. Plus que les IDE, ce qui est souhaité est un transfert de compétences. Ainsi, l’expérience de la France en matière de tourisme, secteur dans lequel l'Equateur dispose de fortes potentialités, comme en matière de santé ou de construction d’habitat social, sujet présenté comme crucial à Quito, sont des secteurs sur lesquels la France est également attendue. A cet égard, il a été indiqué à plusieurs reprises que l’une des raisons pour lesquelles notre pays était aujourd’hui encore bien perçu tient justement à l’accompagnement des IDE que nos entreprises apportent, notamment en matière de formation, de développement personnel, de sécurisation des chantiers et des méthodes ; Lafarge, par exemple, a été cité pour la formation ses chauffeurs routiers et la sécurité de ses camions. En d'autres termes, une dimension sociale est attendue, qui fait partie de l’« image de marque » de la France à l’international, sur laquelle il conviendrait de capitaliser.

b) Mais les choses pourraient changer et invitent à la vigilance

L’évolution des élites politiques sud-américaines sur la période récente pourrait cependant les amener à se détourner de notre pays, en tout cas à y être moins attentifs. Ce qui conduit à dire que notre propre politique doit être plus soutenue.

En effet, les dirigeants actuels de la région, les nouvelles élites, sont sans doute naturellement moins tournés vers la France que ne l’étaient leurs prédécesseurs. C’est d'ores et déjà le cas de personnalités comme Evo Morales, Hugo Chávez, voire même Sebastián Piñera, qui n’ont par exemple pas de formation française, et peu ou pas de liens avec la francophonie nid’une manière générale, rien dans leur passé ou leur trajectoire personnelle qui les incite spontanément à se tourner en priorité vers notre pays, à l’inverse de leurs prédécesseurs plus ou moins lointains. En d'autres termes, l’appui traditionnel des élites sur lequel la France a longtemps compté pour entretenir son image et ses positions en Amérique latine risque d’évoluer et d’être à l’avenir un instrument moins efficace, ne serait-ce que parce nombre d’entre elles sont plus facilement allées étudier aux Etats-Unis qu’en France. Comme on le disait à la mission (293), il importe d’évoluer avec ces nouvelles élites, de savoir nouer les relations qu’il convient avec elles et ne pas se contenter de rester sur ce qui peut surtout relever du passé. Si un besoin de France est effectivement toujours exprimé, il nous faut néanmoins nous adapter aux réalités d’aujourd’hui : les élites traditionnelles sont peu à peu en train de sortir du jeu politique et économique et il importe par conséquent de savoir rénover à temps nos soutiens régionaux, élargir les réseaux pour ne pas rester uniquement en contact avec le milieu francophile, au risque d’une vision, certes rassurante et flatteuse, mais déformée. En d'autres termes, savoir ce que les pays attendent de nous pour demain, s'appuyer sur les nouvelles élites en arrêtant de rappeler un passé fastueux, aujourd’hui moins d'actualité.

Au demeurant, si les discours continuent de souligner la bonne image de marque de la France, insistent sur le fait que notre pays a un rôle à jouer dans la région et montrent une attente indéniable, il importe également de tenir compte d’une certaine forme de lassitude latino-américaine qui commence à poindre et amène certains dirigeants à formuler des positions lourdes de sous-entendus, vis-à-vis de l’Europe d’une manière générale, et par conséquent, aussi de la France.

L’Europe est en effet mal jugée à l’heure actuelle par les dirigeants du sous-continent pour ses dissensions internes et la difficulté que montrent ses Etats membres à s’accorder sur les solutions et les mécanismes de sortie de la crise budgétaire. Récemment, certains d’entre eux ont interpellé l’Union européenne assez durement : le Président colombien, Juan Manuel Santos, se déclarant très préoccupé de voir que les pays industrialisés n’étaient pas capables d’adopter les décisions correctes et de montrer au monde qu’ils pouvaient solutionner leur crise, a ainsi averti les leaders européens : « le monde a changé. Aujourd’hui, nous disons : "Mettez de l’ordre chez vous, car votre désordre nous affecte" », précisant que les décisions qu’ils devaient prendre étaient les mêmes que celles qu’ils avaient imposées à l’Amérique latine il y a des années pour qu’elle résolve sa propre crise budgétaire, « exactement les mêmes » (294). Opinion partagée par l’ancien président du Chili, Ricardo Lagos, qui disait récemment ne pas comprendre l’aveuglement de l’Europe et son incapacité à prendre les seules décisions valables (295). Dans le même ordre d’idées, on peut signaler que Dilma Rousseff et son gouvernement, de même que ceux de plusieurs pays, se sont montrés réservés sur les orientations prises par les Européens.

En d'autres termes, des éléments s’installent peu à peu pour qu’une Amérique latine désormais mature et sans complexe regarde aujourd’hui la « vieille Europe » avec d’autres yeux que ceux de Chimène. Les perceptions sud-américaines évoluent et le regard devient d’autant moins complaisant que les élites nouvelles sont plus distanciées et n’hésitent pas regarder ailleurs.

Rien n’est donc définitivement acquis, ni pour l’Europe, ni pour la France. C’est la raison pour laquelle notre pays ne doit négliger aucun des instruments dont il dispose.

2) La présence institutionnelle fondamentale de la France dans les organismes régionaux

Américain par quatre de ses collectivités d’outre-mer, surtout par la Guyane, notre pays a sans doute raté une opportunité dans le passé en ne se déclarant pas comme tel. Introduire des changements à ce stade seraient probablement malaisé, à une époque où, plus que jamais, les Etats de la région, et pas seulement les plus « radicaux » du Cône sud, entendent gérer leurs affaires avec le moins d’interférence extérieure possible, comme le manifeste la création très récente de la Communauté des États latino-américains et des Caraïbes, CELAC, (296), ou encore la position du Chili et d’autres pays de la région sur le différend anglo-argentin.

Notre pays n’en est pas moins membre ou partenaire de diverses institutions régionales dont l’importance, pour certaines, est majeure. La présence de la France au sein de ces organismes est un atout considérable : elle lui permet d’assurer sa visibilité, d’exercer une influence et de jouer un rôle apprécié.

a) L’exemple de la Banque interaméricaine de développement

A l’heure actuelle, la participation de notre pays aux institutions régionales d’Amérique latine se manifeste essentiellement au niveau de la Banque interaméricaine de développement, BID, à laquelle il a adhéré en 1977. La position qu’occupe la France, pour modeste qu’elle paraisse a priori, est en fait des plus intéressantes.

En effet, au sein d’une institution qui appartient majoritairement aux pays latino-américains eux-mêmes – en d'autres termes, aux bénéficiaires mêmes de son action et de ses prêts –, qui en détiennent 50,015 % des droits de vote, un peu plus de 30 % étant par ailleurs détenus par les Etats-Unis, la part réservée aux pays membres extrarégionaux est nécessairement faible : 15,979 % des droits de vote au total (297). Néanmoins, dans le collège des seize pays européens actionnaires de l’institution, notre pays occupe aujourd’hui le premier rang, à égalité avec l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie, en détenant aujourd’hui 1,896 %. Lors de la dernière augmentation de capital, décidée en 2010, la France a opportunément décidé d’augmenter sa présence, à la différence du Royaume-Uni, par exemple, qui a diminué la sienne et ne détient plus aujourd’hui que 0,964 % du total des droits de vote.

Ce niveau d’engagement confère à notre pays une position enviable, comme l’indiquaient à la mission tant Marc-Olivier Strauss-Kahn, alors administrateur de la Banque pour la France, que Carlos Jarque, représentant de la BID pour l’Europe (298).

L’intérêt pour la France d’être actionnaire de la principale institution de développement en activité dans la région est important à plusieurs titres. En premier lieu, par les droits que confère ce niveau d’actionnariat, qui permet à notre pays de disposer d’un siège au Conseil d’administration, partagé par rotation avec l’Espagne, et d’avoir de ce fait un accès permanent à l’information de la banque et de participer à sa direction. Le mandat du dernier administrateur français s’est achevé le 31 août 2011, date à laquelle il a été remplacé pour trois ans par un administrateur espagnol, avec un Français pour suppléant. Ce siège au sein du directoire représente également l’Autriche, le Danemark, la Finlande, la Norvège et la Suède, qui ensemble, constituent l’une des trois circonscriptions européennes, dans laquelle ces pays coordonnent leurs positions sous le leadership du titulaire. Le rôle privilégié que permet à cet égard le poste d’administrateur donne un effet multiplicateur au poids de notre pays, et c’est la raison pour laquelle il était important pour la France d’augmenter sa part de capital en 2010. Inversement, le Royaume-Uni ne peut désormais plus prétendre à un poste d’administrateur et son poids au sein de l’institution en est nécessairement dilué.

La BID apparaît aussi comme un endroit stratégique où il est possible promouvoir ses idées, de faire passer des messages et recueillir des impressions. La question des juridictions non coopératives et une part de la pression qui a été faite sur le Panamá par exemple à ce sujet, en est un exemple récent. De même permet-elle de travailler sur divers enjeux économiques et de mettre en relief les avantages comparatifs de la France, notamment de ses entreprises. L’approche décentralisée de la BID, présente dans chacun des 26 pays bénéficiaires, permet une gestion locale des projets et les relations avec les entreprises sont étroites, en liaison avec les missions économiques et les bureaux de la BID, ainsi qu’avec le MEDEF. Elles sont en progression, signalait d’ailleurs l’administrateur français à la mission. C’est par exemple sur la base d’une étude préalable financée par la BID, qu’Alstom a remporté le marché du métro de Panamá.

En d'autres termes, à l’heure où le sous-continent prend son essor, il est essentiel d’être présent au sein de cette institution-clef sur les questions de développement économique et social de la région, dont l’une des quatre langues officielles est le français, d’autant plus que certaines de ses priorités en matière de développement sont aussi celles de la France : c’est par exemple le cas du secteur de l’éducation. A cet égard, Marc-Olivier Strauss-Kahn estimait que la décision prise en juin 2009 par le CICID d’autoriser les interventions de l’Agence française de développement en Amérique latine avait été tout à fait opportune : en premier lieu, le différentiel de développement et l’écart à combler sont encore importants, et il y a par conséquent un créneau pour que la coopération au développement française, instrument d’influence s’il en est, soit présente. Mais aussi, dans les pays émergents ou en voie de l’être, dans lesquels la dimension APD est moins présente, un véritable potentiel s’offre ainsi aux entreprises françaises. Une collaboration s’est d’ailleurs très vite instaurée entre l'AFD et la BID, de plus en plus étroite, que l’on jugera d’autant plus essentielle en termes de positionnement de la France, que le premier interlocuteur de la BID est aujourd’hui l'USAID. Cette coopération se traduit par des possibilités de cofinancements entre les deux partenaires qui y trouvent chacun un fort intérêt et des opérations se profilent avec le Pérou et le Chili, par exemple, en plus des dons sur Haïti (299).

En d’autres termes, être actionnaire, pour un coût au demeurant modeste (300), d’une telle institution permet à la France de conforter sur le long terme sa présence régionale, que ce soit sur des questions relatives à l'APD, au bénéfice des pays les moins développés de la zone, ou sur des enjeux plus économiques, dans les plus importants. Il s’agit là évidemment d’un atout considérable.

b) La participation de la France à d’autres instances régionales est tout aussi importante

Parallèlement à son appartenance à la BID, la France est aussi membre ou associée d’autres institutions régionales.

On ne mentionnera que pour mémoire l’Union latine. La France en est membre à part entière aux côtés de 35 autres Etats – dont les plus petits : Andorre, Monaco, San Marin, notamment. Si elle en héberge le siège à Paris, il faut convenir que le rôle de cette organisation est modeste : selon ses statuts, elle a pour but de favoriser la coopération intellectuelle entre ses Etats membres et de renforcer leurs liens spirituels et moraux, la mise en valeur de leur patrimoine culturel commun, la connaissance réciproque des peuples latins, et « mettre les valeurs morales et spirituelles de la latinité au service des relations internationales, afin d'arriver à une compréhension et à une coopération plus grande entre les Nations et d'accroître la prospérité des peuples » (301). Pour nobles que soient ces objectifs, on ne saurait nier que la collaboration entre les peuples peut aussi passer par des mécanismes plus concrets et opérationnels.

Plus significativement, sans en être membre à part entière, la France bénéficie du statut d’observateur permanent au sein de l’Organisation des Etats américains, OEA. Celle-ci reste aujourd’hui encore, et sans doute pour longtemps, la principale instance interaméricaine de dialogue politique et de coopération effective. Qu’elle soit contestée, cf. la création de la CELAC, est cependant sans doute loin de la condamner. En témoignent le fait que l'OEA d’aujourd’hui n’est plus politiquement celle du début des années 1960 : une résolution de son assemblée générale de juin 2009 a en effet déclaré « nulle et non avenue » celle du 31 janvier 1962 qui avait exclu Cuba de l’organisation ; que la Bolivie, l’un des pays sans doute les plus en pointe de la critique, accueillera, pour la première fois depuis 1979, la prochaine assemblée générale ; ou encore, que la CELAC, nouvelle et nième instance d’intégration latino-américaine, a pour le moment été créée sans structure, ni secrétariat permanent, ni budget, et devrait avant tout fonctionner comme un nouveau forum de dialogue et de concertation régionale (302).

Comme le rappelle le site de la représentation française à l'OEA, où notre pays a un ambassadeur permanent, cette organisation est « un point de convergence unique, car elle est à la fois la plus ancienne des enceintes interaméricaines et la plus inclusive des structures intégrées d’un continent tiraillé en permanence par des forces centrifuges et centripètes mais soudé aussi par les valeurs partagées de l’Occident. La France y entretient des relations suivies avec ses partenaires privilégiés américains, avec les pays influents de la région auprès desquels elle bénéficie d’une relation qui n’est obscurcie par aucun passé colonial, souvent renforcée même par une admiration profonde remontant aux Lumières, et, enfin, avec des pays avec lesquels elle est unie par un lien plus distant, en raison de l’éloignement ou d’un passé plus complexe. » (303) De la même manière qu’à la BID, en contact étroit avec l’ensemble des pays participant aux activités de l’organisation, via leurs représentations permanentes, la France trouve dans sa présence à l'OEA « une formidable caisse de résonance ». A juste titre, la représentation permanente de la France auprès de l'OEA estime indispensable la participation active de notre pays à ses travaux et cite opportunément un certain nombre de secteurs dans lesquels les synergies sont possibles : « Notre pays ne peut lutter contre le narcotrafic dans la Caraïbe et entre le continent américain et le golfe de Guinée sans coopérer, d’une façon ou d’une autre, avec la Commission interaméricaine contre les abus de drogue (CICAD) et la Commission interaméricaine contre le terrorisme (CICTE) ou jouer un rôle pour rapprocher les réseaux de coopération judiciaire américain et européen (…). La France ne peut défendre l’universalité des Droits de l’Homme et ne pas suivre et encourager les activités de la Commission et de la Cour interaméricaines compétentes. Elle ne peut disposer de plusieurs centres de l’Institut Pasteur en Amérique et développer dans ses départements une politique de santé publique exemplaire sans participer activement aux travaux de l’OPS (304) (ses centres de recherche agronomiques installés dans les DFA - IICA, notamment -, étant par surcroît susceptibles d’apporter à la région une expertise de haut niveau). La France ne peut être l’un des deux principaux acteurs de la reconstruction d’Haïti sans concertation avec les pays du continent et donc avec l’OEA qui participera à la modernisation du cadastre, à la préparation des élections et à la remise en état de l’Etat-civil. » (305)

Il est à noter que la participation de notre pays aux activités et programmes de l'OEA est dûment reconnue par l’organisation : le fait que la France soit seule, avec l’Espagne, à avoir accrédité à Washington auprès de l'OEA un ambassadeur permanent est valorisé comme il se doit, comme une résolution spécifique l’a salué il y a une douzaine d’années (306), qui relevait notamment l’intérêt particulier de notre pays à renforcer ses liens avec la communauté interaméricaine.

Dans le même ordre d’idées, notre pays a également développé ces dernières années des relations privilégiées avec la Commission économique des Nations Unies pour l’Amérique latine et la Caraïbe, CEPAL. Elle y délègue depuis plusieurs années un ambassadeur, celui en poste auprès de l'OEA, qui assure les deux fonctions, et surtout, a conclu un partenariat en 2002, régulièrement reconduit depuis, encore récemment, en novembre 2011. Cette collaboration porte sur quelques thématiques prioritaires pour les deux Parties, notamment articulées autour des enjeux globaux et du développement durable, ainsi que sur les questions de politiques publiques en matière de transports urbains. Sur d’autres sujets, comme les politiques en matière d’eau et d’assainissement, la France est particulièrement attendue par la CEPAL, compte tenu de son expérience et de la possibilité de la faire fructifier dans la région. Organisme des Nations Unies, le rôle de la CEPAL sur ces questions est donc particulièrement intéressant dans la mesure où ce forum permet de décliner la réflexion régionale avec les partenaires latino-américains et, consécutivement, pour notre pays, de trouver une caisse de résonance à ses propositions en participant à l’élaboration des positions et politiques publiques correspondantes au sein des grands rendez-vous mondiaux. Au-delà de ces aspects, la CEPAL n’oublie pas les thématiques initiales pour lesquelles elle a été créée en 1948 et mène aujourd’hui une réflexion importante sur les questions de régulation de la mondialisation, pour lesquelles elle travaille en partenariat avec des institutions telles que l'AFD, l’Ecole d’économie de Paris ou encore l’ADEME, pour la construction d’indicateurs régionaux d’efficience de politiques énergétiques, qui intéressent six pays du Cône sud (307).

Si on le compare avec l’implication de l’Allemagne qui en apporte seule quelque 20 % des contributions externes, avec l’Espagne, qui est également un partenaire sérieux de la CEPAL et collabore avec elle sur nombre de projets, il faut convenir que le partenariat de notre pays est modeste. Cela étant, la France met à sa disposition à Santiago un assistant technique qui intervient sur les différentes thématiques du partenariat. Il s’agit donc d’une coopération visible, en interne au sein de l’équipe d’experts de l’organisme, qui permet de renforcer considérablement la promotion de l’expertise française. Surtout, selon les informations qui ont été communiquées à la mission lors de son déplacement à Santiago tant par l’ambassadrice de France que par les responsables mêmes de la CEPAL (308), la relation entre les deux partenaires est vue comme remarquable, en ce qu’elle permet une réflexion et des échanges d’expérience sur les sujets les plus contemporains et sur les enjeux de l’avenir, traités de manière pluridisciplinaire.

c) Essayer de renforcer nos positions dans d’autres instances régionales ?

Comme on le voit, la France occupe des positions au sein d’un certain nombre d’organisations régionales, intéressantes pour la diffusion des messages qu’elle entend faire passer en Amérique latine et elle y mène une action appréciée. D’autres organismes existent, dont le rôle est également remarquable, dans lesquels notre pays est moins visible. Aux yeux de votre mission, il pourrait être opportun d’essayer d’y renforcer notre présence.

