N° 576 - Rapport de M. Claude Birraux, établi au nom de cet office, sur la radiothérapie : efficacité du traitement et maîtrise des risques (compte-rendu de l'audition publique du 15 novembre 2007)



N° 576

___

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

Treizième législature

__________________________________

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale

Le 10 janvier 2008

 

N° 159

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SÉNAT

Session ordinaire de 2007 – 2008

________________________________

Annexe au procès-verbal

de la séance du 15 janvier 2008

     

OFFICE PARLEMENTAIRE D’ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

________________________

radiothÉrapie : efficacitÉ du traitement et

maîtrise des risques

(compte rendu de l’audition publique du 15 novembre 2007)

Organisée par

M. Claude Birraux, Député

_________

Déposé sur le Bureau
de l’Assemblée nationale

par M. Claude BIRRAUX,

Premier Vice-Président de l’Office

 

_________

Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Henri REVOL,

Président de l’Office

     

_______________________________________________________________________

Composition de l’Office parlementaire d’évaluation

des choix scientifiques et technologiques

Président

M. Henri REVOL

Premier Vice-Président

M. Claude BIRRAUX

Vice-Présidents

M. Pierre COHEN, député M. Jean-Claude ÉTIENNE, sénateur

M. Claude GATIGNOL, député M. Pierre LAFFITTE, sénateur

M. Pierre LASBORDES, député M. Claude SAUNIER, sénateur

DÉputés

SÉnateurs

M. Christian BATAILLE

M. Claude BIRRAUX

M. Jean-Pierre BRARD

M. Alain CLAEYS

M. Pierre COHEN

M. Jean-Pierre DOOR

Mme Geneviève FIORASO

M. Claude GATIGNOL

M. Alain GEST

M. François GOULARD

M. Christian KERT

M. Pierre LASBORDES

M. Jean-Yves LE DÉAUT

M. Michel LEJEUNE

M. Claude LETEURTRE

Mme Bérengère POLETTI

M. Jean-Louis TOURAINE

M. Jean-Sébastien VIALATTE

M. Philippe ARNAUD

M. Paul BLANC

Mme Marie-Christine BLANDIN

Mme Brigitte BOUT

M. Marcel-Pierre CLÉACH

M. Roland COURTEAU

M. Jean-Claude ÉTIENNE

M. Christian GAUDIN

M. Pierre LAFFITTE

M. Serge LAGAUCHE

M. Jean-François LE GRAND

Mme Catherine PROCACCIA

M. Daniel RAOUL

M. Ivan RENAR

M. Henri REVOL

M. Claude SAUNIER

M. Bruno SIDO

M. Alain VASSELLE

   

Office parlementaire d’évaluation des choix

scientifiques et technologiques

(OPECST)

______________

« Radiothérapie : efficacité du traitement et maîtrise des risques »

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Compte rendu de l’audition publique du

Jeudi 15 novembre 2007

Assemblée nationale

Table des matières

Synthèse de l’audition organisée par M. Claude Birraux, Député, Premier Vice-Président de l’OPECST 7

Ouverture de la séance par M. Claude Birraux, député, Premier Vice-Président de l’OPECST 13

Etat des lieux de la radiothérapie 17

Les technologies innovantes 23

MM. Claude BIRRAUX, Jean-Yves LE DÉAUT, député, membre de l'OPECST, le Professeur Jean BOURHIS, Riadh CAMMOUN du CEA, Eric LARTIGAU, le Professeur Jacques BALOSSO, Gérard BAPT, député, le professeur Dominique MARANINCHI, André-Claude LACOSTE, Président de l'Autorité de sûreté nucléaire, Christophe LÉGUEVAQUES, Avocat de l'association SOS Irradiés 31, Jean-Jacques MAZERON, Thierry SARRAZIN, Président de la Société française de physique médicale

Radiovigilance et radioprotection 43

MM. Claude BIRRAUX, Jean-Claude GHISLAIN, Mme Annie SUGIER, membre du Conseil scientifique, M. le Professeur Patrick GOURMELON, Maître Christophe LÉGUEVAQUES, le Professeur Jean-Marc COSSET

Métiers de la radiothérapie et assurance qualité 59

Conclusion 71

Synthèse de l’audition organisée par
M. Claude Birraux, Député,
Premier Vice-Président de l’OPECST

La radiothérapie : un traitement incontournable du cancer

La radiothérapie en 2007

º Un traitement toujours plus efficace

La radiothérapie, née en France, à l’Institut Curie, consiste à utiliser des radiations ionisantes pour détruire les cellules cancéreuses en bloquant leur capacité à se multiplier, tout en épargnant les tissus sains périphériques. 60 à 70 % des patients atteints d’un cancer sont traités par radiothérapie, le plus souvent en association avec la chirurgie et/ou la chimiothérapie.

Près de 200 000 personnes sont concernées chaque année en France. Ce chiffre considérable est en constante augmentation en raison d’un diagnostic toujours plus précoce des cancers, du vieillissement de la population et de différents facteurs épidémiologiques. Les traitements sont de plus en plus opérants. 45 % des patients guérissent actuellement du cancer. Le traitement le plus efficace est la chirurgie (22% des patients), suivie par la radiothérapie seule ou impliquée dans des traitements pluridisciplinaires (19 % des patients).

Ainsi, l’augmentation très significative de l’incidence des cancers de la prostate et du sein ne s’accompagne pas d’une croissance comparable de la mortalité. Cela signifie que les traitements de ces cancers sont de plus en plus actifs et, au sein de ces traitements, la radiothérapie joue un rôle essentiel.

Les traitements radiothérapiques ont gagné en efficacité mais aussi en qualité. Ainsi, sur 6 000 cancers du sein diagnostiqués pour un million de femmes dépistées, 3 000 sont pris en charge par des traitements conservateurs de l’organe.

º Le parc des équipements : une modernisation complète menée grâce au Plan Cancer

Le Plan Cancer, lancé en 2003 et piloté par l’Institut National du Cancer, (INCA) a permis de rattraper à marche forcée le retard français en matière d’équipements de radiothérapie. Ainsi, les machines au cobalt ont disparu et ont été remplacées par des accélérateurs linéaires.

Un appareil sur quatre a été renouvelé depuis cinq ans. Il existe aujourd’hui sur le territoire français 180 centres de radiothérapie, regroupant 400 appareils ; 47% des centres sont publics et 53% privés. 55% des machines sont implantées dans le secteur public et 45% dans le secteur privé.

La cartographie des centres de radiothérapie fait apparaître des inégalités territoriales. La densité des installations et surtout leur taille ne sont pas toujours corrélées à la population à traiter.

º Les professionnels de la radiothérapie  : une démographie inquiétante

La démographie des professionnels de la radiothérapie rejoint celle des médecins, avec une inflexion très sensible des effectifs à compter de 2005-2010. Pour ce qui est des radiothérapeutes, au nombre de 663, l’augmentation des internes en radiothérapie vient récompenser les efforts accomplis pour rendre cette filière attractive mais sera insuffisante pour couvrir les besoins sanitaires. Pour les 300 physiciens médicaux, les effectifs sont notoirement insuffisants. Ce fait a été constaté par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), qui a évoqué un risque d’insécurité des traitements dans un centre sur deux en raison du manque de radiophysiciens, par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) lors de nombreuses enquêtes sur le terrain et, enfin, dernièrement par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) qui estime qu’un centre sur trois n’a pas de physicien durant toute la durée des traitements. Le doublement des effectifs a été annoncé pour les cinq ans à venir mais le nombre d’étudiants choisissant chaque année cette filière ne permettra pas une telle « montée en puissance ».

Une activité en pleine mutation technologique

º Des techniques et des équipements en constante évolution

La radiothérapie connaît depuis une dizaine d’années une véritable révolution technologique, notamment en raison des progrès en matière d’imagerie et d’informatique. Les avancées vont toujours dans le sens d’une plus grande précision et pourraient se résumer par la phrase de Claude Huriet définissant ainsi le « Graal du radiothérapeute » : «  irradier la tumeur, toute la tumeur, rien que la tumeur ». Outre le remplacement des appareils au cobalt par les accélérateurs linéaires qui génèrent des rayons X de très haute énergie, la principale évolution technologique est le passage à une radiothérapie beaucoup plus « conformationnelle », c'est-à-dire qui parvient à épouser les formes de la tumeur, afin de diminuer la dose sur les tissus sains et, éventuellement, d’augmenter la dose affectée à la tumeur cancéreuse elle-même.

Dans l’ordre de sophistication et de coût des équipements, ces techniques sont : la radiothérapie en deux dimensions, la radiothérapie conformationnelle en trois dimensions, la radiothérapie à modulation d’intensité, la radiothérapie guidée par l’image, la radiochirurgie, la tomothérapie et le cyberknife et, enfin, la protonthérapie qui utilise des protons ayant la capacité de traverser les tissus sans les altérer et de déposer toute leur énergie à une profondeur donnée. Aujourd’hui, la très grande majorité des patients en France sont traités soit par radiothérapie dite  « de base », c'est-à-dire en deux dimensions, soit par radiothérapie dite « conformationnelle en trois dimensions », basée sur une imagerie scanner. Les technologies de pointe concernent encore peu de patients : la technique appliquée au plus grand nombre de malades est la protonthérapie, pratiquée à Orsay et à Nice sur plus de 4 000 patients et utilisée pour traiter les tumeurs de l’œil ou du cerveau avec des résultats remarquables.

Outre leur efficacité thérapeutique plus grande, ces techniques récentes permettent d’atténuer les effets secondaires des traitements de radiothérapie. Ainsi, pour les patients traités pour un cancer de la prostate, on constate qu’à taux de contrôle tumoral identique, la radiothérapie 3D, par comparaison à la radiothérapie 2D, permet de diminuer de façon très significative le taux de complications.

º Les innovations récentes : les 15 centres pilotes et le projet « Etoile »

L’Institut National du Cancer finance le développement des technologies innovantes dans quinze centres pilotes : neuf centres accueillent des accélérateurs de dernière génération, trois la tomothérapie et trois le premier robot de radiothérapie, le cyberknife. La tomothérapie, venue des Etats-Unis où elle connaît un développement exponentiel, permet de pratiquer la radiothérapie en modulation d’intensité. Cette nouvelle machine produit des volumes d’irradiation modulés, variables suivant le déplacement du patient. Pour les tumeurs prostatiques, les résultats sont remarquables. Le cyberknife, quant à lui, n’est pas un appareil de radiothérapie mais un vrai robot capable de suivre en temps réel le mouvement des tumeurs dû à la respiration des patients.

Enfin, est prévue pour 2013 la construction à Lyon du premier centre français de radiothérapie par ions-carbone. Le projet « Etoile », dimensionné pour accueillir 1 000 malades par an, doit permettre la validation de l’hadronthérapie qui est un traitement déjà pratiqué au Japon et en Allemagne. Les faisceaux d’ions lourds ont l’avantage de détruire avec une très grande précision des tumeurs profondes sans irradier les tissus sains ou radiosensibles.

La maîtrise des risques : une réelle prise de conscience par les autorités publiques et les professionnels de santé

La mobilisation des autorités sanitaires compétentes

º Le rôle nouveau et central de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN)

L’Autorité de sûreté nucléaire est une autorité administrative indépendante créée par la loi n° 2006-686 du 13 juin 2006. Elle assure, au nom de l’État, le contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour protéger les travailleurs, le public, les patients et l’environnement des risques liés à l’utilisation d’installations et de sources nucléaires et radiologiques, et contribue à l’information du citoyen, avec l’appui technique et l’expertise de l’IRSN.

L’Autorité est donc en charge de la sécurité sanitaire contre les rayonnements ionisants, que ce soit en matière de sûreté des installations ou de radioprotection des personnes. Après la transposition des directives Euratom 96/29 et 97/43, l’ASN s’est dotée d’un dispositif opérationnel en mettant en place une inspection de la radioprotection. Elle a visité les 180 centres de radiothérapie, entre avril et décembre 2007, pour évaluer les services sous l’angle des facteurs organisationnels et humains.

L’ambition de l’ASN est de rendre la radiothérapie française exemplaire. A ce titre, l’ASN a mis en place des mesures importantes : déclaration des événements sur la base de l’échelle établie par l’ASN et la Société française de radiothérapie oncologique (ASN-SFRO) de classement de la gravité des événements, amélioration de la sûreté des dispositifs médicaux en liaison avec l’AFSSAPS et amélioration de la sûreté des traitements, élaboration d’un référentiel d’assurance qualité applicable dans les centres et d’un guide de radiothérapie des tumeurs rédigé par les oncologues-radiothérapeutes.

L’objectif est d’installer définitivement dans les centres de radiothérapie et dans les mentalités une culture de sûreté. Si l’ASN fait preuve d’une grande détermination, elle estime à juste raison qu’un délai minimum de cinq à dix ans sera nécessaire pour que le renforcement des exigences réglementaires et des effectifs ainsi que l’application des nouvelles recommandations de bonnes pratiques professionnelles produisent leur plein effet.

º Des lacunes qui persistent :

ÊUn système de veille et d’alerte peu lisible

Le système de veille et d’alerte est complexe, tant du point de vue réglementaire qu’institutionnel. Les intervenants de terrain ne savent pas toujours ce qu’ils doivent déclarer ni à qui.

Les obligations légales et réglementaires sont nombreuses. Il existe quatre types d’obligations de signalement pouvant se rapporter à un incident de radiothérapie :

- l’obligation pour tout acteur de soins de déclarer des événements indésirables graves,

- l’obligation de déclaration d’incidents à l’ASN, imposée aux exploitants d’installations nucléaires,

- l’obligation faite aux représentants de l’État de porter à la connaissance de l’InVs les signalements de menaces pour la santé de la population,

- l’obligation, prescrite aux fabricants et utilisateurs d’appareils de radiothérapie, de signaler à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) les incidents ou risques d’incidents ayant entraîné ou susceptibles d’entraîner la mort ou la dégradation grave de l’état de santé d’un patient, d’un utilisateur ou d’un tiers.

En outre, le paysage administratif est peu lisible, cinq administrations ou agences au niveau national étant compétentes en matière de radioprotection. L’ASN, l’Institut de veille sanitaire (InVS), l’AFSSAPS, l’IRSN et la Direction générale de la santé doivent donc effectuer au quotidien un travail important de coordination.

Ê L’insuffisance notoire de données cliniques et épidémiologiques sur  les suites des radiothérapies

Il n’existe pas en France de registre de taux de complications tardives des traitements par radiothérapie. Les études épidémiologiques sont donc peu accessibles. Une telle situation s’explique en grande partie par l’insuffisance du suivi des patients. Pour le moins, les protocoles de suivi clinique des patients sont très hétérogènes suivant les centres. Dans le cas d’Épinal, l’absence de suivi aurait été une cause déterminante de la non détection de dysfonctionnements ayant entraîné sur de longues périodes de graves dommages pour les patients.

Alors que les fonds alloués à la recherche en cancérologie sont importants et ont abouti à des progrès importants, aucun support financier significatif n’est dédié à la recherche sur les complications des radiothérapies. Pourtant, la France dispose d’un réseau d’acteurs internationalement reconnu, spécialisé dans la gestion médicale des irradiations accidentelles et constitué par l’hôpital des armées de Percy, le centre de transfusion sanguine des armées, l’hôpital Saint-Antoine et l’IRSN. Ce réseau a ainsi pu proposer aux patients d’Épinal un traitement innovant de thérapie cellulaire par cellule souche mésenchymateuse. Ce type de traitement doit être soutenu dans le cadre de véritables programmes de recherche, notamment pour améliorer le traitement de la douleur en cas de brûlures irradiantes.

º Le contrôle insatisfaisant des équipements avant leur mise en service

Les appareils de radiothérapie sont de plus en plus complexes et intègrent des mécanismes très sophistiqués de réglage balistique automatique des rayonnements ionisants, pilotés par des logiciels intégrés. Or, la plupart de ces équipements ne permettent pas au radiothérapeute de vérifier « en direct », lors des séances, la dose effectivement délivrée, ni sa géométrie spatiale. L’IRSN estime que le contrôle de ces équipements, intrinsèquement porteurs de risques radiologiques significatifs, devrait être renforcé, pour se rapprocher dans ses méthodes de celui qui s’exerce sur les installations nucléaires, en recourant en particulier au principe de « défense en profondeur ».

Radioprotection et assurance qualité : les professionnels en première ligne

º Des professionnels de plus en plus conscients des risques

En radiothérapie, il existe deux types de risques : les risques de complications et les risques d’accidents. Les premiers font partie intégrante du plan thérapeutique, sont partiellement connus et surtout, grâce aux nouvelles technologies, ont beaucoup diminué. En effet, tous les progrès récents en matière de radiothérapie ont débouché sur une meilleure précision balistique permettant de mieux cibler la tumeur et donc d’épargner le plus possible les tissus sains périphériques. Le second type de risque est, par définition, non prévu et inacceptable. Le risque d’accident ne peut être maîtrisé que par une assurance qualité sans faille tout au long du parcours du patient. Cette démarche d’assurance qualité existait naturellement avant « l’électrochoc » provoqué par les dramatiques accidents d’Epinal et de Toulouse. La formation initiale des professionnels inclut l’apprentissage de comportements de sécurité et les équipes impliquées sont sensibilisées aux risques d’incidents. Cependant, les graves accidents récents ont suscité chez les professionnels une prise de conscience de la vulnérabilité des pratiques de radiothérapie au regard du principe de sûreté.

º Des moyens supplémentaires indispensables pour la mise en place rapide d’une culture de sûreté

L’assurance qualité doit être d’abord fondée sur la mise en cohérence des équipes de radiothérapie qui rassemblent autour du patient trois corps de métier : les radiothérapeutes, les physiciens médicaux et les manipulateurs. Elle doit reposer sur la signalisation des moindres « évènements précurseurs », avec un retour d’expérience systématique, comme cela existe dans les centrales nucléaires ou dans le milieu aérien.

La maîtrise des risques passe donc par l’optimisation des procédures et la traçabilité des pratiques. L’implication des services dans une telle démarche d’assurance qualité ne sera pas réalisable à moyens constants.

Les effectifs doivent être rapidement renforcés et de manière très significative, notamment pour les physiciens médicaux. La formation continue des personnels doit être généralisée et régulièrement remise à jour, compte tenu de l’évolution constante des technologies, afin de garantir l’application des nouvelles recommandations : guide de radiothérapie des tumeurs élaboré par la Société française de radiothérapie oncologique et référentiel d’assurance de qualité, critères d’agrément décidés par l’INCA dans le cadre d’autorisation des activités de soins en cancérologie, parmi lesquels figure le critère majeur de sécurité de dosimétrie in vivo.

Ouverture de la séance par
M. Claude Birraux, député,
Premier Vice-Président de l’OPECST

M. Claude Birraux, député, Premier Vice-Président de l’OPECST : Je remercie les personnalités venues participer à l’audition publique organisée par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. J’ai pensé nécessaire d’organiser ce débat sur la radiothérapie afin de faire le point sur cette technologie, aux confluents du médical et du nucléaire.

La radiothérapie est devenue largement incontournable dans le traitement du cancer grâce à une efficacité sans cesse améliorée, mais son utilisation doit impérativement faire l’objet d’une vigilance renforcée.

La radiothérapie, née en France à l’Institut Curie, consiste à utiliser des radiations ionisantes pour détruire les cellules cancéreuses en bloquant leur capacité à se multiplier, tout en épargnant les tissus sains périphériques.

60 % à 70 % des patients atteints d’un cancer bénéficient de la radiothérapie, le plus souvent en association avec la chirurgie et / ou la chimiothérapie. Près de 200 000 personnes sont traitées de cette façon chaque année en France, dans 182 centres exploitant 400 appareils de radiothérapie externe, essentiellement des accélérateurs linéaires de particules. Le nombre de patients croît annuellement de 2,5 %, en raison du vieillissement de la population et de l’augmentation de la prévalence des cancers.

La radiothérapie fait partie des traitements majeurs mentionnés par le plan Cancer présenté en juillet 2002 par le Président de la République Jacques Chirac. Ce plan, piloté par l’Institut national du cancer, a permis à la radiothérapie de s’étendre et de se moderniser, faisant de la France un pays « qui compte » en matière de techniques innovantes.

Grâce aux avancées techniques, notamment en matière d’imagerie et d’informatique des quinze dernières années, de grands progrès ont été réalisés dans le sens d’une toujours plus grande précision, grâce à la radiothérapie assistée par l’image, la radiothérapie asservie à la respiration, la thomothérapie, la protonthérapie utilisant des protons qui ont la capacité de traverser les tissus sans les altérer et de déposer toute leur énergie à une profondeur donnée, la curiethérapie consistant à mettre des sources radioactives directement au contact de la tumeur ou à les implanter dans celle-ci et grâce également aux nouvelles perspectives offertes par l’hadronthérapie utilisant des faisceaux d’ions lourds, avec le projet « Etoile ».

Les technologies se sont donc diversifiées et se sont déployées sur l’ensemble du territoire. Or les terribles événements survenus récemment à Epinal et à Toulouse ont dramatiquement jeté le trouble dans ce paysage apparemment « sous contrôle ».

L’affaire d’Epinal constitue sans doute le plus grave accident de radiothérapie jamais recensé dans notre pays. On peut parler de « véritable catastrophe sanitaire » qui concernerait une cohorte de 5 000 patients.

A Toulouse, un accident très grave a également eu lieu, entraînant un surdosage, en 2006 et 2007, de 146 patients atteints de tumeurs du cerveau.

Pour des raisons juridiques évidentes, l’audition d’aujourd’hui ne portera pas directement sur ces affaires qui ont fait l’objet de plusieurs plaintes, actuellement en cours d’instruction au pôle Santé du tribunal de Paris.

Je ne suis ni le procureur, ni le juge et il n’y aura pas de plaidoirie sur ces dossiers mais, au-delà de l’examen des dysfonctionnements qui seront constatés et des responsabilités qui seront établies, il est utile dés maintenant de tirer les premiers enseignements permettant d’éviter que de telles situations ne se reproduisent.

Ces accidents ont révélé, mais l’audition permettra d’approfondir cette première analyse, que l’utilisation de la radiothérapie doit répondre à des exigences particulières de sécurité, que dans ce domaine, où des compétences multiples sont mises en œuvre, des institutions spécialisées doivent intervenir et qu’une culture de sûreté doit désormais prévaloir.

La radiothérapie fait en effet intervenir des personnels hautement qualifiés : 500 oncologues radiothérapeutes, 300 physiciens médicaux assistés de manipulateurs en électroradiologie médicale, agissant au sein de véritables équipes soignantes.

Madame la Ministre de la Santé, Roselyne Bachelot-Narquin, a annoncé le doublement des effectifs des physiciens médicaux en cinq ans.

A quelle échéance les effectifs seront-ils suffisants et les formations dispensées sont-elles adéquates ?

L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a consacré de nombreux travaux à la radioprotection. Son champ d’étude, dans ce domaine, ne s’est pas limité aux installations nucléaires. Dès les années 1990, l’Office s’est préoccupé des risques liés aux radiations ionisantes dans le domaine médical, sans attendre la survenance d’événements dramatiques. Des propositions ont été formulées pour améliorer l’efficacité des dispositifs de radioprotection et de radiovigilance, en particulier sur le plan organisationnel. Et pour les plus anciens, puisque j’ai déjà un peu d’ancienneté dans cette maison, ayant participé à quelques conférences, vous vous souvenez sûrement du congrès de la Société française de radioprotection où nous avions déjà débattu de ces choses à La Rochelle il y a une bonne douzaine d’années.

Le législateur a lui-même abordé ces questions. La création de l’IRSN et celle, encore plus consensuelle, de l’Autorité de sûreté nucléaire l’année dernière, ont répondu à cette préoccupation.

Avec la transposition par l’Autorité de sûreté nucléaire de la directive Euratom 97-43 relative à l’exposition des patients aux rayonnements ionisants, la France dispose désormais d’un cadre réglementaire spécifique, inséré dans le code de la Santé publique et qui a valu à chaque parlementaire une lettre de chacun des chirurgiens dentistes de son département.

Cette transposition a représenté pour les radiothérapeutes, les physiciens médicaux et les manipulateurs un puissant appel à s’intéresser aux problèmes de radioprotection. Cette directive invite à mettre en place des procédures basées sur la qualité, la minimisation du risque, la rationalisation des prescriptions et enfin l’évaluation et le suivi indispensable des malades.

De surcroît, l’Autorité de sûreté nucléaire mène depuis septembre une inspection systématique des 180 centres de radiothérapie avec 60 inspecteurs de la radioprotection. Tous ces centres devraient avoir été contrôlés d’ici la fin de l’année.

Toutefois, il reste beaucoup à faire en matière de radioprotection médicale et il faut rappeler ici qu’il y a encore deux ans, le monde médical n’était soumis à aucune déclaration d’incident.

Tout doit être mis en œuvre pour intégrer une démarche qualité, pour diffuser auprès de l’ensemble des médecins prescripteurs, encore trop peu sensibilisés aux risques et à la nécessité d’un suivi des malades et des effets secondaires de la radiothérapie, une nouvelle culture de la sécurité.

L’audition permettra de dresser l’inventaire des mesures qu’il conviendra de prendre.

Quels sont les dispositifs et les procédures de la radioprotection prévus aujourd’hui visant à garantir la sécurité des patients et une meilleure qualité de soins ?

Quelles sont les mesures restant nécessaires pour assurer l’efficacité du dispositif, lequel fait intervenir deux types d’institutions et de personnels, les uns relevant du monde médical, les autres spécialisés dans les techniques nucléaires ?

La problématique retenue pour cette audition est la suivante : efficacité des traitements et maîtrise des risques de la radiothérapie.

L’audition vise d’une part, à dresser un état des lieux de la radiothérapie : place dans le traitement du cancer, dernières avancées de cette activité en pleine mutation technologique et d’autre part, à présenter les dispositifs de radioprotection mis en place par les professionnels pour garantir une meilleure qualité des soins et la sécurité des patients.

Le but ultime de cette audition est de montrer que la radioprotection des patients doit être un objectif prioritaire pour les professionnels de santé car il faut prendre conscience que l’utilisation des rayonnements ionisants à des fins médicales constitue la première source d’exposition des personnes. Aujourd’hui, plus que jamais des efforts importants doivent être consentis en matière de radioprotection.

Le vaste plan d’action qui sera annoncé dans les prochains jours par Mme la Ministre de la Santé et dont le contenu est déjà en partie connu (guide de bonnes pratiques pour les radiothérapeutes, critères d’agrément en radiothérapie, recommandations pour l’amélioration de la sécurité des logiciels, guide à l’usage des professionnels sur la déclaration des accidents, diffusion d’un référentiel d’assurance qualité en radiothérapie) aura des prolongements au niveau des emplois. L’augmentation des effectifs de personnes spécialisées en radiophysique médicale est notamment nécessaire pour relever le défi de l’amélioration de la sûreté des traitements de radiothérapie.

J’appelle les professionnels et les autorités sanitaires à se mettre au travail le plus rapidement possible. En Haute-Savoie, existe une école de physique biomédicale réputée qui bénéficie de la proximité géographique du Centre européen pour la recherche nucléaire (CERN) et dispense des séminaires de cinq jours. Ces séminaires de formation aux accélérateurs de dernière génération rassemblent essentiellement des physiciens venant d’Europe centrale et orientale, ce qui est regrettable lorsque l’on connaît l’énorme besoin de formation des physiciens médicaux exerçant en France.

En guise d’introduction à l’audition M. le Professeur Maraninchi, Président de l’Institut National du Cancer, va dresser l’état des lieux de la radiothérapie en France, étant rappelé que la France est le berceau de la radiothérapie avec la création de l’Institut Curie en 1903 et que cette technique s’est développée et modernisée notamment au niveau des équipements à la faveur du plan Cancer lancé à partir de 2002 sur l’ensemble du territoire.

Préalablement, je salue la présence dans l’assistance de M. Adrian NASTASE, ancien Premier Ministre de Roumanie et de M. Claude Evin, ancien Ministre de la Santé et Président de la Fédération hospitalière de France.

Etat des lieux de la radiothérapie

M. le Professeur Dominique MARANINCHI, Président de l’Institut national du cancer (INCA) : Je rappelle que le contexte de la radiothérapie est celui du besoin de soins pour les personnes atteintes de cancer en France, un besoin croissant lié à l’augmentation régulière du nombre de cancers à traiter et des cancers traités à des stades divers. La radiothérapie a désormais une place particulière dans le traitement du cancer et a connu, ces dix dernières années, ce qu’il est convenu d’appeler « une révolution technologique » qui a complètement bouleversé le paysage de la pratique.

Les professionnels de santé ont énormément de personnes à soigner et en auront de plus en plus. Aujourd’hui, 200 000 nouveaux malades par an sont traités par radiothérapie, soit une population tout à fait considérable.

La bonne nouvelle est que ces personnes ont maintenant accès à des traitements de plus en plus curateurs. Par exemple, il y a une augmentation très significative de l’incidence des cancers de la prostate mais cette augmentation ne s’accompagne pas d’une croissance comparable de la mortalité, ce qui signifie naturellement que les traitements sont de plus en plus actifs. Et, au sein de ces traitements, la radiothérapie joue une place essentielle. Ce constat est également vrai pour le cancer dont la croissance du taux d’incidence est considérable. Le chiffre est désormais de 50 000 nouvelles femmes atteintes du cancer du sein chaque année, sachant qu’un très grand nombre de ces femmes, si ce n’est la quasi-totalité, est traité par radiothérapie notamment.

Deux évolutions majeures concernent le cancer en France.

Premièrement, la grande augmentation de l’incidence des cancers, liée au diagnostic précoce, au vieillissement, à divers facteurs épidémiologiques, est contrebalancée par un dépistage toujours plus développé grâce à des politiques publiques mieux comprises par la population. Ainsi, le taux de participation au dépistage du cancer du sein, organisé pour les femmes de plus de 50 ans, connaît une croissance tout à fait considérable, puisque ne serait-ce qu’en deux ans, il est passé de 33 % à près de 50 % des femmes concernées.

Chaque fois qu’un million de femmes se soumettent au dépistage, sachant que la cible à atteindre est maintenant de 3 millions de femmes chaque année, 6 000 cancers sont diagnostiqués.

Deuxièmement, le traitement des cancers évolue non seulement en fréquence, en quantité, mais aussi en qualité. La communauté radiothérapique, et notamment française, a donné accès au traitement conservateur du cancer du sein. Sur 6 000 cancers du sein diagnostiqués, 3 000 sont pris en charge par des traitements conservateurs du sein. Maintenant, il faut offrir ce type de pratique à de très grandes cohortes de patientes, grâce aux nouvelles technologies.

Dans le domaine des nouvelles technologies de radiothérapie, l’une des grandes vertus du plan Cancer mis en oeuvre en 2003 a été de rattraper le retard français en la matière et ceci à marche forcée. Ainsi, les machines au cobalt ont disparu et ont été remplacées par des accélérateurs linéaires. 1 appareil sur 4 a été renouvelé depuis 5 ans et 32 nouvelles machines ont été implantées. La radiothérapie est donc une thérapeutique en pleine mutation technologique qui permet des traitements optimisés, ce qui signifie de plus en plus précis et de plus en plus conservateurs de l’organe.

Le parc des centres et des équipements de radiothérapie s’est donc considérablement modifié en cinq ans. Il existe 179 centres de radiothérapie, regroupant en tout 400 appareils, 47 % des centres sont publics et 53% privés. 55% des machines sont dans le public et 45% dans le privé.

La cartographie des centres de radiothérapie est intéressante car elle révèle l’existence d’inégalités territoriales, comme c’est souvent en matière d’accès aux soins de manière générale. En effet, la densité des installations et surtout leur taille respective ne sont pas toujours complètement corrélées à la population à traiter sur place.

Non seulement le retard technologique a été rattrapé, mais aussi la France s’est lancée dans une politique maîtrisée de recherche et développement. Ainsi, le plan Cancer et l’Institut national du cancer ont permis d’investir dans ce que l’on appelle des « centres pilotes » qui ont la rude tâche – c’est un privilège mais c’est aussi une charge – d’explorer des technologies de pointe de radiothérapie. Les technologies innovantes, telles que la thomothérapie, le CyberKnife ou les accélérateurs de dernière génération, sont implantées dans 15 centres pilotes. L’Institut national du Cancer accompagne le développement de ces centres par des subventions initiales, mais surtout par un suivi par protocole du rapport bénéfices / risques de ces diverses technologies.

En ce qui concerne les professionnels, l’Observatoire national de la démographie des professions de santé donne un scénario de l’évolution du nombre et de la densité de médecins de 1985 à 2025, qui est bien connu mais n’en reste pas moins alarmant. La démographie médicale est en baisse et cela concerne les radiothérapeutes comme l’ensemble des médecins. L’inflexion du nombre de médecins a commencé et surtout va augmenter, dans les 15 prochaines années, le ratio entre les médecins et la population qu’il faut soigner …

J’insiste sur le fait que ces éléments chiffrés sur la démographie des médecins en général ne doivent pas faire oublier que la filière des radiothérapeutes est redevenue attractive pour les internes des hôpitaux.

En effet, il y a désormais de plus en plus d’internes en radiothérapie, 89 pour l’année 2006. Ce nombre croissant est une satisfaction mais il sera probablement insuffisant pour couvrir l’ensemble du besoin sanitaire à l’avenir. Les 663 radiothérapeutes actuels sont mûrs mais vieillissants. Leur âge moyen est de 49 ans et est le même que celui des autres spécialistes médicaux.

La situation est plus préoccupante en matière de densité régionale des radiothérapeutes. Les inégalités territoriales sont patentes et peuvent donc entraîner des différences de pratiques, qui ne sont pas forcément de mauvaises pratiques mais qui suscitent des différences d’organisation des soins et d’accès aux soins.

La radiothérapie, comme toutes les disciplines modernes de la médecine, s’insère dans une pratique pluridisciplinaire. Aux côtés des radiothérapeutes, il y a donc des physiciens, comme aux côtés des chimiothérapeutes, il y a des pharmaciens. Et donc, dans tous les cas, la vigilance s’impose pour que la répartition des tâches entre ces deux grandes disciplines se fasse en bonne symbiose, dans l’intérêt du patient.

En ce qui concerne la profession des radiophysiciens, comme pour les radiothérapeutes, de plus en plus de jeunes physiciens s’orientent vers la filière de radiophysique. Les enseignants, ainsi que les mesures financières du plan Cancer, ont permis de rendre attractive cette filière et, ainsi, de voir augmenter depuis deux ans le nombre annuel de stagiaires radiophysiciens, pour atteindre 60 pour la promotion 2008-2009. L’âge moyen - 42 ans - des physiciens est un peu plus jeune que celui des radiothérapeutes et la féminisation de la profession n’est pas très importante, puisqu’il y a 50 % de femmes, mais elle est quand même conséquente et plus importante que chez les radiothérapeutes.

L’inégalité de répartition territoriale des 300 physiciens est de même nature, mais sans superposition possible, que celle observée chez les radiothérapeutes.

Le troisième grand acteur de la radiothérapie est le manipulateur, dont la profession s’inscrit au sein de celle des manipulateurs de radiologie et de radiothérapie. Vous voyez qu’il y a là aussi des inégalités de répartition sur le territoire. C’est une population de 2 500 professionnels, beaucoup plus féminine et vieillissante en moyenne que celle des acteurs précédents. Le rajeunissement est indispensable et réalisable, compte tenu de l’apparition de nouveaux « métiers » pour cette profession, directement en contact avec le malade.

Grâce au Plan Cancer, un large accès à la radiothérapie a été assuré sur le territoire mais les accidents récents nous rappellent que le contrôle de la qualité et de la sécurité doit s’imposer. Et ce d’autant plus que l’on utilise des technologies de plus en plus performantes et sophistiquées.

Dans ce contexte nouveau depuis les accidents de 2007, un groupe de travail « feuille de route de radiothérapie », mobilisant l’ensemble des agences et des organisations, s’est mis en place, afin de préparer un plan d’actions que la Ministre de la Santé présentera très prochainement.

J’illustrerai cette démarche par un seul exemple, qui est celui de l’une des mesures préparées avant les graves accidents de radiothérapie et pilotées par l’INCA pour garantir la qualité et la sécurité des traitements du cancer sur le territoire, au premier chef desquels la chirurgie, au second la chimiothérapie et au troisième la radiothérapie.

Dans ce cadre, l’Institut national du Cancer a pour charge de définir des critères d’agrément en matière de qualité de la prise en charge des affections cancéreuses.

L’autorisation ne sera accordée qu’aux établissements et services satisfaisant à ces critères d’agrément. Un tel dispositif devrait provoquer la « disparition » de 30 % des établissements traitant à l’heure actuelle les personnes atteintes de cancer. Ce dispositif d’autorisation est évidemment appliqué à la radiothérapie.

Cela signifie d’abord que les centres doivent répondre à des critères transversaux de qualité dans la prise en charge et appliquer des traitements validés par un médecin compétent en radiothérapie et par un radiophysicien. Les centres devront également avoir un plateau technique avec au moins 2 accélérateurs de particules et une activité annuelle d’au moins 600 patients par site. Ces seuils d’activité arrêtés ne discriminent pas pour l’instant de façon conséquente les centres de radiothérapie déjà installés sur le territoire.

Enfin, les établissements seront autorisés sur la base de critères d’agrément. Autrement dit, ils ne seront plus autorisés s’ils ne remplissent pas les critères d’agrément. 17 critères entrent dans cet agrément : 8 au titre de la qualité des prises en charge et 9 au titre de leur sécurité.

Les critères de qualité portent sur le caractère pluridisciplinaire de la décision d’irradiation et sur la nécessité de la présence d’un radiothérapeute et d’un radiophysicien pendant les traitements, et la délivrance de ceux-ci par deux manipulateurs. Viennent ensuite les critères de sécurité parmi lesquels un critère majeur, la dosimétrie in vivo.

Un point important concerne le calendrier de mise en œuvre de ce dispositif d’agrément. Tous ces critères seront opposables aux centres de radiothérapie, selon les régions, entre avril 2010 et mai 2011. Le rôle de l’INCA est d’aider les centres à remplir la totalité de ces critères dés l’année 2008 ou l’année 2009, ce qui sera difficile pour certains.

Je conclus en insistant sur le respect dû aux personnels qui travaillent avec cœur dans les services de radiothérapie et le respect dû aux 200 000 nouveaux malades.

L’Institut national du Cancer se mobilise avec la Société française de radiothérapie oncologique (SFRO) et avec la Ligue contre le cancer pour diffuser le maximum d’informations sur la radiothérapie, sur ses risques mais aussi sur ses bénéfices. Car, comme toute thérapeutique, c’est dans l’équilibre bénéfices / risques que ce type de pratique peut être jugé. Cette information est transmise aussi à l’ensemble des médecins généralistes qui sont les référents de l’information. Grâce à la mobilisation de l’ensemble des acteurs et sous l’égide de l’INCA, qui a un rôle de coordination et d’impulsion, les malades pourront bénéficier de traitement ayant une qualité et une sécurité tout à fait exemplaires.