Votre Rapporteur a parlé précédemment de la SEGIB – Secrétariat général de la communauté ibéro-américaine -, et de l’importance, notamment, que l’Espagne y attachait. Toutes choses égales, la Conférence ibéro-américaine des chefs d’Etat et de gouvernement est à l’hispanophonie et à la lusophonie ce que l’OIF est à la francophonie. La France y bénéficie depuis 2010 d’un statut d’observateur associé, aux côtés de l’Italie, de la Belgique, des Pays-Bas, du Maroc et des Philippines, qui lui a été accordé par les pays membres sur la base de « la riche tradition de relations dans les domaines artistique, culturel, architectural, linguistique, économique et politique de la France avec les pays ibéro-américains et l’intérêt quelle a montré pour les travaux de la Conférence. » (309). Ce statut permet notamment de participer aux sommets annuels des chefs d’Etat et de gouvernement, aux réunions ministérielles sectorielles ainsi qu’aux activités de coopération. Notre pays n’a cependant encore participé à aucune de ces réunions (310). Cela, alors même que des thématiques qu’il promeut par ailleurs avec l’énergie que l’on sait, notamment avec ses partenaires de la région, comme le changement climatique (311) ou la promotion des investissements y sont activement débattues, que des forums d’entrepreneurs sont organisés et la promotion des investissements encouragée. Il n’y aurait sans doute que des avantages à ce que la France, en cohérence avec ses démarches globales, avec même la demande d’adhésion qu’elle a formulée auprès de la SEGIB pour y être admise, commence par élever son niveau de participation et s’impliquer enfin.

D’autres instances existent encore dans lesquelles notre pays n’a malheureusement aucune chance d’accéder. C’est notamment le cas de l’Organisation du Traité de coopération amazonienne, OTCA, dont l’article 27 du traité constitutif, adopté en 1978, établit expressément qu’il n’est pas ouvert aux adhésions ultérieures à d’autres Etats, alors même que le partenariat qu’il institue entre les pays de la région de l’Amazone aurait pu fortement intéresser la France du fait de la Guyane. En revanche, le traité constitutif de l’UNASUR semble ouvrir certaines possibilités : il prévoit la promotion par l’organisation d’initiatives de dialogue avec des Tiers sur des thèmes d’intérêt régional ou international et la consolidation de mécanismes de coopération, notamment dans les secteurs de l’énergie, des infrastructures, des politiques sociales ou éducatives (312), autant de sujets sur lesquels la valeur ajoutée de notre pays est particulièrement mise en relief par ses interlocuteurs régionaux, comme on l’a vu. De même, aux termes de l’article 19 du Traité du 23 mai 2008, les autres Etats d’Amérique latine peuvent-ils solliciter leur participation à l’UNASUR comme « Etats associés ». Dans la mesure où cette qualité a déjà été reconnue à la France dans d’autres instances, plus restreintes, peut-être serait-il aussi opportun d’en bénéficier au sein de l’organisme qui réunit l’ensemble des pays du Cône Sud.

Enfin, de la même manière que la France est actionnaire de la Banque interaméricaine de développement, et sachant l’intérêt de cette position, on peut se demander s’il ne serait pas également opportun qu’elle entre au capital de la Corporation andine de développement (313), CAF. D’autres pays que les seules nations andines en sont membres, que ce soit sur le sous-continent, comme l’Argentine, ou en Europe, l’Espagne et le Portugal, qui a adhéré en 2009. Les critères géographiques ne restreignent donc pas l’accession à cette institution de financement du développement de la sous-région, qui a pris au fil de ses quelque quarante années d’existence et notamment au cours de la dernière décennie, une importance sans cesse croissante. Surtout, les secteurs sur lesquels la CAF investit sont de ceux sur lesquels la France, et ses entreprises, bénéficient d’une bonne image : infrastructures, environnement et développement social notamment.

d) Conforter des synergies possibles avec nos propres mécanismes de financement du développement

Cette entrée au capital de la CAF pourrait être d’autant plus opportune, en termes de synergies possibles, que, comme on le sait, des entreprises françaises ont récemment remporté des marchés dans divers pays de la zone. Cela n’est pas non plus sans légitimité, dès lors que l’Agence française de développement, AFD, a été mandatée pour prospecter dans certains pays de la région, et intervenir sur les thématiques du réchauffement climatique et des transports urbains, indépendamment des interventions de Proparco, sa filiale pour le secteur privé, comme le rappelaient Dov Zerah et Louis-Jacques Vaillant, respectivement directeur-général et directeur Amérique latine de l’agence (314). De fait, les entreprises françaises sont notamment bien placées dans les transports urbains, dans diverses villes d’Equateur ou de Colombie, pour l’essentiel. Au demeurant, l’AFD coopère d'ores et déjà avec les banques régionales de développement en Amérique latine, comme on l’a vu en premier lieu s’agissant de la BID ainsi qu’avec d’autres partenaires, et elle prête aussi à la CAF, qui, de son côté, a souhaité entrer au capital de Proparco.

En d'autres termes et pour résumer ces aspects, on se trouve aujourd’hui dans une conjoncture particulièrement opportune : la demande de France de la part de nos partenaires sud-américains reste forte ; des chantiers considérables de moyen terme – celui des infrastructures notamment – doivent être ouverts dans une région dont le développement économique et social suppose le traitement de besoins et de questions cruciales – réduction de inégalités sociales ou spatiales toujours fortes ; création d’une classe moyenne indispensable ; problématiques environnementales –, pour ne citer que ces aspects. De l’avis général, dans le contexte présent de crise économique et financière, l’Amérique latine fait aujourd’hui partie des solutions et non plus des problèmes. Dans ces conditions, selon la mission, il serait regrettable de ne pas explorer l’ensemble des pistes et expérimenter les différents instruments à disposition qui permettraient de renforcer notre présence et donner toute sa cohérence à notre action. En ce sens, tout en ne perdant pas de vue que cette question mérite d’être soigneusement valorisée au regard de l’ensemble des missions et des géographies d’intervention traditionnelles de l'AFD et des questions que peuvent soulever le développement de ses activités, la mission est d’avis que, si l’on vise au renforcement de la présence et de la visibilité de notre pays dans cette région du monde, l’extension du mandat de l’opérateur ne devrait sans doute pas être écartée. Chacun connaît les différences d’appréciation traditionnelles entre les tutelles de l’agence, le ministère des finances ne partageant pas l’appréciation du Quai d’Orsay quant à la question mandat de l’agence. Elles ne se manifestent pas uniquement sur les questions relatives à l’Amérique latine, même si le ministère des affaires étrangères et européennes est en l’espèce particulièrement demandeur d’une telle extension qui se ferait sur la base des instruments non concessionnels de l’agence.

S’agissant du Cône sud, les opportunités et la demande de savoir-faire français sont telles, en matière de gestion des services publics locaux entre autres exemples, qu’il est inopportun et sans doute contreproductif pour notre pays de se priver de ces possibilités d’intervention. Ainsi, au Brésil, une dizaine de projets ont été décidés, pour quelque 180 millions d’euros d’encours, depuis que l’AFD y a pris pied au Brésil en 2007 (315). C’est en matière de transports publics et de biodiversité urbaine que des projets ont commencé d’être instruits avec la municipalité de Curitiba, demandeuse du savoir-faire français. Le tramway de Brasilia a constitué une deuxième opportunité et d’autres projets sont en phase d’instruction, notamment en matière d’assainissement, sur lesquels les entreprises françaises sont également bien placées. Les questions d’assainissement, de traitement des déchets, de transports urbains, sont des sujets sur lesquels une demande d’expertise française existe aussi en Colombie, comme se pourrait être le cas en Equateur, sur lesquels l’AFD, comme banque de développement, pourrait intervenir (316).

3) Le Brésil, porte d’entrée de la France sur le sous-continent

La relation bilatérale franco-brésilienne est la plus étroite que notre pays ait avec l’un de ses partenaires sud-américains. Cette relation a notamment pris la forme d’un important accord de partenariat stratégique, conclu en décembre 2008 par les présidents Sarkozy et Lula da Silva à Oyapock, en Guyane. D’une certaine manière, cet accord a concrétisé les progrès de la relation bilatérale engagés plus de vingt ans auparavant.

a) Un partenariat unique et des perspectives prometteuses

Il faut en effet rappeler le projet « France – Brésil », signé le 14 octobre 1985 par les présidents François Mitterrand et José Sarney qui ont voulu renforcer et développer les relations bilatérales pour « donner un nouvel éclairage à l’héritage du passé et explorer de nouvelles perspectives de coopération ». Le projet a prévu un ensemble d’« activités culturelles, éducatives, universitaires, sportives, promotionnelle et de coopération scientifique, technologique et industrielle », pour « faire mieux connaître réciproquement les potentialités et les réalités des deux collectivités nationales » et « conduire une réflexion conjointe sur les grands problèmes du monde contemporain. » Par la suite, les relations entre les présidents successifs de chaque pays ont toujours été remarquablement bonnes. De nombreux accords bilatéraux sont venus ponctuer cette amitié (317), marquée de la volonté constante de maintenir un dialogue politique soutenu. En témoigne entre autres l’accord-cadre de coopération de mai 1996, qui a notamment créé une commission bilatérale politique, et mis un accent particulier sur les coopérations scientifique et technique d’une part, et culturelle et linguistique, d’autre part. La coopération économique, dans ses aspects commerciaux, d’investissements et financiers, était privilégiée, et associait les entreprises du secteur privé des deux Parties, renforçant les décisions et mécanismes en vigueur instaurés dans les années 1975. Plus tard, l’année du Brésil en France, en 2005, puis l’année de la France au Brésil, en 2009, ont apporté leur pierre à la consolidation de cette amitié.

Le partenariat stratégique est donc venu parfaire une relation qui n’a cessé de se renforcer. Il couvre l’ensemble des sujets actuels de la relation bilatérale. Indépendamment de l’annonce de l’ouverture de l’année du Brésil en France, huit chapitres sont détaillés, qui lui donnent un caractère multidimensionnel impressionnant.

En premier lieu, il prévoit la coordination des efforts de deux Parties pour contribuer à la réforme de la gouvernance mondiale, « afin de l’adapter aux équilibres politiques, économiques et humains contemporains et d’accroître la capacité de la communauté internationale face aux défis globaux. » Il est par conséquent réaffirmé que la France soutient la candidature du Brésil à un siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies et à son accession à un G8 élargi, sujet sur lequel les deux pays s’engagent à approfondir leur dialogue bilatéral. Dans le même ordre d’idées, ils poursuivront leurs efforts en vue de la refondation du système financier international pour qu’il soit au service du financement de l’économie et d’un développement équitable.

En matière de coopération économique et commerciale, l’accroissement et la diversification de leur commerce bilatéral, la dynamisation des flux d’investissements et l’intensification du dialogue sur les questions économiques et commerciales, tant bilatérales que multilatérales sont à l’ordre du jour.

Un volet porte sur la coopération dans le domaine de l’utilisation pacifique de l’espace, secteur sur lequel les deux Parties soulignent leur volonté de valoriser la contribution des technologies spatiales à l’agriculture, au développement durable et à la lutte contre le changement climatique, notamment. De nouveaux projets sont lancés à cette fin pour renforcer et approfondir les coopérations d'ores et déjà existantes. En prolongement d’un accord de 2005 déjà en vigueur, la France et le Brésil entendent coopérer en matière d’énergie nucléaire civile, pour renforcer mutuellement « leur indépendance et leur efficacité énergétique et lutter contre le changement climatique. » La France pourra notamment fournir son expertise en matière de formation dans le cadre d’un « programme de grande ampleur », et la promotion de partenariats entre sociétés nucléaires des deux pays, des échanges et études conjointes, en matière de stockage, entre autres aspects, sont envisagés.

Le domaine du développement durable et de la biodiversité sont l’objet de particulières attentions : un protocole de coopération est signé le même jour quant au développement durable du biome amazonien, tant du côté français que du côté brésilien, ainsi qu’un protocole additionnel à l’accord de coopération technique et scientifique relatif à la création du centre franco-brésilien sur la biodiversité amazonienne pour promouvoir la recherche, l’innovation technologique et les transferts de connaissance sur ces questions. Dans le même temps et d’une manière plus générale, France et Brésil réitèrent leur « détermination à rester à la pointe de la lutte contre le changement climatique » et leur coopération contre la déforestation, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, entre autres aspects. De même, la question des transports durables est-elle abordée, qui pourrait se traduire par une coopération sur les véhicules bicarburants (318). On sait l’importance attachée par les deux partenaires à ces questions, qui ont fait l’objet d’un suivi rigoureux. La visite du président Lula da Silva en novembre 2009 en France à quelques jours du sommet de Copenhague en a témoigné.

Enfin, le partenariat stratégique prévoit d’intensifier la coopération dans les domaines éducatif, linguistique, scientifique et technique, dont on a vu plus haut l’importance. Un accord a été signé en parallèle pour promouvoir le développement de l’enseignement professionnel, sur la base d’établissements d’excellence. La promotion des deux langues sera favorisée et divers programmes bilatéraux en matière d’innovation technologique seront développés dans le cadre d’un protocole antérieur renforcé. Les thématiques migratoires ainsi que la coopération transfrontalière, justifiée par la construction du pont sur l’Oyapock entre l’Etat de l’Amapá et la Guyane complètent le texte. Sur ce dernier point, un accord bilatéral de coopération policière a d’ailleurs été conclu (319).

Le pont sur l’Oyapock est considéré comme un signe très fort bien qu’il se situe au niveau de la symbolique, de cette coopération : en effet, au-delà du symbole, il faut garder présent à l’esprit que cet ouvrage réunit surtout deux régions entre lesquels les échanges économiques sont faibles. Au demeurant, cette zone ne représente que peu d’intérêt stratégique pour le Brésil : le fait que l’Amapá soit le seul Etat de la Fédération à n’être relié à aucun autre par voie terrestre le confirme amplement (320). Cela appelle par conséquent à relativiser ce que l’on pourrait attendre de la future liaison routière en termes de perspectives de croissance de nos échanges bilatéraux. Non seulement, avant longtemps, ils resteront locaux, mais ils ne devraient pas non plus augmenter significativement une fois le pont en service, compte tenu de la similarité des tissus économiques de chaque côté du fleuve, qui ne présentent pas de complémentarité susceptible de favoriser leur essor.

Depuis lors, l’optimisme initial quant aux perspectives de la coopération transfrontalière semble d’ailleurs devoir être relativisé : en effet, en premier lieu, les retards dans les travaux de construction, achevés en septembre 2011, ont rendu impossible l’inauguration du pont avant la fin du mandat du Président Lula da Silva, comme cela était initialement prévu. Mais force est aussi de constater que cette inauguration, ensuite annoncée pour la fin 2011, ne paraît plus aujourd’hui d’actualité. En témoigne le fait qu’elle n’ait pas été inscrite au programme du voyage du Président de la République en Guyane les 21 et 22 janvier 2012. Si de nouveaux retards sont en cause du côté brésilien, d’ordre infrastructurel, des divergences d’approches et d’intérêts locaux semblent surtout aujourd’hui prédominer qui, selon les informations disponibles, induisent divers blocages.

b) Un volet militaire important

Las but not least, la coopération dans le domaine de la défense fait l’objet de développements importants dans le partenariat stratégique qui complète ainsi d’autres accords préalablement conclus entre les deux pays, notamment celui du 29 janvier 2008, « relatif à la coopération dans le domaine de la défense et au statut de leurs forces ». Ce texte prévoyait notamment le développement d’une « coopération en matière de recherche et de développement, les réunions de personnels, l’échange d’instructeurs et d’élèves, les escales de navires de guerre et les escales aéroportuaires, la participation à des cours théoriques et pratiques, les actions d’entraînement et de formation, le partage d’expérience en matière d’opérations et d’utilisation d’équipements, les projets culturels ou sportifs et, finalement, les actions en matière de recherche et technologie intéressant le domaine de la défense. » (321)

Notre rapporteur Jean-Claude Mignon avait alors souligné que le partenariat stratégique, dont le principe avait été décidé lors de la rencontre des chefs d’Etat français et brésilien le 12 février 2008, « pourrait permettre de développer les relations entre la France et le Brésil dans quatre domaines spécifiques à la défense. En premier lieu, le développement d’une composante sous-marine renouvelée. Afin de doter le Brésil, d’ici 2020, de la capacité de construire un sous-marin accueillant une chaufferie nucléaire de conception entièrement nationale, l’acquisition de sous-marins de conception française est envisagée. La France pourrait également contribuer à la construction d’un chantier naval associé à une base sous-marine, et à l’acquisition des technologies nécessaires à l’achèvement du programme. En deuxième lieu, la France souhaite coopérer avec le Brésil pour achever le programme d’acquisition de nouveaux avions de combat, baptisé « FX2 ». Relancé en 2008, ce projet pourrait s’achever avant la fin de l’année 2009. La fin de l’analyse technique entre les trois candidats, à savoir le Rafale, le Gripen suédois et le F18 Super Hornet américain, est en effet prévue pour mars 2009. En troisième lieu, le Brésil envisage de développer un programme de "combattant du futur", et pourrait s’inspirer du projet de fantassin à équipements et liaisons intégrés – FELIN – qui devrait bientôt équiper les armées françaises. En dernier lieu, la réunion des chefs d’Etat a conclu à la possibilité de renforcer la coopération entre la France et le Brésil dans le domaine spatial. Aucun programme précis n’a été pour le moment évoqué. L’accord du 29 janvier 2008 remplit un double objectif. Il donne un statut juridique plus stable aux nombreuses coopérations déjà engagées et permet également de renforcer les relations militaires franco-brésiliennes, et de les élargir à de nouveaux domaines. Il préfigure en cela l’intensification probable de notre partenariat stratégique avec ce pays. » (322)

De fait, dans le partenariat stratégique, les deux pays se déclarent « l’un pour l’autre des partenaires privilégiés » dans le domaine de la défense, et « s’engagent à développer une coopération de long terme, d’intérêt mutuel, fondée sur les partenariats industriels, les transferts de technologies, la formation et l’apprentissage », qui s’appuiera sur des échanges dans le cadre d’un dialogue stratégique sur les question de sécurité entre les chancelleries respectives des deux pays. Dans la lignée de ce qui avait été esquissé dans l’accord précédent, il est indiqué que la coopération portera en premier lieu sur le développement et la production partagés d’hélicoptères de transports EC-725 et de sous-marins Scorpène. La France s’engage aussi à assister le Brésil sur le développement de la partie non nucléaire de son projet de sous-marin à propulsion nucléaire, d’une base sous-marine, et sur la construction, la modernisation et l’entretien des chantiers navals.

Les autres aspects évoqués restaient plus hypothétiques : les projets de combattants du futur, de modernisation des réseaux de surveillance territoriale ne sont pour l’heure qu’envisagés : « cette coopération pourrait également inclure ». Il en est de même des perspectives en aéronautique militaire, et le texte du partenariat ne fait que réitérer qu’il s’agit d’un « domaine dans lequel la France exprime sa disponibilité à approfondir son partenariat technologique et opérationnel dans le domaine des avions de combat, en l’assortissant de substantiels transferts de technologie et de charges. »

c) Le Rafale : désillusion française ou péripétie budgétaire ?

Le partenariat stratégique franco-brésilien est à lire de deux façons, complémentaires : l’une politique, l’autre industrielle.