M. Claude BIRRAUX : Je remercie le Professeur Maraninchi pour avoir dressé ce tableau complet de la situation de la radiothérapie et insisté sur le fait que la France demeure pionnière en matière d’innovation pour la radiothérapie. Elle tient son rang par rapport aux Etats-Unis ou à d’autres grands pays européens comme l’Allemagne. Ainsi, les plus grands spécialistes du domaine ont accepté l’invitation de l’Office pour présenter ces technologies innovantes qui font de la France un « pays qui compte » en radiothérapie.

Les technologies innovantes

Présentation générale

Professeur Jean BOURHIS, chef du département de radiothérapie de l’Institut Gustave Roussy : Chaque année, 280 000 personnes sont atteintes par le cancer qui est la seconde cause de mortalité en France, avec 150 000 décès par an. 200 000 malades sont traités par radiothérapie en corrélation ou non avec un autre traitement, chirurgie ou chimiothérapie.

La radiothérapie est une spécialité médicale depuis plus d’un siècle et la découverte de la radioactivité par Henri Becquerel en 1896.

De façon très grossière, la radiothérapie repose sur le fait que l’effet des radiations ionisantes est plus important sur les cellules tumorales que sur les cellules normales.

En termes de guérison du cancer, si l’on réfléchit aux armes thérapeutiques qui permettent d’obtenir la guérison du cancer, 45 % des patients guérissent actuellement. Les gros contributeurs en termes de guérison sont avant tout la chirurgie- 22% des guérisons- il faut le rappeler, et également la radiothérapie en seconde position, qui est souvent impliquée dans des traitements pluridisciplinaires avec la chirurgie et avec la chimiothérapie.

Pour les patients qui vont guérir, la problématique des médecins radiothérapeutes, est de diminuer les effets sur les tissus sains, donc les complications de la radiothérapie.

Pour les patients qui ne guériront pas de leur cancer - les deux-tiers ne guérissent pas en raison d’une dissémination métastatique et un tiers ne guérit pas en raison du non contrôle de la tumeur initiale - la radiothérapie doit s’améliorer pour contribuer à une efficacité anti-tumorale supérieure

En termes d’innovation, il existe deux axes de progrès qui concourent au développement de la radiothérapie actuellement.

Le premier est la haute précision dont il sera largement question dans les présentations qui suivront. Ces techniques sont les suivantes dans l’ordre de sophistication et de coût des équipements : la radiothérapie dite « de base », c'est-à-dire en deux dimensions, la radiothérapie conformationnelle en trois dimensions, la radiothérapie à modulation d’intensité, la radiothérapie guidée par l’image, la stéréoradiothérapie, la tomothérapie et le CyberKnife, la protonthérapie à Orsay et Nice, pour aboutir en 2013 au projet « Etoile » c'est-à-dire la radiothérapie utilisant les ions-carbone.

Le second axe de progrès, qui s’applique à toutes les techniques innovantes, est la possibilité de combiner la radiothérapie avec de nouvelles drogues qui seront capables soit de moduler les effets sur les tissus sains en les diminuant, soit de moduler les effets sur la tumeur en les augmentant. Et ce, en s’aidant beaucoup de l’imagerie multimodalités.

Aujourd’hui, la très grande majorité des patients en France sont traités dans les 180 centres soit par des traitements de radiothérapie en 2 dimensions classiques, soit par de la radiothérapie dite « conformationnelle en 3 dimensions », basée sur une imagerie scanner. Ainsi, les technologies de pointe concernent encore peu de patients. La modulation d’intensité n’est utilisée que dans 20 centres, sur un peu moins de 1 000 patients, et la radiothérapie guidée par l’image, qui est au début de son application, n’est utilisée que dans 6 centres. En ce qui concerne la stéréoradiothérapie ou radiochirurgie, dont le spécialiste est le professeur Jean-Claude Mazeron à La Pitié-Salpétrière, cette technique bénéficie à environ 1000 patients. Pour la thomothérapie et le CyberKnife en cours d’évaluation par l’INCA, moins de patients pourront être traités par ces techniques. Enfin, les deux techniques les plus innovantes de radiothérapie concernent d’abord la protonthérapie, pratiquée par 2 centres en France, Orsay et Nice, mais avec plus de 4 000 patients ayant déjà été traités et, de façon un peu futuriste, le projet Carbone que nous présentera le professeur Balosso et dont le premier patient est prévu aux environs de 2013.

M. le professeur Jean-Marc COSSET, chef de service à l’Institut Curie : A mon sens, la grande évolution technologique est le passage à une radiothérapie beaucoup plus conformationnelle qui parvient à épouser les formes de la tumeur afin de diminuer la dose aux tissus sains et éventuellement augmenter la dose à la tumeur elle-même. Dans les années 1950 et 1960, les faisceaux visaient dans une sorte de carré autour de la tumeur. L’autre évolution est évidemment le passage des appareils à cobalt aux accélérateurs linéaires qui génèrent des rayons X de très haute énergie.

Mais la radiothérapie n’est pas qu’une affaire de machines, elle nécessite l’intervention de nombreux professionnels le long d’une chaîne complexe qui débute par une simulation, c'est-à-dire par l’acquisition d’images du patient. Cela se fait le plus souvent aujourd’hui à l’aide d’un scanner. Les médecins doivent ensuite déterminer les volumes d’irradiation avec comme objectif d’épargner les tissus sains et de traiter correctement la tumeur. Il s’agit donc de définir une distribution de doses de radiothérapie au travers de la mise en place de faisceaux avec des caches adaptés à la tumeur. Vient ensuite la délivrance même du traitement.

Etant donné la longueur et la complexité de cette chaîne, l’assurance de qualité est essentielle. Ce n’est pas quelque chose que l’on découvre actuellement en radiothérapie. Il existe d’abord le contrôle externe des appareils de radiothérapie. La France est le seul pays européen où la situation soit celle d’une obligation de faire contrôler les appareils de radiothérapie pour vérifier si la dose délivrée par l’appareil est bien celle que l’on croit. Un autre point crucial est qu’il faut contrôler très régulièrement les faisceaux d’irradiation sur les patients et s’assurer qu’ils correspondent bien à ce que l’on veut faire. C’est un deuxième élément clé dans l’assurance de qualité. Le troisième est la détection sur le patient de la dose réellement reçue. La dosimétrie in vivo, qui va devenir obligatoire, se développe très rapidement désormais dans les centres français. Si cette technique avait été utilisée, elle aurait probablement pu éviter les erreurs dramatiques survenues à Epinal puisqu’elle consiste à installer des détecteurs sur le patient lui-même qui mesurent in vivo la dose réellement reçue.

Outre leur efficacité thérapeutique plus grande, les technologies innovantes de radiothérapie permettent de diminuer les effets secondaires des traitements. Ainsi, dans l’exemple de patients traités pour un cancer de la prostate, on constate qu’à taux de contrôle tumoral identique, la radiothérapie 3 D, par comparaison à la radiothérapie 2D, permet de diminuer de façon très marquée le taux de complications sur le rectum, qui est en arrière de la prostate, ou sur la vessie, qui est en avant.

La radiothérapie avec modulation d’intensité constitue l’étape suivante par rapport à la radiothérapie conformationnelle. Les Etats-Unis sont dans ce domaine bien en avance par rapport à l’Europe. Cette technique connaît outre-atlantique un développement exponentiel.

La modulation d’intensité consiste à introduire dans un ordinateur des contraintes et paramètres de dose adaptés au traitement, l’ordinateur définissant en retour la technique optimale à utiliser. Grâce à des schémas de faisceaux complexes calculés par l’ordinateur, on peut traiter des formes que l’on ne pouvait pas traiter auparavant, comme des tumeurs en fer à cheval. Cette méthode permet d’épargner par exemple pour les patients souffrant d’un cancer ORL, la parotide et donc de ne pas induire de sécheresse buccale qui est une des séquelles tardives de l’irradiation.

Une autre technique qui se développe est la « radiothérapie guidée par l’image ». Au cours du traitement sur plusieurs semaines, soit la tumeur diminue, soit le patient modifie son anatomie, peut perdre du poids ou autre. Il faut donc tenir compte des modifications liées à ces variations. La radiothérapie se sophistique donc actuellement pour adapter de façon quotidienne les faisceaux d’irradiation aux images 3D. Le but est toujours celui d’une radiothérapie plus précise permettant de réduire en toute sécurité les marges autour de la tumeur.

La radiochirurgie

M. le Professeur Jean-Jacques MAZERON, chef du service d’oncologie radiothérapique du Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière : Je suis un spécialiste de la radiochirurgie qui est une technique d’irradiation très ciblée d’une séance, créée par le neurochirurgien Lars Leksell dans les années 1960 à Stockholm. C’est une technique très ciblée, sans marge ou avec une marge très étroite, de précision millimétrique, qui dure entre vingt minutes et une heure et traite un volume qui n’excède pas 3 centimètres, situé en général dans l’encéphale.

La radiochirurgie traite des maladies cérébrales qui engagent le pronostic vital ou le pronostic fonctionnel et qui sont inopérables ou seulement au prix de séquelles lourdes : des malformations artérioveineuses inopérables, des neurinomes de l’acoustique, des métastases, de petits méningiomes, des névralgies du trijumeau rebelles.

Cette technique est effectuée en une journée. On commence le matin par poser le cadre de stéréotaxie qui est l’appareil qui permet de viser au millimètre la tumeur, laquelle n’est pas visible à l’œil nu. On procède à l’imagerie (en général scannographie, IRM, quelquefois angiographie), puis on confie les images aux physiciens. Les médecins tracent ensuite les contours de la cible et des organes critiques. Après calcul de la dosimétrie et vérification de l’appareil, on procède au traitement en général en fin d’après-midi, lequel traitement dure de vingt minutes à une heure.

Le cadre de stéréotaxie est dit « invasif » car il nécessite une anesthésie locale. Il est placé sur le patient le matin avant l’imagerie et il est enlevé après le traitement. C’est donc lui qui garantit la bonne position du patient pendant le traitement. Nous disposons de logiciels qui nous permettent de voir la cible en 3 dimensions et de faire la dosimétrie. Vous avez ici la cible et l’isodose. Le volume traité est vraiment conformationnel. En général, on le place à un millimètre des limites de la tumeur.

La première machine utilisée est celle qui a été créée par le neurochirurgien Lars Leksell, le Gamma Knife. Il y en a actuellement 1 à Lille et 2 à Marseille. Il s’agit d’une machine simple, robuste, fiable, qui utilise 201 sources de cobalt placées dans un gros casque, collimatées pour donner un petit faisceau dirigé vers un point unique appelé « isocentre ».

L’inconvénient de cette machine est que si la cible est complexe et qu’elle ne rentre pas dans une sphère, il faut utiliser plusieurs isocentres. La réponse des constructeurs à cet inconvénient est le collimateur microlame et les arcs « dynamiques » qui permettent d’adapter la forme du faisceau à la forme de la tumeur.

On utilise un seul isocentre et un seul faisceau qui va tourner en décrivant des arcs toujours dirigés vers l’isocentre. Et quand il tourne, les microlames s’adaptent pour suivre les contours de la tumeur. La radiochirurgie avec un collimateur microlame permet donc une conformation extrêmement complexe et une distribution extrêmement homogène de la dose.

La radiochirurgie est une technique très efficace qui enregistre 90% de succès à long terme. Le problème vient du fait qu’il s’agit d’une irradiation unique et donc très toxique. En effet, si l’on fractionne l’irradiation en radiothérapie classique ce n’est pas sans raison mais bien pour protéger les tissus sains. Dans bien des cas, on aimerait bien fractionner, ce qui n’est pas possible avec le GammaKnife. Les accélérateurs microlames permettent des traitements dosifractionnés.

La radiochirurgie commence à être utilisée pour des cibles extra-craniennes mais dans ces cas se pose le problème de la respiration, problème résolu avec l’arrivée d’une nouvelle machine, le CyberKnife.

Tomothérapie et CyberKnife

M. le Professeur LARTIGAU, chef du département universitaire de radiothérapie du Centre Oscar Lambret, représentant de l’un des 6 centres pilotes, du plan national des techniques innovantes mis en œuvre par l’INCA.

L’Institut national du cancer, en juin 2005, a lancé un appel d’offres pour mettre en œuvre deux équipements de pointe – la tomothérapie et le CyberKnife- qui existent en Hollande, en Belgique, en Italie, mais qui n’étaient pas présents en France. Cet appel d’offres a donné lieu à un certain nombre de réponses et 6 centres ont été sélectionnés par un jury international, 3 pour la mise en œuvre du CyberKnife à Lille, Nancy et Nice, et 3 pour la mise en œuvre de la tomothérapie à Bordeaux, Nantes et à l’Institut Curie. La mise en œuvre a vraiment été opérationnelle à partir d’octobre 2006 et les équipements ont été installés au plus tard au moins de juin 2007.

Il est important de comprendre que ces machines innovantes sont des machines qui ont différentes indications. Elles ne sont en aucun cas rivales mais, au contraire, très complémentaires au sein du parc de la radiothérapie moderne.

La tomothérapie permet de faire de la radiothérapie en modulation d’intensité de façon très précise et très reproductible. Le CyberKnife est une machine, comme vient de l’expliquer le Professeur Mazeron, capable de faire de la stéréotaxie, c'est-à-dire de la radiothérapie de très haute précision à la fois sur des indications intracrâniennes pour des tumeurs cérébrales, mais surtout et c’est ce qui fait sa particularité et son intérêt, sur des indications extracrâniennes, pour des tumeurs situées en dehors de la boîte crânienne.

La thomothérapie est une machine facile à comprendre dans son principe. C’est un scanner dans lequel, au lieu d’avoir un tube à rayons X permettant de faire de l’imagerie, il y a une section accélératrice qui permet de délivrer une irradiation. Le patient est donc sur la table de traitement, cette table bouge et la section accélératrice passée dans l’anneau du scanner va irradier le patient avec des systèmes de collimateurs extrêmement précis permettant de faire des champs et des volumes d’irradiation modulés, variables suivant le déplacement du patient. Cette machine d’origine américaine permet donc de faire des distributions de doses d’une précision inégalée jusqu’alors. Par exemple, pour des tumeurs prostatiques, cette machine a la capacité de ne pas irradier la vessie en avant et de protéger le rectum en arrière car elle dessine parfaitement bien le volume de la prostate. Les Anglo-Saxons utilisent le terme de « sculpting », à l’Assemblée nationale il faut plutôt employer le terme de « contourage » qui n’est pas complètement satisfaisant d’un point de vue linguistique.

L’intérêt de cette machine est également de faire du contrôle de qualité car en radiothérapie l’assurance qualité repose la reproductibilité du traitement. Or, en tomothérapie, les traitements s’échelonnent sur 4 à 7 semaines à raison d’une séance quotidienne.

Cette répétition du geste d’irradiation impose un important contrôle de qualité : être sûr que l’on va tous les jours faire la même chose pendant 5, 6 ou 7 semaines implique des contraintes très fortes. Une machine de ce type permet d’évaluer au fur et à mesure du traitement la capacité de reproductibilité de la balistique.

Le CyberKnife est très différent car il s’agit non d’un appareil de radiothérapie mais d’un robot. L’intérêt d’un robot réside dans son extrême précision (dixième de millimètre de précision dans l’espace) et sa capacité, grâce à l’intelligence artificielle, de suivre un certain nombre de paramètres en temps réel.

La différence entre un robot et une machine automatique tient à ce que le robot soit capable de prendre l’information dans l’environnement du patient, de traiter cette information et de vérifier qu’il travaille comme on lui a demandé de travailler. Il s’agit donc du premier vrai robot médical, il n’en existe pas d’autre. Certaines machines sont plus ou moins automatisées, ont des interfaces plus ou moins sophistiquées, mais le CyberKnife est un vrai robot qui permet des choses très particulières, comme de suivre en temps réel le mouvement des tumeurs.

Si un patient a une tumeur dans le foie ou dans le poumon, cette tumeur bouge avec sa respiration. Il faut donc placer autour de la tumeur des marges suffisantes pour faire en sorte que la tumeur reste dans les marges de traitement. Ces marges sont aujourd’hui importantes car elles tiennent compte de la respiration. Le moyen de « coller » le plus à la tumeur est d’essayer, en limitant les marges, de suivre la tumeur quand elle se déplace. C’est ce que peut faire un robot si on lui donne un certain nombre de renseignements sur la respiration du patient et sur le positionnement de la tumeur. Ainsi, grâce à l’implantation dans le foie d’un patient de petits marqueurs radio opaques visibles à la radio, le CyberKnife est capable en permanence de savoir où est la tumeur hépatique en fonction de la respiration du malade.

Bien entendu, l’interface humaine est indispensable. Le CyberKnife n’est pas une machine qui fonctionne toute seule. Elle est surveillée en permanence mais elle a cette capacité de « coller » à la tumeur. Par exemple, pour une tumeur intrabronchique traitée au Centre Oscar Lambret, il y a quelques semaines, le CyberKnife a été capable de traiter la tumeur et rien que la tumeur et de ne pas irradier du tout ou extrêmement peu le parenchyme pulmonaire adjacent. Et ceci sans jamais contraindre le patient, en le laissant respirer librement.

Ces deux techniques de pointe sont en cours d’évaluation pour certaines pathologies, dans les 6 centres pilotes, sous le contrôle de l’Institut national du Cancer qui décidera de leur implantation définitive courant 2009. La Haute autorité de santé a rendu un avis favorable en décembre 2006 sur la faisabilité à la fois éthique et médicale de ces traitements.

En matière de maîtrise des risques, les oncologues radiothérapeutes, les physiciens et les manipulateurs n’avaient pas attendu les tragiques événements récents pour s’intéresser à la qualité et à la sécurité. Nous avons mis en œuvre depuis maintenant plus de 5 ans, avec l’aide du Ministère de la Santé, dans le cadre de la Mission d’évaluation et d’audit hospitalier, la MEAH, toute une procédure d’organisation des départements de radiothérapie qui a été appliquée dans de nombreux d’entre eux.

Et dans le domaine de la sécurité, trois services de radiothérapie ont souhaité s’inspirer de la méthodologie prévalant dans le monde aérien. Depuis trente ans, le milieu aéronautique a mis en place des règles de sécurité drastiques qui ont fait la preuve de leur efficacité. Les avions volent et ne tombent pas très souvent. Quand un avion tombe, c’est aussi tragique que lorsqu’il y a un accident de radiothérapie.

J’ai consulté la compagnie d’audit, Air France Consulting, qui met à disposition des professionnels les notions de sécurité dans l’aérien et j’ai essayé de rendre applicable cette méthodologie extrêmement rigoureuse au monde de la radiothérapie.

Trois sites : Angers, Villejuif et Lille se sont livrés à cet essai d’implantation d’une méthodologie en grande partie fondée sur les retours et présenteront les résultats positifs au prochain congrès de la Société française de radiothérapie à la fin du mois de novembre à Paris.

M. Claude BIRRAUX : Je reconnais que ces présentations concernent des techniques de plus en plus sophistiquées et je relève un élément tout à fait intéressant. Il est parfois bon d’introduire dans les équipes médicales ce que l’on pourrait considérer comme « un élément perturbateur », c'est-à-dire qui n’est pas du sérail. Cet « élément perturbateur » apporte un regard différent.

Je vais maintenant demander au Professeur Jacques Balosso de nous parler du projet Etoile, qui est en devenir. Le premier patient doit attendre 2013 pour pouvoir bénéficier de cette radiothérapie par ions carbone.

Le projet Etoile

M. le professeur Jacques BALOSSO, projet Etoile : Je tiens à souligner le nombre important d’instances soutenant le projet Etoile c'est-à-dire l’installation à Lyon, d’ici 2013, d’un pôle national d’hadronthérapie par ions carbone. Ce projet a été soutenu dès son origine par des institutions universitaires, l’Université de Lyon 1 et l’Université Joseph Fourier, puis très rapidement les instances régionales, avec la région Rhône-Alpes, le Grand Lyon, et enfin les Ministère de la Santé et de la Recherche, sans oublier l’INCA, qui apporte un soutien financier et scientifique.

L’hadronthérapie ou la radiothérapie par l’utilisation d’ions-carbone, qui n’existe pas en France, permet de pallier les inconvénients de la radiothérapie par rayons X.

Le premier inconvénient de ces derniers est qu’ils ont des faisceaux de sortie, c'est-à-dire que le rayonnement traverse toute l’épaisseur du patient. Le deuxième inconvénient est l’efficacité biologique des rayons qui dans 30 % des cas ne suffit pas éradiquer la tumeur, comme l’a souligné le professeur Jean Bourhis. Il y a donc des progrès balistiques à faire en utilisant des particules qui ne sortent pas du patient et qui ont la propriété de concentrer la dose en fin de trajectoire. Ces particules sont les protons utilisés en France à Orsay et à Nice. En effet, les protons ont la possibilité de déposer une dose beaucoup plus précise et de ne pas offrir l’inconvénient d’avoir un faisceau de sortie. Mais, dans la manière de les mettre en œuvre en radiothérapie, ils ne permettent pas d’augmenter énormément l’effet biologique des radiations classiques.

Pour augmenter l’effet radiobiologique, il faut forcer les défenses des cellules les plus radiorésistantes. Les noyaux d’atomes et le carbone offrent cette possibilité.

Les faisceaux d’ions carbone présentent d’autres avantages : ils bénéficient de ce qu’on appelle en physique le « pic de Bragg », c'est-à-dire la matérialisation d’un dépôt de dose en fin de trajectoire et l’absence de faisceau de sortie.

La densité de ionisation très élevée des ions carbone a des conséquences radiobiologiques tout à fait intéressantes : une efficacité biologique supérieure aux photons et aux protons d’une part, et d’autre part, un faible effet de l’hypoxie, c'est-à-dire la radiorésistance importante aux rayons X de certaines tumeurs.

Enfin, les faisceaux d’ions carbone sont caractérisés par un faible effet du fractionnement. En France, un patient peut suivre une vingtaine de séances. L’efficacité d’un rayonnement à haute densité d’ionisation fait que les tissus tumoraux ne connaissent pas de phénomène de réparation lorsqu’ils sont irradiés. Aussi, le fractionnement de l’irradiation permettant de lutter contre cette réparation n’a plus d’utilité. Les traitements par ions carbone peuvent donc être réduits en nombre de séances et la moyenne est aujourd’hui de 13 séances dans les centres qui pratiquent déjà ce type de traitement. L’expérience internationale montre que l’hadronthérapie permet des traitements beaucoup plus réduits dans le temps.

En conclusion, l’utilisation des rayons X, mise en œuvre dans un système très classique où l’on utilise des faisceaux croisés, induit un grand volume de tissus sains irradiés. Imaginons que cette ellipse bleue soit la section du patient. Autour de la tumeur, ces volumes sont forcément irradiés du fait de l’entrée et de la sortie des faisceaux. Lorsqu’on utilise des particules un peu plus lourdes et chargées, comme les protons, on obtient la disparition des faisceaux de sortie et on peut sculpter la dose autour de la tumeur.

Pour augmenter l’effet radiobiologique, on a utilisé dans le passé les neutrons qui offraient l’intérêt d’être plus efficaces sur le plan biologique, mais les neutrons ont malheureusement une distribution de dose qui est tout à fait similaire à celle des photons des rayons X et l’effet d’augmentation de la radiosensibilité des tissus face aux neutrons est général, tissu sains et tissus tumoraux confondus, et ce dans un grand volume. Les neutrons ne sont donc pas utilisables pour des tumeurs profondes et l’expérience des neutrons a été arrêtée. Les noyaux de carbone permettent de combiner la balistique des protons et l’efficacité au niveau de la tumeur de ce que l’on attendait des neutrons. L’hadronthérapie cumule donc les avantages des neutrons et des protons.

Le projet Etoile comporte trois objectifs.

Le premier objectif est de construire un centre de traitement. La construction de ce centre sera faite dans le cadre d’un partenariat public / privé à la demande instante du Ministère de la Santé. L’accélérateur sera probablement un synchrotron, le centre comportera probablement trois salles de traitement, l’investissement devrait être de l’ordre de 120 millions d’euros, la mise à disposition annuelle devrait être de l’ordre de 20 millions d’euros de coûts de fonctionnement par an et la construction devrait s’étaler de 2009 à 2012. A partir de 2013, après trois ans de « montée en puissance », l’objectif est de traiter de 1 000 à 1 500 patients par an dans le centre. Il sera situé dans l’enceinte du Grand Lyon, près des facultés de médecine et des hospices civils de Lyon.

Le deuxième objectif de ce projet est de développer la recherche et la formation en hadronthérapie mais aussi de faire profiter l’ensemble de la radiothérapie de cette approche. Dès son origine, le projet Etoile, avant même qu’il ne soit construit puisqu’il ne l’est pas encore, s’est inscrit dans un programme de recherche coordonné par l’Université Claude Bernard, qui a utilisé une partie de l’argent du Plan Etat-Région Rhône-Alpes de 2002-2006 pour favoriser le développement de recherches autour du projet. Environ 1 million d’euros a été injecté dans des équipes de recherche régionales et nationales en faveur du développement des connaissances dans ce domaine. Ceci a préfiguré le programme national de recherche en hadronthérapie lancé le 20 septembre 2007 sous l’égide de l’INCA qui devrait poursuivre le développement des recherches dans ce domaine.

Par exemple, dans le domaine des recherches non spécifiques, mieux modéliser la mobilisation des organes peut intéresser l’ensemble de la radiothérapie. En revanche, essayer de calculer à l’avance l’efficacité biologique des rayonnements d’ions lourds très particuliers vis-à-vis des tissus et des tumeurs est propre à l’hadronthérapie.

Le projet Etoile a également suscité et soutenu un effort de formation. L’émergence du projet a démasqué la carence profonde en physique médicale en France, non pas en termes de compétences mais en termes de nombre de personnel. Il a été très difficile au départ d’encadrer des thèses de physique médicale dans le cadre du projet Etoile, et cela a été l’un des éléments qui ont favorisé le développement de nouvelles filières de formation en physique médicale.

Le troisième objectif est l’organisation médicale de l’hadronthérapie. Ont été menées des enquêtes au cours du développement du projet pour essayer de connaître le nombre de patients qui pourraient relever de cette technique. Les indications seront restreintes. Il ne s’agit pas de proposer les traitements par ions carbones à tous les patients. Tous les patients profiteront d’une amélioration de la balistique, mais cela peut être apporté par d’autres technologies. En revanche, les tumeurs qui sont aujourd’hui dans des situations d’échappement thérapeutique parce que le tissu tumoral est très radiorésistant, sont les indications de l’hadronthérapie. Ces tumeurs sont minoritaires. Une étude épidémiologique menée dans 21 institutions françaises en 2003-2005 nous a montré qu’environ 5 % des indications actuelles de la radiothérapie pourraient relever d’un traitement par ions carbones, ce qui représente environ 7 500 patients par an en France.

Les carcinomes adénoïdes kystiques de la tête et du cou sont des tumeurs très radiorésistantes qui ont tendance à rechuter localement, voire des années après leur traitement initial, qui peuvent profiter de manière très efficace de ce type de traitement comme le montre l’expérience japonaise.

Le coût de l’hadronthérapie, avec un coût moyen de 19 000 € par traitement, se situe de manière tout à fait moyenne entre le coût moyen du traitement d’un cancer en France, environ 24 000 €, et le coût du traitement d’un cancer du sein, environ 16 000 €. Les technologies innovantes pharmacologiques représentent des coûts nettement supérieurs.

Il s’agit donc d’un traitement plus cher que la radiothérapie classique mais qui se situe dans la moyenne des technologies innovantes de traitement des cancers.

5 % des cancers actuellement traités par radiothérapie pourraient relever de ces traitements, mais il ne s’agit pas d’un groupe homogène. Face à des indications extrêmement éclatées, il est impossible d’imaginer qu’un centre puisse, à lui tout seul, représenter un lieu d’évaluation fiable de ces technologies. Il est donc indispensable que le projet Etoile travaille de manière très étroite avec l’ensemble des projets européens qui vont ouvrir avant lui.

Plusieurs centres d’hadronthérapie vont ouvrir en Europe. Le centre allemand d’Heidelberg traitera ses premiers patients au début de 2008 sachant qu’il a pris environ six mois de retard sur sa planification. Le centre italien, dont la construction du gros œuvre est terminée mais qui installe ses machines, traitera probablement son premier patient en 2009. Il existe d’autres projets, notamment un à Marburg, en Allemagne, qui devrait ouvrir en 2011.

Cette coopération européenne permettra de traiter un certain nombre de patients français dans les centres étrangers. Certes, le flux de patients ne sera pas très important. Si l’on compte adresser un patient par mois au Japon à partir de 2008, puis un par mois en Allemagne à partir de 2009, puis un par mois en Italie à partir de 2010, fin 2010, on pourra avoir un flux de patients français d’environ 1 patient par semaine, ce qui ne représente que 5 % du total de l’effectif, ce qui permettra somme toute de donner un intérêt à la diffusion de la connaissance sur ces indications et de créer un système de recrutement des patients et de concertation pluridisciplinaire.

En conclusion, Etoile doit être un centre démonstrateur. Il est évident qu’il aura un équipement aussi complet que possible dans cette technologie. Il doit être exemplaire sur la coopération européenne et il doit participer à la validation des ions lourds qui, aujourd’hui, ne sont pas encore testés dans le cadre d’essais thérapeutiques larges, lesquels permettent de faire des comparaisons statistiquement fiables. Etoile doit aussi représenter un pôle d’innovation structurant.

M. Claude BIRRAUX : Je rappelle que près de Lyon, le CERN construit le plus grand collisionneur de hadron au monde et le centre de Pavie a vu le jour après que le Professeur Amaldi fut venu me voir lorsqu’il voulait implanter cette machine près du CERN, ce qui ne me paraissait pas très raisonnable car il faut être près d’un centre hospitalo-universitaire. N’ayant pas trouvé de financement en direction de la recherche technologique, il s’est tourné vers Pavie. Ce centre italien va pouvoir fonctionner à partir de l’année prochaine. Il faudrait trouver en France une « machine à accélérer les procédures ».

M. le Professeur Jacques BALOSSO : le Professeur Amaldi est également à l’origine du programme français.

M. Claude BIRRAUX : le Professeur Amaldi utilise les technologies issues du CERN pour les accélérateurs.

Synthèse

M. le Professeur Jean-Marc COSSET, chef de service à l’Institut Curie : Pour être complet, nous aurions dû évoquer les progrès de la curiethérapie, notamment la curiethérapie de prostate, qui est en plein développement avec l’implantation de micro sources radioactives d’iode 125. Il aurait fallu signaler le changement, soutenu par le ministère, de l’appareil de protonthérapie du centre d’Orsay afin de développer toujours plus cette technologie qui a le même avantage balistique que les carbones mais avec une efficacité biologique moindre, égale aux photons et aux électrons.

La protonthérapie a des résultats remarquables pour les tumeurs à l’œil. Pour les mélanomes de la choroïde, sur 1 400 patients traités à Orsay, on enregistre un contrôle local tumoral de 96 %, une conservation oculaire de 92 %. De tels pourcentages pour un cancérologue sont évidemment très satisfaisants.

Les indications potentielles en protonthérapie sont estimées en France à 22 000 patients environ.

Il aurait également fallu mentionner la radiothérapie asservie à la respiration des patients. Cette technologie, différente du CyberKnife, permet d’être précis au millimètre, alors que la tumeur bouge d’un centimètre dans certains cas quand le malade respire.

Enfin, on constate que la radiothérapie est associée de plus en plus à d’autres traitements afin d’améliorer l’efficacité thérapeutique. Ainsi, des associations radiochimiothérapie sont devenues des standards pour certains cancers. Une perspective très prometteuse est l’association de la radiothérapie avec les thérapies « ciblées ».

Je me réjouis en tant que médecin de l’efficacité toujours plus grande des traitements. Tous les progrès vont dans le sens d’une meilleure précision balistique permettant de mieux cibler la tumeur et d’augmenter la dose dans un volume réduit. Cette précision offre un meilleur contrôle de la tumeur et les chiffres de guérison des cancers traités par radiothérapie en augmentation attestent ce fait. La radiothérapie conformationnelle 3D, la radiochirurgie, la modulation d’intensité, la protonthérapie ont déjà démontré leurs capacités à améliorer le contrôle local. On peut donner l’exemple du cancer prostatique. Plusieurs études ont d’ores et déjà prouvé que l’escalade de dose de 65 à 78-80 GY, rendue possible par les nouvelles technologies, a permis d’augmenter les taux de guérison.

En ce qui concerne la maîtrise des risques, il existe en radiothérapie deux types de risques : les risques de complication et les risques d’accidents. Le professeur Maurice Tubiana avait l’habitude de dire que « l’on ne guérit pas le cancer avec de l’eau de rose ». Les risques de complication font partie intégrante du plan thérapeutique. Ces risques sont connus, sont évalués, et acceptés dans le contexte du traitement d’un cancer qui demeure une maladie grave. Les risques d’accidents sont, eux, par définition non prévus et sont inacceptables.

La maîtrise des risques de complication est le succès le plus probant des nouvelles technologies. Ces dernières ont en effet permis une réduction significative des effets secondaires et des complications de la radiothérapie. Les professionnels ne peuvent que constater une amélioration globale de la tolérance des irradiations et cette amélioration n’est pas du tout triviale par rapport à ce que connaissaient les malades irradiés dans les années 1970.

En ce qui concerne les risques d’accidents, il y a un consensus pour considérer que les nouvelles technologies sont associées à une diminution des risques d’accidents.

Premièrement, ces nouvelles technologies ont permis l’abandon de techniques « à risque ». Le chargement manuel des sources radioactives était générateur d’accidents pour le personnel soignant. Existait également le paramétrage à chaque séance d’irradiation. Un traitement classique de radiothérapie nécessitait le réglage de plus de 1 000 paramètres, soit autant de risques de commettre une erreur. Il y avait aussi des accidents avec les appareils de cobalt, soit pour des patients soit pour le personnel, soit même pour le public avec des sources de cobalt perdues.

Deuxièmement, les nouvelles technologies intègrent maintenant, toutes à des degrés divers, des processus sophistiqués de contrôle de la dose et de la balistique. Ces systèmes de contrôle font même partie intégrante de certaines des nouvelles machines. Par exemple, la thomothérapie est à la fois un scanner et un appareil de traitement, et permet donc de contrôler la balistique à chaque séance de façon millimétrique.

Troisièmement, les équipes impliquées ont une conscience aiguë que les nouvelles technologies peuvent induire des risques nouveaux. En conséquence, on a mis à disposition des moyens humains, techniques et financiers supplémentaires. On a introduit des formations spécifiques régulièrement remises à jour. Les équipes développent des systèmes de signalisation des moindres « événements précurseurs », avec retour d’expérience systématique. Toutes ces mesures visent à la mise en place d’une culture solide d’assurance qualité.

Le constat est donc que les nouvelles technologies de radiothérapie sont des traitements plus efficaces et mieux tolérés. Ces traitements assurent une meilleure maîtrise des risques, à condition que l’on se soit donné les moyens d’une assurance qualité sans faille.

M. Claude BIRRAUX : Je félicite l’ensemble des intervenants qui ont dressé un tableau extrêmement passionnant et précis des nouvelles technologies de la radiothérapie, répondant au souhait de l’Office parlementaire d’avoir un état des lieux des techniques innovantes en ce domaine.

Débat

M. Jean-Yves LE DÉAUT, député, membre de l’OPECST : Je crois qu’il est clair, après de tels exposés, de dire que les technologies innovantes porteuses d’espoir pour les malades montrent l’intérêt de soutenir la médecine nucléaire en France.

Claude Birraux a déclaré à juste raison qu’il faudrait introduire en France des accélérateurs de projets. Au Japon, après le tremblement de terre de 1996, un centre de médecine nucléaire – que j’ai visité récemment – a été mis en place en moins de 8 ans avec un équipement ultramoderne et complet. Le projet Etoile aura mis 15 ans à se mettre en place et le partenariat public / privé ou « PPP » n’a pas accéléré le processus.

J’ai constaté, lors d’un voyage en Russie, qu’à côté des accélérateurs linéaires, des bétatrons sont remis en service et je m’interroge sur l’existence ou non de nouvelles applications de ces équipements anciens.

Lorsque j’ai été rapporteur à l’Office parlementaire sur l’organisation de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en 2000, je constatais que « la dissémination des sources radioactives pose plus de problèmes dans le domaine de la médecine nucléaire que dans le nucléaire lourd. De nombreux accidents concernent des sources mal utilisées. L’absence de coordination claire dans le domaine médical conduit à des situations où la réglementation est parfois déconnectée de la réalité du terrain et où son application est soumise à la bonne volonté et à l’interprétation du personnel médical ».

Je pressais le Ministère de la Santé dans mes recommandations à « établir des règles concernant les protocoles des nouveaux traitements ou des nouveaux modes opératoires sous rayonnement », définissait le rôle de l’Autorité de sûreté nucléaire par rapport au Ministère de la Santé et soulignait la nécessité d’une expertise permanente au niveau de la radioprotection.

Dans le cas d’Epinal, dés septembre 2005, a été découvert un incident qui a été sous-estimé et qui n’a pas été signalé.

Qu’a fait la direction de l’établissement ? A-t-on alerté les autorités sanitaires compétentes. ? Avec la Commission médicale d’établissement de l’Assistance publique (CME), les Directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS), les Direction régionales des affaires sanitaires et sociales (DRASS), l’Agence régionale de l’hospitalisation (ARH) ?

M. Claude BIRRAUX : J’ai déjà indiqué qu’il appartient au juge d’instruction de faire la lumière.

M. Jean-Yves LE DÉAUT : En tant que rapporteur de la commission d’enquête sur AZF, j’ai constaté la même imprévoyance et la même mise en échec des systèmes d’alerte. Il faut à ce titre rappeler qu’en 2005 et 2006 il y a eu une visite de la Haute autorité de santé, qui a accrédité le service de radiothérapie, et, en mai 2006, une visite de l’Autorité de sûreté nucléaire.

Une série de questions me vient à l’esprit : quelle est la formation des médecins inspecteurs de santé publique des DDASS et des personnels de l’ARH en matière de risques liés à la radiothérapie ? Quel est le rôle de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ? Comment combattre la complexité de l’organisation administrative actuelle ?

Il y a une dizaine d’années, j’avais alerté le ministère de la Santé sur l’absence de culture de sûreté nucléaire dans le milieu médical alors que l’utilisation des rayons à des fins médicales était et reste la première source d’exposition du public aux rayonnements ionisants.

M. le Professeur Jean BOURHIS : En ce qui concerne les bétatrons, ces machines qui accélèrent les rayons X sont anciennes. Les premiers bétatrons ont été installés en France en 1953 et n’existent plus aujourd’hui.

M. Riadh CAMMOUN, Commissariat à l’énergie atomique (CEA) : Je tiens à évoquer ici le travail important mené par le CEA en matière de métrologie des rayonnements ionisants. Le CEA, à travers son laboratoire national Henri Becquerel avec le Laboratoire national de métrologie et d’essais (LNE), est détenteur des étalons et il est important, dans cette démarche de recherche d’une qualité de soins accrue d’avoir des rapprochements les plus directs possibles entre ces équipements et les laboratoires nationaux, de manière à améliorer la précision globale de ces traitements. Dans ce cadre de la métrologie des rayonnements ionisants, la marge est très faible entre ce que l’on sait faire en laboratoire primaire et les besoins des utilisateurs dans les centres de radiothérapie.