En termes politiques, en premier lieu, la France a fait montre d’un volontarisme indéfectible pour soutenir le Brésil dans les enceintes multilatérales, qui la place évidemment au rang d’alliée numéro 1. Que ce soit vis-à-vis de son intégration dans un G8 élargi, puis au G20, que ce soit à l'OMC malgré les différends existants, dans le secteur agricole en premier lieu, que ce soit enfin au niveau des Nations Unies où la France ne cesse de plaider pour que le Brésil dispose d’un siège de membre permanent au Conseil de sécurité, les manifestations sont nombreuses qui mettent en évidence la qualité de cette relation. Plus généralement, Brésil et France expriment fortement leur vision partagée tant en ce qui concerne les problématiques globales actuelles que les modalités à mettre en œuvre pour y faire face, comme en a témoigné la démarche commune de Manaus. Comme le Président de la République le rappelait d’ailleurs opportunément (323), « au fondement de notre amitié, il y a d'abord un attachement à des valeurs communes : la démocratie, la liberté, les droits de l'Homme. Avec le Brésil, nous partageons aussi une même vision du monde et de ses enjeux. Ensemble, nous portons l'idée d'un nouvel ordre mondial plus juste et plus solidaire. Et si la France défend l'idée que le Brésil devrait siéger de manière permanente au Conseil de Sécurité, c'est tout simplement parce que nous pensons que le Brésil est devenu un pays incontournable, un géant dont le monde ne peut pas se passer pour relever les défis qui l'attendent. (…) Entre le Brésil et la France, il ne s'agit pas d'une relation de fournisseur à client, mais d'un partenariat. Toutes nos coopérations industrielles, en matière civile comme de défense, reposent sur des transferts de technologie et des co-productions très étendues. Je dirais même sans précédent. Il ne s'agit pas de vendre. Il s'agit de faire ensemble. Et si nous voulons faire ensemble, c'est parce que nous partageons les mêmes valeurs et une même vision des grands enjeux internationaux. »

En d'autres termes, à tous points de vue, le partenariat stratégique est un accord particulièrement ambitieux qui donne une nouvelle dimension à la relation bilatérale. C’est notamment le cas en ce qui concerne le volet militaire et ses perspectives industrielles, aspect sur lequel il surpasse de loin les achats d’armements français antérieurement effectués par le Brésil, qui s’étaient essentiellement traduits par l’acquisition de Mirage III d’occasion dans les années 1970, ou, plus récemment, par celle du porte-avions Foch. Les contrats portant sur une cinquantaine d’hélicoptères et sur quatre sous-marins sont aujourd’hui autrement plus importants, de même que les perspectives, comme les représentants de la mission militaire près l’ambassade de France à Brasilia ont pu le confirmer à la mission lors de son déplacement (324).

Il faut en effet tenir compte des très grands besoins des forces armées brésiliennes pour mesurer cette coopération militaire à sa juste valeur. Jusqu’à la présidence Lula, les investissements brésiliens dans le domaine militaire ont été minimes, et non sans conséquence sur les industries militaires nationales, de sorte que l’équipement, aujourd’hui vieillissant, n’est pas à la hauteur des ambitions de grande puissance du Brésil, qui a adopté en 2008 une stratégie nationale de défense pour les vingt prochaines années. Selon le ministère de la défense brésilien lui-même, la moitié de l’équipement militaire serait obsolète : seuls 85 avions de chasse sur 208, ainsi que 100 avions de transports sur 298, et 27 des 73 hélicoptères, seraient en état de fonctionner. Au niveau de la marine, 50 bateaux sur 98 seraient en cale sèche et 1079 blindés seraient opérationnels sur les 1953 que possède l’armée de terre (325). S’il faut sans doute faire dans cette annonce la part des choses et tenir notamment compte du malaise des militaires brésiliens, aujourd’hui fort critiques vis-à-vis de l’Exécutif fédéral et frustrés des coupes budgétaires qu’ils ont dû subir, ces chiffres n’en confirment pas moins les données que la mission a entendues par ailleurs : les trois armes sont concernées et les investissements que le Brésil devra faire sont extrêmement importants : plus de 12 milliards potentiellement pour la marine, plus de 3 milliards pour l’armée de terre. Sur ces futurs marchés, les entreprises françaises, certes en concurrence avec les italiennes, les allemandes ou les britanniques, pour l’essentiel, sont généralement bien placées. A preuve, le fait que la France ait par exemple emporté un contrat d’1,5 milliard du marché des hélicoptères d’un montant global de 1,9 milliard.

C’est dans ce contexte général qu’il faut analyser la question de la vente du Rafale, pour se garder d’un pessimisme excessif. Plusieurs raisons ont été alléguées au fait que l’annonce politique en faveur de l’avion français que le Président Lula da Silva avait faite n’ait pas été suivie d’effets. Il faut tout d’abord garder présent à l’esprit que la priorité du gouvernement brésilien, tant de celui de Dilma Rousseff aujourd’hui que de celui de son prédécesseur, a toujours été d’ordre économique et social. En ce sens, la première des justifications avancées (326) est très probablement indiscutable : priorité a été donnée par le gouvernement brésilien à la rigueur budgétaire qui a entraîné la suspension ou le report des grands programmes d’investissement. De fait, le ministre brésilien des finances, Guido Mantega, avait annoncé début février 2011 des coupes budgétaires d’ampleur sans précédent pour faire face à la crise, de quelque 50 milliards de reals, soit 30 milliards de dollars, dans le budget de l'Etat fédéral. La dotation du ministère de la défense a ainsi été réduite de 4 milliards de reals. Il n’en a reçu en 2011 que 11 sur les 15 initialement prévus, soit 6,47 milliards de dollars au lieu de 8,8 milliards. Tous les achats de matériels militaires envisagés, ont été revus à la baisse ou différés (327). La présidente Rousseff avait ainsi annoncé un peu plus tôt la réévaluation d’un plan d’acquisition de onze navires de guerre destinés à la protection des zones maritimes pétrolières, pour lequel étaient notamment en compétition trois entreprises européennes, BAE, britannique, Thyssenkrupp, allemande, et la DCNS pour notre pays (328). Confirmant l’hypothèse budgétaire, le ministre des affaires étrangères, Antonio Patriota, a eu l’occasion de confirmer plus récemment que la décision d’achat des avions de chasse, différée au moins jusqu’en 2012, pourrait être de nouveau à l’ordre du jour s’il s’avérait que la crise se révélait moins grave que prévue (329). Les représentants de Dassault Aviation ont d’ailleurs indiqué à la mission (330) que l’entreprise espérait que les choses puissent se décanter au cours de cette année 2012.

Pour sa part, le Président de la République (331) a eu l’occasion de déclarer qu’il comprenait « parfaitement que le Brésil ait voulu se donner un peu plus de temps pour prendre une décision de cette importance. Il s’agit d’un choix stratégique qui engage votre pays pour les années à venir. Je ne perçois donc pas cette décision comme une "marche arrière", et je ne suis pas inquiet parce que je reste convaincu que l'offre française est la plus adaptée aux besoins brésiliens. D'abord, parce que le Rafale est aujourd’hui l’avion de combat le plus performant et le plus polyvalent sur le marché. Ensuite, parce qu'il a fait ses preuves en opérations. Troisièmement, parce que cette offre est assortie de transferts de technologie sans restriction et garantis par l'Etat français, ce qu'aucun des deux autres compétiteurs ne peut faire de manière crédible. De simples relations de fournisseur à client sont dépassées. Cette coopération sur les avions de combat doit aussi contribuer au développement de l'industrie de défense du Brésil. Cet objectif d'indépendance et de souveraineté, la France le trouve d'autant plus légitime que c'est aussi celui qui a présidé au développement de sa propre industrie de défense. »

En ce sens, le partenariat stratégique est particulièrement précieux pour le Brésil, comme le met en évidence l’importance des transferts de technologie prévus. Le directeur Europe d’Itamaraty le confirmait sans ambages à la mission lors du déplacement au Brésil (332: pour le ministère brésilien des affaires étrangères, ce partenariat est très ambitieux, les transferts de technologie très positifs, voire essentiels pour le pays, et la relation, traditionnellement bonne avec la France, ne l’a jamais été autant.

Quoi qu’il en soit de ce sujet spécifique, la restructuration des armées brésiliennes qui a été engagée d’autre part, et la priorité a été donnée au volet technologique, ainsi que la nécessité de disposer des équipements permettant au Brésil d’être à la hauteur des responsabilités internationales auxquelles il aspire, inviterait par conséquent à ne pas désespérer de la future décision brésilienne.

4) Un pays qui doit plus que jamais rester au cœur de notre stratégie latino-américaine

Votre Rapporteur a montré les divers aspects de la relation franco-brésilienne, qu’ils tiennent à la richesse des échanges universitaires et scientifiques, à la présence de nos grandes entreprises, au dialogue politique et à la volonté partagée de resserrer les liens. Il importe de savoir aujourd’hui les maintenir à ce niveau, voire de les développer sur certains aspects dans lesquels la demande paraît insuffisamment satisfaite.

a) La priorité à donner au Brésil

Quand bien même notre amitié avec le Brésil ne serait pas aussi forte, et sans qu’il soit évidemment question dans l’esprit de votre Rapporteur de minorer l’importance de notre relation avec les autres pays du Cône sud, personne ne contestera cet axiome : priorité doit être donnée au Brésil dans notre approche de l’Amérique latine.

Tout dans la relation bilatérale qui s’est construite depuis plusieurs années, y invite :

• Le futur du Brésil, tant économique que politique, sur lequel il n’est pas besoin de revenir.

• Nos intérêts industriels, bien évidemment : comment notre pays pourrait-il ne pas mettre la priorité absolue sur un pays qui en 2009, accueillait à lui seul plus d’IDE français que les trois autres BRIC réunis, sans que les flux d’investissements se soient démentis depuis ?

Le Brésil reste le premier détenteurs des stocks d'IDE français parmi les pays émergents (333)

(en milliards d'euros, et en % de tous les stocks d'IDE français)

Brésil

11,6

1,60%

17,1

2,20%

Russie

4,8

0,70%

5,1

0,70%

Inde

1,8

0,30%

2,3

0,30%

Chine

7,2

1,00%

8,4

1,10%

• Notre proximité géographique, enfin, même si notre frontière commune, - la plus longue de toutes nos frontières terrestres -, doit surtout être vue comme un symbole important pour la relation bilatérale.

Sur toutes ces questions, les deux pays coïncident, les gouvernements brésiliens et français sont depuis longtemps en harmonie et la coopération est considérée comme fructueuse et dense. Mis à part l’épineux dossier du Rafale, la coopération militaire respecte les termes du partenariat stratégique et se développe sur les différents axes qui avaient été définis avec l’ancienne administration. Selon les informations que la mission a recueillies, les dossiers progressent comme prévu en ce qui concerne les sous-marins, les projets de base navale et les sujets aéronautiques ou spatiaux.

Dans un tout autre aspect, le récent déplacement du Premier ministre à Brasilia s’est entre autres traduit par une nouvelle avancée dans le domaine scientifique et culturel, la France apparaissant parmi les partenaires privilégiés du Brésil dans le cadre du programme « Science sans frontières ». Ce programme, annoncé par la Présidente Dilma Rousseff à la-mi décembre dernier, prévoit l’octroi de quelque 100 000 bourses d’études à l’étranger pour de jeunes Brésiliens, d’ici à 2014. Le Brésil investira sur ce programme un total de 2 milliards de dollars. Si les premiers 1 500 étudiants en bénéficient dès le mois de janvier 2012, pour effectuer des études aux Etats-Unis, il est prévu que les autres étudiants iront dans les universités et grandes écoles des pays suivants : Pays-Bas, Belgique, Espagne, Portugal, Australie, Canada, Suède, Corée, Chine, Japon, Royaume-Uni, Allemagne, Italie et France, que la Présidente considère comme des partenaires indispensables. Ce sont les secteurs scientifiques et technologiques qui sont privilégiés, et notamment, les mathématiques, les sciences de l’information, la biologie et les nanotechnologies, de même que des thématiques plus spécifiques : industries pétrolière ou aéronautique (334). La France s’est inscrite sur ce programme brésilien pour accueillir quelque 10 000 étudiants supplémentaires entre 2012 et 2015. Il n’est pas inutile de rappeler à ce sujet que notre pays est d'ores et déjà le deuxième pays d’accueil des étudiants brésiliens à l’étranger derrière les Etats-Unis et la première destination mondiale s’agissant des étudiants boursiers.

Pour autant, ce sujet confirme aussi que, s’il est bien placé dans la compétition au partenariat avec le Brésil, notre pays n’est pas seul, loin de là, à prétendre à ce statut. Le fait que la France ait signé un partenariat stratégique est évidemment positif et doit être jugé à sa juste valeur, les relations entre les Présidents sont souvent riches, voire exceptionnelles, et elles permettent de développer des relations bilatérales fortes. On ne saurait toutefois oublier que le Brésil en a conclu en parallèle avec la plupart des pays européens et bien d’autres encore, de sorte que, ce que l’on tend, peut-être rapidement, à présenter comme une amitié particulière dans la région, n’est peut-être pas si exceptionnel du point de vue de notre partenaire.

Il importe par conséquent, aux yeux de la mission, non seulement de ne pas relâcher l’attention envers notre allié brésilien, mais de renforcer autant que possible ce qui peut l’être. Sur la base de ce que la mission a entendu et a pu analyser au long de son travail, quelques pistes peuvent être esquissées sur lesquelles il serait utile de réfléchir.

b) Renforcer les secteurs sur lesquels notre présence marque encore des faiblesses

Ainsi, pour remarquables que soient nos positions en termes d’IDE au Brésil, notamment par rapport aux autres pays émergents, qui traduisent le succès de nos entreprises et de leurs stratégies de longue durée, certaines caractéristiques ne manquent néanmoins pas d’étonner, comme la domination forte des entreprises du CAC40 et l’absence quasi-totale des PME. On rétorquera que ce fait n’est pas une particularité du Brésil, que les PME françaises, comme l’a encore récemment bien montré le rapport de la mission d’information de la commission des affaires étrangères sur les faiblesses et défis du commerce extérieur français, pilotée par nos collègues Axel Poniatowski et Philippe Cochet (335) : trop peu d’entreprises se risquent à l’exportation, notamment les PME, pour une infinité de raisons qui tiennent à des aspects tant culturels que structurels. Le présent rapport n’a bien sûr pas pour prétention de revenir sur ces questions, mais les spécificités du marché brésilien appellent peut-être une réflexion particulière pour un effort plus soutenu.

A cet égard, comme l’indiquaient entre autres l’ambassadeur de France Yves Saint-Geours et son équipe (336), le Brésil est tout sauf d’accès facile pour ceux qui osent s’y aventurer : il s’agit d’un pays aux procédures complexes, dans lequel les maquis juridiques sont touffus et où l’implantation n’est pas aisée et requiert du temps. Tous les interlocuteurs de la mission, responsables de sociétés comme officiels français, sont unanimes sur ce sujet : le Brésil n’est pas l’Eldorado, ce n’est pas un marché de « coups », le ticket d’entrée y est coûteux, et l’implantation doit être envisagée pour le long terme. Les entreprises doivent nécessairement se « brésilianniser », monter des partenariats locaux, des joint venture, voire créer des filiales, pour avoir quelque chance de succès durable. L’investissement et l’implantation représentent par conséquent des coûts considérables, à tous les sens du terme, que les PME ne sont souvent pas à même d’assumer seules, faute de moyens et d’expérience antérieure du pays. Cela étant, ces étapes franchies, les entreprises qui réussissent leur implantation n’ont qu’à se féliciter de leur choix :

L’intérêt pour notre pays de renforcer sa présence au Brésil ne réside pas uniquement dans la perspective de gains importants pour nos investisseurs. Il apparaît aussi dans le fait que les milieux d’affaires brésiliens se montrent fortement désireux de nouer des partenariats avec leurs pairs français. Les positions françaises sont en effet clairement considérées, du point de vue brésilien, comme insuffisantes, tout comme le sont les positions brésiliennes en France et il est souhaité que, dans un sens comme dans l’autre, elles soient renforcées. Surtout, la France bénéficie d’avantages comparatifs dans de nombreux domaines industriels, notamment ceux, telles les infrastructures, sur lesquels le Brésil doit mettre l’accent rapidement pour conforter son modèle de développement économique et social : ports, aéroports, chemins de fer, autoroutes, énergie, défense, qui sont autant de secteurs sur lesquels les partenariats sont considérés comme tout à fait possibles, notamment avec les PME, pour peu que des transferts de technologie soient prévus. Les représentants du patronat, rencontrés au siège de la Fédération des industries de l'Etat de São Paulo, FIESP, se sont montrés convaincus (337)qu’un tissu de PME/PMI françaises, s’il pouvait bénéficier pour s’implanter du réseau des entreprises du CAC40 ne serait que positif. Les chambres de commerce sont perçues comme jouant un rôle essentiel mais pourraient faire plus. Enfin, les représentants de la Fédération du commerce (338) ont également souligné souhaiter développer leurs relations internationales et tout particulièrement avec leurs homologues françaises : ils considèrent les contacts jusqu’à aujourd’hui trop sporadiques ; pour que ces institutions puissent réellement participer au développement du Brésil, les échanges et partenariats doivent être accrus. Louis Bazire (339), président de BNP-Paribas Brésil et président de la chambre de commerce France-Brésil, d’en disconvenait pas et soulignait en retour la bonne entente et la coordination existante entre les institutions françaises concernées – Ubifrance et Oséo –, tout comme les difficultés plus grandes rencontrées, notamment par les PME pour les raisons évoquées plus haut, mais mettait également en avant la volonté de partenariat manifestée par le Brésil.

En conséquence, si les instruments institutionnels de soutien à l’exportation et à l’investissement se renforcent peu à peu sur le Cône sud, comme on l’a vu, s’agissant notamment d’Ubifrance, il apparaît indispensable de travailler à leur meilleure coordination avec leurs possibles partenaires brésiliens, sachant aussi que les PME qui souhaiteraient investir dans la région ont besoin de soutiens de la part de personnels expérimentés.

Il est également, si ce n’est surtout, fondamental de réussir à mieux motiver les PME françaises vis-à-vis du sous-continent et spécialement du Brésil. En effet, les arguments avancés qui justifient leur faible présence actuelle, pour fondés qu’ils soient, appellent néanmoins quelques commentaires : si le Brésil est un marché complexe et difficile d’abordage, comme le sont d’autres de la région, le Chili ou l'Argentine, par exemple, ils ne sont cependant pas les seuls. Toutes choses égales par ailleurs, ce sont exactement les mêmes commentaires qui sont depuis toujours formulés quant à la Chine. Ce n’est cependant pas cela qui empêche les PME françaises de s’y lancer depuis longtemps. Une étude déjà ancienne de la Mission économique de Pékin (340) indiquait à ce propos que « le marché chinois demande du temps, de l’argent, de l’énergie, une vision à long terme claire et de la patience pour faire des affaires. Il faut cependant un engagement ferme des dirigeants et des cadres techniques clés pour se rendre en Chine si nécessaire. La valeur d’une PME réside souvent dans son savoir (propriété intellectuelle, procédés) or il faut reconnaître que la Chine n’a pas bonne réputation en matière de protection des droits de la propriété intellectuelle des sociétés même si elle s’efforce d’améliorer la situation. » Cela étant, l’étude poursuivait en relevant que « selon les données 2001 communiquées par la DREE, sur 4 255 entreprises exportatrices vers le marché chinois, 3 182 sont des PME soit 74,8 %. (…) En matière d’implantations françaises en Chine, la présence des PME est encore faible. Si l’on inclut les entrepreneurs français qui ont fondé une petite entreprise en Chine et sans liaison directe avec une maison mère, ils sont une centaine de PME au sens strict du terme réparties entre Pékin, Shanghai et le reste du territoire pour un tiers dans chaque zone. Si l’on ajoute les entreprises d’un effectif de 500 à 1500 employés, on compte 200 à 250 implantations d’entreprises n’appartenant pas à un grand groupe. »

La mission ne voit évidemment là rien qui diffère fondamentalement de ce qui, sur tous les plans, est constaté au Brésil. Elle y trouve au contraire confirmation du fait qu’il est indispensable de travailler à la promotion du Brésil, et au-delà, du sous-continent, auprès de nos PME/PMI pour les inciter et les soutenir à viser ces marchés d’exportations et terres d’implantation, sur lesquelles elles sont attendues. Cela semble d’autant plus opportun que la comparaison révèle aussi que ce ne sont sans doute pas seulement les meilleures techniques d’approches – réelles ou supposées – de nos partenaires et concurrents – allemands, notamment –, connus pour « chasser en meute » et démultiplier leur efficacité à l’international, qui sont ici en jeu. Peut-être un certain effet de mode, une attractivité, réelle ou supposée, pour la Chine joue-t-elle aussi, qu’il s’agit aujourd’hui de contrebalancer au profit de nouvelles géographies où nous avons beaucoup à gagner. Dans lesquelles aussi, rappelons-le encore, la proximité culturelle devrait faciliter les choses, quels que soient les particularismes.