A ce titre, le CEA est en train de mettre en place une initiative dans ce sens pour accompagner cette évolution qui nous semble très importante de la métrologie française.

M. Claude BIRRAUX : Les praticiens hospitaliers ont des relations avec les chercheurs en métrologie ?

M. le Professeur Jean BOURHIS : La métrologie est effectivement une priorité, en particulier pour l’installation de la dosimétrie in vivo, qui est un élément clé de la sécurité. On bénéficie en France d’une réelle compétence en ce domaine grâce au CEA et à d’autres organismes. De plus, la France abrite le laboratoire expert européen de la mesure de la dose en radiothérapie.

M. Riadh CAMMOUN, CEA : Il n’existe pas aujourd’hui de référence métrologique sur le CyberKnife. Il n’existe que des références approximées et l’apport des laboratoires primaires pourraient être utilisés.

M. le Professeur Eric LARTIGAU : Le CyberKnife que j’utilise et sa section accélératrice de 6 mégavolts sont calibrés et sont extrêmement précis en termes de distribution de doses. La métrologie de la section accélératrice du CyberKnife est faite et recontrôlée régulièrement par les physiciens médicaux. Donc sur le plan de la métrologie du faisceau, on ne peut pas dire que le CyberKnife n’a pas de métrologie. Il a au contraire une métrologie extrêmement précise.

Se pose la question plus générale des systèmes référentiels que l’on doit mettre en œuvre en France. Pour le moment en France, les systèmes référentiels et leur mise en œuvre ont été fixés par l’AFSSAPS : un laboratoire central fait le contrôle de qualité de la calibration, c'est-à-dire du débit et de la qualité du faisceau, de tous les appareils en France. Tous les appareils français de radiothérapie, CyberKnife et autres, sont ainsi contrôlés et ces contrôles sont ensuite adressés au laboratoire central européen situé à Villejuif.

Cependant, il existe encore effectivement, par rapport à des technologies nouvelles comme la thomothérapie, le CyberKnife, ou les techniques de radiochirurgie, des questions sur ce que sont les bons systèmes de référence à adosser à la pratique clinique. Il convient donc de rapprocher les laboratoires de référence et les laboratoires de contrôle de qualité qui, au quotidien, s’assurent de la bonne distribution de doses dans les patients.

Il y a donc encore du travail mais on peut quand même rassurer les parlementaires sur le fait qu’énormément de choses existent sur le calibrage des machines et la mesure des doses.

M. le Professeur Jacques BALOSSO : Nous savons que dans le domaine des ions carbones, la mesure de la dose dans le patient est difficile à appréhender. On peut avoir des instruments fiables de mesure de la dose d’entrée mais la dose dans le patient est difficilement mesurable aujourd’hui. Les technologies doivent progresser dans ce domaine particulier.

La communication entre les mondes de la recherche et des professionnels de la radiothérapie existe grâce notamment au laboratoire national Henri Becquerel. Il y a en permanence des stagiaires des mastères de physique médicale au laboratoire national Henri Becquerel. Et cela veut dire que la profession qui va être utilisatrice et « cliente » de ces laboratoires est formée en partie par ces laboratoires. Il y a donc une connexion très forte et que nous nous évertuons à entretenir au meilleur niveau.

M. Gérard BAPT, député : J’ai été rapporteur de la mission d’information faisant office de rapport d’étape sur le Plan Cancer en 2005 et, à ce moment là, l’assurance qualité en radiothérapie n’avait été qu’évoquée car elle commençait à être impulsée par l’INCA.

Sur un plan institutionnel, les problèmes de cloisonnement, les insuffisances de pilotage sont réels et sont apparus de manière caricaturale dans l’affaire d’Epinal.

Une telle situation rend indispensable une réorganisation des agences nationales et surtout des agences régionales de santé. Cependant, il est certain qu’aujourd’hui l’INCA joue un rôle de coordination sur les progrès qui sont à faire en matière de gestion du risque et d’assurance qualité en radiothérapie.

Il faut espérer que la mise en place des agences régionales de santé soit l’occasion d’améliorer de manière décisive le dispositif actuel.

M. le Professeur Dominique MARANINCHI : Le rôle de notre agence spécialisée sur le cancer est de mettre en phase, de faire de l’interface, de décloisonner, de faire dialoguer tous les acteurs avec comme seul objectif  la maîtrise de la maladie cancéreuse chez l’homme.

C’est donc évidemment un objectif très ambitieux mais l’INCA a un format de petite agence qui rassemble le travail de plus grosses agences aussi bien en matière médicale que scientifique et qui intègre les patients. Il est vrai que sous l’influence du plan Cancer, l’assurance qualité s’est bien développée et peut-être plus en radiothérapie que dans les autres disciplines de traitement du cancer.

L’une des contributions majeures à la santé de notre pays du plan Cancer est d’avoir ouvert la possibilité, et ce sous le contrôle des parlementaires et aussi grâce à leur influence, d’autoriser ou d’interdire des établissements à pratiquer le traitement du cancer. Ce dispositif d’autorisation concerne bien sûr la radiothérapie avec des critères de sécurité rigoureux mais aussi et surtout la chirurgie des cancers qui est une arme tout à fait considérable.

Le rôle de l’INCA dans la feuille de route que nous a donnée la Ministre de la Santé est de permettre à plus d’intervenants de travailler ensemble pour travailler plus vite, et d’effectuer un travail de synthèse. Le plan d’actions de radiothérapie qui sera présenté par la Ministre dans les jours prochains devrait illustrer ce considérable travail de synthèse. La spécificité de l’INCA est de rassembler autour d’un sujet, autour d’un thème tous les acteurs institutionnels, les professionnels de santé et les associations de malades. C’est l’utilité d’une agence thématique par rapport à une agence généraliste.

Le rôle de l’INCA est donc de faire travailler les gens ensemble sans arrogance, en écoutant chacun et en se rappelant en permanence quel est l’objectif, et de permettre d’avancer pas à pas avec des méthodes rigoureuses.

M. André-Claude LACOSTE, Président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) : J’ai été extrêmement frappé par la qualité de synthèse et d’ordonnancement de l’ensemble des présentations.

Il est vrai que, comme l’a mentionné le professeur Maraninchi, il y a un effort très important de l’ensemble des agences de sécurité sanitaire pour travailler ensemble. Peut-être résultera-t-il de ce travail l’idée que l’on devrait pouvoir simplifier le processus mais, dans un premier temps, apprendre à travailler ensemble est crucial.

Il a été noté qu’il n’y avait que 180 centres de radiothérapie en France et que ce n’était pas beaucoup. Pour l’Autorité de sûreté nucléaire, ce nombre est important. Le vrai sujet pour l’Autorité est l’étendue du spectre qui peut séparer d’un côté les centres de pointe parfaitement organisés et où les équipes en place sont conscientes de la dangerosité des appareils, et de l’autre d’autres centres où la culture de sûreté n’existe pas encore. L’ASN est parfois démunie dans son pouvoir de contrôle. Par exemple, comment empêcher un radiothérapeute dont les performances passées sont extrêmement mauvaises, qui a interrompu sa pratique médicale pendant des années, de reprendre sa carrière simplement parce que l’on manque de radiothérapeutes ici ou là ?

M. Christophe LÉGUEVAQUES, Avocat de l’association SOS Irradiés 31 : J’ai beaucoup appris grâce aux présentations des professionnels sur les techniques utilisées et je transmettrai le plus d’éléments d’information possible aux victimes de surriradiation au centre hospitalier universitaire de Toulouse.

Je ne suis pas parvenu à comprendre si la radiochirurgie est ou non de la radiothérapie ? Et si oui sont-ce les mêmes règles et les mêmes protocoles qui s’appliquent ?

En ce qui concerne la dosimétrie, on ne semble pas connaître exactement quelle est la quantité d’énergie reçue par le patient ou par la tumeur quand elle est « bombardée ». Or, c’est justement au moment de ce calcul qu’il peut y avoir des erreurs comme à Toulouse.

M. le Professeur Jean-Jacques MAZERON : La radiochirurgie est une technique de radiothérapie et sa pratique est très encadrée puisque est obligatoire la présence d’un radiothérapeute, d’un neurochirurgien et d’un neuroradiologue. Un tel protocole limite le nombre de centres qui peuvent utiliser la radiochirurgie.

En ce qui concerne la dosimétrie, les machines ont été au préalable calibrées, c'est-à-dire que l’on connaît exactement, avec une erreur véritablement infime, la dose distribuée au patient grâce au système dit « TPS » (logiciel de planification de traitement).

L’incident de Toulouse est dû à une erreur de calibrage. Le calibrage à l’origine n’a pas été bon, dans la mesure ou l’on a utilisé une sonde trop grande pour calibrer les tout petits faisceaux qui faisaient moins d’un centimètre. Mais le système TPS, lui, a calculé correctement. Il ne s’agit pas donc d’une erreur de calcul au cas par cas pour chaque patient.

Avant la mise en service d’une machine, on passe en général deux à trois mois à mesurer « ce qui sort de la machine », et ces valeurs sont rentrées dans le TPS pour être ensuite utilisées pour calculer la dose pour chaque patient. L’accident de Toulouse est lié à une erreur de calibrage de la machine.

M. Thierry SARRAZIN, Président de la Société française de physique médicale (SFPM) : L’ensemble des accélérateurs de particules, comme l’a rappelé le Professeur Mazeron, sont vérifiés lors de leur installation. Cette vérification prend entre un et trois mois. On utilise pour cela du matériel de mesure, à savoir des champs de ionisation. Ces champs de ionisation sont étalonnés en dosimétrie secondaire dans les établissements et en dosimétrie primaire par un centre national de référence qui est le laboratoire national Henri Becquerel. Les champs de ionisation sont étalonnés tous les trois ans comme le prévoit la réglementation. Sur site, ces champs sont utilisés journellement.

Les données mesurées sur les machines sont « rentrées » dans les systèmes de calcul appelés « TPS ». Il existe donc une métrologie complète depuis le laboratoire national d’étalonnage lui-même adossé à un laboratoire international jusqu’aux services de radiothérapie.

Radiovigilance et radioprotection

M. Claude BIRRAUX : J’ai souhaité que cette seconde partie de l’audition soit consacrée à la maîtrise des risques. La radiothérapie est un traitement incontournable du cancer. Il faut maintenant s’interroger sur les procédures de radioprotection mises en œuvre par les autorités sanitaires compétentes et par les professionnels et visant à garantir la sécurité des patients et la qualité des soins.

Selon moi, que certains professionnels de radiothérapie aient pu faire appel à des gens de l’aéronautique pour améliorer les procédures d’assurance qualité, c'est-à-dire « des éléments perturbateurs », est une bonne démarche. Ainsi, peut-être que des méthodes issues de l’industrie vont-elles devoir être appliquées au milieu médical ce qui, jusqu’à il y a quelques années, était considéré comme une hérésie.

La veille sanitaire en radiothérapie

Docteur Georges SALINES, Directeur « environnement et santé » de l’Institut national de veille sanitaire (InVS) : L’Institut de Veille sanitaire est impliqué dans les questions de radiothérapie, ce qui est peut-être moins évident que pour l’Autorité de sûreté nucléaire ou pour l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire.

Les missions de l’Institut de veille sanitaire sont définies par le Code de la santé publique et sont principalement au nombre de quatre :

- la surveillance,

- la veille,

- l’alerte,

- la contribution à la gestion des situations de crise sanitaire.

Le département « santé et environnement » au sein de l’InVS est conduit à s’intéresser à de nombreux facteurs de risques environnementaux et, parmi eux, les rayonnements ionisants. L’InVS est ainsi intervenu depuis plusieurs années à des titres divers, que ce soit en surveillance, en investigation d’alerte ou en gestion de situations de crise sur plusieurs questions, notamment l’impasse sanitaire des expositions domestiques au radon, les retombées de l’accident nucléaire de Tchernobyl ou celles des essais nucléaires français. L’InVS est également intervenu sur des problèmes de dépôts radioactifs. Pour ce qui est de l’exposition aux rayonnements d’origine médicale, l’InVS a entamé, en collaboration avec l’Institut de radioprotection et de sûreté nucélaire (IRSN), un travail destiné à mieux connaître l’exposition de la population française via les examens de radiodiagnostic.

Concernant la radiothérapie à proprement parler, l’implication de l’InVS est beaucoup plus récente et est liée à la nouvelle obligation légale de déclarer les événements indésirables graves liés aux soins. La loi du 4 mars 2002 a prévu que tout professionnel ou établissement de santé ayant constaté une infection nosocomiale ou tout autre événement indésirable grave lié à des soins réalisés lors d’investigations, de traitements ou d’actions de prévention, doit en faire la déclaration à l’autorité administrative compétente. Cette loi a été complétée par celle du 9 août 2004 qui a soumis l’application de cette obligation à la réalisation préalable par l’InVS d’une expérimentation dont le cahier des charges a été précisé par un arrêté du Ministre de la santé du 25 avril 2006.

C’est au titre de cette mission que l’InVS participe à la feuille de route de radiothérapie dont Dominique Maraninchi assure la coordination.

Dans le cadre de cette mission, l’InVS pilote un groupe de travail concernant cette expérimentation des déclarations d’événements indésirables graves pour ceux qui sont liés à la radiothérapie. L’InVS participe également à un groupe de travail très important piloté par la Direction générale de la santé qui vise à garantir la cohérence de l’ensemble des procédures déclaratives dans ce domaine.

Le paysage législatif est en effet quelque peu complexe puisque le dispositif imposant aux acteurs de soins de déclarer les événements indésirables graves, coexiste avec d’autres dispositifs qui sont par exemple :

- l’obligation faite aux exploitants d’installations nucléaires dont font partie ces installations de radiothérapie de déclarer sans délai à l’Autorité de sûreté nucléaire et aux représentants de l’Etat tout incident ou accident susceptible de porter atteinte à la santé des personnes par exposition aux rayonnements ionisants ;

- l’obligation faite aux représentants de l’Etat de porter à la connaissance de l’InVS les signalements de menaces pour la santé de la population qui leur parviennent et dont ce type d’incidents fait partie ;

- l’obligation faite aux fabricants et utilisateurs des appareils de radiothérapie de signaler à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé les incidents ou risques d’accidents ayant entraîné ou susceptibles d’entraîner la mort ou la dégradation grave de l’état de santé d’un patient, d’un utilisateur ou d’un tiers, ainsi que les rappels de ces appareils motivés par une raison technique ou médicale.

Une lecture optimiste de cette complexité serait qu’un tel arsenal permet une déclaration systématique de tous les incidents. Mais on peut aussi penser que la lisibilité n’est pas optimale, notamment pour les intervenants qui, sur le terrain, ne savent pas toujours ce qu’ils doivent déclarer et à qui. L’InVS travaille donc en ce moment afin que l’ASN, l’InVS, l’AFSSAPS, l’IRSN et la Direction générale de la santé (DGS) s’articulent, se coordonnent et connaissent précisément leur rôle respectif et les procédures à tenir.

Dans ce cadre, il est actuellement proposé que l’InVS puisse être sollicité pour des investigations épidémiologiques à mettre en place au détour d’un incident de radiothérapie, lorsqu’un taux anormal de complication est suspecté ou possible. A ce titre, l’Institut est associé aux travaux d’expertise menés par l’IRSN sur les patients d’Epinal et de Toulouse.

Pour ce qui est de l’expérimentation sur les déclarations d’événements indésirables graves (EIG), l’InVS propose que les EIG dont on demande la déclaration soient les plus graves, c'est-à-dire ceux qui conduisent au décès, à la mise en jeu du pronostic vital, à une hospitalisation ou à une réintervention non programmée. L’Institut travaille avec un comité technique qui comporte notamment la Société française de radiothérapie oncologique afin d’établir la liste des EIG.

Ce travail n’est pas terminé, des discussions sont en cours avec les professionnels car l’Institut soutient l’idée que l’on pourrait demander la déclaration d’événements résultant d’un dysfonctionnement inattendu. Le Professeur Cosset a fait cette distinction entre les risques inacceptables, non prévus et les risques de complication connus de la radiothérapie qui sont des événements attendus. En effet, si la radiothérapie permet bien sûr de guérir ou d’améliorer la survie des patients, cela peut se faire au prix d’une certaine toxicité.

Il existe une littérature riche de données sur les risques et complications de la radiothérapie mais ces risques dépendent des antécédents du patient, des traitements associés, de la sensibilité propre du patient. Dans une perspective de surveillance, il paraît intéressant d’utiliser ce dispositif législatif de déclaration des EIG pour réaliser un travail conjoint entre l’InVS et les sociétés savantes visant à améliorer les connaissances sur les risques de complication et les facteurs de risque de complication en radiothérapie.

Une expérimentation concernant les EIG va donc être mise en place dans 4 régions, sur des établissements volontaires et dotés de moyens humains supplémentaires par la DGS structure de gestion des risques. Il s’agira de l’Ile-de-France, de l’Aquitaine, de la Franche-Comté et du Nord Pas de Calais.

En conclusion, l’InVS a un rôle à jouer dans la veille sanitaire, l’alerte et l’investigation concernant les risques de la radiothérapie. Ce rôle lui incombe de par la loi et son intervention est appréciée qu’il s’agisse des professionnels de santé ou des patients car l’InVS a le regard d’un institut centré sur les questions de santé publique sur ces sujets. Mais l’articulation avec les autres institutions concernées à des titres différents comme l’ASN, l’IRSN, l’AFSSAPS, doit être réalisée dans un souci d’efficience et de lisibilité du dispositif d’ensemble.

La radioprotection : la sécurité des patients

M. le Professeur Michel BOURGUIGNON, Autorité de sûreté nucléaire (ASN) : C’est le lieu ici pour que je rappelle que le rôle de l’ASN en matière de radioprotection lui a été conféré par la loi.

L’ASN assure au nom de l’Etat le contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour protéger les travailleurs, le public, les patients et l’environnement, des risques liés à l’utilisation de l’installation et de sources nucléaires et radiologiques, et contribue à l’information du citoyen avec l’appui technique et l’expertise de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. Elle est l’un des acteurs depuis 2002 de la sécurité sanitaire dans le domaine de la santé, depuis la création de la DGSNR, et travaille en concertation étroite avec un certain nombre d’organismes ministériels : la DGS, la Direction des hôpitaux, la Direction générale du travail, les agences de sécurité sanitaire comme l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) et l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (AFSSET), avec bien sûr la Haute autorité de santé et l’INCA. Elle travaille également au niveau régional avec les agences régionales d’hospitalisation, les DDASS et les DRASS. Enfin, elle travaille bien évidemment avec les sociétés savantes et les professionnels.

Pour remplir ses missions, l’ASN a construit un dispositif opérationnel qui comprend tout d’abord la mise en place de la réglementation et de la législation avec la transposition des directives Euratom dans le code de santé publique et le code du travail, les arrêtés correspondants et, plus récemment, les décisions de l’ASN. Vient ensuite la mise en place d’une inspection de la radioprotection, créée par la loi du 9 août 2004, le décret de désignation de la qualité des inspecteurs datant du 13 juin 2006 et la nomination de 76 inspecteurs étant intervenue par arrêté du 13 septembre 2006 avant des nominations à venir par décisions de l’ASN. Il devrait y avoir une centaine d’inspecteurs d’ici la fin de l’année.

Par ailleurs, l’Autorité a élaboré un référentiel d’inspection concernant les travailleurs, le public et les patients. L’inspection par l’Autorité donne lieu à une lettre de suite dans laquelle sont consignées les observations qui permettent de progresser en matière de radioprotection. L’Autorité privilégie la pédagogie vis-à-vis des professionnels par rapport à la sanction et cela s’est traduit par la promotion d’une culture de la radioprotection, la réalisation par les professionnels de guides de bonnes pratiques comme le guide des indications qui applique le principe de justification, le guide des procédures qui se réfère au principe d’optimisation, et des guides d’assurance qualité.