Sur un autre plan, d’autres domaines semblent pouvoir faire l’objet d’un meilleur ciblage, sans qu’il soit question de beaucoup de moyens supplémentaires. Le Brésil est désireux de coopérations et de transferts de technologies dans de nombreux domaines. Ce souhait appelle de notre part une meilleure réactivité. Comme on le faisait par exemple remarquer à la mission, des partenariats remarquables sont montés avec l’Université de São Paulo, dont la France est le premier partenaire étranger, mais on pourrait peut-être mieux insister sur des secteurs d’avenir, notamment ceux qui ont fait l’objet du partenariat stratégique entre les deux gouvernements, tel le spatial. Les sciences de l'ingénieur et la technologie apparaissent aux yeux de certains comme des secteurs pouvant être encore renforcés ; en d'autres termes, il importe d’être en recherche de nouveaux domaines de coopérations qui intéressent le futur du Brésil, et ne pas rester trop cantonnés dans les secteurs traditionnels.

En conclusion, compte tenu de l’étroitesse des liens entre les deux pays, des perspectives, de l’ambition partagée de continuer et de développer les relations d’amitié sur tous les points, la mission souhaite formuler deux suggestions.

En premier lieu, peut-être serait-il temps d’envisager la création d’une Fondation France-Brésil, sur le modèle de la Fondation France-Israël ou de la French-American Foundation. Elle aurait pour but de favoriser le rapprochement entre les deux pays, entre leurs peuples et sociétés qui se connaissent peu. Elle renforcerait les liens, créerait et entretiendrait les synergies dans les différents domaines. La mission y voit une suite logique et opportune au renforcement des relations que les dernières étapes ont traduites et appelle vivement à une réflexion sur cette question qui débouche à court terme sur une proposition concrète à nos partenaires brésiliens.

En second lieu, il pourrait également être opportun de réfléchir à la consolidation du partenariat stratégique franco-brésilien par la création d’un fonds stratégique, qui regrouperait le secteur public et le secteur privé en fédérant les moyens disponibles pour les divers sujets concernés. En effet, le partenariat stratégique est surtout d’ordre déclaratif : les deux Parties expriment leur volonté de développer leur dialogue et leurs relations dans les différents domaines identifiés, sans que les moyens nécessaires soient toujours précisés. Le fonds stratégique pourrait opportunément renforcer l’effectivité du partenariat en identifiant l’ensemble des crédits publics disponibles, au besoin en les redéployant et en attirant les fonds privés. Le pilotage de notre politique d’influence en ressortirait mieux structuré, le financement des projets étant mieux assuré.

B – Les éléments d’une stratégie globale pour le futur de la présence française en Amérique latine

Au-delà de la relation avec notre principal partenaire, il est essentiel pour la France de renforcer sa présence dans la région. A l’instar de ce que les principaux pays européens ont fait ces dernières années, il est pour cela nécessaire de définir une véritable stratégie vis-à-vis du Cône sud, qui décline les différentes thématiques sur lesquelles les efforts devraient être plus particulièrement centrés. Cette approche du sous-continent devrait dépasser le seul cadre national et viser ainsi à un renforcement de la dimension européenne.

1) L’impératif de définir une stratégie nationale vis-à-vis de l’Amérique latine

Au manque évident de dimension politique dont pâtit notre approche de l’Amérique latine et plus spécialement du sous-continent, s’ajoute un certain manque de moyens. Il importe d’essayer de les renforcer, dans leurs divers aspects.

a) Elever la dimension politique de notre relation

On l’a vu, nos principaux partenaires européens sont aussi nos principaux compétiteurs sur le Cône sud. Si nos positions ne sont pas négligeables, loin de là, elles ne sont souvent pas les meilleures, sauf en de trop rares occasions. Mais surtout, ce qui distingue l’approche de la France, par rapport à celles des autres Européens, tient à la dimension politique.

En effet, à l’exception notable du Brésil, comme on l’a vu, notre pays n’a pas d’approche politique, que ce soit vis-à-vis de la région dans sa globalité ou vis-à-vis de ses partenaires pris individuellement. Mieux, cette dimension essentielle de la relation est souvent oubliée, comme de trop nombreux exemples le soulignent. Ici encore, le Brésil fait exception : c’est de loin le pays dans lequel les officiels français se rendent le plus lorsqu’ils daignent faire le voyage vers le sous-continent, même si la fréquence des déplacements ne soutient pas la comparaison avec ceux qui se font en Chine, comme on l’a vu. On sait que le Président de la République ne s’était pas rendu à Lima en 2008, que son absence a été mal vécue et a donné aux dirigeants latino-américains le sentiment d'être secondaires pour la France ; on pourrait ajouter aussi qu’il ne s’est pas encore rendu au Chili, malgré les deux invitations successives que lui ont lancées Michèle Bachelet, en mai 2009, puis Sebastián Piñera en octobre 2010.

En revanche, les autres pays européens qui se tournent depuis quelques années vers l’Amérique latine ont pour la plupart défini des stratégies politiques et se tiennent rigoureusement à l’exécution des objectifs qu’ils se sont assignés. Votre Rapporteur l’a suffisamment montré pour qu’il soit nécessaire de revenir sur cet aspect qui fait défaut à notre diplomatie. L’argument de l’éloignement de la région, - « l’Amérique latine, c’est loin, c’est compliqué » -, souvent entendu par la mission pour tenter de justifier ce fait ne saurait évidemment être retenu. La mission invite donc à une véritable réflexion, à l’instar de ce que l’Allemagne a fait en 2010, afin de définir une stratégie politique vis-à-vis de l’Amérique latine.

Cette approche stratégique est notamment le fait de la RFA qui en a fait l’axe central de sa réflexion en 2010. Elle a pour ambition de définir des partenariats de confiance, sur la base de valeurs et d’intérêts partagés en tenant compte des nouvelles circonstances et des perspectives de l’avenir. Partant de ces prémices, le gouvernement allemand donne à sa diplomatie des objectifs précis, thématique par thématique. Il en est ainsi en ce qui concerne l’intensification de partenariats, la promotion de l’Etat de droit, de la démocratie et des droits de l’homme, de l’intégration régionale, de la paix et de la sécurité, comme de la préservation des crises, de la lutte contre les trafics et le crime organisé, de la promotion d’un développement durable et du renforcement de la cohésion sociale. Sur un autre plan, plus méthodologique, Berlin vise à une action globale, moyennant des actions communes, en partenariat sur les questions économiques globales, la protection du climat, de l’environnement et la préservation de la biodiversité. La promotion des modes de production durable, soucieux des ressources énergétiques et naturelles, est mise en avant, ainsi que celle de la culture et de la langue allemandes.

En d'autres termes, la diplomatie allemande s’est vue assigner une feuille de route sur laquelle décliner la relation de la République fédérale avec la région. Les thématiques annoncées dans le document (341) sont évidemment celles que l’on peut retrouver dans des accords que la France a pu conclure de son côté avec certains pays sous quelque latitude que ce soit. On y trouve ce que notre pays a défini avec le Brésil, ou ce qu’il a commencé de discuter, avec un objectif plus lointain, avec le Chili. Cela étant, il n’en est pas moins certain que son existence confère à la politique régionale de l’Allemagne une cohérence, une systématicité, que les politiques bilatérales,qu’un pays comme le nôtre peut de son côté mettre en œuvre risquent de ne pas présenter. Au demeurant, la définition d’une telle stratégie régionale traduit une vision d’ensemble que les actions de la France, en regard, ne peuvent non plus mettre aujourd’hui en évidence : tout au contraire, ces actions éparses risquent-elles d’apparaître, notamment aux yeux des pays partenaires, comme une politique de « coups », parcellaire, mus par des considérations d’intérêts dans chacun des pays concernés, plus que par une appréhension globale des réalités et potentialités de la région dans son ensemble. A l’heure où cette région vise depuis longtemps et plus que jamais à renforcer son intégration, continuer de n’avoir que des relations bilatérales, fussent-elles privilégiées avec les uns ou les autres, peut éventuellement être contre-productif, en tout cas risquer de manquer de pertinence.

Aux yeux de votre mission, il est donc aujourd’hui impératif que l’Exécutif définisse la relation politique que la France entend avoir avec cette région essentielle. Complétée par un surcroît d’effort, entendu en termes de dialogue politique, de déplacements d’autorités gouvernementales, notamment, à l’instar de ce que font les membres des gouvernements britannique, italien, portugais ou allemand, la visibilité de notre pays s’en trouverait d’autant plus renforcée qu’elle permettrait une promotion et un accompagnement des entreprises françaises intéressées plus soutenus, cf. les actions de la chancelière allemande Angéla Merckel en ce sens.

C’est au prix de cette réévaluation politique de notre diplomatie en direction de l’Amérique latine que la France évitera de perdre du terrain. La mise de l’Amérique latine au premier rang de nos priorités permettra de proposer une réponse à la hauteur de la demande. Cela est d’autant plus important qu’il s’agit aussi d’un terrain sur lequel notre pays est vivement attendu : au Chili, on faisait ainsi remarquer à votre mission que, malgré la période électorale, on considérait essentiel que notre pays soit représenté au plus haut niveau possible au sommet Union européenne-Amérique latine de juin 2012 (342).

b) Les moyens d’une politique innovante

Les développements antérieurs concernant la promotion des PME françaises au Brésil valent évidemment pour les autres pays de la région qui sont également désireux de voir croître un réseau d’entreprises de notre pays avec lesquelles monter des partenariats fructueux pour chacun. On n’y reviendra pas.

Comme il a été également souligné, les moyens bilatéraux que l’on consacre à la coopération au développement dans les pays du Cône sud sont désormais dérisoires. Ils n’ont cessé de diminuer au cours des dernières années et certains postes diplomatiques disposent aujourd’hui d’une enveloppe annuelle inférieure à 200 000 euros. Sans ouvrir de débat général sur la politique de coopération de notre pays, peut-être est-il néanmoins possible de faire remarquer que des rééquilibrages pourraient opportunément être apportés, tout comme le mandat confié à l’AFD pourrait de son côté être élargi, d’autant plus sans inconvénient qu’il est sans coût budgétaire pour l'Etat, eu égard à la nature non concessionnelle des prêts que l’agence pourrait proposer. Cette remarque vaut tant pour les petits pays du sous-continent que pour les plus grands.

Nos positions vis-à-vis du Brésil sont fort honorables, on ne saurait le nier, que ce soit au niveau de nos investissements, de nos échanges commerciaux ou de notre présence culturelle. Nous pourrions cependant pouvoir les améliorer. La dimension « coopération » de notre relation bilatérale, notamment dans son volet culturel, est sans doute de celles sur lesquelles l’attention devrait être portée. Certes, le Brésil est notre premier partenaire en Amérique latine pour ce qui est de la coopération scientifique et technique ; derrière les Etats-Unis, la France est son deuxième partenaire dans ce domaine. Une vision plus large amène toutefois à regretter certains déséquilibres : ainsi, quelque 3 000 jeunes Brésiliens seulement étudient actuellement en France. D’un autre côté, nous recevons plus de 20 000 étudiants chinois, lesquels induisent un coût pour le budget de l'Etat déclaré au titre de l'APD, de quelque 120 millions d’euros annuels, voire plus, de frais d’écolage. Certes, le plan brésilien de bourses à l’étranger récemment décidé par la Présidente Dilma Rousseff contribuera à ce qu’un peu plus de jeunes Brésiliens viennent étudier en France. Cela ne sera cependant pas grâce aux moyens que nous mettons en œuvre et la question se pose de savoir s’il ne serait pas temps de rééquilibrer quelque peu les plateaux de la balance, sachant que les échanges culturels réciproques sont prioritaires, ceux avec l’Argentine, le Chili et le Brésil en premier lieu, et que les moyens sont limités. Essayer d’attirer davantage d’étudiants latino-américains suppose une inflexion dans la politique d’accueil et notamment dans nos propres politiques de bourses, pour réussir à toucher les classes moyennes supérieures sud-américaines, qui permettront dans le futur d’entretenir le lien avec la France. Ainsi qu’on a déjà eu l’occasion de le souligner, la dimension culturelle est essentielle à la réussite d’une collaboration ou d’un partenariat, d’une implantation économique. La dimension humaine est irremplaçable et la proximité culturelle, la latinité, mais aussi la francophonie et la francophilie, encore importantes, sont des atouts précieux qu’il faut savoir cultiver.

c) Promouvoir les coopérations décentralisées

D’une manière générale, les collectivités locales mènent une coopération assez concentrée, souvent héritière de notre histoire et de la présence de différentes communautés sur notre sol. Raison première pour laquelle l’Afrique subsaharienne et la Méditerranée ont la primeur de leur action. Elles s’ouvrent timidement à d’autres régions du monde, et le mouvement est encore faible vers le sous-continent. Une soixantaine de collectivités sont en Amérique du sud et quelque 170 actions de coopération sont menées, pour des montants cumulés encore faibles, 2,8 millions d’euros en 2009 pour toute l’Amérique latine, alors qu’un pays comme le Sénégal à lui seul a reçu plus de 10 millions cette même année. En termes de montant d’APD, ces opérations décentralisées ne soutiennent donc pas la comparaison avec ce qui se fait ailleurs, notamment en Afrique.

Cela étant, selon les informations communiquées par le Délégué pour l'action extérieure des collectivités locales (343), quelques collectivités territoriales interviennent, par exemple au Pérou, sur l’eau, secteur sur lequel Paris et Rio sont également liés. S’il y a peu de grandes villes impliquées, on relève cependant que Bordeaux mène des actions avec diverses villes du Venezuela. Paris n’a en revanche pas encore concrétisé son engagement avec Medellin, malgré les demandes de celle-ci. Plus que les municipalités, ce sont cependant les conseils généraux qui sont assez nombreux à intervenir : ainsi le Finistère au Chili, l’Aveyron en Argentine, avec différentes villes, sur l’enseignement du français, notamment. La Dordogne intervient aussi et la Drôme a coopéré avec l'Equateur sur sa zone amazonienne. De leur côté, les régions développent leur coopération au niveau de leurs homologues en Argentine, au Chili et au Brésil, pays dans lequel l’Île de France, Rhône-Alpes et PACA sont les principaux acteurs. La région Midi-Pyrénées est également intéressée. Quelques collectivités ont même ouvert des bureaux de représentation, montrant leur volonté de pérenniser leur engagement, comme PACA ou l’Île de France à Sao Paulo, depuis de nombreuses années, ou encore à Buenos Aires. Des pôles de compétitivité peuvent ainsi être créés, à Mendoza, sur la viticulture, ou encore à Cordoba, au demeurant associée à plusieurs régions européennes.

Les coopérations sont donc multiples et parfois opportunément conduites en collaboration avec le MAEE ou d’autres ministères, comme celui de l’enseignement supérieur. Les principales thématiques de la coopération décentralisée sont cependant l’économie, par exemple autour des filières agricoles, ainsi que la culture aussi : entre Paris et Rio, Lyon et Curitiba (Brésil), La Rochelle et Corrientes (Argentine), l’Île de France et Santiago. La coopération sur le développement durable porte sur les zones naturelles : Rhône Alpes, PACA et le Pas-de-Calais collaborent ensemble sur trois Etats du Brésil sur la gestion des parcs naturels et ont monté des partenariats à cette fin. En matière de développement urbain durable, Dunkerque collabore avec Vitória (Brésil), et l’AFD appuie Montpellier sur le projet de tramway de Brasilia. La bonne réputation de la France en matière de revalorisation du patrimoine, d’eau et d’assainissement, de tourisme durable, est appréciée et recherchée par les partenaires locaux des collectivités décentralisées françaises. Certains pays du Cône sud apparaissent moins privilégiés que d’autres et peu, voire pas, de collectivités locales françaises ont engagé des coopérations en Uruguay ou au Paraguay, de même qu’en Bolivie ou en Colombie.

Malgré les tentatives de synergies avec l'Etat, qui fonctionnent assez bien, - les collectivités territoriales s’inscrivant parfois sur des conventions entre l'Etat bénéficiaire et la région, comme au Brésil -, il reste un certain éparpillement, tant géographique que thématique, que l’autonomie des collectivités territoriales peut contribuer à renforcer, malgré les volontés communes. Le MAEE est à la manœuvre en ce sens selon plusieurs axes : en incitant les pays dans lesquels il y a un potentiel à soutenir cette coopération, en témoignent les discussions au Brésil, en Argentine ou au Chili. Il organise des réunions qui attirent les collectivités territoriales potentiellement intéressées à rencontrer de possibles partenaires sur place. Des accords de principe sont signés pour appuyer les projets sur la base de thématiques prioritaires choisies par les pays. En 2010, six dossiers ont ainsi été traités avec l'Argentine, très désireuse de développer ces relations, comme le soulignait l’ambassadeur Aldo Ferrer (344), quelles que soient les collectivités françaises concernées. Au plan sectoriel, le MAEE tente de privilégier les thématiques d’excellence des collectivités territoriales, telles que la gestion de l’eau, du patrimoine, au Pérou, en Colombie ou en Equateur, sur lesquelles la demande de France est forte, compte tenu de l’expertise et de l’expérience de notre pays.

La question des financements et des coûts est évidemment primordiale. Dans une période budgétaire contrainte, les budgets de coopération ne sont en effet pas les premiers à être sauvegardés. Les contraintes financières fortes auxquelles sont assujetties les collectivités territoriales ne devraient donc pas permettre de grands développements de la coopération décentralisée, même si les contributions additionnelles du MAEE, pour limitées qu’elles soient, permettent des effets de levier importants. Le fait que les régions françaises soient petites, par comparaison avec leurs homologues espagnoles ou allemandes renforce cet aspect et des synergies seraient opportunes, afin d’essayer unir leurs efforts.

Cela étant, divers mécanismes existent qui peuvent être soutenus : la mise à disposition d’expertise par exemple, la recherche de cofinancements et en cela sans doute, une initiative comme celle du fonds stratégique évoqué pourrait montrer ici son efficacité, au moins dans un premier pays, avant d’envisager d’être répliquée ultérieurement. La dimension de réciprocité dans une perspective économique, d’autant plus indispensable que les démarches sont coûteuses, en bénéficierait plus aisément : aussi bien les collectivités territoriales que leurs partenaires en tireraient profit. De nombreux « retours sur investissements » sont possibles : culturels, développement économique, emploi local, solidarité, ou autres.

d) Capitaliser sur les nouvelles initiatives et les accompagner

Ce qui est fait, d’une manière générale, avec le Brésil doit évidemment être maintenu, renforcé si besoin est, dans la mesure où la relation privilégiée que l’on a actuellement avec lui, articulée sur le partenariat stratégique, n’a pas empêchée certaines frictions récentes : cf. l’affaire iranienne, la question agricole, voire même la position du Brésil lors du sommet de Copenhague alors même que l’on pouvait croire que le sujet était de ceux sur lesquels les positions communes étaient les plus avancées. En d'autres termes, malgré les intentions, les bonnes volontés, les accords et les partenariats, les choses restent fragiles. Il importe donc d’attacher un soin particulier à la qualité de la relation bilatérale et, encore une fois, de savoir l’entretenir.

A cet égard, il est souhaitable de savoir capitaliser sur des initiatives remarquables qui ont été lancées récemment et méritent d’être particulièrement relayées et soutenues. Votre Rapporteur pense tout particulièrement à l’Institut des Amériques, groupement d’intérêt scientifique créé en 2007 de la réunion d’une quarantaine d’institutions françaises universitaires et de recherche sur les Amériques.

Appelé à devenir prochainement une fondation, financée par des fonds tant privés que publics, l’IDA s’installera en 2018 sur le campus Condorcet, près du Stade de France. Fonctionnant notamment en partenariat étroit avec la Maison de l’Amérique latine, il est destiné à devenir le pôle d’excellence européen dans ses secteurs d’action : la documentation et l’information scientifique, la France ayant besoin d’un lieu de ressources documentaires sur le continent, sur la base de la bibliothèque Pierre Monbeig de l’Institut des Hautes études d’Amérique latine, qui doit monter en puissance ; l’enseignement, autour de masters communs et d’une labellisation des diplômes et des chaires, avec des professeurs invités qui n’enseignent pas qu’à Paris mais aussi en province. A ce jour, cinq pôles régionaux existent d'ores et déjà ; la recherche sur le continent moyennant des bourses pour des chercheurs en doctorat ; les relations internationales, par le développement de coopérations universitaires régionales avec les universités locales, un pôle ayant été constitué à Montevideo au niveau du Mercosur ; le développement de partenariats avec des entreprises, notamment avec Véolia, Air France et Alstom est commencé, ainsi qu’avec des ONG, le MAEE, pour des échanges d’information et une activité de think tank sur le continent. Une opération s’est par exemple montée avec Veolia qui s’installe à Lima, - où une antenne régionale de l’Institut sera prochainement ouverte -, et a souhaité l’organisation d’un colloque sur le traitement des eaux. Des synergies sont ainsi possibles dont bénéficient à la fois chercheurs et entreprises.

Aux yeux de la mission, le soutien de telles initiatives est essentiel. L’IDA est notamment appelé à devenir un instrument unique et irremplaçable, permettant de renforcer la visibilité de notre pays, sa connaissance de la région et de ses différents pays, ainsi que des différentes problématiques en cause, dans la mesure où les recherches et la documentation scientifique qu’il rassemble sont pluridisciplinaires. Au-delà de ce premier aspect, il permet de multiplier réseaux, échanges et partenariats au bénéfice réciproque de nombreux acteurs, tant publics que privés. A cet égard, il est nécessaire que l’administration et le politique relaient son activité sur le terrain et participe à son soutien. L’épisode de la détermination du siège de la Fondation Union européenne/Amérique latine que l’on a mentionné, qui est finalement revenu à Hambourg, est à cet égard symptomatique de l’efficacité des lobbyings respectifs de l’Allemagne et de la France et de l’intérêt de la définition d’une stratégie résolue envers la région.

2) Renforcer la dimension européenne de notre approche latino-américaine

Si l’Union européenne a lancé un dialogue transatlantique désormais soutenu avec l’Amérique latine, l’image que notre continent donne manque de clarté. Les dirigeants de la région peuvent qualifier d’excellent le dialogue UNASUR - Union européenne, cf. la Présidente Michèle Bachelet (345), ils jugent néanmoins la réponse européenne quelque peu dispersée. Ce que l’ambassadeur du Brésil résumait en indiquant que la vision que donnait l’Union européenne n’était pas encore assez positive en termes collectifs, qu’il y avait des visions différentes au sein de l’Union européenne sur le Mercosur, par exemple, et que la stratégie du Brésil était précisément de ne pas négliger les relations bilatérales.

De fait, chacun a aussi tendance à jouer aussi sa propre partition, les stratégies nationales de chacun le prouvent suffisamment, de sorte que l’Europe renvoie sans doute une image de concurrence exacerbée : l’Espagne s’est internationalisée vers une Amérique latine qui est aujourd’hui son ressort dans la crise ; l’Allemagne s’est remise en marche : Angéla Merckel est très active sur les terres latino-américaines depuis le sommet de Lima en 2008, et depuis deux ans, tous les dirigeants de la région ont fait le voyage de Berlin ; le Royaume-Uni ou l’Italie comme le Portugal sont sur une dynamique semblable. De sorte que, aujourd’hui, l’Amérique latine, consciente, comme on l’a vu avec Dilma Rousseff à l’ONU, des difficultés actuelles de l’Union européenne, attend peut-être moins de complicité qu’auparavant.

C’est sans doute aussi la raison pour laquelle, malgré les intentions affichées, le dialogue n’est peut-être pas aussi riche et fructueux qu’il pourrait l’être. Il est en effet surprenant de relever combien les commentaires parlent en termes de « relance » du dialogue. Maintes fois, on l’a dit, les sommets biennaux Union européenne – Amérique latine sont présentés comme une opportunité de « remettre » la relation entre les deux régions au cœur de l’agenda mondial, dont il faut entendre qu’entre temps, elle a par conséquent dû perdre quelque relief, d’autant plus facilement que les points de crispation ont du mal à disparaître du paysage transatlantique.

La question des relations commerciales est la première pierre d’achoppement. Au ministère des affaires étrangères brésilien (346), la mission a eu confirmation de la préoccupation de nos partenaires sud-américains qui se considèrent comme affectés par les décisions relatives aux préférences commerciales. A Quito, le Président Rafael Correa (347), tout en reconnaissant les bonnes relations entre l’Amérique latine et l’Union européenne qui sont naturellement proches, regrettait les difficultés de la négociation avec les Européens et soulignait qu’il était plus facile de développer des relations bilatérales.

De fait, les négociations des accords de libre échange sont entamées depuis très longtemps et n’ont toujours pas réussi à aboutir. Il en est ainsi des discussions au niveau du Mercosur, lancées en 1999, suspendues en 2004, réactivées en 2009 et 2010. Il en est de même des négociations de l’Union européenne avec la Communauté andine des nations, Bolivie, Colombie, Equateur et Pérou, sur des thématiques identiques, ouvertes depuis 1993 en vue de la conclusion d’un accord bilatéral de commerce et d’investissement, qui se réduit, depuis le sommet de Madrid de mai 2010, à un accord commercial avec la Colombie et le Pérou. Sur ces questions, la France, suivie par les ministres de l'agriculture d’une dizaine d’autres pays de l’Union, a pris la tête de l’opposition à la conclusion d’un accord bi régional avec le Mercosur qui ne tiendrait pas suffisamment compte de nos priorités et de l’intérêt de nos agriculteurs.

C’est la raison pour laquelle la mission considère nécessaire de ne pas négliger, dans la réévaluation de notre relation au sous-continent, la dimension européenne. En premier lieu, parce que les approches sont comparables sinon identiques, d’un pays à l’autre, comme en témoignent les contenus des stratégies nationales ou des partenariats adoptés par les uns et les autres. Les valeurs sont partagées, les secteurs de coopération identifiés sont similaires, la nature du dialogue politique est identique, tout comme l’est la volonté d’inscrire les relations dans la durée. De sorte qu’il n’est sans doute pas un domaine dans lequel des différences d’approche majeures apparaissent entre pays européens vis-à-vis du Cône sud.

En d'autres termes, si les concurrences sont saines et stimulantes, s’il peut et doit y avoir compétition commerciale et industrielle, la raison commande que le dialogue politique soit harmonisé pour renforcer les positions de l’Union européenne et, au-delà, de chacun de ses Etats membres, et particulièrement ceux qui y ont le plus d’intérêt, au sens le plus large. La mission appelle donc à un renforcement du dialogue politique sur les problématiques sud-américaines avec des pays comme l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie, comme bien sûr avec l’Espagne et le Portugal, sans que cette énumération soit exhaustive. Il s’agira à la fois de défendre des positions communes dans la prise de décision de l’Union européenne vis-à-vis de la région et de renforcer nos propres partenariats bilatéraux.

CONCLUSION

Au terme de cette analyse, une question domine : la France compte-t-elle enfin définir et mettre en œuvre la politique latino-américaine qu’elle n’a jamais eue ? On ne peut croire que, à l’heure où les principaux pays européens font de cette région une priorité et se donnent les moyens de saisir les opportunités qu’elle offre, notre pays soit seul à laisser passer sa chance.

Surtout, on ne comprendrait pas qu’il ne formule pas, au moins, une réponse à la hauteur des attentes qu’il a suscitées : tant de pays de la région le tiennent en particulière estime qu’on n’imagine pas que la France y reste sourde au moment où ils vont enfin compter : émergents ou futurs émergents, ils constitueront dans un proche avenir l’un des axes du monde qu’on ne peut ignorer.

La France n’a que des atouts à faire valoir. Il lui appartient de faire fructifier un capital initial sans équivalent avant que ses partenaires ne s’en détournent. A elle d’avoir enfin avec eux les relations qui soient à la hauteur des enjeux et des perspectives qu’ils offrent. Puisse ce rapport en faire mieux prendre conscience.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission examine le présent rapport d’information au cours de sa séance du mercredi 8 février 2012.

Après les exposés du président et du rapporteur, un débat a lieu.

M. Jean-Marc Roubaud. Je tiens à saluer l’enthousiasme du rapporteur ! Comme c’est souvent le cas, notre pays a, en Amérique latine, une excellente image, mais cela ne se traduit pas en matière d’échanges économiques. Une partie de la responsabilité en incombe à notre réseau diplomatique, qui est davantage mobilisé sur les questions culturelles que sur les dossiers économiques. Il me semble que la commission des affaires étrangères devrait demander à notre diplomatie de concentrer davantage ses efforts dans ce domaine. Si notre pays est nettement moins présent sur ce continent que l’Italie ou l’Allemagne, c’est aussi par manque de volonté politique de notre part.

Vous n’avez pas évoqué le problème de la drogue, alors que les nouvelles routes du trafic de stupéfiants partent d’Amérique latine pour atteindre l’Europe, via l’Afrique. Est-ce un sujet qui est pris en compte dans nos relations avec l’Amérique latine ?

M. Michel Terrot. Vous avez expliqué que l’Amérique latine avait bien résisté à la crise, que les investissements directs étrangers y étaient plus dynamiques que partout ailleurs, leur progression atteignant 50 % entre 2009 et 2011. Pouvez-vous nous indiquer la part des investissements français en leur sein ?

Vous avez suggéré que la France développe un axe privilégié avec le Brésil, pays où les groupes français sont les mieux implantés. Cette orientation ne risque-t-elle pas de marginaliser des partenaires prometteurs, comme l’Argentine ?

Mme Marie-Louise Fort. L’enthousiasme du rapporteur fait en effet plaisir ! J’ai eu l’occasion de le voir en action lors du déplacement d’une délégation de la mission au Brésil, à laquelle j’ai eu la chance de participer…

La nécessité de renforcer les échanges entre la France et l’Amérique latine est évidente et j’ai le sentiment que le pouvoir politique a une volonté en ce sens, en particulier dans le domaine économique. L’Amérique latine partage avec nous une culture commune, et il est donc logique que les relations culturelles, pour le développement desquelles notre diplomatie a une grande expérience, soient très denses. Je mettrais volontiers l’accent sur les efforts à réaliser en matière d’échanges interparlementaires et de coopération décentralisée. Il me semble qu’il y aurait beaucoup à gagner à coordonner ces deux vecteurs d’influence avec les initiatives économiques. J’ai pu observer que nos voisins allemands étaient très efficaces pour faire cela : il conviendrait de suivre leur exemple.

M. Rudy Salles. L’affaire Cassez pèse-t-elle toujours sur les relations franco-mexicaines ? Par ailleurs, pouvez-vous faire le point sur les éventuelles avancées dans la négociation du contrat de vente d’avions Rafale au Brésil, laquelle était soutenue par les parlementaires brésiliens, il y a deux ans ?

Permettez-moi d’émettre quelques doutes sur l’idée de créer une fondation France-Brésil : la fondation France-Israël rencontre de nombreux problèmes de fonctionnement.

M. Jean-Pierre Kucheida. Alors que l’Amérique latine est immense, la Guyane, qui constitue pourtant une base avancée de notre pays sur le continent, me semble sous-utilisée pour relayer notre influence, en dépit de la longueur de sa frontière avec le Brésil. Je m’interroge aussi sur l’attention soutenue que la France attache au Brésil, au détriment du reste du continent : faut-il y voir un produit de l’histoire ?

Les perspectives en matière de coopération décentralisée sont en effet prometteuses. La région Nord-Pas-de-Calais a par exemple conclu de nombreux accords avec l’Etat du Minas Gerais, au Brésil, qui compte de nombreuses mines. Cela devrait se traduire par des opportunités pour les entreprises françaises.

M. Jacques Myard. Je vous félicite d’avoir réalisé le premier travail de la commission sur l’Amérique latine depuis de très nombreuses années. Il est vrai que ce continent ne fait pas partie des zones du monde où la France entretient une forte présence. Cela étant, l’idée d’une politique commune avec les autres pays européens m’apparaît totalement utopique dans la mesure où tous les pays européens sont en concurrence en Amérique latine. Notre faiblesse dans la région ne pourra pas être corrigée tant que la France ne se sera pas dotée des instruments diplomatiques qui lui permettraient de couvrir réellement l’ensemble du monde : à côté du ministre des affaires étrangères, du ministre chargé des affaires européennes et de son collègue chargé de la coopération, il faudrait créer deux postes de secrétaires d’Etat, chargés respectivement de l’Asie et de l’Amérique.

M. Jean-Claude Guibal. Dans votre présentation, vous avez mentionné les influences qui s’exercent en Amérique latine sans faire référence aux Etats-Unis et à leur politique des quartiers d’orange. La pression américaine sur la région n’a-t-elle pas pour effet de limiter le développement d’autres influences ?

Les constats que vous venez de faire me semblent dramatiques : notre pays apparaît absent d’un continent où il a jadis été très influent et où il dispose d’atouts. Que peut-on faire pour changer les choses, au-delà de la création d’une fondation ?

M. Jean-Luc Reitzer, rapporteur. L’implication de notre réseau diplomatique dans le domaine économique est une question récurrente. On en parle depuis des décennies. Au cours de nos déplacements, nous avons plusieurs fois constaté ce travers consistant à privilégier les aspects relationnels et culturels au détriment de l’économie. Mais ce n’est pas partout le cas. Notre consulat général à Sao Paulo, par exemple, s’implique fortement dans ce secteur. Le bilan n’est pas toujours négatif ! Toutefois, ni un diplomate, ni un député ne remplaceront un chef d’entreprise. On ne peut pas tout mettre sur le dos de notre réseau diplomatique. Permettez-moi de citer une anecdote concernant une entreprise française qui commerçait avec un pays ayant un important décalage horaire avec la France. Lorsque les clients, dans ce pays, appelaient l’entreprise, personne n’était là pour assurer le service après vente !

En ce qui concerne la drogue, nous n’en avons pas parlé, c’est vrai. Même si c’est un sujet majeur et que nous sommes conscients des problèmes causés par ce fléau, nous avons estimé qu’il n’entrait pas dans le champ de notre rapport. Tout comme l’affaire Cassez, d’ailleurs, puisque nous nous sommes limités au cône sud.

S’agissant des investissements en Amérique latine, la France est aujourd’hui entre le 6e et le 7e rang. Nous sommes au 4e rang au Brésil, derrière l’Allemagne et les Etats-Unis notamment. Nous sommes au 9e rang au Chili et au 13e rang au Pérou. Sans doute à cause du pétrole, nous sommes néanmoins au 2e rang au Venezuela. Bien évidemment, l’Amérique latine ne se limite pas au seul Brésil. Mais ce pays est notre tête de pont et nos entreprises qui y sont historiquement implantées doivent aussi aller démarcher les Etats alentours.

M. Jean-Pierre Dufau, président. L’Amérique latine représente 2,7 % de notre commerce extérieur. Pour l’Allemagne, c’est 6,9 %. En outre, notre balance commerciale est déficitaire dans toute cette région, y compris au Brésil. Manifestement, notre action politique et diplomatique n’est pas à la hauteur des enjeux. Tout comme le mode opératoire de nos structures, surtout les PME-PMI. Il faut une réflexion stratégique et des moyens. Si on coupe unilatéralement, et sans aucune pertinence, des crédits, on ne parviendra pas à relancer nos échanges.

M. Jean-Paul Lecoq. La commission a choisi de travailler sur les intérêts français en Amérique latine et cela a permis de relever des liens étroits ainsi que le rôle joué par notre culture sur ce continent. A cet égard, je tiens à dire que, certes, l’économie est un domaine important et doit être mieux prise en compte mais il ne faut pas oublier la dimension culturelle ! Je souhaiterais avoir des précisions quant aux bénéfices que l’économie guyanaise peut espérer. Je sais que des explorations pétrolières ont lieu en ce moment. Enfin, en ce qui concerne les pratiques de nos concurrents, j’ai cru comprendre qu’ils « chassent en meute ». Et nous, comment faisons-nous ?

M. Dominique Souchet. J’ai pu participer à certains travaux de la mission, notamment concernant la coopération décentralisée. Je constate que les projets de coopération décentralisée vers l’Amérique latine sont trop modestes. Il y a un net déséquilibre si on compare avec l’Afrique. Quant elles existent, ces coopérations sont appréciées. Le Haut-Rhin et le Nord-Pas-de-Calais sont impliqués. Tout comme la Vendée, où le conseil général a lancé un programme d’accueil d’assistants argentins dans les collèges. Ça fonctionne bien. Ne pourrait-on pas inviter les régions et les départements à s’intéresser davantage à l’Amérique latine, en commençant, par exemple, par leur envoyer notre rapport ?

M. Robert Lecou. Je me félicite que nous nous intéressions à cet immense continent d’autant plus que nous y sommes présents. Je pense que nous pouvons nous appuyer sur le rapport d’information de notre commission sur le commerce extérieur. Ses propositions sont intéressantes. Par ailleurs, le G20 accueille l’Argentine et le Brésil. Quelles sont les conséquences de cette ouverture à ces deux pays ? Quelle image la France en a-t-elle tiré ?

M. Michel Vauzelle. La France a besoin, y compris en Europe avec l’Alliance atlantique, de renforcer ses espaces d’influence en Europe latine, en Afrique et en Amérique latine. Une partie de la population continue à penser qu’un voyage au Brésil est folklorique. Nos PME hésitent à s’y implanter car elles imaginent que les Etats-Unis règnent sur l’Amérique latine et qu’il n’y a pas de place pour elles.