L’Autorité incite le plus possible à la déclaration des événements indésirables graves par les professionnels pour avoir un retour d’expérience, qui est le mécanisme essentiel pour progresser en matière de radioprotection et de sûreté nucléaire. La loi prévoit deux obligations : la déclaration à l’AFSSAPS de tout événement lié à dispositif médical et la déclaration à l’ASN de tout événement significatif de radioprotection. L’Autorité a mis en place un numéro vert qui fonctionne 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Les premières déclarations datent d’avril 2005 avec l’incident de Grenoble concomitamment au début du contrôle de la radioprotection. L’Autorité travaille à la mise en place sur le terrain avec les professionnels d’un contexte favorable à la déclaration avec la mise en route d’une culture de radioprotection, de responsabilité, une culture de prévention et de partage d’expérience. Une trentaine d’événements, des cas isolés et les deux cohortes d’Epinal et de Toulouse ont été effectivement déclarés à l’Autorité depuis 2005.

A la suite des déclarations , la réponse de l’ASN se traduit par une inspection réactive qui est faite en association avec d’autres partenaires, l’IRSN bien sûr, l’AFSSAPS le plus souvent, la DDASS… Au cours de cette inspection, on cherche à comprendre l’événement et un rapport d’inspection est rédigé qui permet de consigner toutes les observations. Une communication à deux volets est associée à cette inspection, d’abord une déclaration factuelle par le service concerné, puis l’ASN met en place une communication sur les mesures à prendre, qui permet le retour d’expérience vers les professionnels.

Dans ce cadre, l’ASN a produit quatre lettres circulaires :

- une lettre de rappel de la réglementation le 26 avril 2005,

- une lettre circulaire sur le facteur organisationnel et humain qui est au cœur de l’ensemble des événements à la suite de l’accident de Lyon le 19 avril 2006,

- une lettre circulaire sur l’imagerie portale à la suite de la découverte du deuxième volet de l’accident d’Epinal le 11 mai 2007,

- une lettre circulaire sur la calibration des faisceaux à la suite de l’accident de Toulouse le 25 mai 2007.

L’ASN a constaté un certain nombre de mauvaises pratiques en radiothérapie :

- des erreurs d’identification des patients avec un volet particulier qui tient à ce que, parfois, on a le bon patient sur la table mais que l’on sélectionne un mauvais fichier informatique qui est celui d’un homonyme,

- des erreurs concernant les logiciels, la traduction de ces logiciels, leur ergonomie, des logiciels « maison » ou bricolés qui sont parfois l’héritage des recherches passées,

- des erreurs techniques sur la calibration des faisceaux ou l’utilisation erronée de l’imagerie portale,

- une formation insuffisante aux nouveaux équipements, nouveaux logiciels, nouvelles techniques,

- des problèmes d’organisation dont un défaut d’assurance qualité ou des erreurs de communication entre opérateurs,

- des pertes de contrôle des sources de curiethérapie.

Dans le cadre de l’amélioration des pratiques de radioprotection, l’ASN en coordination avec les autres autorités sanitaires a élaboré un plan d’actions qui s’inscrit dans la démarche de la feuille de route de la Ministre.

Le premier volet de ce plan d’actions est la déclaration des événements. L’Autorité a réalisé en juin 2007 un guide de déclaration relatif aux événements de radioprotection incluant des critères opérationnels et instaurant l’utilisation d’un registre des évènements et leur analyse dans chaque centre pour aider les professionnels à déclarer. L’Autorité a mis en place une échelle de communication élaborée avec la Société française de radiothérapie oncologique, qui permet de classer la gravité de ces événements impliquant les patients et de signifier qu’un événement mineur, par exemple de niveau 0 ou de niveau 1, n’est pas un événement du type de ce qui s’est passé à Epinal, ce que la presse et les médias avaient du mal à saisir en l’absence d’une telle échelle. Cette échelle est provisoire et en expérimentation pendant un an.

Le deuxième volet de ce plan d’actions concerne l’amélioration de la sûreté des dispositifs médicaux, travail effectué en liaison avec l’AFSSAPS et qui comporte 3 mesures principales : la coordination avec l’IRSN pour l’expertise des nouveaux dispositifs médicaux irradiants, une concertation avec les fabricants pour améliorer la sûreté et l’ergonomie des logiciels ? et le renforcement du système de contrôle de qualité interne et externe des dispositifs médicaux.

Le troisième volet concerne l’amélioration de la sûreté des traitements avec le doublement des effectifs de personnes spécialisées en physique médicale en 5 ans, annoncé par la Ministre à la suite d’une enquête de l’ASN réalisée début 2007 sur l’ensemble de ces effectifs.

L’amélioration de la sûreté des traitements passe également par l’élaboration d’un référentiel de qualité applicable dans les centres de radiothérapie, qui sera publié au mois de décembre 2007, et par la définition des critères réglementaires de qualité en radiothérapie, dans le cadre de la procédure d’autorisation des activités de soins en cancérologie élaborée par l’INCA, mise en œuvre sur le terrain par les ARH et vérifiée par l’ASN. Il convient d’indiquer ici le travail remarquable des radiothérapeutes qui ont élaboré un guide de radiothérapie des tumeurs à l’instigation de l’ASN.

Le quatrième volet enfin est le renforcement des inspections de l’ASN. L’Autorité a lancé en avril 2007 la visite et l’inspection des 180 centres de radiothérapie. Cette inspection générale sera terminée à la fin du mois de décembre et vise à évaluer les services sous l’angle des facteurs organisationnels et humains avec les points suivants :

- la définition et le partage des responsabilités entre les radiothérapeutes, les physiciens et les autres opérateurs,

- l’évaluation de la formation des agents,

- l’existence de procédures écrites de calibration des équipements, de préparation et de réalisation des traitements, de contrôle interne,

- l’existence d’un registre des événements et d’une procédure d’analyse de ces événements, des petits événements qui permettent un retour d’expérience,

- l’existence d’une coordination pour le suivi médical des patients.

Une synthèse de ces inspections sera faite début 2008, ainsi qu’une restitution aux professionnels et aux ARH.

En conclusion, la sécurité des patients en radiothérapie est une priorité pour l’Autorité de sûreté nucléaire dans son action de contrôle. L’ambition de l’ASN est que la radiothérapie française soit exemplaire en matière de radioprotection. L’ASN est déterminée à poursuivre cette mission tout en étant lucide. C’est un travail de longue haleine. Il faudra plusieurs années pour atteindre l’objectif et il y aura une période transitoire délicate car tous les services de radiothérapie ne sont pas au même niveau de développement. Pendant cette période, les établissements et les professionnels devront être accompagnés. Enfin, l’ASN pratique beaucoup le partage d’expériences avec ses homologues étrangers qui constatent aussi des accidents liés aux nouvelles technologies. La France n’est pas en retard mais il faut continuer à aller de l’avant.

M. Jean-Claude GHISLAIN, Directeur de l’évaluation des dispositifs médicaux de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) : Les appareils de radiothérapie sont des produits de santé dénommés « dispositifs médicaux », c'est-à-dire qui sont mis sur le marché selon les règles européennes après une certification de conformité dite « CE » en application d’une directive de 1993. Ils doivent satisfaire à des exigences essentielles, notamment de performance et de sécurité, à la fois pour le patient et l’utilisateur, et un point important est que la démonstration de l’atteinte de ces exigences de sécurité passe le plus souvent par l’application de normes européennes, voire de normes internationales, qui permettent d’obtenir cette présomption de conformité.

L’AFSSAPS a deux missions principales dans le cadre du marché des dispositifs médicaux et en particulier en radiothérapie, la surveillance du marché d’une part, et d’autre part la vigilance dénommée « matériovigilance » en France, selon une terminologie spécifiquement française. En outre, la loi de 1998 qui a institué et créé l’Agence a aussi institué une obligation de maintenance et un contrôle de qualité pour certains dispositifs médicaux dont ceux de radiothérapie selon des modalités fixées par décision du directeur général de l’AFSSAPS.

La surveillance du marché consiste d’abord dans la vérification de conformité à la réglementation d’un certain nombre de produits mis sur le marché par des actions ciblées, réactives, en fonction des informations dont peut disposer l’Agence. Mais c’est aussi aujourd’hui une surveillance spécifique des nouveaux produits proposés sur le marché français. L’Agence fait un travail considérable en matière d’instructions d’utilisation pour la traduction en langue française, mais aussi pour la qualité de ces instructions. De nombreuses normes internationales sont parues récemment et il faut obtenir une application rapide de ces normes qui visent notamment la sécurité des logiciels ou encore la praticabilité, c'est-à-dire l’aptitude à l’utilisation par les acteurs de terrain. Cette activité de surveillance de marché est coordonnée au plan européen.

La deuxième mission de l’AFSSAPS est la matériovigilance définie à l’article L.5212-2 du code de santé publique. Cet article stipule que « le fabricant, les utilisateurs d’un dispositif et les tiers ayant connaissance d’un incident ou d’un risque d’incident mettant en cause un dispositif ayant entraîné ou susceptible d’entraîner la mort ou la dégradation grave de l’état de santé d’un patient, d’un utilisateur ou d’un tiers doivent le signaler sans délai à l’AFSSAPS ». L’AFSSAPS recense toutes sortes d’incidents constatés lors de l’utilisation des produits et, fort heureusement, tous les signalements font certes état de dysfonctionnements avérés ou possibles de dispositifs mais ne sont pas systématiquement des accidents de radioprotection qui ont entraîné des conséquences pour les patients ou les utilisateurs. L’Agence mène donc pour partie un travail de prévention en donnant des recommandations pour éviter un accident plus grave.

A contrario, des accidents de surexposition qui, au départ, n’étaient pas identifiés comme reliés à un dysfonctionnement du dispositif médical peuvent, dans le cadre des échanges avec l’ASN, amener l’Agence à se pencher sur un dispositif particulier.

Au-delà des signalements des incidents observés en France, les fabricants ont l’obligation de déclarer leurs actions correctives sur leurs machines quelle qu’en soit l’origine, même s’il s’agissait à l’origine d’incidents survenus dans d’autres pays. Les autorités compétentes échangent des rapports de vigilance au plan européen mais aussi au plan international. Les échanges d’information sont donc très rapides en cas d’incidents sur les machines.

Toutes les informations et recommandations qui sont prises à l’occasion de l’analyse de ces incidents font l’objet d’une publication, d’une diffusion sur les sites concernés utilisateurs et d’une publication sur Internet.

L’AFSSAPS et l’ASN ont des rôles et des compétences parfaitement complémentaires et collaborent de manière particulièrement étroite depuis 2005 et l’incident survenu à Grenoble.

L’AFSSAPS est également en charge de la maîtrise de la qualité des équipements de radiothérapie qui font l’objet de contrôles à la fois internes et externes définis par décisions du directeur général de l’agence en 2004 et qui viennent d’être renforcés et étendus en 2007. Pour des machines de plus en plus sophistiquées, il reste encore du travail pour couvrir certains aspects de ces techniques. Mais l’on peut dire qu’aujourd’hui, on a un bon niveau, en tout cas par rapport à ce que l’on connaît dans des pays voisins.

Dans le cadre de la feuille de route, l’Agence a lancé un groupe de travail qui prépare des recommandations pour la recette des nouveaux équipements.

En conclusion, le constat est celui du caractère de plus en plus sophistiqué des dispositifs médicaux de radiothérapie. Un dispositif – équipement, accélérateur, logiciel – est non seulement complexe en lui-même mais il s’inscrit dans un environnement hospitalier très varié. Ainsi, les incidents sont souvent liés à des configurations particulières associant certaines machines, certains logiciels et peu souvent reproductibles sur de nombreux sites. Enfin, la qualité et la sécurité sanitaire en radiothérapie dépendent non seulement de la qualité intrinsèque de chacun des dispositifs utilisés mais bien évidemment d’une démarche globale de gestion de qualité qui a été largement évoquée par les intervenants précédents.

M. Claude BIRRAUX : Avant de donner la parole à MM. Repussard et Gourmelon de l’IRSN, je rappelle que l’IRSN résulte de la fusion de l’Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN) et de l’Office de protection contre les rayonnements ionisants (OPRI), lequel avait succédé au Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI).

Le Professeur Gourmelon est un spécialiste reconnu internationalement en matière de brûlures d’irradiation. En cas de contamination « au polonium », le Professeur Gourmelon est probablement la seule personne dans le monde occidental qui puisse vous dire ce qu’il faut faire pour échapper à la mort.

Les suites de la radiothérapie (données épidémiologiques)

M. Jacques REPUSSARD, Directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) : L’IRSN, que j’ai l’honneur de diriger, fonctionne en deux modes : la prévention d’une part, et d’autre part, le traitement des conséquences des accidents, soit pour en comprendre les causes, soit pour traiter leurs conséquences sanitaires ou environnementales.

Autant, dans le monde de la sûreté des installations nucléaires, l’IRSN est heureusement dans le mode « prévention », autant dans ce monde de la radiothérapie, depuis deux ans, depuis que l’ASN s’est intéressée de plus près à ces questions et qu’un certain nombre d’incidents ont fait leur apparition visible sur le territoire national, l’IRSN fonctionne malheureusement sur le mode « expertise en réaction à des incidents ».

Les progrès technologiques amènent à concevoir de nouveaux équipements avec lesquels on peut mettre en place de nouveaux traitements. Le retour d’expérience des professionnels permet d’affiner l’efficacité des traitements au bénéfice des patients.

C’est un schéma parfait qui fonctionne effectivement si ce n’est que ce sont des machines dangereuses. Aussi, comme pour des centrales nucléaires ou des usines chimiques ou autres, il faut encadrer la maîtrise des risques par un dispositif indépendant externe. C’est une règle d’or. Même si les professionnels, les constructeurs, les médecins, les exploitants, sont absolument conscients des risques et font de leur mieux pour les prévenir, la nature humaine est ainsi faite que l’accident finit toujours par se produire.

C’est le travail de l’IRSN que de contribuer à la recherche destinée à prévenir les risques en liaison avec les professionnels. Il existe un processus piloté par l’administration, l’ASN et l’AFSSAPS, de réglementation, d’autorisation des matériels et d’autorisation de mettre en place dans des lieux donnés des traitements donnés, des inspections, des enquêtes lorsqu’il se produit des incidents et un retour d’expérience du système d’encadrement public, extrêmement important pour mieux organiser la prévention. C’est un schéma très général. Tout ceci évolue sous l’effet de la science, qui progresse, et des attentes de la société. Il y a de plus en plus de cancers, il faut les traiter.

Dans ce contexte, l’IRSN lance quatre pistes de réflexion.

Premièrement, Il faut renforcer les recherches sur la prévention des complications et sur leurs traitements.

Deuxièmement, l’autorisation des équipements de radiothérapie comporte des lacunes. En effet, les appareils sont soumis à une réglementation européenne, fondée sur la notion de conformité à des normes. Or, ces machines, qui sont extrêmement sophistiquées et dangereuses, ne sont pas soumises à la même approche de sûreté que les installations nucléaires, qui sont, elles, soumises à ce que l’on appelle « une politique de démonstration de sûreté ». Le constructeur doit démontrer que la sûreté est garantie, y compris en termes d’utilisation, pas seulement la sûreté technique théorique mais en pratique, compte tenu des usages prévisibles, des pratiques constatées, etc., il doit apporter cette démonstration et un institut que l’on appelle l’IRSN, vis-à-vis d’EDF ou d’AREVA, par exemple, est payé pour aller chercher le vice caché dans la démonstration, porter la contradiction et dialoguer avec l’exploitant ou le constructeur pour améliorer. Il s’agit du principe de défense en profondeur.

Ce processus n’a tout simplement pas lieu en matière de radiothérapie. C’est une faille dans le fonctionnement de la directive européenne, qui a été élaborée pour les seringues, pour un certain nombre de matériels, pour permettre la libre circulation, mais qui n’a pas été établie pour assurer la sûreté.

Avec le constructeur Brain Lab, l’IRSN a engagé un début de dialogue technique et ce constructeur américain reconnaît que de tels échanges peuvent amener des idées d’amélioration dans certains logiciels. Aucun texte n’impose à l’IRSN d’entamer ce dialogue pourtant indispensable.

Troisièmement, la formation des personnels est cruciale, comme l’a souligné à juste titre le Professeur Bourguignon. Le niveau n’est pas le même dans les 180 centres de radiothérapie ou entre les centres usuels et les centres pilotes.

Quatrièmement, l’accent doit être mis sur le suivi médical des patients. La difficulté tient à ce que chaque centre a sa façon de faire, ses indicateurs. Il n’existe pas de vision nationale. Cela pose problème, notamment pour mener des recherches sur la prévention des complications. Il serait préférable d’avoir davantage d’informations recoupées valides. Il conviendrait d’améliorer les connaissances sur les complications secondaires, non pas en faisant un travail d’épidémiologie qui risque de coûter extrêmement cher, mais en coordonnant de manière plus précise le suivi médical des patients, de telle sorte que l’on construise des bases de données. L’approche épidémiologique classique n’est pas la mieux appropriée pour distinguer ce qui relève de la prévention des complications, ce qui relève du risque accepté, connu et ce qui relève de complications que l’on aurait pu éviter, liées à des incidents.

M. le Professeur Patrick GOURMELON, Chef du département de protection de la santé de l’homme et de dosimétrie, de l’Institut de radioprotection et de sûreté nationale (IRSN) : Je constate en tant que médecin que l’essentiel des efforts humains, intellectuels et financiers ont porté sur le contrôle de la tumeur. L’objectif de la radiothérapie et des physiciens médicaux a été et est de savoir comment contrôler la tumeur. Comme l’art est difficile, car il faut délivrer une dose à 5 % près, tous les efforts ont porté sur les moyens balistiques, sur les moyens sophistiqués d’ingénierie, avec des industriels qui ont essayé de contrôler la dose à la tumeur pour qu’elle soit la plus précise possible.

Bref, tous les efforts ont été concentrés sur la balistique et, en termes de recherche en biologie, sur la manière de contrer le développement tumoral en associant la radiothérapie à des drogues. En revanche, les moyens qui ont été dévolus à la complication en radiothérapie ont été faibles. La complication doit être considérée comme un axe fort de recherche en biomédecine parce qu’en pratique, la complication est par définition obligée. On ne peut pas guérir un cancer sans avoir de complication. Il faut donc l’évaluer pour ensuite pouvoir la traiter.

Le premier constat est qu’il existe un déficit patent de connaissances sur l’évaluation et la quantification du risque de complication en radiothérapie dans le monde.

Pour évaluer la sévérité des complications en radiothérapie, il existe des grades de 1 à 5 et l’on a toute une série d’échelles internationales qui permettent de grader cette toxicité. Or, il n’y a pas de consensus international pour évaluer la gravité et comparer les études internationales entre elles. Il faudrait donc déjà décider quelle échelle on prend.

Dans la littérature internationale, les complications de grade 2 et 3 pour la prostate varient entre 3 % et 38 %. Il n’existe pas de référentiel.

En France, on est donc obligé de constater que, comme nous ne disposons pas – et il en est de même dans les autres pays – de registre des taux de complications tardives des traitements par radiothérapie, les études épidémiologiques, par définition, sont peu accessibles.

Le deuxième constat est que, pour traiter les complications de radiothérapie, les traitements sont uniquement symptomatiques. On traite les symptômes. On n’a pas de stratégie curative car les connaissances sur la genèse des complications de radiothérapie sont très faibles et parcellaires. La radiothérapie est une science qui a accumulé un taux de résultats empiriques et c’est par empirisme que l’on sait guérir les cancers par radiothérapie. On voit donc que, pour traiter les patients avec de nouvelles thérapeutiques, il faut développer des programmes de recherche et chercher des paradigmes intellectuels.