Un regain d’intérêt pour la France se manifeste chez des générations qui ne parlent pas le français contrairement à leurs aînés, mais recherchent un modèle de société et de démocratie. Cette proximité culturelle et politique devrait mieux bénéficier à la France, qui est attendue sur ces questions politique et de société. Or, on constate une présence de plus en plus forte de la Chine. Notre pays dispose il est vrai de moyens réduits, qu’il s’agisse de ses ambassades ou de sa diplomatie parlementaire. Reste la démocratie participative des régions françaises, comme le partenariat entre la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et l’Etat de Sao Paulo au Brésil, qui aborde des questions agricoles, industrielles et de recherches intéressantes.

Mais globalement, alors qu’il existe une soif de France dans un domaine particulier – celui de la recherche d’un nouveau type de société et de démocratie, la réponse est faible, que ce soit en termes de visites ministérielles ou de moyens.

M. Jean-Michel Bacquet. Les pays d’Amérique latine ne sont plus des pays en voie de développement mais des pays émergents ou « pré-émergents ». J’ai été étonné d’entendre que l’AFD y intervient. Est-ce le bon outil ? Si la volonté est de faire du développement économique et de valoriser nos entreprises, d’autres outils sont plus pertinents : Ubifrance, la Coface, en théorie les chambres de commerce et d’industrie, Oséo. Il serait plus intéressant et efficace de « chasser en meute » avec ces outils que nous faisons insuffisamment travailler ensemble. Par exemple, lors de la crise argentine, nombre de sociétés françaises se sont retirées, notamment des délégataires de services publics, faute de garanties. Le problème s’est aussi posé lorsque la Colombie a connu des problèmes de sécurité. Il faut trouver un moyen de rassembler nos outils.

Ensuite, il faut arrêter de parler de coopération décentralisée lorsqu’il s’agit de développement économique et de soutien aux entreprises. J’ai déjà souligné devant la Commission les gaspillages énormes liés à cette forme d’intervention car il n’y a pas de coordination. Nombre de collectivités sont ainsi engagées en Afrique subsaharienne.

Enfin, il faut former les fonctionnaires qui vont dans ces pays. Je citerai l’exemple du Mexique. Un ambassadeur avait organisé des Journées réunissant des entreprises françaises et mexicaines. De nombreuses entreprises françaises avaient répondu à l’appel. Le représentant du ministère de l’Equipement, qui en profita d’ailleurs pour rester plusieurs jours, avait pris la parole pour critiquer la délégation de service public, qui risquait selon lui de donner le pouvoir à l’entreprise plutôt qu’aux responsables politiques !

M. Alain Cousin. Je souhaite aussi insister sur cette nécessité de « chasser en meute ». Cela relève d’une véritable problématique culturelle. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Christine Lagarde, alors ministre de l’Economie, des finances et de l’industrie, avait mis en place l'Équipe de France de l'export. Le sentiment partagé est que les pays d’Amérique latine sont homogènes alors qu’il n’en est rien. Il y a des moyens. Ubifrance est bien implantée. L’année de la France au Brésil a été un succès. Le sentiment d’Ubifrance est qu’il est plus compliqué de travailler en Argentine que dans les autres pays d’Amérique du Sud.

M. Jean-Luc Reitzer, rapporteur. Nous avons mis l’accent sur les aspects économiques sans doute parce que l’actualité nous y porte, mais nous n’avons pas ignoré la dimension culturelle. Nous avons parlé de l’héritage de liens anciens et il faut souligner aussi le rôle important des Alliances françaises, fréquentées par plus de 165 000 personnes et l’importance des lycées français, par exemple celui de Lima.

Concernant la présence des Etats-Unis, elle est beaucoup moins forte qu’auparavant. Elle suscite aussi moins d’hostilité. Le discours du Président Obama et sa politique ont relativement déçu, comme son voyage au Brésil. Si la prédominance demeure en matière économique, avec 16 % des échanges commerciaux du Brésil, l’influence politique a diminué. Il y a une carte à jouer pour la France face à ce désenchantement.

M. Jean-Pierre Dufau, président. L’Amérique latine n’est pas homogène effectivement : elle regroupe des pays différents, présentant des niveaux de développement différents. Il nous faut une politique unique mais avec des stratégies différenciées. Le Brésil et le Chili ne peuvent être comparés à l’Uruguay et au Paraguay.

La culture était notre acquis, notre « fonds de commerce » quoique l’expression ne soit pas juste. Nous devons nous appuyer sur cette influence culturelle mais sans croire qu’elle est définitivement acquise – les nouvelles générations, les nouvelles élites, ne manifestent pas le même attachement – et en transformant cet argument en argument économique, domaine où la France n’est pas assez performante.

La Guyane constitue un point d’entrée en Amérique latine, en ce qu’elle fonde notre appartenance au territoire latino-américain, même si ce n’est pas elle qui va développer notre présence économique.

Pour « chasser en meute », encore faut-il que l’action soit organisée, que chacun y trouve sa place et que la coordination soit systématique. Je concède que l’expression « coopération décentralisée » n’est pas la plus appropriée lorsqu’il s’agit d’action de lobbying, mais ce n’est pas antinomique s’il s’agit de répondre au défi de la présence de nos PME.

Concernant l’influence de la France sur les questions de société et de démocratie, elle ne doit pas être négligée, car beaucoup de pays émergents au plan économique sont confrontés à des problèmes sociaux, notamment la question des inégalités.

M. Jean-Luc Reitzer, rapporteur. Concernant la création de secrétariats d’Etats pour l’Asie et pour l’Amérique latine, cela existe au Royaume-Uni et en Allemagne et c’était aussi le cas en Espagne avant l’arrivée au pouvoir de José Luis Rodriguez Zapatero. L’image de la France se renforce depuis la présidence du G20 et avec le soutien apporté à une réforme du Conseil de sécurité des Nations Unies.

Puis la commission autorise la publication du rapport d’information.

ANNEXES

Annexe 1

Carte générale d’Amérique du sud

Annexe 2

Liste des personnalités rencontrées

(par ordre chronologique)

1) A Paris

– Mme Elisabeth Beton-Delègue, directrice des Amériques au ministère des affaires étrangères et européennes, accompagnée de M. Dominique Delpuech, chargé de mission (9 décembre 2010)

– M. Jeff Dayton-Johnson, chef du bureau Amériques, Bureau développement de l’OCDE, accompagné de Mme Béatrice Melin, Centre du développement, OCDE, Perspectives économiques de l’Amérique latine (21 décembre 2010)

– M. Dov Zerah, directeur général de l’AFD, accompagné de M. Louis-Jacques Vaillant, directeur Amérique latine de l’AFD (11 janvier 2011)

– M. Charles-Henry Chenut, président du comité Brésil des conseillers du commerce extérieur et vice-président du comité Amérique latine (11 janvier 2011)

– M. Alain Rouquié, président de la Maison de l'Amérique latine (18 janvier 2011)

– M. Georges Couffignal, professeur de science politique, directeur de l’Institut des hautes études d’Amérique latine, IHEAL, (25 janvier 2011)

– M. Carlos Quenan, économiste, IHEAL (25 janvier 2011)

– Mme Florence Pinot de Villechenon, directrice scientifique du Centre d'études et de recherche Amérique latine – Europe (CERALE), Ecole supérieure de commerce de Paris (ESCP Europe) (1er février 2011)

– M. Jean-Michel Blanquer, président de l’Institut des Amériques (15 février 2011)

– M. Thierry Courtaigne, vice président du Medef international, accompagné de Laurent Grenet, manager Amérique latine, Medef international (15 février 2011)

– M. Carlos M. Jarque, représentant pour l’Europe de la Banque interaméricaine de développement, accompagné de M. Yann Brenner, associé d’opérations (1er mars 2011)

– M. Marc-Olivier Strauss-Kahn, administrateur de la France à la Banque interaméricaine de développement (2 mars 2011)

– M. Antoine Joly, délégué pour l'action extérieure des collectivités locales, ministère des affaires étrangères et européennes (15 mars 2011)

– MM. Ladislas Paszkiewicz, directeur géographique Amériques à la direction exploration – production, et Bernard Clément, directeur Infrastructures gaz, techniques, R&D à la direction Gaz – Energies nouvelles, groupe Total (5 avril 2011)

– M. Denis Simonneau, conseiller diplomatique et directeur des relations internationales et Mme Valérie Alain. directeur des relations institutionnelles à GdFSuez (12 avril 2011)

– Son Exc. M. José Mauricio Bustani, ambassadeur du Brésil en France (3 mai 2011)

– Son Exc. M. Carlos Jativa, ambassadeur d’Equateur en France (17 mai 2011)

– Son Exc. M. Jorge Edwards, ambassadeur du Chili (1er juin 2011)

– Son Exc. M. Aldo Ferrer, ambassadeur d'Argentine en France, accompagné de M. Rodrigo Perez Graziano, chargé des finances à l’ambassade (14 juin 2011)

– M. Eric Jourdain, chargé de mission, PACTE-PME-International (21 juin 2011)

– M. Denis Rolland, professeur à l’Université de Strasbourg, directeur scientifique au CNRS, spécialiste de l’histoire de l’Amérique latine et des relations Europe – Amérique latine (12 octobre 2011)

– MM. Eric Trappier, directeur général international, et Bruno Giorgianni, Conseiller relations politiques et institutionnelles, Dassault Aviation (18 octobre 2011)

– MM. François Drouin, président, et Alain Renck, directeur des relations internationales, groupe Oséo (19 octobre 2011)

– M. Alain Cousin, président d'UBIFrance, accompagné de M. Aziz Belaouda, chef de cabinet (22 novembre 2011)

– M. Pierre Lellouche, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, chargé du commerce extérieur (23 novembre 2011)

2) Au Brésil, par MM. Alain Néri, Jean-Luc Reitzer et Mme Marie-Louise Fort (du 9 au 14 mai 2011)

a) à São Paulo

– M. Sylvain Itté, consul général de France

– M. Marc Peltot, consul général-adjoint

– MM. Maurice Costin et Antonio Bessa, directeurs de la Fédération des industries de l’Etat de São Paulo (FIESP), accompagnés de Ana Lucia Abad et Felipe Luiz

– M. Louis Bazire, président de la chambre de commerce France-Brésil, et Mme Sueli Lartigue, directrice (CCFB)

– M. Adnei Melges de Andrade, vice-recteur de l’Université de São Paulo (USP), président du Centre franco-brésilien de documentation technique (Cendotec)

– M. Abraham Szajmann, Président de la Fédération du commerce de l’Etat de São Paulo (Fécomercio-SP)

b) à Brasilia

– Son Exc. M. Yves Saint-Geours, ambassadeur de France au Brésil

– M. Hervé Le Roy, chef du service économique régional à l’ambassade de France

– M. Carlos Léréia (PSDB-GO), président de la commission des affaires étrangères et de défense de la Chambre des députés, en présence du député Sebastião Bala Rocha (PDT-AP)

– M. Julio César (DEM-PI), président de la Commission Agriculture de la Chambre des députés

– M. Randolfe Rodrigues, sénateur (PT-AP)

– MM. Marin Pelletier-Doisy et Philippe Portala, Mission militaire près l’ambassade de France

– Déjeuner sur le thème de la présence culturelle et scientifique de la France au Brésil : avec MM. Bernard Mallet (CIRAD), Jean-Loup Guyot (IRD), Gérard Larose (AFD), Jean Bourdin (Alliance française), Christian Garcia (Lycée François Mitterrand), SCAC et Chancellerie de Brasilia

– M. Santiago Mourão, directeur Europe à l’Itamaraty

– Dîner en présence des ambassadeurs d’Allemagne, d’Espagne, du Royaume-Uni, du Portugal, d’Italie, de Hongrie et du représentant de la Délégation de l’Union Européenne (l’action et la présence européenne au Brésil)

– Mme Emilie Dély, consul honoraire de France, et M. Patrick Laurain, chef de chancellerie au consulat général de France à São Paulo

– Déjeuner avec des représentants de l’Alliance Française et de la Chambre de commerce

– Réunion de travail élargie à l’Alliance française

– Réunion à l’Association commerciale du Paraná

– Petit-déjeuner de travail offert par M. Rommel Barion, vice-président du Centre du commerce international et la fédération des industries de l’Etat du Paraná (CIETEP-FIEP)

– Entretien avec M. Beto Richa, gouverneur, en présence du secrétaire d’Etat à l’éducation et du secrétaire d’Etat à l’industrie et au commerce

– Déjeuner avec des chefs d’entreprises français

– Réunion avec le recteur, vice-recteur et directeur des relations internationales de l’Université fédérale du Paraná

– Visite de courtoisie au Président de l’Assemblée Législative de l’Etat du Paraná

– Réunion à la fédération du commerce du Paraná (Fécomercio-PR)

3) au Chili et en Equateur, par MM. Alain Néri et Michel Vauzelle (du 5 au 12 juin 2011)

a) à Santiago du Chili

– Son Exc. Mme Maryse Bossière, ambassadrice de France au Chili

– M. Eric Lavertu, premier conseiller à l’ambassade de France

– M. Yves Cadilhon, Chef du service économique

– M. Xavier Fraval de Coatparquet, UBIFRANCE

– M. Philippe Valéri, Chef du service de coopération et d’action culturelle

– M. Laurent Bonneau, Conseiller régional de coopération

– M. Fernando Schmidt Ariztía, vice-ministre des affaires étrangères

– M. Lorenzo Constans, Président de la Confédération de la production et du commerce, CPC

– Petit déjeuner offert par Son Exc. Mme l’ambassadrice avec des représentants des universités chiliennes et de la communauté scientifique

– Déjeuner offert par Son Exc. Mme l’ambassadrice avec des responsables d’administrations chiliennes

– Dîner offert par Son Exc. Mme l’ambassadrice avec des représentants du monde des affaires

– M. Antonio Prado Secrétaire exécutif adjoint, CEPAL et réunion de travail

b) à Valparaiso

– M. Patricio Melero Abaroa, président de l’Assemblée nationale

– M. Guido Girardi, Président du Sénat

– M. Carlos Abel Jarpa Wewar, président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale

c) à Quito

– Son Exc. M. Jean-Baptiste Main de Boissière, ambassadeur de France en Equateur

– M. Babou Kamichetty, premier conseiller, conseiller de coopération et d’action culturelle

– Mme Ivonne Baki, chef des négociations de l’Initiative Yasuni ITT

– M. Fernando Cordero, président de l’Assemblée Nationale

– M. Fernando Bustamante, Président de la commission des relations extérieures de la Chambre des députés

– Réunion avec la direction du CONCOPE et le Préfet d’Esmeraldas et les représentants du Pichincha, d’Azuay, El Oro, Carchi

– Petit-déjeuner offert par Son Exc. M. l’ambassadeur avec des entrepreneurs français et équatoriens

– Audience accordée par Son exc. M. Rafael Correa, Président de la République, en présence de M. Kintto Lucas, vice-ministre des relations extérieures, du commerce et de l’intégration

– Déjeuner « universitaire »

– M. Hervé Braneyre, directeur de l’Alliance française de Quito

– Rencontre de chercheurs de l’IRD en présence de M. Bernard Francou, directeur de l’IRD

– Dîner offert par Son Exc. M. l’ambassadeur de France avec des hommes politiques équatoriens

*

Remerciements

Les membres de la Mission d’information souhaitent adresser leurs plus sincères remerciements à l’ensemble des personnalités et experts français et étrangers qu’ils ont rencontrés au long de leurs travaux.

Ils remercient aussi très chaleureusement les diplomates qui les ont assistés dans l’organisation de leurs différents déplacements au cours de cette mission et en ont permis le succès :

– Son Exc. M. Yves Saint-Geours, ambassadeur de France au Brésil,

– Son Exc. Mme Maryse Bossière, ambassadrice de France au Chili,

– Son Exc. M. Jean-Baptiste Main de Boissière, ambassadeur de France en Equateur.

1 () Mario Vargas Llosa, « Dictionnaire amoureux de l’Amérique latine », Plon, 2005, page 525.

2 () Voir Mario Vargas Llosa, « Éloge de la lecture et de la fiction », Conférence Nobel, Stockholm, 7 décembre 2010.

3 () « La maison de mes grands-parents étaient pleines de livres français traduits en espagnol », ibid., page 525.

4 () Ibid., page 527.

5 () Ibid., page 528.

6 () Ibid., pages 528-529.

7 () Fernando Henrique Cardoso, discours de réception dans l’hémicycle, Assemblée nationale, 30 octobre 2001.

8 () Discours de réception dans l'hémicycle de l’Assemblée nationale de Vicente Fox Quesada, 14 novembre 2002.

9 () Rapport d’information n° 646, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication à la suite d’une mission effectuée au Brésil du 12 au 21 septembre 2009, par Mmes Catherine Morin-Desailly, Monique Papon, MM. Yannick Bodin, Bernard Fournier, Jean-François Humbert et Mme Bernadette Bourzai, sénateurs, 7 juillet 2010, page 13.

10 () A la fin du XXe siècle, elle était de quelque 65 000 personnes : Olga L. Gonzalez « La présence latino-américaine en France », Hommes et migrations, n° 1270 : Migrations latino-américaines, novembre-décembre 2007, page 15.

11 () Olga L. Gonzalez « La présence latino-américaine en France », op. cit., pages 10 et suiv.

12 () Olga L. Gonzalez, ibid.

13 () Jean-Paul Ollivier, « L'Amérique latine et la France libre », Revue Espoir n° 114, 1998.

14 () Denis Rolland, « La crise du modèle français : Marianne et l’Amérique latine, culture, politique et identité » ; L’harmattan, 2011, 463 pages, page 350.

15 () Lequel ne ratait sans doute pas ainsi l’occasion d’essayer de se racheter à bon compte de sa conduite pro nazi durant tout le conflit. Ce n’est que le 27 mars 1945 qu’il était entré en guerre contre les puissances de l’Axe, à la différence de la plupart de ses voisins qui l’avaient fait progressivement à partir de janvier 1942, après Pearl Harbour, le Brésil étant par ailleurs le seul pays du sous-continent qui ait envoyé un corps expéditionnaire en Europe.

16 () Jean Hauser, « Le Comité de la France Libre du Brésil », http://www.france-libre.net/temoignages-documents/temoignages/comite-fl-bresil.php

17 () Propos du 21 février 1961, lors d'une réception en son honneur par les vingt chefs de mission diplomatique latino-américains accrédités à Paris, cité par Jean-Paul Ollivier, op. cit.

18 () Denis Rolland, « La crise du modèle français ; Marianne et l’Amérique latine, culture, politique et identité », L’Harmattan, 2000, 463 pages, page 48. Denis Rolland est historien : Université de Strasbourg, directeur de recherche au Centre d’histoire de Science Po, directeur scientifique au CNRS.

19 () Cité, entre autres, par Raymond Offroy, « De Gaulle et l’Amérique latine », Espoir n° 61, 1987.

20 () Elisabeth Béton-Delègue, directrice des Amériques et des Caraïbes, MAEE, audition du 14 décembre 2010.

21 () « Dictionnaire amoureux de l’Amérique latine », op. cit., page 527.

22 () « (…) ce dont je suis peut-être le plus reconnaissant à la France, c’est de m’avoir fait découvrir l’Amérique latine. C’est là que j’ai appris que le Pérou faisait partie d’une vaste communauté unie par l’histoire, la géographie, la problématique sociale et politique, par une certaine façon d’être et la langue savoureuse qu’elle parlait et dans laquelle elle écrivait. ».

23 () http://www.diplomatie.gouv.fr

24 () Alain Rouquié, ancien ambassadeur au Salvador, au Mexique et au Brésil, directeur de recherche à la FNSP, Président de la Maison d’Amérique latine, audition du 18 janvier 2011.