Depuis de nombreuses années, l’IRSN mène des recherches dans le domaine de la complication des radiothérapies. Il a été créé à l’Institut Gustave Roussy (IGR) et à l’IRSN une unité de radiosensibilité des tumeurs et des tissus sains, avec le Professeur Jean Bourhis, ayant pour objectif de comprendre les mécanismes impliqués dans la réponse des tissus sains, identifier des biomarqueurs des effets secondaires de la radiothérapie et proposer de nouveaux traitements.

Cette unité a mené des recherches à finalité clinique. Les chercheurs, les biologistes ont été placés dans un « bain hospitalier ». Dans un tel cadre, il est possible d’avoir une recherche appliquée et non pas une recherche académique et fondamentale, qui ne peut pas avoir d’applications cliniques avant quarante ou cinquante ans.

L’unité a pu réaliser des études in vitro, des études in vivo. Elle réalise en ce moment une étude clinique à partir de ce type de recherches sur la fibrose radio induite, qui est un mécanisme où les cellules prolifèrent et produisent entre elles une matrice hyperproliférante. Normalement, dans un tissu normal, une cicatrisation se produit, c'est-à-dire que le système revient à son niveau de base. Quand on irradie un tissu, on voit apparaître une fibrose, c'est-à-dire que le tissu voit sa régulation normale dérégulée et qu’il se trouve en fonctionnement anormal chronique sur un certain nombre d’années.

Avec les équipes de l’IGR, l’IRSN a montré qu’un facteur, le facteur de croissance du tissu conjonctif – Connective tissue growth factor – (CTGF), était augmenté en cas de fibrose radio induite. Donc, progressivement, il y a activation et chronicité du phénomène. Les chercheurs ont pu montrer qu’en agissant sur un autre métabolite, le RO-A, avec une drogue qui diminue le taux de cholestérol, on pouvait diminuer le métabolite et, par là même, inhiber la fibrose. A terme, l’objectif de l’unité de recherche est de tester ce mécanisme chez l’homme, c'est-à-dire chez des patients ayant des cancers du col utérin et du rectum auxquels sera proposé ce type de drogue en traitement randomisé, donc au hasard, pour voir s’il y a un effet sur l’apparition des complications de radiothérapie.

Les recherches doivent rapidement progresser car elles permettent de trouver des solutions en cas d’accidents. A Epinal, les dommages sont considérables pour des patients atteints de cancer de la prostate qui connaissent de grands délabrements physiologiques et anatomiques et, pour de tels cas, on est en limite des thérapeutiques classiques actuelles.

La France a la chance de disposer de l’un des meilleurs réseaux méthodologiques pour traiter les accidents d’irradiation dans le monde et il a été décidé de transférer ce plateau méthodologique sur place à Epinal. Ce plateau est constitué de l’hôpital Percy, du centre de transfusion sanguine des armées et des chercheurs de l’IRSN.

Ce plateau méthodologique a mis au point, dans les irradiations accidentelles, une technique de thérapie cellulaire qui consiste à prélever chez un patient sa moelle osseuse, à la mettre dans des boîtes de Pétri en laboratoire, à faire une expansion de ces cellules et à les différencier en certains types d’organes, os, cartilages, muscles, stroma, tendons, etc.

Cette technique de thérapie cellulaire a été appliquée chez l’animal et a fait la preuve qu’elle accélère la cicatrisation des tissus irradiés. Il reste à savoir si la technique peut servir à traiter une complication radio induite qui se situe, elle, au niveau des viscères entourant la prostate, alors que l’expérimentation animale concernait la peau.

Cette technique a été appliquée chez un patient chilien pour lequel l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a demandé son aide à la France. Actuellement, chaque fois qu’un accident survient dans le monde, l’AIEA fait transférer les patients gravement atteints en France qui dispose de l’un des meilleurs plateaux techniques et méthodologiques du monde. Une lésion a été excisée par le chirurgien et on a procédé à une injection des cellules souches qui ont été prélevées au niveau du bassin du patient. L’état de la lésion s’est considérablement amélioré un an après et la douleur diminue presque immédiatement. C’est une première mondiale. Actuellement, deux patients appartenant à la cohorte d’Epinal et présentant ce type de lésions sont en traitement compassionnel par injection de cellules souches mésenchymateuses.

Pour l’avenir, l’IRSN a deux projets.

Le premier vise à essayer, sur la cohorte d’Epinal, cette technique de thérapie cellulaire. Des prélèvements seront faits sur les patients traités afin d’avoir un retour d’expérience en termes de recherche et d’exploiter au maximum les données biologiques et de recherche issues de ce terrible accident.

Le second est de lancer un programme de recherche expérimentale en commun avec l’INSERM sur la radiobiologie des systèmes intégrés, pour l’optimisation des traitements utilisant les rayonnements ionisants et l’évaluation du risque associé, avec plusieurs équipes de recherche : Grenoble, Nantes, Montpellier, Etoile…

En conclusion, l’évaluation qualitative et quantitative des complications à long terme des radiothérapies au niveau des tissus sains est une donnée essentielle de la maîtrise des risques en radiothérapie. Tous les radiothérapeutes ne pensent qu’à cela mais force est de constater que l’évaluation internationale est, aujourd’hui, encore insuffisante. Ces complications dans les cas sévères sont encore aujourd’hui hors d’atteinte des schémas thérapeutiques classiques. La compréhension des phénomènes physiopathologiques et des mécanismes des complications des radiothérapies est le passage obligé de toute approche thérapeutique innovante.

Enfin, il y a urgence à intensifier et à développer les relations entre les différents organismes car on ne peut pas faire seul cette recherche. Il faut grouper nos moyens et nos forces dans des programmes de recherche intégrés sur les mécanismes et les études cliniques et précliniques.

Débat

M. Claude BIRRAUX : Je ne peux que me féliciter de la pluridisciplinarité instituée dans cette unité de recherche pilotée par le Professeur Gourmelon et notamment de l’introduction de biologistes dans le milieu médical pour étudier les complications tardives de la radiothérapie. L’exposé du Professeur Gourmelon sur les recherches en matière d’irradiations montre qu’en dépit d’un certain nombre de protestations, l’expérimentation animale demeure nécessaire.

Un intervenant : Je souhaite poser une question sur les dispositifs médicaux qui sont faits « maison » et l’existence ou non de procédures de certification particulières concernant ces dispositifs qui peuvent poser problème.

M. Jean-Claude GHISLAIN : La présence de tels dispositifs est un de mes sujets de travail à l’AFSSAPS. Les logiciels élaborés sur des sites hospitaliers ne sont pas soumis à la réglementation puisqu’ils ne sont pas mis sur le marché et commercialisés. Ils ne sont donc pas soumis au marquage CE. Néanmoins, ils devraient relever des mêmes normes et des mêmes processus de validation. La vraie question, aujourd’hui, est de savoir s’il y a encore une place pour ce type de logiciels. Dans des cas très particuliers, il n’existe pas de logiciels commercialisés. Mais dans la grande majorité des situations, ces produits devraient disparaître progressivement, au fur et à mesure des renouvellements de matériel.

Mme Annie SUGIER, membre du Conseil scientifique de l’OPECST : Je suis concernée à double titre par cette audition sur la radiothérapie en tant que membre du Conseil scientifique de l’Office parlementaire et en tant que participante à la Commission internationale de protection radiologique.

Le Professeur Jean-Marc Cosset de l’Institut Curie fait également partie de la Commission internationale de protection radiologique et le Comité 3 issu de la Commission a été particulièrement actif sur ces sujets. Il a produit des publications, en particulier sur les problèmes de radiothérapie qui ont été traduites en français par l’IRSN.

Je m’interroge sur les moyens de combattre la douleur des irradiés qui souffrent énormément et pendant des dizaines d’années.

M. le Professeur Patrick GOURMELON : Nous, les soignants, savons que les douleurs sont terribles pour les patients. A Pâques, l’un de mes patients hospitalisé a failli se défenestrer tellement il souffrait, sachant que l’on n’arrivait pas à traiter sa douleur. Aujourd’hui, on ne comprend pas le mécanisme de la douleur des complications radio induites quand elles sont gravissimes.

Ces douleurs résistent en général aux opiacées et sont indicatrices de pronostic. Chaque fois que la douleur revient, on sait que l’on va avoir une nouvelle extension de la nécrose.

Il y a eu dans le passé des réflexions entre grands neurophysiologistes français pour essayer de comprendre ces mécanismes. A l’heure actuelle, il n’existe aucun programme de recherche spécifique sur la douleur en cas de brûlures d’irradiation alors que la France ne manque pas de grands spécialistes de la douleur. En revanche, on sait que la thérapie cellulaire a une action sur la douleur. Cela a été prouvé puisque maintenant, quand on injecte ces cellules, 48 heures après le sujet ne souffre plus. On ne sait pas pourquoi ces cellules arrêtent la douleur. Nous avons désormais 4 cas humains, pour lesquels la douleur a considérablement diminué, mais les mécanismes en jeu dans le système nerveux central ne sont pas connus.

Maître Christophe LÉGUEVAQUES : Je veux être l’interprète des irradiés de Toulouse qui se posent tous la même question : quelles vont être les conséquences dans le moyen et long terme de ces surdosages ? Faut-il attendre des cancers radio induits ? Des complications autres que celles qu’ils subissent d’ores et déjà vont-elles apparaître ?

M. le Professeur Jean-Marc COSSET : Dans le cas de Toulouse, il s’agit de surdosages dans des volumes extrêmement limités qui n’ont quasiment pas touché de tissu sain autour, aussi le risque de cancer radio induit devrait-il être minime.

En revanche, dans d’autres cas, on peut se poser la question et l’on rejoint la problématique du suivi à long terme des patients.

M. le Professeur Patrick GOURMELON : Cette question des complications à moyen et long terme a été posée officiellement par l’ASN à l’IRSN mais c’est un travail complexe car il faut étudier cas par cas. Les conclusions ne seront donc connues que dans quelques mois.

Métiers de la radiothérapie et assurance qualité

L’avis des physiciens

M. Thierry SARRAZIN, Président de la Société française de physique médicale (SFPM) : Je donnerai comme définition de la physique médicale le domaine d’application de la physique à la médecine et à la biologie qui concerne, d’une part les rayonnements non ionisants et, d’autre part, les rayonnements ionisants. Les rayonnements ionisants comprennent l’imagerie radiologique et la médecine nucléaire, qui ne sont pas l’objet de cette réunion, et la radiothérapie externe, la radiothérapie métabolique et la curiethérapie, sont ce que l’on appelle communément « la radiophysique ».

Les premiers physiciens ont été embauchés en France en 1958 à l’Institut Gustave Roussy. En 1969, dix ans plus tard, un décret ministériel a fixé l’obligation d’un physicien agréé ou radiophysicien dans les structures avec accélérateurs de particules. En 1977, a été défini l’agrément de radiophysicien. En 2004 seulement, un contrôle de qualité interne et externe a été rendu obligatoire.

Il est évident que les professionnels, radiothérapeutes, physiciens, manipulateurs, faisaient du contrôle de qualité avant cet arrêté du 2 mars 2004 qui a rendu cette démarche obligatoire. Le 19 novembre 2004, on a enfin su à quoi servait un physicien puisque si, jusqu’à présent, il en fallait un, on ne savait pas très bien à quoi il servait. L’arrêté stipule que le physicien est responsable de la distribution de la dose dans les tissus. Il est un peu comme un pharmacien des rayonnements, sa pharmaceutique n’est pas une molécule mais une partie de molécule, un rayonnement X ou gamma.

Depuis 1971, depuis la création du DEA ou des écoles doctorales de Toulouse, il y a eu environ 700 diplômés. Pourtant, on ne compte actuellement que 350 physiciens médicaux actifs à la fois dans les centres de radiothérapie mais aussi dans l’industrie et chez les constructeurs d’équipements. Etant donné qu’il s’agit d’une profession relativement jeune, puisque l’on commence seulement à enregistrer les premiers départs en retraite, la perte est de 350 physiciens formés. Il n’existe pas de registre des anciens, on ne connaît pas les raisons de ce désintéressement. Certains l’expliquent toutefois par les risques inhérents et les conditions de travail difficiles.

En ce qui concerne la formation, il existe actuellement 4 mastères : celui de Nantes créé en 2007, ceux de Grenoble et d’Orsay créés en 2004, et celui de Toulouse, la formation historique, créé en 1971. Ces 4 mastères sont des pré-requis permettant de passer le concours d’entrée au diplôme de qualification en physique radiologique et médicale. Actuellement, on compte une soixantaine d’étudiants dans ces 4 mastères pour une cinquantaine de places au diplôme de qualification. Une partie des étudiants diplômés passent une thèse dans la spécialité, soit dans des laboratoires de recherche comme le CEA, soit dans des structures cliniques.

Un résidanat identique au statut des internes a été créé il y a trois ans. A l’issue du diplôme il y a un examen auquel peuvent candidater les physiciens membres de l’Union européenne.

Le manque de physiciens médicaux est reconnu par tous. En nombre de physiciens par million d’habitants, la France se situe au niveau de la Pologne, du Portugal, de la Croatie, de la Bulgarie et de la Turquie, donc très loin de l’Allemagne, de la Grande-Bretagne et des pays nordiques. Il y a à peu près 3 à 4 fois moins de physiciens en France qu’en Allemagne ou qu’en Grande-Bretagne, et 7 à 8 fois moins qu’en Suède et au Danemark.

Le contrôle de qualité doit se faire à tous les niveaux qui sont multiples. Il y a l’irradiation, la dosimétrie, l’imagerie. Il faut également tenir compte des mouvements des patients, de la mise en place du patient. Les organes internes bougent, ce qui veut dire qu’à partir d’une dosimétrie théoriquement précise, puisqu’un calcul est toujours précis à 10-5 ou -10 près, on arrive à une imprécision relativement importante. Cela a été évoqué par plusieurs intervenants dont le Professeur Lartigau. Vouloir s’affranchir d’une certaine imprécision est utopique en l’état actuel de la technologie.

Le rôle du physicien a été défini par un arrêté récent, celui du 19 novembre 2004. Le physicien médical s’assure que les équipements, données et procédés de calcul sont appropriés et utilisés selon les règles prévues par le code de la santé publique. Il garantit que la dose de rayonnement reçue par les tissus correspond à celle prescrite par le médecin demandeur et il procède à une estimation de la dose reçue par le patient au cours des procédures diagnostiques.

Le physicien n’est censé que calculer et ne doit surtout pas prescrire, dessiner un volume tumoral, dessiner un organe à risque, faire une radiologie, une simulation. Or, une enquête de l’Autorité de sûreté nucléaire a montré qu’il y avait de très nombreux glissements de fonction dans certaines équipes. Dans cette enquête, 31 % des simulations étaient faites par les physiciens, 28 % des organes à risques étaient dessinés par les physiciens et 8 % des volumes tumoraux étaient dessinés par les physiciens. Ces glissements constituent des fautes professionnelles pour les équipes en cause et il appartient aux autorités de contrôle de faire en sorte que cela ne se produise pas.

L’arrêté du 19 novembre 2004 précise que le chef d’établissement définit, met en œuvre et évalue périodiquement une organisation en physique médicale. C’est ce que l’on appelle « le plan d’organisation en radiophysique » qui comporte plusieurs éléments obligatoires. Premièrement, les physiciens doivent être en nombre et en temps de présence « suffisants ». Cela signifie une obligation de présence, comme pour les radiothérapeutes durant toute la durée des traitements, pendant la délivrance de la dose aux patients. Il est hors de question que des traitements soient réalisés avec un physicien disponible en astreinte sous téléphone. Il doit être sur le terrain. Et sur le terrain, cela veut dire à proximité de voix des accélérateurs de particules et non pas trois étages au-dessus. Deuxièmement, le physicien médical doit être disponible chaque fois que nécessaire en médecine nucléaire. Le physicien doit également intervenir en imagerie radiologique et est souvent en charge de la radioprotection dans l’établissement. Les physiciens ont donc une partie non négligeable de leur activité qui intervient dans d’autres domaines que celui de la radiothérapie stricto sensu.

Les missions sont donc prenantes et nombreuses mais les effectifs sont notoirement insuffisants. Plusieurs enquêtes, ces dernières années, ont fait le constat d’un manque criant de physiciens médicaux dans les centres de radiothérapie.

Une enquête de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) a révélé un risque d’insécurité des traitements dans 1 centre sur 2. L’ASN estime qu’1 centre sur 3 n’a pas de physicien durant toute la durée des traitements.

De surcroît, les nouveaux équipements et les nouvelles réglementations accroissent le manque d’effectifs. Dans l’équipe qui compte un équipement spécialisé, tel qu’un appareil Novalis, un gamma knife ou une thomothérapie, cela représente un physicien ou un physicien et demi à temps complet au détriment des techniques plus classiques.

Des réflexions sont en cours sur l’opportunité de créer un quatrième métier de radiothérapie : les dosimétristes, des personnels un peu manipulateurs, un peu techniciens de mesures, qui peuvent faire de la dosimétrie physique et de la dosimétrie clinique sur des systèmes de calcul. Il n’est pas indispensable d’avoir un doctorat de physique pour mesurer la taille d’un champ d’irradiation.

Les accidents dramatiques récents ont été pris en compte par la profession qui a organisé deux enseignements post universitaires sur la gestion des risques en radiothérapie. Une session particulière sur les accidents a été organisée lors du dernier congrès de la Société française de physique. Les physiciens des équipes de Toulouse, d’Epinal, de Lyon, ont fait un rapport devant leurs pairs sur ce qu’ils avaient fait et sur ce qu’ils estimaient être leur responsabilité. C’était très lourd pour eux et pour la profession, mais cela traduit une volonté unanime de transparence.

Enfin, va être institué un cours spécifique sur la gestion des risques dans l’enseignement du diplôme de qualification en physique radiologique et médicale. Il faut qu’il y ait dans les cursus des 3 métiers de la radiothérapie la volonté d’installer définitivement dans les esprits une culture de la gestion du risque à coté de l’enseignement médical.

La Société française de physique médicale a fait de nombreuses propositions- en grande partie retenues- dans les groupes de travail mis en place dans le cadre de la feuille de route : la dosimétrie in vivo pour tous les patients, le double calcul pour tous les patients, l’extension du contrôle de qualité externe sur toute nouvelle machine ou, en cas de modification d’un paramètre de la chaîne de mesure risquant d’influer sur la distribution de la dose, l’ extension du contrôle de qualité interne sur les systèmes de calcul, ce qui n’existait pas, sur l’imagerie en traitement et sur les systèmes de contrôle et d’enregistrement des paramètres des patients. Les accélérateurs sont contrôlés par des systèmes informatiques qui peuvent dériver. L’AFSSAPS traite actuellement un certain nombre de remontées d’incidents. Enfin, a été retenue par le groupe technique du Ministère la proposition d’une amélioration des conditions de recette des équipements.

Les physiciens médicaux essaient de participer aux groupes de travail initiés par les différentes institutions, l’AFSSAPS, l’INCA, l’ASN, l’IRSN, la DGS, la SFRO, l’Office national des professions de santé, et ce à différents niveaux, sur les matériaux et sur le contrôle de qualité. Le problème est que les collègues se trouvant dans ces groupes de travail ne sont pas sur le terrain.

La Société française de physique médicale a encore d’autres propositions. Le « peer review » devrait devenir la règle pour tout nouvel équipement, c'est-à-dire le fait qu’un accélérateur installé dans un centre par un physicien soit contrôlé par un autre physicien d’une autre équipe. Si cela avait été fait à Toulouse, il n’y aurait pas eu d’accident connu. Il faudrait également créer des groupes experts de binômes ou de trinômes thérapeutes, physiciens, manipulateurs en détachement des centres. En effet, on ne peut pas être expert à vie. Un expert dans notre domaine doit donc être quelqu’un de terrain, qui doit être détaché de son centre à raison de 10 %, 20 % ou 30 % de son activité.

Il faut repenser la formation continue des physiciens, qui n’est pas obligatoire actuellement. Un physicien qui a été diplômé il y a vingt ou vingt-cinq ans et qui n’a suivi aucune session de formation continue est dangereux et devrait repasser un examen.

La rédaction d’un guide de bonnes pratiques opposables doit être lancée. Le guide des tumeurs de la Société française de radiothérapie n’est pas opposable puisqu’une prescription de dose peut varier en fonction de l’indication, ce qui est tout à fait compréhensible. En revanche, un physicien est astreint à un résultat avec une incertitude. Si le physicien mesure 3 Gray, ce sera 3 Gray plus ou moins 1 %, 2 % ou 10 %, peu importe, mais il faut une précision donnée à une mesure.

Une accréditation des sociétés de services en physique médicale paraît indispensable. Ces sociétés font du contrôle technique d’équipements de radiologie ou d’équipements de radiothérapie. La logique de rentabilité économique se heurte à celle de sécurité. Ainsi, une société de services a pu « recetter », c'est-à-dire installer un accélérateur, en 30 heures continues.

Enfin, il faut interdire les logiciels « maison ». Chaque physicien, à une époque, a essayé de « bidouiller » son système de calcul, parce qu’il savait faire, ou parce que les crédits lui étaient refusés dans son établissement. Cette pratique avec des équipements toujours plus sophistiqués est dangereuse. S’il n’y avait pas eu de logiciel « maison » à Epinal, il n’y aurait pas eu Epinal n° 3.

En conclusion, les besoins sont croissants en physique médicale pour la mise en œuvre des nouvelles techniques, en raison de l’amélioration de l’assurance de qualité et des exigences de sûreté. Pour répondre à ces nouveaux défis, il faut transformer la physique médicale. D’abord, il faut l’organiser. Moins de 20 % des centres disposent actuellement de plans d’organisation de la physique médicale, alors que l’arrêté a été pris il y a 3 ans. Il faut également valoriser cette profession pour attirer les jeunes. N’avoir que 60 étudiants en mastère dans une formation qui donne forcément un métier prouve la faible attractivité de la profession. Le syndrome d’Exeter est à craindre. Exeter a été un accident majeur en Grande-Bretagne dans les années 1980 à la suite duquel des physiciens se sont détournés de la filière parce qu’ils la considéraient comme trop dangereuse et craignaient de créer un incident. Ils se sont tournés vers la recherche, plus valorisante et offrant des perspectives de carrière réelles.

Je conclus par trois idées majeures qui se dégagent de mon propos. Premièrement, La radiothérapie est une discipline multidisciplinaire de haute technologie qui, en raison même de sa technologie avancée, comporte des risques. Deuxièmement, l’efficacité thérapeutique passe par l’optimisation des procédures, de la traçabilité et par une nouvelle culture de sécurité. Troisièmement, la transparence vis-à-vis des patients, en termes de réussite et de risques est plus que jamais nécessaire.

La radiothérapie, qui soigne 200 000 personnes par an, est une arme toujours plus efficace contre le cancer et les accidents récents ne doivent pas déconsidérer un traitement qui fait ses preuves tous les jours.

L’avis des manipulateurs

M. Christian DEPENWEILLER, représentant de l’Association française du personnel paramédical d’électroradiologie (AFPPE) : Je suis manipulateur de formation et cadre supérieur en radiothérapie à l’hôpital Saint-Louis à Paris.

La radiothérapie, de par sa complexité, son évolutivité et l’intensité des opérations, est une organisation de soins à risques.

La prise de conscience des professionnels ne date pas des événements dramatiques récents. Les professionnels de terrain mènent des actions sur la gestion des risques depuis déjà bien longtemps. Ainsi, en 1996 a été publié le livre blanc sur la radiothérapie qui avait déjà lancé des pistes importantes sur la sécurité. Par la suite, l’assurance qualité s’est développée dans le cadre de l’accréditation qui a été un véritable choc culturel dans les professions de santé. Les professionnels ont dû passer d’une culture de l’oral à une culture de l’écrit et ont vu apparaître la notion très importante de gestion documentaire.

Les premiers chantiers de la MEAH sur l’organisation des services de radiothérapie en 2003-2004 avaient pour objectif la réduction des délais et l’optimisation des moyens. Ils ont conduit à la publication d’un recueil de bonnes pratiques organisationnelles. Il est clair que ces bonnes pratiques organisationnelles sont très importantes dans les services, qui sont soumis à l’heure actuelle à une pression constante de demandes, puisque il faut prendre en charge de plus en plus de patients.

Ces chantiers ont jeté les bases d’un authentique programme d’assurance qualité. Ces bonnes pratiques organisationnelles comportaient quelques principes d’optimisation en matière de gestion des risques, comme la fiabilisation de l’identité du patient et l’introduction d’un staff journalier mais ces principes restaient tout à fait insuffisants.

C’est pourquoi la MEAH et les professionnels du premier chantier qui étaient conscients notamment d’un manque de systématisation de l’analyse des résultats des services et des procédures, ont lancé un chantier pilote, en milieu d’année 2005, dont l’objectif était d’améliorer spécifiquement la sécurité. Les professionnels étaient donc impliqués dans cette recherche de davantage de sécurité et d’amélioration de la qualité avant les accidents récents. Le rapport de fin de chantier a été publié en juin 2007 et un guide de bonnes pratiques organisationnelles en termes de sécurité sera prochainement publié.

La méthode qui a été utilisée pour le chantier pilote est porteuse d’importantes marges d’amélioration en termes de sécurité. Elle est basée sur une gestion documentaire optimale, sur le retour d’expérience qui intègre la notion d’événement précurseur. Il est vraiment, à l’heure actuelle, incontournable pour les services de développer ce retour d’expérience. Cette méthode intègre la création de cellules REX qui ont pour mission de mettre en place des actions correctives. Dans les services, la culture qui prédomine, est celle de la sanction, de la faute. Il faut sortir de cette culture, afin que tous les événements précurseurs puissent être déclarés et suivis d’actions correctives. Tous les métiers de la radiothérapie sont concernés et, dans la pratique, les manipulateurs sont en première ligne.

Ainsi, lors d’une première expérience de cellule REX, il a été constaté que 90 % des événements déclarés et signalés l’ont été par des manipulateurs. Cette méthode a été intégrée dans le référentiel d’assurance qualité qui sera développé par l’ASN.

De la même manière, les manipulateurs se sont investis dans le renforcement récent des procédures de sécurité en participant à des sessions à Eurocancer et au Congrès de la SFRO.

En 2005 déjà, le centre de Rouen présentait une expérience REX. En 2006, le sujet traité était les risques en radiothérapie et Philippe Le Tallec, manipulateur à Rouen, écrivait que « les différents acteurs des services de radiothérapie, garants de la sécurité et de la prestation des soins, doivent réfléchir sur les actions de maîtrise des risques à mettre en place pour protéger les patients ».

Les manipulateurs de radiothérapie ont une formation polyvalente. Un manipulateur est formé à l’imagerie médicale, à la médecine nucléaire et à la radiothérapie. Une étude a montré qu’entre 2002 et 2006, la part des manipulateurs qui se destinent à la radiothérapie connaît une baisse très importante.

Les nouveaux manipulateurs dans un centre doivent suivre une formation d’adaptation à la radiothérapie qui est de l’ordre de deux mois. Avant deux mois, le manipulateur n’est pas opérationnel. Ensuite, lorsque l’on change les équipements, lorsque l’on met en place de nouvelles technologies, une formation qui est en général longue est de nouveau nécessaire.

Depuis le début des chantiers MEAH en 2003, trois générations d’accélérateurs se sont succédé. Se sont également développées des technologies de pointe. De telles transformations technologiques nécessitent de la part de l’équipe de manipulateurs une appropriation de la technique. Il faut rédiger de nouvelles procédures qui sont souvent complexes et il faut ensuite bien sûr adapter l’organisation générale des services. Par exemple, lors de la mise en place dans un service de la simulation virtuelle, l’ensemble de l’organisation du service est à revoir.

Ainsi, la rapidité des modifications scientifiques et technologiques entraîne la nécessité d’une adaptation continue des organisations et des personnels.

Les organisations actuelles ont intégré le « TGV » des nouvelles mesures d’assurance qualité préconisées. Les équipes sont conscientes qu’il faut absolument le faire. Dans ce contexte, le problème des effectifs se pose avec une acuité grandissante. Comment des équipes qui sont déjà confrontées à une importante surcharge de travail ? due à un flux important des malades et à une pénurie de personnel, pourront-elles gérer ce nouvel accroissement de leurs tâches ? Si le problème crucial de la pénurie des manipulateurs n’est pas réglé, en rendant notamment ces professions plus attractives, on manquera des moyens nécessaires pour assurer cette évolution pourtant indispensable vers la sécurité optimale due aux patients.

Le livre blanc de 1996 sur la radiothérapie évoquait déjà explicitement le problème des effectifs de personnel en mentionnant que « toute augmentation du personnel pour améliorer la sécurité et la qualité sera une charge financière supplémentaire qui ne sera pas compensée. Mais l’assurance qualité est très dépendante du nombre et de la qualité du personnel affecté aux différentes étapes de la radiothérapie ».

M. Claude BIRRAUX : Je donne maintenant la parole à Madame le Professeur Françoise Mornex, représentante des radiothérapeutes oncologues, en précisant qu’il s’agit de la seule femme intervenant dans le cadre de l’audition publique, ce qui réjouira et peinera à la fois Mme Annie SUGIER !

L’avis des radiothérapeutes oncologues

Mme le Professeur Françoise MORNEX, Secrétaire générale de la Société française de radiothérapie oncologique (SFRO) : Les exposés précédents ont montré les progrès considérables de notre discipline médicale. La radiothérapie est en effet passée, en quarante ans, du cobalt aux rayonnements, des volumes en 2D puis en 3D, pour arriver au merveilleux robot « CyberKnife ». Ce robot, au-delà de ses performances thérapeutiques, permet la vérification du faisceau en temps réel c'est-à-dire la vérification de l’endroit où se trouve la dose dans le patient pendant la séance d’irradiation. Une telle vérification est une avancée fondamentale pour la sécurité, que la profession attendait depuis des années.

L’assurance de qualité en radiothérapie a pour objectif de garantir qu’une installation, que ce soit un système, une pièce d’équipement ou une procédure, fonctionnera de façon satisfaisante conformément à des normes convenues. L’assurance qualité a des règles, des exigences et des moyens financiers pour effectuer ces contrôles. De plus, il faut une stratégie du contrôle des traitements. Il faut également une bonne formation et une bonne information de toutes les personnes, de tous les personnels qui vont interagir au cours de cette qualité. Enfin, en permanence, il faut se donner les moyens d’améliorer les technologies qui pourront assurer cette qualité.

La qualité s’adresse avant tout au patient. La qualité du parc de radiothérapie et la qualité de la recherche et des essais cliniques sont les premiers garants de l’assurance de qualité des traitements.

Les acteurs en présence sont nombreux. Il y a tout d’abord le patient et son environnement. Il y a ensuite les professionnels multiples : les oncologues radiothérapeutes, les physiciens d’hôpital, les dosimétristes, les manipulateurs d’électroradiologie mais également les secrétaires, les infirmières, les internes, toutes les personnes qui sont dans un service, qui vont en permanence interagir avec et pour ce patient, et interagir entre elles.

La qualité doit s’appliquer à chaque étape du parcours du patient.

D’abord, il faut accueillir le patient, puis lui annoncer des choses extrêmement désagréables lors de la consultation d’annonce. La SFRO avec l’INCA s’est donné les moyens d’informer les patients, avec la diffusion de livrets pour améliorer la qualité de cette information qui faisait tant défaut.

Ensuite, il faut acquérir les données anatomiques de la tumeur, des organes qui l’environnent. Est élaboré un plan de traitement qui va être expliqué au patient. Le traitement est appliqué, suivi de contrôles de qualité physique.

Enfin, après les contrôles de qualité clinique, doit être lancé le suivi, c'est-à-dire l’évaluation des effets secondaires induits par la radiothérapie qui, dans de très rares cas, amènent à des complications.

Comment la SFRO a-t-elle réagi aux graves incidents survenus récemment et comment a-t-elle mis en place un renforcement de la sécurité, de la sûreté et de la qualité ? La SFRO s’est livrée à une évaluation de ce qui s’est passé, des faiblesses, des manquements, des échecs, de nos moyens et des améliorations possibles. C’est l’objet de la mission confiée à la SFRO par la Ministre de la Santé dont les conclusions seront rendues très prochainement

Une série de collaborations a été mise en place dans le cadre de la feuille de route :

- une collaboration extrêmement étroite avec l’ASN, avec la nécessité de déclarer tous les incidents de radiothérapie, et non pas seulement les plus graves, et la réalisation d’une échelle de gravité,

- une collaboration naturelle et très forte avec l’INCA depuis longtemps mais qui s’est renforcée avec la définition des critères d’agrément, notamment la dosimétrie in vivo, le double calcul des unités moniteur, la nécessité d’avoir deux manipulateurs en permanence au poste de traitement etc…,

- une collaboration avec l’IRSN, notamment pour le suivi des patients d’Epinal.

Je souhaite mentionner l’existence de nombreuses initiatives internes à la SFRO visant à l’amélioration de la sécurité : le guide de radiothérapie des tumeurs, la mise en place dans chaque service de radiothérapie du REX, la mise en place d’audits internes et externes pour la radiothérapie, pour les 180 centres de radiothérapie.

La SFRO a enfin participé à la réouverture du service de radiothérapie d’Epinal : aide aux médecins, aux physiciens, aux patients.

En ce qui concerne l’échelle expérimentale mise en place par la SFRO et l’ASN, elle a pour but de montrer que lorsque se produit un accident ou un incident de radiothérapie, il a une certaine gravité. Ce peut être un incident que l’on va coter niveau 1, une erreur de dose ou de volume sans conséquence attendue pour le patient, par exemple une erreur de cible sur une séance. Dans ce cas, il n’y a pas de conséquence attendue ou susceptible d’occasionner des conséquences pour le patient. Ceci n’a rien à voir avec Epinal qui se situe, suivant les incidents, entre le niveau 5 et le niveau 7 qui provoque le décès du patient. Des accidents existaient auparavant mais l’on n’en était pas informé officiellement. Cette échelle de gravité est « l’échelle de Richter » de la radiothérapie qui permet de faire la différence entre quelque chose de bénin et quelque chose d’important qui mérite une attention toute particulière. Une telle échelle est gage de transparence et de la mise en place de procédures de retours d’expérience.

En conclusion, la radiothérapie est une spécialité qui emploie des outils de plus en plus complexes et performants et qui évolue très rapidement. Elle regroupe divers corps de métiers qui collaborent avec un esprit d’équipe, de cohésion, de collaboration et de responsabilité. A côté de l’optimisation des traitements, la sécurité est une préoccupation majeure et quotidienne qui demande énormément de temps.

La sécurité des patients suivant un traitement de radiothérapie n’est pas un sujet récent. Il y a 11 ans le livre blanc de la radiothérapie traitait de ce sujet. C’est une exigence, c’est une préoccupation permanente pour les radiothérapeutes.

Cependant, les professionnels ne pourront pas assurer, garantir et pérenniser cette sécurité sans moyens humains et techniques. La représentation nationale doit prendre conscience que la maîtrise des risques ne se fera pas à moyens humains constants, je souhaitais porter ce dernier message dans ce lieu qui s’y prête naturellement, à l’Assemblée nationale.

M. Claude BIRRAUX : Le Professeur Huriet, Président de l’Institut Curie, qui fut, lorsqu’il était sénateur, membre de l’OPECST, va maintenant conclure l’audition. Auparavant, je tiens à remercier tous les invités pour la qualité tout à fait exceptionnelle de leurs présentations. Un telle audition permet à l’Office parlementaire de remplir son rôle qui est celui d’informer le Parlement et, par-delà le Parlement, l’ensemble des citoyens par le relais de la presse.

Conclusion

M. Claude HURIET, ancien sénateur, ancien membre de l’OPECST, Président de l’Institut Curie : Je ne suis ni cancérologue ni spécialiste de la radiothérapie mais l’Office parlementaire m’a fait l’honneur de conclure cette audition au contenu passionnant en qualité de grand témoin.

Mon propos s’articule autour de trois réflexions : une réflexion faisant référence à l’histoire, une autre qui concerne l’innovation et la troisième qui concerne les relations entre l’homme et la machine.

L’histoire de la radiothérapie est plus que centenaire. Dès 1896, un an après la découverte des rayons X par Becquerel, intervenait le premier traitement du cancer. Vient ensuite une autre référence qui est celle-ci un vrai centenaire : 1907 qui est la date de publication du premier traité de radiothérapie. « On traite – était-il écrit à l’époque – avec un agent que l’on connaît mal, l’irradiation, une maladie dont on ne sait rien, le cancer ».

En 100 ans, on peut considérer que des progrès considérables ont été réalisés. On sait maintenant que le cancer est une maladie de la cellule. C’est une anomalie du développement des cellules avec une sorte d’anarchie du développement cellulaire. Les rayons agissent précisément sur ce fait de développement anarchique des cellules. Ils entraînent la mort cellulaire par lésion du génome.

La deuxième référence est celle de l’innovation qui a comme fondement le «  Graal du radiothérapeute » qui selon Michel Serres se résume à la formule suivante : « Irradier la tumeur, toute la tumeur, rien que la tumeur ». L’innovation est donc la recherche par tous moyens de la précision. Chaque innovation technologique apporte une réponse qui, comme dans toute quête du Graal, ne peut être que momentanée. A travers l’imagerie, qu’il s’agisse de la scintigraphie ou de l’imagerie embarquée, se pose la question lancinante de la précision dans la mesure où les effets des rayons portent sur l’ensemble des cellules qu’elles soient saines ou malades

Enfin, la radiothérapie est une bonne illustration de la confrontation dramatique entre l’homme et la machine. Le cyclotron, présent à Orsay, pèse plus de 100 tonnes. Le diamètre du bras isocentrique est de 10 mètres. L’épaisseur des murs, qu’heureusement le patient traité ne va pas pouvoir considérer, est de 3 mètres. Et le coût de l’opération dépasse les 40 millions d’euros. Autour de ces masses de technologie, il faut imaginer un homme ou une femme et quelquefois un enfant, un seul, puisque la sécurité veut que ceux qui servent la machine soient à distance. Personne ne peut être insensible à ce drame et à l’angoisse du patient face à l’apparence de puissance absolue de la machine.

Et il y a là un vrai problème qui ne peut d’ailleurs pas trouver de réponse définitive car en réalité il s’agit d’une question de contact et d’humanisation de la technique à travers ceux qui la servent au profit des patients. Cela passe par les explications afin d’humaniser la technique – est-ce possible ? – et de rassurer.

Ces propos rassurants peuvent parfois entraîner une sorte de banalisation du traitement, d’autant plus que la brièveté des séances peut donner à des personnes qui ont été angoissées par l’annonce et les conditions de leur traitement le sentiment que ce n’est finalement pas si prenant et que les conséquences, au moins à court terme, sont légères. Certains radiothérapeutes éprouvent quelques fois des difficultés à convaincre les patients que le calendrier établi pour leur traitement n’est pas compatible avec le calendrier des vacances.

Les traitements de radiothérapie sont toujours plus efficaces, de mieux en mieux ciblés, toujours plus sophistiqués d’un point de vue technologique mais il faut garder à l’esprit qu’ils ne peuvent répondre à eux seuls à l’angoisse et à la détresse des patients.

M. Claude BIRRAUX : Je remercie le Professeur Huriet pour cette brillante conclusion, ainsi que l’ensemble des orateurs.


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