25 () Mona Huerta, CREDAL-CNRS, présidente du REDIAL « Un médiateur efficace pour la coopération scientifique française: Le Groupement des universités et des grandes écoles de France pour les relations avec l’Amérique latine », www.hal.archives-ouvertes.fr

26 () Mona Huerta, ibid.

27 () Mona Huerta, ibid.

28 () Audition d’Alain Rouquié du 18 janvier 2011.

29 () Audition du 3 mai 2011.

30 () Denis Rolland, ibid., page 62.

31 () Denis Rolland, ibid., page 63.

32 () « La France en Amérique latine : Saurons-nous retrouver la place que nous avons perdue ? », Ángel Marvaud, édition du 9 novembre 1947, page 3.

33 () Ángel Marvaud, ibid.

34 () Denis Rolland, op. cit., page 75.

35 () Audition du 12 octobre 2011.

36 () Denis Rolland, « La crise du modèle français », op. cit., page 109.

37 () Mona Huerta, « La mise en place du dispositif français d'information scientifique et technique sur l'Amérique latine », les Cahiers des Amériques latines, n° 20, pages 133-188.

38 () Ernest Martinenche, hispaniste, université de Paris, dans les années 1930, cité par Mona Huerta, ibid.

39 () Source Denis Rolland, « la crise du modèle français », op. cit., page 67.

40 () Ibid.

41 () Source : Denis Rolland, op. cit., page 134.

42 () Source : Denis Rolland, op. cit., page 71.

43 () Source, Denis Rolland, op. cit., page 70.

44 () Voir Denis Rolland, pages 75 et suiv.

45 () Voir Denis Rolland, op. cit., pages 203 et suiv.

46 () Propos des années 1890, cité par Denis Rolland, op. cit., page 205.

47 () Denis Rolland, op. cit., page 239.

48 () Denis Rolland, op. cit., page 249.

49 () Raymond Offroy, « De Gaulle et l’Amérique latine », op. cit.

50 () Ibid.

51 () Matthieu Trouvé, « Entre spectacle et mission. Le voyage du général de Gaulle en Amérique du Sud du 21 septembre au 16 octobre 1964 », Espoir n° 130, 2002, www.charles-de-gaulle.org

52 () Infra, IVe partie, pages 113 et suiv.

53 () « Documents diplomatiques français », op. cit., page 302.

54 () « Documents diplomatiques français », op.cit., pages 267-268.

55 () « Documents diplomatiques français », op.cit., pages 314-316.

56 () « Documents diplomatiques français », op.cit., page 325.

57 () « Documents diplomatiques français », ministère des affaires étrangères, Commission de publication des documents diplomatiques français, 1964, tome II (1er juillet – 31 décembre), Editions Peter Lang, 2002, page 357.

58 () « On pourrait par exemple songer à une quinzaine de milliards d’anciens francs. », dira le général de Gaulle, « Documents diplomatique français », op. cit., page 358.

59 () Denis Rolland, op. cit., page 361.

60 () Audition du 18 janvier 2011.

61 () Luiz Inácio Lula da Silva, « Les six ans qui ont transformé le Brésil » ; Entretien avec Axel Gyldén, Politique internationale, n° 122, hiver 2008-2009, page 76.

62 () Alain Rouquié, « Un nouveau paysage politique en Amérique latine », Etudes, 2007/6, Tome 406, page 736.

63 () Comme de la part des Etats-Unis : Rafael Correa a ainsi témoigné du soutien qu’il a reçu de la part du Président Barack Obama en 2010. « Pedí una pistola para defenderme », entretien avec Ignacio Ramonet, Le Monde diplomatique, édition espagnole, janvier 2011.

64 () Georges Couffignal, directeur de l’Institut des hautes études d’Amérique latine, audition du 25 janvier 2011.

65 () Audition du 18 janvier 2011.

66 () Audience accordée le 10 juin 2011, au Palais de Carondelet, Quito.

67 () Audition du 14 juin 2011.

68 () « Amérique latine, introduction à l’extrême occident », Alain Rouquié, 1987.

69 () Alain Rouquié, op. cit.

70 () Conférence de Cécile Pozzo di Borgo, Institut des Amériques, 26 janvier 2011.

71 () Audition du 14 décembre 2010.

72 () Traité du 23 mai 2008, constitutif de l’Union des nations sud-américaines, article 2, objectifs.

73 () Michèle Bachelet, « Chili, un mandat exemplaire », entretien avec Sophie de Bellemanière, Politique internationale, n° 124, été 2009, page 348-349 et 356.

74 () Paolo Giordano et Javier Santiso, « La course aux Amériques : les stratégies des investisseurs européens en Argentine et au Brésil », Les études du CERI/FNSP, n° 52, avril 1999, page 19.

75 () Audition du 15 février 2011.

76 () Jorge Volpi, entretien au journal Clarín, 23 novembre 2009.

77 () Voir notamment www.infolatam.com, 18 décembre 2011, « Mercosur con la puerta cerrada (y Venezuela sigue esperando...)  ».

78 () Souhaitée par tous les pays membres, elle n’a toutefois cessé d’être retardée par le sénat uruguayen qui refuse depuis toujours la ratification du traité d’adhésion, pour des raisons notamment juridiques mais aussi de politique interne, que la rigidité du texte fondateur n’a pas encore permis de surmonter.

79 () Audition du 18 janvier 2011.

80 () Cécile Pozzo di Borgo, ambassadrice de France à Lima, conférence à l’Institut des Amériques.

81 () Carlos Quenan, professeur d’économie à l’Institut des Hautes études d’Amérique latine, IHEAL, université de Paris III, audition du 25 janvier 2011.

82 () Auditions du 18 janvier 2011 et 14 juin 2011, respectivement.

83 () « Les enjeux du développement en Amérique latine ; dynamiques socioéconomiques et politiques publiques », Institut des Amériques, IDA/Agence française de développement, AFD, mars 2011, page 73.

84 () Audition du 25 janvier 2011.

85 () www.infolatam.com, 7 décembre 2011.

86 () « Les enjeux du développement en Amérique latine, op. cit., page 19.

87 () Source : « Les enjeux du développement en Amérique latine ; dynamique socioéconomiques et politiques publiques » Institut des Amériques, IDA, et Agence française de développement, AFD, mars 2011, page 38.

88 () www.infolatam.com, 18 janvier 2012.

89 () Audition du 1er juin 2011.

90 () Source : Panorama de l’économie mondiale, Centre d’études prospectives et d’informations internationales, CEPII, décembre 2010.

91 () Source : Panorama de l’économie mondiale, Centre d’études prospectives et d’informations internationales, CEPII, décembre 2010.

92 () « Les enjeux du développement en Amérique latine ; dynamiques socioéconomiques et politiques publiques », Institut des Amériques, IDA/Agence française de développement, AFD, mars 2011, op. cit.

93 (). www.afdi-opa.org; Lettre hebdo n° 378, du 9 au 15 janvier 2012.

94 () Audition du 21 décembre 2010.

95 () In « Regards latinos », blog de Patrick Bèle, www.lefigaro.fr

96 () L’UNRWA a annoncé une donation de près de 8,5 millions de dollars de la part du Brésil le 15 décembre 2011 ; www.unrwa.org

97 () www.infolatam.com, 20 décembre 2011.

98 () Audition du 1er février 2011.

99 () Michèle Bachelet, op. cit., page 350.

100 () Ibid, pages 351-352.

101 () Entretien du 7 juin 2011, à Valparaiso.

102 () Audition du 14 décembre 2010.

103 () Infra, pages 99 et suiv.

104 () Antônio Carlos Lessa, professeur à l’Institut de relations internationales de l’université de Brasilia, « Les partenariats stratégiques et l’universalisme dans la politique étrangère du Brésil : un bilan de l’ère Lula (2003-2010) », in « Relations internationales du Brésil, Les chemins de la puissance », volume I, « Représentations globales », Denis Rolland et Antônio Carlos Lessa (coord.), L’Harmattan, pages 167-184.

105 () Antônio Carlos Lessa, op. cit., page 172.

106 () Le Monde, 30 août 2010.

107 () Comme Alain Rouquié, audition du 18 janvier 2011 précitée.

108 () Respectivement Secrétaire général de la SEGIB, Président de la Banque interaméricaine de développement, Président de la Colombie et Président du Chili.

109 () Sur ces questions, voir notamment les travaux que le CLAD, Centro Latinoamericano de Administracíon para el Desarrollo, mène au niveau de toute la région, notamment depuis une quinzaine d’années ; www.clad.org.

110 () Politique internationale, n° 122, op. cit., pages 70-71.

111 () Source : Nations Unies, Département des affaires économiques et sociales, Annuaire démographique 2009–2010, Soixante et unième édition, pages 62-63.

112 () Ce qui est supérieur à ce que l’on rencontre en Afrique mais encore inférieur aux pays de l’OCDE.

113 () Les transferts économiques ne semblent toutefois pas avoir la même importance dans le Cône sud qu’en Amérique centrale ou au Mexique et leur impact diffère selon les pays :  au Venezuela, en Uruguay, au Chili, en Argentine et au Brésil, elles ne représentent pas plus de 1 % du PIB ; en Bolivie, au Paraguay et au Pérou, moins de 2 %. Elles ont en revanche un poids important en Équateur et en Colombie. Adela Pellegrino, « Immigration et émigration en Amérique du Sud », in Hommes & migrations, n° 1270, page 110.

114 () Jeff Dayton-Johnson, chef du bureau « Amériques », Centre de développement, OCDE, 2010, Audition du 21 décembre 2010.

115 () www.infolatam.com, 21 décembre 2011.

116 () Entretien avec Jean-Baptiste Main de Boissière, Quito, le 9 juin 2011.

117 () Mario Vargas Llosa, « L’Amérique latine, mon continent », Politique internationale, n° 127, printemps 2010, page 349-350.

118 () Selon une étude récente, on estime que ce cartel, devenu le plus important au Mexique, opère aujourd’hui dans 17 des 31 Etats de la fédération. Dirigé par d’anciens militaires des forces spéciales, extrêmement violent, il serait en passe de supplanter celui de Sinaloa, actif dans 16 Etats mexicains ; www.infolatam.com, 25 janvier 2012.

119 () www.infolatam.com, 4 décembre 2011.

120 () www.infolatam.com, 5 janvier 2012.

121 () Audition du 25 janvier 2011.

122 () « Les enjeux du développement en Amérique latine, dynamiques socioéconomiques et politiques publiques », op. cit., page 20 ; souligné par votre Rapporteur.

123 () Miguel Ángel Asturias, « Une certaine idée de l’Amérique latine », Espoir n° 114, 1998.

124 () Source : Georges Couffignal, « Les relations Union européenne – Amérique latine », Biarritz, novembre 2010.

125 () Source : « En busca de una asociación renovada entre América latina y el Caribe y la Unión Europea », CEPAL/AECID, avril 2011, page 59.

126 () Elle l’est aussi pour l’ensemble de l’Amérique latine, Amérique centrale et Caraïbes comprises.

127 () Source : « En busca de una asociación renovada entre América latina y el Caribe y la Unión Europea », page 34.

128 () Michèle Bachelet, « Chili : un mandat exemplaire ? », op.cit., pages 348-349.

129 () Entretien au siège de l’Itamaraty, Brasilia, le 11 mai 2011.

130 () Audience du 10 juin 2011.

131 () Entretien du Président de la République à l’hebdomadaire brésilien Veja, 12 mars 2011.

132 () Source: « En busca de un asociación renovada entre América latina y el Caribe y la Unión Europea », op. cit., page 52.

133 () Victor Bulmer-Thomas, « Latin America: forging partnerships in a transformed region, us policy towards latin america », page 18; www.chathamhouse.org

134 () Michèle Bachelet, « Chili : un mandat exemplaire ? », Politique internationale, n° 124, été 2009, page 352.

135 () Abraham F. Lowenthal, “Obama and the Americas : Promise, Disappointment, Opportunity”, Foreign Affairs, Volume 89, n° 4, Juillet/Août 2010, pages 110-124.

136 () Françoise Lemoine, économiste principale, Centre d’étude prospective et d’information internationale (CEPII) « Virage vers le sud : La Chine augmente ses échanges commerciaux avec l’Amérique du Sud, l’Afrique et l’Australie ».

137 () Andres Oppenheimer, « Get ready: Chinese investors are coming Latin America » http://www.miamiherald.com/2011/05/11/2212567/get-ready-chinese-investors-are.html#ixzz1NOnijn5R

138 () CEPAL, « La República Popular China y América Latina y el Caribe: Hacia una nueva fase en el vínculo económico y comercial », juin 2011.

139 () www.infolatam.com ; 5 février 2012.

140 () www.infolatam.com ; 13 novembre 2011.

141 () www.infolatam.com ; 13 novembre 2011.

142 () Les exportations péruviennes vers la Chine sont constituées à près de 85 % de minéraux (cuivre, fer, plomb et autres) et de farines de poissons ; Elles ont été de 5,3 milliards de dollars de janvier à septembre 2011. La Chine reçoit 16 % des exportations du Pérou, devant les Etats-Unis (13 %), la Suisse (12 %), le Canada (9 %) et le Japon (5 %) ; par comparaison, les exportations péruviennes vers les Etats-Unis ont crû dans le même temps de 0,5 % ; www.infolatam.com, 9 novembre 2011.

143 () www.infolatam.com, 21 novembre 2011.

144 () La mission ne s’est pas penchée sur les restes de la présence hollandaise dans le Cône sud.

145 () Georges Couffignal, « Les relations politiques Union européenne–Amérique latine », Forum de Biarritz, 5 novembre 2010.

146 () www.eu2010.es

147 () Qui n’est pas réapparu dans le gouvernement constitué par Mariano Rajoy à la fin de 2011.

148 () « España, Mariano Rajoy y el alcance de su apuesta latinoamericanista » Infolatam, 22 novembre 2011; www.infolatam.com

149 () Le banco Santander a été l’acteur bancaire mondial qui le mieux profité du boom des années 2000 en Amérique latine. Santander Brésil a été la filiale qui a contribué pour 25 % au résultat net 2010 du groupe.

150 () « Les conquistadores à l’assaut du Brésil », Elodie Lestrade, « Le courrier d’Espagne », 30 novembre 2009.

151 () www.lemonde.fr, 26 décembre 2011 : « Le Brésil est devenu en 2011 la sixième puissance économique mondiale, se classant désormais devant le Royaume-Uni, d'après le dernier bilan du Centre for Economics and Business Research (CEBR), un institut de recherche basé à Londres. Les Etats-Unis conservent la première place, suivis par la Chine (2e), le Japon (3e), l'Allemagne (4e) et la France (5e) ».

152 () « Les conquistadores à l’assaut du Brésil », Elodie Lestrade, « Le courrier d’Espagne », 30 novembre 2009.

153 () Elodie Lestrade, ibid.

154 () Les développements qui suivent se basent notamment sur la communication écrite que l’ambassade du Portugal en France a bien voulu adresser à la mission.

155 () A titre d’exemple, on peut aussi mentionner l’accord signé entre la région de Lombardie et la Comunidad Andina de Fomento en décembre 2009, en matière de développement économique et social, et plus particulièrement axé sur les questions de promotion et financement des PME.

156 () Franco Frattini, « La politica estera italiana verso l’America Latina », 24 janvier 2011, http://www.ri-al.org.

157 () « Britain and Latin America : Historic friends, future partners », “Canning Lecture” de William Hague, ministre des affaires étrangères, Londres, 9 novembre 2010.

158 () En 1900, la moitié des importations du Pérou venait de Grande Bretagne et de ses colonies.

159 () Leslie Bethell, « The History of Canning House », www.canninghouse.org

160 () William Hague, discours au Foreign Office, Londres, 8 septembre 2011: “Such closures inevitably lead to us being regarded as a less relevant partner and affects cooperation in a whole range of areas, including in commerce and trade. And it has a knock-on effect on our impact in multilateral organisations, where crucial decisions still rest on judgements made in national capitals.”

161 () William Hague, “ Canning Lecture ”, op. cit., 9 novembre 2010.

162 () Discours au Foreign Office du 8 septembre 2011.

163 () www.infolatam.com, 12 janvier 2012.

164 () Les développements suivants reposent notamment sur les données communiquées par le MAEE d’une part et l’ambassade de RFA en France, d’autre part.

165 () Aucun chef d’Etat allemand ne s’était jusqu’alors jamais rendu dans ce pays.

166 () Guido Westerwelle, Discours de principe à la Société allemande de politique étrangère, 26 octobre 2010.

167 () Un jeune expatrié, financé par la GTZ, dirige la chambre de commerce de Montevideo, dont les membres sont passés sous son impulsion de 100 à près de 400 ; pendant le même temps, la chambre de commerce française est passée de 150 membres à 50…

168 () www.cidal.diplo.de

169 () Georges Pompidou, « Allocution prononcé lors du dîner offert au Président de la République par les ambassadeurs des pays d’Amérique latine à Paris, 23 février 1971 », Georges Pompidou, « Entretiens et discours, 1968-1974 », Flammarion, 1984, tome 2, pages 226-228.

170 () Supra, Première partie, page 32

171 () Raymond Offroy, ancien ambassadeur de France au Mexique, « De Gaulle et l’Amérique latine », op. cit.

172 () « La coopération les met à même de conduire, peu à peu, leur propre progrès, et par conséquent, d'apporter tôt ou tard, leur contribution à la civilisation moderne. Car c'est là que le monde les attend, parce que c'est de ça qu'il s'agit. Si ces pays peuvent un jour prendre une part active, positive, au développement de l'humanité, comme est en train de l'accomplir notre époque, alors leur place est assurée parmi les Etats. »

173 () http://www.ina.fr/fresques/de-gaulle/fiche-media/Gaulle00382/conference-de-presse-du-31-janvier-1964.html

174 () Pour mémoire, le Guyana n’accèdera à l’indépendance qu’en 1966 et le Suriname en 1975. Ils sont à l’époque, l’un colonie britannique, l’autre colonie néerlandaise.

175 () Cela reste moins vrai en ce qui concerne le partage de la croissance économique, l’Amérique latine restant encore aujourd’hui la région la plus inégalitaire, malgré les progrès réalisés ces toutes dernières années.

176 () Les documents diplomatiques publiés pour l’année 1964 ne rendent compte que des discussions du général de Gaulle avec ses homologues argentin, colombien, équatorien, paraguayen et uruguayen. Aucune indication n’est en revanche donnée concernant la teneur des entretiens avec les autorités du Brésil, de Bolivie, du Chili, du Pérou et du Venezuela.

177 () « Documents diplomatiques français », op. cit., page 250.

178 () « Documents diplomatiques français », op. cit., page 300.

179 () Général de Gaulle à la junte militaire équatorienne, Quito, 25 septembre 1964, « Documents diplomatiques français », op. cit., page 269.

180 () Voir par exemple Thierno Diallo, « La politique étrangère de Georges Pompidou », LGDJ, 1992, 271 pages.

181 () « Les voyages et discours de Georges Pompidou à l'étranger (1962-1974) », communication de Christine Manigand, professeur d’histoire contemporaine à l'université de Poitiers, au colloque « Georges Pompidou et l’influence de la France dans le monde », Assemblée nationale, 22 juin 2011.

182 () Association Georges Pompidou, http://www.georges-pompidou.org

183 () « La politique extérieure de Valéry Giscard d’Estaing », sous la direction de Samy Cohen et Marie-Claude Smouts, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 405 pages, 1985.

184 () Samy Cohen et Marie-Claude Smouts, op. cit., pages 270 et suiv.

185 () Pierre Favier et Michel Martin-Rolland, « La décennie Mitterrand », tome 1, « Les ruptures », 1990, page 226.

186 () Ibid, page 232.

187 () Hubert Védrine, « Les mondes de François Mitterrand, à l’Elysée 1981-1995 », Fayard, 1996, 784 pages, pages 197-198.

188 () Discours du 13 juin 1992, prononcé lors du Sommet de la terre, conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement.

189 () « La politique extérieure de Jacques Chirac », colloque organisé par le CERI et la Centre d’histoire de Science Po, 8 et 9 décembre 2011.

190 () Laurent Lombard, « La politique extérieure du président Jacques Chirac dans un monde américano-centré », Annuaire français des relations internationales, mars 2008, page 384.

191 () Christian Lequesne, « La politique étrangère de Jacques Chirac ou la France sans surprise », DGAPanalyse, n° 2, octobre 2007, page 9.

192 () Hubert Védrine, « Le temps des chimères, 2003-2009 » Fayard, 2009, 448 pages.

193 () Hubert Védrine, « Rapport pour le Président de la République sur la France et la mondialisation », septembre 2007.

194 () « Rapport pour le Président de la République », pages 55-56.

195 () « La France et l’Europe dans le monde, Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France, 2008-2020 », sous la présidence de Alain Juppé et Louis Schweitzer, La Documentation française, 222 pages.

196 () « La France et l’Europe dans le monde », pages 89-91.

197 () « La France et l’Europe dans le monde », page 22.

198 () « Défense et sécurité nationale, le Livre blanc », La Documentation française/Odile Jacob, juin 2008.

199 () « Plan d'action pour la mise en oeuvre du partenariat stratégique entre la République française et la république fédérative du Brésil », 23 décembre 2008.

200 () « Accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil relatif à la coopération dans le domaine de l'aéronautique militaire », 15 juillet 2005.

201 () Convention de coopération 2008-2010 entre le ministre des Affaires étrangères et européennes de la République française et la ministre de la Défense de la République argentine (Projet CAECOPAZ - Centre argentin d'entraînement interarmées pour les opérations de paix).

202 () Accord bilatéral de coopération entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République d'Uruguay sur le changement climatique.

203 () De la même manière, on peut relever que, depuis 2000 et jusqu’à aujourd’hui, un seul article de l’Annuaire français des relations internationales, AFRI, que le MAEE met en ligne sur son site, a traité de la relation entre la France et l’Amérique latine, que ce soit en général ou sur un plan bilatéral.

204 () « La France, puissance d’avenir », entretien avec Nicolas Sarkozy, in Politique internationale, n° 115, Printemps 2007, page 143.

205 () Ibid., page 153.

206 () Ibid., page 158.

207 () D’Amérique latine, il ne sera pas non plus question dans l’entretien qu’accordera à son tour le ministre des affaires étrangères, Bernard Kouchner, quelques mois plus tard à cette même revue : « La France est de retour », entretien avec Bernard Kouchner, Politique internationale, n° 121, automne 2008, pages 11-24.

208 () « Amérique latine, nouvelle priorité de Sarkozy », Pierre Rousselin, blog « Géopolitique », Le Figaro, 18 février 2009.

209 () Le Président de la République a également effectué une visite d’Etat au Mexique le 9 mars 2009.

210 () Hors champ géographique de cette étude, le Président Nicolas Sarkozy a enfin reçu son homologue panaméen, Ricardo Martinelli, le 17 novembre 2011.

211 () Henri Froment-Meurice, Ambassadeur de France, « Une politique étrangère pour quoi faire ? », Politique étrangère, n° 2, 2000, page 331.

212 () Biome : enet nommé à partir de la végétation et des espèces animales qui y prédominent et y sont adaptées ; www.techno-sciences.net

213 () François Fillon, point de presse à Lima, 19 mai 2008.

214 () Gustavo Tarre, « Perceptions latino-américaines », Annuaire français des relations internationales, 2000, volume 1, page 370 ; disponible sur le site du MAEE : www.diplomatie.gouv.fr

215 () Supra, troisième partie, C/ L’intérêt croissant des principaux pays européens pour l’Amérique latine, pages 96 et suiv.

216 () Elle a même connu des pics de tensions récents, sur la thématique de la transparence des activités financières, le Président Nicolas Sarkozy ayant qualifié l’Uruguay et le Panamá de paradis fiscaux lors du sommet du G20 de Cannes, ce qui a suscité de vives réactions des pays intéressés ; www.infolatam.com, 15 novembre 2011.

217 () En tenant compte du déplacement du Premier ministre au sommet Union européenne – Amérique latine de Lima en mai 2008.

218 () Audition de MM. Ladislas Paszkiewicz, directeur géographique de la branche exploration-production et Bernard Clément, directeur Infrastructures gaz, Technique, Recherche et Développement de la branche Gaz-Energies nouvelles, le 5 avril 2011.

219 () Les effectifs d’élèves, tant nationaux que Français sont en croissance régulière depuis quelques années ; l’effectif des élèves étrangers d’autres nationalités semble en revanche stagner voire diminuer.

220 () A noter que la Première dame y enseigne.

221 () Les informations suivantes ont été retirées de l’entretien de la mission avec Bernard Francou, représentant de l’IRD en Equateur, et son équipe, Quito, 10 juin 2011.

222 () L’enveloppe de coopération du poste pour 2011 était de 1 073 400 euros.

223 () Supra, Troisième partie, C/ L’intérêt croissant des principaux pays européens pour l’Amérique latine, pages 96 et suiv.

224 () Entretien avec Jean-Baptiste Main de Boissière, ambassadeur de France à Quito, le 9 juin 2011.

225 () Conférence de Cécile Pozzo di Borgo, Institut des Amériques, 26 janvier 2011.

226 () Entretien du 8 juin 2011 avec Maryse Bossière.

227 () Source : http://www.ambafrance-br.org/IMG/swf/mapa-verde-3.swf

228 () L’un des CHU de l’USP, sur le campus de Barau, est par exemple une référence mondiale en chirurgie maxillo-faciale.

229 () Entretien du 10 mai 2011, São Paulo.

230 () Source : Consulat général de France à São Paulo.

231 () Jean-Pierre Cling, DREE, et Alfredo Suarez, IHEAL-Paris III, « Les implantations industrielles françaises dans les nouveaux pays industrialisés », in « Economie et statistique », n°244, juin 1991, pages 35-45.

232 () Jean-Pierre Cling et  Alfredo Suarez, op. cit.

233 () Anne-Marie Delaunay Maculan, « Processus de privatisation et modernisation des télécommunications au Brésil » ; Tiers-Monde, 1994, tome 35, n° 138, pages 281-282.

234 () Paolo Giordano et Javier Santiso, « La course aux Amériques : les stratégies des investisseurs européens en Argentine et au Brésil », Les études du CERI/FNSP, n° 52, avril 1999, page 23.

235 () Audition de Denis Simonneau, conseiller diplomatique et directeur des relations internationales de GdF-Suez, le 12 avril 2011.

236 () Audition de Ladislas Paszkiewicz, directeur géographique de la branche exploration-production et Bernard Clément, directeur Infrastructures gaz, Technique, Recherche et Développement de la branche Gaz-Energies nouvelles, le 5 avril 2011.

237 () Il convient de préciser que, d’une manière générale, les données statistiques discriminent rarement le Cône sud, objet de la présente étude. La plupart portent sur l’Amérique latine et les Caraïbes, et incluent aussi l’Amérique centrale.

238 () Selon les données publiées par la DGT, « Evolution des investissements directs étrangers au Mexique de 2000 au 1er semestre 2010 », septembre 2010.

239 () Source : Note sur l’investissement français en Amérique latine, CEPAL, 2011.

240 () Source : MAEE.

241 () Conférence de son Exc. Mme Cécile Pozzo di Borgo, ambassadeur de France au Pérou, Institut des Amériques, 26 janvier 2011.

242 () Audition de son Exc. M. Carlos Jativa, le 17 mai 2011.

243 () Cela étant, probablement cette réalité vaut-elle aussi pour les IDE en provenance d’autres pays que le nôtre…

244 () Audition du 1er juin 2011.

245 () Audience du 10 juin 2011, Quito.

246 () Entretien au siège de la FIESP le 9 mai 2011 à São Paulo avec Maurice Costin, Antonio Fernando Guimarães Bessa, Ana Lucia Abad et Felipe Luiz.

247 () Audition de Thierry Courtaigne, vice-président du MEDEF International, 15 février 2011.

248 () Lourdes Casanova, « La inversión extranjera directa en América Latina y las multinacionales emergentes latinoamericanas », Real Instituto Elcano, 16 septembre 2010.

249 () Source MAEE.

250 () Audition de Carlos Quenan, du 25 janvier 2011.

251 () Source MAEE.

252 () Conférence de Cécile Pozzo di Borgo à l’Institut des Amériques, le 26 janvier 2011.

253 () Audition du 1er juin 2011.

254 () Audition du 14 juin 2011.

255 () Audition du 23 novembre 2011.

256 () Source MAEE.

257 () Près de 19 milliards en 2010.

258 () 10,6 milliards en 2010.

259 () Source : MAEE.

260 () Source : Note sur l’investissement français en Amérique latine, op. cit.

261 () Audition de Pierre Lellouche, du 23 novembre 2011.

262 () Source : MAEE, service économique régional.

263 () Information communiquée par le président de Renault Brasil, lors de l’entretien de la mission avec la communauté française de Curitiba, Etat du Paraná, 12 mai 2011.

264 () Source : DGT, « Les échanges commerciaux entre la France et le Chili en 2009 », mars 2010.

265 () Hervé Le Roy, ibid.

266 () Contribution écrite de la CGPME, du 21 septembre 2011.

267 () Audition d’Eric Jourdain, Pacte-PME International, le 21 juin 2011.

268 () Audition le 19 octobre 2011 de François Drouin, Président du groupe Oséo, et d’Alain Renck, directeur des relations internationales.

269 () Audition d’Alain Cousin, président du Conseil d’administration, et d’Aziz Belaouda, chef de cabinet, le 22 novembre 2011.

270 () Hervé Le Roy, chef du service économique régional, « La présence française au Brésil en 2010 : échanges et investissements », Brasilia, 19 janvier 2011.

271 () 2011 : 8 premiers mois de l’année.

272 () Source : Secrétariat d’Etat au commerce extérieur.

273 () Source : « Les échanges bilatéraux France-Equateur 2010 », service économique, Ambassade de France en Equateur, Quito, 30 mai 2011.

274 () DGT, « Les échanges commerciaux entre la France et le Chili en 2009 », mars 2010.

275 () Source : MAEE.

276 () Source : Secrétariat d’Etat au commerce extérieur.

277 () Source MAEE.

278 () Audition de son Exc. Jorge Edwards, le 1er juin 2011.

279 () Source : DGT, « Les échanges commerciaux entre la France et le Chili en 2009 », mars 2010.

280 () Source : Ambassade de France en Equateur.

281 () Les ventes françaises en 2010, étaient constituées essentiellement de produits intermédiaires ou d’équipement et de consommation : combustibles et lubrifiants (24 %), médicaments (15 %), équipements électriques (6 %), produits métalliques (4 %), parfums et cosmétiques (10 %). Les importations françaises en provenance d’Equateur ont poursuivi leur reprise et enregistré en 2010 une augmentation de 42 % (de 143 millions de dollars à 204 millions). Elles sont constituées en majeure partie de produits agroalimentaires (poissons et aquaculture 58 %, cœurs de palmiers 14 %, fleurs 4 %, fruits en jus ou concentrés).

282 () Source : Service économique, Ambassade de France en Equateur.

283 () Source : Ambassade de France, service économique régional.

284 () Source, Service économique régional, ambassade de France au Brésil, « Le commerce extérieur du Brésil », 18 janvier 2011.

285 () Communication écrite du 21 septembre 2011 ; les développements qui suivent tiennent grandement compte des remarques figurant dans cette note.

286 () Entretien à Politique internationale, op. cit., page 355-356.

287 () Entretien du 6 juin 2011, Santiago du Chili.

288 () Entretien du 7 juin 2011, Valparaiso.

289 () Audition de Son Exc. Aldo Ferrer, du 14 juin 2011.

290 () Charles-Henry Chenut, conseiller du commerce extérieur, Premier Vice-président de la Commission Amérique Latine et Caraïbes du Comité national des conseillers du commerce extérieur (CNCCEF), président du groupe Brésil, audition du 11 janvier 2011.

291 () Votre Rapporteur pourrait tout aussi bien aussi ajouter les Boliviens, comme il a eu l’occasion de le constater lors du voyage du groupe d’amitié France - Bolivie qu’il a eu l’occasion de conduire l’été dernier à La Paz.

292 () Rencontre avec des universitaires chiliens, résidence de l’ambassadrice de France, Santiago du Chili, 8 juin 2011.

293 () Audition du professeur Denis Rolland, par exemple.

294 () www.infolatam.com, 21 novembre 2011.

295 () Ricardo Lagos, « Lecciones de América latina para Europa », www.clarin.com, 3 décembre 2011.

296 () Supra, page 57, a) : Une région en voie d’émancipation ».

297 () 4,001 % du capital étant par ailleurs détenus par le Canada.

298 () Auditions des 2 et 1er mars 2011, respectivement.

299 () Un accord entre la BID et l’AFD permettra par exemple une subvention de 3 millions de dollars pour soutenir quelque 10 000 petits caféiculteurs haïtiens, l'AFD apportant pour sa part 900 000 euros.

300 () Le capital total appelé de la BID est à ce jour de 4,339 milliards de dollars, sur lesquels la France a versé 82,3 millions. Le capital total appelable est de 100,641 milliards de dollars ; la part de la France est de 1,831 milliard.

301 () Convention pour la création de l’Union latine, signée à Madrid, le 15 mai 1954, article 2.

302 () Carlos Malamud, « La III CALC crea la CELAC pero la confusión continúa », www.infolatam.com, édition du 4 décembre 2011.

303 () www.franceoea.org

304 () Organisation panaméricaine de la santé.

305 () www.franceoea.org

306 () Résolution AG/RES. 1719 (XXX-O/00) de l’Assemblée générale de l'OEA, adoptée le 5 juin 2000.

307 () Entretien avec les responsables sectoriels de la CEPAL, 8 juin 2011, à Santiago du Chili.

308 () Entretiens des 6 et 8 juin 2011.

309 () « Francia, Observador Asociado a la Conferencia Iberoamericana », www.segib.org, 11/10/2010.

310 () Il faut toutefois reconnaître que le dernier sommet, réuni à Asunción en octobre 2011, n’a pas réuni autant de chefs d’Etat qu’à l’accoutumée.

311 () cf. le sommet des chefs d’Etat amazoniens sur le réchauffement climatique organisé à Manaus par les présidents Sarkozy et Lula da Silva le 27 novembre 2009.

312 () Traité constitutif de l’UNASUR, article 15.

313 () Corporación Andina de Fomento.

314 () Audition du 11 janvier 2011.

315 () Même si divers problèmes, notamment de compatibilité de normes juridiques, de calendriers électoraux, voire de corruption locale, se sont greffés, qui en ont retardé la mise en œuvre.

316 () Comme c’est le cas au Mexique ou en République dominicaine, pour mentionner deux pays qui échappent au champ géographique de cette étude.

317 () Sur les 115 accords conclus entre la France et le Brésil depuis les années 1920, recensés dans la base de données du MAEE, 37 sont postérieurs au projet « France – Brésil » de 1985.

318 () Sujet sur lequel les industriels sont d'ores et déjà impliqués : votre Rapporteur a mentionné l’accord intervenu récemment sur ces questions entre PSA et Petrobras.

319 () Voir le rapport n° 3769 de Philippe Cochet fait au nom de la commission des affaires étrangères sur le projet de loi n° 3139, autorisant l’approbation du protocole additionnel à l’accord de partenariat et de coopération entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil, relatif à la création d’un Centre de coopération policière, 28 septembre 2011.

320 () Sur ces questions, voir le rapport n° 3769 de Philippe Cochet sur l’accord France-Brésil relatif à la création d’un centre de coopération policière, octobre 2011.

321 () Jean-Claude Mignon, Rapport n° 1294 du 3 décembre 2008, autorisant l’approbation d’un accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil relatif à la coopération dans le domaine de la défense et au statut de leurs forces, page 15.

322 () Jean-Claude Mignon, ibid., pages 12 et 13.

323 () Entretien au quotidien "O Globo", 6 septembre 2009.

324 () Entretien avec Marin Pelletier-Doisy et Philippe Portala, le 11 mai 2011.

325 () www.infolatam.com, 13 mars 2011.

326 () D’autres raisons ont aussi été évoquées, portant sur les modalités de la prise de décision interne à l’exécutif brésilien et sur le poids respectif des divers intéressés dans ce processus.

327 () www.infolatam.com, 28 février 2011.

328 () www.Folha.com, 24 janvier 2011.

329 () www.Folha.com, 21 septembre 2011.

330 () Audition d’Eric Trappier, directeur général international, et de Bruno Giorgianni, conseiller relations politiques et institutionnelles, Dassault Aviation, le 18 octobre 2011.

331 () Nicolas Sarkozy, entretien avec l’hebdomadaire brésilien Veja, 12 mars 2011.

332 () Entretien avec Santiago Mourão, le 11 mai 2011.

333 () Source : MAEE 

334 () www.infolatam.com, 13 décembre 2011 ; dans le même temps, le programme brésilien attirer un millier de scientifiques et chercheurs étrangers dans les universités brésiliennes.

335 () « Commerce extérieur : les clefs de la reconquête », rapport d’information n° 4005, Axel Poniatowski, président de la mission d’information ; Philippe Cochet, rapporteur.

336 () Entretiens avec Son Exc. Yves Saint-Geours, ambassadeur de France au Brésil et Hervé Le Roy, chef du service économique, le 10 mai 2011, à Brasilia.

337 () Entretien le 9 mai 2011, avec Maurice Costin et Antonio Fernando Guimarães Bessa, entrepreneurs. Au sein de la FIESP, ils sont aussi respectivement directeur du Département de relations internationales et du commerce extérieur, Derex, membre du Conseil stratégique et du Conseil supérieur du commerce extérieur, Coscex, Président de l’Association latino-américaine de l’industrie électrique et électronique et membre du Conseil de la Chambre de Commerce France-Brésil (CCFB).

338 () Entretien avec Abram Szajman, président de la Fédération des entreprises de commerce des biens, des services et du tourisme de Sao Paulo (Fécomercio-SP), le 10 mai 2011.

339 () Entretien du 9 mai 2011.

340 () « Les PME françaises en Chine », MINEFI/DREE-Trésor, mai 2004.

341 () « Germany, Latin America and the Caribbean: A Strategy Paper by the German Government » Auswärtiges Amt, 2010.

342 () Entretien avec Fernando Schmidt Aristía, vice-ministre des affaires étrangères, Santiago, 6 juin 2011.

343 () Audition d’Antoine Joly, le 15 mars 2011.

344 () Audition du 14 juin 2011.

345 () Michèle Bachelet, « Chili : un mandat exemplaire ? », op.cit., pages 348-349.

346 () Entretien avec Santiago Mourão, directeur Europe, au siège de l’Itamaraty, Brasilia, le 11 mai 2011.

347 () Audience du 10 juin 2011.


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